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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 1

COUR DE CHIMIE
POUR
SERVIR D’INTRODUCTION
à cette Science.
PAR

NICOLAS LEFEVRE

Professeur Royal en Chimie, & Membre de la Société Royale de Londres.

CINQUIEME EDITION,

Revue, corrige & augmentée d’un grand nombre d’Opérations, & enrichie de Figures,

PAR M. DU MONSTIER, Apothicaire de la Marine & des Vaisseaux du Roi ; Membre de la


Société Royale de Londres & de celle de Berlin.

TOME PREMIER.

A PARIS.

Chez JEAN-NOËL LELOUP, Quay des Augustins, à la descente du Pont Saint Michel, à
Saint Jean Chrysostome.

M. DCC. L I.

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TABLE DES MATIERES.

Préface de l’éditeur : Des Chimies de le Fèvre de Glaser, p 8.


Avis de Nicolas Le Fèvre, p 14.
Préface de la troisième Edition de Christophe Glaser, p 15.
Approbation, p 16.
Privilège du Roi, p 17.

TRAITE DE CHIMIE, EN FORME D’ABREGE.

Préface, p 19.
Division de cet Ouvrage, p 21.
Avant-Propos. Qui contient plusieurs questions de la nature de la Chimie, p 21.
Question première. Des noms donnés à la Chimie, p 21.
Question seconde. La Chimie doit-elle être appelée Art ou Science ? & sa
définition, p 22.
Question troisième. De la fin de la Chimie, p 25.

PREMIERE PARTIE.

LIVRE PREMIER.
CHAPITRE I : De l’Esprit universel, p 27.
CHAPITRE II :
• Des diverses substances qui se trouvent après la résolution, &
l’anatomie du composé, p 30.
• Principes de la résolution des corps, p 32.
CHAPITRE III : De chaque principe en particulier, p 33.
• SECTION PREMIERE : A savoir si les cinq principes qui demeurent après la
résolution du mixte, sont naturels ou artificiels, p .33
• SECTION SECONDE : Du Phlegme, p 34.
• SECTION TROISIEME : De l’Esprit, p 36.
• SECTION QUATRIEME : Du Soufre, p 37.
• SECTION CINQUIEME : Du Sel, p 38.
• SECTION SIXIEME : De la Terre, p 40.
CHAPITRE IV : Des Eléments, tant en général qu’en particulier, p 41.
• SECTION PREMIERE : Des Eléments en général, p 41.
• SECTION SECONDE : De l’Elément Feu, p 45.
• SECTION TROISIEME : De l’Elément de l’Air, p 47.
• SECTION QUATRIEME : De l’Elément de l’Eau, p 49.
• SECTION CINQUIEME : De l’Elément de la Terre, p 50.

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CHAPITRE V : Des principes de destruction, p 51.


• SECTION PREMIERE : De l’ordre de ce Chapitre, p 51.
• SECTION SECONDE : Des principes de vie avant la composition, p 52.
• SECTION TROISIEME : Des principes de mort, p 53.

LIVRE SECOND.

Du pur & de l’impur.


CHAPITRE I : Ce qu’est le pur ou l’impur, p 56.
CHAPITRE II : Comment le pur & l’impur entrent dans toutes les choses, p 57.
CHAPITRE III : Comment on sépare l’impur de toutes les choses, p 59.
CHAPITRE IV : Des substances pures qu’on tire des mixtes, p 60.
CHAPITRE V : De la génération & de la corruption naturelle des mixtes, & de
leur diversité, p 61.
• SECTION PREMIERE : De l’ordre que nous tiendrons en ce Chapitre, p 61.
• SECTION SECONDE : De l’altération, de la génération, & de la corruption
des choses naturelles, p 61.
• SECTION TROISIEME : De la différence des mixtes en général, p 64.
• SECTION QUATRIEME : De la diversité des mixtes parfaits, p 65.
• SECTION CINQUIEME : Des moyens minéraux ou des marcassites, p 67.
• SECTION SIXIEME : Des métaux, p 69.
• SECTION SEPTIEME : Des pierres, p 71.
• SECTION HUITIEME : Des autres mixtes, tant animés que des inanimés, p
72.
CHAPITRE VI : Comment la Chimie travaille sur tous ces mixtes pour en tirer
le pur, & pour en rejeter l’impur, p 73.

SECONDE PARTIE.

LIVRE PREMIER.

Des termes nécessaires, pour entendre & pour faire les opérations Chimiques.
Préface, p 75.
CHAPITRE I : Des diverses espèces de solutions & coagulations, p 76.
CHAPITRE II : Des divers degrés de la chaleur et du feu, p 83.
CHAPITRE III : De la diversité des vaisseaux, p 86.
CHAPITRE IV : De la diversité de toutes sortes de fourneaux, p 91.
CHAPITRE V : Des lutations, p 102.
CHAPITRE VI : De l’explication des caractères & termes, dont les Auteurs se
sont servi en Chimie, p 105.

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LIVRE SECOND.

Des Opérations Chimiques.


CHAPITRE I : Des observations pour la séparation & pour la purification des
cinq premières substances, après qu’elles ont été tirées des composés, p 108.
CHAPITRE II : Apologie des remèdes préparés selon l’art de la Chimie, p 112.
CHAPITRE III : Des facultés des mixtes, & des divers degrés de leurs qualités, p
117.
CHAPITRE IV : De l’ordre que nous tiendrons dans la description des aérations
Chimiques, p 120.
CHAPITRE V : De la rosée & de la pluie, p 121.
CHAPITRE VI : Du miel et de la cire, p 122.
§. 1. La manière de tirer les princes du miel, p 123.
§. 2. Pour faire l’hydromel vineux & le vinaigre du miel, p 123.
§. 3. Pour faire la teinture du miel, p 124.
§. 4. Pour tirer l’huile de la cire, p 126.
CHAPITRE VII.
• De la manne, p 127.
• Pour faire l’esprit de la manne, p 127.
CHAPITRE VIII : Des animaux, p 128.
§. 1. De l’homme, p 130.
§. 2. Des cheveux, p 130.
§. 3. Du Lait, p 131.
§. 4. De l’arrierefaix, p 132.
§. 5. De l’urine, p 133.
§. 6. Pour faire l’esprit igné de l’urine & son sel volatil, p 134.
§. 7. Pour faire l’eau, l’huile, l’esprit, le sel volatil & fixe du sang humain,
p 134.
§. 8. Pour faire le sel & l’élixir de la pierre de la vessie, p 137.
§. 9. De la chair humaine & de ses préparations, p 138.
§. 10. Préparation de la mumie moderne, p 139.
§. 11. Pour faire le baume de la mumie des modernes, p 140.
§. 12. Comment il faut préparer & distiller l’axunge humaine, p 141.
§. 13. Pour faire l’esprit, l’huile & le sel volatil des os & du crâne humain,
p 142.
§. 14. La manière de bien préparer les remèdes qui se tirent de la corne de
cerf, p 144.
§. 15. Comment il faut distiller la corne de cerf, qui est encore molle pour
avoir l’eau de tête de cerf, p 145.

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§. 16. La préparation philosophique de la corne de cerf, p 146.


§. 17. La façon de préparer l’esprit, l’huile & le sel volatil de la corne de
cerf, p 147.
§. 18. Pour faire la teinture du sel volatil de la corne de cerf, p 150.
§. 19. La manière de faire élixir des propriétés, avec l’esprit de la corne de
cerf, p 150.
§. 20. Des préparations qui se font des vipères, p 151.
§. 21. La façon de dessécher les vipères, pour en faire la poudre & les
trochisques, p 153.
§. 22. Comment il faut faire l’esprit, l’huile, le sel volatil, le sel volatil fixé,
la sublimation de ce sel fixé & le sel fixé des vipères, p 154.
§. 23. Comment il faut arrêter, fixer & purifier les sels volatils, p 156.
§. 24. Le moyen de resublimer le sel volatil fixé, p 157.
§. 25. Comment il faut faire l’essence des vipères, avec leur vrai sel
volatil, p 157.
§. 26. La manière de faire le sel thériacal simple, qui soit empreint de la
vertu alexitaire & confortative des vipères, p 158.
§. 27. La préparation d’un autre sel thériacal, beaucoup plus spécifique
que le précédent, p 158.
§. 28. De l’éponge & de sa préparation chimique, p 159.
§. 29. Comment il faut distiller l’éponge, p 159.
CHAPITRE IX : Des végétaux & de leur préparation Chimique, p 160.
§. 1. Premier discours des eaux distillées, p 161.
§. 2. La préparation des plantes succulentes nitreuses, pour en tirer le
suc, la liqueur, l’eau, l’extrait, le sel essentiel nitro-tartareux, & le sel fixe,
p 165.
§. 3. La préparation des plantes succulentes qui ont en elles un sel
essentiel volatil, pour en tirer l’eau, l’esprit, le suc, la liqueur, le sel
essentiel volatil, l’extrait & le sel fixe, p 169.
§. 4. Comment il faut faire l’esprit des plante succulentes, qui ont un sel
essentiel volatil, p 170.
§. 5. Manière particulière de faire l’eau anti-scorbutique Royale, p 173.
§. 6. Tablettes anti-scorbutiques, p 173.
§. 7. Pilules anti-scorbutiques, p 174.
§. 8. Comment il faut faire l’esprit & l’extrait de cochléaria, p 174.
§. 9. Extrait de cochléaria, p 175.
§. 10. De la manière de faire les liqueurs des plantes, & leurs premier
êtres, p 177.
§. 11. De la vertu & de l’usage de la liqueur des plantes, p 179.

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§. 12. De la vertu & de l’usage du premier être des plantes, p 180.

Second discours : Des sirops, p 185.


§. 1. La manière de faire le sirop acéteux simple ou le sirop de vinaigre, à
la façon ordinaire & ancienne, p 188.
§. 2. La façon générale de faire comme il faut les sirops des sucs acides
des fruits, comme ceux du suc de citrons, d’oranges, de cerises, de
grenades, d’épine-vinette, de coings, de groseilles, de framboises, de
pommes, &c, p 190.
§. 3. Comment il faut faire les sirops des sucs qui se tirent des plantes,
tant de celles qui sont inodores, que de celles qui sont odorantes, avec les
remarques nécessaires à leurs dépurations, p 191.
§. 4. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la première
classe, p 191.
§. 5. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la seconde
classe, p 192.
§. 6. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la première
classe, p 193.
§. 7. La façon ancienne de faire le sirop de fleurs d’oranges, p 195.
§. 8. La façon de faire chimiquement & comme il fut de sirop de fleurs
d’oranges, p 195.
§. 9. L’ancienne façon de faire le sirop de d’écorce du citron, p 196.
§. 10. La manière de faire artistement le sirop d’écorces du citron, p 197.
§. 11. Comment on a fait communément le sirop de cannelle, p 198.
§. 12. Comment il faut faire le sirop de cannelle selon les préceptes de la
Chimie, p 200.
§. 13. L’ancienne façon de faire le sirop d’absinthe composé, p 204.
§. 14. Comment il faut bien faire le sirop d’absinthe composé, p 205.
§. 15. Pour faire chimiquement le sirop acéteux composé, p 205.
§. 16. Comment les Anciens ont fait le sirop d’Armoise, p 206.
§. 17. La description du sirop d’Armoise, p 207.
§. 18. Comment on fait ordinairement le sirop de chicorée avec la
rhubarbe, p 208.
§. 19. Comment on fait ordinairement le sirop de chicorée, composé avec
la rhubarbe, p 209.
§. 20. Comment on fera bien le sirop de chicorée composé avec la
rhubarbe, p 211.
§. 21. La manière de faire le sirop d’hyssope composé selon la méthode
des Anciens, p 211.

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§. 22. Sirop pectoral d’hyssope très excellent, p 212.


§. 23. Comment on a fait communément le sirop de carthame, p 213.
§. 24. La vraie façon de faire le sirop de carthame, p 215.

ADDITIONS AU TOME PREMIER.


I. Préparation particulière d’un Hydromel fort sain, & dont le goût est peu
différent de celui du vin d’Espagne, ou de la Malvoisie, p 216.
II. Quintessence de miel, p 218.
III. Huile de miel, p 218.
IV. Fermentation du miel, pour en faire vin, eau de vie, & esprit, p 218.
V. Manière de faire bonne eau de Mélisse par l’esprit de miel, p 220.
VI. Manière de faire la véritable eau de la Reine de Hongrie, par l’esprit de miel,
p 221.
VII. Electuaire de grande cousoude très utile pris intérieurement, de Fioraventi,
p 222.
VIII. Emplâtre excellent fait par le miel, p 222.
IX. Sirop pectoral, qui convient dans toutes sortes de toux, ou les crachats sont
visqueux, p 223.
X. Pour faire le sirop laxatif de Fioraventi par le miel, & la manière de le
pratiquer en plusieurs maladies, p 223.
XI. Elixir de propriété de Paracelse, p 224.
Ses forces & son usage, p 225.
Dose dudit sel liquide, p 226.

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PREFACE DE L’EDITEUR

Des Chimies de le Fèvre de Glaser.

Si l’on avait la Médecine des simples, telle que l’ont eue les premiers hommes,
ou que l’ont la plupart des animaux, on n’aurait recours ni à la Pharmacie, ni à
la Chimie ; & le corps humain s’en trouverait beaucoup mieux. Mais il faut se
soumettre au sort présent de l’humanité, & chercher à conserver la santé,
lorsqu’on a le bonheur de la posséder, ou du moins à la rétablir lorsqu’on en est
privé.

Il y a plus de huit cents ans que l’on s’applique à ces deux arts si utiles a
l’homme. D’abord ils furent traités fort imparfaitement. Les Arabes
embarrassèrent extrêmement la Pharmacie. Et la Chimie pratiquée par les
anciens Egyptiens n’était pas tournée du côté de la santé ; ils avaient un tout
autre objet. Mais depuis, on en a fait un usage plus légitime. La pratique & la
réflexion, quelquefois même le hasard ont fait naître des découvertes. Par-là
tout s’est perfectionné & se perfectionne encore tous les jours.

Les Allemands nous ont devancé dans ce genre de travail ; la plupart de leurs
Médecins employés dans les Collèges des mines, occupent auprès de leurs
fourneaux la meilleure partie de leur loisir, & ce qui fait honneur à cette science,
est que les Princes même n’en dédaignent pas la connaissance. Basile Valentin,
Paracelse & après eux Dorneus, Diodore Enchyon, Ulstad & Gesner, s’y sont
appliqués avec succès, & ont donné lieu aux autres de suivre les mêmes traces.
Et tous jusqu’aux premiers Médecins de leurs souverains, se font aujourd’hui
un devoir d’état de se livrer à cette science, qui est très louable, quand on sait la
contenir dans de justes bornes.

Ce n’est pas néanmoins que la Pharmacie ne soit bien pratiquée dans toute
l’Allemagne par les Apothicaires. On est même étonné, lorsqu’on entre dans
leurs magasins de voir l’abondance de leurs préparations, aussi bien que l’ordre
& la propreté qu’ils ont soin d’y maintenir. Cela regarde surtout les villes
Impériales, où le nombre des Apothicaires est très limité ; & il faut même y
employer un bien considérable pour acquérir chez eux un fond de Pharmacie, &
c’est précisément chez les Allemands que se vérifie l’axiome que l’Apothicaire
doit être riche. Et l’on y trouve des boutiques de Pharmacie, qui montent
quelquefois à plus d’un million de livres, ainsi qu’il s’en trouve à Strasbourg, où
avec l’Apothicaire du Roi, il ne peut y en avoir que quatre pour toute la ville,
quoique grande & très peuplée.

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D’Allemagne la Chimie ne tarda guère à passer en Italie, où Fioraventi, Fumanel,


Fallope, & même une illustre virtuose, c’est Isabelle Cortesè, s’y appliquèrent avec
succès. Cette science vint presque dans le même temps en France, comme on le
voie par le célèbre Fernel premier Médecin du Roi Henri II, qui en parle dans ses
ouvrages. Jean Liebaut, Docteur en Médecine de l’Université de Paris écrivit
beaucoup plus sur cette science, qu’il ne la pratiqua. On voit cependant qu’il en
donne d’assez bons principes dans son Livre de la maison rustique. Béeguin, qui
avait voyagé dans l’Allemagne & dans toute l’Autriche fut un des premiers, qui
parmi nous en écrivit par principes. Son Tïrocinium Chymicum n’est pas
néanmoins sans beaucoup de fautes, que ses Commentateurs, ou Latins ou
Français, ont été obligés de corriger. Vint ensuite Guillaume Davissone Ecossais
retiré en France qui s’y appliqua fort heureusement. Outre la nature qu’il avait
bien étudiée, on trouve en lui un grand fond de raisonnement ; & quoiqu’il y ait
quelques landes dans sa Pyrotechnie, on y voit des opérations utiles &
singulières qu’on a négligées depuis. Après ces deux Artistes & presque en
même temps que ce dernier, il s’en forma plusieurs autres parmi nous. Je ne
parlerai néanmoins que des principaux.

Nicolas le Fèvre & Christophe Glaser, donc je fais paraître ici une édition
nouvelle, sont presque les mêmes pour le fond des opérations. Je rapporte
néanmoins en quoi ils diffèrent l’un de l’autre. Mais celui qui a le plus brillé
pour l’usage ordinaire, a été Nicolas Lémery. Ce dernier qui a enseigné cette
science à Paris pendant près de quarante ans. Depuis 1672, jusqu’en 1710, sert
de guide aux commençants, & peut former un Apothicaire de Province, car
ceux de Paris ont des lumières supérieures à celles de cet Artiste. Son cours de
Chimie qui est fort méthodique, n’a pas laissé d’avoir de la réputation ; il a
même été traduit soit en latin, soit en quelques-unes des langues vivantes de
l’Europe. Cependant que de choses nécessaires, utiles & curieuses ne pourrait-
on point ajouter à son travail, qui a besoin même d’être rectifié dans bien des
occasions par une main habile ? C’est à quoi sans doute l’on travaille dans la
nouvelle édition que l’on en prépare.

Outre sa Chimie, qui est son premier ouvrage & qui dans les trois premières
éditions, ne formait qu’un fort petit Volume in-douze, nous avons encore de lui
une Pharmacopée recueillie de tout ce qui a paru en ce genre, mais qui me paraît
inférieure à celle de Charas. Il a donné de plus un Dictionnaire universel des
drogues simples, assez curieux & plus exact que celui de Pomet. Un Traité qu’il a
publié sur l’antimoine, s’est vu exposé à la critique de personnes mieux instrui-
tes que lui sur ce minéral. Je n’ai pas été peu surpris devoir avec quelle
hardiesse il donne à des malades des préparations d’antimoine, qu’il imagine

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ou qu’il hasarde pour la première fois. L’on sent néanmoins à sa lecture qu’il
n’avait point vu ceux de Basile Valentin & de Suchten, tous deux Allemands,
dont les ouvrages sont estimés des connaisseurs.

La Chimie de Lémery n’a point empêché des personnes habiles de parcourir la


même carrière, avec moins d’étendue & de détail à la vérité, mais avec plus de
lumières & de critique. C’est ce qu’on doit dire de M. de Saulx Médecin de
l’Hôpital de Versailles, qui a donné dans ses Nouvelles découvertes sur la
Médecine, beaucoup d’opérations chymiques également utiles & curieuses. Il n’a
pas formé cependant un corps de principes, ce ne sont que des opérations
particulières.

M. de Senac célèbre Médecin attaché à la maison de Saint-Cyr & à l’Hôpital de


Versailles, a mérité l’approbation des plus savants Artistes & des plus habiles
Philosophes par son nouveau cours de Chimie, dont on a publié en 1737, une
édition nouvelle plus ample que celle de 1723.

M. Rothe Médecin Allemand, s’est mis pareillement sur les rangs, & son
introduction à la Chimie a été traduite en notre langue en 1741, & par-là elle a
été naturalisée française & se trouve décorée de plusieurs belles préparations.
M. Macquer, après avoir donné la théorie de cette science en 1749, en a publié la
seconde partie en 1750, qui contient un grand nombre d’opérations excellentes.

Enfin nous sommes satisfaits sur l’impatience avec laquelle nous attendions
l’ouvrage d’un grand Maître en cet art, & que son profond savoir a porté M. le
Chancellier à choisir pour Censeur royal des livres de Chimie. Il s’en acquitte
avec beaucoup de discernement, d’exactitude & de diligence. C’est un
témoignage que la vérité m’oblige de lui rendre, avec autant de justice que de
plaisir, pour faire connaître le caractère franc, obligeant & juste, qui constitue
l’honnête homme, & le bon citoyen. On voit bien que c’est de M. Malouin,
Médecin célèbre dont je parle ici, des leçons duquel j’ai autrefois profité à Paris.

La Chimie médicinale que cet habile homme vient de faire paraître, fait voir qu’il
n’est pas moins expert dans la pratique que dans la théorie de cette science.
Tout y est marqué au coin d’un grand maître, toutes les opérations qu’il donne
sont essentielles, extrêmement bien choisies & très-utiles. J’en aurais volontiers
tiré quelques articles pour enrichir l’édition que je donne de le Fèvre & de
Glaser. Mais tout en est à remarquer, tant pour le choix des opérations que pour
la manipulation ; même pour cette manipulation délicate qui caractérise le
grand Artiste, qui sait allier la pratique de la Chimie avec la connaissance
intime & l’expérience de la Médecine.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 11

Mais ce qu’on ne croirait pas si l’impression n’en faisait foi, un homme de


condition de Bretagne, qui a pris du goût pour cette science, a donné lui-même
du nouveau. C’est M. le Comte de la Garaye, dont la Chimie hydraulique, qui
parut en 1745, est approuvée par les plus habiles Médecins de Paris. Elle fournit
un moyen simple de tirer les sels essentiels dans les trois règnes des mixtes, par
la seule trituration avec l’eau commune.

L’Angleterre & la Hollande ne l’ont pas voulu céder aux Français ni aux
Allemands. A peine la Chimie eut commencé a être pratiquée par ces deux
nations, qu’on l’y a portée aussi loin qu’elle pouvait aller. Cette science trouva
chez les Anglais vers le milieu du dernier siècle le Chevalier Digbi Chancelier de
la Reine d’Angleterre, femme de l’infortuné Charles I. Et ce Seigneur ne s’y
appliqua point sans succès. Pour occuper son loisir, il avait donné dans
quelques autres parties de la littérature. Mais le soulagement des malades &
peut-être le soin de sa propre santé, lui inspirèrent le goût de la Pharmacie & de
la Chimie, & nous possédons aujourd’hui une partie de ses préparations,
imprimées d’abord en 1669, & réimprimées en Hollande en 1700, avec
beaucoup d’opérations médiocres, qui ne sont pas du premier Auteur. On y a
joint cependant son traité de la poudre de sympathie, remède qu’il a le premier
fait connaître.

Le Chevalier Boyle qui vient après, remporta de beaucoup sur le Chevalier


Digbi pour les opérations chimiques. Il y employa même pendant plus de
quarante ans des sommes très considérables & y a formé d’habiles élèves. Les
restes de son laboratoire qui sont passé chez Mrs Godefroy père & fils, en
formeraient un fort complet d’un Artiste moins opulent. Les Œuvres du
Chevalier Boyle fournissent des preuves d’un grand fond de raisonnement dans
toutes les parties de la Philosophie, aussi bien que de son assiduité au travail &
d’une sagacité peu commune. Toute la ville de Londres rend encore
aujourd’hui un témoignage avantageux de l’ordre & de la fidélité des
préparations de Mrs Godefroy, qui ont toujours fait gloire de témoigner qu’ils
avaient travaillé sous les yeux & sous la direction du Chevalier Boyle. Quoique
les Anglais pour l’usage commun de leurs Apothicaires aient traduit en leur
langue le cours de Chimie de M. Lémery, ils n’ont pas laissé d’en donner un fort
curieux, qui est dû aux soins & à l’application de M. Georges Wilson, imprimé à
Londres en 1699.

Apres les deux Van Helmont père & fils, les Pays-bas, surtout la Hollande a
produit dans Messieurs Lemort, Barchusen & Boerhave, trois des hommes les plus

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 12

habiles qu’ils aient eus en ce genre. Les deux derniers surtout ont donné chacun
un cours de Chimie, Barchusen en 1718, & M. Boerhave en 1731.

Tous deux, mais principalement M. Boerhave fait voir la profonde connaissance


qu’il avait dans la Médecine, la Philosophie & l’histoire naturelle. Le premier
Volume de ses éléments de Chimie, est supérieur à tout ce qu’on avait donné
jusqu’alors pour la théorie, mais le second Volume qui contient la pratique de
cette science, ne répond point à l’idée qu’avait fait naître la première partie.
Cependant il a mérité qu’on le réimprimât parmi nous. Peut-être le Libraire
aurait-il mieux fait d’en procurer une traduction française avec les
augmentations nécessaires pour perfectionner ce qui regarde les opérations
Chimiques. Je passe beaucoup d’autres Ecrivains qui se sont appliqués à
éclaircir seulement quelques parties de cette science, & je reviens sur mes pas
pour dire un mot des deux Artistes célèbres que je fais réimprimer aujourd’hui.

Nicolas LE FEVRE qui était Français, fut élevé dans l’Académie protestante de
Sedan, ainsi il paraît qu’il était de la religion prétendue réformée. Il étudia la
Pharmacie & la Chimie avec tant de soin & de succès, qu’il fut choisi par M.
Vallot premier Médecin du feu Roi Louis XIV, pour démonstrateur de Chimie
au Jardin Royal des plantes au Fauxbourg saint Victor. Il avait ici beaucoup de
réputation, était recherché & travaillait avec avantage. Mais Charles II, Roi de la
Grande Bretagne, voulant établir la célèbre Société Royale de Londres, ferma un
laboratoire de Chimie a Saint James, l’une de ses maisons royales près de
Westminster. Nicolas le Fèvre y fut appelé pour en avoir la direction. Il ne crut
pas devoir refuser cette marque de distinction de la part d’un grand Roi, qui lui
faisait cet honneur. Se trouvant dans un pays d’opulence, où les particuliers
n’épargnent rien pour se maintenir en santé, il eut occasion de faire beaucoup
d’expériences. Et travaillant d’ailleurs aux dépends d’un Prince, il fit plus de
préparations singulières en un an, qu’il n’aurait osé en tenter dans toute sa vie
s’il était resté simple particulier à Paris. C’est ce qui lui donna lieu d’augmenter
considérablement sa Chimie, dont la première édition parut à Paris en 1660, en
deux Volumes in-octavo : deux autres en 1669, & une quatrième en 1674. Et ce
fut vraisemblablement en 1664, qu’il fut appelé à Londres où il fit paraître en
1665 une dissertation sous ce titre, Discours sur le grand Cordial du Sieur Walter
Rauleigh, in-12. Il y mourut & y avait connu M. Boyle, dont le goût était décidé
pour la Chimie dans laquelle il a brillé si longtemps.

Il ne faut pas regarder le Fèvre comme un chimiste vulgaire, on doit le


considérer comme un Philosophe naturaliste, qui ne se contente pas seulement
d’extraire des mixtes en simple praticien, ce qui peut servir à la Pharmacie & à

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la Médecine. Il va plus loin, & pénètre même jusque dans la nature des êtres,
dont il sait développer toutes les propriétés par un raisonnement juste & solide.
C’est ce qui le distingue de tous ceux qui ont embrassé la même profession. On
peut dire qu’on lui a l’obligation d’avoir un des premiers, réformé, rectifié &
mis dans un meilleur ordre toute la Pharmacie, comme on le verra par le
parallèle qu’il fait des anciennes préparations avec celles qu’il a publiées, & les
Apothicaires qui aiment leur réputation & leur avantage, ne doivent pas se
dispenser de le suivre pied à pied. Je sais qu’on a continué depuis le Fèvre, à
perfectionner la Pharmacie & la Chimie, mais on l’a suivi comme lui-même
avait suivi Zwelpher premier Médecin du feu Empereur Léopold. C’est ainsi
que l’on arrive à la perfection, dès que chacun cherche à y contribuer de son
côté.

Christophe GLASER, ne parut qu’après le Fèvre. Il a pour lui la clarté & la


précision. Quant aux principes il ne diffère pas de le Fèvre, auquel il paraît
avoir succédé dans l’emploi de démonstrateur de Chimie au Jardin Royal où il
fut pareillement appelé par M. Vallot. Je n’ai pas crû devoir réimprimer toute sa
Chimie, pour ne pas faire des répétitions inutiles. J’ai choisi seulement les pré-
parations omises par le Fèvre, ou celles en quoi ils diffèrent l’un de l’autre.
Glaser ne poussa point sa carrière aussi honorablement que l’avait fait Nicolas
le Fèvre. Il fut impliqué dans l’affaire odieuse de la Dame de Brinvilliers en
1676, avec laquelle on trouva qu’il avait des relations trop intimes pour un
honnête homme. Il ne trempait à la vérité dans aucun des forfaits de cette Dame
: mais des soupçons toujours dangereux en matière de poison, lui firent souffrir
quelque temps de Bastille. Il en sortit, mais il ne survécu pas longtemps à cette
disgrâce ; & mourut dans le temps qu’il revoyait en 1678, son ouvrage pour en
donner une édition nouvelle plus complétée & plus détaillée que les
précédentes. Il en était à la troisième partie qui regarde les animaux : mais une
main habile, ce fut le célèbre M, Charas, se chargea de conduire l’ouvrage à là
perfection. Par-là le public n’y a rien perdu. Il y a même inséré un petit Traité
de la Thériaque royale que j’emploie dans cette nouvelle édition.

Voyons maintenant ce que j’ai fait pour perfectionner celle que je donne de ces
deux Auteurs. La Chimie de le Fèvre qui faisait originairement deux Volumes,
en forme trois dans celle-ci, parce que la commodité des Lecteurs exigeait d’en
grossir un peu le caractère, qui dans les dernières éditions était trop petit pour
une lecture ordinaire. Mais pour rendre les Volumes égaux & d’une grosseur
raisonnable, chacun d’eux contient des additions particulières, relatives aux
matières qu’on y a traitées : ces additions placées à la fin de chaque Volume,
sont tirées de tout ce que nous avons de bons Auteurs anciens & modernes. Et

13
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 14

comme ces additions ne suffisaient pas pour remplir mon objet, j’y ai joint deux
Volumes de suppléments, savoir le quatrième & le cinquième, tirés tous deux
soit d’Ethmuller, soit même des bons auteurs Allemands Italiens & Français.

Outre les préparations nécessaires & utiles, on en trouve quelques-unes qui sont
curicuses & qui pourraient peut-être aller plus loin, & devenir de quelque
conséquence. Quant aux Auteurs Français modernes, je les ai fait connaître
pour rendre à chacun la justice qu’ils méritent ; & par-la me la rendre a moi-
même. Il est louable, il est juste de faire connaître ceux à qui on est redevable de
quelques remarques importances : c’est un devoir de reconnaissance.

Je n’ai pas manqué de mettre des Tables toujours nécessaires dans les Livres de
détail ; en quoi j’ai suivi les grands Maîtres qui m’ont précédé ; cependant le
Fèvre & Glaser y avaient manqué. Quand on a lu quelque Livre que ce soit, une
bonne Table sert de répertoire pour en pouvoir faire usage. C’est l’âme de ces
sortes d’ouvrages. Tous les Lecteurs ne sont pas en état ou même manquent du
temps nécessaire pour faire des recueils ; & quelquefois on oublie dans ses
recueils une matière qui d’abord semble peu importante, & qui cependant la
devient ensuite dans le temps qu’on y pense le moins.

Les différences qui se trouvent entre le Fèvre & Glaser, ont été placées à la fin du Tome
V. de cette Edition ; où l’on a pareillement mis les modèles des fourneaux insérés dans
la Chimie de Glaser, & dont quelques-uns paraissent très bien imaginés, & sont plus
utiles & même beaucoup plus Commodes que les fourneaux ordinaires.

AVIS DE NICOLAS LE FEVRE.

Quoique je sois séparé de la France, par un, grand trajet, & que j’ai consacré mes études
& mon travail au Roi de la Grande Bretagne mon bienfaiteur, & aux peuples qui
remplissent ses Royaumes : cependant je me sens obligé dans la conjoncture de la
seconde Edition du Traité de Chimie que j’ai donné au Public, de faire par à mes
compatriotes des remèdes que j’ai faits & pratiqués depuis que j’ai quitté Paris. Et
comme j’ai connu depuis que je suis en Angleterre, les divers accidents des maladies
scorbutiques, aussi me suis-je appliqué à la recherche des remèdes spécifiques, &
capables de combattre cette étrange maladie, qui attaque toute notre substance, qui al-
tère & change la masse du sang, & qui cause des douleurs vagues & fixe, des lassitudes
spontanées & les enflures qu’on attribue en France, aux fluxions & aux rhumatismes. Je
communique très volontiers ce que le travail m’a fait découvrir de nouveau, & ce que
j’ai appris par la fréquentation des plus doctes & des plus expérimentés Médecins, qui
me font l’honneur de visiter le Laboratoire Royal, & de me recevoir en leur profitable
conversation. Il y a des Remèdes tirés des végétaux, des animaux & des minéraux, que

14
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 15

j’ai placés en leur propre classe, en attendant que je donne de nouvelles remarques & de
nouveaux remèdes, tant pour ce qui concerne la théorie, que pour ce qui regarde la
pratique. Adieu ami Lecteur, profite de mon travail & m en sais quelque gré.

Du Laboratoire Royal au Palais de S. James à Londres le 1662.

Par votre très humble & très acquis serviteur N. LE FEVRE.

PREFACE de la troisième Edition DE CHRISTOPHE GLASER.

L’Accueil favorable que le public a fait aux Editions précédentes de ce Livre,


m’a fait entreprendre cette troisième, où j’ai tâché de m’accommoder
entièrement au dessein de l’Auteur, puisque la première fois qu’il a mis cet
ouvrage au jour, il ne l’a fait que dans la pensée d’être utile à tous ceux qui se
plaisent à la Chimie, en leur donnant les éclaircissements des choses fort
cachées, avec une manière très simple & très aisée de les pratiquer. Dans la
seconde édition, non seulement il l’a enrichie de quelques figures, & l’augmenta
de nouvelles expériences ; mais encore il l’accompagna d’une Epître Dédicatoire
à Monsieur VALLOT, qui fut élevé à la charge de premier & très digne Médecin
du feu Roi Louis XIV, lorsque par ses ordres il faisait les leçons & préparations
publiques de la Chimie au Jardin du Roi ; où il a fait voir & sa sincérité, aussi
bien par son travail que dans ses écrits, & le désir qu’il avait de reconnaître
l’honneur qu’il recevait en satisfaisant à l’intention de son Bienfaiteur, & à
l’inclination naturelle qu’il avait aux opérations de la Chimie, en quoi il se
faisait un devoir & un plaisir de communiquer ses lumières à tout le monde. Il
était d’autant plus estimable, que la méthode qu’il nous a laissé, est claire &
facile pour pratiquer toutes les préparations qu’il enseigne dans ce petit
ouvrage, où l’on trouve en peu de mots la substance entière de plusieurs grands
Livres. Ceux qui prendront la peine de le lire & de le bien considérer, n’y
remarqueront rien d’ennuyant ni de superflu, ni même rien d’omis de ce que
l’on doit savoir. Et quoique l’on n’y trouve pas la préparation de toutes choses,
on y trouvera pourtant des exemples suffisants pour les opérations les plus
nécessaires de ce bel Art. On doit s’assurer qu’il ne donne pas la moindre
opération, sans l’avoir auparavant pratiquée, & que l’on ne puisse faire après
lui, en suivant les règles qu’il en a prescrites ; car loin de cacher aucun tour de
main, il découvre sincèrement tous les moyens propres pour devenir bon
Artiste, & toutes les circonstances nécessaires pour parvenir à des
connaissances plus grandes en travaillant. Il ne parle que fort succinctement de
la théorie, mais il en dit assez pour n’oublier rien de ce qu’il est besoin de savoir
sur les opérations des minéraux & des végétaux. Pour la troisième Partie qui
traite des animaux, nous avertissons le Lecteur que nous avons pris soin de le
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 16

servir utilement en cette Edition, & que secondant le zèle de l’Auteur, ( lequel
apparemment prévertu de la mort, n’avait pas mis la dernière main à cette
section, ) nous la lui présentons plus achevée & plus entière, soit par la
communication que nous avons eue de ses papiers depuis son décès, soit par
l’heureux secours que nous a prêté une personne aussi éclairée dans le plus
profond de la Physique, & dans le plus fin de la Médecine, que bien
intentionnée pour le bien public. Cette personne a bien voulu dérober quelques
heures à ses études particulières, pour me dicter la meilleure partie de ce que
l’on trouvera d’augmentations dans ce Traité, entre autre à l’occasion de la
vipère : ce même curieux, c’est M. Charas, fait encore ici un présent gratuit à la
postérité d’une Thériaque véritablement Royale, qu’il n’avait inventée &
soigneusement recherchée que pour son usage, & qui pour ses bons effets doit
l’emporter sur celle des anciens, qui n’était destinée que pour les Empereurs &
les têtes Couronnées. Reçois donc, ami Lecteur, en bonne part tous mes soins
que je consacre avec plaisir à ton utilité.

Approbation des Docteurs de la faculté de Médecine de Paris.

Nous soussignés Docteurs Régents en la Faculté de Médecine à Paris, avons lu


ce Traité de Chimie composé par Christophe Glaser, où la plupart des
opérations Chimiques sont décrites avec beaucoup de netteté & de jugement, &
l’avons jugé digne d’être imprimé de nouveau. Cette troisième Edition étant
enrichie de quelques observations nécessaires, & de plusieurs descriptions fort
curieuses & fort utiles. Fait à Paris ce 25 Octobre 1672. LEVIGNON. DE BOURGES.
POYLOM, Doyen.

Approbation de M. MALOIN, Censeur, Royal des Livres de Chimie.

J’ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, Le Cours abrégé de Chimie de


Christophe Glaser, avec les additions qu’on y a jointes, dans lesquelles je n’ai rien
trouvé qui puisse en empêcher l’impression. Fait à Paris ce 9 Juin 1749.
MALOUIN.

APPROBATION

J’ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, j’approuvé le Traité de Chimie de


le Fèvre, &c. fait à Paris, ce 2 Janvier 1749.

Pour duplicata MALOIN.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 17

PRIVILEGE DU ROI

LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE :

A nos amés & féaux Conseillers, les Gens tenant nos Cours de Parlement,
Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand Conseil, Prévôt de Paris,
Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenants Civils, & autres nos Justiciers qu’il
appartiendra ; SALUT : Notre amé le Sieur DEBURE Nous a fait exposer qu’il
désirerait faire réimprimer & donner au Public un Livre qui a pour titre, Traité
de Chimie de le Fèvre ; s’il Nous plaisait lui accorder nos Lettres de Privilège pour
ce nécessaires. A ces causes, Voulant favorablement traiter l’exposant, Nous lui
avons permis & permettons par ces présentes de faire réimprimer ledit Livre en
un ou plusieurs volumes, & autant de fois que bon lui semblera, & de le faire
vendre & débiter par tout notre Royaume pendant le temps de neuf années
consécutives, à compter du jour de la date desdites présentes. Faisons défense à
toutes personnes, de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’en
introduire d’impression étrangère dans aucun lieu de notre obéissance, comme
aussi & tous Libraires & Imprimeurs d’imprimer ou faire imprimer, vendre,
faire vendre, débiter, ni contrefaire ledit Livre, ni d’en faire aucun extrait, sous
quelque prétexte que ce soit d’augmentation, correction, changement ou autres,
sans la permission expresse & par écrit dudit Exposant, ou de ceux qui auront
droit de lui, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, & de trois
milles livres d’amende contre chacun des contrevenants, dont un tiers à Nous,
un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris, & l’autre tiers audit Exposant, ou à celui qui
aura droit de lui, & de tous dépens, dommages & intérêts ; à la charge que ces
Présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communauté
des Libraires & Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que la
réimpression dudit Livre sera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, en bon
papier & beaux caractères, conformément à la feuille imprimée, attachée pour
modèle sous le contre scel des Présentes, que l’impétrant se conformera en tout
aux Règlements de la Librairie, & notamment il celui du 10 Avril 1725 ;
qu’avant de l’exposer en vente, l’Imprimé qui aura servi de copie & la
réimpression dudit Livre, sera remis dans le même état où l’approbation y aura
été donnée, ès mains de notre très cher & féal Chevalier le Sieur Daguesseau,
Chancelier de France, Commandeur de nos Ordres ; & qu’il en sera ensuite
remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de
notre Château du Louvre, & un dans celle de notre très cher & féal Chevalier, le
Sieur Daguesseau, Chancelier de France ; le tout à peine de nullité desdites
Présentes : du contenu desquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir
ledit Exposant & ses ayants cause pleinement & paisiblement, sans souffrir qu’il

17
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 18

leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie desdites
présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit
Livre soit tenue pour dûment signifiée, & qu’aux copies collationnées par l’un
de nos amés féaux Conseillers & Secrétaires soit ajoutée comme à l’Original.
Commandons au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour
l’exécution d’icelles tous actes requis & nécessaires, sans demander autre
permission, & nonobstant clameur de Haro, Charte Normande & Lettres à ce
contraires. CAR tel est notre plaisir. Donné à Versailles le onzième jour du mois
de Janvier, l’an de grâce mil sept cent quarante-neuf, & de notre Règne le trente-
quatrième. Par le Roi en son Conseil. SAINSON.

Je soussigné reconnais avoir cédé & transporté au sieur Jean-Noel Leloup, le


Privilège en entier du Livre ci-dessus, qui a pour titre, Traité de la Chimie de le
Fèvre, pour en jouir comme il lui appartenant. A Paris ce 28 Juillet 1749. JEAN
DEBURE.

Registré sur le Registre XII. de la Chambre Royale le & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris,
N°. 106. sol. 90. conformément au Règlement de 1723. qui fait de sexse, art. 4. à toutes personnes de
quelque qualité qu’elles soient, autres que les Libraires & Imprimeurs, de vendre, débiter & faire afficher
aucuns Livres pour les vendre en leurs noms, soit qu’ils s’en disent les auteurs ou autrement, & à la
charge de fournir à la susdite chambre huit Exemplaires prescrits par l’art. 108. du même Règlement. A
Paris le 11 Mars 1749.

G. CAVELIER, Syndic.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 19

TRAITE DE CHIMIE, EN FORME D’ABREGE.

PREFACE.

Ceux qui veulent aujourd’hui faire passer la Chimie pour une science nouvelle,
montrent le peu de connaissance qu’ils ont de la nature & de la lecture des
Anciens. Je dis premièrement, qu’ils ne connaissent pas la Nature, puisque la
Chimie est la science de la Nature même ; que c’est par son moyen que nous
cherchons les principes, desquelles les choses naturelles sont composées, & que
c’est elle encore qui nous découvre les causes & les sources de leurs
générations, de leurs corruptions, & de toutes les altérations auxquelles elles
sont sujettes. J’ai dit secondement, qu’ils étaient ignorants de la lecture des
Anciens, puisque c’est de là qu’ils ont pris occasion de philosopher, & que leurs
faits & leurs écrits font voir évidemment que cet Art est presque aussi ancien
que la Nature même : Ce qui se peut prouver par l’Ecriture Sainte, qui nous
apprend, que dès le commencement du monde Tubalcaïn, qui était le huitième
homme d’après Adam, du côté de Caïn, était forgeur de toutes sortes
d’instruments d’airain & de fer, ce qu’il ne pouvait faire, sans avoir la
connaissance de la nature minérale, & sans savoir que cette nature minérale
contient la nature métallique, qui est la plus pure partie de son être. Or cela ne
se peut apprendre que par le moyen de la Chimie, puisque c’est elle qui nous
enseigne comment on peut tirer un corps métallique, ductile & malléable de ces
corps minéraux, qui sont informes & friables. Ce qui nous fait conclure, qu’il
avait reçu cet art scientifique de ses prédécesseurs ou que lui-même en a été
l’inventeur, & qu’il l’a laissé à ses successeurs comme la portion la plus
précieuse de leur héritage.

Ce que je viens de dire, peut être prouvé par les plus anciens Auteurs, & ceux
qui sont les plus dignes d’être crûs. Ainsi nous voyons que Moïse prit le Veau
d’or, Idole des Israélites, qu’il le calcina & le réduisit en poudre : qu’il fit boire à
ces Idolâtres, pour servir de reproche à leur péché. Or il n’y a personne qui ne
sache, que l’or ne peut être réduit en poudre par la calcination, que cela ne se

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 20

fasse, ou par la calcination immersive, qui se pratique par le moyen des eaux
régales, ou par l’amalgamation qui se pratique par le moyen du Mercure, ou
par la projection ; qui sont trois choses qui ne peuvent être comprises que par
ceux, qui sont consommés dans la théorie & dans la pratique de la Chimie.
Hippocrate même confirme cette vérité, quand il dit au Livre de la diète,
Artifices aurum molli igne liqutant. Puisque tous les Artistes savent qu’il faut un
feu très violent pour fondre l’or, & que de plus le feu purifierait l’or plutôt qu’il
ne le détruirait, s’il n’est rendu traitable & volatil par le moyen de quelques sels,
ou de quelques poudres, qui ne sont connues que de peu de personnes, qui
l’ont appris par le seul travail de la Chimie. Nous pourrions encore rapporter
l’autorité d’Aristote, que ses sectateurs d’aujourd’hui veulent employer pour
combattre la Chimie, qui dit que les peuples d’Ombrie calcinaient des Roseaux
pour en tirer le sel, qui était pour leur usage ordinaire, ce qu’ils ne pouvaient
faire sans la Chimie, qui leur en avait appris le moyen, & qui leur avait fait
connaître, que le sel était d’une nature incorruptible, qui ne pouvait périr par
cette simple calcination.

Si nous parcourons tous les siècles depuis la création de l’Univers, nous n’en
trouverons aucun qui n’ait fourni quelque excellent homme, qui se sera rendu
recommandable à la postérité par le moyen de la Chimie. Témoin ce Mercure
Egyptien, nommé Trismégiste, c’est-à-dire, trois fois grand, dont les œuvres
rendent encore les plus savants de ce siècle confus. Témoin encore celui qui
trouva l’invention du Verre, & cet autre beaucoup plus louable que lui, qui
avait le secret de le rendre malléable, qui périt néanmoins avec son secret par la
politique étrange & tyrannique de l’Empereur Tibère. Démocrite, Cléopâtre,
Zozime, Synésius, & beaucoup d’autres du même temps, & après eux Raymond
Lulle, Pierre d’Apono, Basile Valentin, Isaac Hollandais, & Paracelse, prouvent
par leurs excellentes oeuvres, que la Chimie est la véritable clef de la nature ;
que c’est par son moyen que l’Artiste découvre ses plus rares beautés, & que
sans elle personne ne pourra jamais parvenir à la véritable préparation des
remèdes nécessaires à la guérison de tant de différentes maladies qui affligent le
corps humain tous les jours. Mais ce serait être ingrat à notre siècle, à la
mémoire d’un très excellent & très charitable Médecin, & au travail d’un des
plus habiles & des plus curieux Artistes qui aient jamais été, que de ne point
nommer défunt M. de Helmont & M. Glauber qui vit encore ; puisque ce sont à
présent comme les deux phares qu’il faut suivre pour bien entendre la théorie
de la Chimie, & pour en bien pratiquer les opérations. Nous tirerons donc des
œuvres de Paracelse, de Helmont & de Glauber, la théorie & la pratique de ce
Traité de Chimie, que nous réduirons en forme d’Abrégé.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 21

Division de cet Ouvrage.

Nous le diviserons en deux parties. La première traitera de la Théorie, & la


seconde de la Pratique. La première Partie aura deux Livres, dont le premier
traitera des principes & des éléments des choses naturelles. Le second montrera
les sources & les effets du pur & de l’impur.

La seconde Partie sera aussi divisée en deux Livres. Le premier contiendra les
termes nécessaires pour bien faire & pour bien entendre les opérations de la
Chimie, pour finir par le dernier, dans lequel nous donnerons le moyen & la
description pour pouvoir anatomiser les mixtes que nous fournissent les
Végétaux, les Animaux & les Minéraux, afin d’en tirer les remèdes nécessaires à
la cure des maladies. Mais avant que d’entrer en matière, j’ai jugé nécessaire de
traiter quelques questions qui concernent la nature de la Chimie.

AVANT-PROPOS.

Qui contient plusieurs Questions de la nature de la Chimie.

Il est quelquefois facile de traiter & d’enseigner une science ou un Art, mais il
ne l’est pas toujours d’en discourir par principes. Le premier regarde l’Artiste
même, au lieu que le second appartient à une science plus Haute & plus relevée
; puisqu’il il y a que la première Philosophie, qui puisse faire connaître avec la
méthode requise, quel doit être l’objet, la fin & le devoir de la Science ou de
l’Art. Nous suivrons donc ses règles dans cet Avant-propos, que nous
diviserons par questions, qui éclairciront en peu de mots la plupart des
difficultés qui se proposent sur cette matière.

QUESTION PREMIERE.

Des noms donnés à la Chimie.

Cette science, comme beaucoup d’autres, a reçu plusieurs noms selon ses divers
effets. Le plus ordinaire est celui de Chimie, qui tire son étymologie, a ce qu’on
dit, d’un mot Grec qui signifie suc, humeur ou liqueur, parce qu’on apprend à
réduire en liqueur les corps les plus solides, par les opérations Chimiques, ou
de la préparation de l’or & de l’argent, selon Suidas. On lui donne aussi le nom
d’Alchimie, à l’imitation des Arabes qui ajoutent la particule Al, qui signifie
Dieu & grand, lorsqu’ils veulent exprimer l’excellence de quelque chose. Les
autres l’ont appelée Alchamie, présupposant que Cham, qui était un des fils de
Noé, eût été après le déluge l’inventeur & le restaurateur des Sciences & des
Arts, mais principalement de la Métallurgie. Quelquefois on l’appelle Spagyrie,

21
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 22

ce qui déclare ses plus nobles opérations, qui sont de séparer & de conjoindre.
Et comme ses opérations ne se peuvent faire que par le feu extérieur qui excite
celui du dedans des mixtes, on lui donne encore le nom de Pyrotechnie. Que si
on l’appelle l’Art de Hermès ou Hermétique, ce nom témoigne son antiquité,
comme le nom d’Art distillatoire signifie la plus commune de ses opérations.
De tous ces noms, nous ne nous servirons que de celui de Chimie, comme le
plus commun & le plus connu.

QUESTION SECONDE.

La Chimie doit-elle être appelée Art ou Science ? & sa définition.

Avant que de donner la définition de la Chimie, il faut chercher son genre & sa
différence ; puisqu’il est nécessaire de savoir ces deux choses, pour en pouvoir
donner une vraie définition. Il faut donc examiner, si c’est un Art ou une
Science, afin d’en avoir le genre, & de chercher sa différence dans son objet,
c’est même de cet objet qu’on la doit tirer. Mais pour ne point envelopper cette
question de difficultés, disons en peu de mots la différence qui est entre l’Art &
la Science, & comment on peut prendre le mot de Chimie en beaucoup de
façons.

La différence qui est entre l’Art & la Science, se peut tirer de la différence de
leurs fins. Comme la science n’a pour but que la seule contemplation, & que la
fin n’est que la seule connaissance, dont elle se nourrit & se contente, sans aller
plus avant : de même l’Art ne tend qu’à la seule opération, & il ne cesse point
d’opérer qu’il n’ait exécuté ce qu’il s’était proposé de faire. D’où nous pouvons
inférer que la Science n’est proprement que l’examen des choses qui ne sont pas
en notre puissance : au lieu que l’Art s’occupe sur ce qui est en notre pouvoir.

Cela posé, il faut savoir, que comme la Chimie est d’une très grande étendue,
aussi a-t-elle plusieurs fins. Dans toute la nature qu’elle a pour objet, il y a des
choses qui sont tout à fait sous la puissance de ses disciples, comme il y en a
d’autres qui n’y sont nullement soumises : outre ces deux sortes de sujets qui
sont totalement différents, il y en a une troisième sorte qui sont en partie sous
leur domination, & qui n’y sont pas aussi en partie. Ce qui fait qu’on peut dire
qu’il y a trois espèces de Chimie, l’une, qui est tout à fait scientifique &
contemplative, se peut appeler philosophique. Elle n’a pour but que la
contemplation & la connaissance de la nature & de ses effets, parce qu’elle
prend pour son objet les choses qui ne sont aucunement en notre puissance.
Ainsi cette Chimie philosophique se contente de savoir la nature des Cieux &
de leurs Astres, la Source des éléments, la cause des météores, l’origine des

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 23

minéraux, & la nourriture des plantes & des animaux, parce qu’il n’est pas en
son pouvoir de faire aucune de toutes ces choses là, se contentant de
philosopher sur tant d’effets différents.

La seconde espèce de Chimie se peut appeler Iatrochimie, qui signifie Médecine


Chimique, & qui n’a pour son but que l’opération, à laquelle toutefois elle ne
peut parvenir que par le moyen de la Chimie contemplative & scientifique : car
comme la Médecine a deux parties, la théorie & la pratique, & que cette théorie
n’est que pour parvenir à la pratique, ainsi cette Iatrochimie participe aussi de
l’une & de l’autre, puisqu’elle ne contemple que pour opérer, & qu’elle n’opère
que pour satisfaire les esprits de ses disciples sur la contemplation des choses,
tant de celles qui ne sont pas, que de celles qui sont en notre puissance.

La troisième espèce s’appelle la Chimie Pharmaceutique, qui n’a pour but que
l’opération : puisque l’Apothicaire ne doit travailler que selon les préceptes &
sous la direction des Iatrochimiste, dont nous avons le véritable modèle en la
personne de M. Vallot, choisi par Sa Majesté très Chrétienne pour son premier
Médecin, qui possède très éminemment la théorie & la pratique des trois
Chimies que nous avons décrites. Cette troisième Chimie a pour son objet les
choses qui sont soumises à notre puissance, pour opérer dessus, & pour en tirer
les parties différentes qu’elles contiennent. On peut conclure de tout ce que
dessus, que la Chimie peut être dite Science & Art, eu égard aux espèces qu’elle
contient sous soi, ce qui me fait dire qu’elle peut être appelée une science
pratique.

Après avoir trouvé le genre, il faut aussi que nous trouvions la différence, pour
en donner une exacte définition. Quelques-uns définissent la Chimie, l’Art des
transmutations; d’autres, l’Art des séparations, & d’autres encore, l’Art des
transmutations &des séparations. Mais comme la transmutation & la séparation
sont des effets de la Chimie ; aussi ne peuvent-elles pas en établir la spécifique
& véritable différence. Il y en a encore plusieurs autres qui la définissent de
diverses façons, qui se rapportent toutes aux définitions que nous avons
rapportées. C’est pourquoi il faut nécessairement que nous prenions sa
différence de son objet, comme nous l’avons dit ci-dessus. Quelques Auteurs
donnent, le corps mixte pour objet à la Chimie, mais ils se trompent : car les
éléments qui font des corps simples, sont aussi sujets à cette science. D’autres
veulent que ce soit le corps naturel : ceux-là se trompent aussi, puisque la
Chimie parle & traite dé l’esprit universel, qui est dépouillé de toute corporéité.
Je dis donc que la Chimie a pour objet toutes les choses naturelles que Dieu a
tirées du chaos par la création.

23
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 24

Remarquez en passant que par les choses naturelles, j’entends non seulement
les corps qu’on dit être composés de matière & de forme, mais aussi toutes les
choses créées, quoique privées de tout corps : ainsi l’opposition des choses
naturelles aux surnaturelles, mettra la différence entre le Créateur & les
créatures, pour effacer le reproche qui se fait à ceux qui font profession de cette
belle & noble science. C’est pourquoi je définis la Chimie une science pratique,
qui travaille sur les choses naturelles. Elle est science, comme je l’ai déjà dit,
parce qu’elle ne contemple pas seulement les choses naturelles, mais encore
parce qu’elle passe de la contemplation à l’opération ; c’est de cette dernière
partie qu’elle peut être appelée une science pratique, en un mot ce n’est autre
chose que la Physique même, en tant quelle met la main à l’œuvre pour
examiner toutes ses propositions par des raisonnements qui sont fondés sur les
sens, sans se contenter d’une pure & simple contemplation.

Voici donc la différence qui est entre le Physicien Chimique, & le Physicien de
spéculation ; qui est, que si vous demandez au premier de quelles parties un
corps est composé, il ne se contentera pas de vous le dire simplement, & de
satisfaire votre curiosité par vos oreilles, mais il vous le fera voir & connaître à
vos autres sens en vous faisant toucher, sentir & goûter les parties qui
composaient ce corps, parce qu’il sait que ce qui demeure après la résolution du
mixte, était cela même qui faisait sa composition. Mais si vous demandez au
Physicien de spéculation de quoi un corps est composé ; il répondra que cela
n’est pas encore déterminé dans l’Ecole, que s’il est corps, il a de la quantité, &
que par conséquent il doit être divisible, qu’il faut donc que le corps soit
composé de choses divisibles ou indivisibles, c’est-à-dire de points ou de
parties. Or il ne peut être composé de points, puisque le point est indivisible, &
n’a aucune quantité, & que par conséquent il ne peut communiquer la quantité
au corps, puisqu’il ne l’a pas lui-même, d’où on conclut qu’il doit être composé
de parties divisibles. Mais on lui objectera, que si cela est, qu’il ait à marquer si
la plus petite partie de ce corps est divisible ou non, si elle est divisible, ce n’est
pas encore la plus petite partie, puisqu’elle peut être divisée en d’autres plus
petites : & si cette plus petite partie est indivisible, ce sera toujours la même
difficulté, parce quelle sera sans quantité, qu’ainsi elle ne pourra la
communiquer au corps, ne l’ayant pas elle-même. On sait que la divisibilité est
la propriété essentielle de la quantité.

Vous voyez que la Chimie rejette les arguments spéculatifs de cette nature,
pour s’attacher aux choses qui sont visibles & palpables ; ce que nous ferons
voir dans le travail : car si nous vous disons qu’un tel corps est composé d’un
esprit acide, d’un sel amer & d’une terre douce, nous vous ferons voir, toucher,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 25

sentir & goûter les parties que nous en tirerons, avec toutes les conditions que
nous leur aurons attribuées.

QUESTION TROISIEME.

De la fin de la Chimie.

Il ne faut pas s’étonner si les Physiciens-ordinaires ont trouvé si peu de


lumières pour la connaissance des corps naturels, puisqu’ils n’ont jamais eu
d’autre but que la seule contemplation, n’ayant pas crû qu’ils fussent obligés de
mettre la main à l’œuvre, pour s’acquérir une véritable connaissance des mixtes
par le dépouillement & l’anatomie Chimique. Eux & leurs sectateurs se sont
imaginés que ce serait faire tort à leur gravité, de se noircir les mains avec du
charbon, ce que les Physiciens Chimistes n’ont pas appréhendé, quoiqu’ils
eussent aussi bien qu’eux la contemplation pour objet : ils ont cru qu’il y fallait
joindre l’opération, afin d’avoir un contentement entier, & de trouver des
fondements stables & fermes pour soutenir leurs raisonnements, ne voulant pas
bâtir sur les idées des opinions vaines, frivoles & fantastiques. Ce qui leur a fait
prendre en gré, les frais, la peine & le travail, & qu’ils ne se sont pas rebutés
pour les veilles ni pour les mauvaises odeurs. Mais ils se sont acquis une belle &
entière connaissance des choses naturelles : ils ont trouvé par les expériences de
leur travail, les causes de tant d’effets qui se voient dans la nature des choses :
ce qui les distingue des Empiriques, qui confondent & mêlent toutes choses
sans discernement & sans aucun raisonnement.

Disons donc que la fin générale de la Chimie est véritablement l’opération, car
le Philosophe n’opère que pour mieux contempler ; l’Iatrochimie n’opère aussi
que pour savoir par le moyen de l’opération, celle qui se fait dans l’intérieur de
l’homme sain, afin qu’il puisse être capable de rétablir sa santé, lorsqu’elle est
dérangée par la maladie. Enfin le Pharmacien Chimiste n’opère que pour
fournir des remèdes bons & salutaires aux malades, selon l’ordre qu’il en
recevra du Médecin savant & expérimenté.

Faut-il donc s’étonner si les Chimistes travaillent avec tant de soins pour
acquérir cette belle science, puisqu’il est impossible de s’y rendre parfait, sans
avoir premièrement anatomisé la plus grande partie des choses naturelles.
Comme il est nécessaire de disséquer le corps humain, pour avoir la
connaissance de ses organisations, il est également nécessaire d’ouvrir les
choses composées, pour découvrir ce que la nature a renfermé de plus beau
sons leur écorce, d’où il est aisé de recueillir qu’il est impossible de devenir bon
Physicien, si l’on n’acquiert une parfaite connaissance de toutes les parties de la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 26

Chimie, & qu’un homme ne peut être parfait Médecin, sans avoir acquis cette
belle Physique, puisque la Physique est le fondement de la Médecine, & que
sans elle personne ne se peut attribuer d’autre titre que celui d’Empirique. Ce
n’est pas assez d’avoir du parchemin, des sceaux, une soutane, ni d’avoir pris
ses degrés dans quelque fameuse Université, cela n’appartient, ni ne peut
véritablement appartenir qu’à celui qui aura acquis une science solide, & qui se
sera rendu bon praticien par une longue expérience fondée sur le raisonnement,
avec un jugement mûr & parfait.

D’où il s’enfuit deux choses : la première, que la Chimie ne consiste pas


simplement à savoir préparer quelques remèdes, comme quelques-uns se
l’imaginent ; mais qu’elle consiste principalement à s’en bien servir avec toutes
les circonstances & les dépendances des théorèmes de ce bel Art, qui est
proprement la véritable Médecine.

La seconde, que celui qui se sert des remèdes Chimiques, sans avoir la véritable
connaissance de sa théorie, ne peut avoir d’autre nom que celui d’Empirique,
puisqu’il ignore les causes efficientes internes de leurs effets, & qu’il ne sait pas
les raisons physiques, qui le portent à donner un tel remède dans telle ou telle
maladie, n’ayant pas le fonds pour pouvoir connaître que ces rares
médicaments n’agissent jamais par leurs qualités premières ni secondes ; mais
qu’ils agissent toujours par des vertus qui leur sont spécifiques, comme nous le
ferons voir dans la suite de ce Traité.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 27

PREMIERE PARTIE.
LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

De l’Esprit universel.

Le titre de ce Chapitre montre que quelques-uns soutiennent à tort que le corps


naturel est le seul objet de la Chimie, puisqu’elle traite de l’esprit universel, qui
est une substance dépouillée de toute corporéité ; c’est pourquoi nous lui avons
donné avec beaucoup plus de raison toutes les choses naturelles pour son objet,
c’est-à-dire, toutes les choses créées, tant celles qui sont corporelles que les
spirituelles, & les invisibles aussi-bien que les visibles, & cela parce que la
Chimie ne montre pas seulement comment le corps peut être spiritualisé, mais
elle montre aussi comment l’esprit se corporifie. Car après avoir fait l’anatomie
de la nature en général & en particulier ; après avoir fouillé & pénétré jusque
dans son centre, la Chimie a trouvé que la source & la racine de toutes choses,
était une substance spirituelle, homogène & semblable à soi-même, que les
Philosophes anciens ou modernes ont appelée de plusieurs noms différents. Ils
l’ont nommée substance vitale, Esprit de vie, Lumière, Baume de vie, Mumie
vitale. Chaud naturel, Humide radical, Ame du monde, Entelechie, Nature,
Esprit universel, Mercure de vie ; ils l’ont encore nommée de beaucoup d’autres
façons, qu’il est inutile de rapporter, puisque nous en avons donné les
appellations principales. Mais comme nous voulons traiter en ce premier Livre
des principes & des éléments des choses naturelles, il est raisonnable que nous
traitions premièrement du premier principe, dont les autres sont principiés. Or
ce principe n’est rien autre chose que la nature même, ou cet esprit universel,
duquel nous traiterons en ce Chapitre.

Paracelse dit en son Livre des vexations, que domus est semper mortua, sed eam
inhabitans vivit : il nous veut montrer par cette comparaison, que la force de la
nature n’est pas dans le corps, mortel & corruptible, mais qu’il la faut chercher
dans cette semence merveilleuse, qui est cachée sous l’ombre du corps, qui n’a
de soi aucune vertu ; car tout ce qu’il en a & tout ce qu’il en peut avoir, vient
médiatement de cet esprit séminal qu’il contient en soi, ce qui paraît
manifestement en la corruption de ce corps, pendant laquelle son esprit interne
s’en forge un nouveau, ou même plusieurs corps nouveaux par le débris du
premier. C’est ce qui fait dire encore au même lieu à notre Trismégiste
Allemand, que la force de la mort est efficace, parce qu’alors l’esprit se dégage
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 28

des liens du corps, dans lequel il paraissait être comme sans pouvoir, puisqu’il
était prisonnier & qu’il commence à manifester sa vertu, lorsqu’on croyait qu’il
le pouvait moins faire. Le grain de froment qui se pourrit en terre prouve cette
vérité, c’est par cette pourriture que le corps étant ouvert, l’esprit interne
séminal qui est enfermé dedans, pousse un tuyau au bout duquel il produit un
épi garni de plusieurs grains, qui sont totalement semblables à celui qui se perd
& qui se détruit en la terre.

Cette substance spirituelle, qui est la première & l’unique semence de toutes
choses, a trois substances distinctes & non pas différentes en soi-même, car elle
est homogène comme nous avons dit ; mais parce qu’il se trouve en elle un
chaud, un humide & un sec, & que tous trois sont distincts entre eux, & non pas
différents. Nous disons que les trois ne sont qu’une essence & une même
substance radicale : autrement, comme la nature est une, simple & homogène, il
ne se trouverait cependant en la nature, rien qui fut un, simple & homogène,
parce que les principes séminaux de ces substances seraient hétérogènes, ce qui
ne peut être à cause des grands inconvénients qui s’en suivraient ; car si le
chaud était différent de l’humide, il ne pourrait en être nourri, comme il le
nourrit nécessairement, parce que la nourriture ne se fait pas de choses
différentes, mais de choses semblables. Si l’aliment était en son commencement
différent de l’alimenté, il faudrait qu’il se dépouillât de toute nécessité de cette
différence, avant qu’il pût être son dernier aliment. Or, il est très assuré que
l’humide radical est le dernier aliment de la chaleur naturelle, ce qui fait qu’il
ne peut être différent de cette chaleur ; de plus, s’ils demeuraient différents,
chacun voudrait produire son semblable, & ainsi cette guerre intérieure
empêcherait la génération du composé. Concluons donc que cette substance
radicale & fondamentale de toutes les choses, est véritablement unique en
essence, mais qu’elle est triple en nomination : car à raison de son feu naturel,
elle est appelée soufre : à raison de son humide, qui est le propre aliment de ce
feu, elle est nommée mercure : enfin à raison de ce sec radical, qui est le ciment
& la liaison de cet humide & de ce feu, on l’appelle sel. Ce que nous ferons voir
plus exactement, lorsque nous parlerons de ces trois principes en particulier, &
que nous examinerons s’ils peuvent être transmués les uns aux autres.

Après avoir ainsi parlé de la nature & de l’essence de cet esprit universel, il faut
que nous examinions quelle est son origine, & les effets qu’il produit. Pour le
premier, il ne faut nullement douter que cet esprit n’ait été créé par la Toute-
puissance de la première cause, lorsqu’elle fit éclore ce beau monde hors du
néant, & qu’elle le logea dans toutes les parties de cette grande machine,
comme l’a très bien reconnu le Poète, quand il dit :

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 29

Spiritus intus agit, totamque infusa per artus, Mens agitat molem.

D’autant que toutes les parties de cet Univers ont besoin de sa présence, comme
nous le remarquons par ses effets ; car si on en a privé quelqu’une, il ne manque
pas de revenir se loger chez elle, afin de lui rendre la vie par son arrivée. Ainsi
nous voyons qu’après avoir tiré du vitriol beaucoup de différentes substances
qu’il contient, si on expose la tête morte de ce vitriol à l’air, en quelque endroit
qui soit à couvert des injures de l’eau, que cet esprit ne manque pas d’y
reprendre sa place, parce qu’il est puissamment attiré par cette matrice, qui n’a
point d’autre avidité que de se refournir de cet esprit, qui est celui qui fait la
meilleure partie de tous les êtres ; car comme les choses ne sont que pour leurs
opérations, elles ne peuvent agir aussi que par leurs principes efficients
internes, c’est pourquoi Dieu qui ne veut pas créer tous les jours des choses
nouvelles, a créé une fois pour toutes cet esprit universel, & l’a répandu par
tout, afin qu’il se put faire tout en toutes choses.

Or, comme cet esprit eu universel, aussi ne peut-il être spécifié que par le
moyen ; des ferments particuliers, qui impriment en lui le caractère & l’idée des
mixtes, pour être faits tels ou tels êtres déterminés, selon la diversité des
matrices, qui reçoivent cet esprit pour le corporifier. Ainsi, dans une matrice
vitriolique, il devient vitriol, dans une matrice arsenicale, il devient arsenic, la
matrice végétable le fait être plante, & ainsi de tous les autres. Mais remarquez
ici deux choses s la première, que lorsque nous disons que cet esprit est spécifié
dans telle ou telle matrice, que nous ne voulons entendre autre chose, sinon que
cet esprit a été corporifié en tel ou tel composé, selon la diversité de l’idée qu’il
a reçue par le moyen du ferment particulier, & que néanmoins on le peut retirer
de ce composé, en le dépouillant, par le moyen de l’art, de ce corps grossier,
pour le revêtir d’un corps plus subtil, & le rapprocher ainsi de son universalité ;
& c’est alors que cet esprit manifeste ses vertus beaucoup plus éminemment &
plus sensiblement qu’il ne faisait. La seconde chose que vous avez à remarquer
est, que cet esprit ne peut retourner à sa première indifférence, ou à sa première
universalité, qu’il n’ait perdu totalement l’idée qu’il a reçue de la matrice, dans
laquelle il a été corporifié. Je dis qu’il faut qu’il ait tout à fait perdu cette idée,
parce que quoique ces esprits aient été décorporifiés par l’art, cependant ils ne
laissent pas de conserver encore pour quelque temps le caractère de leur
première corporification, comme cela paraît manifestement dans un air empesté
des esprits réalgariques & arsenicaux, qui voltigent invisiblement par tout ;
mais lorsqu’il a perdu entièrement cette idée, il se rejoint alors à l’esprit
universel, s’il se rencontre néanmoins quelque matrice fertile, étant encore un
peu empreint de son idée, alors il se corporifie en plusieurs composés

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 30

différents, comme cela paraît par les plantes & par les animaux, qu’on voit être
produits sans semence apparente, comme les champignons, les orties, les
souris, les grenouilles, les insectes, & plusieurs autres choses qu’il n’est pas
besoin de rapporter.

Voilà ce que nous avions à dire touchant cet esprit universel, nous réservons de
parler des matrices qui le spécifient, qui le corporifient, & qui lui
communiquent l’idée & le caractère d’un tel être déterminé, lorsque nous
traiterons des Eléments.

CHAPITRE II.

Des diverses substances qui se trouvent après la résolution, & l’anatomie du composé.

Nous pouvons considérer les principes & les éléments qui constituent le
composé, en trois différentes manières, savoir, ou avant sa composition, ou
après sa résolution, ou bien lorsqu’il composent encore & qu’ils constituent le
mixte. Nous avons montré au Chapitre précédent quelle était la nature des
principes, avant qu’ils composassent le mixte : il faut que nous fassions voir en
ce second Chapitre quels ils sont, après la résolution & pendant la composition :
ce que nous ne traiterons que généralement & succinctement, parce que nous en
parlerons plus amplement & en particulier dans les Chapitres qui suivent.

Nous avons dit ci-dessus que l’esprit universel, qui contient radicalement en soi
les trois premières substances, était indifférent à être fait toutes sortes de choses,
& qu’il était spécifié & corporifié, selon l’idée qu’il prenait de la matrice où il
était reçu ; qu’avec les minéraux, il devenait minéral ; qu’avec les végétaux, il
devenait plante, & qu’enfin avec les animaux, il se faisait animal. Nous
parlerons ci-après, & de cette idée & des matrices qui la lui communiquent.

Pendant la composition du mixte, cet esprit retient la nature & l’idée qu’il a
prise dans la matrice. Ainsi lorsqu’il a pris la nature du soufre, & qu’il en
empreint de son idée, il communique au composé toutes les vertus & toutes les
qualités du soufre. Je dis la même chose du sel & du mercure : car s’il est
spécifié, ou s’il est seulement identifié en quelqu’un de ces principes, il le fait
incontinent paraître par ses actions : ainsi les choses sont en leur composition
fixes & volatiles, liquides ou solides, pures ou impures, dissoutes ou coagulées,
& ainsi des autres, selon que cet esprit tient plus ou moins de sel, de soufre ou
de mercure, & selon qu’il tient plus ou moins du mélange de la terrestréité & de
la grossièreté des matrices.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 31

Mais après que ces principes sont séparés les uns des autres, aussi bien que de
la terrestréité & de la corporéité qu’ils ont de leurs matrices, ils montrent bien
par leurs puissants effets, que c’est en cet état qu’il faut les réduire, si on désire
qu’ils agissent avec efficace, quoiqu’ils retiennent encore leur caractère & leur
idée intérieure. Ainsi quelques goûtes d’esprit de vin feront plus d’effet qu’un
verre entier de cette liqueur corporelle, en laquelle il était enclos. Ainsi une
goûte d’esprit de vitriol fera paraître plus d’effet que plusieurs onces du corps
du vitriol. Mais remarquez que ces grandes vertus, & ces grands & puissants
effets ne demeurent en ces esprits qu’aussi longtemps que l’idée du mixte dont
ils ont été tirés, leur demeure : car comme toutes choses tendent à leur premier
principe, par une circulation continuelle qui se fait par la voie de la nature, qui
corporifie pour spiritualiser, & qui spiritualise pour corporifier, aussi ces esprits
tâchent continuellement de se dépouiller de cette idée qui les emprisonne, pour
se réunir à leur premier principe, qui est l’esprit universel.

Après avoir éclairci ces choses, il faut que nous voyons combien la Chimie
trouve de substances dans la résolution du composé, & quelles elles sont.
Aristote dit, que la résolution des choses montre & fait voir les principes qui les
constituent ; c’est sur cette même maxime que se fonde notre science, tant parce
qu’elle est très véritable, qu’à cause que la Chimie ne reçoit pour principes des
choses sensibles, que ce qui se peut apercevoir par les sens. Et comme
l’Anatomiste du corps humain a trouvé un nombre certain de parties similaires,
qui composent ce corps, auxquelles il s’arrête, la Chimie s’efforce pareillement
de découvrir le nombre des substances premières & similaires de tous les
composés, pour les présenter aux sens, afin qu’ils puissent mieux juger de leurs
offices, lorsqu’ils sont encore joints dans le mixte, après avoir vu leurs effets &
leurs vertus en cette simplicité. Et c’est de là que le nom de Philosophe sensible
a été donné au Chimiste. Car comme l’Anatomiste se sert de rasoirs & d’autres
instruments tranchants, pour faire la séparation des différentes parties du corps
humain, ce qui est son principal but, c’est ce que fait aussi l’Artiste Chimique,
qui se sert de l’instruction prise de la nature même, pour parvenir à sa fin, qui
n’est autre que d’assembler les choses homogènes, & de séparer les choses
hétérogènes par le moyen de la chaleur, car de lui-même il ne contribue rien
autre chose que son soin & sa peine, pour gouverner le feu, selon que l’exigent
les agents & les patients naturels, afin de résoudre les mixtes en leurs diverses
substances, qu’il sépare & qu’il purifie ensuite : alors le feu ne cesse point son
action, au contraire, il la pousse & l’augmente plutôt, jusqu’à ce qu’il ne puisse
plus trouver aucune hétérogénéité dans le composé,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 32

Principes de la résolution des corps.

Après que la Chimie a travaillé sur se composé, elle trouve dans sa dernière
résolution cinq substances qu’elle admet pour principes & pour éléments, sur
quoi elle établit sa doctrine, parce qu’elle ne trouve aucune hétérogénéité dans
ces cinq substances. Qui sont le phlegme ou l’eau, l’esprit ou le mercure, le soufre
ou l’huile, le sel & la terre. Quelques-uns leur donnent, d’autres noms, car il est
permis à un chacun de les nommer comme bon lui semble ; puisque cela n’est
pas de grande importance, pourvu qu’on s’accorde & qu’on puisse convenir de
la chose, sans se soucier du nom.

Or de même que l’intégrité des mixtes ne peut subsister, si on leur ôte


quelqu’une de ces parties, aussi la connaissance de ces substances serait
imparfaite & défectueuse, si on les séparait, parce qu’il les faut considérer tant
absolument que respectivement. Trois de ces substances se présentent à nous
par l’aide de l’opération Chimique en forme de liqueur, qui sont le phlegme,
l’esprit & l’huile, & les deux autres en forme solide, qui font le sel & la terre. On
appelle ordinairement & communément le phlegme & la terre, des principes
passifs, matériels & moins efficaces que les trois autres, mais au contraire, on
appelle l’esprit, le soufre & le sel, des principes actifs & formels, à cause de leur
vertu pénétrante & subtile. Quelques-uns appellent le phlegme & la terre des
éléments, & donnent le nom de principes aux trois autres.

Mais si la définition qu’Aristote a donnée aux principes, est essentielle, savoir


que les principes neque ex aliis, neque ex se invisem siunt ; l’expérience nous fait
voir que ces substances ne peuvent pas être appelées proprement principe ;
parce que nous avons dit ci-dessus que le mercure se change en soufre, puisque
l’humide est l’aliment du chaud, or l’aliment se métamorphose en l’alimenté.
Voilà pourquoi là définition d’élément conviendrait plutôt à ces substances,
puisque ce sont les dernières qui se trouvent après la résolution du composé, &
que les éléments sont ea quae primo componunt mixium, & in quae ultime resolvitur.

Mais parce que les éléments sont considérés en deux façons, ou comme des
parties qui composent l’univers, ou qui composent seulement les corps mixtes,
cependant pour nous accommoder à la façon ordinaire de parler, nous leur
donnerons le nom de principes, parce que ce sont des parties constitutives du
composé, & nous retiendrons le nom d’élément pour ces grands & vastes corps,
qui sont les matrices générales des choses naturelles.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 33

CHAPITRE III.

De chaque principe en particulier.

SECTION PREMIERE.

A savoir si les cinq principes qui demeurent après la résolution du mixte, sont naturels
ou artificiels.

La Chimie reçoit pour principes du composé les cinq substances, dont nous
avons parlé ci-dessus, cette source étant tout à fait sensible, elle ne raisonne que
sur ce que les sens lui font apercevoir, & cela parce qu’après avoir fait une très
exacte anatomie d’un corps naturel, elle ne trouve rien au-delà qui ne réponde à
l’une de ces cinq substances.

Mais on peut ici faire une question, qui n’a pas peu de difficulté ; savoir, si ces
cinq substances sont des principes naturels, ou s’ils sont artificiels, & s’ils ne
sont pas plutôt des principes de destruction & de désunion, que des principes
de composition & de mixtion. On peut répondre à cela, qu’il y a véritablement
de la difficulté pour savoir si ces principes sont naturels, parce que nous ne les
voyons pas sortir du composé par une corruption, ou par une putréfaction
naturelle, mais que cela ne peut être fait que par une corruption artificielle, qui
se pratique par le moyen de la chaleur du feu. Si on veut cependant examiner la
chose de près, il se trouvera qu’on ne peut à la vérité tirer ces substances que
par le moyen de l’art chimique, elles sont néanmoins purement & simplement
naturelles, puisque tout ce que fait ici l’Art est de fournir les vaisseaux propres
à les recevoir, à cause que ces vaisseaux manquent à la nature, & sans le secours
de ces vaisseaux, nous ne pourrions rendre ces principes palpables & visibles :
ce qui fait qu’on ne doit pas trouver étrange que nous n’apercevions pas ces
substances dans la corruption & dans la résolution naturelle du composé, car la
nature qui travaille sans cesse, se sert de ces substances à la génération de
plusieurs autres êtres, comme Aristote l’a très bien observé, quand il dit que
corruptio unius est generatio alterius. Ainsi nous sentons quelque chose qui frap-
pe, ou qui choque même notre odorat dans la putréfaction naturelle des choses,
ce qui témoigne que l’air est plein d’esprits volatils, qui sont salins & sulfureux,
par lesquels se fait la dissolution radicale du mixte : le sel se résout par le
moyen du phlegme, & comme le sel est le lieu des deux autres principes, aussi
ne peuvent, ils plus subsister dans le mixte, parce que la chaleur qui
accompagne tomes les putréfactions, les subtilité & les emporte si bien, qu’il ne
nous reste que ce qu’à y a de terrestre dans le composé. C’est pourquoi nous
concluons que ces principes, quoique rendus manifestes & sensibles par les
33
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 34

seules opérations de la Chimie, néanmoins cela n’empêche pas qu’ils ne soient


naturels. Parce que si la nature ne les avait pas logés en toutes les choses, on ne
lès pourrait pas tirer indifféremment de sons les corps comme on le peut faire.
D’où nous tirons cette conséquence, que ce n’est point par transmutation que
ces substances sortent du mixte ; mais par une pure séparation naturelle, aidée
de la chaleur des vaisseaux & de la main de l’Artiste.

Tous les êtres ne sauraient être transformés indifféremment & immédiatement


en une seule & même chose. C’est pourquoi, il ne faut pas trouver étrange,
lorsqu’on tire d’autres substances de ces mixtes, quand on travaille dessus, par
d’autres voies que par la séparation des principes, comme sont les
quintessences, les arcanes, les magistères, les spécifiques, les teintures, les
extraits, les fœcules, les baumes, les fleurs, les panacées & les élixirs, dont
Paracelse parle en ses Livres des Archidoxes ; puisque toutes ces différentes
préparations tirent leurs diverses vertus de la diversité du mélange des
principes, dont nous parlerons dans les sections suivantes, selon l’Ordre qu’ils
tombent premièrement sous nos sens, où nous les considérons comme lorsqu’ils
composent encore le mixte, & comme étant séparés de lui.

SECTION SECONDE.

Du Phlegme.

On donne le nom de phlegme à cette liqueur insipide, qu’on appelle


vulgairement eau, lorsqu’elle est séparée de tout autre mélange. C’est la
première substance qui se montre à nos yeux, lorsque le feu agit sur quelque
mixte : on la voit premièrement en forme de vapeur, & lorsqu’elle est
condensée, elle se réduit en liqueur. Sa présence est aussi utile dans la
composition du mixte, que celle d’aucun autre principe.

Et nous ne sommes pas de l’opinion de ceux qui la regardent comme inutile ;


mais il faut que la proportion & l’harmonie demeure dans les bornes, que
requiert la nécessité des corps naturels ; car le phlegme est comme le frein des
esprits, il abat leur acidité, il dissout le sel & affaiblit son acrimonie corrodante,
il empêche l’inflammation du soufre, & sert enfin à lier & à mêler la terre avec
les sels ; car comme ces deux substances sont arides & friables, elles ne
pourraient pas donner beaucoup de fermeté & de solidité au corps sans cette
liqueur. De-là vient qu’il cause la corruption & la dissolution par son absence,
ce qui fait que quelques-uns l’appellent le principe de destruction, car il
s’évapore facilement ; d’où il arrive que le mixte ne peut demeurer longtemps
dans un même état & dans la même harmonie, à cause que cette partie

34
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 35

principiante s’exhale aisément & à toute heure, ce qui la rend sujette aux
moindres injures qui arrivent, tant par les causes intérieures, que par les causes
extérieures. C’est pourquoi, il faut que ceux qui travaillent à la conservations
des mixtes, s’étudient à retenir ce principe dans le composé, parce que c’est lui
qui retient tous les autres en bride. Il est de si facile extraction, qu’il ne faut
qu’une chaleur lente & modérée, pour le séparer des autres principes, comme
on le voit dans les opérations. Il souffre plusieurs altérations, qui ne changent
pourtant pas sa nature ; car s’il nous parait en vapeurs, elles ne sont néanmoins
essentiellement autre chose que le phlegme même.

Vous remarquerez ici que les vapeurs sont de différente nature ; les unes sont
simplement aqueuses & phlegmatiques ; les autres sont spiritueuses &
mercurielles, les autres sulfurées & huileuses, & il y en encore quelques autres
qui sont mélangées des trois précédentes ensemble ; il faut encore observer que
les sels mêmes & les terres minérales & métalliques peuvent être subtilisées &
réduites en vapeurs, qui sont encore différentes des quatre précédentes,
puisqu’il en résulte des esprits fixe & pesants, & des fleurs. On peut très bien
rapporter toute la doctrine des météores ignés, aqueux ou aérés, à la différence
de ces exhalaisons & de ces vapeurs ; car comme on voit que les vapeurs
aqueuses se condensent facilement en eau dans les alambics, ce que ne font pas
les spirituelles ni les huileuses, qui demandent beaucoup plus de temps & de
rafraîchissement : on pourra aussi tirer de là plusieurs conséquences pour la
Médecine, & particulièrement pour ce qui concerne les douleurs, qu’on croit
provenir des vapeurs & des exhalaisons, qu’on appelle ordinairement
météorismes du ventricule & de la rate ; car les aqueuses ne peuvent faire tant
de distension, parce qu’elles sont plus promptement serrées & condensées, que
celles qui proviennent des esprits, des huiles & des sels mélangés. Or, comme
trop de phlegme éteint la chaleur naturelle, & ralentit le corps & toutes ses
actions ; aussi le trop peu fait que le corps est comme brûlé ou rongé, lorsque le
soufre, l’esprit fixe ou le sel gagne le dessus : ce qui prouve évidemment, que
l’intégrité du mixte ne peut subsister que par l’harmonie & la juste proportion
de toutes ses substances.

Pour conclure ce que nous avons dit de ce principe, vous observerez que le
phlegme du mixte doit être ordinairement le menstrue le plus propre pour en
tirer la teinture & l’extrait, parce qu’il garde encore quelque caractère de son
composé & quelque idée de sa vertu ; mais principalement parce qu’il est
accompagné le plus souvent de l’esprit volatile du mixte, qui le rend capable de
le pénétrer plus facilement & d’en extraire la vertu, d’autant plus qu’il est

35
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 36

participant d’une nature mêlée d’un soufre & d’un mercure très subtils qui
approchent le plus de l’universel.

SECTION TROISIEME.

De l’Esprit.

Quelques-uns appellent Mercure, la seconde substance qui nous parait visible,


lorsque nous anatomisons le composé ; d’autres la nomment humide radical ;
mais nous retiendrons le nom d’esprit, qui est le plus en usage. Cependant pour
que vous ne vous abusiez point en ces appellations vulgaires des principes ;
afin même que vous ne les confondiez pas avec les composés, il est nécessaire
que vous sachiez qu’ils n’ont été nommés de la sorte, que par la ressemblance &
la correspondance qu’ils ont avec eux : ne prenez donc pas le phlegme principié
pour de la pituite, ni le mercure pour du vif-argent, ni le soufre pour ce soufre
vulgaire, qui entre dans la composition de la poudre à canon avec le salpêtre, ni
le sel pour ce sel commun que nous mettons sur nos tables, & moins encore la
terre pont du bol d’Arménie, ou pour de la terre sigillée, puisque toutes ces
choses sont des corps composés de ces mêmes principes, que nous désignons
par ces noms là. Ainsi ce sont des noms communs, dont nous attachons l’idée à
des substances particulières. L’esprit donc n’est autre chose que cette substance
aérée, subtile, pénétrante & agissante, que nous tirons du mixte par le moyen
du feu. D’où il faut conclure que ce principe est en soi un, simple & homogène,
qui a pris son idée du caractère de sa matrice spécifique & particulière. Ce que
nous éclairerons ci-dessous, lorsque nous traiterons des éléments & de leurs
vertus.

Or, on considère cette substance, comme composante encore le mixte, ou


comme en étant séparée. Hors du mixte cette substance est extrêmement
pénétrante, elle incise, elle ouvre & atténue les corps les plus solides & les plus
fixes ; cet esprit excite le chaud dans les choses en les fermentant ; il dénoue les
liens du soufre & du sel, & les rend séparables ; il résiste à la pourriture, &
cependant il peut la produire par accident ; il dévore le sel & se joint si
étroitement avec lui, qu’à peine les peut-on séparer que par l’extrême violence
du feu. Il a sa chaleur, comme il a aussi sa froideur ; car il n’agit pas par des
qualités élémentaires, mais par celles, qui lui sont propres & spécifiques ; enfin
nous manquons encore d’expressions propres à sa nature, puisque c’est un
véritable Prothée, qui ne travaille que comme le soleil, qui humecte & qui
dessèche, qui blanchir & qui noircir, selon la diversité des objets sur lesquels il
agit. Ce même esprit communique beaucoup de belles qualités au phlegme ; car
il empêche qu’il ne se corrompe, il le rend pénétrant, & lui prête presque tout ce
36
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 37

qu’il possède d’activité : le phlegme aussi par un devoir naturel retient la trop
grande activité, & pour ainsi dire la furie de l’esprit, & le rend si traitable qu’il
peut être utile en une infinité de manières.

Or pendant que cet esprit demeure dans l’harmonie, & qu’il n’outrepasse pas
les termes de son devoir dans les mixtes, il leur rend de notables services, parce
qu’il empêche l’accroissement des excréments, & de toute autre substance
contraire à la nature du composé, & qu’il multiplie encore & fortifie toutes ses
facultés, tant à l’égare des animaux, des végétaux, que des minéraux. Que si au
contraire ce principe est contraint par quelque autre Agent, d’outre passer la
condition & la constitution de son mixte, il change alors tout l’économie du
composé, comme nous le ferons voir, lorsque nous traiterons des principes de
destruction.

SECTION QUATRIEME.

Du Soufre.

On a qualifié ce principe de plusieurs noms, aussi bien que les autres ; car on lui
donne le nom d’huile, de feu naturel, de lumière, de feu vital, de baume de vie
& de soufre. Outre tous ces noms, les Artistes lui en ont encore donné plusieurs
autres, dont nous ne remplirons point cette section : nous nous contenterons,
selon notre coutume, d’examiner la nature de la choses & nous laisserons ce
combat aux Ergotistes.

La substance que nous appellerons quelque fois soufre & quelques fois huile,
est la troisième que nous tirons par la résolution artificielle du composé : nous
la nommerons ainsi, parce que c’est une substance oléagineuse qui s’enflamme
facilement, à cause qu’elle est d’une nature combustible, & c’est par son moyen
que les mixtes sont rendus tels. On l’appelle principe aussi bien que les autres,
parce qu’étant séparée du composé, elle est homogène en toutes ses parties,
comme sont les autres principes. On considère aussi cette substance de deux
manières ; car quand elle est déliée d’avec les autres, elle surnage le phlegme &
les esprits, parce quelle est plus légère & plus aérée ; mais lorsqu’elle n’est pas
absolument détachée du sel & de la terre, elle peut tomber au fond, ou bien
nager entre les deux ; car le soufre supporte & soutient la terre & le sel, jusqu’à
ce qu’il soit tout à fait vaincu par leur pesanteur ; il ne reçoit pas facilement le
sel, qu’il ne soit auparavant allié avec quelque esprit, ou que le sel ait été circulé
avec l’esprit, avec lequel il a une grande sympathie ; & c’est alors qu’ils
reçoivent ensemble le soufre fort facilement, ce qui est très remarquable, parce
qu’on ne peut faire exactement sans cette connaissance, les panacées, les vrais

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 38

magistères, les essences, les arcanes, ni les autres remèdes les plus secrets qui ne
sont point du district de la Médecine, non plus que de la Pharmacie Galénique :
on sait que ceux qui sont profession de cette médecine, ne peuvent pas rendre
raison des plus beaux effets de la nature, parce qu’ils attribuent ces effets aux
quatre premières qualités.

Ce soufre est la matière des météores ignés, qui s’enflamment dans les diverses
régions de l’air, aussi bien que de ceux qui se voient dans les lieux, ou les
minéraux & les métaux sont engendrés. Il résiste au froid & ne se gèle jamais ;
car il est le premier principe de chaleur, il ne souffre point de corruption, il
conserve les choses qui sont mises dans son sein, à cause qu’il empêche la
pénétration de l’air, il adoucit l’acrimonie du sel, il se coagule & se fixe par son
moyen, il dompte l’acidité des esprits de telle façon, que même les plus
puissantes eaux fortes ne peuvent rien sur lui, ni sur les composée où il abonde.
Il aide à lier la terre, qui n’est que poudre, avec le sel dans la composition du
mixte, il cause aussi la liaison des autres principes ; car il tempère la sécheresse
du sel & la grande fluidité de l’esprit : enfin par son moyen, les trois principes
causent ensemble une viscosité, qui s’endurcir quelquefois après par le mélange
de la terre & du phlegme.

SECTION CINQUIEME.

Du Sel.

Le phlegme, l’esprit & le soufre, sont des principes volatiles qui fuient le feu,
qui les fait monter & sublimer en vapeurs, ce qui fait qu’ils ne pourraient
donner au mixte la fermeté requise pour sa durée, s’il n’y avait quelques autres
substances fixes & permanentes. Il s’en trouve deux tout à fait différentes des
autres dans la dernière résolution des corps. La première, est une terre simple
sans aucune qualité notable, excepté la siccité & la pesanteur. La seconde, est
une substance qui résiste au feu & qui se dissout en l’eau, à laquelle on à donné
le nom de sel.

Ces deux substances qui servent de base & de fondement au mixte, quoiqu’elles
se confondent par l’action du feu, sont néanmoins deux divers principes,
auxquels on reconnaît des différences si essentielle, qu’il n’y a nulle analogie
entre les deux. Le sel se rend manifeste par ses qualités qui sont innombrables,
comme elles sont pleines d’efficace ; & bien autres que celles de la terre, qui est
presque sans pouvoir & sans action en comparaison de cette autre substance.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 39

Le sel étant exactement séparé des autres principes, se présente à nous en corps
sec & friable, qu’il est aisé de mettre en poudre, ce qui témoigne sa sécheresse
extérieure ; mais il est doué d’une humidité intérieure, comme cela se prouve
par sa fonte. Il est fixe & incombustible, c’est-à-dire, qu’il résiste au feu dans
lequel il se purifie, il ne souffre point de putréfaction, & se peut conserver sans
être altéré. Cette substance est estimée de quelques-uns, le premier sujet & la
cause de toutes les saveurs, comme le soufre celui des odeurs, & le mercure
celui des couleurs ; mais nous ferons voir la fausseté de cette opinion, lorsque
nous traiterons de cette matière.

Le sel se dissout facilement dans l’humide ; étant dissout, il soutient le soufre, &
se joint à lui par le moyen de l’esprit. Il est utile à beaucoup de choses ; car il fait
que le feu ne peut pas consumer l’huile aussi promptement qu’il ferait ; c’est
pourquoi le bois flotté ne produit pas une flamme de longue durée, parce qu’il
est privé de la plus grande partie de son sel : c’est aussi le sel qui rend la terre
fertile , car il sert comme de baume vital avec l’huile pour les végétaux ; & de là
vient que les terres qui sont trop lavées de la pluie, perdent leur fécondité : il
sert aussi à la génération des animaux ; c’est encore lui qui durcit les minéraux ;
mais remarquer que ces effets ne se produisent, que lorsqu’il est dans une juste
proportion : car le trop empêche la génération & l’accroissement, parce qu’il
ronge & ruine par son acrimonie ce que les autres substances peuvent produire.

Mais afin que vous ne soyez pas trompé par l’ambiguïté du mot de sel, il faut
que vous sachiez qu’il y a un certain sel central, principe radical de toutes les
choses, qui est le premier corps dont se revêt l’esprit universel, qui contient en
soi les autres principes, que quelques-uns ont appelé sel hermétique, à cause
d’Hermès qui en a, dit-on, parlé le premier ; mais on le peut appeler plus
légitimement le sel hermaphrodite, parce qu’il participe de toutes les natures, &
qu’il est indifférent à tout. Ce sel est le siège fondamental de toute la nature,
avec d’autant plus de raison, que c’est le centre où toutes les vertus naturelles
aboutissent, & que les véritables semence des choses ne sont qu’un sel congelé,
cuit & digéré : ce qui parait véritable, en ce que si vous faites bouillir quelque
semence que ce soit, vous la rendrez stérile à l’instant, parce que cette vertu
séminale consiste en un sel très subtil qui se résout dans l’eau ; d’où nous
apprenons que la nature commence la production de toute les choses par un sel
central & radical, qu’elle tire de l’esprit universel. La différence qui est entre ces
deux sels, est que le premier engendre l’autre dans le mixte, & que le sel
hermaphrodite est toujours un principe de vie, & que l’autre est quelquefois un
principe de mort. Mais comme nous traiterons ci-après des principes de mort &
de destruction, nous ne nous étendrons pas ici sur les effets des uns ni des

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 40

autres, parce que la science des contraire étant une même science, ils
apporteront beaucoup plus de lumière, lorsqu’ils seront respectivement
opposés.

SECTION SIXIEME.

De la Terre.

La terre est le dernier des principes, tant de ceux qui sont volatils, que de ceux
qui sont fixes : c’est une substance simple qui est dénuée de toutes les qualités
manifestes, excepté de la sécheresse & de l’astriction ; car pour ce qui touche la
pesanteur, nous en parlerons ci-après. Je dis manifeste, parce que cette terre
retient toujours en soi le caractère indélébile de la vertu qu’elle a possédée, qui
est de corporifier & d’identifier l’esprit universel. La première idée qu’elle lui
donne, c’est celle de sel hermaphrodite, qui redonne par son action à cette terre
ses premiers principes, si bien que le mixte est comme ressuscité, parce qu’on
peut encore retirer de ce même corps les mêmes principes en espèce, qu’on en
avait auparavant séparés par l’opération Chimique, comme nous le montrerons
ci-après, lorsque nous examinerons cette matière.

Considérons maintenant les usages de cette substance, qui est très nécessaire
dans le mixte, puisque c’est elle qui augmente la fermeté du composé ; car
lorsqu’elle est jointe au sel, elle cause la corporéité, & par conséquent la
continuité des parties ; étant mêlée avec l’huile, elle donne la ténacité, la
viscosité & la lenteur ; elle donne donc avec le sel la dureté & la fermeté : car
comme le sel est son friable de soi-même, il ne pourrait pas se joindre
intimement à la terre, que par le moyen des substances liquides pour procurer
la solidité. Les incommodités de ce principe se manifestent, lorsque le mixte
requiert l’abondance des autres substances : car si la terre prédomine, elle rend
le corps pesant, tardif, froid & stupide, selon la nature des composés dans
lesquels elle abonde.

Remarquez néanmoins en passant, que ce n’est pas la terre seule qui cause la
pesanteur du composé, comme cela est soutenu par certains Philosophes, qui se
promènent plus qu’ils ne travaillent ; car on trouve plus de terre dans une livre
de liège après sa résolution, quoique ce soit un corps qui parait très léger, qu’on
n’en trouvera dans trois ou quatre livres de gayac ou de buis, qui sont des bois
si pesants, que l’eau ne les peut presque soutenir contre la nature des autres
bois. D’ou nous devons nécessairement conclure que la plus grande pesanteur
provient des sels & des esprits, qui abondent dans ces bois, dont le liège est
privé.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 41

On voit aussi par expérience qu’une fiole pleine d’esprit de vitriol, ou de


quelque autre esprit acide bien rectifié, pèsera plus que deux ou trois autres
fioles de pareil volume remplies d’eau, ou de quelque autre liqueur semblable.
Je sais qu’on m’objectera contre cette expérience, que la pesanteur du gayac
vient de sa substance si compacte, qui ne laisse aucune entrée à l’air, & que la
légèreté du liège est causée par la grande quantité de pores larges & amples, qui
sont rempli de cet élément léger, ce qui fait qu’il nage sur l’eau, & que le
contraire se voit au gayac & au buis. Mais cette réponse ne satisfait pas l’esprit :
car si la légèreté & la pesanteur sont causées, l’une par la raréfaction, & l’autre
par la condensation, il faudra que ces pores qui sont dans le liège, viennent de
l’abondance de la terre & du manque des autres principes ; de-là on conclura de
nécessité, premièrement que la terre est poreuse par soi-même ; & secondement,
que c’est elle qui rend les corps poreux ; parce que Nemo dat quod non habet, &
propter quod unuinquodque est tale, illud ipsum est magis, à ce que disent les
Péripatéticiens, qui sont les philosophes ambulatoires ; d’où ils seront contraints
d’avouer par leurs propres maximes, quoique ce soit néanmoins contre leurs
principes mêmes, que la terre non seulement cause la légèreté des mixtes, mais
aussi que la terre est légère de sa propre nature : ce qui est un monstre dans leur
doctrine, & qui est en effet contraire à l’expérience ; car il n’y a pas de principes
plus pesants que la terre, lorsqu’ils sont artistement & dûment séparés les uns
des autres ; car elle tend toujours au fond du vaisseau, lorsqu’on les y mêle
ensemble.

Il faut être nourri dans l’étude d’une plus haute Philosophie, pour sortir de ce
labyrinthe, & se familiariser avec la belle Ariadne, qui est la nature elle-même,
pour obtenir ce fil qui peut seul nous débarrasser de tant de détour : si nous le
faisons, elle ne manquera pas de nous faire voir par les opérations de la Chimie,
qu’il y a deux sortes de légèreté & de pesanteur ; savoir l’une qui est intérieure,
& l’autre qui est extérieure ; que l’une se trouve dans les principes, lorsqu’ils
composent encore le mixte, & l’autre, lorsqu’ils en sont séparés.

CHAPITRE IV.

Des Eléments, tant en général qu’en particulier.

SECTION PREMIERE.

Des Eléments en général.

La différence que mettent les Péripatéticiens entre le principe & l’élément, est,
que les principes ne peuvent prendre la nature l’un de l’autre ; qu’ils ne

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 42

sauraient se métamorphoser, ni se transmuer l’un en l’autre ; mais que pour les


éléments, ce sont des substances, qui sont elles-mêmes composées de principes,
& qui composent après les mixtes, & qu’ainsi ces substances peuvent passer
facilement en la nature d’une de l’autre : nous examinerons donc ci-après, si
cela est vrai ou non.

Mais en Chimie, on prend les éléments pour ces quatre grands corps, qui sont
comme quatre matrices, qui contiennent en elles les vertus, les semences, les
caractères & les idées qu’elles reçoivent de l’esprit universel : avant néanmoins
que d’entrer dans cette sorte de Philosophie, il faut qu’après avoir parlé de la
nature des principes au Chapitre précédent, nous traiterons de celle des
éléments en celui-ci. Nous y examinerons premièrement si les Galénistes ont
raison de dire que les mixtes sont composés de ces éléments, & s’il ne se trouve
pas davantage de substances dans leurs résolutions, que celles dont ils font
mention dans leurs Livres.

Ils disent qu’on découvre manifestement quatre substances diverses, lorsque le


bois est brûlé par le feu, & assurent que ce sont les quatre éléments, qui
composaient le mixte avant sa destruction. Examinons s’ils ont tout vu, & s’ils
nous ont privé du soin d’en chercher davantage.

Ils sondent leurs raisonnements sur l’expérience qui suit. Les quatre éléments,
disent-ils, se manifestent à nos sens, lorsque le bois est examiné & consommé
par le feu ; car la flamme représente le feu, la fumée représente l’air, l’humidité
qui sort par les extrémités du bois représente l’eau, & la cendre n’est autre que
la terre. D’où ils tirent cette conséquence, que puisque nous ne voyons que ces
quatre substances, il n’y avait qu’elles qui composassent le mixte. Mais
quoiqu’il soit vrai qu’on n’aperçoit rien autre chose dans cette grossière
opération ; cependant si on prend la peine de la faire plus artistement, on ne
manquera jamais d’y trouver quelque chose de plus : car si vous enfermez des
copeaux, ou de la sciure de bois dans une retorte bien lutée, & que vous
adaptiez un ample récipient au col de cette retorte, que vous donniez ensuite un
feu bien gradué, vous trouverez deux substances, qui ne peuvent tomber sous
nos sens sans cet artifice, & c’est sur cela que les Péripatéticiens & les
Philosophes Chimiques sont en diffèrent. C’est pourquoi, je trouve qu’il est
nécessaire de les accorder avant que de passer outre : pour cet effet avouons
aux uns & aux autres, que les principes & les éléments se rencontrent dans les
mixtes : mais voyons de quelle façon, lorsque les premiers disent que la fumée,
qui sort du bois qui se brûle, représente l’air, nous disons qu’ils ont raison ; c’est
uniquement par une sorte de ressemblance, que cette fumée se peut appeler air :

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 43

ce n’est donc pas de l’air en effet, mais il l’est seulement par dénomination,
parce que l’expérience fait voir, que lorsque cette fumée est retenue dans un
récipient, elle a des qualités bien différentes de celles de l’air, ce qui fait juger
qu’elle ne peut être ainsi appelée que par analogie, & voici la différence qui est
entre les uns & les autres touchant cette substance : c’est que les Péripatéticiens
l’appellent air, & les Chimistes la nomment mercure. Lainons-les disputer des
noms, puisque nous convenons ensemble de la chose.

Venons à l’autre élément des Péripatéticiens, qui est le feu, & à l’autre principe
des Chimistes, qui est le soufre ; & voyons en quoi ils sont différents, & en quoi
ils s’accordent. Les premiers disent que dans l’action qui brûle le bois, le feu se
découvre manifestement à nos sens ; mais on leur répond à cette expérience
sensible, que ce qui détruit le mixte, ne peut être principe de composition, mais
que c’est un principe de destruction ; que s’ils disent que le feu n’est pas
actuellement dans le mixte, mais qu’il y est seulement en puissance, c’est
proprement en ce point que je les veux accorder avec les Chimistes, qui
nomment soufre, ce feu potentiel des Péripatéticiens. Je décide donc leur
différend, en disant que le feu que nous voyons sortir du bois qui brûle, n’est
rien autre chose que le soufre du bois actué, parce que l’actuation du soufre
consiste dans son inflammation. Pour ce qui est de prendre les cendres pour
l’élément de la terre, le sel qui se tire de ces cendres par la lixiviation, doit
persuader ces Philosophes, que les Chimistes ont autant ou plus de raison
qu’eux, dans l’établissement du nombre de leurs principes.

Après avoir éclairci ces choses touchant le nombre des principes & des
éléments, qui entrent dans la composition du mixte ; il faut que nous disions
quelque chose du nombre & des propriétés des éléments, avant que de parler
de chacun d’eux en particulier, aussi bien que de leurs matrices & de leurs
fruits.

C’est une chose assez surprenante, que les sectateurs d’Aristote ne soient pas
encore tombés d’accord du nombre des éléments, pendant le longtemps que ses
Œuvres ont été en crédit : car quelques-uns d’eux affirment avec raison qu’il n’y
a point de feu élémentaire ; je dis avec raison, lorsqu’on le prend de la façon
qu’ils l’entendent : car à quoi sert d’admettre un élément du feu sous le Ciel de
la Lune, puisqu’on ne lui donne aucun autre usage, que celui d’entrer dans la
composition du mixte ; & qu’outre que cet élément est très éloigné du lieu où se
font les mixtions, nous avons trouvé de plus, que le feu des mixtes n’est rien
autre chose que le soufre du composé ; c’est pourquoi, je conclus ici avec

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 44

Paracelse, qu’il n’y a point d’autre feu élémentaire, que le ciel même & sa
lumière.

Pour ce qui concerne les diverses propriétés des éléments, on demande


premièrement s’ils sont purs, & en second lieu , s’ils peuvent être changés les
uns aux autres. Quant à ce qui est de leur pureté, je dis que s’ils étaient tels, ils
seraient absolument inutiles ; car une terre pure serait stérile, puisqu’elle
n’aurait en soi aucune semence de fertilité : la salure de la mer & les diverses
qualités de l’air, témoignent aussi ce que je dis.

Mais à l’égard de leurs changements mutuels, ils ne sont pas si aisés que la
Philosophie commune se l’est imaginé, quoiqu’ils ne soient pas absolument
impossible : car elle enseigne que la terre se change en eau, l’eau en air, l’air en
feu, & finalement que le feu redevient terre par d’autres changements ; parce
qu’encore que la terre ou l’eau prennent quelquefois la forme des vapeurs &
des exhalaisons ; cependant ces vapeurs sont toujours essentiellement de la
terre ou de l’eau, comme cela se voit par le retour de ces vapeurs en leur
première nature. Ce changement ne se peut donc faire, qu’en cas que tel ou tel
élément s’étant tout à fait spiritualisé, vint à quitter son idée élémentaire, &
qu’après il se rejoignît à l’esprit universel, qui lui rendront ensuite l’idée d’un
autre élément, duquel il aurait le corps, par le caractère que lui donnerait la
matrice.

C’est pour cette raison que les Chimistes donnent deux natures aux éléments,
lorsqu’ils en parlent, l’une qui est spirituelle, & l’autre qui est corporelle ; la
vertu de l’une étant cachée dans le sein de l’autre. C’est ce qui fait, que lorsqu’il
veulent avoir quelque chose qui agisse avec efficace, ils tachent, autant que l’art
le peut permettre, de la dépouiller de son corps & de la rendre spirituelle. Car
comme la nature ne nous peut communiquer ses trésors que sous l’ombre du
corps ; nous ne pouvons aussi faire autre chose, que les dépouiller du plus
grossier de ce corps par le moyen de l’art, pour les appliquer à notre usage : car
si nous les poussons plus avant, & que nous les spiritualisions de telle sorte,
qu’ils ne nous soient plus visibles ni sensibles, ils ont alors perdu le caractère &
l’idée du corps, & ainsi ils se rejoignent à l’esprit universel, pour reprendre
quelque temps après leur première idée, ou quelque autre, différence de celle
qu’ils ont eue, par le caractère & le ferment de la matrice, enclose dans telle ou
telle partie de tel ou tel élément.

Ce sont là les véritables effets des éléments, qui sont, comme nous avons dit, de
corporifier & d’identifier l’esprit universel, par les divers ferments qui sont
contenus dans leurs matrices particulières, & de lui donner les caractères, qui
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 45

sont gravés en elles : car, comme nous avons dit, cet esprit est indifférent à tout,
& peut être fait tout en toutes choses. Ce qui arrive, parce que la nature n’est
jamais oisive, & qu’elle agit perpétuellement ; & que comme c’est une essence
finie, aussi ne peut-elle pas créer non plus que détruire aucun être : on sait que
la création & la destructions demandent une puissance infinie. Mais comme ce
discours est de trop longue haleine, nous le remettrons aux Sections suivantes,
où nous traiterons des éléments en particulier, d’autant que ce sont les matrices
universelles de toutes les choses, & nous parlerons aussi des matrices
particulières qui sont en eux, qui donnent le caractère & l’idée à l’esprit, pour
produire tant de diversités de fruits, dont nous nous servons à tout moment,
par le moyen de diverses fermentations naturelles.

SECTION SECONDE.

De l’Elément Feu.

Puisque toutes les choses tendent à leur lieu naturel & à leur centre à, c’est un
signe manifeste qu’elles y sont portées & attirée par une vertu propre qu’elles
cachent sous l’ombre de leurs corps. Cette vertu ne peut être autre chose que la
faculté magnétique que chaque élément possède, d’attirer son semblable & de
repousser son contraire : car comme l’aimant attire le fer d’un côté, & qu’il le
chasse de l’autre ; les éléments attirent de même par une pareille vertu les
choses qui sont de leur correspondance, & chassent & éloignent d’eux celles qui
sont d’une nature différente de la leur. Ainsi puisque le feu monte en haut, il ne
faut pas douter que cet effet ne vienne de ce qu’il tend à son lieu naturel, qui est
le feu élémentaire, où il est porté par son propre esprit, lorsqu’il se dégage du
commerce des autres éléments.

Pour bien entendre cette doctrine, il faut qu’on sache premièrement, que
l’élément du feu n’est pas enclos sous le ciel de la Lune, comme nous l’avons dit
ci-devant ; & qu’ainsi on ne peut admettre d’autre feu que le ciel même, qui a
ses matrices, & ses fruits comme les autres éléments. Car le grand nombre de
diverses Etoiles que nous voyons qui se promènent dans ce vaste élément, ne
sont rien autre chose que des matrices particulières, où l’esprit universel prend
une très parfaite idée avant que de se corporifier dans les matrices des autres
éléments ; & c’est de-là qu’on peut comprendre facilement la maxime de ce
grand Philosophe, que plusieurs ne conçoivent que comme une chimère, à
savoir, que nihil est inferius, quod nonsic superius, & vice versa ; & celle de
Paracelse, qui assure que chaque chose a son astre ou son ciel : en effet, la vertu
des choses vient des cieux, par la force de cet esprit dont nous vous avons tant
parlé. Paracelse appelle Pyromancie, la connaissance de cette doctrine, &
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 46

principalement lorsqu’il traita de la théorie des maladies. Car nous voyons que
les éléments sont comme les domiciles des choses qui ont quelque connaissance,
soir intellective, soit sensitive, soit végétative, soit même minérale, que
quelques-uns appellent les fruits des éléments ; il ne faut pas douter, suivant ces
maximes, que comme les cieux sont très parfaits & très spirituels, ils ne soient
aussi la demeure de ces substances spirituelles & parfaites, qu’on appelle
intelligences.

Mais remarquer, que quand j’ai dit que le feu se dégage du commerce des
autres éléments, lorsqu’il monte en haut, je n’ai parlé que du feu visible, dont
nous nous servons dans nos foyers, qui n’est en effet qu’un météore, ou bien un
corps imparfaitement mêlé de quelques éléments, ou de quelques principes,
auxquels le feu ou le soufre prédominent, que la flamme n’est autre chose
qu’une fumée huileuse & sulfurée, qui est allumée ; & lorsque le feu est rendu
spiritualisé par ce dégagement, il ne cesse point, qu’il ne soit retourné en son
lieu naturel, qui doit être nécessairement en haut & par-dessus l’air, puisque
nous voyons qu’il est dans une action perpétuelle dans l’air même, afin de
l’abandonner. C’est aussi par le moyen de ce feu, qui en tout temps cherche à
retourner à son centre, que les nuages qui sont des vapeurs chaudes & humides,
ou des météores qui sont composés de feu ou d’eau, montent jusqu’à la seconde
région de l’air, où le feu quitte l’eau pour monter plus haut ; & ainsi l’eau
n’ayant plus ce feu qui la soutenait en forme de vapeur, & venant à s’épaissir,
est contrainte de retomber en forme de pluie.

Remarquez ici le cercle que fait la nature, par le moyen de cet esprit universel
que nous avons décrit ; car comme sa puissance est bornée, & qu’elle ne crée ni
ne produit rien de nouveau, aussi ne peut-elle créer ni détruire aucune
substance : par exemple, les continuelles influences du ciel & de ses astres,
produisent incessamment le feu ou la lumière spirituelle, qui commence à se
corporifier premièrement en l’air, où il prend l’idée de sel hermaphrodite, qui
tombe après dans l’eau & dans la terre, où il se revêt du corps de minéral, de
végétal ou d’animal, par le caractère & l’efficace d’une matrice particulière, qui
lui est imprimé par l’action du ferment ; & lorsque ce corps se dissout par le
moyen de quelque puissant agent, son soufre, son feu ou la lumière corporifiée
s’épure de manière, que les astres l’attirent pour leur nourriture, parce que les
astres ne sont autre chose qu’un feu, qu’un soufre, ou qu’une lumière actuée
qui est très pure ; il en est de même que de la mèche de la lampe, qui étant
allumée, attire & élève continuellement l’huile pour l’entretien de sa flamme ;
les astres attirent de même ce feu, qui est épuré par cette action, & le
spiritualisent de nouveau pour l’influer derechef & pour le rendre à l’air, à l’eau

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& à la terre, qui le recorporifient : ainsi vous voyez que rien ne se perd dans la
nature, qui s’entretient par ces deux actions principales, qui sont, spiritualiser
pour corporifier, & corporifier pour spiritualiser. C’est ce que nous avons déjà
dit ; & ce sont comme deux échelles par où les influences descendent en bas, &
qui ensuite remontent en haut ; car sans cette circulation, les vertus des deux ne
seraient pas de si longue durée, & s’épuiseraient tous les jours par l’envoi
perpétuel de tant de fertilités, à moins que nous n’admettions sans nécessité
une création & une destruction continuelle des substances sublunaires, ce qui
ferait établir de nouveaux miracles ; & comme cela est ordinaire, il se pourrait
appeler miracle fans miracle, ce qui serait une contradiction manifeste.

Quelle source croyez-vous qui peut fournir de matière à ce grand embrasement


du Mont Gibel, qui dure depuis tant de siècles, sans cette circulation de la
nature. Et qui ferait couler depuis tant de temps les fontaines minérales, qui
sont chaudes & acides, si ce n’est par le moyen de ces admirables échelles ?
Voilà pourquoi il ne faut pas croire qu’il soit impossible de pouvoir faire passer
tout un corps en esprit, & remettre ensuite ce même esprit en corps ; vous savez
que l’art appliquant l’agent au patient, peur faire en peu de temps ce que la
nature ne pourrait faire dans un très grand intervalle, et parce que la circulation
artificielle, qui se faisait dans un sépulcre antique qui sur ouvert à Padoue au
quatorzième siècle, représente assez bien la circulation naturelle, dont nous
avons parlée ; il sera très à propos d’en rapporter l’histoire en peu de mots.

Appian dit dans son Livre des Antiquités, qu’on trouva un monument fort
antique dans la ville de Padoue, dans lequel on vit, après l’avoir ouvert, une
lampe ardente, qui avait été allumée plusieurs siècles auparavant, comme le
témoignaient les inscriptions de ce monuments Or cela ne se pouvait faire que
par le moyen de la circulation, comme il est facile de le conjecturer : il fallait que
l’huile qui était spiritualisée par la chaleur de la mèche ardente dans cette urne,
se condensât au haut & qu’elle retombât après dans le même lieu d’où elle avait
été élevée, la mèche pouvait être faite d’or, de talc, ou d’alun de plume, qui sont
incombustibles, & cette urne était si exactement & si justement fermée, que la
moindre particule des vapeurs huileuses ne pouvoir s’en échapper.

SECTION TROISIEME.

De l’Elément de l’Air.

Les Philosophes ont douté fort longtemps s’il y avait un air, & si cet espace dans
lequel les animaux se promènent, n’était pas vide de toute substance. Mais
l’usage des soufflets, & la nécessité de la respiration, ont enfin aboli cette erreur.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 48

C’est pourquoi les Chimistes & les Péripatéticiens n’ont aucune contestation
entre eux sur existence & le lieu de cet élément ; mais ils ne sont pas d’accord
sur ses usages : car les derniers font entrer l’air dans la composition des mixtes,
ce que nient absolument les premiers, à cause qu’il ne tombe pas sous leur sens
dans la dernière résolution du composé. Le principal usage que les Chimistes
donnent à cet élément, est de lui faire servir de matrice à l’esprit universel, &
c’est dans cette matrice qu’il commence à prendre quelque idée corporelle,
avant que de se corporifier tout à fait dans les éléments de l’eau & de la terre
qui produisent les mixtes qui sont les fruits des éléments. Et parce que nous ne
voyons point d’élément qui ne produise ses fruits, quelques-uns ont voulu dire
que les oiseaux étaient les fruits de l’air ; mais à tort, car quoique ces animaux
soient volatils, cependant ils ne peuvent se passer de la terre pour leur
génération, ni pour leur nourriture. Ceux qui soutiennent que les météores sont
les vrais fruits de l’air, ont beaucoup plus de raison ; puisque c’est dans la
région de l’air qu’ils prennent leur vraie idée météorique.

Quelques-uns appellent Chormancie, la doctrine & la connaissance de la nature


de cet élément, de ses effets & de ses fruits mais elle doit être nommée
Æromancie : car la Chormancie est quelque chose de plus universel & de plus
général, puisque c’est la science du chaos, c’est-à-dire, de cette très grande
matrice d’où le Créateur a tiré tous les éléments, c’est le tohu bohu ou le hylé
des Cabalistes, qui est appelé eau dans l’Ecriture Sainte, lorsqu’il est dit que
esprit de Dieu couvait les eaux, Spiritus Domini incubat aquis.

Mais on peut demander ici, si ce que nous avons dit ci-dessus, est vrai, savait
que les éléments ne peuvent que très difficilement quitter leur nature pour se
revêtir de celle d’un autre élément. Comment dit-on que l’air est l’aliment du
feu, & qu’il lui est en effet si nécessaire, qu’il s’éteint aussitôt qu’on lui ferme le
passage de l’air ? La réponse est aisée. Comme nous avons déjà montré que le
feu de nos foyers n’est pas pur, puisque la matière allumée jette quantité de
vapeurs & d’excréments fuligineux, qui nuisent à l’entretien du feu, c’est
pourquoi il a besoin d’un air continuel, qui écarte toute cette matière
fuligineuse, sans quoi elle étoufferait la flamme. Ainsi vous voyez en quel sens
on doit prendre cette conversion, ou cette nourriture imaginaire, & même en
quoi la vraie Philosophie diffère de la fausse.

On peut faire encore une question touchant la respiration des animaux : savoir,
si l’air qu’ils aspirent, ne leur sert purement & simplement que de
rafraîchissement, comme le disent communément les Philosophes, qui se

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 49

contentent de savoir ce que leurs Maîtres leur ont enseigné, & qui pour toute
raison allèguent leur autorités.

Mais ceux qui examinent la chose de plus, près, disent que cet air a encore un
autre usage, qui est beaucoup plus excellent & plus nécessaire, qui est d’attirer
par ce moyen l’esprit universel, que les cieux influent dans l’air, où il est doué
d’une idée toute céleste, toute spirituelle & remplie d’efficace & de vertu, il se
métamorphose dans le cœur en esprit animal, où il reçoit une idée parfaire &
vivifiante, qui fait que l’animal peut exercer par son moyen toutes les fonctions
de la vie : car cet esprit qui est dans l’air que nous respirons, subtilise &
volatilise tout ce qu’il peut y avoir de superfluités dans le sang des veines & des
artères, qui sont la boutique & la matière des esprits vitaux & animaux. C’est
par la force & par la vertu de cet esprit, que la nature se décharge des
immondices des aliments, qui passent jusque dans les dernières digestions, par
la transpiration qu’elle fait continuellement à travers des pores. Cela parait
même dans les plantes, quoique ce soit assez obscurément ; car encore quelles
n’aient point de poumon, ni aucun autre organe pour la respiration, cependant
elles ne laissent pas d’avoir quelque chose d’analogue, qui est leur aimant
attractif, que quelques-uns appellent leur magnétisme, par lequel elles attirent
cet esprit qui est dans l’air, sans quoi elles ne pourraient faire leurs opérations,
comme se nourrir, croître & engendrer : ce qui se voit manifestement, lorsqu’on
les couvre de terre ; alors on leur ôte le moyen d’attirer cet esprit vivifiant qui
l’anime ; ce qui fait qu’elles meurent incontinent comme suffoquées.

SECTION QUATRIEME.

De l’Elément de l’Eau.

Les plus habiles & les plus éclairés des anciens Philosophes ont crû que l’eau
était le premier principe de toutes choses, parce quelle pouvait engendrer les
autres éléments, selon leur opinion, par sa raréfaction ou par sa condensation.
Mais comme nous avons montré que ce changement est impossible, il faut par
conséquent philosopher d’une autre manière. Nous ne considérons pas en cet
endroit l’eau comme un principe qui constitue & qui compose le mixte : car
nous en avons parlé selon ce sens, lorsque nous avons traité du phlegme ; mais
nous en parlerons comme d’un vaste élément qui concourt à la composition de
cet Univers, qui contient en soi une grande quantité de matrices particulières,
qui produisent une belle & agréable diversité de fruits : premièrement des
animaux, qui sont les poissons, & toutes sortes d’insectes aquatiques :
secondement : des végétaux, comme la lentille d’eau, de qui la racine est dans
l’eau même, & finalement des animaux, comme les coquillage les perles & le sel
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 50

qu’elle charrie en abondance dans la terre pour la production des fruits de cet
élément. L’eau est donc la seconde matrice générale, où l’esprit universel prend
l’idée de sel, qui lui est envoyé de l’air, qui l’a reçu de la lumière & des cieux,
pour la production de toutes les choses sublunaires. Paracelse appelle la Science
de l’eau, Hydromancie.

SECTION CINQUIEME.

De l’Elément de la Terre.

Nous avons parlé dans la dernière Section du Chapitre précédant, de la terre,


comme d’un principe qui faisait partie de la mixtion du composé, & qu’on
voyait après sa dernière résolution : mais il faut que nous en traitions ici comme
du quatrième & du dernier élément de cet Univers.

La terre est, à cet égard, comme le centre du monde, auquel aboutissent toutes
ses vertus, ses propriétés & ses puissances. Il semble même que tous les autres
éléments ont été créés pour l’utilité de la terre, car ce qu’ils ont de plus exquis,
est pour son service : ainsi le Ciel court incessamment pour lui fournir l’esprit
de vie, pour la dépense & pour l’entretien de sa famille ; l’air est dans un
mouvement perpétuel pour la pénétrer jusque dans le plus profond de ses
parties, & cela pour lui fournir le même esprit de vie qu’il a reçu du Ciel, &
l’eau ne repose jamais pour l’imbiber, & pour lui communiquer ce que l’air lui
donne. Tellement que tout travaille pour la terre, & la terre ne travaille aussi
que pour ses fruits, qui sont ses enfants, puisqu’elle est la mère de toutes
choses. Il semble même que l’esprit universel affectionne plus la terre qu’aucun
autre des éléments, puisqu’il descend du plus haut des Cieux où il est en son
exaltation, pour venir se corporifier en elle.

Or le premier corps que prend l’esprit universel, est celui de sel hermaphrodite,
duquel nous avons parlé ci-dessus, qui contient généralement en soi tous les
principes de vie : il n’est pas privé du soufre ni du mercure, car il est la semence
de toutes les choses, qui se corporifient ensuite, & prend l’idée & la qualité des
mixtes par la vertu des caractères des matrices particulières, qui sont encloses
dans l’intérieur de ce grand élément. S’il rencontre une matrice vitriolique, il se
fait vitriol ; dans celle du soufre, il devient soufre, & ainsi des autres, & cela par
l’efficace des diverses fermentations naturelles. Dans la matrice végétale, il se
fait plante ; dans une minérale, il devient pierre, minéral & métal ; & dans
l’animale, vivante ou non vivante, il produit un animal, comme cela se voit
dans la génération des animaux, qui sont produits par la corruption de quelque
animal, ou de quelque autre mixte. Les abeilles, par exemple, sont engendrées

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 51

des taureaux, & les vers de la corruption de plusieurs fruits : or comme il y a un


grand nombre de mixtes différents, aussi y a-t-il une grande variété de matrices
particulières, ce qui occasionne souvent des transplantations en toutes les
choses ; mais cela regarde plutôt la Physiologie Chimique que celle de ce Cours,
où nous ne traitons les choses que généralement, parce que nous n’avons pas le
temps de les particulariser.

On appelle Géomancie, la science particulière de cet élément & de ses fruits.


Nous avons par cette science la connaissance de ce que la nature opère, tant
dans ses entrailles, que sur sa surface : ses fruits sont les animaux, les végétaux
& les minéraux ; si ces mixtes sont composés des principes de vie les plus purs,
ils sont alors d’une longue durée, selon la nature & leur condition, & peuvent
parvenir jusqu’au terme de leur prédestination naturelle, à moins que quelque
cause occasionnelle externe ne les empêche d’aller jusqu’au bout de leur
carrière ; mais lorsque le hasard mêle dans leur première composition, ou dans
leur nourriture, quelqu’un des principes de mort ou de destruction, ils ne
peuvent subsister longtemps, & ne peuvent achever la carrière qu’ils avaient à
remplir, parce que ces ennemis domestiques les dévorent & les consument
incessamment, comme nous le ferons voir, quand nous parlerons du pur & de
l’impur : mais avant que d’entrer dans cette matière, il faut que nous disions
quelque chose de ces principes de mort ou de destruction.

CHAPITRE V.

Des principes de destruction.

SECTION PREMIERE.

De l’ordre de ce Chapitre.

Comme nous avons à traiter du pur & de l’impur, dans le Livre qui suivra ce
Chapitre, & que les principes de mort sont en quelque façon contenus sous ce
genre, je trouve aussi très à propos de terminer ce premier Livre par le discours
de ces principes, quoiqu’ils ne doivent pas, à proprement parler, être qualifiés
de ce nom, car les principes doivent toujours composer, & ne doivent jamais
détruire.

Nous avons montré que les principe pouvaient être considérés de trois
manières, savoir, ou avant la composition du mixte, ou pendant la composition,
ou finalement après sa dissolution & sa destruction. Nous pouvons dire ici des
principes de mort, ce que nous avons déjà dit des principes de vie. Mais parce

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 52

que les contraires éclatent davantage, & font mieux connaître la différence de
leur nature, lorsqu’ils sont opposés les uns aux autres ; nous dirons encore
succinctement quelque chose des principes de vie avant la composition du
mixte, afin de faire mieux connaître la condition des principes de mort, lorsque
nous en parlerons dans la troisième section ; car nous réservons à parler de
leurs effets, lorsqu’ils sont déjà corporifiés dans les mixtes, quand nous
traiterons du pur & de l’impur.

SECTION SECONDE.

Des principes de vie avant la composition.

Nous avons dit souvent que l’esprit universel, qui est indifférent à devenir tel
être particulier, n’est déterminé que par le caractère des matrices où il s’insinue
; & d’autant que chaque élément est rempli de ces matrices, chacun d’eux
contribue aussi quelque chose du sien pour la perfection du composé. Le Ciel
lui communique par ses astres, sa vertu céleste, spirituelle & invisible, qu’il
envoie dans l’air, où elle commence à se corporifier en quelque façon ; l’air
ensuite l’envoie dans l’eau ou dans la terre, où elle opère & se lie à la matrice
pour se former un corps, par le moyen des diverses fermentations naturelle, qui
causent les changements aux choses ; parce que cet esprit est le véritable agent
& la véritable cause efficiente interne de ces fermentations, qui se font dans la
matière, qui de soi est purement passive, d’autant que cet esprit en est l’archée
& le directeur général. Car lorsqu’il est mêlé & uni dans le corps qui nous le
couvre sous son écorce, il ne peut manifester, ni produire les merveilleux effets
qu’il recèle en soi, parce qu’il est emprisonné, & qu’il ne pourra jamais exercer,
ni montrer ses vertus, s’il n’est premièrement délivré des liens de la corporéité
& de la grossièreté de la matière. C’est donc à quoi la Chimie travaille avec tant
de peines, de soins & d’étude, pour faire connaître les belles vérités de cette
science naturelle.
Or comme cet esprit universel est le premier principe de toutes les choses, que
tout vient de lui, & que tout retourne à lui ; cela prouve évidemment qu’il doit
être nécessairement le premier principe de la vie & de la mort de tous les êtres,
ce qui n’enveloppe aucune contradiction, parce que cela se fait à divers égards.
Comme la diversité des composés requiert une diversité de substances pour
leur entretien, il y a aussi une diversité de matrices dans les éléments pour
fabriquer ces diverses substances, & c’est de là que procède, que ce qui sert à la
vie de l’un, est bien souvent la destruction & la mort de l’autre : par exemple,
un principe corrosif sera la mort d’un mixte doux, & au contraire le principe
doux sera la mort du corrosif, puisqu’il lui ôte son acrimonie, qui constituait
son essence & sa différence.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 53

Mais à parler absolument, il parait que ce premier principe idéifié de telle ou


telle façon, ne peut être nommé principe de vie ou de mort : on ne le peut dire
que respectivement, eu égard à tel ou tel mixte. Mais parce que la plus grande
partie des choses douces servent à l’entretien de l’homme, parce qu’elles sont
selon son goût, & qu’elles participent plus de quelques substances qui sont
analogues à sa nature ; il est arrivé de-là que lorsque l’esprit universel est
déterminé à cette douceur, il prend alors le nom de principe de vie ; comme au
contraire il prend celui de principe de mort, s’il est fixé à une idée corrosive, qui
nuise non seulement aux actions de l’homme, mais qui fasse pareillement tort à
celles des mixtes, qui servent à sa nourriture, & dont il tire sa subsistance.

Ainsi il arrive que l’air est rempli d’influences & de vapeurs arsenicales,
réalgariques & corrosives, qui souvent causent la mort des hommes par la
nécessité de la respiration. Cependant, comme ces esprits ne sont pas influés à
ce dessein, & cela ne se fait que par un pur accident ; aussi ne peuvent-ils être
absolument appelés principes de mort, puisqu’ils sont envoyés par la nature
pour la génération & pour l’entretien des arsenics, des réalgars & des autres
mixtes corrosifs, qui font partie des êtres sublunaires, aussi-bien que l’homme,
& qui ont été créés par la sagesse du souverain Maître de l’univers pour une
meilleure fin, quoique plusieurs ne la reconnaissent pas ; car la nature & l’art se
servent de ces mixtes, & les rendent utiles à l’homme. Il ne faut donc pas pour
cela appeler la nature, marâtre envers l’homme, puisque Dieu lui a donné les
moyens & la connaissance de pouvoir éviter ces mauvaises & malignes
influences. Pour donc nous accommoder à la manière ordinaire de parler, nous
dirons que les principes de vie ne sont autre chose avant la composition du
mixte, que l’esprit universel, en tant qu’il aura pris l’idée des principes bénins à
la nature humaine, & qu’il portera dans le centre de son sel hermaphrodite, un
soufre modéré, un mercure tempéré, & un sel doux ; & au contraire les
principes de mort ne sont que ce même esprit, qui porte en son même sel
hermaphrodite un soufre âcre, un mercure mordicant, & un sel corrosif, comme
nous le dirons en la section suivante.

SECTION TROISIEME.

Des principes de mort.

Je répète encore une fois, que quand nous disons que ces principes sont contre
nature, nous n’entendons pas la nature en général, mais nous entendons
seulement la nature humaine ; parce qu’il arrive souvent que ce qui est poison à
une espèce, sert d’aliment à l’autre, ainsi la ciguë nourrit les étourneaux, & tue
les hommes.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 54

Cette maxime établie, je dis que toute chaleur, ou plutôt que toute substance
chaude, âcre, mordicante & corrosive, qui détruit & qui consume, est telle, parce
qu’elle contient en soi un soufre contre nature, & que c’est de ce soufre que
découlent, comme de leur source, toutes les propriétés & les vertus du mixte, où
ce soufre impur prédomine. Si la vie tire sa source d’un soufre tempéré, doux,
naturel & vital ; si cette vie est suivie d’une longue conservation par les
propriétés essentielles de ce soufre ; il faut conclure de-là nécessairement, que
celui qui est d’une nature opposée, doit être suivi de la mort & de la
destruction. Tous les arsenics, les réalgars, les orpins, les sandaraques, & tous
les autres venins chauds & de nature ignée, quoiqu’ils soient célestes ou aériens,
aquatiques ou terrestres, tous ces venins, dis-je, sont tels par les seules actions &
par les seules propriétés de ce soufre contre nature.

Notre but n’est pas de parler ici des principes, qui sont contraires à la nature
humaine, lorsqu’ils sont déjà corporifiés, & qu’ils composent quelqu’un de ces
mixtes venimeux, parce que nous réservons à nous en expliquer dans le Livre
suivant. Nous ne traiterons ici de ces principes, qu’autant qu’ils sont encore
spirituels, & qu’ils descendent des astres par le moyen de l’esprit universel.
Quoique ce principe soit unique à cet égard, il a néanmoins trois dénominations
différentes. Nous avons déjà marqué que le soufre, c’est-à-dire le chaud, ne
peut être sans mercure, qui est l’humide, ni sans sel, qui sert de liaison à l’un &
à l’autre : il s’ensuit de là qu’il faut un mercure mordicant, & un sel corrosif &
caustique pour la subsistance d’un soufre qui est âcre ; comme il faut de même
un mercure tempéré & un sel doux pour la conservation d’un soufre modéré.
Ces trois principes sont toujours unis & joints très étroitement ensemble, soit
qu’on les considère comme principes de vie, ou comme principes de mort. Si
nous en parlons quelquefois séparément, ce n’est que pour en mieux faire
comprendre la nature & les effets, parce qu’il y a toujours l’un de ces principes,
qui se rend supérieur aux autres, & qui rend ses actions manifestes, cachant &
rebouchant les effets & la vertu des deux autres, quoiqu’ils ne laissent pas
d’agir par leur union avec celui qui prédomine : par exemple, quand le mercure
de mort agit, le soufre contre nature & le sel corrosif ne cessent pourtant pas
leur action, quoiqu’elle ne paraisse pas, à cause de celle du principe qui
prédomine, car a potiori sumitur denominatio.

Or, de même que le soufre de mort se manifeste dans les arsenics, réalgars,
orpins, &c. le mercure de mort se manifeste aussi dans tous les narcotiques ; &
ce n’est pas sans raison que nous avons dit que ces poisons n’étaient pas
seulement terrestres, mais qu’ils étaient aussi aériens : car il y a beaucoup de ce
mercure malin dans tous les éléments, qui n’est pas encore spécifiée dans aucun

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 55

individu, mais qui voltige & qui demeure volatil ; & lorsqu’il surabonde, il
cause un nombre infini de maladies épidémiques, pestilentielles &
contagieuses. Que si les venins, qui sont individués, & qui sont déjà corporifiés,
ne l’attiraient pour leur nourriture, cela causerait un grand dégât & un grand
désordre dans le monde.

Or, comme le sel est le principe qui cause la corporification en toutes choses, &
que c’est lui qui rend le soufre & le mercure visibles & palpables, à cause de
l’alliage qu’il en fait ; le sel corrosif corporifie aussi les deux autres principes de
mort, & les rend visibles par le moyen du corps qu’il leur donne : autrement ces
substances demeureraient invisibles dans l’esprit universel, si elles n’étaient
rendues visibles & corporelles par l’action du sel ; & c’est par ce moyen que
nous trouvons véritable la maxime si importante de ce grand Philosophe, qui
dit que, quod est occultum, sitmanifestum, & vice versa. La violence & la malignité
de ce sel de mort ne se manifeste guère visiblement dans les choses naturelles :
mais lorsque l’art a travaillé sur un ou plusieurs mixtes, c’est alors que l’action
parait, comme cela se voit dans les sublimés corrosifs, dans les eaux fortes, dans
le beurre d’antimoine & dans plusieurs autres choses, qui sont de cette nature.
C’est par le moyen d’un sel de sembla nature que les cancers, les gangrènes, les
écrouelles, & tous les autres ulcères rongeants, sont engendrés en l’homme : ce
qui est contre le sentiment de ceux qui accusent de ces défauts les humeurs
acres & mordicantes, qui n’ont qu’un fondement chimérique dans la nature des
choses, comme nous le ferons voir dans le Livre suivant, où nous montrerons
par quelle voie ces principes de mort entrent dans l’homme.

Fin du premier livre.

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LIVRE SECOND.

Du pur & de l’impur.

CHAPITRE PREMIER.

Ce qu’est le pur ou l’impur.

Les mots de pur & d’impur peuvent être pris en diverses façons ; car quelques-
uns entendent par le pur, ce qui est utile & profitable à l’homme ; & par l’im-
pur, ce qui lui est nuisible. D’autres veulent que ce qui est homogène, soit pur,
& que tout ce qui est hétérogène, soit impur ; mais il se peut faire que
l’hétérogène sera profitable, & que l’homogène sera nuisible. On peut recueillir
de là que rien ne peut être dit pur ou impur, en parlant absolument, & que cela
ne se peut dire que par comparaison d’une chose à l’autre. Car, comme nous
avons déjà marqué ci-dessus, il se peut faire que ce qui sera nuisible à l’un,
pourra profiter à l’autre. Par exemple, ne serait-ce pas une opinion bien
absurde, de croire que les os des animaux fussent impurs, à cause que les
hommes ne les mangent pas, & qu’il n’y eût que la chair qui fut pure, parce que
les hommes en font leurs délices, quoique ces mêmes os soient absolument
nécessaires aux animaux, sans quoi ils ne seraient pas ce qu’ils sont, puisque les
os sont la plus solide partie de leur être ?

Nous ne prendrons pas ici le pur ni l’impur selon ces idées ; mais nous
entendrons par le pur, tout ce qui dans le mixte peut servir à notre but & à notre
dessein : comme au contraire, nous entendrons par l’impur, tout ce qui
s’oppose à notre intention. Car quoiqu’il y ait beaucoup de parties dans les
mixtes qui sont nuisibles à l’homme, cependant en parlant absolument ou
respectivement, eu égard au même mixte, les parties de ce composé ne peuvent
être dites impures, vu qu’elles sont de l’essence de ce mixte, ou qu’elles con-
stituent son intégrité; de plus, ces parties-là ne peuvent être nuisibles à l’homme
que conditionnellement, puisque rien ne l’oblige de s’en servir.

Le pur & l’impur sont considérés en ce sens, ou dans l’homme ou hors de


l’homme. L’impur qui se trouve dans l’homme, trouble & empêche son
intention, qui est de jouir d’une pleine & entière santé sans aucune
interruption : ce qu’il fait aussi hors de l’homme, puisque nous posons qu’il faut
qu’il entre nécessairement en lui. Voici donc la différence qui est entre l’un &
l’autre de ces impurs, c’est que celui du dedans agit immédiatement par sa
présence, & que l’autre n’est considéré que comme absent, qui cependant doit

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 57

être présent quelque jour ; parce que, comme l’homme a nécessairement besoin
de respirer & de se nourrir ; aussi ne peut-il échapper l’action de l’impur, qui se
rencontre dans l’air & dans les aliments, comme nous le ferons voir ci-après ; de
sorte que nous montrerons que ce que quelques-uns appellent le pur, contient
encore néanmoins en soi beaucoup d’impuretés.

CHAPITRE II.

Comment le pur & l’impur entrent dans toutes les choses.

Il y a un sel, un soufre, & un mercure dans chaque mixte, comme nous l’avons
dit ci-dessus. Or tout mixte qui est parfaitement composé, est ou animal, ou
végétable, ou minéral. De là nous recueillons, que comme les uns servent
d’aliment aux autres, ce qui parait par le changement des minéraux en
végétaux, & des végétaux en animaux, & même des animaux en végétaux &
minéraux ; aussi y a-t-il en chaque mixte, un sel, un soufre & un mercure, qui
est animal, végétable & minéral, qui leur vient de l’esprit universel. Car tout ce
qui se nourrit, l’est par son semblable, & le dissemblable est chassé dehors
comme un excrément ; que si la faculté expultrice n’est pas assez puissante pour
cet effet, il demeure beaucoup d’excréments dans les composés, ce qui cause
beaucoup de maladies minérales dans l’homme, que la médecine commune ne
connaît pas, & qu’elle ne peut par conséquent traiter méthodiquement.

Or ce que je dis, se fait de cette sorte. Lorsque les aliments sont entrés en
l’homme, & que la digestion a fait la séparation des différentes parties des
mixtes qui servent à sa nourriture ; alors chaque partie attire de cet aliment &
de ses principes animaux, ce qui est analogue & propre à chacune d’elles. Mais
pour ce qui regarde les autres principes, qui ne peuvent pas être rendus
semblables à notre substance, & qui ne substantent pas notre vie, la nature les
chasse dehors par le service que lui tend la faculté expultrice ; mais si cette
servante est affaiblie, ou surchargée par quelque cause occasionnelle externe, ou
par quelque désordre interne de l’archée, directeur de notre vie & de notre
santé ; alors ces excréments se coagulent, ou se volatilisent selon l’idée qu’ils
prennent par la fermentation naturelle , qui est viciée par ce désordre, & c’est
par ce défaut que toutes les minières des maladies sont engendrées. Ce qui fait
que ces maladies ne peuvent être chassées que par ceux qui connaissent bien
premièrement la nature du vice du ferment ; & en second lieu, qui connaissent
aussi le remède propre & spécifique, qui peut remettre notre nature, & qui peut
apaiser les irritations des esprits, qui sont causées ordinairement par la
mauvaise fermentation. Car si le ferment ou le levain est coagulatif, il faut

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 58

connaître un dissolvant spécifique, qui ne blesse point le ventricule ; que s’il est
dissolvant, & qu’il fasse une colliquation mauvaise des aliments & des parties, il
faut aussi que celui qui veut guérir, connaisse le remède capable de réparer ce
défaut & de corriger ce désordre. C’est de là que viennent les redoublements
des fièvres & la suite des accès, nonobstant l’usage de beaucoup de remèdes,
qui ne les peuvent empêcher, parce qu’on ne connaît pas les effets de la bonne
ou de la mauvaise fermentation.

Que si nous avions le loisir de nous étendre ici sur plusieurs questions, qui sont
belles & curieuses ; cette philosophie nous apprendrait encore la cause de
plusieurs effets que les hommes ignorent. J’en donnerai pourtant un échantillon
en passant, sur la question qui se fait d’ordinaire ; savoir pourquoi les hommes
étaient beaucoup plus robustes, & vivaient sans comparaison beaucoup plus
longtemps avant le déluge, qu’après cette inondation universelle. Nous
pouvons rendre deux raisons, ou marquer deux causes de cet effet & de ce
merveilleux changement, suivant ce que^ nous avons dit ci-dessus. La première
est, que comme le monde était dans son commencement, aussi n’y avait-il
encore aucune altération, ni aucun changement dans les choses ; cette altération
n’est vertue, que par les divers mélanges & par les diverses mutations qui ont
été introduites dans les composés, en suite de la malédiction que le péché
mérita. La seconde raison se tire de ce que les eaux, qui sont les matrices
universelles de plusieurs minéraux, & particulièrement celles des sels, n’avaient
pas encore couvert toute la terre, & par conséquent n’avaient pas encore
communiqué les semences minérales à la nourriture de la famille des végétaux,
ce qui a vicié leur vertu, & a même changé en quelque façon leur première
nature. Donc la famille des animaux a été rendue participante de ce défaut, à
cause qu’ils se nourrissent des végétaux : comme cela parait principalement
dans la vigne qui abonde en tartre, qui est son sel, & que ce tartre soit une
espèce de minéral ; cela parait par son action, qui travaille puissamment sur les
minéraux, & qui agit avec grande efficace sur les métaux, puisque toute action
se fait par son semblable, & qu’il faut qu’il y ait quelque rapport de l’agent au
patient ; mais afin de ne point donner lieu ici à beaucoup d’objections, je
n’entends parler en cet endroit-ci, que d’une similitude générique.

Après avoir expliqué ces choses, il est facile d’entendre ce que c’est proprement
que l’impur : ce sont des principes de différente nature, qui sont mêlés avec
d’autres principes qui ne sont pas de leur famille, ni de leur catégorie : comme
lorsque les minéraux s’unissent en quelque façon avec les animaux, ou avec les
végétaux. Il est plus aussi très aisé de connaître comment le pur se fourre dans
toutes les choses, par l’opposition qu’on fera de ce que nous avons dit de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 59

l’impur. Mais à présent il est nécessaire de montrer, comment on peut retirer &
chasser l’impur, puisque c’est un principe de mort & de destruction, comme le
pur est un principe de vie, ainsi que nous l’avons dit ci-dessus.

CHAPITRE III.

Comment on sépare l’impur de toutes les choses.

Nous avons dit que l’impur était ce qui pouvait interrompre la perfection des
actions, qui conduisent le mixte jusqu’à sa prédestination naturelle ; il est donc
très nécessaire de savoir le moyen de le délivrer de cet ennemi domestique, qui
se glisse insensiblement dans les composés. Or comme les mixtes sont sous
divers genres & sous des espèces différentes, & qu’il y a plusieurs sortes
d’impur ; les hommes ont aussi inventé plusieurs Arts, pour ôter & pour
corriger toutes les différences de ces impuretés. Et comme la Chimie a pour
objet en général toutes les choses naturelles; aussi s’efforce-t-elle de montrer,
comment on les pourra toutes garantir de ce qu’elles ont d’impur : mais parce
que ce serait passer les bornes d’un abrégé, que d’entreprendre de particulariser
toutes les parties de cette doctrine, nous nous contenterons seulement de parler
des impuretés qui se rencontrent dans les opérations chimiques : car ce n’est
pas notre dessein de traiter ici de l’Iatrochimie, ou Chimie médicale, qui seule
pourrait remplir plusieurs volumes. Remarquez seulement en passant, qu’il y a
deux voies pour chasser l’impur de toutes les choses. La première est
universelle, & l’autre est particulière. La première, est une médecine universelle
qui se tire, ou qui se peut tirer de plusieurs sujets, après les avoir réduits, autant
qu’il est possible à l’art, à leur universalité, après leur avoir ôté leur spécifi-
cation & leur fermentation naturelle, qui les avait fait être un tel ou tel mixte
déterminé ; car dès que cette médecine est réduite au plus haut degré de son
exaltation, par une digestion, par une coction & par une maturation requise ;
elle est capable de faire sortir l’impur de tous les corps indifféremment, parce
qu’elle consume insensiblement cet impur, tant par le moyen de la fixation, que
par celui de la volatilisation. La seconde, est une médecine particulière, qui peut
chasser par sa faculté & par sa vertu spécifique, une impureté particulière : ce
qui n’est pourtant pas de peu d’importance, puisque ces secrets ne se trouvent
que par ceux qui mettent la main à l’œuvre, & qui joignent un travail continuel
à une étude sans relâche ; qui raisonnent sur les choses après les avoir faites, &
qui ne les hasardent sur les malades, que par une expérience appuyée des
théorèmes infaillibles de la belle philosophie & de la véritable médecine.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 60

Pour revenir donc à nos opération nous avons déjà dit que l’Artiste sépara de
chaque mixte par le moyen du feu, cinq substances, ou cinq principes différents,
qui, quoique très purs, peuvent être néanmoins dits impurs à divers égards, soit
à l’égard l’un de l’autre, soit à l’égard de notre intention.

Car si nous n’avons besoin que de l’esprit de quelque chose, & que cet esprit
soit mêlé avec quelque portion du phlegme de ce mixte, nous disons que cet
esprit est impur à cet égard, & ainsi des autres principes. Or, pour ce qui
concerne le moyen particulier de séparer ces sortes d’impuretés, nous en
traiterons au Livre suivant, & particulièrement au premier Chapitre du dernier
Livre, auquel nous renvoyons pour cet effet.

CHAPITRE IV.

Des substances pures qu’on tire des mixtes.

On peut encore tirer des mixtes des essences, outre les cinq substances, ou les
cinq principes que nous avons dit qu’on en tirait par le moyen du feu, & cela
par la diversité des opérations Chimiques, qui changent en mieux les mêmes
principes de ces mixtes, & qui les conduisent à leur pureté. Ces essences ne
seront pas seulement d’un corps tout à fait dissemblable de celui du composé,
dont elles sont tirées ; mais elles auront encore des qualités & des vertus
beaucoup plus efficaces que celles dont leur corps était orné durant son
intégrité ; elles en auront même beaucoup plus que pas un des principes de ce
même composé, après sa dissolution & après la séparation artificielle qui en
aura été faite. Mais quoique ces essences merveilleuses aient divers noms chez
les Auteurs, qui les appellent arcanes, magistères, élixirs, teintures, panacées,
extraits & spécifiques ; elles sont néanmoins comprises sous le mot général de
pur. Cela se dit de la sorte, parce qu’après avoir tiré ces essences des mixtes, on
rejette ordinairement le reste comme impur, Paracelse dit en son premier Livre
des Archidoxes, que les six préparations suivantes ; à savoir, les essences, les
arcanes, les élixirs, les spécifiques, les teintures & les extraits, sont contenus
dans le mystère de nature, qu’il appelle le pur, & cela très savamment selon le
mot grec Πυρ, qui signifie le feu ; comme s’il eut voulu insinuer que ces
essences sont rapprochées, & comme rendues semblables à leur premier
principe, qui est de la nature du feu, puisque la lumière qui n’est que feu, est le
premier principe de tous les êtres. Il appelle aussi an même lieu le corps,
l’impur, qui retient ce mystère en prison : c’est pourquoi il dit, qu’il faut
dépouiller ce mystère de toute corporelle, si l’on veut en jouir, ce qui sera
montré dans la seconde Partie de ce Traité. Mais il est nécessaire de remarquer

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 61

ici, que lorsque Paracelse dit qu’il faut dépouiller ce mystère de son corps, il
prétend seulement qu’il lui faut ôter son corps grossier, dans lequel il est
emprisonné, pour lui en donner un plus subtil, dont il se puisse dégager &
spiritualiser aisément, afin qu’il soit capable de passer jusque dans nos
dernières digestions, & de corriger tous les défauts que l’impur peut y avoir
causés. On tire quelquefois ce mystère d’un seul mixte, comme le magistère ; on
le tire quelquefois de plusieurs composés, comme l’élixir, ainsi que nous le
montrerons ci-après.

Mais il ne sera pas hors de propos de faire un petit Traité des composés , tant
parfaits qu’imparfaits, & de leur variété, parce que nous en avons souvent parlé
dans ce Traité, & que nous en parlerons encore, puisque ces mixtes sont le sujet
& la matière des opérations chimiques ; afin que cela puisse servir, comme pour
la partie propre de la physique, à laquelle on pourra recourir pour bien savoir la
catégorie de chaque corps. Nous traiterons dans le dernier Chapitre de ce Livre,
de la génération & de la corruption naturelle corps & de leur variété.

CHAPITRE V.

De la génération & de la corruption naturelle des mixtes, & de leur diversité.

SECTION PREMIERE.

De l’ordre que nous tiendrons en ce Chapitre.

Pour bien entendre la nature des mixtes & de la mixtion, & pour comprendre
comment ils sont engendrés purs ou impurs, il est nécessaire de savoir
auparavant ce que c’est que l’altération, après quoi il faut savoir ce que c’est que
la génération & la corruption. C’est pourquoi il est bon de dire succinctement
quelque chose de la nature de l’altération, de la génération, de la corruption &
de la mixtion, avant que de faire la liste de tous les mixtes, tant parfaits
qu’imparfaits, qui sont les fruits de la nature, l’objet de la Chimie, & par
conséquent le sujet de ses opérations.

SECTION SECONDE.

De l’altération, de la génération, & de la corruption des choses naturelles.

Si vous voulez vous arrêter à l’étymologie de ce mot d’altération, vous


trouverez que ce n’est rien autre chose qu’un mouvement par lequel un sujet est
fait ou rendu différent de ce qu’il était auparavant : ou même, c’est un
mouvement par lequel un sujet est changé accidentellement dans ses qualités.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 62

C’est en cela que l’altération diffère de la génération ; car la génération est un


changement essentiel & substantiel, & l’altération n’est qu’un mouvement
accidentel des qualités. Ainsi l’altération n’est qu’une disposition & une voie,
pour parvenir à la génération ou à la corruption.

De là vient qu’il y a deux sortes d’altération. L’une qui est perfective, & l’autre
qui est destructive. Dans l’altération perfective, toutes les qualités gardent une
juste proportion, & une égale harmonie suivant la nature de leurs sujets, soit
pour leur conserver cette nature, soit pour leur en faire prendre une plus
parfaite. Mais dans l’altération destructive ou putréfactive, les qualités se
dérangent si fort, qu’elles éloignent tout à fait le sujet de sa constitution
naturelle : comme il arrive souvent aux corps fluides, qui ont une grande
quantité de phlegme ; par exemple, dans le vin, lorsqu’il commence à se
corrompre & à s ’éventer.

Voici donc la différence qui est entre altération & la génération ; c’est que
l’altération ne fait acquérir au sujet aucune nouvelle forme substantielle ; mais
ce qui est substance dans ce sujet, reçoit quelque qualité en soi, dont il était
destitué auparavant ; par exemple, lorsque le froid ou le chaud s’engendre dans
quelque plante, ou dans quelque animal. Mais la génération est un changement
de substance, qui présuppose non seulement la production de nouvelles
qualités, mais aussi celle de nouvelles formes substantielles, comme lorsque du
pain, il s’engendre du sang : le sujet ou la matière de ce pain n’est pas
seulement privée de la qualité du pain, mais elle est aussi privée de la forme
essentielle & substantielle du pain, pour se revêtir de la qualité & de la forme
du fang.

Remarquez néanmoins qu’on peut faire ici une question, à quoi il ne manqua
point de réponse, lorsqu’on fait manger quelque herbe médicinale à une
nourrice, pour communiquer la vertu de cette herbe à son lait : on demande, si
c’est la même qualité numérique, qui était dans l’herbe qui se trouve dans le lait
; la réponse est que non, quoique ce soit la même qualité spécifique, ou plutôt la
même qualité générique : car comme le lait & une plante sont de différents
genres, la différence de leur qualité devrait aussi être tout à faits générique.
Mais pour parler plus nettement de ces choses, disons plutôt avec Van
Helmont, que la vertu de la plante était enclose dans sa vie moyenne, qui ne
s’altère point, ni ne se corrompt pas par les digestions, & qu’ainsi elle a été
portée jusque dans le lait : sans nous amuser d’avantage aux chicanes
ordinaires de l’Ecole, qui produisent beaucoup plus de doutes qu’elles ne font
concevoir de vérités dans la physique. Vous apprendrez d’ici, comment la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 63

génération d’une chose fait la corruption de l’autre ; & au contraire, de quelle


manière la corruption fait la génération. C’est pourquoi nous ne dirons rien de
la corruption, parce que qui entendra bien l’une de ces choses, n’ignorera pas
l’autre : nous montrerons seulement en peu de mot, en quoi la génération & la
corruption diffèrent de la création & de l’anéantissement ou de la destruction.
La différence est, en ce que la génération & la corruption présupposent une
matière, qui doit être le sujet de ces diverses formes ; mais la création & la
destruction ne requièrent aucune matière ; car comme l’une est la production de
quelque chose tirée du néant, l’autre est aussi réciproquement l’anéantissement
de quelque chose créée. La génération & la corruption sont des mouvements de
la nature, & d’une cause seconde & finie : mais la création & la destruction, ne
peuvent venir que d’une cause infinie ; parce qu’il y a une distance infinie entre
l’être & le non être, entre quelque chose & rien.

Ces choses ainsi expliquées, venons à la mixtion, qui est double ; savoir, l’une
qui est impropre ou artificielle, & l’autre qui est propre ou naturelle.
L’impropre se prend pour une approche locale des corps de diverse nature, qui
sont confusément joints ensemble ; ainsi un monceau composé de froment &
d’orge, est dit improprement mixte. Cette mixtion artificielle, dans laquelle les
parties sont véritablement mêlées ensemble, mais sans altération, ni change-
ment de toute la substance, est encore double ; savoir, celle qui se fait par
apposition des parties, & celle qui se fait par la confusion. L’apposition se fait,
lorsque les choses, qui sont mêlées ensemble, sont divisées en si petites parties,
qu’à peine les peut-on apercevoir, comme lorsque les particules de l’orge & du
froment sont mêlées ensemble, après avoir été réduites en farine.

La confusion se fait, lorsque les choses qui sont mêlées, ne sont pas seulement
divisées en parties imperceptibles, mais qu’elles sont aussi tellement confuses
entre elles, qu’on ne saurait les séparer facilement, comme lorsque les Chartiers
mêlent de l’eau dans le vin, ou que les Apothicaires mêlent des drogues
ensemble, qui se fondent de telle sorte, qu’on ne saurait plus en discerner
aucune.

La mixtion naturelle & proprement dite, est une union étroite des substances,
de laquelle il résulte quelque chose de substantiel, qui est néanmoins distinct
des autres substances, qui la constituent par le moyen de leur altération. Car
par la conjonction des principes, il s’engendre un mixte, duquel la forme
principale est différente de celle de ses propres principes, comme on le voit par
la résolution de ce mixte, suivant la maxime d’Aristote, qui dit que : Quod est
ultimum in resolutione, id suit primum in compositione. Cette altération qui cause

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 64

l’unition, pour parvenir à l’union & à la mixtion, a été dépeinte, lorsque nous
avons parlé de la fonction du sel & de l’esprit, de l’action du phlegme & du
soufre, qui domptent l’acidité & l’acrimonie du sel & du mercure, & lorsque
nous avons dit que la terre donne le corps & la solidité à toutes ces diverses
substances ; c’est par le moyen de cette altération, de cette union & de cette
conjonction, que se forme & que se fait le composé naturel. Si on objecte
néanmoins que ces principes sont plutôt artificiels que naturels, on trouva la
réponse dans la première Section du troisième Chapitre du Livre précédent.

SECTION TROISIEME.

De la différence des mixtes en général.

Après avoir assez amplement discouru des substances simples, pures &
homogènes, que nous avons appelées du nom de principe ; après avoir éclairci
leurs diverses altérations devant leur union & devant leur mixtion, qui
achèvent la perfection du composé : il nous reste à parler des mixtes qui
résultent de cette action. Les mixtes sont parfaitement ou imparfaitement
composés, selon la force ou la faiblesse de l’union de leurs principes. Le corps
qui est imparfaitement composé, est celui qui n’a qu’une légère coagulation de
quelque principe, qui n’est pas de longue durée, & qui n’a point de maîtresse
forme substantielle, qui le rende différent essentiellement de ses principes,
comme la neige ou la glace, qui ne sont différentes de l’eau, que par l’adjonction
de quelques qualités étrangères. Le mixte parfait au contraire, est celui qui a
une forme substantielle principale, distincte des principes qui le composent en
suite de leur union parfaite, & qui est par conséquent de plus longue durée,
comme les minéraux, les végétaux & les animaux.

On appelle météores, les corps qui sont imparfaitement composés, dont la


différence est grande, selon la diversité des principes, dont ils abondent ; car il y
en a qui sont sulfureux, d’autres qui sont nitreux, & les troisièmes aqueux, &
ainsi des autres : il faut que nous en disions quelque chose, avant que de parler
des mixtes, qui sont parfaitement composés ; & en cela, nous imiterons la
nature, qui ne produit jamais de mixte parfait, qu’elle n’ait fait passer ses
principes par la nature météorique, comme nous le dirons ci-après, parce
qu’elle ne doit, ni ne peut passer d’une extrémité à l’autre, sans passer par
quelque milieu. Les météores sont appelés des corps imparfaitement mêlés, non
qu’ils aient la nature & la forme des mixtes ; mais parce qu’en gardant en
quelque façon la nature des principes, ils ne diffèrent pas néanmoins en
quelque sorte de l’état naturel de ces principes ; & c’est pour cela qu’ils
semblent être d’une condition & d’une nature moyenne entre les principes purs
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 65

& simples, & entre les corps qui sont parfaitement composés de ces mêmes
principes. Ils sont aussi dits mixtes imparfaits, à cause de leur soudaine géné-
ration, aussi bien que pour leur soudaine dissolution ; car comme la
coagulation, on la mixtion des principes est imparfaite dans ces corps, aussi ne
peuvent-ils être durables ; mais ils repassent soudainement & facilement en la
nature du principe, qui prédominait en eux. La cause matérielle éloignée de ces
mixtes imparfaits, ou de ces météores, sont les principes, comme la plus
prochaine, sont les fumées ou les esprits, auxquels ces mêmes principes sont
volatilisés & spiritualisés, par la vertu de quelque cause efficiente.

Mais remarquer ici, qu’il y a deux espèces d’esprits ou de fumées, qui sont bien
différentes l’une de l’autre : savoir, les vapeurs & les exhalaisons : la vapeur, est
un esprit ou une fumée chaude & humide, & qui par conséquent est produite
du phlegme, si elle est aqueuse ; de l’huile & du soufre, si elle est inflammable ;
ou du mercure, si elle est venteuse & spirituelle. L’exhalaison, est une fumée
chaude & séché, qui par conséquent est engendrée d’un corps terrestre & d’un
principe de sel. Il faut aussi prendre garde, que la vapeur est dite chaude &
humide, parce que l’eau est convertie en vapeur, & qu’elle est élevée en haut
par le moyen du feu qu’elle a en elle, & pour cette raison elle est appelée
météore, ou un corps imparfaitement composé de quelques principes. Pour ce
qui regarde la doctrine des météores en particulier, ceux qui seront curieux d’en
savoir le détail, liront les Auteurs qui en ont écrit expressément : car ce serait
passer les justes bornes d’un abrégé, tel que nous l’avons proposé dans l’Avant-
propos, d’en parler exactement dans ce Traité Chimique.

SECTION QUATRIEME.

De la diversité des mixtes parfaits.

Après avoir montré que la nature tend toujours à la corporification, & à la


spiritualisation des mixtes & des principes, par le moyen de l’esprit universel, &
par la vertu du caractère des matrices particulières ; ce qui se fait par
l’opération du ferment, & par l’impression de l’idée une fois reçue : il faut aussi
parler de ces mixtes, qui sont engendrés, comme nous l’avez déjà dit plusieurs
fois, par le seul esprit universel, revêtu de quelque idée météorique ; comme on
le voit en la résolution des métaux & des autres minéraux, qui sont convertis en
fumées & en exhalaisons, avant que de s’éclipser à notre vue, pour se réunir à
l’esprit universel, d’où nous recueillons qu’il faut aussi qu’ils aient gardé &
observé ces mêmes degrés de production, dans leur génération, dans leur
corporification & dans leur coagulation.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 66

Le corps qui est parfaitement composé, est animé ou inanimé ; le mixte animé,
est celui qui est orné d’une âme ou d’une forme vivifiante, comme la plante, la
bête & l’homme : au contraire, le mixte inanimé, est celui qui est privé de toute
vie apparente, qui consiste au sentiment & au mouvement sensible.

Mais on demande, si les minéraux sont animés ou non : à quoi nous répondons
brièvement, sans apporter les raisons ordinaires pour ne pas ennuyer,
qu’encore qu’on n’aperçoive pas dans ces corps, qui sont les fruits du centre de
la terre, des opérations vitales si manifestes, que celles qui se remarquent dans
les plantes & dans les animaux, toutefois ils n’en sont pas entièrement
dépourvus, puisqu’ils se multiplient par une continuelle perpétuation ; ce qui
fait dire, que comme ils ont une forme multiplicative de leur espèce, aussi ont-
ils de la vie. Quelques anciens ont reconnu cette vie, comme Pline le témoigne,
lorsqu’il dit au dixième Chapitre, Livre troisième de son histoire naturelle :
Spumam nitri fieri, cum ros cecidisset, pragnantibus nitrariis, sed non parientibus.
Concluons donc que les minéraux vivent tant qu’ils sont attachés à leur racine
& à leur matrice, puisqu’ils y prennent accroissement : mais lorsqu’ils en sont
séparés, on les appelle justement des mixtes inanimés : de même que le tronc
d’un arbre, qui est séparé de sa racine, s’appelle légitimement mort. Nous les
appellerons dorénavant en ce sens, des corps inanimés, aussi-bien que
beaucoup d’autres, quoique tirés des corps animés. De cette façon, il y a deux
espèces de corps inanimés : les uns sont tirés de la terre, & les autres sont tirés
des mixtes mêmes, soit animés ou inanimés. Ceux qui sont tirés des entrailles
de la terre, sont appelés minéraux : il y en a de trois espèces ; savoir, les métaux,
les pierres & les moyens minéraux, qu’on appelle aussi marcassites.

Le métal, est un mixte qui s’étend sous le marteau, & qui se fond au feu. Les
marcassites sont fusibles au feu, mais ne s’étendent point sous le marteau, & les
pierres ne s’étendent point sous le marteau, ni ne se sondent pas au feu.

Quant aux mixtes, qui ne se tirent pas de la terre, on les tire ordinairement des
corps animés, par l’artifice humain ; comme les fruits, les semences, les racines,
les gommes, les résines, la laine, le coton, l’huile, le vin & diverses autres parties
extraites, & séparées des végétaux & des animaux, qui ne sont plus considérées
cornue organiques : on se sert aussi des animaux tous entiers, lorsqu’ils sont
privés de leur vie & de leur âme. Nous traiterons succinctement de tous ces
mixtes, tant animés qu’inanimés dans les Sections suivantes.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 67

SECTION CINQUIEME.

Des moyens minéraux ou des marcassites.

Les moyens minéraux, sont des fossiles, qui ont une nature moyenne entre les
métaux & les pierres, parce qu’ils participent en quelque chose de l’essence de
ces deux corps : ils conviennent avec les métaux par leur fusion, ils répondent
aussi aux pierres par leur friabilité. Les moyens minéraux sont la plupart des
sucs métalliques, dissous ou condensés ; ou bien, ce sont des terres métalliques
& minérales.

Les principaux sucs métalliques sont, premièrement le sel, qui est un corps fort
friable, qui se résout à l’humide & qui se coagule au sec ; ce qui fait juger que le
principe qui abonde en ce mixte, est le sel dont il tire son nom : on juge donc
que puisque c’est un mixte, il n’est pas aussi par conséquent destitué des autres
principes, comme on le voit par l’action du feu sur ce composé.

Les sels, sont naturels ou artificiels : la nature engendre les premiers, qu’on
appelle des sels fossiles : l’art fait les sels artificiels ; c’est pourquoi il y en a de
plusieurs espèces, comme le sel gemme, le sel armoniac, le salpêtre, ou le sel
nitre, le sel de puits, le sel marin, le sel de fontaine, les alums & les vitriols, qui
ont tous des qualités spécifiques, qui sont différentes les unes des autres, selon
la nature des principes qui abondent en eux, & qui sont, ou fixes ou volatiles, ou
qui sont dissolvants ou coagulants, comme cela se peut voir par la diversité des
opérations, qu’on peut faire sur chaque espèce de ces sels.

Les bitumes suivent les sels, ils contiennent sous eux une grande diversité
d’espèces, comme sont, l’asphalte, l’ambre ou le carabe, l’ambre gris, le
camphre, le naphte, la pétrole & le soufre ; & remarquer que nous ne parlons
pas ici du soufre principiel de toutes les choses ; mais seulement d’un suc
minéral gras & fétide, qui a en soi une partie subtile, qui est inflammable, & une
autre qui est terrestre & vitriolique, par laquelle il détruit les métaux, & s’éteint
aisément si elle abonde.

Le soufre dont nous nous servons, est ou vif, c’est-à-dire, tel qu’il est tiré de la
terre, & qui n’a point passé par l’examen du feu, par le moyen duquel il est
préparé, tel que nous le voyons en forme de canons ou de magdaleons. L’art tire
de ces mixtes bitumineux, plusieurs remèdes différents pour la Médecine,
comme nous le ferons voir dans le dernier Livre de la seconde partie de ce
Traité Chimique.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 68

L’arsenic, est ou naturel, ou artificiel : le naturel contient sous soi trois espèces,
qui sont l’orpin, ainsi nommé de sa couleur or ; la sandaraque, qui est rouge, &
le réalgar, qui est jaune. L’artificiel se fait par la sublimation du naturel avec le
sel.

L’antimoine, est aussi naturel, qu’on appelle aussi minéral, ou artificiel, qui est
celui que nous achetons, qui a passé par la fonte & qui est réduit en pains. Nous
parlerons particulièrement du choix qu’on en doit faire, de ses parties
constituantes , & des différentes sortes de ce minéral dans la pratique.

Le cinabre, est un corps minéral composé de soufre & de mercure, ou d’argent


vif, qui sont coagulés ensemble jusqu’à une dureté pierreuse ; le naturel se tire
des mines, qui est mêlé plus ou moins de sable ; l’artificiel se fait par la
sublimation du soufre, & du mercure mêlés ensemble.

La cadmie, est naturelle ou artificielle, la naturelle est une pierre métallique, qui
contient en soi le sel volatil & l’impur de quelque métal : il y en a une infinité
d’espèces, qui sont différentes en couleurs, en vertus & en consistance.
L’artificielle se trouve dans les fourneaux, où se fait la fonte des métaux ; & ce
n’est rien autre chose que le sel volatil, ou la fleur des métaux, qui se sublime &
s’attache aux parois du fourneau, ou qui s’élève comme une folle farine
jusqu’au toit du lieu, où se sont les fontes métalliques ; il y en a aussi de
différentes espèces, comme le pompholix, le spode & la turhie.

L’autre espèce de marcassites, sont les terres minérales, comme les bols, la terre
de Lemnos, la terre de Silésie, la terre de Blois, la craie, l’argile & toutes les
autres sortes de terres minérales. On pourrait encore ajouter les terres
artificielles, comme les différentes sortes de chaux qui se font de diverses
pierres, qui contiennent en elles un sel corrosif & un feu caché.

Mais avant que de commencer la Section des métaux, il faut éclaircir une
difficulté qui se présente en cet endroit ; qui est, que puisque les sels sont mis
entre les sucs métalliques, comment se peut-il faire que le sel armoniac, qui est
un sel, & quelques espèces de terres métalliques, dont nous avons parlé, soient
mises au nombre des marcassites, puisque les marcassites, ou les moyens
minéraux ne s’étendent pas sous le marteau, mais qu’ils se fondent néanmoins
car il est constant que le sel armoniac ne se fond pas ; au contraire, il se sublime,
& encore que ces terres ne se fondent pas aussi, mais qu’elles se calcinent, ou se
subliment en fleurs métalliques. A quoi il faut répondre, qu’il est vrai que si on
met le sel armoniac tout seul dans un creuset, il ne se fondra pas, mais il se
sublimera ; qu’il est vrai néanmoins que si on mêlait ce même sel avec d’autres

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 69

sels, il se fondrait avec eux : comme l’on voit aussi que si on mêle les terres
métalliques seules au feu, elles se calcineront plutôt que de se fondre ; mais si
on les allie avec quelque corps fusible, elles se fondront : comme lorsqu’on mêle
la pierre calaminaire avec poids égal de cuivre de rosette, elle se fond avec ce
métal, & le change en cuivre jaune qu’on appelle laiton, & l’augmente de
cinquante pour cent. Il faut donc remarquer, que quand on divise les fossiles en
métaux, en pierres & en marcassites, il ne faut entendre autre chose par les
marcassites, ou par les moyens minéraux, que les corps qui ont quelque milieu,
ou quelque relation avec la nature des pierres, ou avec celle des métaux, soit à
raison de la fusibilité, soit à raison de l’extensibilité, soit pour celle de la dureté,
ou de la mollesse. Ainsi ce beau mixte, qui semble être le chef-d’œuvre de l’Art
qui est le verre, se doit rapporter selon ce sens aux marcassites puisqu il se fond
aisément ; & cependant il ne se peut étendre sous le marteau, si vous n’en
excepter celui qui fut rendu malléable à Rome, dont le secret est péri avec son
Auteur & son Inventeur.

SECTION SIXIEME.

Des métaux.

Les métaux sont des corps durs engendrés dans les matrices particulières des
entrailles de la terre, qui peuvent être étendus sous le marteau, & qui peuvent
être fondus au feu. Le nombre des métaux est ordinairement septénaire, qu’on
rapporte au nombre des sept Planètes, dont les noms leur sont appliqués par les
Chimistes. On divise les métaux en parfaits & en imparfaits : les parfais, sont
ceux que la nature a poussés jusqu’à une dernière fin. Les marques de cette
perfection sont la fixation parfaite, une très exacte mixtion & union des parties
constitutives de ces corps, qui est suivie de pesanteur, de son & de couleur, qui
sont capables d’une longue fusion & d’une très forte ignition, sans altération de
leurs qualités & sans perte de leur substance. Il y en a deux de cette nature, qui
sont le Soleil & la Lune, ou l’or & l’argent. Les métaux imparfaits sont de deux
sortes ; savoir, les durs & les mous ; les durs, sont ceux qui se mettent plutôt en
ignition qu’en fusion, comme Mars & Vénus, ou le fer & le cuivre ; les mous,
sont ceux qui se mettent plutôt en fusion qu’en ignition, comme Jupiter &
Saturne, ou l’étain & le plomb. On met pour le septième métal, le Mercure, ou
l’argent vif, qui est un métal liquide qu’on appelle à cette cause, fluide, comme
on appelle les autres, solides. Cependant quelques-uns le rayent du nombre des
métaux à cause de cette fluidité, & le mettent entre les choses qui ont de
l’affinité avec les métaux, comme étant une espèce de météore qui tient le
milieu entre eux : plusieurs veulent même qu’il en soit la première matière.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 70

On partage les métaux & les minéraux en deux sexes, & l’on se sert de divers
menstrues pour leur dissolution ; ainsi il n’y a que les eaux régales qui puissent
dissoudre l’or, le plomb & l’antimoine, qu’on prétend être les mâles, & les eaux
fortes simples, sont capables de dissoudre tous les autres qu’on croit être les
femelles.

Avant que de finir cette Section, il faut éclaircir en peu de mots quelques
questions qui se font sur la nature métallique. On demande premièrement, si
lorsque plusieurs métaux sont fondus ensemble, il en résulte après ce mélange
quelque espèce métallique, qui soit différente des métaux dont elle est
composée. Il faut répondre négativement, parce que ce n’est pas une vraie
mixtion, & encore moins une étroite union ; mais c’est plutôt une confusion,
puisqu’on les peut séparer les uns des autres. Ou doute encore sur les métaux
différent entre eux spécifiquement, ou s’ils ne diffèrent seulement que selon le
plus & le moins de perfection. Scaliger répond à cette question, que la nature
n’a pas plutôt produit les autres métaux pour en faire de l’or, que les autres
animaux pour en faite des hommes ; de plus, on peut dire que Dieu a créé la
diversité des métaux, tant pour la perfection & l’embellissement de l’univers,
que pour les différents usages auxquels ils sont employés par les hommes. Il
faut avouer néanmoins que les minéraux & les métaux imparfaits tiennent
toujours de l’un ou de l’autre des deux métaux parfaits, & le plus souvent de
tous les deux ensemble, comme cela se prouve par l’extraction qu’en font ceux
qui ont le secret de cette séparation, soit après une digestion précédente, soit en
les examinant par le véritable séparateur, qui est le feu externe, qui excite la
puissance du feu intérieur des choses, & qui est le seul instrument des sages,
pour faire paraître la vérité de ce que je viens de dire. Ce qui fait conclure, que
ces métaux & ces minéraux imparfaits tendent continuellement à la perfection
de leur destination naturelle, pendant qu’ils sont encore dans le ventre de leur
mère ; ce qu’ils ne peuvent plus faire, lorsqu’ils sont arrachés de leurs matrices.

Cette question est ordinairement suivie de celle qui fait demander, si l’Art est
capable de pouvoir changer un métal imparfait, pour le pousser par cette
métamorphose jusqu’à la perfection de l’un des deux principaux luminaires. Il
faut ici répondre affirmativement ; parce qu’il est vrai, que la nature & l’art
peuvent faire de belles transmutations, en appliquant l’agent au patient ; mais
la difficulté se trouve presque insurmontable, d’autant qu’il faut trouver
précisément le point & le poids de nature ; & c’est ce travail qui a tourmenté
depuis plusieurs siècles les esprits de tant de Curieux opiniâtres, qui leur a fait
user leurs & corps & vider leurs bourses.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 71

La dernière question qui se fait, est de savoir si l’or peur être rendu potable :
c’est ce qu’on ne doit point révoquer en doute, parce que l’expérience montre
qu’il peut être mis en liqueur ; mais le principal est de savoir si cette liqueur
peut nourrir, comme plusieurs le prétendent ; c’est ce que je nie absolument,
parce qu’il n y a nulle analogie, & nulle relation entre l’or & notre corps, ce qui
néanmoins se doit trouver nécessairement entre l’aliment & le corps alimenté :
or, il n’y a nulle proportion entre la nature métallique & la nature animale ; il ne
faut pas toutefois douter que cette liqueur ne soit une médecine très souveraine,
lorsqu’elle est faite avec un dissolvant qui soit ami de notre nature, & qui soit
capable de volatiliser l’or de manière, qu’il ne soit pas possible à l’Art de le
recorporifier en métal ; car quand il est réduit a ce point là, c’est alors qu’il
passe jusque dans les dernières digestions, où il corrige tous les défauts qui s’y
rencontrent ; & ainsi il altère & change notre corps en mieux, pourvu qu’on en
sache bien l’usage & la dose, autrement ce serait plutôt un ennemi dévorant,
qu’un hôte agréable & familier.

SECTION SEPTIEME.

Des pierres.

Les pierres sont des corps durs, qui ne s’étendent sous le marteau, ni ne fondent
au feu ; elles sont engendrée dans leurs matrices particulières, d’un suc
empreint de l’idée & du ferment lapidifique ; elles prennent leurs diverses
couleurs des diverses mines, par où passe leur suc lapidifique & leur fumée, ou
leur esprit coagulatif. Les pierres sont opaques on transparentes, les
transparentes sont colorées ou sans couleur : ainsi on peut dire avec apparence,
que l’esprit coagulatif de l’émeraude passe par une mine de vitriol ou de cuivre
; celui de l’opale par une mine de soufre, & celui du rubis & de l’escarboucle,
par une mine d’or ; les grenats & quelques autres pierres de cette nature tirent
leur couleur du fer, & cela se prouve par la pierre d’aimant qui les attire à soi, &
ainsi des autres pierres ; mais l’esprit coagulatif du diamant & du cristal de
roche, n’est qu’un pur & simple ferment pétrifiant, qui est privé de toute
sulfuréité tingente, qui ne leur cause par conséquent que cette belle
transparence qu’ils ont.

On remarque que les pierres opaques ou pellucides, ne s’engendrent pas


seulement dans les entrailles de la terre ou dans les eaux, mais qu’elles
s’engendrent aussi dans les entrailles & dans les viscères de toute sorte
d’animaux, comme le prouvent les plus curieux Physiciens.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 72

Cela soit dit brièvement touchant la nature des minéraux ; car pour ce qui
concerne la doctrine de leur histoire particulière ; il la faut rechercher chez les
Naturalistes qui en ont écrit expressément & exactement, comme Georgius
Agricola & Lazarus Erlker ; car nous n’avons intention que de faire un abrégé
des Catégories, auxquelles on peut rapporter tous les mixtes naturels qui en
ressortiront.

SECTION HUITIEME.

Des autres mixtes, tant animés que des inanimés.

Nous avons dit qu’il y avait deux sortes de mixtes inanimés ; savoir, ceux qui se
tirent du sein de la terre, & ceux qui n’en sont pas tirés ; c’est pourquoi, il ne
reste plus qu’à vous parler des derniers, puisque nous avons suffisamment
discouru des premiers, selon l’intention de cet Abrégé. Ceux qui sont de ce
dernier ordre, sont les sucs & les liqueurs qui se tirent des plantes par
expression ; aussi bien que des animaux médiatement ou immédiatement :
comme le vin, l’huile, le vinaigre, les gommes, les résines, les fruits, les graisses,
le lait, les cadavres & ses diverses parties, & plusieurs autres choses qui servent
de remède, pour la conservation &la restauration de la santé des hommes.

Les mixtes animés, sont les végétaux ou les animaux ; les végétaux ou les
plantes sont parfaites ou imparfaites ; les plantes parfaites, sont celles qui ont
des racines une surface ; & les imparfaites, sont celles qui manquent ou de
racine, ou de surface ; truffes sont de cette espèce, car toute leur substance est
racine ; & les champignons, auxquels on ne voit point du tout, ou son peu de
racine. Les plantes parfaites sont divisées en herbe, en arbrisseau & en arbre ; &
chacun de ces genres, est encore subdivisé en une infinité d’espèces différentes,
dont les botanistes donnent les noms & les propriétés. Les parties des plantes
parfaites, sont principales ou moins principales ; les principales, sont celles qui
servent d’âme végétative pour faire ses fonctions : elles sont similaires ou
dissimilaires ; les similaires, sont liquides ou solides ; les liquides, sont les sucs
& les larmes ; que si elles sont aqueuses, elles se coagulent en gommes ; & si
elles sont sulfurées, elles se coagulent en résines, & c’est la raison pourquoi les
gommes se dissolvent dans les liqueurs de la nature aqueuse, & que les résines
ne peuvent erre dissoutes, que par les huiles ou par les liqueurs, qui leur sont
analogues. Les parties solides, sont la chair & les fibres de la plante. Les parties
dissimilaires, c’est-à-dire, celles qui contiennent en elle une diversité de
substances, sont ou perpétuelles, ou annuelles ; les perpétuelles, & celles qui
durent longtemps, sont la racine, le tronc , l’écorce, la moelle & les rameaux ; les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 73

annuelles, sont celles qui renaissent tous les ans, comme les bourgeons, les
fleurs, les feuilles, les fruits, les semences, &c.

De même donc que les plantes ont une grande diversité de parties, & qu’elles
sont divisées en plusieurs espèces ; aussi les animaux qui ont des parties
similaires & dissimilaires, sont divisés en une grande quantité d’espèces, car ils
sont raisonnables ou irraisonnables ; les irraisonnables ou les bêtes, sont
parfaites ou imparfaites ; les parfaites, sont celles qui n’ont point de césure, &
qui engendrent du sang pour la nourriture de leurs parties ; les imparfaites, qui
sont les insectes, sont celles qui n’engendrent point de sang, & qui sont divisées
par césures. Toutes les bêtes, tant les parfaites que les imparfaites, sont ou
gressiles, ou reptiles, ou naratiles ou volatiles. Si vous désirer de vous rendre
savans dans l’histoire de ces animaux, il faut lire Aldrovandus, qui en a écrit
très exactement Pour la connaissance de l’homme & de ses parties, il faut
consulter les Anatomistes.

CHAPITRE VI.

Comment la Chimie travaille sur tous ces mixtes pour en tirer le pur, & pour en rejeter
l’impur.

Vous voyez par le dénombrement de ces mixtes, combien l’empire de la Chimie


est de grande étendue, puisque son travail s’occupe sur des composés si
différents ; car elle peut prendre celui qui lui plait de tous ces corps, ou pour le
diviser en ses principes, en faisant la séparation des substances dont ils sont
composés ; ou elle s’en sert pour tirer le mystère de nature qui contient l’arcane,
le magistère, la quintessence, l’extrait & le spécifique en un degré beaucoup
plus éminent, que le corps duquel on le tire ; parce que ce corps est changé &
exalté par la préparation chimique, qui sépare l’impur pour achever ce mystère,
comme cela se verra au Livre des opérations : car il ne se faut pas contenter de
l’étude & de la lecture des Œuvres de Paracelse, & principalement de ses Livres
des Archidoxes, que je vous ai déjà recommandés ; mais il faut aussi mettre la
main à l’œuvre, pour entrer dans Intelligence de ses énigmes, sans se rebuter
pour le temps qu’on y doit employer, pour la peine qu’on y prend, ni pour les
frais qu’on y emploie ; comme sont ordinairement ceux qui croient & qui
s’imaginent pouvoir devenir habiles par la lecture de quelques Auteurs, qui ne
se fondent que sur l’autorité de leurs prédécesseurs, & qui laissent en arrière

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 74

l’expérience & la recherche des secrets de la nature, quoique ce soit la principale


colonne de toute la bonne philosophie naturelle, & par conséquent celle de la
bonne médecine. Pour parvenir à notre but, nous finirons notre Théorie pour
entrer dans la Pratique, afin que l’une fasse mieux entendre l’autre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 75

SECONDE PARTIE.

LIVRE PREMIER.

Des termes nécessaires, pour entendre & pour faire les opérations Chimiques.

PREFACE.

Nous avons montré dans la première Partie de ce Traité, les fondements sur
lesquels toute la théorie de la Chimie est appuyée : mais parce que nous avons
dit dans notre Avant-propos, que la Chimie est une Philosophie sensible, qui ne
reçoit & qui n’admet que ce que les sens lui démontrent & lui sont paraître ; il
est temps de venir à la pratique & aux opérations, pour examiner si tour ce que
nous avons dit, est fondé sur les sens. Personne ne doit trouver étrange que la
science mette la main à l’œuvre, puisque l’opération n’est que pour la
contemplation, & que la contemplation n’est que pour l’opération ; ce qui fait
que ces deux choses doivent être inséparables. Et s’il est vrai que toutes les
doctrines & toutes les sciences doivent commencer par les sens, selon cette
maxime qui dit : Nihil esse in intellectu, quin prius non suerit in sensu ; je trouve
très à propos qu’on ait les sens bien informés & bien instruits de plusieurs
expériences avant qu’on se puisse occuper théoriquement & contemplativement
sur toutes les choses naturelles, de peur qu’on ne tombe dans les mêmes fautes
de ces Philosophes superficiels, qui se contentent de philosopher sur les
principes de quelque science, dont l’expérience découvre la fausseté. Par
exemple, n’est-ce pas une erreur manifeste, de se persuader que la flamme ou la
fumée, qui sort de quelque mixte par une violente résolution, soit un feu ou un
air élémentaire, & quelque chose de bien simple ; puisque si on les retient dans
un alambic, ou dans quelque autre récipient, l’expérience fera voir aux sens que
cette flamme ou cette fumée, ne sont pas des démens purs, & que ce ne sont pas
aussi des mixtes imparfaits ; mais que c’est quelquefois le corps même d’un
mixte très parfait, comme il parait clairement par la sublimation du soufre, &
par celle du sel armoniac ; aussi bien que par les fumées du mercure, qui est le
vif argent, qui ne sont autre chose que le même mercure, qui prend toute sorte

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 76

de formes & de couleurs, comme le Prothée des anciens Poètes ; mais qui
reprend néanmoins son premier être par la revivification ?

Ce que nous venons de dire, fait voir qu’il ne faut pas juger témérairement des
choses ; comme de dire que toute fumée est air, pour quelque ressemblance
qu’elle aurait avec l’air. Car quoique toute vapeur & toute exhalaison soient
semblables à la vue, cependant elles sont d’une nature sort différente, comme
cela se voit pat ceux qui les examinent à fonds, après les avoir logées dans leurs
vaisseaux ; & c’est ce que nous serons voir par les opérations, dont nous
traiterons dans la suite.

Mais parce qu’on rencontre dans la pratique de ces opérations plusieurs termes,
qui sont essentiels à l’art Chimique, & qui sont assez difficiles à entendre, il est
nécessaire de les expliquer avant que de commencer à parler de la pratique.
Ainsi nous traiterons dans ce Livre, premièrement des diverses espèces de
solutions & de coagulations, parce qu’une des principales fins de la Chimie, est
de spiritualiser & de corporifier, pour séparer par ce moyen le pur de l’impur.
Après quoi nous enseignerons les divers degrés du feu, par le moyen duquel on
parvient avec l’aide de plusieurs fourneaux, & de beaucoup de vaisseaux
dînerons à cène véritable exaltation, qui tire du mystère de la nature de chaque
mixte, l’arcane, l’élixir, la teinture, ou quelque sublime essence, qui soit graduée
jusqu’à un tel point, qu’une seule goutte, ou un seul grain de ces remèdes
merveilleux, fasse plus d’effet sans comparaison, que plusieurs livres du mixte
grossier & corporel, dont ces médicaments auront été tirés.

CHAPITRE I.

Des diverses espèces de solutions & coagulations.

Encore que la Chimie ait pour objet tous les corps naturels ; cependant elle
travaille particulièrement sur le corps mixte, dont elle enseigne l’exaltation, par
le moyen de la solution & de la coagulation, qui contiennent sous elles diverses
espèce d’opérations, qui rendent toutes, ou à la spiritualisation, ou à la
corporification des minéraux, des végétaux, ou des animaux ; de manière que
l’exaltation de quelque mixte, n’est autre chose que la plus pure partie de ce
même mixte, réduire à une suprême perfection, par le moyen de diverses
solutions & coagulations qui auront été plusieurs sois retirées, pour parvenir à
réduire quelque chose au point de son exaltation, il faut premièrement séparer
le pur de l’impur, ce qui se fait matériellement ou formellement :
matériellement, par la cribration, l’ablution, l’édulcoration, la détersion,
l’effusion, la colation, la filtration & la despumation : formellement par la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 77

distillation, par la sublimation, par la digestion, & par plusieurs autres


opérations réitérées, dont nous parlerons ci-après.

Après avoir fait la séparation du pur & de l’impur, il faut rejeter l’impur pour
parvenir à une exaltation parfaite, & mettre le pur, premièrement en solution, &
puis en coagulation ; ce qui se fait, ou en le réduisant en fort petites parties, ou
en liqueur ou en quelque corps solide, par le moyen des opérations qui suivent ;
savoir, la limation, la rasion, la pulvérisation, l’alcoolisations, l’incision, la
granulation, la lamination, la putréfaction, la fermentation, la macération, la
fumigation qui est séché ou humide, la cohobation, la précipitation,
l’amalgamation, la distillation, la rectification, la sublimation, la calcination, qui
est actuelle ou potentielle, la vitrification, la projection, la lapidification,
l’extinction, la fusion, la liquation, la cémentation, la stratification, la
réverbération, la sublimation ou la détonation, l’extraction , l’expression,
l’incération, la digestion, l’évaporation, la dessiccation, l’exhalation, la
circulation, la congélation, la cristallisation, la fixation, la volatilisation, la
spiritualisation, la corporification, la mortification & la revivification. Et c’est de
tous ces termes différents, dont il faut que nous donnions une claire intelligence
en ce Chapitre.

La cribration, est lorsqu’on passe la matière battue au mortier à travers le tamis


ou par le crible ; l’une est la contusion parfaite, & l’autre, la grossière.

L’ablution ou la lotion, se fait lorsqu’on lave sa matière dans de l’eau, pour la


nettoyer de ses impuretés les plus grossières. Et lorsque la matière est
descendue au fond de l’eau par sa pesanteur, & qu’on verse l’eau par
inclination, cela s’appelle effusion.

L’édulcoration, est l’opération, par laquelle on sépare les parties spiritueuses,


salines & corrosives des préparations chimiques, qui se sont par la calcination
actuelle ou potentielle.

On purge par la détersion, la matière qui ne peur souffrir l’eau, sans altération
de ses qualités, ou sans déperdition de sa substance ; de sorte, que si la matière
se met dans quelque liqueur convenable, & qu’on la passe grossièrement en
suite, soit à travers un linge, ou à travers de quelque autre couloir de drap ou
d’étamine, cela se nomme colation ou percolation mais si cette opération se fait à
travers quelque chose de plus compact & de plus serré, cela s’appellera
filtration, qui se fait par le drap, par le papier, ou par la languette ; celle qui se
fait par le papier, est la plus exacte & la plus nette.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 78

La despumation, n’est rien autre chose, que la séparation qui se fait de l’écume,
ou des autres ordures qui surnagent au-dessus des matières, avec quelque
instrument propre à cet effet.

La limation, est la solution de la continuité corporelle de quelque mixte par une


lime d’acier, elle a son usage dans les trois familles des composés ; car on lime
les os des animaux, les bois des végétaux, aussi-bien que le corps des métaux
les plus durs & les plus solides.

La rasion, a beaucoup d’affinité avec la limation; mais elle se fait avec quelque
instrument plus tranchant, comme avec un couteau, ou quelque autre chose de
pareille nature : on la peut aussi rapporter en quelque façon à l’incision.

La pulvérisation ou la contusion, ne sont rien autre chose que la réduction de


quelque mixte en poudre, par le moyen de la trituration dans un mortier, sur le
marbre, ou sur le porphyre. Que si on réduit la matière en poudre très subtile,
qui soit impalpable & imperceptible, cela s’appelle alcoolisation, qui se dit aussi
quelquefois des choses liquides, comme on appelle l’alcool de vin, ou des autres
esprits volatils & inflammables, lorsque ces esprit sont tellement dépouillés de
leur phlegme, qu’ils brûlent & eux & la matière, qu’ils ont trempée, comme du
linge, du papier ou du coton.

On met par la granulation les matières minérales & métalliques en grenaille ; &
par la limation, la bat & l’étend en petites lames déliées, comme sont l’or,
l’argent & le cuivre en feuilles.

La putréfaction, se fait, lorsque le mixte tend à sa corruption, par une chaleur


humide sans aucun mélange : que si cela se fait par le mélange & l’addition de
quelque levain, qui est le ferment, comme du tartre, du sel commun, de la
levure de bière, du levain, ou du ferment ordinaire & de la lie de vin, cela prend
le nom de fermentation.

La macération, est lorsqu’on met quelque matière en infusion dans un menstrue,


qui n’est que quelque humeur, ou quelque liqueur convenable & appropriée à
votre intention, pour extraire la vertu du composé sur lequel on agit : cette
opération demande le temps propre & nécessaire pour l’extraction, selon le plus
ou le moins de fixité du corps, sur lequel on travaille.

La fumigation, est une corrosion des parties extérieures de quelque corps, qui se
fait par quelque vapeur, ou par quelque exhalaison âcre & corrodante : si c’est
par une vapeur, comme par celle du vinaigre, c’est une fumigation humide ; &
si c’est pat une exhalaison, comme par la fumée du plomb ou de l’argent vif,
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 79

c’est une fumigation sèche, qui calcine les métaux réduits en lames, & qui les
rend si friables, qu’on les peut après réduire facilement en poudre.

La cohobation, se fait, lorsqu’il est nécessaire de rejeter souvent le menstrue, qui


a été tiré d’un ou de plusieurs mixtes, sur les propres fèces ou le reste de ces
mixtes, soit pour en tirer les vertus centriques, qui sont enfermées dans ces
composés , soit pour faire que ces mêmes fèces se refournissent, & reprennent
ce qu’elles avoient laissé volatiliser par le moyen de la chaleur dans la
distillation, & c’est dans cette seule opération que la cohobation a lieu.

La précipitation, fait quitter le menstrue dissolvant, au corps que ce menstrue


avait dissout, ce qui se fait par l’analogie, qui est entre les sels & les esprits ; car
ce qui se dissout par les esprits, est précipité par les sels, & au contraire. Cette
opération requiert une considération particulière de celui qui désire travailler,
parce quelle donne beaucoup de lumières, pour bien comprendre la génération
& la corruption des choses naturelles.

L’amalgamation, est une calcination particulière des métaux, que quelques


Auteurs appellent la calcination philosophique, elle se fait par le moyen de
l’union du mercure ou de l’argent vif dans les moindres particules des métaux ;
ce qui les sépare de telle sorte, que cela les rend onctueux & maniables à la main
; si bien que faisant évaporer le mercure à la chaleur requise, les métaux sont
réduits en une chaux très subtile, ce qui ne se peut faire par quelque autre
moyen que ce soit.

La distillation, se fait, lorsque la matière, qui est enclose dans un vaisseau,


pousse, chasse & envoie des vapeurs dans un autre vaisseau qui lui est uni, par
le moyen & par l’activité du feu. Il y en a de trois espèces. La première est celle
qui se fait, quand les vapeurs des choses distillées s’élèvent en haut. La seconde,
quand ces mêmes vapeurs vont par le côté ; & la troisième, quand elles tendent
en bas. Le tout se fait selon les matières propres à la distillation, & selon les
vaisseaux convenables à cet effet.

La rectification, n’est autre chose que la réitération de la distillation, afin de


rendre les vapeurs distillées, plus subtiles, ou pour priver quelque esprit de son
phlegme, ou de ses parties les plus terrestres & les plus grossières, selon que ce
sont des esprits ou acides fixes, ou que ce sont des esprits volatiles
inflammables.

La sublimation, est une opération, par laquelle le feu fait passer en exhalaisons
sèches tout un corps, ou quelqu’une de ses parties qui se condensent au haut du

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 80

vaisseau, en fleurs déliées & subtiles, ou en un corps plus dense, plus compact
& plus serré : cette façon d’opérer est opposée à la précipitation.

La calcination, est une action violente, qui réduit le mixte en chaux & en cendres,
elle est double, savoir, la calcination actuelle & la potentielle. Celle qui est
actuelle, se fait par le moyen du bois enflammé, ou par celui des charbons
ardents, qui sont le feu matériel ; & la calcination potentielle, est celle qui se fait
par le moyen du feu secret & potentiel des eaux fortes, simples ou composées,
& par les vapeurs, ou par les fumées corrosives, comme on le remarque dans la
précipitation & dans la fumigation.

La vitrification, est le changement d’un métal, des minéraux, des végétaux, ou


des pierres en verre ; ce qui se fait par le moyen de la projection après la fusion,
ou par l’addition de quelques sels alcalis, on fixes & lixiviaux, qui pénètrent &
qui purifient ces diverses substances, & les vitrifient en leur donnant la
fusibilité & la transparence. Il y en a pourtant beaucoup qui sont opaques,
qu’on appelle communément les émaux.

La lapidification se fait, lorsqu’on change les métaux en pierres & en pâtes, qui
tiennent en quelque façon le milieu entre les verres métalliques & transparents,
& les émaux, à cause qu’elles prennent un beau poli.

L’extinction, est la suffocation & le refroidissement d’une matière embrasée dans


quelque liqueur, soit que ce soit pour tirer la vertu de cette matière & la
communiquer à la liqueur, soit pour communiquer quelque qualité nouvelle à
ce qu’on trempe ; comme on éteint la tutie & la pierre calaminaire dans de l’eau
de fenouil ou dans du vinaigre, pour leur communiquer plus de vertu pour les
yeux ; comme on trempe aussi tous les instruments qui se forgent du fer & de
l’acier, pour leur donner le poli, la dureté & par conséquent le tranchant.

La fusion, se dit proprement des métaux & des minéraux ; elle se fait par une
grande & violente ignition. Et la liquation ne se dit que des graisses des
animaux, de la cire & des parties onctueuses, grasses & résineuses des
végétaux, qui se fait par une chaleur tempérée.

On ôte par la cémentation les impuretés des métaux : elle sert aussi à leur
examen, pour savoir s’ils sont vrais ou faux, comme on rétrécit aussi leur
volume, par le resserrement de leurs parties, ce qui se fait par le moyen de la
stratification, en faisant un lit de cément, puis un autre de lames métalliques ; &
continuant ainsi, stratum super stratum, ou lit sur lit, jusqu’à ce que le vaisseau
soit plein ; mais notez qu’il faut toujours commencer par le cément & finir par le

80
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 81

même ; en suite de quoi, il faut luter bien exactement le pot ou le creuset, pour
donner après cela le feu de roue par degrés jusqu’à la fusion.

La réverbération, est une ignition, par laquelle les corps sont calcinés en un
fourneau de réverbère à feu de flamme ; soit que cela se fasse pour en séparer
les esprits corrosifs ; soit qu’il se fasse simplement, pour subtiliser & pour
ouvrir ce même corps, par le moyen de cette opération.

La fulmination ou la fulguration, est une opération, par laquelle tous les métaux,
excepté l’or & l’argent, sont météorisés, réduits & chassés en vapeurs, en
exhalaisons & en fumées, par le moyen du plomb sur la coupelle ou sur la
cendrée, avec un feu très violent, animé de quelque bon & ample soufflet.

Ou fait la détonation, pour séparer & pour chasser toutes les parties sulfurées &
mercurielles, qui sont impures dans quelque mixte, afin qu’il ne demeure que la
partie terrestre, qui est accompagnée du soufre interne & fixe, auquel réside
principalement la vertu des minéraux : on fait cette opération par le moyen du
salpêtre ou du nitre, comme cela se voit en la préparation de l’antimoine
diaphorétique, qui se fait par détonation & par fusion.

L’extraction, est lorsqu’on tire l’essence ou la teinture d’un mixte, par le moyen
d’un menstrue ou d’une liqueur convenable, que l’Artiste fait évaporer, s’il est
vil & inutile, mais qu’il retire par distillation, s’il est précieux, & capable de
pouvoir encore servir aux mêmes opérations ; ce qui demeure au fond du
vaisseau, se nomme extrait.

L’expression se fait pour séparer le plus subtil du plus grossier, selon l’intention,
qu’on a de garder l’un ou l’autre ; on se sert pour cela de la presse & des
plateaux.

La digestion, est une des principales opérations, & une des plus nécessaires de la
Chimie, parce que les mixtes sont rendus par elle traitables & capables de
fournir ce qu’on en désire ; elle se pratique par le moyen d’un menstrue
convenable, & d’une longue & longue chaleur : on la fait ordinairement dans
quelque vaisseau de rencontre, qui sont deux vaisseaux qui s’embouchent l’un
dans l’autre, afin qu’il ne se perde rien des esprits volatiles de la chose qu’on
digère : on se sert ordinairement dans cette opération de la chaleur du bain
aqueux, du bain vaporeux, de l’aérien, de la chaleur du fumier de cheval, ou de
celle des cendres, ou du sable. La digestion a beaucoup d’affinité avec la
macération : elles diffèrent néanmoins entre elles, en ce qu’il se fait en digérant
une espèce de coction, ce qui ne se fait pas dans la macération.

81
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 82

On retire le menstrue, qui a servi à dissoudre, ou à extraire en vapeur, par le


moyen de l’évaporation ; & par cette action, se produit la dessiccation ; mais par
l’exhalation les esprits secs sont enlevés de la matière par le feu, & sont réduits
en exhalaisons.

La circulation, est une opération, par laquelle les matières contenues au fond
d’un pélican ou d’un vaisseau de rencontre, sont poussées en haut par l’action
de la chaleur, puis elles retombent sur leurs propres corps, ou pour les
volatiliser par le moyen des esprits, ou pour fixer l’esprit par le moyens du
corps ; ce qui est très digne de la contemplation d’un homme qui veut être vrai
Naturaliste.

La congélation, est la réduction des parties solides des animaux en gelée, par
l’élixation avec quelque menstrue ; comme sont les gelées des cornes, des os, des
muscles, des tendons & des cartilages ; mais notez que cette congélation ne se
fait qu’à raison du sel volatil, qui abonde dans les animaux : comme la
cristallisation, se dit aussi proprement des sels, lorsqu’on les purifie par diverses
solutions, filtrations & cristallisations, après que la liqueur qui les contient a été
évaporée jusqu’à pellicule.

Les choses volatiles sont rendues fixes par la fixation, comme au contraire, les
fixes sont rendues volatiles par la volatilisation. On appelle fixe ce qui est
constant & permanent au feu ; comme on appelle volatile, ce qui fuit & s’exhale à
la moindre chaleur. Mais remarquer ici, que comme il y a une grande diversité
de degrés de chaleur, aussi il y a-t-il beaucoup de sortes de choses fixes, &
beaucoup de volatiles.

La spiritualisation change tout le corps en esprit, en sorte qu’il ne nous est plus
palpable ni sensible ; & par la corporification, l’esprit reprend son corps, & se
rend derechef manifeste à nos sens ; mais ce corps est un corps exalté, qui est
bien diffèrent en vertu de celui dont il a été tiré, puisque ce corps, ainsi glorifié,
contient en soi le mystère de son mixte.

Par la mortification les mixtes sont comme détruits, & perdent toutes les qualités
& les vertus de leur première nature, pour en acquérir d’autres, qui sont
beaucoup plus sublimes & beaucoup plus efficaces, par le moyen de la
revivification. C’est cette opération qui a fait dire à Paracelse, que la force de la
mort est efficace, puisqu’il ne se fait point de résurrection sans elle ; & comme
dit l’Apôtre Saint Paul, il faut que le grain meure en terre, avant que de revivre,
& de se multiplier dans l’épi qui en provient.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 83

Empyreume & empyreumatique, terme tiré du Grec, est une odeur désagréable,
que communique la violence du feu au mixtes que l’on distille.

CHAPITRE II.

Des divers degrés de la chaleur et du feu.

Le plus puissant agent que nous ayons sous le Ciel, pour faire l’anatomie de
tous les mixtes, est le feu, qui a besoin pour son entretien, premièrement de
matière combustible, huileuse & sulfureuse, soit minérale, comme le charbon de
terre, soit végétable, comme le bois & le charbon, & les huiles des végétaux; soit
enfin animale, comme les graisses, les axonges & les huiles des animaux. En
second lieu, le feu a besoin d’un air continuel, qui chasse par son action les
excréments & les fuliginosités des matières qui se brûlent, & qui anime le feu,
pour le faire plus ou moins agir sur son sujet ; & c’est cette nécessité qui a fait
assez improprement dire à quelques-uns, que l’air était la vraie nourriture & la
véritable pâture du feu. Si nous voulons parler très exactement, on ne peut pas
dire que le feu reçoive de soi, ni en soi du plus ou du moins, ou comme disent
les Philosophes, qu’il puisse recevoir intention ou rémission ; cependant la
matière sur laquelle il agit, peut recevoir plusieurs degrés de chaleur, selon
l’approche ou l’éloignement du feu, ou l’interposition des choses qui peuvent
recevoir l’impression de la chaleur. D’où il s’ensuit nécessairement, que le
régime & la conduite de la chaleur, consiste en une juste & convenable quantité
de feu, qui soit administrée par l’Artiste, selon les conditions de la matière sur
quoi il travaille, & selon les moyens dont il se sert, auxquels il faut qu’il donne
une distance proportionnée.

Pour accroître & augmenter le feu, il faut ou mettre une plus grande quantité de
charbon dans le fourneau, ou s’il y en assez, & qu’il n’agisse pas selon la
volonté de celui qui travaille, il faut donner entrée à un plus grand air, ou par la
porte du fourneau par où on met le feu ; ou ce qui sera mieux, en le donnant par
la porte du cendrier ; & même en ouvrant les registres, qui sont en haut ou aux
cotés des fourneaux, pour donner issue aux exhalaisons & aux vapeurs
fuligineuses, qui suffoquent ordinairement le feu ; ou encore, en soufflant avec
des soufflets, qui soient amples, & qui soient capables de beaucoup de vent. Ce
que je viens de dire, doit faire connaître qu’on peut affaiblir le feu par le
contraire; comme de fermer les portes & les registres, pour empêcher l’entrée de
l’air & la sortie des fuliginosités ; ou bien, on doit diminuer la matière
combustible, ou couvrir le feu de cendres froides, ou d’une platine de fer, ou
d’une brique, pour empêcher le désordre & les accidents qui arrivent dans les
opérations.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 84

Pour ce qui concerne la distance du vaisseau qui contient la matière, cela ne se


peut juger que selon les moyens interposée & la nature de la matière même. On
peut néanmoins recevoir pour règle générale, qu’il faut qu’il y ait une distance
d’environ huit pouces, entre la grille ou le réchaud qui contient le feu, & le cul
ou le fond du vaisseau qui doit recevoir la chaleur : car le feu agit sur les
matières, médiatement ou immédiatement : immédiatement, lorsque le feu agit
sans opposition sur la macère, ou sur le vaisseau qui la contient, soit que ce soit
un creuset, une cornue ou quelque autre chose ; & c’est ce qu’on appelle
communément le feu ouvert, le feu de calcination & le feu de suppression.
Médiatement, lorsqu’il y a quelque chose qui est posée entre le feu & la matière,
qui empêche son action destructive ; ce qui donne le moyen à l’Artiste de le
gouverner, comme un habile écuyer, qui sait régir & dompter un cheval, par le
moyen des rênes de la bride qu’il tient en sa main.

Nous comprendrons toutes les différences des degrés de la chaleur sous neuf
classes principales, que l’Artiste pourra diversifier encore en une infinité de
manières, selon son intention, & selon que le requiert la qualité du mixte sur
quoi il opère ; ces différences sont celles qui suivent.

Nous prendrons le premier degré de la chaleur, par l’extrême & par le plus fort,
qui est le feu de flamme, qui calcine & qui réverbère toutes les choses ; & c’est
proprement celui qui est capable de faire passer en vapeur & en exhalaisons, les
corps qui sont les plus solides & les plus fixes.

Le second est celui du charbon, qui sert proprement & principalement à la


cémentation, pour la coloration & pour la purgation ; aussi-bien que pour le
rétrécissement des métaux ; aussi bien que pour celle des minéraux, qui
tiennent le plus de la nature métallique : on l’appelle quelquefois le feu de roue,
& quelquefois le feu de suppression, selon que le feu est approprié dessus,
dessous, ou à côté.

Le troisième degré du grand feu est celui de la lame de fer rougie au plus haut
point qui est une chaleur, qui sert pour expérimenter & pour éprouver les
teintures métalliques, aussi bien que le degré de fixation des remèdes minéraux.

Le quatrième prend pour son sujet la limaille de fer enfermée dans une capsule,
ou dans un chaudron de même matière ; & cela, parce que ce corps étant une
fois échauffé, conserve sa chaleur beaucoup plus longtemps que les autres, &
qu’il la communique avec une plus grande activité au vaisseau, qui contient la
matière qui doit être distillée ou digérée, ou qui doit être cuite.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 85

Le cinquième, est celui de sable, pour servir de moyen interposé ; il tient une
chaleur moindre que celle de la limaille de fer, parce qu’il s’échauffe plus
lentement, qu’il se refroidit plutôt, & qu’il est plus aisé de le tenir en bride par
le moyen des registres bien appropriés.

Le sixième, est la chaleur des cendre, qui commence d’être une chaleur tempérée
à l’égard des autres degrés de feu, dont nous avons parlé ci-devant ; ce feu sert
ordinairement pour les extractions des mixtes , qui sont de moyenne substance,
soit de l’animal ou du végétable, & même pour leurs digestions & à leurs
évaporations.

Le bain-marie, ou en parlant plus proprement, le bain marin, fait la septième de


nos classes, & qui est la plus considérable de toutes les autres, comme étant
celle qui fait la plus excellente & la plus utile pâme du travail de la Chimie ;
parce que l’Artiste la peut conduire avec tant de jugement & avec tant de
proportion, qu’il peut faire avec son aide une grande diversité d’opérations, qui
sont impossibles par quelque autre voie imaginable ; car il peur être bouillant,
demi-bouillant, frémissent, tiède, demi-tiède, & tenir encore le milieu entre tout
ce que je viens de dire.

Le huitième degré du feu bien gradué, est le bain vaporeux ; car on peut mettre
le vaisseaux simplement à la vapeur de l’eau, qui est contenue dans le bain
marin ; & pour le neuvième, on peut mettre de la sciure de bois à l’entour du
vaisseau, qui reçoit la vapeur, ou de la paille d’avoine, ou de la paille hachée
menu ; parce que ce sont des corps qui attirent facilement cette vapeur & sa
chaleur, & qui la conservent longtemps dans une grande lenteur, & dans une
égalité presque parfaite.

Il y a encore le feu de lampe par-dessus tout ce que nous venons de dire, qui peut
être gradué, selon l’éloignement & l’approche de la lampe, qui aura un ou
plusieurs lumignons ; ces lumignons seront composés de deux, de trois, de
quatre ou d’un plus grand nombre de fils, selon qu’on voudra plus ou moins
échauffer la matière ; cette chaleur sert principalement à cuire & à fixer.

Les Chimistes ont encore inventé plusieurs autres sortes de chaleur qui ne leur
coûtent rien : comme celle du Soleil, soit en exposant leurs matières à la
réflexion des rayons de sa lumière, qui auraient été reçus par quelque corps,
plus ou moins capable de les renvoyer ; soit en concentrant les rayons de cette
même lumière, par le moyen du miroir ardent, qui est un instrument capable de
donner de l’étonnement aux plus habiles, qui ne connaissent pas la sphère de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 86

son activité ; puisque ces effets les moins considérables, sont de fondre les
métaux, selon la coupe & la grande du diamètre de ces instruments admirables.

Mais ce qu’il y a de moins concevable, c’est que cette chaleur est un feu
magique, qui est différent de tout autre feu ; puisque le dernier est destructif, &
que ce premier est conservatif & multiplicatif, comme l’expérience le fait voir en
la calcination solaire de l’antimoine, qui perd par cette opération son mercure &
son soufre impur, qui s’exhalent en fumée ; ce qui devrait diminuer de son
corps, & qui acquiert une vertu cordiale & diaphorétique, avec une
augmentation de son poids, ce qui se prouve ainsi. Si on calcine dix grains de ce
minéral au feu ordinaire, il diminue de quatre & par conséquent, il n’en reste
que six, qui seront encore cathartiques & émétiques ; mais si vous en calciner
autant à ce feu céleste, outre qu’il perd ses mauvaises qualités par l’exhalaison
qui se fait de ses impuretés, qui ont du poids, & qui semblent avoir diminué les
dix grains ; il se trouve qu’il y en a douze après que la préparation est achevée,
qui sont doués d’une vertu toute admirable, & c’est ce qui cause avec raison,
l’admiration des plus rares esprits : car il est augmenté de la juste moitié. Mais
on cesse d’admirer, quand on a une fois connu & qu’on a bien compris, que la
lumière est ce feu miraculeux, qui est le principe de toutes les choses naturelles,
qui se joint & qui s’unit indivisiblement à son semblable, lorsqu’il le rencontre
en quelque sujet ce soit.

Les Artistes se servent encore de la chaleur du fumier de cheval, qui est une
chaleur putréfactive, que Paracelse recommande particulièrement, quand il
s’agit d’ouvrir les corps les plus solides & les plus fixes, comme sont ceux des
métaux & des minéraux ; afin d’en extraire plus aisément les beaux remèdes
qu’il nous enseigne, on peut substituer à la chaleur du fumier, celle des bains &
des fontaines minérales, qui sont chaudes naturellement ; aussi bien que celle
du bain marin, qui est artificielle, pourvu qu’on la sache gouverner avec les
proportions requises.

CHAPITRE III.

De la diversité des vaisseaux.

Comme on ne met pas souvent les matières sur quoi l’Artiste travaille sur le feu
nu & à découvert, mais qu’il faut nécessairement qu’elles soient encloses dans
des vaisseaux propres & convenables à l’intention de celui qui travaille, qu’on
ajuste & qu’on pose artistement & avec un grand jugement sur le feu, qui agit
médiatement ou immédiatement ; afin que ce qui en sortira, ne se perde pas
inutilement, mais au contraire, qu’il soit soigneusement & curieusement

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 87

conservé : il faut donc que nous traitions dans ce Chapitre de la diversité de ces
vaisseaux , & des différents usages où ils peuvent être employés utilement.

Or ces vaisseaux doivent être considérés, ou selon leur matière, ou selon leur
forme, parce que ce sont deux parties essentielles, qui sont qu’on les emploie
dans les opérations de la Chimie ; & leur différence est aussi grande, qu’il y a de
différentes vues dans les esprits de ceux qui s’appliquent à ce travail. Et comme
il y a plusieurs siècle qu’on recherche la perfection des opérations de cet Art, il
faut aussi que nous tracions seulement en général la plus grande partie des
instruments nécessaires, afin de laisser une liberté toute entière, à l’intention de
ceux qui voudront travailler à ce bel Art, après qu’ils y auront été introduits,
pour parvenir jusqu’aux connaissances les plus cachées des belles préparations,
qui se font par son moyen.

On doit toujours choisir la plus nette matière pour la construction des vaisseaux
; il faut aussi quelle soit compacte & serrée, afin que les plus subtiles portions
de la matière ne puissent pas transpirer, & que cette matière des vaisseaux ne
soit pas capable de communiquer aucune qualité étrangère à la matière simple
ou composée, sur quoi le Chimiste opère. Le verre est le corps, q’on doit
employer exclusivement à tout autre, à cause de son resserrement & de sa
netteté, s’il était capable de souffrir toutes les actions du feu ; mais sa fusibilité
& les accidents qui le cassent, nonobstant toutes les précautions des Artistes,
fait qu’il faut avoir de nécessité recours à d’autres matières qui soient capables
de résider au feu, & qui ne se puissent rompre si facilement ; comme a la terre
de potier, qui fournit à la Chimie un bon nombre de vaisseaux pour son service,
selon la diversité de ces terres, & selon leur porosité : car si on dit qu’on les peut
enduire de quelques vernis, minéral ou métallique, qui empêcheront la
transpiration ; la réponse sera, que cela les rend de la même nature du verre, &
qu’ainsi elle sera sujette aux mêmes accidents ; car outre leur frangibilité
commune, il saut avoir encore égard à ne les pas exposer trop hâtivement du
froid au chaud, ni du chaud au froid ; parce que la compression ou la
raréfraction ne manquerait pas de causer la cassure des uns & des autres.

Nous avons aussi besoin de vaisseaux métalliques, pour faire beaucoup


d’opérations de l’Art Chimique, qui seraient bien malaisées & presque
impossibles sans ce secours ; tant à cause de l’action du feu, qui détruit & qui
consume ce qui lui est soumis, qu’à cause des diverses matières sur quoi
l’Artiste agit ordinairement. Car on a besoin de verre ou de terre vernissée,
pour contenir les acides & les substances salines, nitreuses, vitrioliques &
alumineuses. Au contraire, il faut avoir des vaisseaux métalliques, qui puissent

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 88

longtemps résister au feu ouvert, & qui contiennent beaucoup de matière,


quand on doit tirer l’esprit du vin en quantité. On ne peut aussi tirer les huiles
distillées des végétables sans ces vaisseaux ; parce que ces opérations ont besoin
d’un feu violent & long, pour désunir les parties balsamiques & éthérées, de
celles qui sont salines & terrestres ; ce qui ne peut être séparé qu’avec une
grande quantité d’eau & par une grande ébullition. Mais observer de ne jamais
vous servir d’aucun vaisseau, ni d’aucun instrument métallique, lorsqu’on
travaillera sur le mercure, qu’on doit prendre dorénavant pour le vif-argent,
parce que ce mixte s’allie & s’amalgame facilement avec la plus grande partie
des métaux, avec les uns plus facilement, & avec les autres plus difficilement.
Cela soit dit en passant, pour ce qui regarde la matière des vaisseaux.

Pour ce qui est de la diversité de la forme des vaisseaux, qui doivent servir aux
opérations de la Chimie, on la varie selon les différentes opérations. Car on se
sert de cucurbites, couvertes de leur chapiteau ou de leur alambic pour la
distillation, aussi bien que de la vessie de cuivre, qui doit être couverte de la tête
de maure, faite du même métal ou d’étain, de crainte que les esprits ou les huiles
qu’on distille, ne tirent quelque substance vitriolique du cuivre ; serait aussi
nécessaire, que tous les vaisseaux de cuivre, dont on se servira en Chimie,
fussent étamés pour empêcher ce que nous venons de dire ; il faut aussi se
servir de bassins amples & larges, sur quoi on posera une cloche d’étain
proportionnée, pour la distillation des fruits récents, des plantes succulentes &
des fleurs. Ces trois sortes de vaisseaux suffiront pour la distillation, qui se fait
des vapeurs qui s’élèvent en haut.

Mais il faut avoir des cornues ou des retortes, & de grands & amples récipients,
pour la distillation qui se fait des vapeurs, qui sont contraintes de sortir de coté,
ce que les Artistes ont reconnu nécessaire ; parce que ces vapeurs ne peuvent
pas être facilement élevées à cause de leur pesanteur : il est même quelquefois
nécessaire d’avoir des retortes ouvertes par le haut, qui soient ou de métal, ou de
terre ; comme aussi des récipients à deux & à trois canaux, ou à deux & à trois
ouvertures, pour en ajuster d’autres à ce premier, afin de condenser plus
facilement & plus subitement les exhalaisons & les vapeurs qui sortent de la
matière ignifiée ; car si cela ne se faisait pas, il faudrait de nécessité, ou que le
vaisseau qui contient la matière, se rompit, ou que le récipient sautât en l’air, s’il
était seul, parce qu’il n’y aurait pas assez d’espace pour contenir, recevoir &
tempérer l’impétuosité des fumées, que le feu envoie.

Il faut avoir des matras à long col, & qui soient d’embouchure étroite pour la
digestion : on peut aussi se servir à cet effet de vaisseaux de rencontre, qui sont

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 89

deux vaisseaux, qui s’embouchent l’un dans l’autre, afin que rien ne puisse
exhaler de ce qui est utile.

On se sert de pélicans pour la circulation, & même des jumeaux, qui sont deux
cucurbites avec leurs chapiteaux, dont les becs entrent dans le ventre de la
cucurbite opposée. Les rencontres peuvent aussi servit à cette opération ; mais
elles ne sont pas si commodes, que les deux vaisseaux précédents.

Il faut se servir d’aludels pour la sublimation, ou de quelques autres vaisseaux


analogues ; comme de mettre des pots de terre, qui s’embouchent les uns dans
les autres, ou des alambics aveugles, c’est-à-dire, sans becs : on se sert aussi de
papier bleu, qui soit sort & bien collé, pour en faire des cornets qui reçoivent les
exhalaisons des matières sublimables, comme cela se verra, quand on sublimera
les fleurs de benjoin.

Pour la fonte ou pour la fusion, aussi bien que pour la cémentation & la
calcination, il faut avoir des creusets, qui soient faits d’une bonne terre qui
résiste au feu, qui soit capable de retenir les sels en fonte, & d’empêcher
l’évaporation de leurs esprits, & même de tenir les métaux en flux ; il faut aussi
avoir des couvercles pour les creusets, qui se puissent ôter & remettre avec les
mollets, afin que les charbons, ou quelque autre corps étranger, ne tombent pas
dans la matière qui est au feu ; ou qu’on puisse lutter ces couvercles bien
exactement, comme cela se pratique dans les cémentations.

Il faut avoir finalement des terrines & des écuelles, des cuillères & des spatules de
verre, de faïence, de grès, ou de quelque autre bonne terre, qui soit vernissée ou
non vernissée, qui serviront pour les dilutions, les exhalations, les évaporation,
les cristallisations, & particulièrement pour les résolutions à l’air.

Ceux qui voudront travailler aux véritables fixations, auront besoin des œufs
philosophiques, ou d’un autre instrument qui est de mon invention, que je ne
peut appeler autrement que du nom de l’œuf dans l’œuf, ou Ovum in ovo ; il
participe de la nature du pélican, pour la circulation, & de celle de cet
instrument, qu’on appelle un enfer, à cause que tout ce qu’on y met n’en peut
jamais sortit : ce vaisseau sert à la fixation du mercure ; il a aussi la figure d’un
œuf qui est enfermé dans un autre, si bien que c’est comme le raccourci & la
véritable perfection de ces trois vaisseaux, qui peuvent servir à la fixation.

Or, comme la naïve description de tous ces vaisseaux ne peut être faite par écrit,
& que la démonstration est beaucoup plus avantageuse que la lecture, on aura

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recourt pour cet effet à la planche qui est à la fin de ce Chapitre, où l’on en verra
la représentation, qui servira de modèle.

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CHAPITRE IV.

De la diversité de toutes sortes de fourneaux.

Il ne suffit pas que le Chimiste ait de la chaleur & des vaisseaux, il faut qu’il ait
aussi des fourneaux pour régler & pour gouverner sa chaleur & son feu, pour
appliquer & ajuster les vaisseaux au degré de feu, qu’il jugera convenable à sa
matière. Les fourneaux sont des instruments, qui sont destinés aux opérations
qui se sont par le moyen du feu, afin que la chaleur puisse être retenue &

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comme bridée, pour la pouvoir gouverner selon le jugement, l’habileté &


l’intention de l’Artiste. On leur donne divers noms, selon la diversité des
opérations auxquelles ils sont appropriés. Car ils sont fixes & immobiles, ou
mobiles & portatifs. Nous ne parlerons ici que des fourneaux immobiles,
puisque ce sont ceux qui servent plus utilement aux opérations de la Chimie ; &
nous laisserons les autres à la fantaisie de ceux qui seront curieux de
s’appliquer à ce bel Art. La matière des fourneaux est triple ; savoir, les briques,
le lut, & les ferrements ; leur forme se prend de leur utilité.

Tous les fourneaux doivent avoir quatre parties, qui leur sont absolument
nécessaires, de quelque forme qu’ils puissent être construits, qui sont
premièrement, le cendrier avec sa porte, qui sert pour recevoir & pour retirer les
cendres qui tombent du charbon : secondement, il y a la grille, qui reçoit & qui
soutient le charbon. Il y a en troisième lieu, le réchaud ou le foyer avec sa porte,
pour jeter le charbon sur la grille, qui doit avoir ses registres pour gouverner &
pour régir la chaleur du charbon allumé, qui est contenu dedans. Il y a
finalement l’ouvroir ou le laboratoire, qui doit contenir les vaisseaux & les
matières sur quoi on travaille. Ce sont-là les remarques générales qui se doivent
faire sur la matière & sur la construction des fourneaux. Il faut ensuite dire
quelque chose de leur usage, & faire la description de leurs parties.

Il faut que nous commencions par le fourneau, qu’on appelle ordinairement


ATHANOR, qui est un mot Arabe, ou plutôt dérivé du Grec, pour signifier que ce
fourneau conserve une chaleur perpétuelle. On lui donne ce nom par
excellence, parce que ce fourneau n’est pas seulement plus utile que tous les
autres, pour une grande quantité d’opérations en même temps ; mais aussi
parce qu’il épargne le charbon, qu’il soulage les soins & l’assiduité de l’Artiste,
& que la chaleur qu’il communique, peut être régie avec une très grande facilité.
Il faut que l’Athanor ait quatre parties. La première, est la tour qui contient le
charbon. La seconde, est un bain-marie. La troisième, un fourneau de cendres.
Et la quatrième, celui du sable. La tour doit avoir quatre ou cinq pieds de
hauteur ou environ : un pied & demi de carrure en dehors, & dix pouces de
diamètre de vide en dedans. Il faut qu’elle ait son cendrier & sa porte pour la
communication de l’air, & pour retirer les cendres, & la porte du dessus de la
grille, qui ne sert que pour la nettoyer, & pour ôter les terres & les pierrailles,
qui se rencontrent quelquefois avec les charbons, qui boucheraient la grille, qui
empêcheraient l’air, & qui par conséquent éteindraient le feu. Il faut aussi que
cette tour ait trois ouvertures d’un demi-pied de haut, & de trois pouces de
large aux trois autres faces, qui soient faites au-dessus de la grille, afin qu’elles
communiquent la chaleur au bain-marie, au fourneau de cendres & à celui du

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sable, qui doivent être bâtis contigus à cette tour, auxquels on fera aussi à
chacun un cendrier & une grille avec sa porte, pour s’en servir en particulier
sans la tour. Ces trous se doivent fermer avec des platines de fer, qui se
hausseront & se baisseront, selon les degrés du feu qu’on voudra donner à l’un
ou à l’autre de ces fourneaux. On peut aussi faire accommoder un chaudron
quarré on rond, qui servira pour boucher le dessus de la tour, qui peut être utile
à beaucoup d’opérations, & principalement aux digestions : ce chaudron
s’emboîtera entre deux fers, dont l’un sera le bord du dedans de la tour, &
l’autre celui du dehors : il faut aussi que le vide d’entre ces deux fers soit rempli
de cendres, ce qui empêchera l’expiration de la chaleur par le haut de la tour; &
ainsi le feu sera contraint de pousser son action par les côtés, y étant appelé par
les registres, qui seront faits à chacun des trois fourneaux. Cela suffit pour
comprendre la structure & l’usage de l Athanor ; car pour ce qui est de la forme
& de la figure, elle dépend de l’Artiste.

On a encore besoin d’un fourneau distillatoire, dans lequel on enferme la vessie


de cuivre, pour la distillation des eaux de vie, & pour celle des esprits ardents,
qui se tirent par le moyen de la fermentation ; aussi-bien que pour l’extraction
des huiles distillées, qu’on appelle improprement essences ; & après avoir
couvert la vessie de la tête de maure, il faut avoir un tonneau qui ait un canal
tout droit, ou qui soit fait en serpent, qui passe au-travers, qui reçoive les
vapeurs que le feu chasse, & qui se condensent en liqueur dans ce canal, par le
moyen de l’eau fraîche qui est contenue dans le tonneau.

Il faut que ceux qui veulent opérer sur les minéraux, & sur les métaux, aient un
fourneau d’épreuve & de cémentation, qui n’est autre chose qu’un rond de
briques d’un pied de diamètre en dedans, & haut le huit ou neuf pouces, auquel
on laisse un trou pour le soufflet, après avoir fait le premier rang de briques,
qui doivent être très exactement jointes & liées ensemble par un bon lut qui
résiste bien au feu : ce fourneau peut aussi servir à coupeller & à calciner.

Un laboratoire ne peut être bien accompli, s’il n’est fourni d’un fourneau de
réverbère, qui doit être clos ou ouvert. On appelle clos, celui dans lequel on peut
distiller les eaux fortes & les esprits des sels, comme de nitre, de vitriol, du sel
commun & des autres choses de pareille nature. Celui qu’on appelle ouvert,
c’est celui dans lequel on peut réverbérer & calciner, par le moyen de la flamme
qui doit passer sur la matière du derrière en devant, y étant attirée par une
ouverture d’un demi-pouce de largeur, & de la longueur de tout le fourneau,
qu’on laisse derrière la platine de fer, qui soutient les matières qu’on veut
réverbérer ; & cette même flamme sort par une autre ouverture de pareille

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 94

dimension, qui sera le long du haut du fourneau en devant, immédiatement au-


dessous de son couvercle, qui doit être plat sans aucun autre registre que cette
longue ouverture du devant.

II faut finalement avoir un fourneau à vent pour les fontes minérales & pour les
métalliques, pour les vitrifications & pour les régules. Il faut que la grille soit
posée sur un quarré soutenu sur quatre piliers, afin que le vent & l’ait aient une
libre entrée, & qu’ainsi ils servent de soufflets : il faut qu’il y ait une ouverture
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 95

d’un pied en quarré aux quatre faces de ce soubassement ; puis on bâtira une
tour ronde de la hauteur de quinze pouces & de huit pouces de diamètre en
dedans ; que la porte pour l’entrée des creusets, soit de sept ou huit pouces de
largeur, & de dix de hauteur ; il est nécessaire de couvrir cette tour d’un
couvercle qui soit en dôme, avec un canal au-dessus, qui soit percé d’un trou de
trois pouces de diamètre, sur lequel on en emboîtera un autre de la hauteur de
trois ou quatre pieds, afin de concentrer mieux l’action du feu à l’entour du
creuset ou des autres vaisseaux, qui contiennent la matière qu’on veut fondre. Il
faut boucher l’entrée des creusets avec une porte de bonne terre qui soit de trois
pièces.

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Mais comme ceux qui s’adonnent au travail de la Chimie, ne sont pas toujours
sédentaires, & qu’ainsi ils ne peuvent être fournis de toutes les sortes de

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fourneaux ; il faut que je donne la manière d’en bâtir un, qui pourra servir
successivement à toutes les opérations de cet Art, pourvu qu’on ait les
vaisseaux nécessaires, & qui soient de la même mesure du fourneau que je
décrirai, ce qui se fait ainsi.

Il faut bâtir un fourneau d’un pied & demi en quarré, faire le fond du cendrier
d’une brique plate, & continuer d’élever le mur d’alentour de deux briques, &
laisser le vide au milieu avec la porte en devant de quatre pouces de haut, qui
sont deux briques : couvrez ensuite la porte d’une brique, & achever le tour du
quarré de la même égalité ; posez la grille qui soit de sept barreaux de fer de la
grosseur du maître doigt, qui soient forgés carrément : il faut poser ces barreaux
sur leur tranchant ou leur arrête, afin que les cendres puissent mieux couler, &
qu’ainsi elles ne suffoquent pas le feu ; qu’il n’y ait que la distance de
l’épaisseur du doigt indice entre chacun de ces barreaux ; puis après avoir égalé
l’épaisseur de votre fer avec des tuileaux ou avec du carreau, qui est à peu près
de la même épaisseur, & bien luté le tout ensemble, il faut commencer à bâtir en
hotte, & ne laisser que six pouces de découvert de votre grille, faisant à chaque
lit de vos briques une retraite de trois lignes, ce que vous continuerez jusqu’à
dix pouces de hauteur, qui est un espace nécessaire, tant pour contenir le
charbon, que pour le jeu du feu ; il faut aussi laisser une porte de la même
grandeur, que celle du cendrier ; après avoir achevé cela , il faut poser de plat
deux barres de fer de la grosseur d’un pouce, à la distance d’un demi-pied l’une
de l’autre ; puis égaler le mur avec du gros carreau, ou avec quelque autre corps
de pareille épaisseur ; & bâtir après cela tout à l’entour trois briques de côté,
pour avoir plus d’espace pour poser les vais-seaux nécessaires aux opérations
qui suivent.

Si on veut travailler au bain-marie, il faut avoir un chaudron rond, qui soit


proportionné de diamètre au-dedans de votre fourneau, & qui n’ait qu’un pied
de haut, afin de l’emboîter dans ce fourneau ; & l’espace qui sera dans les coins,
servira pour faire des registres pour l’évocation, ou pour la rémission de la
chaleur.

Il faut avoir aussi un autre chaudron, qui ait le fond de bonne taule ou de
planche de fer, avec le contour qui soit de moindre épaisseur, qui soit approprié
pour entrer dans le même fourneau, qui servira pour distiller & pour travailler
aux cendres, au sable & à la limaille de fer : si ce chaudron était d’un bon fer de
cuirasse, & qu’il fût forgé tout d’une pièce, il pourrait aussi servir de bain-
marie.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 98

Que si on veut travailler avec la retorte, on peut poser un couvercle de pots de


terre, renverse sur les barres, & mettre sur ce couvercle une poignée de sable,
qui servira de lut pour empêcher que le verre ne se casse, & que le feu n’agisse
trop promptement sur le vaisseau & sur la matière qu’il contient : après quoi, il
n’y a plus qu’à couvrir le dessus du fourneau d’une terrine de terre non
vernissée, qui soit percée au milieu, afin que ce trou serve de registre avec les
quatre autres angles, pour la direction du feu.

Si l’Artiste désire de se servir de fourneau, à la fonte, à la calcination, à la


cémentation, ou à la réverbération, il pourra le faire après avoir été le haut des
briques qui sont bâties de côté, comme aussi les barres, afin qu’il puisse
introduire ses vaisseaux & ses matières plus librement & plus facilement.

C’est ce que nous avions à dire des fourneaux, qu’on bâtit avec le lut & les
briques, il ne reste plus qu’à dire quelque chose du fourneau de lampe, qui peut
servit aux plus curieux à plusieurs opérations Chimiques. Ce fourneau doit êre
fait d’une bonne terre boleuse, qui soit compacte, bien pétrie, bien alliée, &
quelle soit bien cuite, afin que la chaleur de la lampe ne puisse transpirer ; &
afin que cela n’arrive pas, on pourra faire un enduit au-dedans & au-dehors du
fourneau, après qu’il sera cuit avec des blancs d’œuf, qui soient réduits en eau
par une continuelle agitation.

Ce fourneau doit être de trois pièces, qui fassent en tout la hauteur de vingt &
un pouces, qu’il soit de l’épaisseur d’un pouce, & qu il ait en dedans huit pouce
de diamètre. Il faut que la première pièce de ce fourneau qui est sa base, soit de
la hauteur de huit pouces, qu’il soit percé par le bas de quatre pouces & demi
de diamètre, afin que cette couverture serve pour l’introduction de la lampe,
qui doit être de trois pouces de diamètre & de deux de profondeur, qu’elle soit
ronde & couverte d’une platine qui soit percée au milieu d’un trou, qui puisse
recevoir une mèche de douze fils au plus, & qu’il y ait encore six autres trous de
pareille grandeur, qui soient proportionnés à une distance également éloignée
de celui du milieu. La seconde pièce sera de sept pouces de haut, il faut qu’elle
s’emboîte juste dans la première pièce, & qu’elle ait quatre pattes de terre qui
soient d’un pouce hors œuvre, pour soutenir un vaisseau de terre ou de cuivre,
qui aura six pouces de diamètre & de quatre de haut, qui servira de bain-marie
& de capsule, pour les cendres ou pour le sable. Il faut aussi que cette seconde
pièce soit percée de deux trous à l’opposite l’un de l’autre, qui soient d’un
pouce & demi de diamètre, auxquels on ajustera deux cristaux de Venise. Ces
deux trous se doivent faire entre la hauteur du quatrième pouce & du dernier
de la hauteur, qui serviront de fenêtre, pour voir le changement des couleurs

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 99

dans les opérations, comme aussi les dissolutions, en opposant une chandelle
allumée d’un côté & regardant de l’autre, parce que le vaisseau & la matière
qu’il contiendra, seront entre deux. La troisième pièce du fourneau doit être de
six pouces, pour achever les vingt & un pouces de la hauteur entière, qui doit
être faite en dôme ou en hémisphère, qui soit percée au haut, d’un trou d un
pouce de diamètre, qui reçoive plusieurs pièces de trois lignes chacune, qui
aillent toujours en rétrécissant jusqu’à un bouton fait en pyramide, qui fermera
le dernier. Il faudra qu’il y ait encore quatre autres trous de la même façon, qui
soient faits dans le troisième & quatrième pouce de la hauteur, & qui soient
également distants les uns des autres : ce sont ces trous qui servent de registre
au four à lampe, dont la chaleur est régie, pour l’augmentation ou pour la
rémission de son feu, par l’éloignement & par l’approche de la lampe, qui doit
être posée sur un rond de bois, qui soit ajusté sur un à vis qui l’élevé, ou qui
l’abaisse autant qu’on voudra, comme aussi en augmentant le nombre des
mèches, & en faisant ces mèches d’un ou de plusieurs fils, selon que les
opérations le demanderont.

Mais ce qu’il y a de plus considérable pour la remarque du plus ou du moins de


chaleur, se voit par le moyen du thermomètre, qui est un instrument de verre,
dans lequel on met de l’eau, qui marque très exactement les degré de la chaleur,
par l’abaissement & l’élévation de cette eau. On pourra rectifier les huiles, dont
on se servira pour la lampe sur des sels fixes faits par calcination, afin qu’elles
fassent moins de suie, & qu’elles agissent plus puissamment, puisque cette
rectification leur ôte leur humidité excrémenteuse & leur superflu. Les mèches
doivent être d’or ou d’alun de plume, ou d’amiantes, qui est un minéral qui se
trouve dans l’Ile d’Elbe, auxquelles on pourra substituer la moelle interne de
sureau ou de jonc, qui soit bien desséchée, qu’il faudra changer de vingt-quatre
heures en vingt-quatre heures, ce qui fait qu’il faut avoir deux lampes, qu’on
substituera l’une à l’autre, afin qu’il n’y ait aucune intermission de la chaleur. Si
on se sert de la mèche de moelle de sureau, il faut qu’il y ait une petite pointe
de fer aiguë qui soit soudée au fond de la lampe, & qui réponde au milieu du
trou du couvercle qui doit contenir la mèche.

La figure de tous ces fourneaux se verra dans la planche, qui est à la fin de ce
Chapitre. Il faut seulement dire encore deux mots des instruments de fer qui
sont nécessaires pour les fourneaux : car il faut avoir des tenailles pour tirer les
creusets du feu, des mollets ou des pincettes, un racloir fait en crochet pour
nettoyer les grilles, & une pelle de fer pour tirer les cendres. Il faut aussi avoir
un cornet de fer, forgé & bien soudé pour le jet de régules, dont on verra aussi
la figure avec les instruments de verre.

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CHAPITRE V.

Des lutations.

Après avoir fait la description de la variété des vaisseaux & de leurs usages,
aussi-bien que de la diversité des fourneaux, il faut parler de toutes les
lutations, tant du lut ou du mortier qui sert à la fabriqua des fourneaux, que du

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 103

lut qui sert à la conservation des vaisseaux, & à radouber & raccommoder leurs
cassures, & même à leur mutuelle conjonction.

Le lut qui doit être employé à la construction des fourneaux, se doit faire avec
de la terre argileuse, qui ne soit pas trop grasse, de peur qu’elle ne fasse des
fentes, & qui ne soit pas trop maigre, ni trop sableuse, de peur qu’elle n’ait pas
assez de liaison : il faut détremper cette terre avec de l’eau, dans quoi on aura
détrempé de la crotte de cheval en bonne quantité & de la suie de cheminée,
afin que cela communique à l’eau un sel, qui donne la liaison & la résistance au
feu. Que si on se veut servir de ce même lut, pour enduire & pour lutter les
vaisseaux de verre ou de terre qu’on expose au feu ouvert, & principalement
pour les retortes, il y faudra ajouter du sel commun, ou de la tête morte d’eau
forte, du verre pilé & des paillettes de fer, qui tombent en bas de l’enclume
quand on forge ; & on aura un lut qui résistera si bien au feu, qu’il sera
impénétrable aux vapeurs, jusque là qu’il sert de retorte, lorsque celles de verre
sont fondues par la longueur & la grande violence du feu de flamme, qu’on
donne sur la fin des opérations qu’on fait sur les minéraux. Quand nous avons
parlé des vaisseaux, nous avons dit qu’il y en avait qu’on devait joindre
ensemble pour une seule opération ; & que lorsque les substances sur quoi on
travaille, sont subtiles, pénétrants & éthérées, il est nécessaire que les jointures
des vaisseaux soient très exactement luttées. Il faut donc qu’il y ait trois sortes
de luts, pour joindre les vaisseaux ensemble, lorsqu’ils ne sont pas exposés au
feu ouvert ; le premier, est le lut, qui se fait avec les blancs d’œufs battus &
réduis en eau par une longue agitation, dans quoi il faut tremper des
bandelettes de linge, sur quoi il faut poudrer de la chaux vive, qui soit réduite
en poudre subtile, puis poser une autre bande de linge mouillé, puis poudrer &
continuer ainsi jusqu’à trois fois ; mais notez qu’il ne faut jamais mêler la
poudre de la chaux vive avec l’eau des blancs d’œufs, d’autant que le feu secret
de cette chaux les brûlerait & les durcirait, qui est pourtant une faute que
beaucoup d’Artistes commettent : on peut aussi tremper de la vessie de porc, ou
de celle de bœuf, dans l’eau de blancs d’œufs, sans se servir de la chaux, &
principalement dans la rectification & dans l’alcoolisation des esprits ardents,
qui se tirent des choses fermentées. Le second lut, est celui qui se fait avec de
l’amidon, ou avec de la farine cuite & réduite en bouillie avec de l’eau
commune : ce lut suffit pour lutter les vaisseaux, qui ne contiennent pas des
matières si subtiles. Le troisième, n’est rien autre chose que du papier coupé par
bandes plier & trempé dans l’eau, qu’on met à l’entour du haut des cucurbites,
tant pour empêcher que le chapiteau ne froisse la cucurbite, que pour empêcher
les vapeurs de s’exhaler : cette lutation n’a point de lieu, que lorsqu’on évapore

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 104

& qu’on retire quelque menstrue, qui ne peut être utile à quelque autre
opération.

Il faut aussi faire un bon lut, pour les fissures des vaisseaux & pour les joindre
ensemble, lorsqu’ils doivent souffrir une grande violence de feu. Il y en a de
deux sortes. Le premier, est celui qui se fait avec du verre réduit en poudre très
subtile, du karabé, ou du succin & du borax, qu’il faut détremper avec du
muscilage de gomme arabique, qu’on appliquera aux jointures des vaisseaux ou
à leurs cassures ; & après que cela sera bien séché, il faudra passer un fer rouge
par-dessus, qui leur donnera une liaison & une union presque parfaite avec les
vaisseaux. Mais si on ne veut pas tant prendre de peine, il faut faire simplement
un lut avec du fromage mou, de la chaux vive & de la farine de seigle, &
l’expérience fera voir qu’il est très excellent pour cet effet.

Que si vous adapter le col de la cornue au récipient, pour la distillation des


eaux fortes & des esprits des sels, il faut prendre simplement du lut commun &
de la tête morte de vitriol ou d’eau forte, avec une bonne poignée de sel
commun, qu’il faut bien pétrir ensemble avec de l’eau, dans quoi on aura
dissout le sel, & boucher avec ce lut l’espace qui joint le récipient & la cornue
ensemble, & le faire sécher à une chaleur lente, afin qu’il ne fasse point de fentes
; que s’il arrivait qu’il se fendît, il faut avoir soin d’en bien refermer les fentes, à
mesure qu’elles se font, parce que cela est de grande importance pour empêcher
l’exhalaison des esprits volatils.

On peut encore ajouter légitimement a toutes ces lutations, le lut ou le seau de


Hermès, qui n’est rien autre chose que la fonte du verre, dont le col du vaisseau
est fait : il faut pour cet effet donner le feu de fusion peu à peu, & lorsqu’on voit
que le col du vaisseau commence à s’incliner par la chaleur du feu qui fond le
verre, il faut avoir des ciseaux qui soient forts, & couper le col de ce vaisseau à
l’endroit où le verre commence à couler : cela fait une compression qui unit les
bords du verre inséparablement. Que si on aime mieux le serrer en pointe, en
tortillant le col du vaisseau peu à peu, il faut après mettre le petit bout à la
flamme de la chandelle ou de la lampe, afin qu’il se forme un petit bouton, qui
bouche bien exactement un petit trou, qui demeure ordinairement au bout du
tortis, & qui est presque imperceptible.

Or, comme les vaisseaux ne sont pas toujours fabriqués selon que nous le
désirerions, & qu’il en saut ôter souvent quelque partie, qui peut incommoder
dans les opérations ; il faut aussi enseigner de quelle façon cela se pourra faire
sans risquer le vaisseau, ce qui se fait en rompant & cassant le verre également
en travers : on y procède de trois façons, savoir, ou en appliquant un fer rouge
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 105

pour commencer la fente ou la fissure, ou en faisant trois tours de fil soufré à


l’entour du col du vaisseau, s’il est gros & épais, ou finalement en échauffant &
tournant le vaisseau qu’on veut casser, à la flamme de la lampe ou de la
chandelle, s’il est petit & mince ; & lorsque le verre est bien échauffé par l’un de
ces trois moyens, il le faut essuyer, & jeter dessus quelques gouttes d’eau froide,
qui feront une fente, qu’il faudra continuer & conduire jusqu’au bout avec de la
mécher d’arquebuse allumée, en échauffant le verre en soufflant sur le charbon
de la mèche, & ainsi on ne risquera jamais les vaisseaux.

CHAPITRE VI.

De l’explication des caractères & termes, dont les Auteurs se sont servi en Chimie.

Comme les anciens Sages cachaient les secrets de la nature sous des ombres &
sous des obscurités, de peur que le vulgaire ignorant ne profanât la sacrée
Philosophie ; les Philosophes hermétiques, qui sont les Chimistes, en ont usé de
même pour ne pas rendre leur science commue, & pour ne pas profaner les
mystères admirables qu’elle contient : c’est pourvoi ils se sont servis de
marques & de caractères hiéroglyphiques, aussi bien que de quelques termes
qui sont inusités aux autres, pour exprimer plusieurs choses, qui sont de
l’essence de la théorie ou de la pratique de leur art. Ce qui fait que nous avons
jugé à propos d’expliquer, autant que nous pourrons, ce que signifient ces
marques & ces termes obscurs, afin que lorsque les curieux de la Chimie les
rencontreront dans les Auteurs anciens ou dans les modernes, cela ne les rebute
pas, & ne leur fasse commettre aucune faute : assurant que ce que nous en
dirons, donnera assez de lumière aux nouveaux Chimistes, pour les introduire
dans la claire intelligence de tous les livres, qui traitent de cette belle Physique.

Les Chimistes se servent encore, outre toutes ces marques, de plusieurs termes
obscurs pour cacher leur science, qui semblent très étranges aux novices en cet
art : c’est pourquoi il faut aussi que nous en expliquions quelques-uns des plus
cachés, pour mieux faire connaître les autres. Ainsi ils ont appelle Lili, la
matière pour faire quelque teinture excellente, soit de l’antimoine, ou de
quelque autre chose ; l’eau forte, estomac d’Autruche ; le sel armoniac sublimé,
l’aigle étendue ; la teintée d’or, le lion rouge ; celle du vitriol, le lion vert ; les
deux dragons, le mercure sublimé corrosif & l’antimoine ; le beurre
d’antimoine, l’écume envenimée des deux dragons ; la teinture de l’antimoine,
sang de dragon ; & lorsque cette teinture est coagulée, ils l’ont nommée la gelée
du loup. Ils appellent encore la rougeur qui est dans le récipient, quand on
distille l’esprit du sel de nitre, le sang de la Salamandre. Ils ont appelé la vigne,
le grand végétable ; & le tartre, l’excrément du suc du plan de Janus, &
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beaucoup d’autres noms qui sont plus ou moins énigmatiques, que nous ne
rapporterons pas ici, tant à cause que cela serait inutile & ennuyeux, que parce
qu’ils peuvent être facilement conçus & entendus pat la lecture & par le travail,
qui sont les deux fils qui peuvent faite sortir de ce labyrinthe. Ainsi nous
finirons ce Chapitre & ce premier Livre, pour entrer par le second de notre
deuxième partie, dans la description ingénue que nous donnerons du travail, de
la préparation des remèdes, & des excellents usages auxquels ils peuvent être
appliqués. Et les caractères sont expliqués dans la Table ci-jointe.

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LIVRE SECOND.

Des Opérations Chimiques.

CHAPITRE I.

Des observations pour la séparation & pour la purification des cinq premières
substances, après qu’elles ont été tirées des composés.

Le feu est un puissant agent & une cause équivoque, qui élève facilement les
substances évaporables, sublimables & volatiles, comme sont le phlegme,
l’esprit & l’huile. Le phlegme est élevé le premier, à cause qu’il n’adhère pas
beaucoup aux autres, & c’est pour cela qu’il ne faut qu’un feu lent pour son
extraction, comme il faut aussi un feu plus fort pour faire sortir l’huile, à cause
de sa viscosité & de son union avec le sel ; & l’esprit requiert encore un feu plus
violent à cause de sa pesanteur, puisque les esprits ne sont que des sels ouverts,
comme les sels ne sont que des esprits coagulés. Quelquefois le phlegme, l’huile
& l’esprit montent confusément ensemble avec beaucoup de sel, par la grande
violence & par la véhémence du feu ; & même on trouve souvent beaucoup de
terre, qui s’est sublimée avec ces substances, comme on le peut voir en la suie
des cheminées, dont ou peut faire aisément la séparation des cinq substances.

On peut donc séparer le phlegme, qui sort le premier à la chaleur du bain-marie,


ou à quelque autre, qui lui soit analogue. On le sépare de l’huile par l’entonnoir,
parce que l’huile surnage ; mais il le faut séparer de l’esprit par la chaleur
tempérée du bain-marie, ou quelque autre semblable ; car cette chaleur est
capable de faire monter le phlegme, & ne peut pousser l’esprit en haut à cause
de sa pesanteur : il faut donc un feu plus fort pour sublimer l’esprit, comme
celui des cendres, du sable ou de la limaille, ou même de quelque chaleur plus
vive, selon la nature particulière de l’esprit.

Le sel & la terre n’ont pas une étroite liaison ensemble, c’est pourquoi on les
peut facilement séparer par le moyen de quelque liqueur aqueuse, qui est le
menstrue le plus propre pour dissoudre les sels, & pour les séparer de la terre :
& comme la terre est d’une nature indissoluble, elle se précipite au fond par sa
pesanteur. Après qu’on aura séparé le sel de cette manière, il faut filtrer la
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 109

lessive, & faire évaporer jusqu’à pellicule le menstrue dans des écuelles de
verre, de faïence ou de grès, puis les exposer au froid pour faire cristalliser le
sel, qu’il faut dessécher à une chaleur lente, puis le mettre dans des vases de
verre, qui soient bien bouchés, afin d’empêcher qu’ils ne se résolvent par
l’attraction de l’humidité de l’air.

Mais il faut remarquer que les esprits ardents, qui sont faits des choses
fermentées, sont encore plus légers que le phlegme, & qu’ainsi ils moment les
premiers ou dans leur distillation, ou dans leur rectification. L’exemple en est
familier & remarquable dans la façon dont se fait le vin : car si on prend du
moût pour le distiller, avant qu’il ait été fermenté, il ne montera que du
phlegme ; car l’esprit demeurera lié & attaché avec le sel essentiel de ce suc, qui
s’épaissira en un extrait fort doux & très agréable : au lieu que si l’on attend à
distiller cette liqueur, après que la fermentation aura été faite dans les celliers,
on tirera un esprit ardent le premier, le phlegme suivra, & il ne restera au fond
qu’un extrait ingrat & mauvais, parce que ce sel essentiel du moût aura été
volatilisé en esprit par l’action de la fermentation.

La différence des vaisseaux & les divers degrés du feu, servent aussi beaucoup
à séparer & à rassembler ces diverses substances, après qu’elles sont déliées les
unes des autres : car la liaison étant une fois rompue, chacune se retire à part ;
mais lorsque le feu intervient, il met & réduit le tout en vapeurs & en
exhalaisons, que les Artistes reçoivent en des vaisseaux divers, selon la diversité
de ces substances. Ainsi on sépare facilement l’esprit de l’huile par l’entonnoir,
soit qu’elle surnage comme des huiles des fleurs & des semences, soit qu’elle
aille au fond, comme celle qui se tire des aromates & des bois. Mais on ne
sépare le sel de l’esprit que par une grande & violente chaleur, à cause de la
grande sympathie, qui est entre l’esprit & le sel : ce qui fait remarquer qu’il faut
des sels pour fixer les esprits, & qu’il faut aussi réciproquement des esprits pour
volatiliser les sels.

Chacun pourra recueillir de soi-même, sur ce que nous avons dit ci-devant,
plusieurs autres belles considérations pour ce qui concerne les distillations des
mixtes, qui sont abondants en sel, en esprit, ou en huile, ou en quelque autre
substance moyenne entre ces trois ; mais il faut surtout remarquer
généralement, que les animaux & leurs parties ne requièrent dans les opérations
que l’on fait sur leur substance, qu’une chaleur très lente, à cause qu’ils sont
composés d’une huile & d’un esprit, qui font très volatils, & que les végétaux &
leurs parties demandent une chaleur d’un degré plus exalté, suivant le plus ou

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 110

le moins de fixité qu’ils ont en eux ; mais les minéraux, & surtout la famille des
sels, demandent la chaleur la plus violente.

Lorsque les huiles, les esprits & les autres substances montent confusément
ensemble, il les faut rectifier, c’est-à-dire, qu’on les purifie par une distillation
réitérée. Or le feu lent & léger emporte & enlève facilement le phlegme d’avec le
sel, le sel se cache dans le sein de la terre, & ne la quitte point, jusqu’à ce que
l’esprit & l’huile en soient séparés par l’augmentation du feu, qui achève de
désunit le composé par la violence de son action ; & cela étant achevé, il faut
verser de l’eau sur la terre, qu’on appelle ordinairement & assez improprement
tête morte ; & cette eau résout & dissout le sel, après quoi on évapore le
menstrue, & le sel se trouve au fond du vaisseau, transparent & cristallin, si
c’est un sel essentiel, qui est toujours de la nature du nitre, pourvu qu’on y
laisse une portion du phlegme, afin que le sel se cristallise dedans : mais si le sel
est un sel alcali, qui se fait par la calcination, il le faut évaporer à sec, & le sel se
trouve au fond du vaisseau, en forme de pierre opaque & friable.

Toutes ces remarques sont très nécessaires dans la pratique, parce qu’on n’a
souvent besoin que d’une de ces substances, qui soit séparée de toutes les autres
: c’est pourquoi il faut la savoir tirer du mélange des autres, d’autant que quand
les autres y sont encore jointes, l’effet que nous désirons, est empêché par la
connexion & la présence des principes associés : car une partie du mixte peut
être astringente & coagulative ; & l’autre sera dissolvante & incisive, selon la
diversité des principes qui composent ce mixte : ces parties demeurant jointes
ensemble, préjudicient l’une à l’autre, si bien que quand on a l’intention de
dissoudre, il faut connaître & savoir séparer le principe dissolvant à part,
comme il faut prendre le principe coagulatif pour coaguler.

Les premières dissolutions ont toujours quelques impuretés, & sentent


ordinairement l’empyreume, & principalement celles qui sont faites sans
addition de quelque menstrue avec grande violence de feu, comme les nulles
qu’on tire par la retorte, qui sont crasses & remplies de quelque portion du sel
volatil du mixte, & quelquefois du sel fixe, qui monte par l’extrême action du
feu. C’est pourquoi il faut savoir le moyen de séparer ces différentes parties :
car si l’huile qui aura été distillée, est remplie de ces impuretés, ou qu’elles ait
acquis une odeur empyreumatique ; il faut la rectifier sur des sels alcali, comme
sur le sel de tartre, ou sur des cendres gravelées, ou encore sur le sel des
cendres de foyer : car la sympathie qu’il y a entre les sel, fera qu’ils se joindront
ensemble, ou pour parler plus philosophiquement, les sels fixes tueront par leur
action les sels volatils, qui sont ordinairement acides, & ainsi l’huile montera

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 111

claire, subtile, & sans avoir cette odeur de fumée, & que le sel volatil charrie
avec soi comme une espèce de suie. Que si la première rectification n’est pas
suffisante, il faudra la réitérer sur d’autres sels, ou sur le même sel dont on se
sera déjà servi, pourvu qu’on l’ait auparavant fait rougir dans un creuset, pour
lui faire perdre l’impureté & la mauvaise odeur, qu’il avait acquise dans la
première rectification.

Il faut séparer les impuretés des esprits, par leur rectification sur des terres, qui
soient privées de tout sel, ou sur des cendres dont on aura tiré le sel par les
lessives : parce que si on les rectifiait sur des corps qui eussent du sel en eux, ce
sel retiendrait une portion de l’esprit ; ou si l’esprit était plus puissant, il
volatiliserait le sel, & le sublimerait avec soi, à cause de leur sympathie
mutuelle, qui fait qu’ils se lient & qu’ils s’unissent très étroitement ensemble.
Ceux qui ont ignoré l’action, la réaction & les diverses fermentations qui se font
dans le travail de la Chimie, par le moyen & par le mélange des sels & des
esprits, ont erré, & ont commis des fautes irréparables ; comme cela se peut
remarquer par la lecture des Praticiens Chimiques.

On peut purifier les sels volatils, en les dissolvant dans leurs propres esprits,
après quoi il les faut filtrer pour en séparer les hétérogénéités, ou matières
étrangères, puis les pousser dans des cucurbites basses, ou dans des cornues,
qui aient le col bien large ; ainsi on fera deux opérations à la fois : car on
rectifiera l’esprit, & on sublimera le sel volatil, qui n’est autre chose qu’esprit
coagulé, ou qu’une substance qui est d’une nature moyenne entre les sels & ses
esprits, par le mélange dune petite portion du soufre interne du mixte dont il a
été tiré.

Pour ce qui est des sels essentiels, comme font ceux qu’on tire des sucs des
plantes vertes & succulentes, où le nitre & le tartre prédominent, qui
contiennent en eux les principes, qui possèdent l’essence & la principale vertu
du mixte ; il les faut purifier ou avec de l’eau de pluie distillée, ou dans l’eau
qu’on aura tirée des sucs des plantes ; puis il faut passer ces dissolutions sur des
cendres du foyer, ou sur celles qui auront été faites par la calcination du marc
des plantes, qui auront été pressées, afin que cela serve comme de filtration,
pour ôter les terrestréités & les viscosités, qui pourraient empêcher la
cristallisation de ces sels : il faut ensuite évaporer ce qui aura été coulé, jusqu’à
la réduction du quart de toute l’humidité, puis verser le reste dans une terrine
qu’on mettra en lieu froid, pour laisser cristalliser la substance saline, qui est
contenue dans la liqueur.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 112

Quant aux sels alcali ou fixes, qui se font par la calcination, il les faut purifier en
réverbérant les cendres jusqu’à ce qu’elles soient grises ou blanchâtres ; après
cela il s’en fait une lessive qu’on filtre & évapore jusqu’à sec, si c’est le sel de
quelque plante qu’on a distillée, il faudra réitérer la dissolution de ce premier
sel dans l’eau propre de cette plante, afin que ce qui est spirituel & de sel
essentiel dans cette eau, se joigne au sel fixe qui le retiendra, ce qui augmentera
sa vertu : c’est même ce qui empêchera que ce sel ne se résoudre à l’air aussi
facilement qu’il ferait. Si le sel a été ainsi préparé, on le peut exposer au froid
pour le cristalliser, après avoir été évaporé jusqu’à pellicule ; mais si c’est une
simple lessive, il la faut évaporer jusqu’à sec, après qu’elle aura été filtrée.

Tout ce que nous venons de dire, doit faire connaître qu’il ne faut épargner ni
peine, ni travail, pour séparer & pour purifier toutes ces diverses substances ;
puisque c’est une chose qui est absolument nécessaire, afin que l’une ne soit pas
contraire à l’autre, & qu’ainsi on puisse se servir de ces beaux remèdes, selon les
véritables indications de la Médecine : car ces substances étant jointes encore
ensemble, nuisent quelquefois plus qu’elles ne soulagent, & ce mélange
empêche que ce qui peut faire à notre intention, n’agisse selon toute l’étendue
de la vertu du sel, de l’huile ou de l’esprit, parce que la faculté de l’une de ces
choses est empêchée & rabattue par la viscosité, ou par la sécheresse de l’aautre.

Toutes ces remarques générales peuvent être appliquées à toutes les


préparations Chimiques, qui se font non seulement sur les animaux & sur les
végétaux ; mais aussi à celles qui se font sur les minéraux ; & autant pour ceux
qui travaillent à la métallique, que pour ceux qui cherchent des remèdes pour
exercer la Médecine, qui ne travaillent que pour contenter leur curiosité, & pour
l’examen des vérités physiques.

CHAPITRE II.

Apologie des remèdes préparés selon l’art de la Chimie.

J’ai crû qu’il était nécessaire de décharger ceux qui font profession de la Chimie,
des calomnies & des impositions que les ignorants de ce bel Art leur imputent,
avant que de faire la description des préparations des remèdes, dont les
véritables médecins se servent ; afin de précautionner de défenses, & de munir
de raisons ceux qui s’adonnent à cette science, contre la faiblesse de leurs
ennemis. Je dis que ces ennemis des Chimistes & de la Chimie sont ignorants,
parce qu’ils n’ignorent pas seulement la vraie préparation & les véritables effets
de ces remèdes, mais qu’ils ignorent encore de plus & la nature & ses effets, qui
ne peuvent être découverts que par ceux qui travaillent sur les productions

112
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 113

naturelles, & qui anatomisent exactement & curieusement toutes les parties
qu’elle contiennent en particulier.

Mais avant que d’alléguer les raisons que les Galénistes & les Chimistes
peuvent apporter de part & d’autre dans le différend & le procès qui est entre
eux, il faut trouver premièrement un juge compétent & capable de décider la
question ; c’est-à-dire, qu’il faut que ce juge ait une exacte connaissance de la
science & des opinions des uns & des autres. Car un Galéniste ne pourrait
blâmer & réfuter légitimement la théorie & la pratique de la Chimie, s’il n’avait
une parfaite connaissance des deux parties de cet Art. D’une autre part le
Chimiste ne peut réfuter l’erreur des Galénistes, s’il n’a la connaissance de leur
doctrine toute entière. Mais afin que personne ne se scandalise, il faut qu’on
sache qu’il y a une grande différence entre les Galénistes & la doctrine de
Galien, & que ce n’est pas contre cet Auteur que la Chimie déclame, parce
qu’elle sait le désir extrême qu’il a eu de pouvoir être Chimiste ; puisqu’il a
recherché avec une grande avidité une science qui lui apprît à séparer les
diverses substances, dont les mixtes sont composés. Mais aujourd’hui tel se dit
être Galéniste, qui n’a cependant jamais mis le nez dans les œuvres de Galien ;
& tel se vante de suivre la doctrine d’Hippocrate, qui n’a toutefois jamais
examiné sa pratique. Il faut donc appeler Galénistes, ces Médecins qui ne le sont
que de nom seulement, & qui après avoir pris quelques écrits dans une
Université, qui leur donne la créance que la Médecine n’est rien autre chose
qu’une science du chaud & du froid, s’en vont après cela dans quelque ville
pour y pratiquer, où tous leurs discours ne sont tissus que de la chaleur & de la
froidure, tout leur entretien & toute leur science ne prêchent que le plus ou le
moins de ces premières qualités. Mais le grand Fernel, qui a été l’ornement de
son siècle, confesse & fait paraître, après avoir reconnu cette erreur, qu’il y a
beaucoup d’autres vertus dans les mixtes, par-dessus ces premières qualités,
comme il le fait voir évidemment sur la fin de son second Livre, De abditis rerum
causis, où il montre comment il faut tirer la vertu séminale qui est contenue
dans les choses, & qui est avec vérité le siège de toute leur activité.

Il faut donc établir la Philosophie Péripatéticienne pour juge de cette


controverse, pourvu qu’elle soit imbue de la belle connaissance de la Médecine
Galénique, aussi-bien que de celle de la Médecine chimique, afin qu’ainsi
personne ne soit juge & partie. Pour cet effet il faut se dépouiller de tous les
préjugés qu’on pourrait avoir pour l’un ou pour l’autre de ces deux Arts, pour
les soumettre à l’examen de la raison, qui est la pierre de touche, qui découvre
la bonté ou la fausseté de toutes les sciences.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 114

Les Galénistes, tels qu’ils ont été dépeints, blâment premièrement les remèdes,
qui ont été préparés selon l’art de la Chimie, pour trois causes. La première est,
parce que ces remèdes ne peuvent être faits que par le moyen du feu : la
seconde, parce qu’on les tire des minéraux ; & la troisième, parce qu’ils agissent
avec trop de violence.

C’est à quoi il faut répondre par ordre, & dire premièrement, que s’il fallait
blâmer tout ce qui passe par le feu, & tout ce qui ne peut être fait sans ce
moyen, les Cuisiniers qui apprêtent les aliments, & les Apothicaires même qui
préparent les médicaments selon leurs règles, s’y opposeraient. Secondement,
que tous les remèdes Chimiques ne sont pas tirés des minéraux, quoiqu’on leur
puisse dire qu’ils s’en servent eux-mêmes dans leur pharmacie ; mais que la
plus grande & la meilleure partie des plus excellents remèdes Chimiques sont
tirés de la famille des animaux & des végétaux. Et pour la troisième raison, il
faut dire, que s’il y en a quelques-uns qui agissent avec violence, & que le
Médecin Chimique s’en serve avec jugement dans quelque maladie opiniâtre &
désespérée, qu’il ne fait rien en cela qu’à l’imitation de ce grand Hippocrate, qui
se servait de l’ellébore, qui est le plus violent de tous les végétaux. Que s’ils
objectent que ce grand Médecin ne se servait de ce remède, que faute d’en avoir
quelque autre ; on peut aussi leur répondre raisonnablement, que les Médecins
Chimiques ne se servent de ces remèdes violent qu’aux extrêmes maladies, &
cela, quia extremis morbis extrema remedia.

C’est être pourtant bien ignorant de la Chimie, de dire que tous les remèdes
qu’elle produit, sont violents ; car elle travaille à les préparer d’une manière si
belle & si nécessaire, qu’ils en sont plus agréables au goût, plus salutaires au
corps, & moins dangereux dans leurs opérations. Et c’est proprement en cela
que la Pharmacie Chimique diffère de la Galénique, qui prépare bien les
médicaments, & qui prétend en corriger le vice & la violence ; mais elle ne le fait
pas avec la perfection requise, puisqu’elle ne sépare pas le pur de l’impur, ni
l’homogène de l’hétérogène. Car, qui est-ce qui ne confessera qu’un malade
prendra plus gaiement quelques grains de magistère, de scammonée ou de
jalap, ou quelque pilule d’un extrait panchymagogue, ou finalement une très
petite portion d’une bonne préparation du mercure, qu’on peut envelopper
dans des conserves agréables, ou dans des gelées délicates, ou bien encore les
dissoudre dans quelque liqueur agréable, que d’avaler un bol de cinq ou six
dragmes de casse ou de catholicum double ? Qu’il prendra de meilleur courage
trois ou quatre grains de quelque sudorifique spécifique, comme du bésoard
minéral, que d’avaler un verre de quelque dissolution de thériaque, ou d’opiate
de Salomon. Qu’il répugnera moins à un bouillon dans quoi on aura dissout un

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 115

scrupule de tartre vitriolé, qu’à un grand verre d’apozème, ou de quelque sirop


magistral fait à l’antique, dont les recipés sont ordinairement de la longueur
d’un pied & demi.

Mais on dira de plus, que quoique les Chimistes se vantent de la douceur & ce
l’agrément de leurs remèdes, il faut néanmoins qu’ils avouent qu’ils sont plus
dangereux que les autres, à cause qu’ils sont tirés des minéraux. Il est vrai que
la Chimie ne nie pas qu’elle ne tire beaucoup de remèdes de la famille des
minéraux ; mais elle ne veut, ni ne peut avouer qu’ils soient ni vénéneux, ni
contraires à la nature humaine, parce que c’est une très haute ignorance de
l’affirmer de cette sorte. Car si les Anciens les ont mis en usage tous crus & sans
aucune préparation, comme on le peut voir dans Galien même, dans
Dioscoride, dans Pline & dans plusieurs autres Auteurs. Si les Galeristes
modernes s’en sont aussi servis, comme Rondelet qui se sert du mercure cru
dans ses pilules contre la vérole. Mathiole qui a pratiqué l’antimoine, qu’il
appelle par excellence la main de Dieu ; si Gesnerus a employé le vitriol,
Fallope la limaille d’acier, & Riolan & tant d’autres le soufre, pour les maladies
du poumon ; pour quelle raison ne sera-t-il pas permis aux Chimistes de se
servir de ces mêmes remèdes, lorsqu’ils les ont préparés & corrigés, & qu’ils les
ont dépouillés de la malignité & du venin qu’ils contenaient, par la séparation
du pur & de l’impur ; qui vaut beaucoup mieux que la prétendue correction des
Galénistes, qui tachent de dompter le vice & la malignité des mixtes, dont les
Anciens se sont servis, & dont ils se servent encore, par l’addition de quelque
autre corps, qui peut avoir & qui a même en soi son vice particulier & ses
impuretés, comme cela se prouve par l’ellébore, la thitimale, la scammonée, la
coloquinte, l’agaric, & quelques autres qu’ils prétendent corriger par la simple
addition du mastic, de la candie, du girofle, de la gomme tragacant & du
gingembre ?

Mais pour montrer plus évidemment combien cette correction diffère de celle
des Chimistes, on la compare ordinairement à un sot & à un ignorant Cuisinier,
qui pour rendre les tripes qu’il voudrait apprêter, plus délicates & de meilleur
goût, se contenterait de les faire bouillir avec des herbes odorantes & des
aromates, sans les avoir lavées, & sans leur avoir ôté les ordures dont elles sont
toujours pleines.

Les Galénistes poursuivront encore, & diront que les remèdes Chimiques sont à
craindre à cause de leur acrimonie ; mais on leur répond à cela, que si l’usage
des choses âcres doit être banni des médicaments, qu’il le doit être encore
beaucoup plus raisonnablement des aliments, & qu’il faut par conséquent

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 116

exclure de la cuisine & des ragoûts le sel, le vinaigre, le verjus, l’ail, les oignons,
la moutarde, le poivre & toutes les autres sortes d’épiceries, comme il faudrait
aussi rayer beaucoup de médicaments de leurs antidoraires. Ils ne s’aperçoivent
pas aussi qu’ils choquent Galien même par cet argument, qui a mis les
cantharides au rang des médicaments, qui sont mortels à cause de la corrosion
qu’elles exercent particulièrement sur la vessie : il les ordonne pourtant, & ses
Sectateurs après lui en petite quantité, & les fait prendre dans quelque liqueur
convenable, pour provoquer les urinés, & les tient fort souveraines pour cet
effet.

C’est ce que font les Chimistes, qui donnent leurs remèdes âcres en petite
quantité dans des liqueurs propres & spécifiques, pour faire produire les effets
qu’ils tirent de leurs médicaments. Mais pour fermer tout à sait la bouche aux
Galénistes, il faut leur prouver qu’ils se servent dans leur pratique, quoi
qu’empiriquement, des remèdes Chimiques, soit qu ils soient naturels, ou qu’ils
soient artificiels. Par exemple, ne se servent-ils pas de l’acier & du mercure cru,
comme aussi de beaucoup d’autres mixtes naturels ? Ne se servent-ils pas aussi
de l’esprit de vitriol, de l’aigre de soufre, du cristal minéral, de la crème & des
cristaux de tartre, du safran de mars apéritif & de l’astringent, du sel de vitriol,
& du sucre de Saturne ? Et quoique la plupart d’entre eux ne connaissent
l’antimoine, ni ne sachent pas le temps, ni la vraie méthode de donner cet
admirable remède, ils ne laissent pas néanmoins de le donner en cachette, le
masquant ordinairement de quelque infusion de senné, ou de quelque petite
portion de leurs pilules ordinaires ; car ils mêlent le vin émétique dans leurs
infusions, & la poudre émétique dans leurs pilules. Mais ce qui est encore plus
considérable & plus remarquable, c’est que les Galénistes envoient leurs
malades aux bains & aux fontaines minérales, lorsqu’ils sont au bout de leur
rollet, & lorsqu’ils ne trouvent plus dans leur méthode aucune chose, qui soit
capable de déraciner le mal qu’ils n’ont quelquefois connu : cette pratique leur
fait tacitement avouer qu’il y a dans les minéraux une vertu plus puissante,
plus pénétrante & plus active, que dans pas un des autres remèdes dont ils
s’étaient servis auparavant. Les remèdes dont les Chirurgiens se servent tous
les jours, avec un très louable succès, témoignent encore la vérité de ce que je
dis ; car ils sont tous composés des minéraux & des métaux, & principalement
ceux qui agissent avec le plus d’efficace. Il est vrai que les Chimistes envoient
aussi leurs malades aux eaux minérales, & leur en font pratiquer l’usage ; mais
il y a cette différence entre eux &les Galénistes, que les premiers se servent de
ces remèdes, parce qu’ils connaissent distinctement quel soufre, quel sel, ou
quel esprit prédomine dans les eaux qu’ils ordonnent : ce que ne font pas les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 117

derniers, qui ne connaissent que confusément la vertu, qui réside dans ces eaux
; & qui ne les prescrivent, qu’à cause que d’autres s’en sont servis avant eux,
notant pas capables de raisonner sur les effets qu’elles produisent, & encore
moins de prouver les causes efficientes internes de ces mêmes effets ; puisque
cela n’appartient qu’au Chimiste, qui peut atomiser les eaux minérales, & qui
peut aussi faire une démonstration de ce qu’elles contiennent de fixe ou de
volatil. Que si l’Artiste ne trouve pas sa satisfaction dans l’examen qu’il fait de
ces eaux, il cherchera de quoi se contenter par le travail qu’il fera sur les terres
circonvoisines des fontaines minérales ; il tachera de découvrir quel métal
abonde dans les marcassites, qui se forment ordinairement en ces lieux-là ;
après l’avoir trouvé, il reconnaîtra quel sel & quel esprit est le plus propre pour
dissoudre ce métal, afin de l’unir & de le mêler indivisiblement avec l’eau : son
esprit étant instruit de cette sorte, il ne mandera pas de rendre des raisons
pertinentes & démonstratives des effets & de la cause des vertus que produisent
les eaux minérales. Que si quelqu’un dit que les Galénistes rendent aussi raison
de ces effets, & que même ils les attribuent au sel, au soufre, ou à l’esprit qui
prédomine dans ces eaux : je répons à cela, qu’ils ne satisfont jamais
parfaitement sur ce sujet, par les raisonnements qu’ils auront tirés des
connaissances qu’ils auront prises de l’Ecole ; mais qu’il faut qu’ils aient tiré ces
lumières des Auteurs Chimiques; & qu’ainsi ce ne sera plus un Galéniste qui
parlera, puisqu’il ne raisonnera que par l’organe des Chimistes. Concluons
donc pour les remèdes Chimiques, & disons que ce sont les véritables armes,
dont un Médecin se doit servir pour chasser & pour dompter les maladies les
plus rebelles, & celles mêmes qui passent pour incurables, selon la pratique &
les remèdes ordinaires de la médecine Galénique. Ainsi nous finissons cette
Apologie, en disant que ces merveilleux médicaments agiront toujours citius,
tutius & jucundius.

CHAPITRE III.

Des facultés des mixtes, & des divers degrés de leurs qualités.

IL faut que nous considérions, après tout ce que nous avons dit ci-dessus, quels
fruits nous pouvons recueillir de la séparation des cinq principes qu’on peut
tirer des composés, pour l’établissement des vertus & des facultés des
médicaments, aussi bien que pour les degrés de leurs qualités. Quand donc on
aura distingué la diversité des substances, que l’Artiste peut tirer des choses
naturelles, & qu’on aura remarqué que quelques-unes d’elles abondent plus ou
moins en soufre, en sel, en esprit, en terre ou en phlegme, & que cela se
rencontre dans tous les mixtes des trois familles de la nature, qui sont les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 118

animaux, les végétaux & les minéraux ; il semble qu’on peut déterminer
légitimement quelque chose pour l’usage de la Médecine, pour faire reconnaître
les vertus & les propriétés, qui sont spécifiques à chacune des parties qui ont
ère tirées des mixtes. Car comme la Médecine ordinaire a tout attribué aux
divers degrés des premières & des secondes qualités ; il faut aussi faire servir ce
chapitre de quelque milieu, pour faire connaître le commencement de la vérité
des vertus spécifiques de chaque principe du composé, afin que ce que nous
dirons ici serve d’introduction, pour mieux pénétrer dans les pensées de tous
les Auteurs qui en ont écrit jusqu’ici : car on peut dire assurément, que ce qui
abonde en huile, tient aussi des qualités de l’huile ; & que ce qui abonde en
esprit, tient de celles de l’esprit, & ainsi des autres parties constituantes ou
séparées. On pourrait même insérer ici le catalogue de tous les mixtes, où le
soufre prédomine, aussi bien que les composés où les autres principes
abondent. On pourrait encore de plus anatomiser tous les corps naturels, pour
savoir précisément en quelle dose ils sont participants de l’un ou de l’autre des
cinq principes, & combien la nature en aura départi à chacun d’eux en
particulier ; & après un travail de cette manière, on pourrait se vanter de
connaître distinctement toutes les facultés des choses naturelles. Mais comme ce
n’est pas seulement le travail de la vie d’un seul nomme, & qu’au contraire,
celle de plusieurs Artistes n’y suffirait pas ; & qu’outre ces considérations, il
faudrait plusieurs Volumes pour contenir les remarques qui seraient
nécessaires à cet effet ; nous nous contenterons d’en dire quelque chose en
passant, lorsque nous décrirons le travail qu’on peut faire sur chaque mixte,
afin que nous ne passions pas les bornes que nous nous sommes prescrites,
pour faire un Traité de la Chimie en forme d’abrégé.

Pour donc revenir aux divers degrés des qualités des mixtes, ou des cinq
substances qu’on en peut tirer; disons premièrement que l’huile échauffe, ou
qu’elle semble faire son opération par le moyen de la chaleur, qui est une
qualité plus excellente que celle qu’on appelle élémentaire. Par exemple, nous
voyons un effet sensible, & qui est connu de tous, qui est, que si on sépare du
vin, son huile ou son esprit éthéré, qui est sa partie sulfurée & son sel volatil,
exalté par la fermentation qu’on appelle vulgairement eau-de-vie ; que ce qui
restera, ne sera plus propre pour échauffer, & encore moins pour communiquer
la qualité que nous attribuons aux huiles & aux esprits ; que si on rejoint cette
portion d’esprit ou d’huile éthérée à son phlegme, on lui redonnera aussi en
même temps la même propriété d’échauffer, qu’il avait auparavant ; ce qui
nous oblige de conclure, que plus un mixte abonde en huile éthérée & en esprit
volatil, plus aussi il est capable d’échauffer, de fortifier & d’augmenter nos

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 119

esprits, comme étant le plus analogue & le plus approchant de la nature des
esprits vitaux, comme aussi de celle des esprits animaux, à cause que c’est cette
seule portion du mixte, qui peut passer jusque dans les dernières digestions.

Le même jugement se peut faire dans tout ce qui constitue le règne végétable ;

car on peut dire que les différentes parties des plantes ont divers degrés de
qualités, selon qu’elles ont été plus ou moins fermentées, digérées & cuites par
la chaleur extérieure du Soleil, & par celle qui leur est intérieure & essentielle,
qui est contenue dans leur sel, qui est l’enveloppe de leur esprit fermentatif &
digestif ; & selon que ce sel est exalté par les actions de ces deux causes
efficientes ; ces parties des plantes en ont aussi plus ou moins d’efficace & de
vertu. Ainsi la semence doit tenir le premier lieu, parce qu’elle est poussée
jusqu’à sa perfection, & qu’elle contient en soi le germe & l’esprit spermatique,
qui peut produire & se multiplier en son semblable ; & que c’est aussi dans le
corps de la semence, que la nature a rassemblé, cuit, digéré & concentré tout ce
qu’il y avait de sel, de soufre & d’esprit dans tout le corps de la plante, comme
cela se prouve par la distillation des semences, dont on tire une grande quantité
de sel volatil, qui n’est rien autre chose que ces trois principes volatilisés, & unis
ensemble par la chaleur intérieure de la plante, & par la chaleur extérieure du
soleil ; & c’est dans ce sel volatil que toutes les vertus des choses sont cachées,
ce qui est cause que Helmont les appelle les Lieutenants Généraux des arcanes.
Il faut ensuite descendre par degrés, pour reconnaître les divers degrés des
qualités des autres parties des plantes, en leur appliquant le raisonnement que
nous avons fait sur la semence ; car la fleur est moindre que la semence, & la
feuille est moindre que la fleur en vertu ; le bois vaut moins que l’écorce, & le
fruit vaut mieux que la feuille des arbres, & ainsi des autres parties du
végétable, qu’on estimera toutes selon qu’elles abonderont en huile, en esprit,
en sel essentiel ou en sel volatil.

Mais il faut ici faire une digression, & remarquer la différence qui est entre les
plantes annuelles, & celle qui est entre les plantes perpétuelles ; car il y en a qui
ont le siége de leur vertu dans la racine ; les autres l’ont dans la feuille, & la
plupart l’ont dans la semence ; c’est pourquoi, il faut être exact observateur de
toutes ces circonstances, afin d’en faire un jugement solide, & de les examiner
par les sens extérieurs & par le raisonnement, pour en faire le choix nécessaire.

Tout ce que nous venons de marquer, se peut aussi appliquer aux autres
principes pour la distinction des degrés de leur facultés ; car si on prive, par
exemple, un mixte de son sel, il perdra la faculté dessiccative, détersive,
coagulative, & toutes les autres propriétés qui proviennent du sel. Or, il se peut
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 120

faire qu’un mixte aura deux, trois, quatre ou cinq fois, plus ou moins de sel,
d’esprit, de soufre, de phlegme ou de terre, en comparaison d’un autre
composé, ce qui sera la raison & la règle de pouvoir subdiviser les degrés de ses
facultés ; quand on aura découvert par le travail l’abondance, ou le défaut de ce
qui produit la vertu dans les choses naturelles, parce que cela nous est encore
caché par la négligence de ceux qui ont écrit, & par l’ignorance de ces
Physiciens bâtards, qui ne connaissent ni leur mère, ni les enfants qu’elle a
produits : car nous voyons que le suc de berberis, celui des oranges & des
citrons, que le vin aigre & celui qui est distillé, que l’esprit de vitriol, celui du
sel commun, du sel nitre, du tartre & celui de beaucoup d’autres semblables,
méritât qu’on leur attribue divers degrés de qualités, à cause de l’éminence de
leurs actions, qui proviennent de l’abondance ou du défaut de quelque
principe, qui est plus ou moins épuré, ce qui fait connaître que les mixtes ont
plus ou moins d’efficace, d’action & de vertu , selon le trop ou le peu des
principes efficients. C’est pourquoi, on peut à bon droit tirer de la théorie & de
la pratique de la Chimie quelque fondement véritable, pour orner & pour
diversifier la Médecine, pour redresser la Pharmacie commune, qui est sur le
penchant de sa ruine, & pour examiner à fond la pratique des Naturalistes
ordinaires.

CHAPITRE IV.

De l’ordre que nous tiendrons dans la description des aérations Chimiques.

L’Ordre qu’on tient pour décrire les cinq principes, qui se tirent de tous les
mixtes, par le moyen des opérations de la Chimie, se peut donner en deux
façons : car on peut premièrement, assembler en un traité toutes les eaux
simples, ou composées selon leurs espèces ; en un autre, tous les esprits : on
pourrait aussi en faire un pour les huiles en particulier, & un autres pour les
sels, & ainsi des autres principes. On peut aussi décrire secondement ces cinq
substances, selon l’ordre qu’on les tire de chaque individu que nous fournit la
nature. Ce sera ce dernier ordre que nous suivrons, comme celui qui satisfait
mieux l’esprit, & où il y a moins de confusion : nous donnerons donc à chaque
mixte en particulier un Chapitre à part, dans lequel nous ferons une exacte
description de la nature de ce mixte, & de toutes les opérations Chimiques, qui
sont utiles & nécessaires à la Médecine, sans oublier aucune chose de ce que
l’Artiste doit observer, pour bien & curieusement anatomiser le mixte sur quoi
il travaillera, jusqu’à ce qu’il en ait séparé toutes les différentes parties que la
nature lui a données.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 121

Et pour faire les choses avec quelque méthode, nous commencerons par les
météores, où nous parlerons de la pluie, de la rosée, du miel, de la cire & de la
manne. Ensuite de quoi, nous enseignerons les préparations qui se font sur les
animaux & sur leurs parties. Nous continuerons sur les végétaux, où nous
montrerons comment il faut anatomiser toutes les partie de cette ample & riche
famille ; pour finalement achever par les minéraux, & par l’examen que nous
ferons de ce que contiennent d’essentiel les pierres, les sels, les marcassites & les
métaux, dont nous séparerons les parties les plus fixes & les plus dures, pour en
tirer les remèdes merveilleux, qui sont enfermés dans le centre de ces véritables
produits de la terre.

CHAPITRE V.

De la rosée & de la pluie.

Comme les Chimistes ne peuvent extraire ni dissoudre, sans quelque liqueur


qui soit propre à ces deux actions, pour tirer la vertu des choses ( ils appellent
ordinairement la liqueur qui leur sert à dissoudre & à extraire un menstrue ; &
ce sera de ce seul mot que nous nous servirons dans toutes les opérations que
nous décrirons ) : comme, dis-je, ils ne se peuvent passer de menstrue, aussi
ont-ils recherché avec beaucoup de soin & de travail, pour en trouver un qui ne
fut doué d’aucune qualité particulière, & qui fut propre à toutes sortes de
mixtes ; quoique les menstrues particuliers qu’ils possèdent, soient destinés
pour l’extraction & pour la dissolution de quelques composés. Les Artiste n’ont
pas crû pouvoir mieux parvenir à leur but, que par le choix qu’ils ont fait de la
substance la plus pure & la plus simple qui soit dans la nature, qui est l’eau de
la rosée & celle de la pluie, qui font deux substances, qui contiennent en elles
l’esprit universel, pour en tirer leur menstrue universel, qui soit capable
d’extraire la vertu des choses, & d’en être retiré sans emporter aucune portion
de l’excellence du mixte, pourvu que ces deux liqueurs soient bien & dûment
préparées.

Il n’est pas nécessaire que nous répétions que la rosée & la pluie sont deux
météores, puisque nous en avons parlé dans la première Partie de ce Traité de
Chimie : il suffira que nous disions qu’il faut recueillir l’eau de pluie durant
l’espace de nuit jours avant l’équinoxe de Mars & huit jours après, parce qu’en
ce temps-là l’air est tout rempli des vraies semences célestes, qui sont destinées
au renouvellement de toutes les productions naturelles ; & lorsque l’eau a été
élevée de la terre, & qu’elle a été privée des divers ferments dont elle avait été
remplie par les diverses générations, qui s’étaient faites dedans & dessus la
terre par son moyen ; elle retombe en terre par l’air, où elle se refournit d’un
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 122

esprit pur, & qui est indifférent à être fait toutes choses. Cela suffit pour
montrer la nécessité du temps de l’équinoxe, pour le choix de l’eau de pluie.

Qu’on prenne donc en ce temps-là une grande quantité d’eau de pluie, qu’on la
mette dans quelque cuve de bois qui soit bien nette, en un lieu qui soit bien
ouvert & où l’air soit bien perméable, & qu’on la laisse fermenter, afin qu’elle
fasse un sédiment des impuretés les plus grossières, qu’elle pourrait avoir
acquises des toits & des canaux qui la reçoivent & qui nous la fournissent ; elle
jettera de plus une espèce d’écume en haut, qui achève de la dépurer tout à fait.
Après cela, qu’on en emplisse des cruches de grès, des bouteilles, ou des barils,
si on en veut garder comme elle est, vu qu’elle est déjà propre à beaucoup
d’opérations, & qu’elle est plus utile que pas une autre espèce d’eau que ce
puisse être, comme nous le ferons voir dans la suite de la pratique, à cause
qu’elle est plus subtile que les autres eaux, & qu’elle abonde en un sel spirituel,
qui est le seul agent capable de bien pénétrer dans les mixtes.

Mais si on veut rendre cette eau plus subtile & plus capable d’extraire les
teintures & la vertu des choses, il faut la distiller dans la vessie avec la tête de
maure & le canal, qui passe à travers du tonneau, & n’en retirer que les deux
tiers de ce qu’on en aura mis dans le vaisseau, & réitérer cette distillation,
jusqu’à ce qu’on ait réduit cent pintes à dix, qui serviront après à l’extraction
des purgatifs.

On peut faire la même chose sur la rosée, qui est encore préférable à l’eau de
pluie ; il la faut prendre au mois de Mai, parce qu’elle est alors beaucoup plus
chargée de l’esprit universel, & qu elle est remplit de ce sel spirituel qui sert à la
génération, à l’entretien & à la nourriture de tous les êtres.

CHAPITRE VI.

Du miel et de la cire.

Il ne faut pas trouver étrange qu’on mette ici le miel entre lés météores, puisque
la rosée contribue beaucoup à sa génération : car elle s’épaissit sur les plantes,
après qu’elle est dessus ; elle retient & condense en soi les vapeurs, que les plan-
tes exhalent continuellement, ce qui se fait par la fraîcheur de la nuit ; & la cha-
leur du soleil digère & cuit le tout en miel & en cire, que les abeilles vont
recueillit ensuite, & le portent dans leurs ruches pour leur servir d’aliment. On
peut tirer une conséquence de ce que nous avons dit, pourquoi il y a plus de
miel en une saison qu’en l’autre. Le meilleur miel est celui qui est d’un blanc
jaunâtre, qui est agréable au goût & à l’odorat, qui n’est ni trop clair, ni trop

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 123

épais, qui est continu en ses parties, & qui se dissout facilement sur la langue.
Celui des jeunes mouches est meilleur que celui des vieilles, on en fait l’eau,
l’esprit, l’huile, le sel & la teinture. On tire de la cire, qui est une substance
emplastique, du phlegme, de l’esprit, du beurre, de l’huile & une très petite
portion de fleurs, qui ne sont rien autre chose que le sel volatil de ce mixte.

§. 1. La manière de tirer les princes du miel.

Il faut prendre du miel, & le mettre dans une cucurbite de verre, de faïence ou
de grès, & mettre par-dessus environ deux onces de chanvre, ou d’étoupes,
pour empêcher que le miel ne monte dans le chapiteau par son ébullition, & en
luter les jointures avec deux bandes de papier, qui soient enduites de colle faite
avec de la farine & de l’eau cuites ensemble. On mettra la cucurbite au sable, on
l’échauffera lentement, afin de tirer l’eau par ce premier degré de feu ; puis on
changera de récipient, & on augmentera le feu, pour faire monter une seconde
eau, qui fera jaune, & qui contiendra l’esprit ; & augmentant encore le feu, il en
sortira un esprit rouge avec l’huile, qu’il faudra séparer par l’entonnoir &
rectifier l’esprit. Il faut calciner dans un réverbère ce qui reste au fond de la
cucurbite, pour en tirer le sel avec son phlegme, qu’il faudra évaporer jusqu’à
sec, ou jusqu’à pellicule, pour le faire cristalliser ensuite en quelque lieu froid.

L’une & l’autre des eaux du miel, savoir la claire & la jaune, sont très utiles
pour déterger & pour nettoyer les yeux, & principalement pour en ôter les
sussusions & les taches : elles servent aussi peut faire croire les cheveux ;
l’esprit est un grand désopilatif, car étant pris depuis six jusqu’à quinze ou
vingt gouttes, dans des eaux apéritives, ou dans de la décoction de racines
d’ortie & de bardane, il ouvre les obstructions, pousse les urines, & chasse la
gravelle, les colles & les glaires des reins & de la vessie. Si on circule l’huile de
miel dans l’esprit de vin, l’espace de vingt ou trente jours, elle devient très
douce & très agréable, elle sert admirablement pour guérir les arquebusades, &
pour mondifier & nettoyer les ulcères rongeants & chancreux : c’est un excellent
remède pour apaiser les douleurs de la goûte ; aussi bien que peut effacer les
taches du visages, si on la mêle avec de l’huile de camphre.

§. 2. Pour faire l’hydromel vineux & le vinaigre du miel.

Il faut prendre une partie de très bon miel, & nuit parties d’eau de pluie
dépurée, ou d’eau de rivière, qu’on aura laisse reposer quelques jours, afin de la
dépouiller de ses impuretés ; & les faire bouillir lentement jusqu’à la
consomption de la moitié, après l’avoir écumée très exactement. Il faut ensuite
mettre la moitié de la liqueur dans un tonneau, à laquelle il faut ajouter sur un

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 124

tonneau de trente pintes une once de sel de tartre & deux onces de teinture de
ce sel, pour aider à la fermentation, qui sera parachevée dans le mois
philosophique, qui est de quarante jours : mais observer qu’il faut tous les jours
remplir le tonneau, pour remplacer ce que l’esprit fermentatif pousse dehors :
cela étant achevé, il faut mettre le tonneau dans la cave, & le boucher comme il
faut ; puis on s’en peut servir de boisson, tant pour les sains que pour les
malades.

Mais, quand on voudra faire du vinaigre du miel, il faut prendre dans le


tonneau, dans quoi on aura mis le miel cuit à moitié avec l’eau, un nouet rempli
de semence de roquette, qui soit battue grossièrement, puis mettre le tonneau
dans un lieu chaud, si c’est en hiver ; mais si c’est en été, il faut l’exposer à la
chaleur du soleil, jusqu’à ce que la liqueur cesse de bouillir & de fermenter, &
cela se change par degré & doucement en un très bon vinaigre, qu’on peut
distiller comme l’autre ; ce sera un excellent menstrue pour la dissolution des
cailloux, & pour celle de toutes les autres pierres, quand même elles n’auraient
pas été calcinées auparavant ; c’est ce que Quercetan appelle dans ses ouvrages,
le vinaigre Philosophique. Il faut aussi remarquer que ce même Auteur fait
souvent mention du miel dans ses œuvres sous les noms de rosée & de manne
céleste

§. 3. Pour faire la teinture du miel.

Cette teinture n’est pas un des moindres remèdes qui se tirent de ce météore,
tant à cause de la vertu particulière de ce mixte, que pour celle du menstrue,
qu’on emploie pour l’extraction des facultés de cette manne céleste, qui contient
beaucoup plus d’efficace, que ne se le sont imaginés ceux qui croient qu’elle se
change facilement en bile, à cause de ce faux axiome de l’Ecole, qui leur fait
passer pour véritable, que omnia dulcia facile bilescunt ; parce qu’ils ne
comprennent pas que ces changements ne se font pas en nous par le mélange
des humeurs, mais par les diverses fermentations, qui ont leur origine dans le
ventricule, & que le levain qui les occasionne, est ou sain, ou malade, selon les
idées bonnes ou mauvaises, que l’esprit de vie, qui est dans les hommes, aura
conçue. Revenons donc à notre sujet, & disons que le miel est une des
substances du monde, qui contient le plus de l’esprit universel, & que c’est
aussi celle qui est la plus capable d’être réduite en la nature de cet agent général
du monde, pour en tirer de beaux remèdes pour la Médecine ; pourvu que nous
lui conservions quelque chose de sa spécification, qui nous le rende utile &
sensible.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 125

Il faut donc choisir du meilleur & du plus beau miel qu’on puisse trouver,
suivant les marques que nous en avons données, & en mêler une partie avec
trois parties de sable le plus net & le plus pur qui se puisse avoir, dans un
mortier de marbre, & les battre ensemble, tant qu’on en fasse une masse qui
puisse être réduite en boulettes de telle grosseur qu’elles puisse entrer dans un
matras à long col. Apres les avoir mis là-dedans, il faut verser dessus de l’esprit
de vin très subtil, tant que le menstrue surpasse la matière de trois ou de quatre
doigts ; puis il faut mettre un autre matras, qui entre dans le col du premier de
deux travers de doigts ou environ, il faut lutter ensuite les jointures des
vaisseaux de deux bandelettes de vessie de bœuf ou de porc, qui aient été
trempées dans du blanc d’œuf, qu’on aura réduit en eau par une violente &
fréquente agitation ; & que cette remarque & cette façon de lutter les jointures
des vaisseaux suffise pour toutes les opérations qui suivront. Qu’on lie le
matras au couvercle du bain-marie, pour le suspendre à la vapeur, & qu’on
digère ainsi le miel avec son menstrue, jusqu’à ce que l’esprit de vin soit bien
empreint, bien teint & bien chargé du soufre intérieur de ce mixte, que cet esprit
attirera par l’analogie qui est entre lui & ce principe. Cela étant en cet état, il
faut laisser refroidir les vaisseaux, puis les ouvrir & filtrer la teinture par le
papier, & le retire dans une petite cucurbite, qu’on couvrira de son chapiteau ;
on en luttera très exactement les jointures, & on adaptera un récipient propre,
puis on retirera la moitié de l’alcool de vin à la très lente chaleur du bain-marie ;
le bain étant refroidi, il faut ouvrir les vaisseaux & garder précieusement ce qui
sera resté de teinture dans une fiole, qui ait l’orifice étroit, & qui soit bien
bouchée avec du liège qui ait été trempé dans de la cire bouillante, pour en
boucher les porosités & la couvrit d’une double vessie mouillée & d’un papier,
afin que rien ne puisse exhaler de ce remède, à cause de ses parties, & qu’on
s’en puisse servir au besoin.

L’usage de cette teinture, est presque divin dans les affections de la poitrine, qui
sont causées par des sérosités lentes & visqueuses, qui sont amassées dans la
capacité du thorax ; car elle a la vertu de les subtiliser & de les dissoudre, parce
qu’elle fortifie suffisamment le malade pour lui faire cracher ce qui lui nuisait,
où il le chasse & le met dehors par les urines, par les sueurs, ou par la
transpiration insensible, qui sont les bons effets ordinaires que produisent les
remèdes, qui approchent de l’universel. Ce sont ces rares médicaments, qui font
voir la vérité de cette belle maxime, qui dit que natura corroborata est omnium
morborum medicatrix. La dose de cette teinture, est depuis un quart de cuillerée
jusqu’à une cuillerée entière, pour les personnes qui sont avancées en âge, &
depuis cinq goûtes jusqu’à vingt pour les enfants. On peut la donner toute

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 126

seule, ou la mêler dans des décoctions, ou dans des eaux spécifiques &
appropriées à la maladie, copine sont celles de fleur de tussilage, de racines de
petasites, de marrube blanc & adorant, comme aussi dans celle des bayes de
genièvre & des racines d’énula, parce que tous ces simples abondent en esprit
pénétrant & volatil : on la peut encore donner dans des bouillons, ou dans le
breuvage ordinaire du malade.

§. 4. Pour tirer l’huile de la cire.

On peut tirer de la cire, aussi-bien que de beaucoup d’autres mixtes un


phlegme, un esprit acide, une nulle & des fleurs, que nous avons dit être son sel
volatil. Mais comme les autres substances, excepté l’huile, ne sont pas de
grande utilité dans la Médecine, nous ne nous arrêterons pas à leurs
descriptions : nous nous contenterons seulement de donner une façon de faire
l’huile de cire qui soit utile, facile & compendieuse.

Qu’on prenne une livre de cire jaune, qui soit bien odorante & bien nette de
toute ordure ; qu’on la fasse fondre à chaleur fort lente, dans un bassin de
cuivre, qui ait un couvercle qui le ferme juste ; & quand on a quelque autre
opération au feu, il faut prendre des charbons tous rouges, & les noyer les uns
après les autres dans la cire fondue, jusqu’à ce qu’ils soient bien imbus de la
cire, & qu’ils en soient suffoqués & remplis ; il faut continuer ainsi jusqu’à ce
que toute la cire soit entrée dans les charbons avec cette précaution néanmoins
de couvrir le bassin toutes les fois qu’on y mettra des charbons ardents, afin
d’éviter que la cire ne s’enflamme. Il faut près cela mettre les charbons en
poudre grossière, & les mêler avec leur poids égal de sel décrépite ; qu’on mette
ce mélange dans une cornue de verre, qui ait un tiers de sa capacité qui soit
vide ; puis mettre la retorte au sable, & adapter à son col un récipient assez
ample, qu’il faut luter exactement avec de la vessie & du blanc d’œufs : on
laissera sécher le lut ; puis on donnera le feu par degrés, jusqu’à ce que les
vapeurs cessent d’elles-mêmes, ce qui arrive ordinairement dans l’espace de
quinze ou vingt heures : le tout étant refroidi, il faut séparer l’huile, qui est
encore crasse & épaisse, comme un beurre de la liqueur aqueuse, & en réserver
une partie en cette consistance, pour s’en servir extérieurement ; mais il faut
rectifier le reste dans une basse cucurbite, & le mêler avec trois ou quatre livres
de vin blanc & quatre onces de sel de tartre, mettre la cucurbite aux cendres, &
distiller avec toute l’exactitude qui est requise, pour la rectification d’une huile
très-subtile : on aura de cette manière une huile de cire aussi claire, aussi fluide
& aussi pénétrante que l’esprit de vin, & qui possède des vertus très
particulières, tant pour l’intérieur que pour l’extérieur. On le donne

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 127

intérieurement depuis six gouttes jusqu’à douze dans quelque liqueur


diurétique, pour la rétention de l’urine ; ainsi on la peut donner pour cet effet
dans de l’eau de persil & dans celle du bois de sassafras, même dans la
décoction du bois néphrétique. Elle est fort résolutive, quand on l’applique
extérieurement, ce qui fait qu’elle est excellente pour dissoudre les tumeurs
squirreuses & les œdémateuses. Elle est aussi très bonne pour redonner le
mouvement aux membres perclus & paralytiques, & pour remédier à toutes les
affections froides des parties nerveuses : on s’en sert aussi très heureusement
contre la sciatique, & contre les goûtes froides des pieds & des mains.

Le beurre ou l’huile grossière, qu’on a réservé sans rectification, guérit les


fissures des engelures ; il soude & cicatrice les fentes du bout de mamelles.

On peut rectifier la liqueur aqueuse, & l’on trouvera que le quart est un esprit
de sel, qui n’est pas moins bon que celui qui se distille tout seul.

CHAPITRE VII.

De la manne.

Pline appelle la manne, avec raison, le miel de l’air, qui contient en soi une
nature céleste, J’ai dit que c’était avec raison qu’il la nommait ainsi, parce que la
manne n’est autre chose qu’une rosée, ou une liqueur agréable, qui tombe dans
le temps des équinoxes, sur les rameaux & sur les feuilles des arbres ; de-là, sur
les herbes, sur les pierres, & quelquefois sur la terre même, qui se condense en
peu de temps, & qui paraît grumelée comme la gomme.

On choisit ordinairement celle qui est orientale, comme la Persienne ou la


Syriaque ; mais on se peut légitimement contenter de celle qui vient de la
Calabre, qui fait partie du royaume de Naples ; il faut qu’elle soit récente &
blanche ; car quand elle roussit, c’est une preuve quelle commence à vieillir, &
qu’elle a perdu la partie céleste & spiritueuse, en quoi consistait sa vertu .

Pour faire l’esprit de la manne.

Prenez autant que vous voudrez de manne bien choisie, mettez-là dans une
cucurbite de verre, que vous couvrirez de son chapiteau, & les lutterez
ensemble exactement, puis vous la mettrez aux cendres, & donnerez un feu très
lent, après avoir adapté un récipient au bec de l’alambic, & il en sortira un
esprit insipide, qui a des vertus très notables ; car c’est un excellent sudorifique,
& qui se peut donner heureusement, tant dans les fièvres pestilentielles &
malignes, que dans toutes les autres fièvres communes ; cet esprit fait suer

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 128

abondamment, & chasse les excréments des dernières digestions , comme on le


peut remarquer par l’extrême puanteur de la sueur qu’il provoque. La dose, est
depuis une demie cuillerée jusqu’à une entière.

Cet esprit a de plus une vertu toute particulière, qui est de dissoudre le soufre,
dont on peut tirer par ce moyen une teinture jaune, qui n’est pas un des
moindres remèdes pour la poitrine & pour les principales parties qu’elle
contient ; car cette teinture est comme un baume restauratif, pour corriger le
vice des poumons, & pour conserver leur action ; on en peut donner depuis
deux goûtes jusqu’à douze, dans du suc d’ache dépuré & préparé, comme nous
l’enseignerons au Chapitre des végétaux.

On peut encore faire une eau de manne qui sera laxative & sudorifique tout
ensemble. Pour cet effet, il faut prendre une partie de manne bien choisie &
deux parties de nitre bien pur ; puis les ayant mêlées ensemble, il les faut mettre
dans une vessie de bœuf, ou dans celle d’un pourceau, qui soient bien nettes
l’une ou l’autre; puis il faut lier bien exactement le haut de la vessie, & la
suspendre dans l’eau bouillante, jusqu’à ce que le tout soit dissout : il faudra
distiller cette dissolution de la même façon que nous avons dit de l’esprit ; & on
aura une eau insipide, qui lâche le ventre, & qui fait aussi suer copieusement :
la dose, est depuis une drachme jusqu’à six, dans un bouillon, ou dans quelque
décoction pectorale. On peut se servir de ce remède, pour évoquer les sérosités
superflues, qui causent ordinairement les rhumatismes.

CHAPITRE VIII.

Des animaux.

Le Traité des animaux, est une partie de la Pharmacie Chimique, qui contient
les remèdes qui se tirent des animaux, & la façon de les préparer. Or, comme la
Chimie a pour son objet toutes les choses naturelles ; aussi travaille-telle sur les
animaux & sur l’homme même, qui est le plus parfait de tous. Mais comme
l’étendue d’un abrégé ne souffre pas de faire un dénombrement très exact des
animaux terrestres parfaits, ni celui des oiseaux, non plus que celui des
poissons & des insectes, qui sont les quatre classes de cette grande, belle &
ample famille des animaux ; aussi nous contenterons-nous de faire
premièrement quelques observations sur la nature des animaux en général, &
sur le choix que l’Artiste en doit faire, lorsqu’il en veut tirer les médicaments
merveilleux qu’ils contiennent, pour le soulagement de la misère des hommes.
De-là nous passerons aux opérations, qui se font sur quelques-uns de ces

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 129

animaux, qui serviront d’exemple & de guide, pour travailler sur tous les autres
qui sont de même nature.

Nous dirons donc en passant, que comme tous les animaux sont composés
d’une substance plus volatile, plus subtile & plus aérée, que les végétaux dont
ils se sont nourris ; qu’aussi n’ont-ils point en leur résolution artificielle tant de
terre, ni tant de diversités de substance : si bien qu’on n’en peut tirer que trois
médicaments, qui sont très efficaces, savoir l’esprit, le sel volatil & l’huile. Nous
ne perdrons point de temps à disputer, si les formes de ces animaux sont
spirituelles ou matérielles, parce que ce sont des disputes, qui sont plus
curieuses qu’elles ne sont utiles. Nous dirons seulement, qu’il faut que l’Artiste
choisisse les animaux les plus sains pour en tirer ses remèdes, qu’ils soient d’un
âge médiocre, afin que les parties puissent avoir acquis la fermeté & la
perfection qui est requise ; car on sait que les animaux meurent tous les jours en
vieillissant, après qu’ils ont passé un certain point de perfection, qui est leur
non plus outre, selon la nature prescrite à chacun d’eux pour leur durée. Il faut
aussi que l’animal meure de mort violente, & principalement qu’il ait été
étranglé, parce que cette suffocation concentre les esprits dans les parties, &
qu’elle empêche leur dissipation ; & que c’est dans la conservation de cette
flamme & de cette lumière vitale, que réside & que se fixe proprement la vertu
des animaux & de leurs parties, comme cela se prouve par l’histoire que
rapporte Bartholin dans ses centuries, de ce qui est arrivé à Montpellier : C’est
qu’une femme ayant acheté de la chair d’un animal nouvellement tué, & qui
était encore toute fumante, la pendit dans la chambre où elle couchait ; s’étant
éveillée la nuit, elle fut surprise de voir une grande lumière dans sa chambre,
quoique la Lune ne luisît point ; elle en fut effrayée, ne pouvant s’imaginer d’où
cela pouvait provenir ; elle reconnut enfin que cela venait de la chair qu’elle
avait pendue au croc, & en fit le lendemain récit à ses voisines, qui voulurent
voir cette chose qui leur semblait incroyable ; mais leur vue confirma la vérité :
un morceau de cette chair lumineuse fut porté à défunt Monseigneur le Prince,
Lieutenant général pour Sa Majesté en la Province de Languedoc, en l’année
1641, qui perdit sa lumière peu à peu, comme elle approchait de sa corruption.
Cette vérité ne peut être contredite dans cette chair morte ; & tous les Curieux
éprouveront, quand il leur plaira, qu’il sort des étincelles de lumière des
animaux vivants, s’ils prennent la peine de frotter le poil d’un chat à contre-poil
dans un lieu bien obscur, ce qui n’est que trop suffisant pour vérifier de plus en
plus, que la lumière n’est pas seulement le principe de composition dans toutes
les choses, mais qu’elle est aussi le principe de leur conservation, &
principalement de celle de la vie. L’histoire précédente me fait souvenir de la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 130

plainte que faisaient des garçons Bouchers à Sedan, de ce qu’entrant de nuit


dans le lieu où on tue les animaux, ils apercevaient des lueurs extraordinaires,
ce qu’ils rapportaient superstitieusement à des apparitions de démons, & s’en
effrayaient, dont je suis témoin oculaire ; mais lorsqu’il y avait de la chandelle
allumée dans le lieu, la lueur disparaissait ; ce qui fait voir qu’elle ne provenait
que de la chair des animaux, qui avait été nouvellement tués.

§. 1. De l’homme.

L’Artiste tire de l’homme, qui est ou mâle, ou femelle, diverses substances sur
quoi il travaille, ou durant sa vie, ou après sa mort. On tire du mâle & de la
femelle durant leur vie ce qui suit ; à savoir, les cheveux, le lait, l’arrierefaix,
l’urine, le sang & la pierre de la vessie. On en tire aussi après leur mort, ou le
corps entier, ou ses parties, qui sont les muscles ou la chair, l’axonge ou la
graisse, les os & le crâne. C’est de ces différentes parties que l’Artiste tirera des
remèdes, comme nous l’allons enseigner exactement l’un après l’autre, ce qui
doit servir d’exemple pour le pareil travail, qui se peut faire sur les autres
animaux & sur leurs parties. Il y a néanmoins encore plusieurs autres parties
dans les animaux, qui sont utiles à la Médecine ; mais comme elles ne sont point
soumises ordinairement aux opérations Chymiques, aussi n’avons-nous pas
jugé nécessaire d’en faire le rapport en ce Chapitre, qui n’est qu’une petite
partie de l’Abrégé de la Chimie.

§. 2. Des cheveux.

Pour tirer quelque remède des cheveux, il les faut distiller, afin de ne rien
perdre ; car par cette opération, on en tire l’esprit & l’huile, & on en conserve la
cendre, ce qui se fait ainsi. Prenez des cheveux du mâle ou de la femelle, comme
on les trouve chez les Perruquiers, & en emplissez une cornue de verre, plutôt
que de terre, à cause de la subtilité des esprits qui en sortent, & les mettez au
fourneau, que nous appellerons fourneau de sable, à laquelle vous adapterez un
ample récipient, dont vous lutterez exactement les jointures ; & lorsque le lut
sera sec, vous commencerez à donner un feu modéré, que vous augmenterez
peu à peu, jusqu’à ce que les vapeurs commenceront d’entrer en abondance
dans le récipient ; alors continuez le feu selon ce même degré, jusqu’à ce qu’il
ne sorte plus rien de la cornue, & que le récipient commence à devenir clair de
soi-même ; poussez alors le feu avec plus de violence, afin que rien ne demeure,
& que la calcination de ce qui reste dans la retorte s’achève parfaitement ; cessez
alors le feu, & laissez refroidir les vaisseaux, vous trouverez dans le récipient
deux substances différentes, qui sont l’esprit armoniac des cheveux, & l’huile
qui n’est rien autre chose que la portion sulfurée de ce mixte, mêlée avec la plus
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 131

grossière du sel volatil. On pourra se servir de ces deux substances en


Médecine, après les avoir séparées ; mais il sera pourtant nécessaire de les
rectifier, à savoir l’esprit au bain-marie sur d’autres cheveux, qui soient coupés
fort menus dans une petite cucurbite, couverte de son chapiteau avec toutes les
précautions requises ; & l’huile sur ses propres cendres, mais à feu de cendres,
donnant d’abord une chaleur modérée.

L’esprit des cheveux ne se donne point antérieurement, tant à cause de sa


mauvaise odeur & de son mauvais goût, qu’à cause aussi que l’Art tire des
autres partes de l’homme d’autres esprits, qui sont moins désagréables pour
l’usage. On ne se sert donc de celui-ci que mêlé avec du miel, pour oindre les
parties où les cheveux sont en trop petite quantité, ou celles dont ils font
tombés. L’huile est excellente, pour extirper radicalement les dartres en
quelques endroit qu’elles soient situées, si l’on en fait un limement avec un peu
de sel de Saturne, & qu’on en applique dessus, après avoir purgé le patient avec
quelque remède qui évacue les sérosités. La cendre étant mêlée en forme de
cérat avec du suif de mouton, produit de beaux effets, pour radouber les
luxations, & pour fortifier le membre démis ou disloqué. On peut encore
ajouter, que les cheveux entiers sont un remède très prompt pour arrêter le flux
de sang des plaies, du nez, & même le flux immodéré des femmes.

§. 3. Du Lait.

Le lait de femme est de soi-même un très excellent remède pour les yeux, soit
pour en apaiser la douleur & pour en ôter l’inflammation, soit celle de la
substance même de l’œil, ou celle qui provient des petits ulcères qui se font aux
paupières, ou dans les coins des yeux : on peut substituer quelque autre sorte
de lait, quand on ne peut avoir de celui d’une femme. Mais il a une eau
vitriolée, qui se distille avec le lait de femme ou avec quelque autre lait, soit de
celui de vache, d’ânesse ou de chèvre, qui peut être toujours prête, & qui fait
des merveilles pour ôter les maux des yeux : elle se fait de cette façon.

Prenez du lait & du vitriol blanc en poudre, de chacun partie égale ; mettes les
ensemble dans une cucurbite de verre, avec tout l’ajustement requis à la
distillation ; puis tirez-en l’eau dans le fourneau des cendres avec une chaleur
graduée, jusqu’à ce que les nuages blancs apparaissent : après quoi, il faut finir
le feu, afin que l’eau ne devienne pas corrosive : cette eau corrige la rougeur des
yeux, & en ôte les inflammation d’une façon merveilleuses.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 132

§. 4. De l’arrierefaix.

Peut préparer quelque remède de l’arrierefaix, il faut en avoir un qui vienne du


premier accouchement d’un mâle, que la femme dont il sortira soit d’un âge
médiocre, comme depuis dix-huit ans jusqu’à trente-cinq ; que la femme soit
saine, de poil noir ou châtain ; il en faut excepter les rousses, que si on n’en peut
avoir du premier, que ce soit toujours d’un mâle, s’il se peut ; mais si la
nécessité presse, on pourra même se servir de celui qui suit une fille ; car à
parler véritablement, le mâle & la femelle sont nourris d’un même sang & dans
un même corps, il n’y a que la différence de la force & de la vigueur.

Prenez donc une arrierefaix avec les conditions requises, mettez-le dans une
cucurbite de verre, & le distiller au B. M. jusqu’à sec, & en réservez l’eau dans
une bouteille, qui soit bien bouchée d’un liège qui ait été trempé dans de la cire
fondue. Que si ce qui reste au fond de la cucurbite, n’est pas assez sec pour être
mis en poudre, il le faut sécher dans un triple papier à une chaleur modérée ;
mais remarquez qu’il ne faut pas qu’il soit retourné en distillant non plus qu’en
le desséchant, afin que les esprits & le sel volatil se concentrent, parce que c’est
proprement ce sel qui constitue la vertu de la poudre qu’on en doit faire.

L’eau d’arrierefaix est un excellent cosmétique, qui déterge doucement la peau


des mains & du visage, qui en unit aussi les rides & en efface les taches, pourvu
qu’on y ajoute un peu de sel de perles & un peu de borax. Mais elle est aussi
très excellente pour faire sortir l’arrierefaix, quand le travail de la femme a été
long & difficile, & qu’il y a eu de la faiblesse, pourvu qu’on mêle avec cette eau
le poids d’une demi-drachme de la poudre du corps dont elle a été tirée, ou le
même poids d’un foie d’anguille desséché avec son fiel, qui est un remède qui
ne manque jamais son effet.

La poudre de l’arrierefaix donnée au poids depuis un scrupule, jusqu’à deux ou


à trois, est un souverain remède contre l’épilepsie, ou dans sa propre eau, ou
dans celle de fleurs de pivoine , de fleurs de muguet, ou dans celle de fleurs de
tillot, il en faut donner sept jours continuels à jeun dans le décours de la Lune.

Que si on calcine l’arrierefaix dans un pot de terre non vernissé, qui soit bien
couvert & bien lutté ; les cendres seront un remède spécifique contre les
écrouelles & contre les goitres, si on en donne durant le dernier quartier de la
Lune, le poids de demi-drachme dans de l’eau d’auronne mâle tous les matins à
jeun.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 133

§. 5. De l’urine.

Quoique l’urine soit un excrément qu’on rejette tous les jours, cependant elle
contient un sel qui est tout mystérieux, & qui possède des vertus qui ne sont
connues que de peu de personnes. Il ne faut pas que son nom ou sa puanteur
fassent peur à l’Artiste, qui aura connu ses propriétés ; cela n’est propre qu’à
ceux qui se vantent d’avoir éminemment la connaissance de la Pharmacie & de
ses préparations, sans oser se noircir les mains, ni séparer les différentes parties
qui composent les choses. Et pour prouver généralement combien l’urine a de
vertus médicinales, nous dirons seulement en passant, qu’elle dessèche la
grattelle, lorsqu’on la lave avec cette liqueur nouvellement rendue ; qu’elle
résout les tumeurs étant appliquée chaudement ; qu’elle mondifie, déterge &
nettoie les plaies & les ulcères venimeux ; qu’elle empêche la gangrène ; qu’elle
ouvre & lâche le ventre doucement & sans tranchées, si on la donne en clystères
devant qu’elle soit refroidie ; parce qu’autrement, elle serait privée de son esprit
volatil, en qui réside sa principale vertu ; qu’elle empêche, ou pour le moins
qu’elle affaiblit les accès de la fièvre tierce, si on l’applique chaudement sur les
pouls & en frontal ; qu’elle guérit les ulcères des oreilles, si on en verse dedans,
qu’elle ôte la rougeur & la démangeaison des yeux, si on en distille dans leurs
coins ; qu’elle ôte le tremblement des membres, si on les en lave, étant mêlée
avec de l’esprit de vin ; qu’elle résout & dissipe la tumeur & l’enflure de la
luette en gargarisme ; & qu’enfin, elle apaise les douleurs que causent les
météorismes de la rate, si on l’applique dessus, étant réduite en cataplasme fait
avec des cendres. Que si l’urine est comme un trésor pour les maladies du
dehors, elle n’est pas moins efficace pour celles du dedans ; car elle est
excellente pour ôter les obstructions du foie, de la rate & de la vessie du fiel,
pour préserver de la peste, pour guérir l’hydropisie naissante, & pour ôter la
jaunisse ; jusque-là même qu’il y en a qui ont observé que l’urine du mari est
très spécifique, pour faire accouder la femme dans un travail long & difficile ; &
que l’expérience fait voir qu’elle produit des effets surprenants pour la guérison
des fièvres tierces, si on en donne un verre de toute nouvelle dès les premiers
mouvements de l’accès.

Nous n’avons avancé tout ce qui est ci-dessus, que pour faire voir combien
l’urine bien préparée & séparée de ses impuretés grossières, sera plus excellente
& produira de meilleurs effets, que lorsqu’elle est encore corporelle ; comme
aussi pour prouver de plus en plus, que tout ce que les mixtes ont de vertu ne
provient que de leurs esprit & de leurs sels.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 134

Ceux qui voudront se servir de l’urine, en prendront, s’ils peuvent, de celle des
jeunes hommes, des adolescents, ou de celle des enfants de l’âge depuis dix ans
jusqu’à quinze, qui soient sains & qui boivent du vin ; que si cela ne se peut, ils
en prendront comme ils la pourront avoir, car l’urine a toujours ses esprits &
son sel ; elle en aura pourtant moins & sera plus grossière ; mais l’expérience du
travail fera voir qu’on y trouvera les mêmes remèdes, soit pour s’en servir de
médicament en dehors ou en dedans, ou pour en faire les opérations qui
suivent.

§. 6. Pour faire l’esprit igné de l’urine & son sel volatil.

Prenez trente ou quarante pintes d’urine, qui ait les conditions que nous avons
dites, & la faites évaporer à lente chaleur, jusqu’en consistance de sirop ; mettez
ce qui vous restera dans une cucurbite, qui soit haute d’une coudée, que vous
couvrirez de son chapiteau & que vous lutterez très exactement, mettez votre
vaisseau au bain-marie ou aux cendres, pour en tirer l’esprit & le sel volatil par
la distillation : si c’est au bain-marie, il faut qu’il soit bouillant ; mais si c’est aux
cendres, il faudra graduer le feu avec plus de précaution. Ainsi vous aurez un
esprit qui se coagulera en sel volatil dans l’alambic, qui se coagule au froid, &
qui se résout en liqueur à la moindre chaleur. Mais il saut noter qu’il ne faut
évaporer l’urine, que lorsqu’elle est nouvelle ; car si elle avait été fermentée ou
digérée, le meilleur s’évaporerait.

On peut aussi distiller l’esprit de l’urine dans un alambic au bain-marie


bouillant sans l’évaporer; mais il faudra le rectifier.

On peut encore distiller l’esprit d’urine sans feu apparent, qui est une opération
merveilleuse, ce qui se fait ainsi : il faut évaporer l’urine très lentement
jusqu’aux deux tiers, après quoi mettez trois ou quatre doigts de haut de bonne
chaux vive dans une cucurbite ; & verser votre urine évaporée sur cette chaux,
couvrez prestement le vaisseau de son chapiteau, & lui adaptez un récipient;
ainsi vous aurez de l’esprit d’urine en peu de temps & sans feu, qui sera très
subtil & très volatil, qui ne cédera point aussi en bonté à celui qui aura été fait
d’une autre manière : ceux qui auront la cornue ouverte de Glauber, le
distilleront plus facilement & en plus grande quantité. Il est fort difficile de
garder le sel volatil de l’urine, à cause de sa subtilité & de la pénétrabilité de ses
parties ; c’est pourquoi, il est nécessaire de le digérer avec son propre esprit, &
de les unir ensemble, pour les conserver dans une fiole qui ait l’embouchure
étroite, qui n’ait point d’autre bouchon que de verre, & une double vessie
mouillée par-dessus.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 135

Cet esprit salin volatil, ou ce sel spirituel, a des vertus qui sont presque
innombrables ; car il est premièrement très souverain pour apaiser les douleurs
de toutes les parties du corps, & principalement celles des jointures, lorsqu’il est
mêlé avec quelque liqueur convenable. Il ouvre plus que tout autre remède
toutes les obstructions tartarées des entrailles & du mésentère ; c’est ce qui fait
que son usage est admirable dans le scorbut & dans toutes les maladies
hypocondriaques, dans les mauvaises fermentations qui se font dans l’estomac,
& dans les deux sortes de jaunisse : il n’est pas moins bon pour atténuer & pour
dissoudre le sable & les glaires, qui se forment dans les reins ou dans la vessie.
On peut même en faire un remède très excellent contre l’épilepsie, l’apoplexie,
la manie & contre toutes les autres maladies qu’on dit prendre leur origine du
cerveau : mais il le faut préparer comme il suit.

Prenez du vitriol, qui ait été purifié par diverses dissolutions, filtrations &
cristallisations faites avec de l’eau de pluie distillée, ou ce qui serait encore
meilleur, avec de celle de la rosée ; imbibez-le d’esprit d’urine, jusqu’à ce qu’il
surnage seulement la matière ; bouchez très exactement le vaisseau, & le mettez
digérer durant huit ou dix jours ; après quoi mettez la matière digérée dans une
haute cucurbite & la distillez aux cendres jusqu’à sec, & vous aurez un très
excellent céphalique, qui guérit la migraine & les autres douleurs de la tête par
le seul flair ; & qui concilie le sommeil, si on le tient quelque peu de temps sous
le nez. Il faut mettre ce qui restera dans le fonds de la cucurbite, dans une
retorte que vous mettrez au sable avec son récipient bien lutté, & vous en
tirerez encore le sel volatil & une espèce d’huile brune, qui n’est pas méprisable
dans la Médecine & dans la métallique ; vous pourrez aussi faire une
dissolution de ce qui restera, que vous filtrerez, évaporerez & cristalliserez en
un sel, qui sera un véritable stomachique pour chasser les viscosités & les
superfluités nuisibles, qui s’attachent ordinairement aux parois de l’estomac, on
le donne dans du bouillon ou dans de la bière chaude. La dose est depuis nuit
grains jusqu’à vingt, & même jusqu’à une demi-drachme.

La dose de l’esprit d’urine, est depuis deux gouttes jusqu à douze ou quinze
dans des émulsions, dans des bouillons, ou dans quelques autres liqueurs
appropriées ; celle du sel volatil, est depuis deux grains jusqu’à dix, de la même
façon que l’esprit.

§. 7. Pour faire l’eau, l’huile, l’esprit, le sel volatil & fixe du sang humain.

Prenez au mois de Mai une bonne quantité de sang de quelques jeunes


hommes, qui se font ordinairement saigner en ce temps-là, & le mettez distiller
aux cendres dans une ample cucurbite de verre ; mais il faut mettre deux ou
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 136

trois poignées de chanvre par-dessus le sang, pour empêcher son élévation


dans le chapiteau, qu’il faudra lutter exactement, & y adapter un récipient : il
faut graduer le feu avec jugement , & surtout empêcher que la masse qui
restera, ne se brûle, mais qu’elle se dessèche seulement. Ainsi vous aurez l’eau
& l’esprit, qu’il faudra rectifier au bain-marie ; l’eau servira pour extraire le sel
de la tête morte calcinée ; l’esprit peut être gardé comme il est, pour s’en servir
contre le mal caduc & contre les convulsions des petits enfants, la dose est
depuis une demi-drachme jusqu’à une drachme entière ; il est aussi spécifique
pour les mêmes maux, en y mêlant des fleurs de muguet & de lavande, pour en
tirer la teinture. Il sera pourtant meilleur de le cohober par la retorte, sur ce qui
sera resté dans la cucurbite, jusqu’à neuf fois, ou jusqu’à ce qu’il ait acquis une
couleur de rubis, & que l’huile sorte sur la fin avec le sel volatil, qui adhérera au
col de la cornue, ou aux parois du récipient, qu’il faudra mêler avec l’esprit, &
les rectifier & joindre ensemble par la distillation que vous en ferez au bain-
marie. C’est cet esprit empreint de son sel volatil, qui est tant vanté pour la cure
de la paralysie, pris intérieurement depuis six gouttes jusqu’à dix, dans des
bouillons, ou dans de la décoction de racine de squine, ou bien dedans du vin
blanc.

Il faut achever de calciner au feu de roue, ce qui sera resté dans la cornue, puis
en extraire le sel avec l’eau qu’on aura tirée du sang ; il faut filtrer la
dissolution, l’évaporer & laisser cristalliser le sel, qu’il faut garder pour ce qui
suit.

Prenez l’huile distillée du sang, & la rectifiez sur du colcotar au sable dans une
retorte, jusqu’à ce qu’elle soit subtile & pénétrante ; mêlez le sel fixe avec cette
huile & les digérez ensemble, jusqu’à ce qu’ils soient bien unis ; ainsi vous
aurez un baume, qui fait des merveilles pour apaiser la douleur des gouttes des
pieds & des mains, & pour en ôter l’enflure & la rougeur ; mais ce qui est de
meilleur, c’est que ce remède amollit, dissipe & résout les tophes & les nœuds
des goûteux ; comme aussi ceux des vérolés, pourvu qu’on les ait purgés
auparavant avec de bons remède tirés du mercure ou de l’antimoine.

Il faudra pourtant ne s’arrêter pas toujours à la saison du printemps pour avoir


du sang, car on en pourra prendre dans les autres saisons de l’année, si la
nécessité le requiert. On peut aussi se servir du sang de cerf, de bouc, de celui
de pourceau, de bœuf ou de mouton, qu’on pourra distiller de la même façon
que le sang humain ; car leurs digestions se font de même que dans les animaux
parfaits ; & leur sang est doué des mêmes facultés, sinon que celui des hommes
est plus subtil, à cause de la délicatesse de ses aliments.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 137

§. 8. Pour faire le sel & l’élixir de la pierre de la vessie.

C’est une chose admirable, que ce qui cause tant de maux aux hommes, soit
pourtant capable de leur servir de remède; cela se voit en la pierre de la vessie,
qui peut être donnée sans autre préparation, que d’être mise en poudre, au
poids depuis un scrupule jusqu’à une drachme dans du vin blanc, ou dans de la
décoction de racines de bardane & d’ortie brûlante, pour dissoudre & pour faire
sortir la gravelle & les glaires des reins & de la vessie ; mais les recèdes qu’on en
tire par la préparation Chimique, ont beaucoup plus de vertu, & agissent avec
beaucoup plus de promptitude.

Prenez donc une partie de pierres de la vessie, & les mettez en poudre, que
vous joindrez avec deux parties de charbon de hêtre pulvérisé ; mettez-les
ensemble en un creuset, que vous lutterez, & les calciner au feu de roue ou au
feu de réverbère, cinq ou six heures durant ; & lorsque le creuset sera refroidi,
broyez ce qui restera, & en faites une lessive avec quelque eau diurétique, ou
avec du phlegme de salpêtre ou d’alun, que vous filtrerez & l’évaporerez
jusqu’à pellicule, puis la mettrez cristalliser en un lieu froid, & continuerez ainsi
jusqu’à ce que vous ayez tiré tout le sel ; que s’il n’était pas assez net, il le faut
mettre dans un creuset, puis le faire rougir au feu sans le mettre en fusion ; il le
faut purifier par plusieurs dissolutions, filiations, évaporations &
cristallisations. Il faut mettre ce sel bien desséché dans une fiole, qui doit être
bien bouchée, de peur qu’il ne soit humecté par l’attraction de l’air. La dose de
ce sel, est depuis quatre grains jusqu’à huit dans des liqueurs appropriée, pour
faciliter l’excrétion de l’urine ; comme aussi pour dissoudre & pour faire sortir
le sable & les glaires, qui sont ordinairement la cause occasionnelle de la
génération & de la fermentation de la pierre dans les reins, ou dans la vessie.

Mais si vous en voulez faire une essence ou un élixir, qui soit encore plus
efficace que ce sel, il faudra que vous calciniez la pierre avec son poids égal de
salpêtre très pur dedans un bon creuset, au feu de roue durant l’espace de six
heures ; puis il faut extraire le sel de la masse avec de l’esprit de vin simple,
qu’il faut filtrer, évaporer & cristalliser ; & lorsque les cristaux seront desséchés,
il les faut mettre digérer durant douze jours dans un vaisseau de rencontre à la
vapeur du bain-marie, avec de l’esprit de vin rectifié ; après quoi mettez un
chapiteau sur le vaisseau, & retirer l’esprit de vin à la chaleur de l’eau du bain,
& le cohobez tant de fois, que vous réduisiez le sel en une liqueur subtile &
claire, que vous garderez précieusement. Il en faut donner depuis cinq gouttes
jusqu’à dix, pour les mêmes maux & dans les mêmes liqueurs que nous avons
dites ci-dessus.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 138

Il ne faut pas que l’Artiste fasse aucune difficulté de se servir du nitre, pour
calciner le calcul, de peur que son sel ne se joigne à celui de cette pierre : car
outre que tout ce qu’il y a de volatil, d’âcre & de corrosif dans le nitre,
s’évanouit par la calcination ; c’est que ce qui reste avec la pierre calcinée, étant
réduit à la nature universelle par l’action du feu, cela ne peut qu’augmenter la
vertu de ce remède, plutôt que de la diminuer.

Après avoir achevé de traiter des choses qui se tirent de l’homme durant sa vie,
il faut que nous achevions ce Chapitre, par l’examen que nous ferons de celles
que nous en tirons après sa mort ; & nous commencerons par la chair, qui nous
fournit beaucoup de belles préparations, ainsi que la suite le fera voir.

§. 9. De la chair humaine & de ses préparations.

La mumie qu’on prépare avec la chair du microcosme, est un des plus


excellents remèdes qui se tirent des parties de l’homme. Mais parce que la
mumie est en horreur à quelques-uns, & qu’elle n’est ni connue, ni conçue des
autres ; il n’est pas à de propos de dire quelque chose de ses différences, avant
que de venir à la description de sa véritable préparation.

Ceux des Anciens qui ont le plus doctement écrit de la mumie, n’en marquent
que quatre sortes. La première, est celle des Arabes, qui n’est rien autre chose
qu’une liqueur, qui est sortie des corps qui ont été embaumés avec de la
myrrhe, de l’aloë & du baume naturel, qui ont été mêlés, dissous & unis avec la
substance des chairs du corps embaumé, qui contenaient en elles l’esprit & le
sel volatil, qui sont la partie mumiale & balsamique, qui composent avec la
myrrhe, l’aloë & le baume, cette première sorte de mumie des Ancien, qui
véritablement ne serait point à rejeter, s’il était possible de la recouvrer : mais
on n’en trouve point du tout à présent.

La seconde est la mumie des Egyptien, qui est une liqueur épaissie & séchée,
sortie des corps, qui ont été confits & remplis d’un baume, qu’on appelle
ordinairement Asphalte ou Pissasphalte. Or, comme les soufres sont d’une
nature incorruptible c’est aussi par leur moyen & par leur faculté balsamique,
que les corps morts sont préservés de la corruption : cette seconde n’approche
pas de la première, & n’est propre que pour l’extérieur ; parce qu’elle n’a pu
tirer du cadavre les vertus de la vie moyenne, qui était restée dans ses partie, à
cause de la solidité compacte & du resserrement des partie de ces bitumes
sulfurés, qui sont secs & friables.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 139

La troisième, est tout à fait ridicule & méprisable, parce que ce n’est rien autre
chose que du pissasphalte artificiel, c’est-à-dire, de la poix noire mêlée avec du
bitume, & bouillie avec de la liqueur qui sort des corps morts des esclaves, pour
lui donner l’odeur cadavéreuse ; & c’est cette troisième sorte qu’on trouve
ordinairement chez les Epiciers, qui la fournissent aux Apothicaires, qui sont
trompés par l’odeur de cette drogue falsifiée & sophistiquée. J’ai appris ce que
je viens de dire d’un Juif d’Alexandrie d’Egypte, qui se moquait de la crédulité
& de l’ignorance des Chrétiens.

La quatrième sorte de mumie, & celle qui est la meilleure & la moins
sophistiquée, est celle des corps humains, qui se trouvent avoir été desséchés
dans les sables de la Libye : car il y a quelquefois des caravanes entières, qui
sont ensevelies dans ces tables, lorsqu’il souffle quelque vent contraire, qui
élève le sable, & qui les couvre inopinément & en un instant, j’ai dit que cette
quatrième était la meilleure, parce qu’elle est simple, & que cette suffocation
subite concentre les esprits dans toutes les parties, à cause de la surprise & de la
peur que les Voyageurs conçoivent, qui selon le dire de Virgile :

Membra quatit gelidusque coit formidine sanguis.

Et que de plus, l’exsiccation subite qui s’en fait, soit par la chaleur du sable, soit
par l’irradiation du Soleil, communique quelque vertu astrale, qui ne se peut
donner par quelque autre façon d’agir que ce soit. Ceux qui auront de cette
dernière mumie, s’en serviront pour faire les préparations qui suivront : mais
comme on ne trouve pas toujours de ces corps morts ainsi desséchés, & que les
remèdes qu’on en tire sont très nécessaires ; l’Artiste pourra substituer une
cinquième sorte de mumie, qui est celle que Paracelse appelle mumiam patibuli,
& qu’on peut légitimement appeler la mumie moderne, qu’il préparera de cette
sorte.

§. 10. Préparation de la mumie moderne.

Il faut avoir le corps de quelque jeune nomme de l’âge de vingt-cinq ou trente


ans, qui ait été étranglé, duquel on dissèquera les muscles, sans perte de leur
membrane commune ; après les avoir ainsi séparés, il les faut tremper dans de
l’esprit de vin, puis les suspendre en un lieu, où l’air soit perméable & bien sec,
afin de les dessécher, & de concentrer dans leurs fibres ce qu’il y a de sel volatil
& d’esprit, & qu’il n’y ait que la partie séreuse & inutile qui s’exhale. Que si le
temps est humide, il faut suspendre ces muscles dans une cheminée, & les
parfumer tous les jours trois ou quatre fois avec un petit feu fait du bois de
genièvre, qui ait ses branches avec ses feuilles & ses baies, jusqu’à ce qu’ils

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 140

soient secs, comme la chair du bœuf salée, de laquelle on charge les navires qui
sont employés aux longs voyages. Ainsi vous aurez une mumie, qui ne cédera
nullement à la quatrième en bonté, & que j’estime même davantage, parce
qu’on est assuré de sa préparation ; qu’on peut de plus en avoir plus facilement,
& qu’il semble que les esprits, le sel volatil & la partie mumiale & balsamique, y
doivent avoir été mieux conservés, parce que les chairs n’ont pas été séchées
avec une si grande chaleur.

§. 11. Pour faire le baume de la mumie des modernes.

Prenez une livre de la cinquième mumie, concassez-la dans le mortier avec un


pilon de bois, jusqu’à ce qu’elle soit réduite en fibres très déliés, qu’il faut
couper fort menu avec des ciseaux, puis la mettre dans un matras à long col, &
verser dessus de l’huile d’olive empreinte de l’esprit de térébenthine, qui est
proprement son huile éthérée, jusqu’à ce qu’elle surnage de la hauteur de trois
ou quatre doigts ; scellez le vaisseau hermétiquement, & le mettez digérer dans
le fumier, ou dans de la sciure de bois à la vapeur du bain, durant l’espace d’un
mois philosophique qui est de quarante jours, sans discontinuer la chaleur.
Après quoi ouvrez le vaisseau, verser la matiez dans une cucurbite, que vous
mettrez au bain-marie sans la couvrir, & laisser ainsi exhaler la puanteur qu’elle
aura contractée,& que toute la mumie soit dissoute ; alors coulez le tout par le
coton, & mettez digérer au bain-marie cette dissolution dans un vaisseau de
rencontre, avec partie égale d’esprit de vin rectifié, dans quoi vous aurez
dissout deux onces de vieille thériaque, & mêlé une once de chair de vipères en
poudre, pendant l’espace de trois semaines ; au bout de ce temps, vous ôtez
l’alambic aveugle, & couvrirez la cucurbite d’un chapiteau à bec, & retirerez
l’esprit de vin à la très lente chaleur du bain, & coulerez ce qui restera par le
coton ; ainsi vous aurez un heaume très efficace, de quoi vous pourrez vous
servit au-dedans & au-dehors.

C’est un très excellent remède intérieur contre toutes les maladies venimeuses,
& particulièrement contre les pestilentielle & toutes celles qui sont de leur
nature. Il est aussi très bon d’en donner à ceux qui sont tombés & qui ont du
sang caillé dans le corps, aux paralytiques, à ceux qui ont des membres
contracts & atrophiés, aux pleurétiques & à toutes les autres maladies, où la
sueur est nécessaire : c’est pourquoi, il est à propos de bien couvrir les malades,
auxquels on en donnera. La dose est depuis une drachme jusqu’à trois, dans des
bouillons, ou dans de la teinture de sassafras, ou de baie de genièvre.

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Mais on ne peut assez exalter les beaux effets qu’elle produit pour le dehors ;
car c’est un baume, qui est même préférable au baume naturel, pour apaiser
toutes les douleurs externes qui proviennent du froid, ou de quelque vent
enclos dans les espaces des muscles ; comme aussi contre celles qui sont
occasionnées par des foulures & des meurtrissures ; il en faut oindre aussi les
membres paralytiques, les parties contractes & atrophiées, c’est-à-dire, qui ne
reçoivent point de nourriture ; il en faut encore frotter les endroits du corps, qui
sont douloureux, où néanmoins on ne voit aucune enflure ni rougeur ; mais
notez qu’il en saut donner en même temps intérieurement, afin que la chaleur
interne coopère avec l’externe ; car il faut couvrir le malade, & le laisser en
repos quelques heures, afin de provoquer la sueur, ou que ce qui cause la
douleur & le vice des parties, s’exhale insensiblement.

§. 12. Comment il faut préparer & distiller l’axunge humaine.

L’axunge ou la graisse humaine, est de soi, sans autre préparation, un remède


extérieur qui est très considérable ; car elle fortifie les parties faibles & dissipe
leur sécheresse extérieure ; elle apaise leurs douleurs, résout leurs contractions,
& redonne l’action & le mouvement des parties nerveuses, adoucit la dureté des
cicatrices, remplit les fosses, & rétablit l’inégalité de la peau, qu’a laissée le
venin de la petite vérole.

La première préparation, est simple & commune ; car il faut seulement la


découper & la faire bouillir avec du vin blanc, jusqu’à ce que les morceaux
soient bien frits, & que l’humidité du vin soit évaporée ; puis la presser entre
deux platines d’étain, qui aient été chauffées, & garder cette axunge pour la
nécessité.

La seconde préparation, est lorsqu’on en veut faire un liniment anodin, résolutif &
réfrigérant, dont on peut très utilement se servir aux enflures, aux
inflammations, aux duretés, & aux autres accidents, qui arrivent ordinairement
aux plaies & aux ulcères, ou par l’intempérance du malade, ou par l’impéritie &
la négligence du Chirurgien mal expérimenté. Pur le faire, prenez du phlegme
de vitriol ou d’alun, qui soient empreints de leur esprit acide, environ une
demie livre ; mettez-la digérer au sable avec environ deux onces de litharge
lavée & séchée, qu’il faudra remuer souvent ; & lorsque la liqueur sera bien
chargée, il la faudra filtrer, & en faire le liniment en forme de nuiritum. Que si
vous le voulez rendre plus spécifique, il y faudra joindre à mesure qu’on
l’agitera, quelque portion de la teinture de myrrhe & d’aloë, faite avec du très
bon esprit de vin.

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La troisième & la dernière préparation de la graisse humaine, que je tiens la plus


exacte & la meilleure, est la distillation, ce qui se pratique ainsi. Prenez une
partie d’axunge humaine, & deux ou trois parties de sel décrépite, que vous
pisterez & mêlerez bien ensemble ; vous mettrez ce mélange dans une cornue
de verre, que vous placerez au sable avec son récipient, qui soit lutté très
exactement; puis vous donnerez le feu pat degrés, jusqu à faire rougir le fond
de la retorte, ce qui ne requiert qu’environ huit heures de temps ; ainsi vous
aurez une huile d’axunge humaine qui sera très subtile, qui est un remède
souverain pour ranimer & pour dégourdir les membres paralytiques, qui sont
ordinairement refroidis & atrophiés, & cette huile vaut mieux que le corps dont
elle a été tirée, pour s’en servir à tout ce à quoi nous avons dit ci-dessus qu’elle
était propre. Que si on veut rendre cette huile plus pénétrante & plus subtile, il
la faudra circuler au bain-marie avec partie égale d’esprit de vin durant
quelques jours, puis la rectifier en la distillant aux cendres dans une cucurbite
de basse coupe ; elle deviendra par ce moyen si pénétrante & si subtile, qu’à
peine la peut-on conserver dans le verre, vu qu’elle devient imperceptible,
aussi-tôt qu’elle est appliquée, tant elle est pénétrante.

Les préparations que nous venons de décrire, serviront d’exemples pour toutes
les autres nulles, beurres, graisses & axunges, qu’on rendra par ce moyen plus
efficaces & plus pénétrantes.

§. 13. Pour faire l’esprit, l’huile & le sel volatil des os & du crâne humain.

La préparation du crâne ne sera point différente de celle des os ; c’est pourquoi,


nous ne perdrons pas le temps pour en faire deux descriptions : l’une & l’autre
préparation se fait ainsi.

Prenez des os humains, qui aient été pris d’un homme qui soit fini de mort
violente, & qui n’aient point été enterrés ni bouillis, ni mis dedans de la chaux
vive, & les faites scier par morceaux d’une grosseur convenable, qui puissent
entrer dans une cornue, qui soit luttée, & qui ne soit remplie que jusqu’aux
deux tiers ; vous la mettrez au réverbère clos à feu ouvert ; & après lui avoir
adapté & lutté bien exactement son récipient, vous couvrirez le réverbère, &
laisserez au-dessus un trou d’un pouce & demi de diamètre, qui servira de
registre pour gouverner le feu, qui doit être gradué modérément, jusqu’à ce que
tous les nuages blancs soient passes ; alors il faut changer de récipient, ou vider
la matière qui sera contenue dans le premier, puis le lutter exactement, &
continuer & augmenter le feu, pour faire sortir l’huile & le sel volatil avec le
reste de l’esprit ; ce qu’il faut poursuivre jusqu’à ce que le récipient devienne

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 143

clair de soi-même ; ce qui arrive dans l’espace de douze heures, depuis le


commencement de l’opération.

Mais notez qu’il faut garder la sciure des os, ou en faire limer ou râper ; afin que
cela serve à la rectification de l’esprit, de l’huile & du sel volatil. Il faut aussi
calciner & réverbérer jusqu’à blancheur à feu ouvert, entre des briques, les
morceaux qui sont restés dans la cornue, afin qu’ils servent pour arrêter & fixer
en quelque façon le sel volatil, qu’on ne peut garder autrement, à cause de sa
subtilité, comme nous en donnerons la description en parlant de la distillation
& de la rectification de ce qui se tire de la corne de cerf.

Je ne saurais passer sous silence une expérience, que j’ai vue en la personne
d’un Cornette, qui avait été blessé d’une mousquetade à la cuisse, proche du
genoux, qui avait la jambe & le genoux en si mauvaise situation après sa
guérison, que le talon approchait de la fesse, ce qui le rendait presque inutile à
sa charge. Mais leur Chirurgien Major, qui était Allemand, entreprit de lui
rendre le mouvement du genoux ; & pour parvenir à ses fins, il lui fit prendre
tous les jours dans des bouillons, six semaines durant, le poids d’une drachme
de la poudre des os de la jambe & de la cuisse d’un homme, qui avait été
disséqué quelques années auparavant ; ce qui lui redonna non seulement le
mouvement pliant du genoux, mais qui le mit de plus en état avant les six
semaines achevées, de faire des armes, de jouer à la paume & de monter à
cheval. Ce qui doit faire remarquer, que cette poudre ne peut avoir produit un
si rare effet, qu’à cause du sel volatil, spirituel & pénétrant quelle contenait,
puisque la partie matérielle ne pouvait jamais passer jusque dans les derrières
digestions, je n’ai rapporté cette Histoire, que pour mieux faire croire & pour
mieux faire comprendre les effets, que produisent les remèdes qu’on tire des os
& du crâne humain, par la distillation qui sépare le pur de l’impur. On donne
l’esprit & le sel volatil du crâne humain, pou la cure de l’épilepsie dans de l’eau
de fleurs de tillot, de muguet ou de pœone. Celui des os se donne aussi avec
heureux succès, pour réhabiliter les membres raccourcis & desséchés, pourvu
qu’on les frotte aussi du baume de la mumie moderne. L’huile du crâne & celle
des os ne s’applique qu’extérieurement, pour nettoyer & pour guérir les ulcères
vilains & rongeants, pourvu qu’on y mêle un peu de colcotar en poudre, &
qu’on donne des potions vulnéraires & purgatives au malade de deux jours en
deux jours. La dose de l’esprit, est depuis trois gouttes jusqu’à dix ; & celle du
sel volatil arrêté, depuis quatre grains jusqu’à huit.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 144

§. 14. La manière de bien préparer les remèdes qui se tirent de la corne de cerf.

Quoique nous ayons donné le modèle de faire toutes les opérations Chimiques,
pour tirer les remèdes des parties des animaux ; cependant comme il y en a
plusieurs qui auraient de l’aversion de travailler sur les parties de quelques
animaux, qui sont en quelque façon différentes de celle-là, & qui ont en elles
une plus grande portion de ce qui peut être utile à la cure des maladies : j ai cru
qu’il était nécessaire de décrire exactement les bons remèdes, qui se dirent de la
corne de cerf, qu’on peut légitimement substituer à ceux qu’on prépares des
parties de l’homme. Car il faut avouer qu’il y a quelque chose de très beau & de
merveilleux dans la production annuelle du bois de cerf, qu’il renouvelle tous
les printemps, comme une espèce de végétation. Et pour faire voir cette vérité, il
faut remarquer que les armes de cet animal, ne lui deviennent inutiles &
insupportable, que lorsqu’il est tombé en pauvreté, comme disent les veneurs,
qui est une façon de parler qui est assez physique ; car ils veulent dire qu’ils
manquent de bonne & de suffisante nourriture durant l’hiver, lorsque la terre
est longtemps couverte de neige ; & qu’ainsi, ces pauvres animaux n’ont plus
d’esprit naturels, ni d’humide radical en assez grande quantité, pour pousser
jusque dans leur bois, vu qu’ils n’en ont pas même assez pour les sustenter &
pour entretenir leur vie, puisqu’ils sont en ce temps là maigres & langoureux.
Mais lorsque la riche saison du printemps leur donne la pointe de l’herbe & les
bourgeons des arbrisseaux des taillis, ils sont comme ranimés d’un nouveau feu
si abondamment, que la sublimation des esprits pousse jusqu à leur tête, & leur
donne des démangeaisons qui font qu’ils mettent bas leur vieille ramure, qui est
toute rare, spongieuse & privée de sa meilleure & de sa principale partie, qui est
son sel volatil spirituel, en quoi consiste toute la vertu médicinale, qu’on désire
en tirer : après quoi, ils poussent un nouveau bois, qui est au commencement
mol & tout rempli d’un sang très subtil, qui se durcit peu à peu, & qui acquiert
toute la perfection requise. Ce qui fait juger de la nécessité du choix qu’on doit
faire du bois de cet animal ; car il ne faut pas prendre pour vos opérations de ce
qui aura été mis bas ; il ne faut pas aussi le prendre avant qu’il ait acquis sa
fermeté requise ; il faut même encore négliger celui qui approche de l’hiver :
mais le vrai temps de le prendre en sa perfection, est entre les deux Fêtes de
Notre-Dame d’Août & de Septembre : c’est en ce temps qu’il est suffisamment
fourni d’esprit, de sel volatil & d’huile, pour en faire les médicaments que nous
allons décrire, il faut que le cerf ait été tué, ou pris par les chiens ; mais il faut
avant que d’en venir là, montrer comment il faut distiller l’eau de tête de cerf,
lorsqu’elle est encore tendre & qu’elle est couverte de son poil, parce que cette
eau est de grande vertu, & qu’elle n’échauffe pas tant que les outres remèdes

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 145

que nous décrirons, à cause que ses esprits ne sont encore qu’embryonnés, &
qu’ils ne sont pas, ni cuits, ni digérer jusqu’à leur dernière perfection.

§. 15. Comment il faut distiller la corne de cerf, qui est encore molle pour avoir l’eau de
tête de cerf.

Il faut prendre ce nouveau bois du cerf pour le distiller, depuis le quinzième de


Mai, jusqu’à la fin de Juin ; il le faut couper par rouelles, de l’épaisseur de la
moitié d’un travers de doigt, & les poser l’un sur l’autre en échiquier, dans le
fond d’une cucurbite de verre qu’il faut mettre au bain-marie ; & lorsque tout
sera prêt, il faut donner le feu jusqu’à ce que l’eau commence à distiller, &
continuer la même chaleur jusqu’à ce qu’il en sorte plus rien : on pourra de plus
mettre la cucurbite aux cendres, pour achever de tirer l’humidité qui resterait,
afin que les morceaux soient plus secs, & se puissent mieux conserver. Il y en a
qui ajoutent du vin, de la cannelle, du macis & un peu de safran à cette
distillation, pour rendre l’eau plus efficace ; tant pour faciliter les
accouchements difficiles, que pour faire sortir l’arrière-faix, quand les femmes
ont perdu leurs forces ; comme aussi pour faire nettoyer la matrice des
sérosités, dont ses membranes ont été imbues durant la grossesse, qui causent
avec le sang qui reste, les tranchées qui tourmentent les femmes accouchées.
L’Apothicaire curieux pourra faire la simple & la composée, afin qu’il puisse
satisfaire aux intentions des Médecins qui les voudront employer. La dose de la
simple, est depuis une demie jusqu’à une & deux cuillerées entières : on peut
même passer plus avant, parce que cette eau fortifie sans altérer & sans
échauffer ; outre qu’elle est bonne aux femmes en travail, elle n’est pas moins
excellente à toutes les maladies qui participent du venin. Ceux qui la voudront
conserver longtemps, ajouteront une dragme & demie de borax en poudre à
chaque livre de cette eau ; ce qui la rendra encore meilleure, puisque le borax
est de soi un spécifique, pour faciliter l’accouchement. La dose de l’eau
composée, doit être moindre ; car il ne faut pas aller au-dessus de deux
dragmes ; c’est un vrai contrepoison dans toutes les fièvres malignes &
pourpreuses, & principalement dans la rougeole & dans la petite vérole.

Il ne faut pas rejeter les morceaux, qui sont restés au fond du vaisseau ; il les
faut au contraire employer en poudre très subtile au poids, depuis un demi
scrupule jusqu’à une demie dragme, pour tuer les vers des enfants, même pour
en empêcher le séminaire ; il leur faut faire boire cette poudre dans de la
décoction de râpure de corne de cerf & d’ivoire : cette poudre n’a delà vertu
qu’à cause que la chaleur du bain-marie n’a pas été capable d’élever le sel
volatil, qui était dans les plus solides parties de ces morceaux.

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§. 16. La préparation philosophique de la corne de cerf.

Il y a beaucoup d’Artistes, qui croient qu’on ne peut rendre la corne de cerf


tendre & friable, pour la pouvoir aisément mettre en poudre, sans la calciner :
mais : comme cette calcination la prive de ses esprits & de son sel, les plus
expérimentés ont trouvé le moyen d’en faire une espèce de calcination
philosophique, qui lui conserve sa vertu ; ce qui doit faire remarquer l’extrême
différence qu’il y a entre l’ancienne Pharmacie, & celle qui est éclairée des
lumières de la Chimie.

Prenez-donc de la corne de cerf bien choisie, & qui soit en son vrai temps ;
sciez-la par morceaux de la longueur d’un empan vers les extrémités ; puis
mettes deux bâtons en travers du haut de la vessie, qui sert à la distillation des
esprits & des eaux, auxquels vous suspendrez avec de la ficelle les morceaux
des andouillettes du cerf, lorsque vous distillerez quelques eaux cordiales
comme sont celles de chardon bénit, d’ulmaria ou de petite centaurée ; ou ce qui
vaudrait encore mieux, lorsque vous distillerez quelques matières fermentées,
qui doivent avoir par ce moyen des vapeurs plus pénétrantes & plus subtile, il
faut couvrit la vessie & donner le feu, comme pour la distillation ordinaire de
l’eau de vie ; & les vapeurs pénétreront la corne de cerf jusque dans son centre,
& la rendront aussi friable, que si elle avait été calcinée à feu ouvert, & qu’elle
eût été broyée sut le porphyre ; mais il faut continuer la distillation quatre ou
cinq jours consécutifs, sans ouvrir le vaisseau ; ce qui est cause qu’il faut que la
vessie soit percée en haut sur le coté, afin d’y pouvoir mettre de l’eau chaude à
mesure qu’elle diminue par la distillation, & qu’il ne faut pas que la liqueur
approche de demi-pied de la matière qui est suspendue. Que si on objecta que
les vapeurs peuvent enlever avec elles la portion la plus subtile des esprits de la
corne de cerf, nous répondons que cela se peut ; & qu’ainsi les eaux cordiales &
sudorifiques, ou les esprits distillés de la fermentation des baies de genièvre, ou
de celle de sureau, n’en auront que plus de vertu : mais que cette chaleur
vaporeuse n’est pas suffisante pour en emporter le sel volatil, qui est retenu
dans la matière par la liaison très étroite qu’il a avec l’huile ou le soufre, qui ne
peut être désuni que par une chaleur beaucoup plus violente.

Cette corne de cerf ainsi préparée, est encore plus excellente, que celle qui est
restée de la distillation précédente, tant pour fortifier & pour être
diaphorétique, que pour en donner aux enfants pour tuer les vers, & pour
empêcher toutes les corruptions qui se font ordinairement dans leur petit
estomac. La dose, est depuis un demi-scrupule jusqu’à une demie dragme &

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 147

deux scrupules, dans des eaux cordiales & sudorifiques, ou dans quelque
conserves spécifique, contre toutes les maladies pestilentielles & venimeuses.

§. 17. La façon de préparer l’esprit, l’huile & le sel volatil de la corne de cerf.

Prenez autant qu’il vous plaira de corne de cerf, qui soit de la condition qui est
requise ; sciez-la, ou la faites scier par rouelles ou par talleoles, de l’épaisseur de
deux écus blancs ; emplissez-en une cornue de verre, qui soit luttée ; mettez-la
au réverbère clos à feu nu ; & graduer le feu jusqu’à ce que les gouttes
commencent à tomber les unes après les autres dans le récipient, qui soit bien
lutté avec de la vessie mouillée, & que vous puissiez compter quatre entre
l’intervalle que les gouttes feront en tombant ; continuer & régler le feu de cette
même égalité, jusqu’à ce que les gouttes cessent ; alors ôtez le récipient & le
videz, puis remettez-le, lutter avec de bon lut salé comme il faut ; & augmenter
le feu d’un degré, jusqu’à ce que l’huile commence à distiller, avec encore
quelque peu d’esprit ; & le sel volatil commencera de s’attacher aux parois du
col de la cornue, & de là passera en vapeurs dans le corps du récipient, où il
s’attachera en forme de cornes de cerf & de branchages des arbres, qui sont
chargés de petite gelée ou de neige, qui est une opération qui est très agréable à
voir ; car il tombe même de ce sel volatil en forme de neige au fond du
récipient, qui se joint à l’esprit qui est au-dessous de l’huile. Continuer le
dernier degré du feu, jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien, & que le récipient
paraisse clair sans aucune vapeur.

Or, ce n’est pas assez d’avoir tiré ces diverses substances de la corne de cerf ; il
faut les savoir rectifier, tant pour en ôter, autant qu’on le peut faire, l’odeur
empyreumatique, que pour en séparer la grossièreté : & pour commencer par la
premiers substance qui en est sortie, qui est l’esprit, il faut la rectifier aux
cendres à feu lent dans une cucurbite de verre, dans laquelle on aura mis la
hauteur de trois ou quatre doigts, de la sciure ou de la râpure de corne de cerf ;
& cet esprit sortira beau, clair, net, & privé de la plus grande partie de sa
mauvaise odeur ; celui qui vient le premier, est préférable au dernier, parce que
c’est un esprit volatil, de qui la nature est de monter toujours le premier ; il faut
rejeter le reste comme inutile, & mettre cet esprit rectifié dans une fiole
d’embouchure étroite, qui soit bien bouchée. C’est un remède excellent, pris
intérieurement ou appliqué au-dehors ; car il nettoie & rectifie toute la masse du
sang des superfluités séreuses, par les urines & par la sueur, aussi-bien que par
la transpiration insensible ; c’est pourquoi, il est très spécifique contre le
scorbut, contre la vérole & contre toutes les autres maladies, qui tirent leur
origine de l’altération du sang ; enfin cet esprit volatil peut être dignement

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 148

substitué à celui qu’on pourrait tirer de toutes les parties des autres animaux,
pour servir d’excellent médicament à tout ce que nous avons dit que les autres
étaient propres. Mais son usage est aussi merveilleux au-dehors, car il nettoie
comme par miracle tous les ulcères malins, rongeants, chancreux & fistuleux ; si
on les en lave, ou qu’on le seringue dedans : il sert aussi pour les plaies
récentes, soit de feu, de taille ou d’estoc ; car il empêche qu’il n’arrive aucun
accident : il est ami de la nature, ce qui fait qu’il aide cette bonne mère à la
réunion des parties ; & comme ce n’est pas son intention de faire suppurer, ni
de faire une colliquation des chairs & des parties voisines ; c’est aussi ce que cet
esprit empêche : mais remarquer qu’il en faut aussi donner en dedans, depuis
six gouttes jusqu’à douze dans des potions vulnéraires, ou dans la boisson du
malade. Enfin, cet esprit n’est rien autre chose qu’un sel volatil, qui est en
liqueur, comme le sel volatile n’est qu’un esprit ferme & condensé ; ce qui fait
qu’on les peut donner l’un pour l’autre, si ce n’est que la dose du sel volatil doit
être un peu moindre que celle de esprit ; si bien que les vertus que nous
attribuerons à l’un, peuvent être attribuées à l’autre.

Nous n’avons point d’autre observation à donner, pour rectifier le sel volatil &
l’huile, sinon qu’il faut que l’opération se fasse dans une retorte sur de la râpure
de corne de cerf, & avec les mêmes circonstances pour le règlement du feu.
Ainsi vous aurez l’huile belle, claire & d’un beau rouge de rubis, qui surnagera
le sel volatil qui sera allé dans le récipient, ou qui sera sublimé dans le col de la
cornue ; il faut dissoudre le sel avec son propre esprit rectifié, par une
dissolution faite à la chaleur de l’eau tiède pour le séparer de l’huile ; il faudra
filtrer cette dissolution par le papier, qu’il faut humecter de l’esprit, avant que
de rien verser dedans, & vous aurez l’huile à part & le sel dans son propre
esprit, qui n’en est que meilleur, & qui se conserve mieux que s’il était seul, si ce
n’est qu’on l’arrête & qu’on le fixe, comme nous l’enseignerons ci-après. Pour
cet effet, il faut mettre la dissolution de l’esprit & du sel dans une cucurbite au
bain-marie, pour redistiller l’esprit & pour sublimer le sel dans le chapiteau, ou
si on veut par la cornue : il est impossible de conserver ce sel, tant il est
pénétrant & subtil, c’est pourquoi il le faut arrêter de cette sorte.

Prenez les rouelles qui sont restées de la distillation, qui sont très noires, & les
calciner à feu ouvert jusqu’à blancheur ; mettez-en une partie en poudre, que
vous mêlerez avec son poids égal de sel volatil, que vous sublimerez ensemble,
& recommencerez ainsi avec de la nouvelle corne de cerf calcinée en blancheur
jusqu’à quatre ou cinq fois, & vous aurez un sel volatil arrêté que vous pourrez
garder, transporter & envoyer avec moins de risque que l’esprit : néanmoins je

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 149

conseille de se servir plutôt de l’esprit rempli & cornue saoulé du sel volatil, à
tout ce que nous allons dire.

On pourrait véritablement appeler ce remède une panacée, ou une Médecine


universelle, par les merveilleux effets qu’il est capable de produire ; car il est
très excellent contre l’épilepsie, l’apoplexie, la léthargie, & généralement contre
toutes les maladies qu’on dit tirer leur origine du cerveau : il ôte toutes les
obstructions du foie, de la rate, du mésentère & du pancréas. Il résiste à tous les
venins, à la peste & à toutes les sortes de fièvres, sans en excepter aucune. Il
nettoie les reins & la vessie, dont il évacue toutes les limosités & les glaires, qui
sont les causes de la pierre. Il corrige tous les vices du ventricule, &
principalement ses indigestions, qui valent la puanteur à la bouche ; c’est un
spécifique pour le poumon, si on le digère avec du lait de soufre. Il apaise le
flux de ventre immodéré, comme aussi celui des femmes, parce qu’il évacue les
sérosités superflues qui en sont la cause ; mais ce qui est de plus merveilleux &
de moins concevable, c’est qu’il ouvre le ventre constipé, & qu’il provoque les
purgations lunaires, parce qu’il remet toutes les forces naturelles en leur état, &
qu’il ôte toutes les matières terrestres & grossières, qui en empêchaient l’effet. Je
ne doute pas que je ne me rende ridicule à tous ceux qui ne conçoivent pas la
puissance & la sphère d’activité des sels volatils ; mais je sais d’ailleurs, que
ceux qui sauront avec moi, que ce sel est la dernière enveloppe de l’esprit & de
la lumière, ne trouver pas étrange que j’aie attribué tant de beaux effets à ce
remède admirable.

Mais il faut que je fasse concevoir ce mystère, autant que je le pourrai, par la
description de ce qui se fait tous les jours dans la cuisine, pour les personnes
saines, aussi-bien que pour les malades. Ne sait-on pas que les Cuisiniers ne
sauraient faire une bisque, ni un bon ragoût, s’ils ne se servent du bouillon &
du jus des meilleures viandes ? Or, ce n’est que par le sel volatil des chairs, que
cet agrément & ce chatouillement du palais se communique. Ne fait-on pas
aussi des gelées, des pressis, des jus de viandes & des consommés pour les
malades, dont on jette les restes qui sont matériels & terrestres, & qui sont
épuisés de ce sel qui demeure dans les gelées, & qui est l’unique principe de
congélation. On donne ces choses au malade, afin que son estomac réduise
plutôt les puissances de ces aliments en acte, & que cela passe plus subitement
dans la substance des parties par la facilité des digestions. C’est ce que l’Artiste
fait, quand il prépare les sels volatils, qui sont capables de faire voir leurs
vertus, d’autant qu’ils pénètrent toutes les parties de notre corps, & qu’ils
charrient avec eux cette merveilleuse puissance, que nous leur avons attribuée.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 150

Ne voit-on pas aussi que toute la Médecine , tant l’ancienne que la moderne, a
fait entrer la corne de cerf dans toutes les compositions cordiales qu’elle a
prescrites ; qu’elle a fait un grand état de l’os du cœur du cerf, & qu’on fait
encore tous les jours de la gelée de corne de cerf, qui sert plutôt à fortifier le
malade qu’à le nourrir ? Mais laissons tout cela à la vérité de l’expérience, qui
est le véritable fondement de tout le raisonnement que nous avons avancé.

§. 18. Pour faire la teinture du sel volatil de la corne de cerf.

Prenez le sel volatil rectifié, mettez-le dans un vaisseau de rencontre, ou ce qui


serait encore mieux, mettez-le dans un pélican ; verser deux fois son poids
d’alcool de vin par-dessus, & les mettez extraire & digérer ensemble à lente
chaleur de la vapeur du bain durant douze ou quinze jours ; si néanmoins tout
le sel n’était pas dissout, il faudra retirer ce qui est teint par inclination &
reverser de l’alcool dessus, pour achever l’extraction & la dissolution. Ainsi
vous aurez une teinture, qui sera plus exaltée que les remèdes précédents, qui
est bonne à tout ce que nous avons dit ; mais qui de plus, est un remède très
excellent & très présent dans les apoplexies, par sa subtilité qui est si grande,
qu’à peine le peut-on garder dans les fioles les mieux bouchées.

On peut faire la même chose du sel volatil arrêté & comme fixé ; mais il ne se
dissoudra pas tout : la teinture n’en sera pas aussi, ni si efficace, ni si pénétrante
; mais elle sera beaucoup plus agréable, & n’aura pas une odeur si mauvaise. La
dose de la première, est depuis trois gouttes jusqu’à huit ou neuf. Et celle de la
seconde, est depuis six gouttes jusqu’à douze.

§. 19. La manière de faire élixir des propriétés, avec l’esprit de la corne de cerf.

Après avoir connu par des expériences redoublées, les admirables vertus de ce
grand remède, que Paracelse appelle par excellence Elixir proprietatis au
singulier ; nous avons néanmoins crû le devoir appeler, Elixir des propriétés au
pluriel, puisqu’il est très vrai qu’il les possède sans nombre ; & particulièrement
celui que j’ai fait, depuis que je suis en Angleterre, où je me suis servi de l’esprit
rectifié de la corne de cerf, chargé & rempli de son sel volatil, autant qu’il en
peut dissoudre, en la place de l’esprit, ou de l’huile de soufre ; ce qui se fait
ainsi.

Prenez de très-bon safran, du plus fin aloë succotrin & de la myrrhe, la plus
récente & la mieux choisie ; de chacune de ces choses balsamiques trois onces :
couper le safran fort délié & menu, & mettez les deux autres en poudre fine ;
mettez-les dans un marras à long col, qui soit large de deux pouces de diamètre

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 151

; verser dessus dix onces d’esprit de corne de cerf bien rectifié chargé de son sel
volatil, autant qu’il en peut dissoudre, & vingt onces d’esprit de vin alcoolisé
sur le sel de tartre ; boucher exactement votre vaisseau avec un vaisseau de
rencontre, & le lutter avec du blanc d’œuf & de la farine, & une vessie mouillée
par-dessus ; placer cela à la vapeur du bain-marie un peu plus que tiède, & le
digérez durant trois jours naturels : le quatrième jour ôtez la rencontre, &
appliquer un alambic ou chapiteau proportionné au col du matras ; luttez très
soigneusement les jointures, adapter un récipient au bec, & en retirer lentement
environ quinze onces de la liqueur ; & si le sel volatil s’est sublimé dans le
chapiteau, dissolvez avec l’esprit distillé, rejetez le tout dans le marras, & le
digérez encore trois jours ; réitères la distillation jusqu’à vingt onces, que vous
remettrez encore sur vos matières en digestion durant trois jours : pur la
dernière fois, laisser refroidir & filtrez votre élixir par le coton dans un
entonnoir couvert, oui soit posé sur une fiole à col étroit, pour empêcher qu’il
ne s’évapore, & ainsi le garder au besoin dans cette même fiole bien bouchée.

C’est sans hyperbole, qu’on peut attribuer à ce noble & grand remède des
vertus & des facultés comme rénovatrices ; car le safran, l’aloë & la myrrhe
extraits & exaltés par le sel volatil de la corne de cerf, & par l’esprit de vin
alcoolisé sur le sel de tartre, ne peuvent que produire de très bons effets, tant
pour la conservation que pour la restauration. C’est pourquoi, ce remède est
très bon dans les maladies, qui altèrent la masse du sang, comme sont le
scorbut, la jaunisse & les pales couleurs, dans toutes les obstructions du corps,
contre la paralysie, la contraction des nerfs & les atrophies ; mais surtout, il est
sans pareil contre rouies les irrégularités &les météorismes de la matrice & de la
rate. Il faut le prendre à jeun dans du vin blanc, la dose est depuis cinq gouttes
jusqu’à trente : on peut déjeuner deux heures après.

§. 20. Des préparations qui se font des vipères.

Nous fermerons le Chapitre de la prestation Chimique des animaux, par


l’examen des divers remèdes, qui se tirent des vipères par le travail de la
Chimie : car ce reptile possède un sel volatil très subtil & très efficace pour la
guérison de plusieurs maladies très opiniâtres. Galien même rapporte plusieurs
histoires de la guérison des ladres, pour avoir bu du vin, ou des vipères avaient
été suffoquées. Cardan prouve aussi cette vérité dans une consultation, qu’il
envoya à Jean, Archevêque de S. André, en Ecosse, en ces mots : Je vous dirai
un très grand secret qui guérit radicalement les tabides, les ladres & les véroles,
qui les engraisse & qui les rétablit contre toute espérance : c’est qu’il faut
prendre une vipère bien choisie, lui couper la tête & la queue, l’écorcher, jeter

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 152

les entrailles & garder la graisse à part : coupez-la par tronçons comme une
anguille ; faites-la cuire dans une quantité suffisante d’eau, avec du benjoin &
du sel, & y ajouter sur la fin des feuilles de persil : lorsqu’elle sera bien cuite, il
faut couler le bouillon, & faire cuire un poulet dans ce bouillon ; donner du pain
trempé dans ce jus au malade, & lui faites manger le poulet : continuer sept
jours consécutifs ; mais il faut que le malade soit dans une étuve, ou dans une
chambre bien chaude, & qu’on l’oigne avec la graisse de la vipère le long de
l’épine & les autres jointures, comme aussi les artères des pieds & des mains &
la poitrine. Par ce moyen on guérit les ulcères des poumons ; car ils sont
poussés jusqu’à l’extérieur du cuir en tubercules & autres irruptions qui
surviennent. Quercetan parle aussi très avantageusement des vipères dans sa
Pharmacopée dogmatique. Plusieurs autres Auteurs ont suivi les précédents ;
mais il faut avouer qu’ils ont tous choqué contre un même écueil, puisque tous
ont cru que la vipère était de soi, ou venimeuse toute entière, ou qu’elle l’était
pour le moins en quelques-unes de ses parties. Mais l’expérience que rapporte
Galien, doit confondre les Anciens & les Modernes, puisque la vipère était &
vive & entière, quand elle fut suffoquée dans le vin qui guérit les ladres. Les
Dames Anglaises font honte aux Médecins, puisqu’elles ne font pas de difficulté
de boire du vin, dans lequel on a suffoqué des vipères vives & entières, pour se
conserver l’embonpoint & l’enjouement, pour empêcher les rides & pour se
conserver en santé. Mais ce qui est encore de plus remarquable, c’est que les
plus fameuses Courtisanes Italiennes se préservent de la maladie vénérienne &
de ses accidents, en prenant au printemps & en automne des bouillons de
volaille, avec de la chair de vipères & de la squine. Il n’y a eu que le célèbre
Potier, & le très docte & très-subtil Médecin & Philosophe Helmont, qui aient
bien expliqué dans quoi consiste le poison des vipères, qui ne réside que dans
l’aiguillon de la colère, qui imprime une idée empoisonnée dans l’imagination
de l’animal. Fabricius Hildanus, & plusieurs autres Auteurs graves, doctes &
célèbres, autorisent par leurs observations la vérité des effets ; mais il n’y a eu
que les deux précédents, qui nous aient enseigné le siège du poison, qui ne peut
être que dans l’esprit de la vie de l’animal, comme l’enseigne le proverbe
Italien, qui dit que, morta la bestia, morto il veneno, vu que l’homme même, le
chien, le cheval, le loup, le chat, la belette & plusieurs autres animaux,
n’impriment aucun venin par leurs morsures, que lorsqu’ils sont en colère, &
que leur imagination est empestée du désir de la vengeance & de la rage.

Cela soit dit en passant, pour vérifier de plus en plus, que toute la vertu des
choses est logée dans les esprits & dans la vie, qui ne sont rien autre chose

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 153

qu’une portion de l’esprit universel & de la lumière corporifiée. Venons ensuite


aux préparations qui se sont sur les vipères & sur leurs parties.

§. 21. La façon de dessécher les vipères, pour en faire la poudre & les trochisques.

Le choix des vipères ne consiste qu’à les prendre quelque temps après qu’elles
sont sorties de leurs trous, afin qu’elles soient mieux nourries ; n’importe
qu’elles soient mâles ou femelles, pourvu que la femelle ne soit pas pleine ; il
faut les prendre en un lieu qui soit haut & sec, & rejeter celles des marais & des
autres lieux aquatiques.

Prenez autant de ces vipères que vous voudrez, ou que vous pourrez ;
écorchez-les & les videz de leurs entrailles ; réservez le cœur & le foie : mettez-
les dans une cucurbite de verre qui soit ample, afin de les pouvoir arranger sur
des petits bâtons, pour qu’elles ne se touchent pas l’une l’autre : ajuster la
cucurbite au bain-marie, & desséchez ainsi les vipères après les avoir poudrées
d’un peu de nitre bien pur, & d’un peu de fleurs de sel armoniac ; réserves l’eau
qui en sortira, pour les usages que nous dirons ci-après. Notez qu’il faut
retourner les vipères de douze heures en douze heures, afin de les dessécher
également. Ainsi, vous aurez de quoi faire une véritable poudre de vipères, qui
ne sera point par filaments, qu’on pourra donner dans sa propre eau, dans du
vin , ou dans de l’eau de cannelle, ou de sassafras, depuis un scrupule jusque
une drachme, dans toutes les fièvres, & particulièrement dans celles qui sont
pestilentes & contagieuses ; dans la peste, & même contre l’épilepsie & contre
l’apoplexie : mais les autres préparation qui suivront sont préférables à cette
poudre.

Que si vous en voulez faire des trochisques, il faut prendre d’autres vipères,
que vous écorcherez & viderez de leurs entrailles ; coupez-les par tronçons, &
les faites cuire avec l’eau, que vous aurez retirée de la distillation, au bain-marie
bouillant, dans une cucurbite qui soit couverte de son chapiteau, jusqu’à ce que
ce bouillon soit en consistance de gelée ; c’est avec cette gelée qu’il faut pister la
poudre des vipères dans un mortier de marbre & la réduire en pâte, que vous
formerez en trochisques avec les mains ointes de baumes du Pérou, d’huile de
girofles, & de celle de noix muscades faite par expression ; ceux qui voudront
faire la thériaque comme il faut, se serviront de ces trochisques, au lieu de ceux
que demandent les dispensaires anciens, qui ne sont que de la mie de pain & de
la chair de vipères, privée de toutes ses facultés, qui ne résident que dans sons
sel volatil. La poudre de ces trochisques est préférable à la simple poudre, parce
qu’ils sont empreints de la propre substance & de la vertu des vipères, outre

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 154

que les trochisques se corrompent moins que la poudre. La dose est depuis un
demi jusqu’à deux scrupules, dans les eaux que nous avons dites ci-dessus.

§. 22. Comment il faut faire l’esprit, l’huile, le sel volatil, le sel volatil fixé, la
sublimation de ce sel fixé & le sel fixé des vipères.

La justice me défend de m’attribuer la façon de toutes les opérations susdites,


puisqu’elle est trop légitimement due à M. Zwelfer, Médecin de l’Empereur
Léopold, qui est encore vivant, & qui s’est immortalisé par les belles, les doctes
& les admirables remarques qu’il a faites sur la pharmacopée d’Ausbourg, dans
lesquelles il a corrigé les défauts de l’ancienne Pharmacie & de la moderne, avec
un jugement si net & avec une expérience si confirmée, que tous ceux qui
suivent & qui suivront le travail de la belle Pharmacie, lui en seront
éternellement obligés.

Je dirai simplement en passant, que je suis l’inventeur de l’opération, qui


revolatilise le sel volatil des vipères, après qu’il aura été comme fixé par un
acide ; & comme cet excellent homme a voulu mettre ses expériences au jour
pour obliger la postérité, aussi n ai-je pas voulu cacher le secret de cette
opération, puisqu’elle sera très-utile aux pauvres malades, quoique cette
invention ne soit pas commune, & qu’elle me soit particulière.

Prenez des vipères bien nourries, sans distinction du sexe ; videz leurs
entrailles, séparez-en le cœur & le foie ; faites-les sécher dans une étuve ou dans
un four, qui ait été médiocrement échauffé ; & lorsqu’elles seront bien sèches, il
les faut mettre en poudre grossière, & en emplir une retorte de verre, que vous
mettrez au réverbère clos sur le couvercle d’un pot de terre renversé, sur lequel
vous aurez mis deux poignées de cendres ou de sable, pour servir de lut à la
retorte & pour empêcher la première violence du feu ; couvrez le réverbère,
adapter un ample récipient au col de la cornue, & donner le feu par degrés,
jusqu’à ce que la retorte rougisse, & que le récipient s’éclaircisse durant même
la violence du feu, qui est un signe très évident, que toutes les vapeurs sont sor-
ties ; cela se fait en moins de douze heures. Le tout étant refroidi, vous
trouverez trois différentes substances dans votre récipient, qui sont le phlegme
& l’esprit mêlés ensemble, l’huile noire & puante, & le sel volatil, qui sera
adhérent aux parois du récipient. Il faut dissoudre le sel volatil, qui est à
l’entour du vaisseau avec la liqueur spiritueuse qui est au bas ; puis il faut
séparer cette liqueur de son huile par le filtre : mettes la liqueur empreinte du
sel volatil dans une haute cucurbite que vous couvrirez de son chapiteau, dont
vous lutterez exactement les jointures, & vous y ajusterez un petit matras pour

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 155

récipient ; mettez votre vaisseau au sable ou aux cendres, & ménagez bien le
feu, de crainte que l’eau amère & puante, qui a dissout le sel volatil, ne monte
avec lui : lorsque la sublimation sera achevée, il faut curieusement séparer le sel
& le garder dans une fiole, qui ait un bouchon de liège ciré, sur lequel il faut
verser du soufre fondu, si vous voulez conserver ce sel ; autrement, il
s’évaporera dans peu de temps, à cause de la subtilisé & de la pénétrabilité de
sa substance volatile & aérée.

C’est ce sel volatil, qui possède tant de beaux effets & tant de rares vertus ; car il
empêche routes corruptions qui se font en nous : il ouvre toutes les obstructions
eu corps humain, il résout & emporte toutes sortes de fièvres, & principalement
la quarte, si on le donne depuis six grains jusqu’à dix dans de l’eau de sassafras,
ou dans celle de grains de genièvre ou de sureau, une heure ou deux avant
l’accès : on le donne de plus dans la peste & dans rouies les autres maladies
contagieuses, dans des émulsions faites avec les semences d’ancolie, de raves &
de chardon bénir, auxquelles on joint les amandes & les pignons, du sucre, & un
peu d’eau de roses ou de cannelle. Il fait encore des merveilles contre l’épilepsie
& contre l’apoplexie : car c’est un furet, qui pénètre jusqu’au plus profond des
moelles ; il le faut donner pour ces maladies, dans des émulsions faites avec les
eaux de muguet, de fleurs de pœone ou de tillot, les semences de pœone, les
amandes des noyaux des cerises, des pêches & des abricots. La dose est toujours
depuis six grains jusqu’à douze.

Mais à cause que ce sel est d’une odeur très-ingrate & d’un goût tout à fait
désagréable, on a depuis longtemps cherché le moyen de le dépouiller de ces
deux qualités ; comme aussi celui de l’urine, celui du succin, celui de la corne
de cerf & celui des parties du microcosme : mais personne n’a pu parvenir à
cette perfection, sans priver ces sels volatils de leur subtilité, & par conséquent
de leur vertu pénétrante & diaphorétique. Il n’y a eu que le très-docte & le très-
expérimenté M. Zwelfer, qui air bien réussi dans cette opération utile &
curieuse, après avoir inutilement tenté beaucoup d’autres voies différentes.
Mais l’augmentation de la dose de ce sel fait connaître que cette purification le
fixe en quelque façon ; & quoiqu’il soit arrêté, & qu’il soit même plus agréable,
néanmoins il est moins efficace. Et comme ce grand & charitable Médecin
provoque les Artistes à produire ce qu’ils auront découvert, pour le revolatiliser
& lui ôter l’acide qui le fixe : j’ajouterai après la préparation qu’il en a donnée,
celle que le travail & l’étude des choses naturelles m’ont apprise.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 156

§. 23. Comment il faut arrêter, fixer & purifier les sels volatils.

Prenez tel sel volatil qu’il vous plaira, mettez-en quatre onces dans une haute
cucurbite, que vous couvrirez de son chapiteau, qui ait un trou par le haut de la
grosseur du tuyau d’une plume d’oie, lutez exactement les jointures, & insérez
dans le trou du haut du chapiteau, un tuyau de plume, que vous arrêterez avec
de la cire d’Espagne, ou avec de la laque ; mettez un petit récipient au bec de
l’alambic, puis verser goutte à goutte & très lentement du bon esprit de sel
commun, bien rectifié sar le sel volatil ; & continuer ainsi, jusqu’à ce que le bruit
& le combat de l’esprit acide & du sel volatil sulfuré soit passé ; alors vous
verrez qu’il s’est fait une union de ces deux diverses substances, qui seront con-
verties en liqueur, qu’il faudra filtrer, si elle paraît impure ; sinon, il faudra
seulement boucher le trou du haut du chapiteau avec un bouchon de verre,
qu’on couvrira d’une vessie trempée dans du blanc d’œuf : il faut ensuite
accommoder le vaisseau au bain-marie, & retirer l’humidité jusqu’aux deux
tiers, si on veut avoir du sel en cristaux ; sinon, on retirera toute l’humidité
jusqu’à sec, & vous trouverez quatre onces de sel arrêté & aucunement fixé au
fond de la cucurbite ; & si vous avez remarqué le poids de votre esprit de sel,
vous trouverez autant de liqueur insipide, & qui sent l’empyreume dans le
récipient. Le sel est de bonne odeur, d’une saveur aigrelette & d’un goût salin,
dont la dose est depuis un demi-scrupule jusqu’à un scrupule entier ; il a la
vertu de pénétrer jusque dans les parties les plus éloignées des premières
digestions, sans aucune altération de sa vertu ; il purifie le sang & résout tous
les excréments, qui semblent avoir déjà été comme appropriés à nos parties, &
principalement aux goûteux : il chasse les urines, le sable, la gravelle & les
viscosités des reins & de la vessie ; il évacue toutes les matières, qui causent les
affections mélancoliques ; il résiste mieux que tout autre remède à la pourriture,
il ouvre routes sortes d’obstructions, il guérit toutes les fièvres ; c’est le vrai
préservatif & le vrai curatif de la peste ; & pour achever en un mot le reste de
ses vertus, il efface toutes les mauvaises impressions & les mauvaises idées, qui
ont donné leur caractère à l’esprit de vie, qui est le véritable siége de la santé &
de la maladie. La dose peut aussi être augmentée ou diminuée selon l’âge, les
forces, & la nature du malade & de la maladie. Mais comme M. Zwelfer a connu
le moyen de fixer le sel volatil, par le moyen d’un acide, pour ôter la mauvaise
odeur & le mauvais goût ; il faut que nous enseignions le moyen de retirer cet
acide, & de resublimer le sel volatil, lui rendre sa première subtilité, &
augmenter par conséquent sa vertu pénétrante, sans qu’il acquiert derechef
aucune mauvaise odeur, ni aucun mauvais goût.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 157

§. 24. Le moyen de resublimer le sel volatil fixé.

Prenez quatre onces de sel volatil arrêté, & le mêlez avec une once de sel de
tartre, fait par calcination & qui soit bien purifié ; mettez-les dans une petite
cucurbite aux cendres, couvrez la cucurbite de son chapiteau, adaptez-y un
récipient, si le chapiteau à un bec ; car s’il est aveugle, il ne sera pas nécessaire ;
lutter exactement les jointures, & donner le feu par degrés, jusqu’à ce que la
sublimation soit achetée : ainsi vous aurez le sel volatil le plus subtil qui soit en
toute la nature , & qui a une véritable analogie & une sympathie particulière
avec nos esprits, qui sont le sujet de notre chaleur naturelle & de notre humide
radical. Mais remarquer en panant, que tous les alcalis ont cette propriété de
tuer les acides, & de ne point nuire aux substances volatiles. La dose de ce sel ne
peut être que depuis deux grains jusque huit, à cause de son extrême subtilité
qui est telle, qu’il est impossible de le conserver sans être mêlé avec sa propre
liqueur, ou sans être réduit en essence, comme nous l’enseignerons ci-après. Il
est propre à toutes les maladies que nous avons énoncées, & principalement
celui de la corne de cerf & celui de vipères, qui doivent être considérés comme
une des clefs de la Médecine.

§. 25. Comment il faut faire l’essence des vipères, avec leur vrai sel volatil.

Prenez environ cinquante ou soixante cœurs & foies de vipères, qui auront été
desséchés comme nous l’avons dit ci-dessus, mettez-les en poudre, & les jetez
dans un vaisseau de rencontre, jetez dessus de l’alcool de vin, jusqu’à ce qu’il
surnage de six pouces ; couvrez le vaisseau & le lutez exactement, puis vous le
mettrez digérer au bain vaporeux trois ou quatre jours durant à une chaleur de
digestion, afin d’en extraire toute la vertu ; cela passe, mettez-le tout dans une
cucurbite au bain-marie, afin de distiller l’esprit à une chaleur lente, cohobez
trois fois, & à la quatrième, distillez jusqu’à sec ; mettez dans chaque livre de cet
esprit, une once & demie du vrai sel volatil de vipères, une drachme d’ambre
gris essencifié, comme nous le dirons ci-après, une demie drachme d’huile de
cannelle, & autant de la vraie essence de la pellicule extérieure de l’écorce de
citron récente : mettez toutes ces choses dans un pélican, & les circuler
ensemble durant huit jours ; ensuite de quoi mettez cette véritable essence dans
des fioles convenables à ce précieux remède, que vous boucher avec toutes les
précautions requises. On peut attribuer très légitimement à ce noble
médicament toutes les vertus que nous avons donné au sel volatil seul : il a
même cela de meilleur, qu’il est plus agréable, & qu’il peut être mieux conservé
que le sel volatil : il y a seulement à dire de plus, que c’est un des plus grands &
des plus assurés contrepoisons qui soit au monde, & qu’il est digne du cabinet

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 158

des plus grands Princes. La dose est depuis un demi-scrupule jusqu’à deux
scrupules, dans du vin, dans des bouillons, ou dans d’autres liqueurs
appropriées.

§. 26. La manière de faire le sel thériacal simple, qui soit empreint de la vertu alexitaire
& confortative des vipères.

Les Anciens, & Quercetan après eux, ont parlé de ces sels, & en ont fait une
estime très particulière ; mais la préparation ancienne & la correction qu’en a
faite ce célèbre Médecin, sont plutôt dignes de compassion que d’imitation,
quoique le dernier soit digne de louange, d’avoir excellé en son temps, &
d’avoir recherché la vérité autant qu’il a pu ; mais comme nous sommes montés
sur ses épaules, & que le travail des Médecins modernes, qui s’appliquent à la
recherche des secrets de la nature, & notre propre expérience, nous ont appris à
mieux faire, il est juste que nous en fassions part aux autres.

Prenez donc deux livres de sel marin, qui soit blanc & net, ou bien autant de sel
gemme ; dissolvez-les dans dix livres d’eau de rivière bien clarifiée, puis
ajoutez-y deux douzaines de vipères écorchées avec leurs cœurs & leurs foies ;
faites-les bouillit ensemble au sable, jusqu’à ce que les vipères se séparent très
facilement de leurs os ; pressez-le tout, clarifiez-le & le filtrez, puis évaporez-le
à la vapeur du bain bouillait jusqu’à sec, & le réservez à ses usages dans une
bouteille bien bouchée. C’est de ce sel qu’il faut faire manger aux sains & aux
malades, aux uns pour préservatif, & aux autres pour restauratif. C’est
principalement dans les maladies chroniques, où il est besoin de purifier la
masse du sang, & de réparer le vice des digestions, que ce sel est très nécessaire.
Ceux qui le voudra tendre encore plus spécifique & plus stomacal, y ajouteront
des huiles distillées de cannelle, de girofle & de fleur de muscades, qui est le
macis, jointes avec un peu de sucre en poudre, qui leur servira de moyen
unissant pour les bien mêler avec le sel ; il faut une drachme de chacune de ces
huiles, avec autant de bon ambre gris essencifié pour chaque livre de sel : car
cela étant ainsi, ce sel aura beaucoup plus d’efficace. Sa dose sera depuis dix
grains jusque une demie drachme dans des bouillons le matin à jeun, pour
nettoyer l’estomac de toutes les superfluités précédentes, qui sont
ordinairement les causes occasionnelles de nos maladies.

§. 27. La préparation d’un autre sel thériacal, beaucoup plus spécifique que le précédent.

Prenez du scordium & de la petite centaurée récente, de chacune de ces herbes


une demie livre, des racines d’angélique, de zédoaire, de contrayerva &
d’esclepias, de chacune deux onces ; couper les barbes & mettes les racines en
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 159

poudre grossière, faites-les bouillir ensemble au bain-marie dans un vaisseau de


rencontre, dans dix livres des eaux distillées de chardon bénit, & de celle du suc
de bourrache & de buglosse : cela étant refroidi, couler la décoction, puis la
remettes dans son vaisseau ; ajoutez-y une douzaine & demie de vipères
nouvellement écorchées avec leurs cœurs & leurs foies, comme aussi des sels
alcali, d’absinthe, de chardon bénit, de petite centaurée & de scordium, de
chacun huit onces ; fermer le vaisseau &le lutter, puis le faites bouillir durant
un demi jour ; & après que le tout sera refroidi, il le faut clarifier, le filtrer, &
l’évaporer à la vapeur du bain dans une cucurbite couverte de son chapiteau
jusqu’à sec ; ainsi vous aurez un sel rare & précieux, & une eau qui sera douée
de beaucoup de vertus ; c’est un recède capable de déraciner toutes les fièvres,
& c’est un vrai spécifique dans toutes les maladies épidémiques, contagieuses &
malignes. La dose est depuis un scrupule & une demie drachme, jusqu’à une
drachme entière. On pourra encore ajouter à ce sel les mêmes nulles distillées &
l’ambre gris essencifié, comme nous l’avons dit dans la préparation du sel
thériacal précédent ; c’est par cette opération que nous finissons le Chapitre de
la préparation chimique des animaux.

§. 28. De l’éponge & de sa préparation chimique.

Nous plaçons l’éponge entre les animaux & les végétaux, à cause qu’elle
participe de la nature des uns & des autres, puisqu’elle a comme une espèce de
sensation, qu’elle se dilate & qu’elle se restreint en soi-même, lorsqu’elle est
dans la mer, où elle jouit d’une vie obscure, qui tient de l’animal & de la plante,
de sorte qu’on la peut légitimement appeler, zoophyte ou plantanimal. Nous
prouverons ce que nous venons d’avancer, par la distillation de l’éponge, qui
nous fournira un esprit, une huile & un sel volatil, du même goût, de la même
odeur, de la même couleur, & de la même figure, que nous les fournissent les
animaux & leurs parties.

§. 29. Comment il faut distiller l’éponge.

Prenez autant d’épongés que vous voudrez, coupez-les menu avec les ciseaux ;
mettez-les dans une cornue de verre, que vous placerez au réverbère clos ;
adaptez-y un récipient que vous lutterez exactement : donner le feu par degrés,
comme pour la distillation du tartre, que vous continuerez en l’augmentant peu
à peu, jusqu’à ce que les nuages blancs & huileux viennent, & que vous
aperceviez que le sel volatil se sublime, & s’attache aux parois intérieures du
récipient, continuer le feu du même degré tant que cela durera ; & lorsque le
récipient deviendra clair de soi-même, c’est un signe manifeste, qu’il n’y a plus

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 160

rien à prétendre, c’est pourquoi il faut cesser le feu ; & lorsque le tout sera
refroidi, il faut séparer les vaisseaux & retirer l’esprit & le sel volatil ensemble,
& en séparer l’huile par l’entonnoir, ou avec du coton, & la mettre à part dans
une fiole ; mettez l’esprit & le sel dans une cucurbite basse & d’entrée étroite, &
les rectifier au sable & les garder l’un avec l’autre ; garder aussi dans une boite
l’éponge calcinée, qui est demeurée au fond de la retorte, après la distillation, à
cause qu’elle a aussi ses usages dans la pratique. Il ne faut pas douter que
l’esprit, le sel volatil & l’huile des éponges, ne soient excellents pour ouvrir,
pour atténuer & pour résoudre, puisqu’ils sont très subtils. C’est pourquoi on
les peut beaucoup plus raisonnablement employer pour la résolution des
bronchoceles ou des boëtes, que l’éponge simplement calcinée, ou séchée &
mise en poudre. Mais afin de faire cadrer tout ensemble, on se servira de tout
pour la guérison de cette maladie : il faudra donc premièrement purger le
malade avec de la résine de jalap & de scammonée ; puis ensuite, il faut faire
des tablettes de quatre onces de sucre en poudre, avec deux drachmes d’éponge
calcinée par la distillation, trois drachmes d’écorces de mars astringent, & une
drachme de poivre long ; il faut réduire tout en masse, & en former des tablettes
du poids d’une drachme & demie, qu’on laissera sécher ; il faut en faire mâcher
une tous les matins à jeun, & faire boire au malade par-dessus, après l’avoir
avalée, un petit verre de vin rouge un peu vert, dans lequel on aura mis depuis
dix jusqu’à vingt gouttes de l’esprit d’éponge empreinte de son sel volatil : il
faut continuer trois ou quatre semaines, & on verra diminuer très sensiblement
ces tumeurs incommodes & malséantes, qu’il faudra frotter soir & matin, avec
un liniment fait avec de l’huile de laurier & quelques gouttes de l’huile distillée
d’éponge, & les tenir couvertes d’un emplâtre fait avec l’oxycroceum, & surtout
empêcher d’avoir froid aux parties gutturales, & avoir soin que le parient ait le
ventre libre ; sinon, on lui donnera de deux jours l’un, une demie dragme de
pilule de rave en se couchant.

CHAPITRE IX.

Des végétaux & de leur préparation Chimique.

C’est en ce Chapitre que nous ferons voir, que les persécuteurs de la Chimie ont
tort de blâmer ce bel Art, & que les reproches qu’ils font aux Artistes, sont aux,
puisque les préparations que nous décrirons, sont capables de faire rentrer les
envieux en eux-mêmes, & feront avouer aux plus opiniâtres, que la Pharmacie
ancienne n’a jamais rien produit de pareil. C’est sur les diverses parties de cette
noble, de cette agréable, & de cette ample famille des végétaux, que le véritable
Pharmacien trouvera toujours de quoi s’occuper, pour admirer de plus en plus

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 161

les œuvres du Créateur. Mais comme le dessein de notre Abrégé ne permet pas
que nous fassions l’examen & la résolution de tous les végétaux & de leurs
parties, nous nous contenterons de donner un ou deux exemples du travail qui
se peut faire, ou sur le végétale entier, ou sur ses parties, qui sont les racines, les
feuilles, les fleurs, les fruits, les semences, les écorces, les bois, les gaines ou les
bayes, les sucs, les nulles, ^s larmes, les résines & les gommes. Nous donnerons
une Section à chacune de ces parties, afin de mieux faire comprendre le travail,
& d’agir avec moins de confusion.

Mais avant que d’entrer en matière, j’ai jugé nécessaire de dire quelque chose
des abus, que commettent tous les jours les Apothicaires, qui ne sont pas
éclairés des lanières de la Chimie, & qui ne sont conduits que par des aveugles,
qui souffrent & qui admirent tous les défauts de leur mauvaise préparation,
pour ne connaître pas la nature des choses, & n’avoir pas bien compris la
physique, qui est la véritable porte de la médecine. Ce qui fait qu’on ne s’étonne
pas, si des aveugles qui font conduits par d’autres aveugles, tombent ensemble,
& font tomber journellement avec eux tant de personnes dans la fosse. Et
comme l’Allemagne a M. Zwelfer, Médecin de l’Empereur, qui a réformé la
Pharmacie dans les belles & doctes remarques qu’il a faites sur la Pharmacopée
d’Ausbourg : aussi avons-nous en France M. ballot, très digne Premier Médecin
de notre invincible Monarque, qui a travaillé & qui travaille encore tous les
jours à défricher le champ de la Médecine & celui de la Pharmacie ordinaire,
pour en bannir les épines & les chardons, que par l’ignorance de la Chimie on
n’a que trop cultivés jusqu’à présent.

Je veux faire paraître cette vérité par l’exemple des eaux distillées, & par celui
des sirops ; parce que je sais très certainement que c’est principalement en ces
deux choses, que les Apothicaires ordinaires pèchent le plus souvent, ou par
ignorance, ou par malice, ou par avarice, au déshonneur de la Médecine & des
Médecins : au mépris de leur profession, & ce qui est encore pis, au grand
dommage de la République.

§. 1. Premier discours des eaux distillées.

Si les choses ne sont bien connues, il est impossible de pouvoir jamais bien
réussir en leur préparation, puisque c’est de cette connaissance que dépend
absolument la belle manière de travailler. Que si cela est nécessaire dans tous
les travaux de la Chimie, il l’est encore beaucoup d’avantage dans les
opérations, qui se font sur les végétaux, & principalement en ce qui concerne la
façon de les distiller, sans qu’on les prive de leur vertu ; ce qui fait que j’ai été

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 162

qu’il fallait donner une idée générale de la nature des plantes, avant que de
parler de leur préparation particulière.

Nous ne parlerons pas ici des plantes selon le goût de plusieurs, parce que nous
ne suivrons pas à la piste les Auteurs Botanistes, qui ne nous ont presque tous
laissé que la peinture extérieure des plantes, & les divers degrés de leurs
qualités, sans qu’ils se soient mis en peine de nous apprendre les différences de
la nature intérieure de ces mêmes plantes, & encore beaucoup moins la
véritable façon de les anatomiser, pour en séparer & pour en tirer tout ce qui
peut aider, & en écarter ce qui est inutile.

Pour commencer avec méthode, il faut que nous fassions connaître la nature
des plantes par elles-mêmes, par la division que nous en faisons, selon les
degrés de leur accroissement & de leur perpétuation : car elles sont vivaces ou
annuelles ; les vivaces, sont celles dont les racines attirent à elles aux deux
équinoxes l’aliment universel. A l’équinoxe du printemps, elles attirent ce qui
leur est nécessaire pour pousser & pour végéter, jusqu’à la perfection de la
plante, qui finit par sa fleur & par la semence ; & à celui de l’automne, elles
attirent ce qui leur est nécessaire, pour se refounir de l’épuisement de toutes
leurs forces, que la chaleur du Soleil & des autres Astres en avaient tirées.

Or, nous n’avons pas fait cette remarque inutilement, puisqu’elle est
absolument nécessaire pour faire connaître à l’Artiste le temps de prendre la
plante avec sa racine, ou de la laisser comme inutile ; car s’il a besoin de la
plante, un peu après qu’elle sera sortie hors de la terre, il faut qu’il médite en
soi-même, & qu’il fasse une réflexion judicieuse, que cette plante n’est pas
encore fournie de cet aliment spirituel & salin, dont le principe est enclos dans
la racine, & qu’ainsi son travail sera inutile sur cette plante ; puisque ce qu’il en
tirera, n’aura pas la vertu que le Médecin désire, & moins encore celle qui est
requise pour agir sur la maladie. Il aura donc recours à la racine qui contient le
sel volatil, qui est l’âme de toute la plante, & qui possède en soi la vertu
séminale de son tout. Mais s’il désire de travailler sur cette même plante,
lorsqu’elle sera montée à peu près au point de sa perfection, il faut qu’il
connaisse que la racine a tout donné à cette plante, & qu’elle ne s’est réservé
qu’une petite portion de sa vertu, qui lui fournit encore une vie languissante,
jusqu’à ce qu’elle se soit refournie de vertu, de force & de nouvelle vie au temps
de l’équinoxe de l’automne, afin de se pouvoir conserver en hiver, & de renaître
encore au renouveau.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 163

Ce qui fait voir, que lorsque la plante est en son état, comme on parle
ordinairement, il faut que l’Artiste la prenne entre fleur & semence, s’il désire
d’en avoir la vertu toute entière ; car lorsqu’elle est parvertue à ce point, la tige,
la feuille, les fleurs & la première semence, sont encore remplies de vigueur &
de vertu, qu’elles communiquent à la liqueur qu’on en tire par la distillation,
qui sont un sel volatil mercuriel, & un soufre embryonné, qui contiennent toute
la vertu de la plante car ce qui se tire d’elle, est une eau spiritueuse, qui se
conserve longtemps avec le propre goût & la propre odeur de son sujet sur
laquelle il surnage une huile éthérée & subtile, qui est ce soufre embryonné,
mêlé de son mercure. Mais si l’Artiste attend que la plante ait poussé toute sa
vie jusque dans la semence, & que ce soufre, qui n’était qu’embryonné, soit
actué & parfaitement mûr ; il doit alors rejeter la racine, la tige & la feuille, à
cause qu’elles n’ont plus en elles-mêmes cette vertu qu’elle avaient auparavant.

C’est ici que l’Artiste doit méditer de nouveau, & qu’il doit consulter la façon
d’agir de la nature ; car la semence étant une fois parfaite, elle n’a plus cette
humidité mercurielle & saline, qui faisait qu’on pouvait extraire sa vertu plus
facilement : au contraire, tout est réuni comme en son centre, & toutes les belles
idées que l’esprit de la plante avait expliquées durant les divers temps de sa
végétation, sont réunies & renfermées sous l’écorce du noyau & de la semence ;
& de plus, ces semences sont de trois genres différents : car les unes sont
mucilagineuses & glaireuses ; dans ces premières, le sel mercuriel & le soufre
sont plus fixes que volatils, & ainsi ces semences ne donnent leur vertu que par
le moyen de la décoction ; car comme elles sont tenaces & gluantes, cette vertu
ne monte point en la distillation. Les autres sont laitées, d’une substance blanche
& tendre, dont on peut tirer de l’huile par expression, si elles sont bien mûres &
bien séchées ; mais leur meilleure vertu ne se peut tirer, que lorsqu’on en extrait
l’émulsion ou le lait ; car cette seconde sorte de semence, est également mêlée
de sel volatil & de soufre, qui se communiquent facilement à l’eau. L’Artiste ne
doit pas espérer de tirer la vertu de cette sorte de semence par la distillation,
non plus que de la première. Mais il y a la troisième sorte de semence, qui est
tout à fait oléagineuse & sulfurée, qui ne communique à l’eau aucun mucilage, ni
aucune viscosité ni lenteur, non plus que de blancheur : au contraire, leur
substance est compacte, aride & resserrée par un soufre, qui prédomine par-
dessus le sel. L’Artiste distillera ce genre de semences, ou seules ou avec
addition ; seules, si c’est pour l’extérieur ; avec addition, si c’est pour donner
intérieurement au malade le remède qu’il en tirera.

Ces trois semences différentes, font bien voir qu’il faut que l’Apothicaire
Chimique soit bien versé dans la science naturelle, afin de faire les observations

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 164

nécessaires sur les parties fixes ou volatiles, des matières sur lesquelles il opère,
afin de ne point confondre inutilement son travail.

Il faut appliquer les mêmes théorèmes & les mêmes remarques aux plantes
annuelle, qui ne se conservent pas par leur racines, mais qu’il faut renouveler
chaque année parleur semence. Or, ces deux sortes de plantes, soit les vivaces,
soit les annuelle, sont aussi bien que les semences de trois genres différents.
Savoir, celles qui sont inodores ; & de celles-là, il y en a qui sont comme
insipides, ou qui sont acides ou amères, ou mêlées de plusieurs façons de ces
deux saveurs, ou d’autres encore qui ont un goût séparé, qui est piquant &
subtil ; toutes ces sortes de plantes sont vertes & tendres, & leur vertu parait dès
le commencement de leur végétation, parce qu’elles abondent en suc, qui
contient en soi un sel essentiel tartareux, qui s’épaissit avec le temps & la
chaleur en un mucilage, duquel il est bien difficile de les dégager ; c’est
pourquoi il faut les prendre, lorsqu’elles sont encore succulentes & tendre, en
sorte que leur tige se rompe & se casse facilement en les voulant plier.

Le second genre des plantes, est tout à fait opposé au premier ; car la plante n’a
que peu ou point de vertu au commencement qu’elle sort hors de la terre, &
encore beaucoup de temps après ; lors donc qu’elles sont encore vertes &
tendres, elles n’ont presque point de goût ni d’odeur, elles ne sentent
proprement que l’herbe, parce que l’humidité superflue prédomine encore, &
que leur vertu ne réside pas en un sel essentiel & tartareux ; mais cette sorte de
plante charrie avec son aliment naturel un sel spiritueux & volatil, mêlé d’un
soufre embryonné très subtil, qui n’est pas réduit de puissance en acte, & qui ne
parait ni au goût, ni à l’odeur, qu’après que cette humidité superflue est cuite &
digérée par la chaleur ; alors la vertu de ces plantes commence à se faire
connaître par leur odeur & par leur goût, mais principalement par leur odeur.
On doit travailler sur cette seconde sorte de végétaux, lorsque le bas de leur tige
commence à se sécher, qu’ils sont encore couverts de fleurs, & qu’ils
commencent de faire voir quelque peu de leur semence.

Le troisième genre des végétaux, est mêlé des deux premiers, car ils ont du goût
dès le premier moment de leur végétation ; mais ils n’ont point d’odeur, &
même ils n’en acquièrent guère, lorsqu’ils sont en leur perfection, ou s’ils en
ont, elle ne paraît que lorsqu’on les presse, qu’on les broie, ou qu’on les frotte,
parce que leur soufre est surmonté par une viscosité lente & crasse, qui contient
beaucoup de sel, qui se déclare par un goût amer & piquant ou par une saveur
mielleuse & sucrée : la vertu de cette dernière sorte ne peut être bien extraite,
que la digestion ou la fermentation n’ait précédé : on doit cueillir ces plantes,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 165

lorsqu’elles sont encore en fleur, si elles sont amères & inodores ; mais si elles
portent du fruit, des bayes, ou des grains, il faut attendre leur maturité, parce
que ce sont ces parties-là qui contiennent la principale vertu de leur tout, & que
c’est dans le centre du mucilage mielleux & sucré, que ces fruits ont en eux-
mêmes, que l’Artiste doit chercher la vertu de ces mixtes admirables.

Or, ce ne serait pas assez d’avoir donné ces notions générales, si nous n’en
faisions quelques applications particulières, qui serviront ‘exemple & de
conduite, qu’on fera sur chacun de ces genres, des plantes entières ou de leurs
parties. Nous parlerons donc premièrement des plantes succulentes nitreuses,
c’est-à-dire, de celles qui participent d’un sel qui est de la nature du salpêtre, ou
de ce sel de la terre, qui est le premier principe de la végétation, & qui semble
n’avoir encore reçu qu’une très petite altération dans le corps de ces plantes,
sinon qu’il commence de participer de quelque portion du tartre & de sa
féculence. Les plantes qui sont de cette nature, la pariétaire, la sumeterre, le
pourpier, la bourrache, la buglosse, la mercuriale, la morelle, & enfin généralement
toutes les plantes succulentes, qui ne sont ni acides, ni amères au goût ; mais
qui ont seulement une saveur mêlée d’un peu d’acerbe, d’acide & d’amer tout
ensemble, qui est un goût qui approche tout à fait de celui du salpêtre.

§. 2. La préparation des plantes succulentes nitreuses, pour en tirer le suc, la liqueur,


l’eau, l’extrait, le sel essentiel nitro-tartareux, & le sel fixe.

Prenez une grande quantité de l’une de ces plantes, dont nous avons fait
mention ci-dessus, qu’il faut battre par parcelles au mortier de pierre, de bois
ou de marbre, jusqu’à ce qu’elle soit réduite en une espèce de bouillie, c’est-à-
dire que les parties de la plante soient bien désunies & confondues ; en sorte
que tout ce qu’elle aura d’humeur ou de suc, puisse être totalement tiré en la
pressant à force dans un sac de crin, d’étamine, ou d’une toile neuve claire.
Lorsque le tout sera battu & pressé, il faut couler tout le suc à travers d’un
couloir de toile un peu plus serrée, puis le laisser rasseoir, jusqu’à ce qu’il ait été
en quelque façon dépuré de soi-même ; ensuite de quoi, il faut verser ce suc
doucement par inclination dans des cucurbites, ou des pois d’alambics de verre,
que vous placerez au bain-marie, si vous voulez avoir un bon extrait & une eau
faible, parce que la chaleur du bain-marie n’est pas capable d’élever le sel
essentiel nitreux de la plante ; ce qui fait que ce sel demeure au fond du
vaisseau mêlé avec le suc épaissi, qu’on appelle improprement extrait, lorsqu’il
est réduit en une consistance un peu plus épaisse.

Mais si vous voulez une eau qui dure longtemps, & qui soit animée de son sel
spiritualisé, il faudra placer vos cucurbites au sable, parce que ce degré de
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 166

chaleur est capable d’élever & de volatiliser la plus pure & la plus subtile
portion du sel, & de les faire monter sur la fin de la distillation parmi les
dernières vapeurs aqueuses : néanmoins il faut surtout prendre garde de bien
près, que la chaleur ne soit pas trop violente sur la fin, & que la matière ne se
dessèche pas tout à fait au fond de la cucurbite, & encore beaucoup moins
qu’elle vienne à s’attacher & à brûler. Mais avant que de venir à la fin de
l’opération, il faut avoir soin de bien prendre garde à l’entité dessiccation de
votre suc ; car il se fait deux séparations, lorsque la chaleur du bain-marie ou
celle du sable, a fait la séparation de la substance radicale du suc de la plante
d’avec la lie, qui s’affaisse au bas du vaisseau, & de l’écume qui s’élève au-
dessus, c’est pourquoi, il faut couler ce suc ainsi dépuré, à travers le couloir de
drap, qu’on appelle ordinairement blanchet dans les boutiques.

Ensuite de quoi, lorsque le suc est ainsi séparé de toutes ses hétérogénéités &
du mélange étranger de la terre, il faut continuer la distillation au bain-marie ou
au sable, suivant l’intention de celui qui travaillera, jusqu’à ce que ce suc soit
réduit en consistance de sirop, qu’il faudra mettre en une cave fraîche, ou en
quelque autre lieu pareil, jusqu’à ce que le sel essentiel nitro-tartareux soit
cristallisé & séparé de la viscosité du suc épaissi, qu’il faut retirer en le versant
doucement par inclination, puis le remettre au bain-marie ou au sable, &
l’achever d’évaporer en extrait, qui contiendra encore beaucoup de sel, s’il a été
fait au bain-marie, & qui pourra servir à mettre dans des optâtes, suivant
l’indication que voudra prendre le savant & l’expert Médecin ou l’Artiste
même, lorsqu’ils s’en voudront servir dans quelque maladie , selon la nature &
la vertu de la plante, sur laquelle on aura travaillé. Et voilà toutes les remarques
nécessaires pour la purification du suc des plantes succulentes, pour la
distillation de leur eau, & pour la façon d’en avoir le sel essentiel & l’extrait.

Venons à présent à la préparation de leur sel fixe : il faut faire sécher pour cet
effet, le marc ou le résidu de l’expression du sac, puis ensuite le bien calciner &
le bien brûler, jusque ce que le tout soit réduit en cendres grisâtres &
blanchâtres, dont il faudra faire une lessive avec de l’eau commune de pluie ou
de rivière, qu’il faudra filtrer à travers du papier brouillart, qui ne soit guère
collé, afin que le corps de la colle n’empêche pas la liqueur de passer bien claire
en peu de temps. Après que la première lessive qui est empreinte du sel des
cendres de la plante est filtrée, il saut verser de la nouvelle eau dessus les
cendres, pour achever de tirer le reste du sel, & continuer ainsi de lessiver &
d’extraire le sel, jusqu’à ce que l’eau en sorte insipide comme on l’y aura versée,
ce qui est un signe manifeste & évident qu’il n’y a plus aucune portion de sel
dans les cendres, qui ne sont plus qu’une terre inutile à ce qu’il semble, ou

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 167

comme quelques-uns les nomment, la tête morte de la plante sur laquelle on


aura travaillé.

Mais il faut pourtant que je prouve le contraire par l’histoire de ce qui m’est
arrivé à Sedan, après avoir travaillé sur le fenouil : car comme je croyais avec les
autres, que ces cendres dépouillées de leur sel, étaient tout a fait inutiles, je les
fis jeter dans une cour où l’on tenait ordinairement du fumier & d’autres
immondices ; je reconnus par ce qui arriva l’année suivante, que je m’étais
trompé, car il crut une grande abondance de fenouil dans cette cour, dont je
tirai beaucoup d’huile distillée, après qu’il fut venu à sa perfection ; ce qui me
fit reconnaître, avec cet excellent Philosophe & Médecin Helmont, que la vie
moyenne des choses ne périt pas si tellement qu’on se l’imagine, & que selon
cet axiome de Philosophie, forma rerum non perunt parce que l’Art & l’Artiste ne
font que suivre la bonne mère nature de bien loin, & que cela nous fait bien
connaître que nous ne comprenons pas le moindre de ses ressorts, & encore
beaucoup moins ceux qu’elle emploie secrètement pour arriver à ses fins.

Revenons à notre sujet, après une digression que j’ai cru devoir faire, puisque
c’était son propre lieu. Après donc qu’on aura assemblé toutes les lessives bien
filtrées, il les faut évaporer dans des écuelles de grès sur le sable, jusqu’à
pellicule, c’est-à-dire jusque ce qu’on aperçoive que la liqueur commence à faire
une petite croûte au-dessus, à cause quelle est trop chargée de sel ; il faut alors
commencer d’agiter & de remuer doucement la liqueur avec un bistortier, ou
avec une spatule, jusqu’à ce que le sel soit tout dépêché. Il faut mettre après cela
ce sel dans un creuset pour le réverbérer au four à vent entre les charbons
ardents, jusqu’à ce qu’il devienne rouge de tous les côtés, sans que néanmoins il
vienne à fondre, & c’est à quoi il faut bien prendre garde. Ce travail étant
achevé, il faut tirer le creuset du feu, le laisser refroidir, & puis dissoudre le sel
dans l’eau qu’on aura tirée de la plante, d’où provient le sel, pour le filtrer
encore une fois, afin de le purifier & de lui rendre la portion du sel volatilisé
dans la distillation. Ensuite de quoi il faut mettre cette dissolution dans une
cucurbite de verre, qu’il faut couvrir de son chapiteau, & retirer l’eau de ce sel
au sable, jusqu’à pellicule, alors il faut cesser le feu & mettre le vaisseau en lieu
froid pour faire cristalliser le sel, & continuer ainsi de retirer l’eau au sable, &
de faire cristalliser le sel, jusqu’à ce que tout le sel ait été retiré, & vous aurez un
sel pur & net, dont on sic pourra servir au besoin ; mais il sert principalement
pour en mettre une portion dans l’eau qu’on a tirée de sa plante, afin de la
rendre non seulement plus active & plus efficace, mais aussi afin de la rendre
plus durable, & qu’elle se conserve plusieurs années sans aucune perte de sa
vertu. On en peut mettre deux drachmes pour chaque pinte d’eau distillée. La

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 168

faculté générale des sels fixes des plantes, qui ont été faits par calcination,
évaporation, réverbération , dépuration & cristallisation, est de lâcher
doucement le ventre, d’évoquer les urines, & d’ôter les obstructions des parties
basses : leurs autres vertus particulières peuvent être prises de la plante, dont
ils ont été tirés.

Et comme nous avons donné la manière de purifier les sels fixes, aussi faut-il
que nous donnions celle de retirer & de séparer une certaine limosité visqueuse
& colorée, qui se trouve mêlée parmi les sels essentiels nitro-tartareux dans leur
première cristallisation. Cela se fait de la sorte ; il saut les dissoudre dans l’eau
commune, & les couler trois ou quatre fois sur une portion des cendres de la
plante dont on les a tirés. Ce qui se fait pour deux fins intentionnelle ; car il ne
faut pas que l’Artiste travaille sans être capable d’entendre raison pourquoi il
fait une chose, ou pourquoi il ne la fait pas. La première intention est, afin que
le sel essentiel, qui n’est pas encore pur, & qui même se trouve ordinairement
mêlé parmi l’extrait, sans avoir pu prendre l’idée ni le caractère de sel, à cause
de l’empêchement de la viscosité des sucs épaissis, prennent en passant au
travers des cendres le sel fixe de son propre corps, qui l’imprime de l’idée saline
& qui fait qu’il se cristallise facilement après l’évaporation de la liqueur
superflue. La seconde intention est, afin que les cendres retiennent les corps
épais & visqueux de l’extrait en elles, & qu’ainsi l’eau qui s’est chargée du sel
essentiel & du sel fixe des cendres, passe plus nette & plus pure par la
percolation réitérée.

Lorsque cela est achevé, il faut évaporer lentement votre eau dans une terrine
de grès au sable, non pas jusqu’à pellicule, comme nous l’avons dit en parlant
des sels fixes, mais en faisant évaporer les deux tiers ou les trois quarts de la
liqueur, qu’il faudra verser chaudement dans une autre terrine qui soit bien
nette, & cela bien doucement sans troubler le fond ; afin que s’il s’était fait
quelque résidence de quelques corpuscules par l’action de la chaleur, ils ne se
mêlassent point parmi la liqueur claire, pour empêcher la pureté de la
cristallisation du sel. Il faudra retirer l’eau qui surnagera les cristaux, & réitérer
l’évaporation, jusqu’à la consomption de la moitié de la liqueur, & continuer
ainsi jusqu’à ce que vous ayez retiré tout votre sel en cristaux.

Que si l’artiste n’est pas satisfait de cette purification, & que les cristaux n’aient
pas toute la netteté & la transparence désirée, il les mettra tous dans un creuset,
qui soit fait de la terre la moins poreuse qu’il se pourra, & qu’il fasse fondre son
sel dans le four à vent, afin que le feu de la fonte consume tout ce qui peut
empêcher la cristallisation avec toute la netteté & la diaphanéité requise ; après

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 169

que ce sel est fondu, il le faut verser dans un mortier de bronze, qui soit net &
qui ait été chauffé auparavant, afin que la trop grande chaleur du sel fondu ne
le fasse pas fendre ; lorsqu’il sera refroidi, il le faut dissoudre dans une quantité
suffisante de l’eau qui aura été distillée de l’herbe même dont on a tiré le sel ;
mais il ne faut pas que la quantité de l’eau surpasse celle du sel, autrement il en
faudra retirer le tiers ou la moitié par distillation ou par évaporation ; après
quoi il faut mettre le vaisseau en un lieu frais, & les cristaux se feront beaux &
clairs, qui auront les aiguilles d’une figure approchante de celle du salpêtre, &
qui auront à peu près le même goût ; il faudra continuer d’évaporer & de
cristalliser, jusqu’à ce que l’eau ne produise plus de sel. Il faut sécher ce sel
essentiel entre deux papiers, puis le mettre dans une fiole bien bouchée pour le
garder au besoin. Ce sel est capable de conserver l’eau distillée de la plante,
aussi bien que le sel fixe ; & de plus il la rend diurétique, apéritive &
réfrigérante, beaucoup mieux que le cristal minéral commun, qui est fait avec le
salpêtre. On le peut donner dans des bouillons ou dans de la boisson ordinaire
du malade, ainsi que le prudent & savant Médecin le jugera nécessaire. La dose
est depuis dix grains jusqu’à un scrupule.

§. 3. La préparation des plantes succulentes qui ont en elles un sel essentiel volatil, pour
en tirer l’eau, l’esprit, le suc, la liqueur, le sel essentiel volatil, l’extrait & le sel fixe.

Après avoir montré la façon de travailler sur les plantes qui ont un sel nitro-
tartareux, & avoir fait voir de quelle façon l’Artiste les doit préparer, il faut
continuer d’enseigner ce qu’il y a de changement d’opération en celles qui sont
aussi succulentes, mais qui ont un goût âcre, piquant & aromatique, qui
possèdent en elles une grande abondance de sel essentiel volatil ; comme sont
tous les genres des cressons, le sium, le sysymbrium, les roquettes, la berle, le
coch’earia, la moutardelle, toutes les moutardes, & généralement toutes les autres
plantes de cette nature, qu’on appelle communément anti-scorbutiques.

Mais comme nous nous sommes amplement & suffisamment étendus sur la
préparation des plantes succulentes, qui ont en elles un suc nitro-tartareux, &
que les opérations que nous avons décrites, doivent servir de règle & d’exemple
pour toutes les autres plantes succulentes ; nous avons néanmoins jugé
nécessaire d’ajouter ici quelques remarques, qui concernent les rature de ces
plantes, le temps de les cueillir pour en avoir la vertu propre, & d’ajouter encore
la manière de faire les esprits de ces plantes par l’aide de la fermentation, parce
que nous n’en avons point parlé ci-devant.

Il faut donc premièrement observer que ces plantes aquatiques ou cultivées,


participent dès leur naissance d’une grande tendance de sel essentiel, qui est
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 170

d’une nature très subtile, pénétrante & volatile, & qu’ainsi l’Artiste doit
travailler sur celles-ci avec plus de précaution & de diligence que sur les
précédentes. La raison est, que les autres n’avaient pas en elles cet esprit salin,
subtil & volatil, qui s’évapore & qui s’envole facilement, si on ne prend son
temps pour le conserver ; car si on demeure trop longtemps à travailler sur ces
plantes après qu’elles ont été cueillies, cet esprit s’échauffe facilement, &
lorsque la chaleur l’a volatilisée, il s’envole, & le corps de la plante demeure
pourri ou inutile. Il faut donc prendre cette sorte de végétable, lorsqu’il est
monté nouvellement, & qu’il commence à former les ombelles de ses fleurs, car
c’est en ce vrai temps que le sel essentiel de la plante est suffisamment exalté, &
qu’il a acquis toute la vertu qu’on en espère, car si on attendait davantage, toute
cette efficace se concentrerait en peu d’espace dans la semence, à cause de la
chaleur de la plante & de celle de la saison, comme cela se remarque
évidemment dans la culture du cresson alenois. Cela suffit pour servir
d’avertissement à l’Artiste, de prendre garde à soi, lorsqu’il travaillera sur des
plantes de cette nature ; pour le reste, il n’aura qu’à se conduire, ainsi que nous
l’avons enseigné ci-devant ; sinon qu’il doit avoir égard aux circonstances
précédentes, & surtout de ne point mettre le sel essentiel volatil de ces plantes
au creuset, autrement tout ce sel s’évanouirait, à cause de son principe, qui est
très subtil & très volatil, & qui tient plus du lumineux & du céleste, que de l’eau
ni de la terre, de qui tient celui qui est nitro-tartareux.

§. 4. Comment il faut faire l’esprit des plante succulentes, qui ont un sel essentiel
volatil.

Après avoir donné toutes les observations nécessaires pour bien travailler sur
les plantes de cette nature, il faut que nous achevions le discours que nous
avons commencé, par la façon de bien faire leur esprit volatil par le moyen de
la fermentation, ce qui se doit exécuter ainsi.

Prenez autant qu’il vous plaira de l’une de ces plantes, & la mondez de tout ce
qu’il y aura de terrestre & d’étranger ; battez-la dans un mortier de marbre, de
pierre ou de bois, & la mettez aussitôt dans un grand récipient de verre, qu’on
appelle ordinairement un grand ballon, & verser dessus de l’eau qui soit entre
tiède & bouillante, que les Cuisiniers appellent de l’eau à plumer, jusqu’à
l’éminence d’un demi-pied, & puis boucher le col du ballon avec un vaisseau de
rencontre : on laissera reposer cela environ deux heures, après quoi il y faut
ajouter de la nouvelle eau, qui ne soit qu’amortie, afin de tempérer la chaleur de
la première, jusqu’à ce que l’Artiste n’aperçoive pas, que le doigt puisse sentir
la chaleur de la liqueur ; & c’est ce que les plus expérimentés en la théorie &

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 171

dans la pratique de la Chimie, appelle chaleur humaine, & le vrai point de la


fermentation.

C’est ici proprement où l’Opérateur Chimique a besoin de son jugement, &


qu’il doit bien prendre le temps de cette douce & amiable chaleur, parce que si
ce degré de chaleur excède, il volatilise trop subitement l’esprit & les parties
subtiles de la plante sur laquelle on travaille, qui s’envole & qui s’évanouit
facilement, quelle précaution qu’on y apporte, car le tout se convertit ensuite en
un acide ingrat, qui n’a plus aucun esprit volatil en foi. Que si aussi cette
chaleur est moindre qu’elle ne doit être, elle n’aide pas suffisamment au levain
ou au ferment, pour dissoudre & pour diviser les parties les plus solides de la
plante, qui contiennent encore en elles un sel centrique, qui contribue beaucoup
à la perfection de l’esprit qu’on prétend tirer de cette plante, & que de plus, elle
n’aide pas aussi à la désunion de la viscosité du suc de la plante, qui contient en
soi la principale portion du sel essentiel volatil, qui est celui qui fournit l’esprit :
néanmoins il vaut mieux manquer au moins, que de pécher au plus. Lorsque les
choses sont en cette température, il faut avoir de la levure de bière, de son
ferment ou de son ject, si on est en lieu pour cela ; sinon il faut faire lever de la
farine dissoute & mêlée dans de l’eau un peu moins que tiède, avec environ une
demie livre de levain ou de ferment, dont on se sert par toute la terre, pour faire
lever la pâte dont on fait le pain, & lorsque ce levain a bien enflé la liqueur, &
qu’il a fait monter la farine au haut, il faut prendre garde, lorsque cela vient à se
fendre par le haut ; car c’est le vrai signe que l’esprit fermentait est
suffisamment excité pour être réduit de puissance en acte, & pour être introduit
dans la matière, qui sera prête pour être fermentée.

Mais notez qu’il ne faut pas que votre vaisseau soit plus qu’à demi, autrement
tout sortirait & fuirait à cause de l’action du ferment, qui élève les matières, &
qui les agite par un mouvement intérieur, en quoi consiste la puissance de la
nature & celle de l’Art. Lorsque cette violence est passée, il faut laisser agir
doucement le levain, jusqu’à ce que l’Artiste aperçoive, que ce que le
mouvement de i esprit fermentatif avait élevé en haut, comme une croûte de
tout ce qu’il y avait de corporel & de matériel, afin de lui servir comme d’un
rempart & d’une défense contre l’évasion & l’évaporation des esprits, qui sont
en action, que cette matière, dis-je, commence à s’abaisser & à tomber en bas de
soi-même, à cause qu’elle n’est plus soutenue par l’activité des esprits. Cela se
fait ordinairement à la fin de deux ou de trois jours en été, & de quatre ou de
cinq en hiver.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 172

C’est encore ici qu’il faut que l’Artiste prenne le temps à propos ; car il faut
qu’il distille sa matière fermentée, aussitôt que ce signe lui est apparu, à moins
qu’il ne veuille perdre par fa propre négligence, ce que la nature & l’art lui
avoient préparé ; car cet esprit fermenté s’évanouit très facilement en ce temps-
là, & ce qui reste n’est plus qu’une liqueur acide, inutile & mauvaise. Mais
lorsque l’Artiste prendra bien son temps, & qu’il mettra sa matière fermentée
dans la vessie qu’il couvrira de la tête de maure, qu’il en luttera bien
exactement les jointures, tant celle de la tête que celle du canal, qu’il aura soin
que l’eau du tonneau qui sert de réfrigère, pour condenser les vapeurs qui
s’élèvent, soit entretenue bien fraîche, & qu’il donnera le feu par degrés, jusqu’à
ce que les gouttes commencent à tomber & à se suivre de près, & que lorsque
cela ira de la sorte, il aura le jugement de fermer les registres du fourneau, & de
boucher exactement la porte du feu ; alors il aura par ce moyen un esprit volatil,
très subtil & très efficace : il ne cessera le feu, que lorsqu’il goûtera que ce qui
distille, n’a plus de goût ; ce qui sera le vrai signe qui lui fera finir son
opération. S’il veut rectifier cet esprit, il le distilla derechef au bain-marie : mais
s’il a procédé avec la méthode que nous avons décrite, il n’aura pas besoin de
rectification, parce qu’il pourra séparer le premier esprit à part, & ainsi le
second & le troisième, qui seront différents en vertu & en subtilité, à cause
qu’ils seront plus ou moins mêlés de phlegme.

Les vertus de cet esprit sont merveilleuses dans toutes les maladies, qui ont leur
siège dans des matières fixes, crues & tartarées, parce qu’il dissout ces matières,
qu’il les résout & les volatilise avec une grande efficace ; mais par-dessus tout,
l’esprit de cochlearia, comme aussi son sel volatil qui se tire de son suc, de la
même façon que celui des plantes nitro-tartarées : car ce sont les deux plus
puissants remèdes, que les Savants aient trouvé contre les maladies
scorbutiques, qui règnent dans les régions maritimes, & dont il y a peu de
personnes qui se puissent garantir durant les longs voyages sur la mer. Et
quoique ces maladies soient presque inconnues en France, cependant la plupart
des mauvais rhumatismes, qui proviennent de l’altération de la masse du sang,
dont toute la substance est viciée & dégénérée en sérosité crasse & maligne,
dont le venin imprimé dans les parties membraneuses & nerveuses, cause les
lassitudes, les douleurs vagues, les enflures & les taches au cuir, qui sont toutes
les marques du scorbut. Or, comme ces maladies ne se guérissent que par les
diaphorétiques & par les diurétiques, il faut avoir recours aux esprits & aux sels
volatils des plantes anti-scorbutiques, dont nous venons de parler. La dose de
l’esprit est depuis six gouttes, jusqu’à vingt dans du bouillon, ou dans la
boisson ordinaire du malade : celle du sel volatil est aussi depuis cinq, jusqu’à

172
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 173

quinze ou vingt grains dans les mêmes liqueurs, ou ce qui vaut encore mieux,
dans de l’eau de la même plante.

§. 5. Manière particulière de faire l’eau anti-scorbutique Royale.

Cette eau a produit tant de beaux effets, pour le rétablissement de plusieurs


personnes de tout âge des deux sexes, que j’ai crû nécessaire de la
communiquer à mes compatriotes, qui ressentent tous les jours des douleurs
scorbutiques, sans en connaître ni la source, ni les remèdes, qui sont capables de
les déraciner & de les guérir.

Prenez donc une demie livre de racine de moutardelle, qui s’appelle raphanus
rusticanus ; après qu’elle sera bien nette, il la faut couper en petites tranches fort
minces & les mettre dans une grande cucurbite de verre, & y ajouter trois livres
de cochlearia marine & de celle des jardins, une livre & demie de cresson
alenois & de cresson d’eau, & une livre de cette espèce de scabieuse, qu’on
appelle mors-diable ou sucisa, que les plantes soient hachées fort menu ; versez
dessus douze livres de lait tout nouveau, & quatre livres de vin du Rhin, ou de
quelque autre vin blanc clair & subtil, distiller le tout au bain-marie, jusqu’à ce
qu’il ne distille plus rien. Gardez cette eau bien bouchée dans des fioles à col
étroit, afin que l’esprit volatil qui la rend efficace, ne s’évapore point ; c’est
pourquoi il saut avoir le soin de couvrir les bouteille avec la vessie mouillée.
Cette eau Royale est admirable pour rectifier la masse du sang, & pour
tempérer les chaleurs du bas ventre & des hypocondres ; elle chasse par les
urines & par la transpiration sensible & par l’insensible ; elle rétablit les
fonctions du ventricule & donne de l’appétit, ce qui montre qu’elle est
spécifique contre le scorbut & contre les obstructions. On en prend depuis deux
onces jusqu’à six, le matin à jeun, & autant l’après-midi, environ les quatre ou
cinq heures : on peut boire & ranger deux heures après l’avoir bue. Mais comme
nous avons joint à l’usage de cette eau, celui des tablettes & des pilules
spécifiques contre le scorbut, il est aussi nécessaire que nous en donnions la
description.

§. 6. Tablettes anti-scorbutiques.

Prenez une demi-once d’antimoine diaphorétique, six drachmes d’écorce


superficielle de citron récent, & une drachme & demie de macis ou neuf de
muscade, deux onces d’amandes pelées, & une once de pistaches mondées ;
coupez ces quatre choses en très petits carreaux, & broyer bien le diaphorétique
: puis cuisez une livre de sucre fin en sucre rosat, avec de l’eau de roses & de
cannelle ; après cela, rompez un peu votre sucre, & y ajouter les espèces, mêlez

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 174

le tout également ; & lorsque vous serez prêt de jeter vos tablettes, versez
dedans le poêlon une demie drachme de teinture d’ambre gris ; coupez les
tablettes du poids de deux ou trois drachmes : il en faut manger une le matin &
une autre le soir, après avoir avalé l’eau ci-dessus.

§. 7. Pilules anti-scorbutiques.

Prenez deux drachmes de rhubarbe très bien choisie, trois drachmes d’aloë
succotrin très fin, deux drachmes & demie de myrrhe récente & pure, deux
drachmes de gomme ammoniaque en larmes, une drachme de safran pur &
odorant, quatre scrupules de sel de tartre de senné : mettez chaque chose en
poudre à part, puis les mêlez & les réduisez en masse, en ajoutant goutte à
goutte, & l’un après l’autre, autant qu’il faudra d’élixir de propriété avec l’esprit
de corne de cerf, & de la liqueur de la pierre hématite, dont la préparation est
au Traité des pierres. La dose de ces pilules, est depuis un demi scrupule
jusqu’à une drachme ; vous en formerez quarante pilules à la drachme, afin
qu’elles se dissolvent plus facilement : il les faut prendre avant le repas du soir,
ou en se couchant, elles ne troublent pas la digestion, & ne donnent aucunes
tranchées ; mais elles purgent bénignement : on en peut prendre de deux jours
l’un, ou de trois en trois jours.

§. 8. Comment il faut faire l’esprit & l’extrait de cochléaria.

Comme il y a des personnes délicates, qui ne peuvent pas prendre de l’eau anti-
scorbutique en quantité ; j’ai trouvé à propos de donner le procédé, pour bien
faire l’esprit & l’extrait de cochléaria, qui sont deux excellents remèdes contre le
scorbut, & qui sont aisés à prendre, à cause que l’un se donne dans le vin blanc,
& l’autre se donne en forme de bol dans du pain à chanter : ils se font ainsi.

Prenez quatre livres de racines de moutardelle coupées en tranches bien


minces, six livres de semence de cochléaria de jardin, huit livres de cochléaria
marine, & dix livres de celle de jardin ; il faut écraser la semence dans un
mortier de bronze, & hacher les herbes bien menu, & mettre le tout dans la
vessie de cuivre étamé ; puis versez dessus du bon vin du Rhin, ou d’autre vin
blanc subtil, jusqu’à ce que les espèces nagent dedans aisément ; couvrez la
vessie de sa tête de maure, lutez les jointures exactement ; adaptez un récipient
commode, & donner le feu comme pour distiller l’esprit de vin ; ayez égard que
l’eau du réfrigère soit toujours fraîche, & la changez, si elle s’échauffe. Séparez
ce qui distille de temps en temps, & le goûter ; & lorsque l’esprit commencera à
ne plus être bon & fort, tant au nez qu’à la langue, alors ne le mêlez plus ; mais
continuez le feu, jusqu’à ce que les gouttes soient tout à fait insipides ; puis

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 175

cessez le feu, & gardez cette eau spiritueuse à part, qui servira comme elle est,
& se donnera en plus grande quantité que l’esprit, sinon elle servira pour une
autre distillation.

On prendra donc le premier esprit, qui est très fort dans du vin blanc, depuis
dix gouttes jusqu’à trente & quarante gouttes ; il purifie la masse du sang, par la
sueur & par la transpiration insensible & par les urines ; mais comme cet esprit
pénètre jusque dans les dernières digestions, & qu’il va fureter par sa subtilité
jusque dans les derniers capillaires des veines, des artères & des vaisseaux
lymphatiques, pour en tirer & pour corriger ces sérosités subtiles, âcres &
malignes, qui causent les douleurs & les éruptions scorbutiques ; il est aussi
nécessaire de nettoyer le bas ventre, & surtout la rate & le pancréas des matières
terrestres & grossières, par les selles, ce qui se fera facilement avec l’extrait qui
suit.

§. 9. Extrait de cochléaria.

Après que vous avez fini la distillation de l’esprit & de l’eau spiritueuse, il faut
ouvrir la vessie, & tirer tout ce qui sera dedans ; puis vous passerez la liqueur
dans un tamis, & vous presserez la matière autant que faire se pourra, sécher
l’expression que vous brûlerez, & en tirerez le sel selon l’art. Clarifiez ensuite la
liqueur pressée avec des blancs d’œufs, & l’évaporez au sable lentement,
jusqu’en consistance d’un sirop fort épais ; & lorsque vous voudrez purger les
scorbutiques spécifiquement, prenez depuis une demie drachme jusqu’à trois,
& jusqu’à une demie once de cet extrait, auquel vous aurez joint le sel que vous
aurez tiré des matières calcinées, & y ajoutez de la poudre de bonne rhubarbe &
de celle de senné, depuis dix grains jusqu’à une drachme, que vous mêlerez
bien ; puis le ferez prendre en bol avec du pain à chanter, & vous ferez boire un
petit trait de vin blanc par-dessus, & deux heures après un bouillon, ou un bon
trait de ce qu’on appelle Posset en Angleterre, qui est du lait bouilli avec des
pommes de reinette coupées en rouelles, & dont on a séparé le fromage, en y
versant un verre de vin blanc. Cela purge très doucement, & détache les
viscosités des parois du ventricule, ôte les obstructions de la rate, du mésentère
& du pancréas, par le moyen du sel essentiel, qui est dans cet extrait, comme
son goût le manifeste très sensiblement.

Il ne sera pas nécessaire de faire un grand discours à part, pour faire


comprendre comment on distillera la petite centaurée, l’absinthe, la rue, la mélisse,
la menthe, l’herbe à chat, la fleur du tillot, & les autres plantes de cette nature, qui
n’ont en elles aucune humidité, lorsqu’elles sont en état d’être cueillies avec
leur propre vertu. Il faut seulement les piler grossièrement au mortier, après les
175
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 176

avoir coupées, & ajouter dix livres d’eau pour chaque livre de la plante, qu’on
voudra fermenter & distiller pour en tirer l’esprit, & procéder au reste, comme
nous avons dit ci-dessus, avec toutes les règles & toutes les remarques, qui sont
essentiellement nécessaires à bien faire réussir la fermentation. Mais si on ne
veut simplement tirer par la distillation, que l’huile éthérée & l’eau spiritueuse
de la plante, il faut seulement distiller cette plante hachée & coupée bien menu
avec dix livres d’eau, pour une livre de la plante, sans aucune préalable
infusion, macération , & encore moins sans fermentation.

Il y a pourtant encore un autre moyen de conserver les plantes de cette nature &
les fleurs mêmes, & de les faire fermenter sans aucune addition, & c’est encore
ici où l’Artiste a besoin de beaucoup de circonspection : car il ne faut pas
omettre aucune des circonstances que nous allons décrire, à moins que de
vouloir perdre son temps & sa peine ; ceci se fait donc de la manière qui suit.

Il faut cueillir la plante ou la fleur, lorsqu’elles sont en leur perfection, il faut


pour cela que la plante soit entre fleur & semence ; & si c’est simplement une
fleur, il faut qu’elle soit dans la vigueur de son odeur, & que les feuilles tiennent
fermement à leurs queues : mais il y a outre cela la principale remarque, qui est
de cueillit ces choses un peu après le lever du soleil, afin qu’elles ne soient pas
chargées de la rosée, ce qui les ferait corrompre ; il ne faut pas aussi les prendre,
lorsqu’il a plu le jour précédent, à cause qu’elles auraient de l’humidité
superflue, qui causerait le même accident. Lorsqu’on aura ces plantes ou ces
fleurs, ainsi conditionnées, il faut en emplir de grandes cruches de grès, qui
soient bien nettes & bien sèches, & les presser très fort, jusqu’à ce que la cruche
en soit toute remplie, & qu’il ne reste du vide que pour y placer un bouchon de
liège qui soit fort juste, & qu’on aura trempé dans de la cire fondue, pour en
boucher la porosité ; cela étant fait, il faut verser de la poix noire fondue sur le
bouchon de liège, & en enduire tout l’entour de l’embouchure de la cruche, la
mettre à la cave sur un ais, afin que la terre ne communique pas trop de
fraîcheur, & que cela n’altère pas la plante ou la fleur ; ainsi vous conserverez
des années entières des plantes & des fleurs, qui seront fermentées par elles-
mêmes, & qui seront prêtes pour être distillées à tous les moments qu’on en
aura besoin, en y ajoutant dix livres d’eau pour chaque livre de fleurs, ou de
plantes entières fermentées d’elles-mêmes ; & vous en tirerez un esprit & une
eau, qui seront vraiment remplis & doués de l’odeur & de toutes les vertus de la
plante, comme nous en avons donné les exemples sur des plantes ainsi digérées
& fermentées en elles-mêmes & par elles-mêmes, par les ordres de M. Vallot,
Premier Médecin du Roi, qui a toujours commandé de faire ces démonstrations
en public, afin de mieux faire connaître la vertu des choses & la plus excellente

176
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 177

façon de les distiller, & qu’on puisse légitimement confesser, que c’est de lui
qu’on tiendra dorénavant cette belle & savante manière de travailler.

Nous n’avons à présent rien autre chose à dire touchant les règles générales, &
les observations communes que l’Artiste doit faire sur le végétable en général &
sur ses parties en particulier, sinon qu il faut que nous donnions les moyens de
faire les liqueurs des plantes entières ou de leurs parties, & même de purifier
ces liqueurs, & de les exalter de plus en plus, jusqu’à ce qu’on les ait remises en
la nature de leur premier être, qui ne laissera pas de posséder très éminemment
les vertus centrales de leur mixte, parce que la nature & l’art ont conservé dans
ce travail toutes les puissances séminales qu’il possédait : ainsi que le prouve &
l’enseigne très doctement notre très grand & très illustre Paracelse, dans le
Traité qu’il intitule, de renovatione & restauratione.

§. 10. De la manière de faire les liqueurs des plantes, & leurs premier êtres.

Toutes les plantes ne sont pas propres à cette opération, à cause qu’elles n’ont
pas également en elle une proportion suffisante de sel, de soufre & de mercure,
pour communiquer à leurs liqueurs & à leurs premiers êtres, la vertu de
renouveler & de restaurer ; & Paracelse même ne nous en recommande que
deux entre toutes, qui doivent servir de règle & d’enseignement pour toutes les
autres sortes de plantes, qui sont à peu près de la nature de ces deux, qui sont la
mélisse & la grande chélidoine, entre celles qui approchent de ces deux, nous y
pouvons légitimement comprendre la grande scrophulaire, la petite centaurée & les
plantes vulnéraires, comme le pyroha, la consolida saracenica, la verge dorée, le
mille pertuis, l’absinthe, & généralement toutes les plantes alexitères, comme le
scordium, l’asclepia, la gentiane & les gentianelles, la rue, le persil, l’ache & beau-
coup d’autres que nous laisserons au choix & au jugement de l’Artiste, qui les
préparera toutes de la sorte que nous le dirons ci-après, & lorsqu’il en aura tiré
la liqueur ou le premier être, il s’en servira dans les occasions, selon la vertu de
la plante.

Il faut cueillir celle de ces plantes, qu’on voudra préparer, lorsqu’elle est en son
état, c’est-à-dire, lorsqu’elle est tout à fait fleurie ; mais qu’elle n’est pas encore
en semence, au temps que Paracelse nomme balsamiticum tempus, le temps
balsamique, qui est un peu devant le lever du Soleil, parce qu’on a besoin dans
cette opération de cette douce & agréable humeur, que les plantes attirent de la
rosée durant la nuit, par la vertu magnétique & naturelle qu’elles ont de se
fournir de l’humidité dont elles ont besoin, tant pour leur subsistance & pour
leur vie, que pour résister aussi à la chaleur du Soleil, qui les suce, & qui les
dessèche durant le jour.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 178

Lorsque vous aurez une quantité suffisante de la plante que vous voulez
préparer, il la faut battre au mortier de marbre, & la réduire en une bouillie
impalpable, autant que faire se pourra ; puis il faut mettre cette bouillie dans un
matras à long col, qu’il faut sceller du sceau de Hermès, & le mettre digérer au
fumier de cheval durant un mois philosophique, qui est l’espace de quarante
jours naturels, ou bien mettre le vaisseau au bain vaporeux, & qu’il soit enfermé
dans de la sciure de bois ou dans de la paille coupée, durant le même temps, &
à une chaleur analogue à celle du fumier de cheval. Ce temps étant expiré, il
faut ouvrir votre vaisseau pour tirer la matière qui sera réduite en liqueur, qu’il
faut presser & séparer le pur de l’impur par la digestion au bain-marie à une
lente chaleur, afin qu’il se fasse une résidence des parties les plus grossières,
que vous séparerez par inclination, ou ce qui sera mieux, en filtrant cette
liqueur à travers du coton par l’entonnoir de verre : il faut mettre cette liqueur
ainsi dépurée dans une fiole, afin d’y joindre le sel fixe qu’on tirera de
l’expression de la plante, ou de la même plante desséchée : ce qui servira pour
augmenter sa vertu, & pour la rendre de plus longue durée, & même comme
incorruptible.

Mais lorsque l’Artiste veut pousser plus loin son travail, qu’il veut purifier cette
liqueur au suprême degré & la réduire en premier être, il y procédera de la
sorte. Il faut prendre parties égales de cette liqueur & de l’eau de sel, ou de sel
résout, dont nous enseignerons la pratique au Traité des sels, & les mettre dans
un matras, qu’il faudra sceller hermétiquement, & l’exposer au Soleil six
semaines durant, & ainsi, sans aucun autre travail, cette liqueur saline séparera
toutes les hétérogénéités & les limosités, qui empêchaient la pureté &
l’exaltation de ce noble médicament ; mais à la fin de ce temps, on verra trois
séparations différentes, qui sont les fèces de la liqueur de l’herbe, le premier
être de la plante, qui est vert & transparent comme l’émeraude, ou clair & rouge
comme le grenat oriental, selon la qualité & la quantité du sel, du soufre où du
mercure, qui auront prédominé dans la plante qu’on aura ainsi préparée.

Je sais qu’il y en aura plusieurs qui diront que la pratique de cette opération est
facile, & que la plupart ne croiront jamais que la liqueur des plantes, ni leur
premier être, puissent posséder les vertus que nous leur attribuions après
Paracelse. Je souhaiterais néanmoins que chacun en fut persuadé par des
expériences légitimes & très assurées, comme je le suis, afin que les Artistes se
missent à travailler à ces rares préparations, avec une confiance de n’être point
frustrés du bien qui leur en peut revenir en particulier, & de celui qu’ils
procureront à la société civile, par la santé qu’ils conserveront, ou qu’ils
répareront dans les sujets particuliers qui la composent.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 179

§. 11. De la vertu & de l’usage de la liqueur des plantes.

Ce mot de liqueur ne se prend pas ici simplement pourrie suc, ou pour


l’humidité de la plante ; mais on le donne ici à cette espèce de remède par
excellence, parce qu’il contient en soi tout ce que la plante dont il provient, peut
avoir d’efficace &d e vertu. Ce qui fait qu’il n’est pas difficile de faire concevoir
à quoi ces liqueurs bien préparées peuvent & doivent être employées. Car si la
liqueur est faite d’une plante vulnéraire, on la peut donner plus sûrement que
la décoction de pas une des plantes de cette nature, dans les potions vulnéraires
; on la peut mêler dans les injections, on la peut faire entrer dans les emplâtres,
dans les onguents & dans les digestifs, qui serviront pour les appareils des
plaies ou des ulcères ; mais avec cette condition, que le corps de ces remèdes
soit composé de miel, de jaune d’œufs, de térébenthine, de myrrhe ou de
quelque autre corps balsamique, qui prévienne plutôt les accidents des parties
qui sont blesser, que d’en faire une colliquation & une suppuration inutile &
douloureuse ; ce qui n’est jamais selon la bonne intention de la nature, & encore
beaucoup moins selon les vrais préceptes de la belle & de la docte Chirurgie.

C’est dans cette excellente partie de la Médecine, que notre Paracelse a


principalement excellé, comme cela se prouve sans contredit, par les deux
excellents Traités, qu’il intitule, la grande & la petite Chirurgie. De plus, si la
liqueur est tirée d’une plante thorachique, on la pourra mêler dans les juleps &
dans les potions qu’on fera prendre aux malades, qui seront travaillés de
quelque affection de la poitrine. Si elle est faite d’une plante diurétique ou anti-
scorbutique, on l’emploiera pour ôter les obstructions de la rate, du mésentère,
du pancréas, du foie & des autres parties voisines ; ou bien, on la fera servir
contre le calcul, contre la suppression de l’urine & contre les autres maladies
des reins & de la vessie. Enfin si cette liqueur tire sa vertu de quelque plante
alexitaire, cordiale, céphalique, hystérique, stomachique ou hépatique, on s’en
servira avec un très heureux succès contre les venins & contre toutes les fièvres,
qui tirent leur origine de ce venin, si la plante est alexitaire. On la donnera aussi
contre toutes sortes de faiblesses en général, si la plante est cordiale. Que si
aussi elle est céphalique, cela montre que la liqueur est utile contre l’épilepsie,
contre les menaces de l’apoplexie, contre la paralysie & contre toutes les autres
affections du cerveau. Si elle est hystérique, elle fera des merveilles contre les
suffocations de la matrice, contre ses soulèvements, contre ses convulsions, &
encore contre toutes les autres irritations de ce dangereux animal, qui est
contenu dans un autre. Si elle est stomachique, ce sera le vrai moyen pour
empêcher toutes les corruptions qui s’engendrent dans le fond du ventricule,
soit qu’elles proviennent du défaut de la digestion, à cause de la superfluité, ou

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 180

à cause du vice & de la mauvaise qualité des aliments ; soit aussi qu’elle soit
occasionnée par une mauvaise fermentation. Enfin, si la liqueur a la vertu d’une
plante hépatique, s’il est vrai que ce soit le foie, qui soit le magasin & la source
du sang ; on donnera ce remède dans toutes les maladies qu’on attribue au vice
& au défaut de ce viscère ; mais principalement dans les hydropisies naissantes,
& même dans celles qu’on croira confirmées.

La dose de ces liqueurs, ou de ces teintures vraiment balsamiques & amies de


notre nature, est depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme, & jusque deux
drachmes , selon l’âge & les forces de ceux à qui le Médecin les croira propres &
utiles. Ajoutons pourtant encore un petit avis, afin que ceux qui prépareront ces
liqueurs, les puissent aussi conserver longtemps, sans aucune altération & sans
aucune diminution de leur force, de leur vertu, ni de leur efficace : c’est qu’il
faudra qu’ils y mêlent seulement quatre onces de sucre en poudre pour une
livre de liqueur, si c’est pour s’en servir intérieurement ; ou quatre onces de
miel cuit avec le vin blanc & écume, si c’est pour s’en servir extérieurement en
la Chirurgie.

§. 12. De la vertu & de l’usage du premier être des plantes.

On pourra se servir du premier être des plantes dans tous les cas où nous avons
dit que leurs liqueurs étaient utiles. Mais il doit y avoir cette notable différence,
que comme ces beaux remèdes sont beaucoup plus purs & plus exaltés, que les
liqueurs qui sont plus corporelles ; ce qui fait qu’on doit nécessairement
diminuer leur dose de beaucoup, de manière que ce qui se donnait par
drachmes avant ce haut degré de préparation, ne se donne plus que par gouttes.
La dose en est donc depuis trois goutta jusqu’à vingt, en augmentant par degrés
: on peut prendre ce remède dans du vin blanc, dans un bouillon, ou dans
quelque décoction ou quelque eau, qui pourront servir de véhicule au
médicament, pour le faire agir & le faire pénétrer par la subtilité de ses parties
jusque dans nos dernières digestions, pour en chasser le mauvais & l’inutile, y
rétablir les forces, & finalement remettre la nature dans son véritable état, pour
la direction de la santé du sujet dans lequel elle agit.

Mais il faut que nous montrions que ce n’est pas sans raison, que Paracelse
parle de la préparation des premiers êtres dans le Traité, que nous en avons cité
ci-dessus, qui est celui de renovatione & restauratione, c’est-à-dire, du
renouvellement & de la restauration ; car ce grand homme, conclut ce Traité,
par la façon de faire les premiers êtres de quatre matières différentes ; savoir, le
premier être des animaux, celui des pierres précieuses, celui des plantes & celui
des liqueurs, qui est celui des soufres ou des bitumes ; il ne s’est pas voulu
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 181

contenter de faire le discours théorique de la possibilité du renouvellement &


de la restauration de nos manquements intérieurs & extérieurs ; mais il a voulu
de plus donner la pratique de travailler sur diverses matières pour en tirer les
premiers êtres, & conclut enfin par la manière de s’en servir pour se pouvoir
renouveler.

Il dit donc qu’il faut simplement mettre autant de cette précieuse liqueur dans
du vin blanc, qu’il en faudra pour le colorer de la couleur approchante de celle
du remède, & qu’il en faut boire ou faire boire un verre tous les matins à jeun à
celui, ou à celle qui aura quelque défaut d’âge ou de maladie. De plus, il donne
les signes du commencement & du progrès de ce renouvellement, & le temps
auquel il faut cesser l’usage de ce médicament admirable ; car il n’a pas crû
devoir dire les signes, ni les observations qu’on doit faire lorsqu’on le prend
pour quelque maladie sensible, puisqu’il s’ensuit nécessairement qu’on en doit
continuer l’usage, jusqu’à ce qu’on en ressente du soulagement, ou jusqu’à ce
que le mal diminue, & c’est alors qu’il faudra cesser l’usage du remède.

Mais pour les signes du renouvellement, il les met d’une suite judicieuse,
comme s’il voulait prévenir l’incrédulité de ceux qui ne connaissent pas la
puissance, ni la sphère d’activité de la vertu & de l’efficace que Dieu a mise
dans les êtres naturels, lorsqu’il sont réduits par le moyen de l’Art à leur
principe universel, sans perte de leur bonté séminale ; ou bien encore pour
prévenir l’étonnement de ceux qui s’en serviront, puisque ce qui arrive, ne
cause pas une petite surprise, lorsque la personne qui se sert de ces remèdes
voit premièrement tomber ses ongles des pieds & des mains ; qu’ensuite de tout
cela, tout le poil du corps lui tombe & les dents ensuite ; & pour le dernier de
tous, que la peau se ride, & se dessèche peu à peu & tombe aussi de même que
le reste, qui sont tous les signes & les observations qu’il donne du
renouvellement intérieur par ce qui se fait en l’extérieur.

C’est comme s’il vouloir nous insinuer & nous faire comprendre qu’il faut de
toute nécessité, que le médicament ait pénétré par tout le corps, & qu’il l’ait
rempli d’une nouvelle vigueur, puisque les parties extérieures qui sont
insensibles, & comme les excréments de nos digestions, tombent d’elles-mêmes
sans aucune douleur ; mais remarquez qu’il fait cesser l’usage du remède,
lorsque le dernier signe apparaît, qui est la sécheresse de la peau, ses rides & sa
chute ; parce que c’est un signe universel, que l’action du renouvellement s’est
étendue suffisamment par toute l’habitude du corps, que la peau couvre
généralement, & qu’ainsi il a fallu que cette vieille écorce tombât, & qu’il en
revint une autre, parce que la première n’était plus assez poreuse ni assez

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 182

perméable, pour faire que la chaleur naturelle qui est renouvelée, pût chasser
au-dehors toutes les superfluité des digestions, qui sont les causes
occasionnelles internes & externes de la plupart des maladies du corps humain.

Je sais que ce remède & les vertus renovatives & restauratives qu’on lui
attribue, passeront pour ridicules parmi le vulgaire des Savants, & même parmi
ceux qui se prétendent Physiciens. Tant à cause que la Philosophie du cabinet,
n’est pas capable de comprendre ce mystère de nature ; que parce qu’ils ne sont
pas aussi convaincus, ni les uns ni les autres par aucune preuve, ni par aucune
expérience. Mais il faut que j’entreprenne de les convaincre par deux exemples,
l’un tiré de ce qui se fait naturellement tous les ans, par le renouvellement de
quelques animaux en une certaine saison seulement ; & l’autre de l’histoire très
véritable que je rapporterai, de ce qui arriva à un de mes meilleurs amis, qui
prit du premier être de mélisse ; à une femme plus plus que sexagénaire, qui en
prit aussi ; & enfin de ce qui arriva à une poule qui mangea du grain, qu’on
avait abreuvé de quelques gouttes de ce premier être.

Pour ce qui est du premier exemple, il n’y a personne qui ne sache le


renouvellement de la tête ou du bois du cerf, comme aussi la dépouille de la
peau des serpents & des vipères, sans parler de celui des alcyons, puisque
Paracelse en fait l’histoire dans le traité que nous avons cité ci-devant ; mais de
tous ceux qui savent que cela se fait, il y en a peu qui sachent, ou qui se mettent
en peine de savoir & de connaître comment, par quel moyen & pour quelles
raisons cela se fait. Car premièrement, pour ce qui est des serpents en général, il
faut considérer qu’ils demeurent cachés sous terre, ou dans les creux des arbres
& des rochers, ou logés parmi des pierrailles, depuis la fin de l’automne jusque
bien avant dans le printemps ; & qu’ainsi durant ce temps , ils sont comme
assoupis & comme morts, que leur peau devient épaisse & dure, que même elle
perd sa porosité pour la conservation de l’animal qu’elle couvre ; car s’il se
faisait une expiration continuelle, il se ferait aussi une déperdition de la
substance de cet animal : or après que les serpents sont sortis de leurs trous au
printemps , & qu’ils ont commencé à paître & à prendre pour leur nourriture la
pointe des herbes, qui ont la vertu de renouveler : aussitôt cet animal étant
excité par une démangeaison qu’il sent vers le contour de sa tête, à cause de la
chaleur des esprits, qui sont échauffés par ce remède naturel, il se frotte & se
glisse jusqu’à ce qu’il se soit dépouillé la tête de sa vieille peau. Ce qu’il
continue le reste du même jour, jusqu’à ce qu’il ait jeté cette dépouille, qui lui
était non seulement inutile ; mais qui même l’eût fait suffoquer, faute d’être
poreuse & transpirable, & alors il paraît tout glorieux de son renouvellement ;
ce qui se remarque par la différence du mouvement lent & paresseux de ceux

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 183

qui ne sont pas renouvelés, d’avec l’action vive de ceux qui sont dépouillés,
dont le mouvement est si prompt & si léger, que même ils se dérobent
facilement à notre vue ; & de plus, la peau des uns est vilaine & de couleur de
terre, & l’autre au contraire est unie, belle, luisante & bien colorée.

Pour ce qui est de l’exemple du cerf, cela se fait d’un autre manière & pour une
autre raison, que ce qui arrive aux serpents ; car cet animal ne se cache point en
terre, ni ne renouvelle pas toutes ses parties extérieures, puis qu’il n’y a que ses
cornes, sa tête ou son bois, qu’il met bas au printemps ; mais la raison est, que
ce pauvre animal est privé durant l’hiver d’une nourriture, qui soit suffisante
pour nourrir & entretenir cette production merveilleuse qu’il a sur la tête,
puisque même il n’en a pas assez pour sa propre subsistance & pour sa vie ;
alors les Veneurs disent que les bêtes sont tombées en pauvreté ; ce qui se
reconnaît, non seulement par leur maigreur & par leur faiblesse, mais aussi
principalement par leur bois, qui devient aride, spongieux & sec, parce que cet
animal n’a pas une vigueur assez abondante pour pousser un aliment
spiritueux & salin jusque dans ce bois, à cause du défaut de l’aliment, comme
nous le disions à ce moment.

Or, c’est de cet aliment que vient la force, la vigueur & la subsistance au bois du
cerf ; ce qui fait qu’il est contraint de mettre bas, lorsqu’un aliment bon &
succulent lui revient au printemps, qui l’anime, qui l’échauffe, & qui fait
végéter de nouveau, s’il faut dire ainsi, la tête de l’animal. Nous ne dirons rien
davantage de ce renouvellement, ni de la vertu qui est contenue dans le
nouveau bois du cerf, comme dans celui qui est une fois durci & comme parfait,
parce que nous en avons amplement fait mention au Chapitre de la préparation
Chimique des animaux & de leurs parties.

Mais venons à présent à la preuve du renouvellement, qui a été commencé de


l’usage d’un premier être, par le récit de l’histoire que nous avons promise, &
qui se passa de la sorte. Après qu’un de mes meilleurs amis eut préparé le
premier être de la mélisse, & que tous les changements & toutes les altérations,
que Paracelse requiert, eurent succédé selon son espérance & selon la vérité, il
crut ne pouvoir être pleinement satisfait en son esprit, s’il ne faisait l’épreuve de
ce grand arcane, afin d’être mieux persuadé de la pure vérité de la chose, & de
renonciation de l’Auteur qu’il avait suivi ; & comme il connaissait que
l’expérience est ordinairement trompeuse en autrui, il la fit sur soi-même, sur
une vieille servante, qui avait près de soixante & dix ans, qui servait en la même
maison, & sur une poule qu’on nourrissait au même lieu. Il prit donc près de
quinze jours durant, tous les matins à jeun, un verre de vin blanc coloré de ce

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 184

remède ; & dès les premiers jours, les ongles des pieds & des mains
commencèrent à se séparer de la peau sans aucune douleur, & continuèrent
ainsi, jusqu’à ce qu’ils tombèrent d’eux-mêmes. Je vous avoue qu’il n’eut pas
assez de constance pour achever de faire cette expérience toute entière, & qu’il
crut d’être plus que suffisamment convaincu par ce qui lui était arrivé, sans
qu’il fut obligé de passer plus avant sur sa propre personne.

C’est pourquoi, il fit boire de ce même vin tous les matins à cette vieille
servante, qui n’en prit que dix ou douze jours ; & avant que ce temps fut
expiré, ses purgations lunaires lui revinrent avec une couleur louable & en
assez grande quantité, pour lui donner de la terreur, & pour lui faire croire que
cela la ferait mourir, puisqu’elle ne savait pas qu’elle eût pris quelque remède
capable de la rajeunir ; cela fut cause aussi que mon ami n’osa passer plus loin,
tant pour la peur qui avoir saisi cette pauvre femme, qu’à cause de ce qui lui
était arrivé. Après avoir ainsi fait l’épreuve très certaine des effets de son
médicament sur l’homme & sur la femme ; il voulut savoir s’il agirait aussi sur
les autres animaux, ce qui fit qu’il trempa des grains dans le vin, qui était
empreint de la vertu de ce premier être, qu’il fit manger à une vieille poule à
part, ce qu’il continua quelque huit jours, & vers le sixième la poule fut
déplumée peu à peu , jusqu’à ce qu’elle parut toute nue ; mais avant la
quinzaine les plumes lui repoussèrent ; & lorsqu’elle en fut couverte, elles
parurent plus belles & mieux colorées qu’auparavant, sa crête se redressa &
pondit des œufs plus qu’à l’ordinaire. Voilà ce que j’avais à dire là-dessus, &
d’où je tire les conséquences qui suivent.

Je crois qu’il n’y a personne, dont le sens soit assez dépravé pour ne pas
concevoir facilement, que puisque la nature nous enseigne par toutes les
opérations, qu’il faut entretenir la porosité dans les corps vivants pour les faire
vivre, avec toutes les fonctions nécessaires aux parties qui les composent :
qu’aussi faut-il de toute nécessité, que l’art qui n’est que l’imitateur de la
nature, fasse la même chose, pour entretenir & pour restaurer la santé des
individus, qui sont commis à son soin & à sa tutelle.

Ce qui fait que je dis conséquemment, qu’il faut que le Médecin & l’Artiste
Chimique travaillent incessamment à découvrir, par l’anatomie qu’ils feront des
mixtes naturels, cette partie subtile, volatile & pénétrante & agissante, qui ne
soit point corrosive ; mais au contraire, qui soit amie de notre nature, & qui aide
simplement à la faire enfanter sans la contraindre. Et comme je sais qu’il n’y a
que les sels volatils sulfurés, qui puissent avoir la puissance d’agir de la
manière que nous avons dite, aussi faut-il qu’ils étudient de toute leur

184
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 185

puissance, à détacher cet agent amiable, & qui est néanmoins très efficace, du
commerce du corps grossier & matériel, s’ils veulent être les vrais imitateurs de
la nature, qui se sert toujours de ce même agent, pour conduire tous les corps
animés à la perfection de leur prédestination naturelle, si elle n’en est empêchée
par quelque cause occasionnelle externe ou interne, qui interrompent
ordinairement l’ordre, l’économie & la conduite des ressorts, qui maintiennent
une agréable harmonie dans tous les composés animés. Or, c’est ce que
Paracelse a fait, en nous apprenant la façon de préparer les liqueurs & les
premiers êtres, parce que cette opération sépare le subtil du grossier, qu’il
conserve & qu’il exalte les puissances séminales du composé, jusqu’à ce qu’elle
l’ait rendu capable de réparer les défauts des fonctions naturelles ; afin qu’à
l’exemple de ce grand Naturaliste, & que suivant les idées que nous avons
données dans ce discours que nous avons tracé, avant que de venir au détail
des parties des végétaux & de toutes les opérations, auxquelles ils sont soumis
parle travail de la Chimie, que tous ceux qui s’adonnent particulièrement à ces
belles préparations, soient prévenus d’une connaissance générale de leurs
parties subtiles ou grossières, ils puissent aussi conduire & régler leur jugement
& leurs actions, selon les théorèmes & les notions que nous avons données,
qu’ils approprieront par la direction de leurs intentions à chaque végétable en
particulier ; & qu’ainsi l’Artiste puisse satisfaire à soi-même, à l’illustration & à
l’ennoblissement de sa profession, & encore ce qui doit être son principal but, à
l’entretien & au recouvrement de la santé de son prochain.

SECOND DISCOURS.

Des sirops.

Nous avons, ce me semble, assez insinué la diversité de la nature des plantes, &
la différence de leurs parties dans le discours précédent, pour préparer l’esprit
de l’Artiste à reconnaître la vérité de ce que nous avons à dire dans celui que
nous commençons, pour réprimer & pour ôter, s’il est possible, l’abus & la
mauvaise préparation que la plupart des Apothicaires pratiquent, lorsqu’ils
travaillent à leurs sirops, qui sont simples ou composés, & qui ne sont rien autre
chose que du sucre, ou du miel cuits en une certaine consistance liquide, ou
avec des eaux distillées, ou avec des sucs, ou encore avec les décoctions des
plantes entières, ou avec celle de leurs parties, comme sont les feuilles, les
fleurs, les fruits, les semences & les racines. Or, comme nous avons enseigné ci-
devant la diversité de la nature de ces choses, pour y avoir égard, lorsque
l’Artiste les veut distiller ; c’est aussi à cette instruction, que nous renvoyons
l’Apothicaire, qui veut devenir Chimiste, pour acquérir même connaissance,

185
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 186

lorsqu’il voudra bien faire les sirops simples & les composée. Néanmoins
comme je sais que tous les dispensaires commettent les mêmes fautes en ce qui
concerne les sirops, & qu’il n’y a eu qu’un Médecin Chimique, qui ait osé
entreprendre de les corriger ; je me sens obligé de suivre l’exemple de M.
Zwelfer, Médecin de l’Empereur Léopold, qui a fait des remarques très doctes
sur tous les défauts de la Pharmacie ancienne ; mais comme il écrit en latin, &
que de plus il raisonne en Chimiste, j’ai crû que j’étais obligé de mettre au bon
chemin ceux qui n’y entrent pas, faute d’être Chimistes, & de ne savoir pas
assez de latin, pour entendre & pour suivre un Auteur si admirable ; & de plus,
d’exhorter ceux qui savent le latin,& qui croient être Chimistes, de ne point
enfouir leur talent ; mais au contraire, de le faire valoir pour le bien des
malades, pour l’honneur du Médecin & de la Pharmacie, à l’acquit de leur
conscience, & à leur profit particulier.

Il faut pourtant que nous mettions ici quelques exemples des fautes qu’on a
commises par le passé, & que nous prouvions qu’on a failli, faute de n’avoir pas
connu les choses comme il faut, & que nous enseignions enfin le moyen de
mieux faire, & que nous donnions les raisons positives, & qui aient leur
fondement dans la chose même & dans la manière de travailler, pourquoi on
aura mieux fait, & pourquoi on aura réussi.

Avant que de venir à la preuve, à laquelle nous nous sommes engagés, il est
nécessaire que nous fassions voir a nu le but qu’ont eu les Anciens & les
Modernes dans la composition des sirops simples & des composés, dont ils
nous ont laissé les descriptions dans leurs antidotaires & dans leurs
dispensaires. Tous les vrais amateurs de la Médecine ont crû de tout temps,
qu’il fallait que les remèdes eussent trois conditions ; à savoir, qu’ils fussent
capables d’agir promptement, sûrement & agréablement : cito, tuto & jucunde.
De plus, ils ont aussi travaillé pour faire que ce qu’ils préparaient, se pût
conserver quelque temps avec sa propre vertu, afin qu’on y eut recours au
besoin. Voilà pourquoi ils ont composé tous leurs sirops & les autres remèdes,
qui sont approchants de cette nature, avec du miel & avec du sucre, ou avec
tous les deux ensemble. Ils se sont donc servis de ces deux substances, comme
de deux sels balsamiques, propres à recevoir & à conserver la vertu des eaux
distillée; comme celle de l’eau de roses dans leur sirop ou jalep Alexandrin ;
celle des sucs de plantes ou des fruits ; comme celles du vin, du vinaigre, du suc
de coings, de citrons, d oranges, de grenades & de beaucoup d’autres choses,
dans les sirops qu’ils ont voulu que les Apothicaires tinssent dans leurs
boutiques. Celle des infusions des bois, des racines, des semences & des fleurs,
dont ils ont ordonné de faire les sirops ; & enfin, celle des décoctions d’un bon

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 187

nombre de toutes ces choses mêlées ensemble, comme les aromates, les fleurs,
les fruits mucilagineux, les semences laitées, les racines glaireuses & celles qui
sont douées de sels volatils, dont ils nous ont donné la méthode, pour en faire
les sirops composés.

Mais, comme la plus grande partie de ceux qui jusqu’ici ont prétendu vouloir,
& pou voir enseigner la Pharmacie & le modus saciendi aux Apothicaires, n’ont
pas eux-mêmes connu la différence des matières, ni même n’ont pas su les
divers moyens d’extraire leur vertu sans aucune perte, parce qu’ils ignoraient la
Chimie ; aussi ne faut-il pas s’étonner, si les Apothicaires qui les ont suivis, &
qui les suivent encore tous les jours, ont péché & ont failli beaucoup plus
lourdement qu’eux ; puisque pour l’ordinaire ils ne sont pas même exactement
ce qu’ils trouvent dans leurs Livres.

Il faut donc avoir recours à la Physique Chimique, qui nous prescrira les règles
qui empêcheront dorénavant les Médecins & les Apothicaires de commettre des
fautes pareilles, s’ils prennent la peine de les suivre ; & s’ils profitent des
exemples & des enseignements que nous allons faire suivre, pour apprendre à
bien méthodiquement faire les sirops simples & les composés, sans que
l’Apothicaire perde aucune portion de la vertu qui réside dans le sel volatil
sulfuré, & dans le fixe des mixtes qui entrent en leur dispensation.

Nous commencerons par les sirops simples, & cela par degrés, & premièrement
par ceux qui sont composés des sucs, qui sont déjà dépurée d’eux-mêmes, ou
qui se peuvent séparer, sans crainte que la fermentation leur nuise, comme sont
les sucs acides. Après cela, nous parlerons des sirops, qui se font avec les sucs
qui se tirent des plantes, qui sont de deux natures ; les uns sont inodores, &
participent d’un goût vitriolique tartareux ; & les autres, ont de l’odeur &
participent d’un sel volatil sulfuré : ces deux sortes de sucs ont besoin de l’œil &
de l’industrie de l’Artiste pour en séparer les impuretés, sans aucune perte de
leurs facultés, avant que d’en faire les sirops ; & c’est ce que l’Apothicaire ne
fera jamais, qu’en suivant les préceptes de la Chimie. Ensuite de cela, nous
finirons par la démonstration des fautes qu’on a faites jusqu’ici, lorsqu’on a
travaillé aux sirops composés, dont nous donnerons quelques exemples, afin
que le tout soit rendu plus sensible à celui qui se voudra rendre plus éclairé &
plus exact en son travail.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 188

§. 1. La manière de faire le sirop acéteux simple ou le sirop de vinaigre, à la façon


ordinaire & ancienne.

Prenez cinq livres de sucre clarifié, quatre livres d’eau de fontaine, & trois livres
de bon vinaigre de vin blanc. Cuisez le tout selon l’art en consistance de sirop.

Il semble à voir cette nue & simple description, qu’elle est toute ingénue, toute
nette, & toute selon la nature & selon l’an ; mais il faut que notre examen
Chimique fasse voir qu’il y a plus de fautes qu’il n’y a de mots, & qu’elle est
entièrement remplie d’absurdités, qui sont indignes d’un apprentif Apothicaire
Chimiste, & par conséquent encore beaucoup plus indignes de ce célèbre &
renommé Médecin Arabe, Mesué, auquel on attribue l’invention de ce sirop.

Mais avant que de commencer à faire les remarques de cette mauvaise façon de
faire, il faut que nous fassions connaître quelles vertus Mesué & ses Sectateurs,
ont attribué à ce sirop & à l’oxymel simple, & pour quelles maladies ils les ont
employés, parce que cela ne servira pas peu à faire reconnaître les mauvaises
indications qu’ils ont prises, faute d’avoir bien connu la nature des choses & le
travail de la Chimie.

Ils attribuent à ce sirop, & non sans raison, la vertu & la faculté d’inciser,
d’atténuer, d’ouvrir & de mondifier : aussi-bien que celle de rafraîchir & de
tempérer les chaleurs qui proviennent de la bile, celle de résister à la pourriture
& aux corruptions, & finalement celle de chasser par les urines, & de provoquer
la sueur. J’avoue que tout cela est possible, lorsque ce sirop est bien fait ; mais
qu’il n’aura jamais toutes ces belles vertus, s’il n’est préparé comme nous le
dirons ci-après.

J’ai pris la description de ce sirop de la Pharmacopée d’Ausbourg, comme de la


plus correcte qui se voit aujourd’hui ; car je l’avais pris de celle de Bauderon, ou
de quelque autre encore plus ancien, j’y ferais remarquer des absurdités
beaucoup moins tolérables que celles que nous allons faire voir. Qu’y a-t-il, je
vous prie, de plus mal digéré, que de commander de cuire cinq livres de sucre
avec quatre livres d’eau à un feu de charbons allumés, enflammés, & d’écumer
incessamment, jusqu’à la consomption de la moitié, sans l’avoir clarifié
auparavant ; & puis d’y ajouter trois ou quatre livres de vinaigre, pour achever
de cuire le tout en sirop, vu que le vinaigre possède aussi ses impuretés & son
écume, & qu’ainsi c’est à recommencer. Voilà néanmoins ce que commande
Bauderon.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 189

Les autres n’ont pas mieux réussi avec leur sucre clarifié, & ne méritent pas
moins d’être repris. Car l’expérience même répugne à ce qu’ils prétendent : cet
axione qui dit, que frustra su per plura, illud, quod aque bene, vel melius sueri potest
per panciora, montre évidemment que c’est très mal fait de mettre quatre livres
d’eau avec le sucre & le vinaigre, pour les réduire en sirop : puisque outre que
l’eau est ici tout à fait inutile, je dis même qu’elle y est absolument nuisible pour
deux raisons : la première , parce que l’ébullition de cette eau cause la perte de
beaucoup de temps, qui doit être précieux à l’Artiste ; & la seconde, qui est
encore beaucoup plus considérable, elle l’est à cause que l’eau enlève avec soi
en bouillant longtemps, les parties les plus subtiles, les volatiles & les salines du
vinaigre, qui sont celles qui constituent la vertu incisive & apéritive, qui est le
propre & spécifique de ce sirops Car je souhaiterais de grand cœur, qu’on me
pût dire à quoi quatre livres d’eau peuvent servir à ce sirop, quelle vertu elles
lui peuvent communiquer : car si on me dit que c’est pour servir à la dépuration
du sucre, & que c’était la pensée de Bauderon ; je demanderai la raison
pourquoi la Pharmacopée d’Ausbourg y demande aussi quatre livres d’eau,
puisqu’elle prescrit de prendre du sucre clarifié, tellement que je trouve que les
uns ni les autres n’ont aucune raison. C’est pourquoi, il faut que ceux qui
voudront faire ce sirop comme il faut, avec toutes les vertus & les puissances
qui sont nécessaires, pour suivre l’intention des Médecins, le fassent de la
manière qui suit.

Prenez une terrine de faïence, de terre vernissée ou de grès, que vous placerez
sur un chaudron plein d’eau bouillante, que nous appellerons le bain-marie
bouillant : mettez dans cette terrine deux livres de sucre fin en poudre très
subtile, sur quoi vous verserez dix-huit onces de vinaigre distillé dans une
cucurbite de verre au sable, & rectifié au bain-marie, pour en tirer toute
l’aquosité ou le phlegme, comme nous l’enseignerons, lorsque nous traiterons
du vinaigre ; agiter le sucre & le vinaigre distillé ensemble, avec une spatule ou
avec une cuillère de verre, jusqu’à ce que le tout soit dissout & réduit en sirop,
qui sera d’une juste consistance, qui sera de longue durée, & qui aura toutes les
vertus qu’on désire dans le sirop acéteux simple. Je laisse à présent le jugement
libre & le choix aussi de faire ce sirop à l’antique ou à la moderne, & je sais que
ceux qui connaîtront les choses, suivront toujours la raison & l’expérience qui
conduisent à faire cuius, tutius, & jucundius, c’est-à-dire, plus promptement,
plus sûrement & plus agréablement ; afin de faire voir que la Chimie est & sera
toujours l’unique école de la vraie Pharmacie. Pour la fin de cet examen, notez
en passant, que neuf onces de liqueur claire de soi-même ou clarifiée, selon les
préceptes de l’an, sont suffisantes pour réduire une livre de sucre en

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 190

consistance de sirop, par une simple dissolution à la chaleur du bain vaporeux ;


afin que cela serve de remarque générale, lorsque nous parlerons des autres
sirops simples ou composés.

§. 2. La façon générale de faire comme il faut les sirops des sucs acides des fruits, comme
ceux du suc de citrons, d’oranges, de cerises, de grenades, d’épine-vinette, de coings, de
groseilles, de framboises, de pommes, &c.

Nous n’avons pas beaucoup de remarques à faire sur ces sirops, parce que ce
sont ceux où la Pharmacie ordinaire pèche le moins ; cependant comme il y a
quelque petite observation que nous jugeons nécessaire à l’instruction de notre
Apothicaire Chimique, nous ne l’avons pas voulu négliger.

Prenez donc celui qu’il vous plaira de ces fruits, dont vous tirerez le suc
artistement, selon la nature de chacun d’eux en particulier, avec cette
précaution de ne se servir d’aucun vaisseau métallique pour les recevoir ; &
qu’on ait aussi grand soin de séparer les grains & les semences de ces fruits,
tant parce qu’il y en a qui sont amers, que parce qu’il s’en trouve qui ont la se-
mence mucilagineuse & glaireuse, & qu’ainsi cela ferait acquérir un goût étran-
ger aux sucs, ou une viscosité qui nuirait à la perfection du sirop. Et pour les
fruits qui doivent être râpés pour en tirer le suc, il faut avoir des râpes d’argent,
ou de celles qui sont faites d’un fer blanc, qui soit bien net & bien étamé ; car le
fer communique très facilement son goût & sa couleur à la substance du fruit
acide, ce que font aussi le cuivre, l’airain ou le laiton. Tout cela ayant été
observé avec exactitude, il faut laisser dépurer les sucs, qui sont liquides d’eux-
mêmes, jusqu’à ce qu’ils aient déposé une certaine limosité, & des corpuscules
ou des atomes, qu’on séparera par la filtration. Mais pour ce qui est des sucs
des fruits, qui sont d’une substance molle, lente & visqueuse ; il faut laisser
affaisser & comme fermenter leurs sucs en quelque lieu frais, & séparer après le
suc, qui devient le plus clair de soi-même, & qui surnage dessus le reste, parce
que si on fait autrement, on fera plutôt une gelée qu’un sirop.

Après que toutes ces sortes de sucs seront bien & dûment préparées, comme
nous venons de le dire, il faut les mettre dans une cucurbite de verre au bain-
marie, & les évaporer jusqu’à la consomption du tiers, ou même de la moitié.
Or, on ne doit pas craindre que cette façon d’agir fasse perdre quelque portion
de l’acidité du suc ; puisqu’au contraire cela l’augmentera, en ce que l’acide
demeure toujours le dernier, & qu’il ne s’évapore que le phlegme ou l’aquosité
inutile ; & de plus, cette opération servira pour séparer ce qui pourrait y rester
de féculence dans le suc ; car on doit remarquer que deux heures de digestion
au bain-marie dépureront plutôt un suc, que trois jours d’insolation du même
190
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 191

suc ; mais ce qui est encore de plus notable, c’est que les sucs qui sont dépurée
de cette façon, ne se moisissent que très rarement, & qu’on les peut conserver
beaucoup plus longtemps que les autres, sans aucune altération.

Pour ce qui est de la préparation du sirop, il faut suivre le modus saciendi, que
nous avons donné ci-devant au sirop acéteux ; savoir, de prendre neuf onces de
suc bien préparé, pour une livre de sucre en poudre, ou pour le même poids de
sucre, qui soit cuit en électuaire solide ou en sucre rosat, & les faire dissoudre à
la chaleur du bain vaporeux, dans des vaisseaux de terre vernissée ou dans du
verre, sans jamais se servir d’aucun vaisseau de métal, lorsqu’on maniera des
acides.

§. 3. Comment il faut faire les sirops des sucs qui se tirent des plantes, tant de celles qui
sont inodores, que de celles qui sont odorantes, avec les remarques nécessaires à leurs
dépurations.

Nous avons ici trois sortes de planta à considérer, & par conséquent trois sortes
d’exemples à donner pour en bien faire les sirops, avec la conservation de leur
vertu propre & essentielle, ce que nous partagerons en trois classes.

La première, sera des plantes inodores succulentes, telles que sont les espèces
d’oseille, la chicorée, la sumeterre, la mercuriale, le pourpier, la bourrache, la buglosse,
le chardon bénit & les autres de pareille nature.

La seconde, sera de celles qui sont aussi inodores, & quelquefois ont aussi de
l’odeur ; mais dont le suc est rempli d’un esprit & d’un sel volatil très subtil,
telles que sont les plantes anti-scorbutiques, comme le cochlearia, les cressons, les
espèces de sium, de moutarde & de moutardelle, la berle & le pourpier aquatique,
qu’on appelle beccabunga.

Et la troisième, sera des plantes qui sont odorantes & succulentes, telles que sont
la bétoine, l’hyssope, le scordium, l’ache, le persil, l’eupatoire, & les autres de même
catégorie.

§. 4. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la première classe.

Il faut prendre la plante dont vous voudrez tirer le suc, que vous couperez
menu, puis la battrez au mortier de marbre ou de pierre, vous la presserez avec
tout le soin & les observations, que nous avons marquées dans le discours que
nous avons fait ci-devant sur les eaux distillées de ces mêmes plantes ; &
lorsque le suc sera bien dépuré au bain-marie, & qu’on en aura tiré une
suffisante quantité de phlegme ou d’eau, qui est de trois parties en tirer deux

191
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 192

par la distillation ; alors il faut mêler une livre & demie de sucre, avec une livre
de ce suc ainsi dépuré & distillé, & les cuire ensemble, jusqu’en consistance de
sucre rosat, qu’il faudra décuire & réduire en sirop, avec six ou sept onces de
l’eau que vous aurez retirée du suc par la distillation au bain-marie ; ainsi vous
aurez un sirop, qui sera doué de toutes les vertus de la plante ; & lorsque vous
voudrez faire des apozèmes ou des juleps, vous mêlerez une once ou deux de
l’un de ces sirops avec trois ou quatre onces de son eau, que vous appliquerez
aux maladies, selon les vertus & les qualités qu’on attribue à cette plante : notez
qu’on peut garder ces sucs, ainsi dépurés par la distillation une ou deux années,
sans aucune corruption, à cause qu’ils font suffisamment chargés du sel
essentiel nitro-tartareux de ces plantes ; mais qu’il faut néanmoins les couvrir
avec de l’huile, pour empêcher la pénétration de l’air, qui est le grand altérateur
de toutes choses, & qu’il faut aussi les tenir en un lieu qui ne soit ni trop
humide, ni trop sec.

§. 5. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la seconde classe.

Il faut tirer le suc de ces plantes avec les mêmes précautions que nous avons
enseignées, lorsque nous avons parlé des esprits des plantes, de leurs eaux
distillées & de leurs extraits, où nous renvoyons l’Artiste, pour éviter la
répétition inutile & ennuyeuse. Mais comme nous avons déjà dit plusieurs fois,
que les plantes anti-scorbutiques étaient composées de parties subtiles, &
qu’elles avaient en elles un esprit salin, qui est volatil, mercuriel & sulfuré, qui
s’évanouit & qui s’envole facilement ; aussi faut-il que l’Apothicaire Chimique
travaille soigneusement & diligemment à leur préparation, lorsqu’il aura une
fois commencé, afin qu’il ne perde point par sa négligence, ce qu’il doit
conserver avec étude, & qui ne se peut plus recouvrer, lorsqu’il est une fois
échappé. Voici donc la seule différence qu’il y a de la préparation de ces sucs &
de ces sirops avec les précédents. C’est que lorsque l’on les distille au bain-
marie, il faut avoir un égard très judicieux, de recevoir à part cinq onces de la
première eau, qui montera de chaque livre de suc ; parce que ces cinq onces
auront enlevé avec elles la portion de l’esprit & du sel volatil d’une livre de suc
: vous continuerez ensuite la distillation, jusqu’à ce que vous ayez retiré la
moitié de l’humidité de votre suc ; alors vous cesserez & mettrez une livre de ce
suc, avec une livre & demie de sucre, que vous cuirez en sucre rosat, & que
vous réduirez en sirop, par une simple dissolution à froid , avec six ou sept
onces de l’eau spiritueuse & subtile, qui est montée la première, & que vous
aurez réservée à cet effet ; ainsi vous aurez un sirop rempli de toutes les vertus
de son mixte, comme cela se prouvera manifestement par l’odeur & par le goût;
mais principalement par les effets merveilleux qu’il produit dans toutes les

192
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 193

maladies scorbutique, soit que vous le donniez seul, soit que vous le mêliez
avec la seconde eau que vous aurez réservée. Vous pourrez aussi garder de ces
sucs, pour en être fourni dans la nécessité, pour le temps que les plantes ne sont
pas en vigueur, en y apportant néanmoins les précautions requises à cet effet.

§. 6. Comment on fera les sucs & les sirops des plantes de la première classe.

Nous ne ferons pas ici de répétitions inutiles, puisqu’il suffit que nous disions
qu’il faut que l’Artiste prépare son suc, comme il le doit, pour en faire ce qui va
suivre. Lorsque vous aurez le suc de quelqu’une de ces plantes odorantes, il
faut le mettre au bain-marie, pour le dépurer par une simple & lente digestion,
afin d’en séparer les fèces & l’écume qui surnage. Après avoir coulé ce suc à
froid par le blanchet, il faut en prendre quatre livres, & les mettre dans une
cucurbite qui ait un chapiteau aveugle, ou un vaisseau de rencontre qui joigne
bien exactement ; il faut mettre dans ce suc une livre & demie des sommités &
des fleurs de la même plante, qui ne soient point laitues au mortier, mais qui
soient simplement coupées fort menu avec des ciseaux ; puis il faut fermer les
vaisseaux & les lutter avec de la vessie trempée dans du blanc d’œuf battu, & la
placer au bain-marie, aune chaleur lente vingt quatre heures durant ; après
quoi, il faut ôter le dessus du vaisseau, & y appliquer un chapiteau qui ait un
bec, afin de tirer de ce suc empreint de la nouvelle vertu de sa plante, vingt
onces d’une eau spiritueuse très odorante : cela étant fini, il faut cesser le feu, &
pousser ce qui reste au fond de la cucurbite, & le garder jusqu’à ce que vous
ayez fait ce qui suit.

Mettez les vingt onces d’eau odorante dans un vaisseau de rencontre ; à ces
vingt onces, vous ajouterez encore dix onces de nouvelles sommités de la plante
sur laquelle vous travailler, que vous luttera & ferez digérer à la lente chaleur
du bain, pendant un jour naturel. Vous laisserez refroidir & presserez
doucement le tout, afin qu’il ne soit pas trouble, & le garderez jusqu’à ce que
vous ayez fait bouillir ce qui vous était resté avec le marc de l’expression , &
que vous l’ayez clarifié avec des blancs d’œufs, & cuit avec trois livres de sucre,
en consistant de tablettes : ensuite il le faudra décuire à froid, ou seulement sur
l’eau tiède, avec les vingt onces de votre eau odoriférante, qui contient la vertu
mumiale & balsamique de la plante, & vous aurez un sirop auquel il ne
manquera rien de ce qu’il doit avoir, pour suivre nettement l’intention de la
nature & celle de l’art.

Mais il me semble que j’entend la plupart des Apothicaires, qui diront que c’est
allonger la méthode de faire les sirops, & que personne ne voudra récompenser
la peine qu’ils se donneront à bien faire : que de plus, ils seront obligés de faire
193
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 194

les frais d’un bain-marie & des vaisseaux de verre, qui sont nécessaires à la
digestion & à la distillation : que ces vaisseaux sont fragiles, & qu’ainsi tout cela
joint ensemble, augmentera le prix du remède : que même, il y en aura d’autres
qui ne seront pas si circonspects, qui donneront leurs sirops au prix commun :
que le peuple court au meilleur marché, sans connaître la bonté de la chose, &
que par ce moyen la boutique se déchalandera.

Il faut répondre à toutes ces objections, qui ne sont pas sans quelque fondement
: premièrement, pour ce qui est du bain-marie, il n’étonnera que par son nom,
ceux qui ne savent ce que c’est ; car ce n’est qu’un chaudron, qui leur pourra
servir à toutes les nécessités de la boutique. Secondement pour les vaisseaux, ne
sont-ils pas obligés d’en avoir pour d’autres distillations, s’ils se veulent
acquitter dignement de leur vocation, ou au moins en faire le semblant. Que
s’ils en appréhendent la rupture, ils pourront avoir des cucurbites de grès & de
faïence pour les acides, & de celles de cuivre étamé pour les autres matières ; il
y aura néanmoins encore un inconvénient, qui est, qu’ils ne pourront pas juger
de la dépuration des matières, ni de la quantité qui demeure, non plus que de la
consistance, à cause de l’opacité des vaisseaux. Mais la dernière considération
doit l’emporter par-dessus toutes les autres : car chacun est obligé par le
serment qu’il a prêté lors de la Maîtrise, de faire sa profession avec toute
l’exactitude requise, & à l’acquit de sa conscience. Il faut donc que ce dernier
but l’emporte sur tout le reste, & qu’il serve d’aiguillon & d’attrait à bien faire :
car ceux qui le feront de la sorte, trouveront le support de Messieurs les Méde-
cins, qui recommanderont leurs boutiques ; & lorsque les honnêtes gens seront
informés de leur candeur & de leur assiduité au travail, ils contribueront de
grand cœur à récompenser la vertu de ceux qui travailleront aux médicaments,
qui sont capables de conserver leur santé présente, & de faire renouveler celle
qui sera perdue ou altérée.

Continuons donc à faire voir le défaut de l’ancienne pharmacie, & ne nous


contentons pas de prouver qu’on a mal fait; mais enseignons comme il faut
mieux faire.

Pour cet effet, il faut que nous donnions encore trois exemples des sirops
simples, qui seront ceux des fleurs odorantes, des écorces de même nature, &
ceux des aromates ; afin que quand les Apothicaires cuiront des sirops de cette
sorte, on ne sente point leurs boutiques de trois ou quatre cents pas, ce qui
témoigne la perte de la vertu essentielle des parties volatiles & sulfurées des
substances des fleurs, & des écorces odorantes & celle des aromates : si ce n’est
que ces Apothicaires veuillent faire sentir leurs boutiques de bien loin, par une

194
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 195

vaine politique, qui néanmoins est très dangereuse & très dommageable à la
société civile. Et comme les contraires paraissent beaucoup mieux, lorsqu’ils
sont opposés : nous dirons premièrement, comment on a mal fait ;
secondement, pourquoi on a mal fait : pour enseigner & faire comprendre
ensuite les moyens de mieux travailler.

§. 7. La façon ancienne de faire le sirop de fleurs d’oranges.

Prenez une demie livre de sieurs d’oranges récentes : faites-les infuser dans
deux livres d’eau claire & nette, qui soit chaude, durant l’espace de vingt-quatre
heures : après quoi, faites-en l’expression ; & réitérer encore la même infusion
deux fois, avec une demie livre de nouvelles fleurs à chaque fois. L’expression
& la colature faites, cuisez vingt onces de cette infusion en sirop avec une livre
de sucre très blanc. Notez ici une fois pour toutes, que je n’entends pas ici le
poids médicinal ; mais que j’entends le poids ordinaire des Marchands, qui est
ce seize onces à la livre.

Avant que de faire voir le défaut de ce récipé, il faut que nous disions les vertus
qu’on attribue au sirop qui en provient, afin que nous fassions mieux connaître
qui a tort ou qui a droit. On dit donc que ce sirop réjouit merveilleusement le
cœur & le cerveau, que c’est un restaurant des esprits, qu’il provoque les sueurs
; qu’il est par conséquent très salutaire contre les maladies malignes &
pestilentes, parce qu’il chasse & qu’il pousse ce qui est infecté de ce venin, du
centre à la circonférence, & en fait paraître les taches & les marques. Tout cela
peut être vrai, si ce sirop est bien fait : mais on est frustré de ces nobles effets,
par la mauvaise façon que nous venons de décrire. Parce qu’il ne reste à ce sirop
qu’une amertume ingrate, qui lui vient de son sel matériel & grossier : au lieu
de cette pointe agréable au goût, & de ce fumet subtil & délicat, qui se discerne
par l’odorat, qui est proprement la marque que ce sirop n’est pas privé de son
sel volatil sulfuré, dans lequel résident toutes les vertus qu’on en espère. Mais
la coction de ce sirop, qui ne se peut faire sans bouillir, emporte toute cette
vertu subtile, ce qui est cause qu’il ne répond pas aux indications du savant &
de l’expert Médecin, & encore moins à l’espérance du malade.

§. 8. La façon de faire chimiquement & comme il fut de sirop de fleurs d’oranges.

Prenez une livre & demie de fleurs d’oranges, qui auront été cueillies un peu de
temps après le lever du Soleil ; mettez-les dans une cucurbite de verre, & les
arroser de douze onces de bon vin blanc, & d’autant d’excellente eau de roses ;
couvrez le vaisseau de son chapiteau, dont vous lutterez très exactement les
jointures ; placez-les au bain-marie, & en retirez par la distillation faite avec un

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 196

feu, que vous augmenterez par degrés, huit onces d’esprit ou d’eau spiritueuse,
qui sera très odorante & très subtile, que vous garderez à part : continuez le feu
& tirez une seconde eau, presque jusqu’à la sécheresse de vos fleurs ; après cela
cessez le feu, & faites bouillir les fleurs qui vous sont restées dans deux livres
d’eau commune, jusqu’à la consomption d’une livre ; pressez cette décoction,
qui est remplie de l’extrait & du sel fixe des fleurs ; clarifiez la avec les blancs
d’œufs, & la cuises en consistance de sucre rosat avec une livre de sucre, que
vous décuirez après avec les huit onces d’eau spiritueuse, & cela à froid ; &
vous aurez le vrai sirop de fleurs d’oranges, pleinement rempli de toutes leurs
vertus.

La seconde eau que vous aurez tirée servira d’eau cordiale & alexitaire pour y
mêler le sirop, lorsque le Médecin l’ordonnera. Cette préparation servira de
modèle pour faire les sirops des autres fleurs, qui sont ou qui approchent de la
nature des fleurs d’oranges. Suivons à présent par l’exemple du sirop des
écorces odorantes, & prenons celle du citron.

§. 9. L’ancienne façon de faire le sirop de d’écorce du citron.

Prenez une livre de l’écorce extérieure des citions récents, deux drachmes de
graine d’écarlate ou de Kermès, & cinq livres d’eau commune ; faites cuire &
bouillir le tout ensemble, jusqu’à la consomption de deux parties ; couler ce qui
reste, & y ajoutez une livre de sucre, que vous réduirez à la juste consistance de
sirop, que vous aromatiserez avec quatre grains de musc. Voilà leur manière
d’ordonner & de faire, qui est tour à fait indigne d’un bon & d’un vrai
Physicien, comme nous le ferons voir par les vertus qu’ils attribuent à ce sirop,
& par la confession ingénue qu’ils font, que la bonne odeur lui est tout à fait
nécessaire pour l’élever & le faire parvenir jusqu’au haut point des vertus qu’ils
lui attribuent. Qui sont telles, de fortifier l’estomac & le cœur, de passer au-
dehors & de corriger les humeurs pourries, corrompues & puâmes du
ventricule, d’ôter la mauvaise haleine, de résister aux maladies venimeuses &
pestilentes, de remédier à la palpitation ou aux battements du cœur, & de
dissiper la tristesse. Toutes ces vertus sont propres & essentielles au sel volatil
sulfuré de l’écorce du citron, comme le témoigne très bien son odeur & son goût
si agréable.

Mais voyons, je vous prie, comment ces prétendus Maîtres s’imaginent de


pouvoir introduire & conserver ce goût & cette odeur dans le sirop, dont il est
question, ou dans un julep de sucre & d’eau, cuits ensemble en consistance de
sirop. Ils ordonnent de mettre dans l’un ou dans l’autre une quantité judicieuse
de l’école extérieure du citron, sans dire si ce sera à chaud ou à froid, vu que
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 197

quand même ils auraient eu cette précaution, encore ne servirait-elle de rien :


car si c’est à chaud qu’on y met l’écorce, son fumet & son esprit volatil
s’évanouiront aussitôt, & ne laissera qu’une odeur & qu’un goût de
térébenthine ; & si c’est à froid, la viscosité & la lenteur du sirop qui est chargé
de l’amertume & de l’extrait de l’écorce précédente, ne pourra pas recevoir, ni
ne sera capable d’extraire cette puissance qu’on y veut introduire, quoiqu’elle
soit très subtile de soi-même. Ils auraient néanmoins beaucoup mieux fait, s’ils
avaient prescrit à l’Apothicaire de presser entre ses doigts des restes d’écorce de
citron, & de faire entrer cette humidité spiritueuse & oléagineuse dans du sucre
très fin réduit en poudre très subtile, jusqu’à ce qu’il commençât à se fondre, &
alors achever la dissolution de ce sucre avec un peu de suc de citrons bien filtré,
& ainsi aromatiser leur sirop tout cuit avec cette agréable liqueur. Mais cette
manière d’agir n’est pourtant pas encore digne d’un Artiste ou d’un
Apothicaire Chimiste, il y procédera donc de la manière qui suit.

§. 10. La manière de faire artistement le sirop d’écorces du citron.

Prenez une demie livre de l’écorce extérieure & mince des citrons nouveaux,
hachez-la fort menu avec des ciseaux ou avec un couteau ; mettez-la dans une
cucurbite de verre, & l’arroser avec une livre & demie de bon vin blanc, ou ce
qui sera encore mieux, avec autant de bonne malvoisie ou de bon vin d’Espagne
; tenez cela quelque peu de temps en digestion, retirez par la distillation que
vous ferez avec les précautions que nous avons dites, dix ou douze onces d’eau
spiritueuse, ou d’esprit très subtil & très odorant, sans autre addition ; si c’est
pour les femmes, à cause de la matrice, qui ne peut souffrir l’odeur du musc, ni
le goût de l’ambre. Mais si c’est pour des hommes, ou pour des femmes qui ne
soient pas sujettes aux passions hystériques, mettez dans le bec du chapiteau,
qui servira à cette distillation, un nouet de toile de soit crue, qui contiendra une
demie once de graine de Kermès, qui ne soit, ni surannée, ni vermoulue ; huit
grains d’ambre gris & quatre grains de musc ; & ainsi les premières vapeurs qui
sont très subtiles, très pénétrantes & très dissolvantes, étant condensées en
liqueur qui distillera par ce bec, emporteront avec elles, la teinture, la vertu,
l’essence & l’odeur de ces trois corps, dont tout le reste sera empreint &
parfumé. Mettez ensuite en digestion à froid encore trois onces d’écorce de
citron, qui ne soit que superficielle, mince & subtile, & qui soit coupée bien
menu, dans l’eau spiritueuse que vous avez tirée de la première : coulez cette
macération à travers un linge net & fin sans expression, & le garder dans une
fiole qui soit bien bouchée, jusqu’à ce que vous ayez fait bouillir dans deux
livres d’eau commune l’écorce, qui vous est restée de la distillation, & même
celle de l’expression, tant que la liqueur soit réduite à la moitié, que vous

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 198

presserez, clarifierez & cuirez en sucre rosat, avec une livre de sucre très blanc,
qu’il faut après cela décuire en consistance de sirop, avec la quantité requise de
l’eau spiritueuse essencifié. Il faut garder ce sirop avec soin, parce qu’il est
autant ou plus utile durant la santé, que pendant la maladie ; car une cuillerée
de ce sirop mêlée avec du vin blanc, ou avec du sucre & de l’eau, composent
ensemble une limonade très agréable & très odoriférante ; ceux qui voudraient
rendre cette boisson d’une agréable acidité, pourront y joindre du jus de citron,
ou bien quelques gouttes d’aigre de soufre ou d’esprit de vitriol, si c’est dans la
maladie, pourvu que ce soit de l’ordre d’un bon Médecin. Ce sirop donnera
aussi l’exemple de faire comme il faut celui de l’écorce d’orange, qui n’est pas
moins utile que le précédent, & principalement pour les femmes, & pour ceux
qui sont sujets aux indigestions & aux coliques. Continuons notre troisième
exemple des sirops des aromates.

§. 11. Comment on a fait communément le sirop de cannelle.

Prenez deux onces & demie de cannelle fine & subtile, c’est-à-dire, qui ait un
goût pénétrant & piquant ; mettez-la en poudre grossière, & la digérez en un
lieu chaud dans une cucurbite de verre, avec deux livres de très bonne eau de
cannelle l’espace de vingt-quatre heures, que le vaisseau soit si bien bouché,
que rien ne puisse expier. Ce temps passé, faites-en la colature & l’expression ;
puis remettez deux autres onces & demie de nouvelle cannelle en infusion,
autant de temps que la précédente que vous garderez ; & continuer ainsi
jusqu’à quatre fois ; garder cette infusion empreinte des vertus de la cannelle à
part ; puis prenez la cannelle qui reste des expressions, & versez dessus une
livre de malvoisie, ou de quelque autre vin généreux & fort ; faites-en aussi
l’infusion, puis en tirez toute la liqueur par une forte expression, que vous
joindrez à l’infusion précédente, avec deux onces de très odorante eau de roses
& une livre de sucre, & les cuirez ensemble en sirop dans un pot de terre bien
couvert.

Je sais qu’il n’y a personne qui connaisse tant soit peu la cannelle, & les parties
qui fournissent & qui contiennent ses vertus, comme aussi celles des autres
aromates, & principalement celles du girofle; qui ne s’étonne & qui ne hausse
les épaules de pitié, lorsqu’on lira cette sotte & cette absurde description d’un
des plus nobles sirops & des plus excellents qu’un Apothicaire puisse faire, ou
puisse tenir dans sa boutique, & que ses Auteurs destinent à la récréation & au
rétablissement des esprits vitaux, à réveiller & à ramener la chaleur & la vie au
cœur & à l’estomac, lorsqu’elle en a été chassée par quelque froidure mortelle,
qui corrige aussi la puanteur de la bouche & celle du ventricule, qui aide à la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 199

digestion, & qui enfin est capable de réparer & conserver universellement
toutes les forces du corps. Je sais, dis-je, que pour peu qu’une personne soit
versée dans la distillation, & dans l’extraction de la substance éthérée des
aromates & particulièrement de la cannelle ; il est impossible qu’elle n’ait une
secrète horreur de voir des manquements si grossiers, dans un dispensaire, où
tant de graves Docteurs ont mis la main. Toutes les vertus qu’on attribue au
sirop de cannelle, sont vraies & réelles, pourvu qu’elles y soient conservées ;
mais examinons un peu, je vous prie, & voyons de quelle belle & judicieuse
précaution les Auteurs se servent pour cet effet. Ils ordonnent à l’Apothicaire de
cuire ce sirop dans un pot de terre qui soit exactement bouché : mais
considérez, qu’en même temps qu’ils prescrivent la clôture du vaisseau, qu’ils
veulent qu’on fasse cuire ce qu’il contient en consistance de sirop, ce qui ne se
peut faire que par l’évaporation lente de la liqueur superflue, ou par son
ébullition. Que si le couvercle du pot dans lequel on le cuira, a un rebord qui
entre en dedans & qui soit juste, qu’il ferme exactement ce pot, & que les
jointures en soient bien lutées, afin qu’il ne se puisse faire aucune expiration ;
l’Artiste ou l’Apothicaire ne parviendront jamais à leur but, qui est de faire un
sirop, comme on le leur a ordonné, puisqu’il se fera une circulation perpétuelle
des vapeurs du bas au haut ; car ce qui s’élèvera du bas se condensera au haut
du couvercle & retombera, sans espérance d’acquérir par ce moyen la
consistance d’un sirop. Il faut donc nécessairement qu’il se fasse de l’expiration,
voire même de l’ébullition, pour consumer deux livres & demie de liqueur
surabondante pour la consistance du sirop. Or, ne serait-ce pas un grand
dommage & une perte très considérable, de laisser aller en l’air inutilement
deux livres & demie & davantage d’une eau spiritueuse, d’une odeur très
agréable, d’un goût très délicieux & d’une très grande efficace ? Il n’y a
pourtant que la Chimie, qui soit capable de réparer ces défauts, puis qu’elle
nous fait connaître que la cannelle possède en soi, aussi bien que les autres
aromates, un sel volatil sulfuré si subtil, que la moindre chaleur est capable de
l’extraire & de le chasser, si l’Artiste n’observe avec exactitude de boucher
comme il faut, non seulement les jointures de l’alambic , mais aussi celles du
bec, à l’endroit qu’il se joint à l’embouchure du récipient ; autrement il perdra le
plus subtil & le plus efficace de l’esprit salin de la cannelle, qui est accompagné
de celui de la malvoisie, ou de celui de quelque autre vin qu’on y aurait
substitué.

Poursuivons à faire voir, jusqu’où va l’imperitie des Artistes, qui ont fait cette
description, par l’addition de deux onces de très bonne eau de roses sur dix
onces de cannelle, sur deux livres de très-bonne eau de cet aromate, & sur une

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 200

livre de malvoisie ; & ce qui est encore plus ridicule, c’est qu’il faut que l’odeur
de cette eau se perde avec la partie subtile & volatile des autres. Mais on pourra
m’objecter que le sucre qui est un sel végétable, de la nature moyenne entre le
fixe & le volatile, sera capable de retenir à soi l’esprit & le sel volatil de le
cannelle, & qu’ainsi c’est à tort que je déclame contre ce sirop, puisque ce
moyens unissant, est capable de conserver la vertus de ce qui entre dans sa
composition.

Cet argument semble avoir de la force & en a même beaucoup. Nous ferons
pourtant voir la vérité sans la déduire, & cela par la distinction qui suit. Nous
distinguons donc entre le sucre chaud & entre le sucre froid. Car nous
confessons bien que le sucre réduit en poudre subtile, est capable de recevoir en
soi les huiles éthérées des aromates, & encore toutes les autres huiles distillées,
qu’il est même capable de les unir & de les mêler indivisiblement, avec les
esprits & avec les eaux, ce qui n’est pas un des moindres secrets de la Chimie ;
mais nous nions absolument que cette union & ce mélange se puissent faire à
chaud, non pas à la moindre chaleur ; & par conséquent encore beaucoup moins
à celle qui est nécessaire à la cuite d’un sirop, où il faut évaporer plus de deux
livres de liqueur superflue. Nous avons été obligés d’entrer dans la discussion
de tout ce que dessus, pour faire voir la vérité de plus en plus, & pour faire
connaître très évidemment la belle & l’absolue nécessité de la Chimie, puisqu’il
n’y a que cette seule Maîtresse, qui puisse enseigner à bien faire toutes les
préparations de la pharmacie.

§. 12. Comment il faut faire le sirop de cannelle selon les préceptes de la Chimie.

Ce sirop servira de règle pour bien faire tous les autres sirops des aromates,
dont il n’est pas besoin de donner les recettes, puisque la présente servira pour
tous.

Prenez dix onces de très bonne cannelle que vous coupera menu, & la mettrez
dans une cucurbite de verre, sur laquelle vous verserez trois livres de bon vin
d’Espagne ou de malvoisie, ou même de quelque autre vin qui soit fort &
généreux, & une livre de très-bonne eau de roses ; couvrez la cucurbite de son
chapiteau, dont il faut lutter exactement les jointures ; mettez-là au bain-marie,
& lui adapter un récipient, que vous lutterez aussi avec le bec de l’alambic ;
donner un petit feu de digestion durant douze heures ; puis donner le feu de
distillation, en sorte que les gouttes se suivent l’une l’autre, sans néanmoins que
le chapiteau s’échauffe trop : mais qu’on y puisse souffrir la main sans peine ;
continuer ainsi tant que la cannelle paroisse sèche ; cesser alors, & métier cette
cannelle à part. Réitérez ce que vous aurez fait avec autant de cannelle, versant
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 201

dessus l’eau que vous aurez retirée, & distiller comme auparavant, faites cela la
troisième fois ; & quand vous aurez achevé, mettez votre eau dans une
bouteille, que vous boucherez avec du liège ciré, & la couvrirez avec de la
vessie mouillée, afin qu’elle n’exhale pas le meilleur & le plus subtil de sa vertu.

Prenez ensuite toute la cannelle qui vous est restée ; mettez-la dans la cucurbite,
& verser dessus quatre livres d’eau commune ; couvrez-la de son chapiteau,
lutter & distillez au sable, & en retirez une livre & demie, afin que s’il était resté
quelque substance volatile & virtuelle dans la cannelle, vous la retiriez sans la
perdre : cette dernière eau servira dans le laboratoire pour la dernière lotion des
magistères & des précipités , aussi bien qu’à l’extraction de quelques teintures,
faites bouillir ensuite la cannelle au sable sans chapiteau, parce qu’il n’y a plus
rien à espérer. Couler & pressez toute la liqueur, qui est empreinte de l’extrait &
du sel fixé de la cannelle ; clarifiez-la & la cuisez en tablettes avec deux livres de
sucre fin, qu’il faudra décuire à froid avec une livre de l’eau spiritueuse que
vous aurez réservée : il faut mettre aussitôt ce sirop dans une bouteille qui soit
bien bouchée, afin qu’il ne perde pas ce qu’on aura conservé avec tant de
travail.

C’est un trésor dans toutes sortes de faiblesses ; mais principalement dans les
accouchement longs & difficiles, où les femmes sont épuisées de leurs forces ; &
où par conséquent, elles sont privées de la meilleure partie de leurs esprits & de
leur chaleur naturelle, si bien qu’il est nécessaire de refournir ces pauvres
languissantes de nouveaux esprits & de chaleur ; & comme il n’y a point de
végétable qui en possède davantage que la cannelle, & principalement
lorsqu’elle est animée de l’esprit du vin, tout cela se trouve concentré dans ce
sirop avec un agrément admirable, si bien qu’il est capable de produire tous les
effets que nous lui avons attribués.

La dose est depuis une demie jusqu’à une & deux cuillerées. Ceux qui
désireront rendre ce sirop encore plus excellent, mettront dans le bec du
chapiteau un scrupule d’ambre gris mêlé avec une drachme de vrai bois d’aloë
réduit en poudre, & repasseront une demie livre de leur excellente eau de
cannelle par la distillation, dont ils feront le sirop, qui sera beaucoup plus
efficace.

Il faut que nous achevions ce discours des sirops, par les remarques & les
observations que nous ferons sur les sirops composés ; parce que comme ils
sont destinés à différents usages, aussi sont-ils composés de différentes
matières, qui demandent aussi une manière différente de les préparer.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 202

Mais avant que d’entrer en matière, il faut que nous disions quelque chose qui
puisse frapper l’esprit du lecteur, afin qu’il nous puisse mieux entendre, & que
cela soit aussi plus capable d’instruire ceux, qui se consacrent à l’être de la belle
pharmacie. Et pour commencer, je dirai que les Philosophes naturalistes, qui
sont ceux qui jugent le plus sainement des choses, assurent que tout ce qui
reçoit, le fait a sa façon de recevoir, & non pas à la façon de celui qui est reçu, &
qui doit introduire quelque qualité nouvelle dans celui qui reçoit. Si cet axiome
philosophique est vrai en soi, comme personne d’un jugement sain n’en
doutera ; c’est ici particulièrement que nous en ferons voir la vérité : parce que
l’Apothicaire ne peut faire aucun sirop composé, qu’il ne fasse l’extraction de la
vertu & des teintures de diverses choses, qui doivent être reçues dans quelque
liqueur, qui est ce que les Chimistes appellent ordinairement Menstrue. Or, de
quelque nature que soit ce menstrue ou cette liqueur, elle ne se peut charger ni
s’empreindre de la teinture, ou de l’essence de quelque végétable, de quelque
animal, ou de quelque minéral que ce soit, que selon sa manière de recevoir, qui
ne peut être autre que selon le poids de nature, qui n’est autre chose que la
portée & la quantité suffisante de la matière la plus subtile du corps qu’on
extrait, dont le menstrue est chargé ; & lorsqu’il en est ainsi saoulé & rempli,
soit à froid ou à chaud, il est impossible à l’art de lui en faire prendre davantage
; parce que, comme nous avons dit, il est chargé selon le poids de nature, qu’on
ne peut outre-passer, si on ne veut tout gâter, ou qu’on ne perde inutilement les
choses ; car

Est modus in rebus, sunt certi denique fines,


Quod ultra, citraque nequit consistere rectum.

Pour exemple, prenez quatre onces de sel ordinaire, faites-les dissoudre dans
huit onces d’eau commune à chaud, & vous verrez que l’eau ne se chargera que
des trois onces de ce sel, & qu’elle laissera la quatrième ; & quoique vous fassiez
bouillir l’eau, & que vous l’agitiez avec le sel ; cependant elle n’en recevra pas
davantage, parce que s’il parait dissout à la chaleur, il se décharge au fond & se
coagule, lorsque l’eau est refroidie. Mais pour une preuve plus manifeste, que
l’eau est chargée suffisamment & naturellement ; il faut avoir une assez grande
quantité de cette eau chargée de sel, pour y mettre un œuf dedans, qui fera
connaître visiblement, si l’eau est chargée selon le poids de la nature ; car si elle
en a autant qu’elle en peut recevoir, l’œuf surnagera sans qu’il aille au fond ; &
si elle n’en est pas assez chargée, l’œuf ne manquera pas d’aller au fond, parce
que l’eau n’est pas suffisamment remplie du corps dissout pour l’en empêcher.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 203

Cela se prouve encore dans la cuite de l’hydromel ; car lorsque l’eau n’est pas
encore assez chargée du corps du miel, l’œuf ne surnagera jamais ; mais au
contraire, il va tout aussitôt au fond : mais lorsque par diverses tentatives, on
est venu à ce point que l’œuf puisse surnager ; alors c’est le vrai signe de la
cuite parfaite de l’hydromel, & que l’eau est chargée de la substance du miel
autant qu’elle le doit être, pour faire un breuvage agréable & vineux après sa
fermentation ; au lieu que s’il est chargé davantage, ce breuvage est gluant &
attachant aux lèvres, à cause du trop de miel ; & s’il ne l’est pas assez, il n’a pas
assez du corps du miel en soi, pour lui donner le goût & la force qu’il doit avoir,
parce que les esprits du miel, qui causent sa bonté, n’y sont pas assez
abondamment introduis pour faire une légitime fermentation.

Nous disons aussi la même chose de l’esprit de vin, de l’eau de vie, du vinaigre
simple & du distillé, des esprits corrosifs du sel, du nitre, du vitriol, des eaux
fortes & généralement de toutes les liqueurs, ou de tous les menstrues qui sont
capables d’extraire ou de dissoudre quelque corps, soit animal, soit végétable,
soit minéral. Par exemple, mettez du corail en poudre grossière dans un matras
& verser dessus du vinaigre distillé, jusqu’à l’éminence de trois ou de quatre
doigts peu à peu ; aussitôt vous verrez son action, & vous entendrez un certain
bruit dans son ébullition, que fait la dissolution du corps du corail ; mais
lorsque cette ébullition & ce bruit est cessé, filtrez la liqueur qui surnage, & la
mettez sur du nouveau corail en poudre, & vous verrez qu’il ne se fera plus
aucune action, ni aucun bruit ; ce qui prouve évidemment que cette liqueur est
suffisamment remplie de ce corps, & qu’elle n’en peut recevoir davantage.
Prenez aussi de l’eau, de l’eau-de-vie, ou de l’esprit de vin, & en mettez sur du
safran, jusqu’à ce qu’elle soit exaltée en très haute couleur ; prenez ensuite du
nouveau safran & verser cette teinture dessus, & vous verrez que cette liqueur
n’extraira plus, & que votre safran demeurera de la même couleur que vous
l’aurez mis dans le vaisseau. Il en est de même de tous les corps végétables, qui
entrent dans la préparation des sirops composés, comme les herbes, les fleurs,
les fruits, les semences & les racines. Tous ces corps ont en eux un sel, qui,
quoiqu’il soit de différente nature, ne laisse pas de charger de sa substance plus
ou moins visqueuse, le menstrue dont l’Apothicaire se sert, selon le dispensaire
qu’il suit, du poids de nature ; & lorsque ce menstrue est une fois empreint de la
vertu & de l’essence de quelqu’une de ces choses, jusqu’à la concurrence du
poids de nature, il est impossible qu’il puisse attirer à soi la teinture & la vertu
des autres corps qu’on y ajoute ensuite, sans qu’il se fasse quelque perte ; car la
vertu de ces corps sera ou fixe ou volatile ; si elle est fixe, le menstrue est déjà
chargé de quelque chose de même nature, & ainsi ce corps ne communiquera

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 204

point sa vertu à la décoction du sirop, qui est suffisamment chargée ; mais si la


vertu de ce corps est volatile, elle s’évaporera inutilement pendant l’ébullition
de la liqueur superflue dans la cuite du sirop.

Tout ce que nous avons dit ci-devant, fait voir que nous avons besoin de donner
les remarques que nous avons promises sur les sirops composés, & les exemples
de la division des matières qui entrent dans ces sirops, afin d’en tirer l’essence
& la vertu, selon la diverse nature qu’elles ont en elles, soit qu’elle réside dans
la partie fixe, soit qu’elle se trouve dans celle qui est volatile.

Nous nous servirons donc de l’exemple de six sirops, qui sont de six différents
usages, & par conséquent qui sont composés de différentes matières, & qui sont
extraits avec des menstrues différents, afin de faire mieux voir la vérité de
toutes les manières possibles. Ces sirops sont, premièrement un sirop stomacal,
qui est le sirop d’absinthe composé. Secondement, un sirop apéritif qui est le
sirop acéteux, ou le sirop de vinaigre composé. Le troisième, un sirop hystérique
ou pour la matrice, qui est le sirop d’armoise composé. Le quatrième, un sirop
cholagogue & hépatique, qui est le sirop de chicorée, composé avec la rhubarbe.
Le cinquième, est un sirop thorachique ou pectoral, qui est destiné aux maladies
de la poitrine, qui est celui d’hyssope. Le sixième, un sirop purgatif &
phlegmagogue, qui est le sirop de carthame, ou de safran bâtard. Nous
donnerons premièrement leur dispensation ancienne, & des remarques sur
leurs manquements ; après quoi nous montrerons comment il les faut faire à la
moderne, c’est-à-dire, chimiquement & sans défauts.

§. 13. L’ancienne façon de faire le sirop d’absinthe composé.

Prenez une demie livre d’absinthe pontique, ou de l’absinthe romain, deux


onces de roses toutes, trois drachmes de nard indic : mettez macérer cela réduit
en poudre grossière dans un vaisseau de terre vernissé durant vingt-quatre
heures, avec du bon vin vieil qui soit clairet, & du suc de coings bien dépuré, de
chacun trois livres & quatre onces ; après cela faites bouillir le tout & le coulez,
& en faites un sirop, selon les règles de l’art, avec deux livrer de sucre.

Ce sirop n’est pas un des moindres de la boutique d’un Apothicaire, pourvu


qu’il soit bien & dûment préparé : car il est composé de choses qui peuvent
produire les effets que les Auteurs lui attribuent, pourvu qu’on ne perde point
par une ignorance grossière, & qui n’est nullement pardonnable, les choses qui
constituent sa vertu ; qui sont l’esprit du vin clairet & l’essence volatile,
odorante & subtile de l’absinthe, des roses & du nard indic. Mais nous avons
déjà suffisamment dit ci-devant les raisons pour lesquelles on avait mal fait,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 205

lorsque nous avons parlé des sirops simples ; c’est pourquoi nous nous conten-
terons de dire simplement ici, que personne ne peut cuire l’infusion de ce sirop
en consistance avec deux livres de sucre, qu’on ne fasse premièrement évaporer
par la coction & par l’ébullition cinq livres & plus, de la liqueur superflue ; ce
qui ne se peut faire qu’on ne perde l’esprit du vin & le sel volatil sulfuré des
ingrédients, & ainsi il ne restera que l’acide du suc de coings, & l’extrait grossier
& matériel du reste. Il faut donc que nous donnions une autre dispensation de
ce remède, & la manière de le bien faire sans aucune perte de ses bonnes
qualités.

§. 14. Comment il faut bien faire le sirop d’absinthe composé.

Prenez six onces d’absinthe récente, trois onces de menthe, une once de
galanga, deux onces de calamus aromatique, une once & demie de roses rouges,
& une demie once de nard indic, que vous couperez bien menu, & mettrez dans
une cucurbite de verre, avec quatre livres de bon vin clairet ; vous mettrez le
tout au bain-marie avec les précautions requises au travail & à la distillation, &
en retirer, après qu’ils auront été vingt-quatre heures en infusion, dix-nuit onces
d’eau spiritueuse & odorante, que vous mettrez dans un vaisseau de rencontre,
& jetterez dedans encore deux onces & demie de sommités d’absinthe, deux
drachmes de girofles, une demie once de noix muscade, & deux drachmes de
mastic choisi, le tout réduit en poudre subtile ; & après que cela aura été deux
jours en infusion au bain vaporeux, vous le presserez à froid, & filtrerez la
liqueur que vous garderez dans une fiole, jusqu’à ce que vous ayez fait bouillir
ce qui vous est resté de votre distillation, & de l’expression dans un pot de terre
vernissé, jusqu’à la réduction de la moitié, que vous clarifierez & cuirez en
consistance de tablettes, pour le décuire après en sirop, avec l’eau essencifiée de
la vertu stomachale de l absinthe & des aromates ; si vous le voulez encore
rendre plus agissant & plus prêt à suivre vos indications ; vous y pourrez
ajouter de l’esprit de vitriol, ou de celui de sel, jusqu’à ce qu’il ait acquis une
agréable acidité, qui vaudra beaucoup mieux que l’acide, qui vous serait
demeuré du suc de coings, après une si longue & si inutile ébullition.

§. 15. Comment les anciens on fait le sirop acéteux ou le sirop de vinaigre composé.

Prenez des racines de fenouil, de celles d’ache & de celle d’endive , ou de


chicorée, de chacune trois onces : des semences d’anis, de fenouil & d’ache, de
chacune une once, de celle d’endive une demie once, faites bouillir le tout
haché, & réduit en poudre grossière dans dix livres d’eau de fontaine, a un feu
lent, jusqu’à la diminution de la moitié, que vous cuirez en sirop selon l’art,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 206

dans un vaisseau de terre vernissée, avec trois livres de sucre & deux livres de
vinaigre très fort.

Nous avons encore à nous plaindre ici des mêmes erreurs, dont nous avons si
souvent parlé ci-devant : car, je vous prie, qui ne voir une absurdité manifeste,
de faire bouillir des semences & des racines, qui sont composées de parties
subtiles & volatiles, à un feu lent avec dix livres d’eau ; & de plus, de joindre
deux livres de vinaigre à cinq livres de liqueur, afin de lui faire perdre ce qu’il a
de plus pénétrant & de plus actifs, & d’où dépend toute la vertu incisive &
apéritive de ce sirop ? Nous rendons pas pourtant ennuyeux à répéter si
souvent une même leçon ; disons seulement le moyen de mieux faire, puisque
nous nous sommes suffisamment expliqués là-dessus dans nos remarques
précédentes sur le sirop acéteux simple.

§. 15. Pour faire chimiquement le sirop acéteux composé.

Prenez des racines d’acné, de chicorée ou d’endive, & de fenouil, de chacune


trois onces ; des semences d’anis, de fenouil & d’ache, de chacune une once ; de
celle d’endive une demie once : il faut battre les semences grossièrement, &
hacher les racines bien menu, puis les mettre dans une cucurbite de verre, &
verser dessus deux livres de vinaigre distillé, qui soit bien déphlegmé ; distillez
le tout au bain-marie, jusqu’à ce que vous ayez retiré tout le vinaigre, & que les
espèces soient sèches dans le vaisseau. Garder dans une fiole le vinaigre distillé,
qui est empreint du sel volatil des racines & de celui des semences, qui lui
communiquent sa principale vertu d’ouvrir les obstructions. Tirez le reste de la
cucurbite, & le faites bouillir dans trois livres d’eau commune, jusqu’à ce qu’il
ne reste que le tiers que vous clarifierez & ferez cuire en consistance de tablettes
avec trois livres de sucre fin, & que vous décuirez à la chaleur tiède du bain en
consistance de sirop, avec le vinaigre que vous aurez retiré par distillation. Ce
sirop est excellent pour nettoyer le ventricule de ceux qu’on appelle pituiteux,
qui est ordinairement farci de glaires & de mucilages, qui enduisent ses
tuniques intérieures, qui empêchent la digestion & l’appétit, & qui sont les
causes occasionnelles des fièvres bâtardes ; il est aussi très bon pour ouvrir les
obstructions des reins, du foie & de la rate, à cause de la subtilité du tartre qui a
été volatilisé dans le vinaigre distillé, qui est aidé de la vertu subtile &
pénétrante du sel volatil & pénétrant des racines & des semences.

§. 16. Comment les Anciens ont fait le sirop d’Armoise.

On donne ordinairement ce sirop en chef-d’œuvre aux jeunes Apothicaires, qui


sont aspirants à la Maîtrise. Je crois pourtant que c’est plutôt pour sonder s’ils

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 207

connaissent les plantes, que pour éprouver s’ils seront capables de bien faire ce
sirop, avec la conservation de la vertu de ses ingrédients, qui sont véritablement
capables de produire de merveilleux effets, puisqu’il est composé d’herbes, de
racines, de semences & d’aromates, qui concourent tous à une même fin, & qui
sont tous spécifiques dédiés à la matrice, tant pour ôter la suppression des mois,
que pour nettoyer, & comme balayer la matrice de toutes les ordures dont elle
pourrait être infectée, & la délivrer des douleurs que les vents causent en cette
partie, qui l’irritent le plus souvent jusqu’aux convulsions, & jusqu’à la
suffocation & aux syncopes.

Mai tout cela ne se fera pas, si on ne retient par le moyen de la Chimie, toute la
vertu subtile & pénétrante de ce qui entre dans ce sirop.

§. 17. La description du sirop d’Armoise.

Prenez deux poignées d’armoise, lorsqu’elle est montée & qu’elle est encore en
fleur, du pouillot royal, du calament, de l’origan, de la mélisse, du dictamne de
Crète, de la persicaire, de la sabine, de la marjolaine, du chamœdrys, du
millepertuis, du chamœpythis, de la matricaire avec sa fleur, de la petite
centaurée, de la rue, de la bétoine & de la buglosse, de chacun une poignée ; des
racines de fenouil, d’ache, de persil, d’asperges, de bruseus, de pimpernelle, de
campane, de cyperus aromatique, de garance, d’iris & de pœone, de chacun une
once ; des baies de genièvre, des semences de levêche, de persil, d’ache, d’anis,
de nielle romaine ; des racines de cabaret, de pyrethre, de valériane, du costus
amer, du carpobalsamum, ou des cubebes, du cardamome, du cassia lignea
aromatique, & du calamus de même nature, de chacun une demie once. Il faut
couper les herbes & les racines récentes, & mettre en poudre grossière tout ce
qui est sec ; puis les mettre macérer & infuser durant vingt-quatre heures dans
dix-livres d’eau pure ; après cela, il les faut cuire & faire évaporer jusqu’à la
consomption de la juste moitié, puis ôter la bassine du feu ; & lorsque la
décoction sera tiède, il faut frotter & manier les espèces avec les mains, puis en
faire une exacte colature, qu’il faudra cuire en sirop avec quatre livres de sucre.
Notez qu’ils recommandent encore itérativement d’avoir grand égard à ce que
la décoction soit coulée, & recoulée bien nettement avant que de la cuire avec le
sucre, ou qu’autrement le sirop se rancira, & se troublera facilement, parce
qu’ils prétendent de ne le point clarifier, de peur que les blancs d’œufs
n’attirent à eux la vertu de la décoction ; & que de plus, ils ordonnent de ne
mettre les aromates que sur la fin de l’ébullition, afin que la vertu de ces
substances volatiles ne se perde par une trop longue coction. Voilà qui fait bien
voir que ces gens-là ne pèchent que pour n’avoir pas été initiés aux mystères de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 208

la Chimie, qui leur aurait appris à raisonner plus judicieusement, & à travailler
avec plus de circonspection.

Mais venons à l’examen, & aux marques qui sont nécessaires pour l’instruction
de l’Apothicaire Chimique, & nous n’en ferons que trois, qui feront assez
connaître l’imperfection de leur façon de faite. Et premièrement, à quoi est
nécessaire, je vous prie, cette friction & ce maniement des espèces, puisqu’il les
faut presser, pour retirer par cette violence toute la liqueur, dont les espèces
sont imbibées. Et a quoi encore cette double & triple colature, puisqu’elle ne
purifiera jamais la décoction, & qu’il est absolument nécessaire de la clarifier
avec les blancs d’œufs, pour en faire un sirop qui soit agréable à la vue & à la
bouche ? La seconde, c’est qu’ils veulent & ordonnent de ne mettre les aromates
que sur la fin de la décoction ; de peur, disent-ils, que leur vertu qui consiste en
une grande subtilité ne s’évapore ; & ils ne considèrent pas, que quoique la
décoction puisse avoir reçu quelque vertu des aromates, à cause que l’ébullition
ne s’en serait pas ensuivie ; cependant qu’il faudrait que cette vertu s’évanoui,
lorsqu’on cuira cette même décoction avec le sucre, & qu’ainsi leur précaution
est peu judicieuse, pour ne pas dire ignorante.

Mais pour la troisième, qui est qu’il ne faut avoir égard qu’aux aromates dans la
façon de faire ce sirop ; puisque toutes les plantes, toutes les racines, tous les
fruits & toutes les semences qui entrent en sa composition, sont toutes
odorantes, & par conséquent remplies d’un sel, d’un esprit, & d’un soufre très
subtils, qu’il faut aussi-bien conserver que la vertu des aromates ; puisque ce
sont ces seules choses, qui donnent l’efficace & la puissance à ce sirop d’apaiser,
comme on le prétend, toutes les irritations & les exorbiraiions de la matrice.

Il n’est pas nécessaire que nous donnions une méthode particulière de faire ce
sirop selon les règles de la Chimie, puisque nous avons assez de fois enseigné &
répété la manière de le pouvoir faire dans les autres que nous avons décrits ci-
devant, & principalement en parlant du sirop acéteux composé : ceux qui feront
ce sirop avec les précautions, & avec la méthode chimique que nous avons
insinuée ci-devant, pourront alors se vanter qu’ils auront fait un chef-d’œuvre
de Pharmacie ; puisqu’il ne suffit pas de connaître les matières, & d’en faite une
démonstration pompeuse, pour négliger ensuite la conservation de la vertu des
choses qui entrent dans la dispensation, dont on fait ordinairement parade
devant les Maîtres Apothicaires.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 209

§. 18. Comment on fait ordinairement le sirop de chicorée avec la rhubarbe.

Messieurs les Médecins se servent de ce sirop avec une raison très valable,
puisqu’elle a son fondement dans la nature de la chose, & dans l’expérience de
ses vertus : car il n’entre rien dans ce sirop, qui ne soit capable de seconder
leurs bonnes intentions, & de produire les bons effets qu’ils en espèrent, pourvu
qu’on le fasse avec les sucs dépurés des plantes chicoracées qui le composent,
qui témoignent par leur goût amer l’abondance de leur sel essentiel nitro-
tartareux, qui est apéritif & diurétique : de plus, les racines apéritives possèdent
en elles un sel qui est analogue à celui des plantes ; mais ce qui constitue sa
principale venu, est la rhubarbe, qui est la racine d’un espèce de lapathum ou
de patience, qui cache en soi un sel volatil, subtil & très efficace, un soufre
balsamique & conservatif des facultés de l’estomac ; ce qui se prouve par son
goût, par son odeur & par sa couleur tingente, qui se communique non
seulement aux excréments & aux urines, lorsqu’elle est bien conditionnée ; mais
qui fait même voir la pénétration de sa teinture, jusqu’aux yeux & aux oncles.
Ce serait donc un grand dommage de perdre les belles vertus de cette
admirable racine, ou de ne point enseigner à les bien extraire & à les bien
conserver.

On fait servir ce sirop contre les obstructions, contre la jaunisse, contre les maux
de la rate, contre la cachexie & l’impureté des viscères, contre la faiblesse du
ventricule, contre l’épilepsie, ou le mal caduc en général, mais principalement
contre celles des enfants ; & finalement on l’emploie pour chasser par les selles
& par les urines, tout ce qui peut être vicié en nous ; & tout cela est vrai, parce
que ce sirop doit être rempli de sel essentiel des plantes & du sel volatil des
racines, qui est accompagné du foutre balsamique de la rhubarbe, qui corrige
tous les défauts de la rare & de l’estomac, qui sont les deux parties qui causent
tous les désordres que ce sirop peut apaiser & remettre comme il faut.

§. 19. Comment on fait ordinairement le sirop de chicorée, composé avec la rhubarbe.

Prenez de l’endive domestique & de la sauvage, de chacune deux poignées &


demie ; de la chicorée & du pissenlit, de chacun deux poignées ; du laitteron, de
l’hépatique, de la laitue, de la sumeterre & du houblon, de chacun une poignée ;
de l’orge entier deux onces ; des capillaires, de chacun deux onces & deux
drachmes ; du fruit d’alkekange, de la réglisse, du ceterach & de la cuscute, de
chacun six drachmes ; des racines de fenouil, d’ache & d’asperges, de chacune
deux onces. Il faut hacher les herbes & les racines, & les faire bouillir dans
trente livres d’eau, jusqu’à la réduction de la moitié ; puis vous cuirez cette

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 210

décoction avec dix livres de sucre clarifié en sirop, auquel vous ajouterez en
bouillant un nouet de linge clair, dans lequel il y aura sept onces & demie de
rhubarbe excellente, coupée fort délié, & deux scrupules de nard indic : il
faudra presser le nouer de temps en temps ; & lorsque le sirop sera cuit en
consistance, & qu’on l’aura mis dans son pot, il y faut suspendre le nouer avec
la rhubarbe & le spicnard, pour mieux entretenir sa vertu.

Ce que nous avons dit ci-dessus, est l’ordre commun de faire ce sirop ; mais ils
ont jugé nécessaire d’y joindre quelques observations pour le faire mieux, qui
néanmoins ne valent pas mieux que le reste ; car quoiqu’ils croient avoir mieux
rencontré qu’auparavant, ils ne font pourtant qu’hésiter & tâtonner, sans qu’il
puissent trouver le vrai chemin, parce que le flambeau de la Chimie ne les
éclaire pas. Ils disent donc qu’il faut macérer durant vingt-quatre heures l’orge,
les racines & les choses sèches de cette composition dans la quantité d’eau qu’ils
demandent, & puis qu’on fasse bouillir tout le reste ensemble, jusqu’à la
diminution de la moitié. Qu’il faut ensuite couler la décoction & en prendre une
portion, dans laquelle on fera infuser durant l’espace de douze heures pour le
moins, les sept onces & demie de rhubarbe & le spicnard, pour en extraire la
teinture & la vertu ; après quoi, il faut les faire un peu bouillir, puis les exprimer
doucement ; & qu’il ne faut joindre cette teinture au reste, que lorsque l’autre
partie de la décoction sera cuire en parfaite consistance de sirop, & y mettre
aussi la rhubarbe & le nard indic dans un nouet de toile, afin qu’ils
communiquent leur venu au reste du sirop, parce qu’autrement on ne
reconnaîtrait pas que la suspension de ce même nouet dans le sirop, pourrait
contribuer à sa vertu ; & lorsque le tout sera joint, il faut épaissir lentement ce
sirop jusqu’à la consistance requise.

Il semble par-là que ces Messieurs aient eu grand soin de réformer la


préparation de ce sirop ; mais c’est très grossièrement : car ne jugent-ils pas que
cette décoction est chargée du corps des racines & de celui des herbes, &
qu’ainsi elle ne se peut charger davantage, ni ne peut extraire comme il faut la
rhubarbe, qui est la base & le fondement de la vertu de ce remède. Encore s’ils
avaient ordonné de clarifier cette décoction auparavant, afin de la dépouiller du
corps grossier que la colature ne lui peut ôter ; ils auraient fait voir quelque
étincelle de jugement, qui pourtant serait encore fort imparfait, puisque cela
pourrait mieux extraire ; mais ils ne conserverait pas le volatil de la rhubarbe, ni
l’odeur du spicnard, parce qu’il faut nécessairement consumer & faire évaporer
plus de dix ou onze livres d’humidité superflue pour en faire un vrai sirop, qui
ne se peut faire que par le moyen que nous allons donner.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 211

§. 20. Comment on fera bien le sirop de chicorée composé avec la rhubarbe.

Prenez suffisamment de toutes les plantes succulentes qui entrent dans ce sirop,
pour en avoir huit livres de suc ; hachez-les & les battez au mortier de pierre ;
tirez-en le suc, que vous mettrez au bain-marie dans une cucurbite de verre
couverte de son chapiteau, pour en faire la dépuration convenable ; réservez
l’eau qui en sera sortie, coulez votre suc par le blanchet, & le mettez au bain-
marie, & y ajouter les racines mondées & les capillaires, vous en retirerez quatre
libres d’eau que vous joindrez à la première. Mettez la quantité de rhubarbe &
le nard indic que vous destiner à votre sirop : je présuppose une demie
drachme pour once de sirop, qui fait une once pour livre dans un matras, &
verser dessus de l’eau que vous avez retirée de vos sucs, jusqu’à ce qu’elle
surnage de trois doigts, digères au bain vaporeux durant douze heures pour en
faire l’extraction ; coulez & pressez doucement cette première impression,
remettez la rhubarbe au matras avec de la nouvelle eau, & continuer ainsi
jusqu’à trois fois, & vous aurez toute la teinture de la rhubarbe, que vous
purifiez par résidence au bain-marie à cause de l’expression, qui fait toujours
passer quelque corps grossier & matériel : cela fait, cuisez le reste de votre suc,
après l’avoir coulé & clarifié avec le sucre, & le réduisez en consistance de
tablettes, que vous cuirez avec votre teinture de rhubarbe en un vrai sirop, qui
aura toutes les vertus qu’on en espère, & qui se conservera longtemps sans
perte de ses facultés, à cause de l’abondance des sels des plantes & du vrai
soufre balsamique de la rhubarbe. Notez qu’une demie once de ce sirop, fait
mieux qu’une once entière de celui qui est fait à l’ordinaire.

§. 21. La manière de faire le sirop d’hyssope composé selon la méthode des Anciens.

Prenez de l’hyssope médiocrement sèche, des racines d’ache, de fenouil, de


persil & de réglisse, de chacun dix drachmes ; de l’orge mondé une demie once,
de la gomme tragacanth, des semences de mauve & de coings, de chacune trois
drachmes ; des capillaires, six drachmes ; des jujubes & des sebestes, de chacune
au nombre de trente ; des raisins secs, dont on aura ôté les pépins, une once &
demie ; des figues & des dattes qui soient grasses, de chacune dix en nombre : il
faut faire cuire le tout dans huit livres d’eau, jusqu’à ce qu’il n’en reste que
quatre, qu’il faut réduire en consistance de sirop, après l’avoir pressé avec deux
livres de sucre pénide.

Si nous avons remarqué quelque chose d’impropre & de mal digéré dans les
recettes des sirops précédents ; celle-ci néanmoins fait encore beaucoup plus
paraître l’ignorance de la vraie Pharmacie en ceux qui l’ont faite. Car si nous
prenons la peine d’examiner à fond les ingrédients qui la composent, nous n’y
211
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 212

trouvons qu’un abîme d’abus & d’erreurs ; ce que j’y trouve même de pis, c’est
que la Chimie est ici poussée à bout, sans qu’elle puisse sauver ni rhabiller les
manquements de cette pratique : car les racines & les herbes donnent déjà
d’elles seules une décoction assez crasse : les fruits la rendent lente & visqueuse
; mais la gomme & les semences la rendront tout à fait mucilagineuse, si bien
qu’il sera impossible d’en pouvoir jamais faire un sirop. Que si quelqu’un se
vante de le pouvoir faire :

Talem vix repperit unum, Millibus è multis hominum consultus Apollo.

Car s’il prétend faire sa décoction superficiellement, sans que les racines, les
fruits, les semences & la gomme soient bien cuits, il frustrera l’intention de
l’Auteur, & privera le sirop de la prétendue vertu qu’on lui attribue ; que si
encore il les fait cuire comme il faut, il perdra le volatil des racines, &
principalement celui de l’hyssope & des capillaires ; & s’il clarifie sa décoction
par les blancs d’œufs, ils retiendront la gomme & les mucilages.

Je sais encore que les Apothicaires, qui font ce sirop, prétendent s’être acquittés
de leur devoir, lorsqu’ils ont fait bouillir les substances mucilagineuses parmi la
décoction dans un nouet, qu’ils retirent après sans le presser, & ainsi leur
décoction est dépouillée de ce qu’on y demande. De plus, qu y a-t-il de plus
ridicule, que de substituer le sucre pénide au sucre commun ? car je ne peux
m’imaginer aucune autre raison de cette prescription, sinon que c’est seulement
pour rehausser le prix du sirop, & pour abuser le commun & les ignorants.
Comme donc ce sirop est impossible, nous le laisserons comme inutile,
puisqu’il ne peut avoir les vertus qu’on lui attribue, d’être bon aux maladies
froides de la poitrine, où il est besoin de dételer & d’atténuer la matière crasse &
lente qui l’obsède, d’ôter les obstructions, d’alléger les douleurs des
hypocondres, & d’être salutaire à ceux qui sont travaillés de la gravelle. Or, il n
y a personne qui connaisse tant soit peu les matières qui entrent dans ce sirop,
qui ne voit que c’est une absurdité manifeste d’espérer ouvrir les obstructions
avec des glaires & avec des colles, qui les produiraient plutôt, que d’être en
aucune façon capables de les pouvoir ôter. C’est pourquoi, quiconque voudra
avoir un bon sirop pectoral, qu’il le fasse de la manière qui suit.

§. 22. Sirop pectoral d’hyssope très excellent.

Prenez de l’hyssope récente quatre onces, des racines d’ache, de fenouil, de


persil & de réglisse, de chacune deux onces. Il les faut hacher & battre
grossièrement, puis les mettre dans une cucurbite de verre, & verser dessus une
livre de suc d’hyssope, douze onces de suc de fenouil, & une demie livre de suc

212
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 213

de lierre terrestre ; distillez le tout au bain-marie, jusqu’à ce que les espèces


paraissent presque sèche : mettez de nouveau en infusion durant un jour
naturel dans votre eau une once & demie d’hyssope récente, & autant de squille
non préparée : une once de racine de fenouil, & autant de sommités de lierre
terrestre, couler, pressez & filtrez cette infusion, & la garder à part. Faites
ensuite bouillir ce qui vous est resté de la distillation & de l’expression, dans
quatre libres d’eau, qu’il n’en reste que la moitié que vous presserez, coulerez &
clarifierez ; puis les cuirez en consistance de tablettes avec deux livres & demie
de sucre, qu’il faudra cuire en sirop avec l’eau essencifiée de la teinture & du sel
des plantes pectorales. Ainsi vous aurez un sirop qui vous servira avec utilité.

§. 23. Comment on a fait communément le sirop de carthame.

Il semble que les Médecins anciens, & même les modernes, aient prétendu faire
croire qu’ils étaient très savants dans la théorie, & très expérimentés dans la
pratique, lorsqu’ils ont fait des assemblages inutiles d’une vaine quantité de
maties, pour la composition des eaux, des électuaires & des opiates ; mais
principalement dans les descriptions qu’ils nous ont données de leurs sirops
magistraux. Celui de carthame, ou de safran bâtard, dont nous entreprenons
l’examen, nous en fournit un exemple suffisant ; car je ne sais quel coup de
Maîre ces Messieurs prétendent avoir fait, de mêler quelquefois des drogues les
unes avec les autres, qui sont tout à fait différentes, & qui contredisent le plus
souvent leurs intentions : or, cela ne se fait qu’à cause qu’ils ne connaissent pas
la différence des sels, ni celle des esprits, & encore beaucoup moins l’action & la
réaction des uns sur les autres, comme elle se voit tous les jours, dans le
laboratoire de ceux qui s’adonnent à l’anatomie des corps naturels, pour
apprendre par ce moyen les opérations de la nature, afin de la suivre de près
dans les choses que l’art nous prescrit ; car ceux qui ont fait, ou qui font encore
de ces recettes compliquées, n’ont assurément, ni bien conçu, ni bien connu par
aucune expérience, que comme la nature est une & simple, aussi agit-elle très
simplement ; & qu’ainsi, il faut nécessairement que les Médecins, qui n’en sont
que les ministres & les singes, étudient à connaître la vertu simple & spécifique
des produits naturels, afin de s’en servir avec la même simplicité, & d’être les
vrais imitateurs de la nature.

Or, ils ne se sont pas contentés de faire une rapsodie inutile ; mais ils ont de
plus ordonné le modus saciendi, d’une manière si confuse, & si peu capable
d’extraire la vertu de toutes ces choses différentes mêlées ensemble, que cela
donne de l’horreur & fait pitié. Et comme ces sirops sont encore en pratique en
plusieurs endroits, quoiqu’ils soient dorénavant retranchés de la pratique des

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 214

Médecins, qui sont les plus éclairés : nous avons crû nécessaire de conduire à la
vraie méthode de bien faire ces sirops, les Apothicaires qui n’ont pas
connaissance des lumières de la Chimie ; mais disons auparavant la façon
commune de le faire.

Prenez donc pour ce sirop purgatif composé, du vrai capillaire, de l’hyssope, du


thym, de l’origan, du chamedrys, du chamepytnis, de la scolopendre & de la
buglosse, de chacune une demie poignée ; de la cuscute, du fruit d’alkekange,
des racines d’angélique, de réglisse, de fenouil, d’asperges, de chacune une
once ; du polypode de chêne, une once & demie ; de l’écorce de tamarisc, une
demie once ; des semences d’anis, de fenouil, d’ammi, de daucus, de chacune
une once ; de celle de carthame légèrement pilée, quatre onces ; des raisins sols,
dont on aura ôté les pépins, deux onces : faites bouillir tout cela haché & battu
grossièrement, dans six livres d’eau claire, que vous réduirez au tiers ; il faut
couler cette décoction, & y mettre chaudement en infusion une once & demies
de senné mondé, une demie once d’agaric en trochisque, six drachmes de
rhubarbe choisie, & une drachme de gingembre : il les faut laisser en
macération une nuit entière, & le lendemain en faire une fortes expression, & la
colature, qu’il faudra cuire en sirop avec une livre de sucre fin, & y ajouter des
sirops violât solutif, rosat solutif, & de l’acéteux simple de chacun deux onces.
Ils destinent l’usage de ce sirop à la guérison des fièvres invétérées, des
quotidiennes & des quartes, pour ouvrit les obstructions, qui proviennent de la
lenteur & grossièreté de ce qu’on appelle pituite, & pour chasser par les voies
du ventre les sérosités dommageables.

Je demande à présent, s’il est possible qu’une décoction qui est chargée de la
substance des premières matières de ce sirop, & qui de plus est réduite au tiers :
je demande, dis-je, si elle est capable de recevoir, ni encore de pouvoir extraire
la vertu des purgatifs ; & de plus, à quoi bon, je vous prie, l’addition de deux
onces de chacun des sirops qu’on demande, puisqu’on y peut mettre du sucre
en la place, & ajouter en leur lieu de l’infusion de violettes, de celle de roses, &
un peu de vinaigre simple & ordinaire, ou de celui qui sera distillé, comme
nous le dirons ci-après ? Mais ce n’est pas encore tout ; car il faut outre cela
considérer la perte très importante des sels volatils & sulfurés des herbes, des
racines & des semences, qui s’envolent & qui s’évaporent par la coction. Disons
donc comme on le fera mieux ; & que le sirop qui suivra, serve de règle pour
tous les autres sirops purgatifs qui sont composés.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 215

§. 24. La vraie façon de faire le sirop de carthame.

Prenez le vrai capilaire, l’hyssope, le thym, l’origan, le chamedris, le


chamepithis, la scolopendre, la racine d’angélique, les semences d’anis, de
fenouil & d’ammi ; couper les plantes & les racines, & mettez les semences en
poudre grossière ; ajustez le tout dans une cucurbite au bain-marie, avec deux
livres d’eau & quatre onces de suc ou d’infusion de roses, autant de celle de
violettes, & une once de vinaigre distillé ; couvrez la cucurbite de son chapiteau,
& en retirer une demie livre d’eau spiritueuse & odoriférante que vous
réserverez. Ajoutez à cette première décoction la buglosse, la cuscute, les grains
d’alkécange, les racines de réglisse, de fenouil, d’asperges & de polipode de
chêne, l’écorce de tamarise, la semence de carthame & les raisins mondés, & y
ajouter encore trois livres d’eau ; faites bouillir le tout jusqu’à la consomption
du tiers ou de moitié ; couler & presser le reste des ingrédients ; clarifier cette
décoction avec des blancs d’œufs, & faites infuser à chaleur lente en cette
clarification, le senné, l’agaric en trochisques, la rhubarbe & le gingembre,
durant l’espace de vingt-quatre heures ; au bout desquelles, vous les ferez un
peu bouillir ensemble, puis vous les coulerez. Garder la colature à part, & faites
bouillir encore une fois les espèces purgatives dans une livre de nouvelle eau
commune, afin d’achever d’en extraire toute la vertu : coulez & presser cette
dernière décoction, que vous joindrez à la première extraction des purgatifs,
que vous clarifierez & cuirez en consistance d’électuaire avec deux livres de
castonade ; ensuite de quoi, vous réduirez votre sirop en vraie consistance avec
l’eau spiritueuse & aromatique, que vous aurez tirée par la distillation. Vous
aurez en cette manière un sirop purgatif composé, qui sera fort agréable, qui
aura toutes les vertus des choses qui entrent en sa composition, & qui se
gardera plusieurs années, sans aucune altération, pourvu qu’on le tienne,
comme aussi tous les autres sirops, dans un lieu modéré, qui ne soit ni chaud,
ni frais ; parce que ce sont ces deux qualités, qui sont ordinairement les causes
occasionnelles de leur fermentation, qui les rend acides, ou de leur moisissure ,
qui les corrompt & qui les gâte.

Voilà ce que nous avions à dire sur les plantes, & les remarques que nous avons
jugées nécessaires pour ceux, qui veulent bien faite les eaux distillées & les
sirops. Ce que nous avons dit, est suffisant pour bien apprendre, non seulement
ce qui est utile à ces deux préparations : mais on le peut encore employer avec
très grande raison, pour bien faire toutes les macérations, les infusions, les
décoctions, les digestions & les ébullitions, de tout ce que Messieurs les
Médecins ordonnent aux Apothicaires, pour les apozèmes, pour les juleps &

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 216

pour les potions qu’ils prescrivent pour le bien des malades ; & je sais qu’après
que les Apothicaires auront connu ce qui se peut évaporer de bon par les
actions de la chaleur, qu’ils étudieront à le conserver ; afin de faire tout au bien
de leur prochain, à l’acquit de leur conscience & à l’honneur de la Pharmacie ; &
de plus, ils reconnaîtront qu’ils n’ont pu recevoir ces lumières d’ailleurs, que
par les dogmes de la Pharmacie Chimique.

Or après avoir ainsi donné une idée générale des végétaux entiers & de leurs
parties constituantes, de ce qu’ils contiennent de fixe & de volatil ; & après avoir
donné les marques nécessaires, pour faire que l’artiste chimique ne perde rien
de ce qu’il doit conserver : il est temps de passer aux parties, que la nature &
l’art nous fournisse de cette ample famille, & que nous donnions une section à
chacun des quatorze genres subalternes, qui se tirent du genre végétable
principal ; afin que l’exemple que nous donnerons du travail chimique, qui se
doit faire sur l’espèce de même nature de ce genre subalterne, serve de phare &
de guide, pour être capable de travailler sur toutes les autres espèces qui lui
ressemblent.

Ces genres subalternes sont comme nous l’avons déjà dit, les racines, les feuilles,
les fleurs, les fruits, les semences, les écorces, les bois, les graines ou les baies, les
sucs, les huiles, les larmes, les résines, les gommes-résines & les gommes.

Nous donnerons une Section à chacun de ces genres en particulier, afin que si
ce genre, quoique subalterne, a pourtant encore quelque subordination sous soi,
que nous en fassions la subdivision, pour donner par ce moyen plus de lumière
à l’artiste, parce qu’il se rencontre de la variété & de la différence entre les
parties d’un même genre, qui demandent par conséquent une différente
manière de les travailler. Nous commencerons le Tome second par les racines.

ADDITIONS AU TOME PREMIER.

I. Préparation particulière d’un Hydromel fort sain, & dont le goût est peu différent de
celui du vin d’Espagne, ou de la Malvoisie.

Les avantages que quantité de personnes tirent de l’usage de l’hydromel chez


les Nations étrangères, ont rendu depuis peu cette liqueur si recommandable en
France, parmi les gens qui ont quelque soin de leur santé, que plusieurs ayant
témoigné qu’on les obligerait, si on leur en voulait donner une préparation
exacte, on n’a pas voulu les priver de cette satisfaction ; & on la leur donne
d’autant plus volontiers, qu’on a une parfaite connaissance de l’utilité qu’on en
reçoit, en s’en servant pour boisson ordinaire.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 217

Mettez bouillir sur un feu modéré, environ vingt pintes d’eau de pluie, ou à son
défaut, autant d’eau commune bien pure, dans une grande poêle de cuivre
étamée en dedans, & dont la capacité soit telle, que l’eau n’en remplisse que les
deux tiers. Délayer dans cette eau bouillante cinq ou six livres de miel nouveau,
le plus pur & le plus blanc que vous pourrez trouver, comme est celui de
Narbonne ; & faites-le cuire, en l’écumant souvent, jusqu’à ce que la liqueur ait
acquis assez de consistance, pour soutenir un œuf frais sans tomber au fond du
vaisseau.

Pendant cette opération, vous ferez bouillir à part, dans un pot de terre
vernissé, une demie livre de raisins de damas coupés en deux, avec quatre
pintes d’eau, jusqu’à la diminution de la moitié de la liqueur ; puis l’ayant
passée par un linge blanc en pressant un peu les raisins, vous la verserez dans
la grande poêle avec l’autre liqueur ; & laissant encore le tout sur le feu, vous y
enfoncerez une rôtie de pain trempée dans de la nouvelle levure de bière : après
quoi, l’ayant écumée de nouveau, vous la tirerez du feu, & la laisserez reposer
jusqu’au clair, que vous séparerez de son sédiment, pour la verser dans un baril
de bois de chêne, sur une once de sel de tartre bien pur & bien blanc dissout
dans un verre d’esprit de vin, tant que ce baril soit plein, que vous exposerez
ensuite tout débondé sur des tuiles à la chaleur du Soleil de midi, en été, ou sur
le four d’un boulanger, en hiver, tant que la liqueur ne bouillant plus, elle ne
jette plus d’écume. Alors l’ayant rempli de la même liqueur claire, vous le
bonderez, & le mettrez à la cave, pour le percer dans deux ou trois mois après.

Que si l’on souhaite que cet hydromel ait quelque odeur aromatique, vous
mettrez cinq ou six gouttes d’essence de cannelle dans l’esprit de vin, qui sert à
dissoudre le sel de tartre, ou vous y mettrez infuser des restes d’écorce de citron
nouvelle, ou bien des fraises ou framboises, selon votre goût, observant de
passer cet esprit, & d’en séparer les fruits incontinent après l’infusion, avant
que d’y faire dissoudre le sel de tartre ; & par ce moyen, vous aurez un hy-
dromel vineux d’un goût & d’une odeur très-agréables, que l’expérience a fait
connaître avoir les propriétés suivantes.

Cette liqueur étant prise à l’ordinaire au lieu de vin, fortifie l’estomac, aide à la
digestion, purifie le sang, conserve l’embonpoint, fait cesser les douleurs de
tête, abaisse les vapeurs, guérit la phtisie, l’asthme, & toutes les autres maladies
des poumons, lève les obstructions du bas ventre, & conserve tous les viscères
dans une si bonne constitution, que son usage fait jouir longtemps d’une
parfaite santé, & d’une vie longue & tranquille.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 218

II. Quintessence de miel.

Vous prendrez deux livres de miel blanc, qui ait une bonne odeur & un bon
goût. Vous le mettrez en une grande cucurbite de verre, dont les trois quarts
soient vides. Vous la couvrirez de sa chape à bec bien lutée, à laquelle vous
appliquerez un grand récipient pareillement luté. Faites un feu doux de
cendres, jusqu’à ce que vous voyez monter des vapeurs blanches ; & pour les
condenser en esprit, vous appliquerez sur la chape & sur le récipient des linges
mouillés en eau froide, & il en sortira une liqueur qui sera rouge comme sang.
Après la distillation, vous mettrez cette liqueur en un vaisseau de verre bien
bouché, tant que la liqueur soit bien clarifiée & de couleur de rubis. Après quoi
vous distillerez sept ou huit fois, jusqu’à ce que sa couleur rouge soit convertie
en un jaune doré, & prendra une odeur très douce & très agréable. Cette
quintessence dissout l’or en chaux, & le rend potable. Deux ou trois dragmes de
cette liqueur prises intérieurement, font revenir à eux ceux qui sont à
l’extrémité : elle fortifie même ceux qui jouissent de la santé, guérit la toux, les
catarrhes & la rate ; appliquée sut les plaies & ulcères, elle les guérit
incontinent, Fioraventi rapporte en avoir donné à des personnes dans les
approches de la mort, & qu’il rappelait ainsi a la vie, pour leur donner au moins
le temps de mettre ordre à leurs affaires. Distillée vingt fois avec argent fin, &
donnée pendant quarante-six jours à un paralytique, il en a été guéri : c’est ce
que Fioraventi marque avoir éprouvé lui-même. Sur quoi ce Médecin fait une
remarque fort sensée à ce sujet, que Dieu n’a jamais promis dans l’Ecriture
sainte, ni scammonée, ni casse, ni turbith, ni rhubarbe ; mais bien du froment,
du vin, de l’huile, du lait & du miel.

III. Huile de miel.

Vous prendrez ce que vous voudrez de bon miel blanc bien choisi, que vous
mêlerez avec son double poids de sable bien net. Mettez-le dans une retorte, ou
en une cucurbite, distiller à feu de degrés. Il en sortira d’abord un phlegme,
puis une huile noire qui deviendra d’un beau rouge, après qu’elle aura été
exposée au soleil trente ou quarante jours. Distiller plusieurs fois cette huile, &
elle devient couleur d’or.

IV. Fermentation du miel, pour en faire vin, eau de vie, & esprit.

Tous les Chimistes savent qu’il faut un levain, pour la fermentation des
matières, qui naturellement ne fermentent pas seules, comme il en faut pour
faire lever la pâte, aussi-bien que pour la bière. Mais quoique tout levain
végétable fasses fermenter un autre végétable, il y a cependant de la différence

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 219

d’un levain à l’autre. Tout levain est une végétation de son espèce ; & par
conséquent un levain peut altérer la nature & l’essence d’une autre espèce avec
laquelle il fera mêlé ; comme une autre qui est confermentée avec le tronc sur
lequel elle est jointe, dont il vient des fruits mixtes, qui participent des deux
espèces. Ainsi les Bergamotes d’Italie en sont la preuve. Elles ont la figure, la
couleur & l’odeur d’une poire ; & quand on les coupe, on y trouve le dedans
d’une orange.

II faut donc que dans la fermentation, rien ne puisse dégénérer, si on veut que
la vertu du mixte ne soit point altérée, & qu’elle demeure dans son erre pur,
naturel & séminal, autrement elle ne produit pas l’effet qu’on en doit attendre.
D’où il paraît que les levains de boulangers, de bière, de vin & de cidre, ne sont
pas propres pour faire la fermentation du miel, dont elles altèrent la vertu,
parce qu’ils font d’une espèce différente. Il faut donc faite fermenter le miel par
lui-même. C’est une substance produite par l’esprit universel. C’est un
commencement de corporification & de coagulation des esprits de l’air & de
l’eau, qui s’unissent avec les vapeurs de la terre, d’où il se tire une substance
onctueuse, qui sert d’aliment aux végétaux, & qui leur donne le premier
mouvement de fécondité.

Sur ce principe, faites dissoudre un poids de miel dans quatre poids d’eau
chaude de rivière très pure & très claire. Vous tiendrez cette dissolution dans
des étuves échauffées jour & nuit par un poêle, qui soit au milieu de l’étuve. Le
degré de chaleur doit être tel, que l’on puisse demeurer dans l’étuve sans en
être incommodé. Au bout de trois ou quatre jours, sans avoir besoin d’aucun
levain étranger, la dissolution du miel se met en fermentation. Et quand elle est
en bonne fermentation, c’est-à-dire, un jour ou deux après qu’elle est
commencée, on peut y ajourer des raisins de damas écrasés, deux onces par
livre de miel, avec un demi gros de cannelle. Le tout étant bien mêlé, on laisse
finir la fermentation qui n’est achevée, que quand vos raisins & votre cannelle
sont tombés au fond. On les mêle encore une fois ou deux, & s’ils retombent, la
fermentation est entièrement finie.

Après cette fermentation, votre liqueur aura un goût vineux, & vous la pourra
garder dans des vaisseaux propres pour votre usage ; ou si vous la voulez
pousser plus loin, vous en distillerez l’eau-de-vie au réfrigératoire, comme on
distille l’eau-de-vie : pour cela, vous mettrez toute votre matière, suc & marc,
dans l’alambic. La distillation étant faite, on la rectifie plus ou moins, si l’on
veut, pour en tirer un esprit qui tient lieu d’esprit de vin, & qui est un
dissolvant bien plus naturel & plus homogène des plantes & des simples, que

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 220

tout autre ; & par ce moyen, on pourra faire les opérations que nous allons
marquer.

V. Manière de faire bonne eau de Mélisse par l’esprit de miel.

Prenez une livre de miel blanc quatre livres, ou deux pintes d’eau claire de
rivière, que vous ferez un peu chauffer, pour y dissoudre le miel, dans la
proportion que nous marquons pour travailler en grand volume. Mettez le tout
fermenter en lieu chaud dans un vaisseau de bois, comme un petit cuvier, que
vous couvrirez légèrement d’un linge.

Si au bout de quatre jours la matière n’entrait pas en fermentation, on pourrait y


ajouter de la levure de bière pour la faire fermenter plus vite. Quand elle
commencera à fermenter, il faut y joindre de la mélisse, coupée & bien broyée
en un mortier , jusqu’à consistance de bouillie. La proportion est de mettre deux
livres, ou la valeur d’une pinte de cette mélisse, ainsi en marmelade, pour
chaque livre de miel dissout ; & laisser fermenter, jusqu’à ce que toute la
mélisse soit tombée au fond du vaisseau.

Après quoi, il faut survider la liqueur, qui forme un hydromel vineux, rempli
de l’esprit de mélisse. On peut en réserver une partie en bouteille ; mais il faut
perfectionner le reste, pour en tirer encore l’esprit ; après néanmoins qu’on aura
presse le marc, qui est resté au fond du vaisseau, voici ce qu’il faut faire.

Broyez derechef de la nouvelle mélisse, & la mettez en une espèce de


marmelade ; joignez-en la valeur d’une chopine dans chaque pinte de votre
hydromel. Laisser les digérer ensemble deux ou trois jours ; puis les mettez en
alambic, pour en tirer une eau-de-vie de mélisse faite par son hydromels. Cette
eau-de-vie sera encore plus parfaite que ne l’est l’hydromel ; mais pour aller
plus avant, faites ce qui suit.

Ayez de la mélisse, que vous aurez fait un peu sécher à l’ombre cinq ou six
jours, vous en joindrez environ une bonne poignée dans chaque pinte de votre
eau-de-vie, avec la pelure d’un citron & le quart d’une noix muscade, que vous
ferez digérer environ deux jours, après quoi vous en tirerez l’esprit par
l’alambic, & vous aurez un esprit de mélisse excellent, & qui est très bon pour la
conservation & le rétablissement de la santé.

Comme ce dernier esprit est trop fort pour être bu seul, on le peut mêler avec
un sirop fait avec eau & sucre, & clarifié avec blanc d’œufs battus ; & pour lors,
on la dose comme on juge convenable; ou bien, on peut en mêler avec le
premier hydromel que l’on a réservé. Mais pour s’en servir à l’extérieur, il faut
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 221

prendra l’esprit sans le mélanger, & en frotter les parties douloureuses ou


affligées.

Tous les marcs que l’on a eu de la mélisse, ne doivent pas être jetés ; mais il faut
les calciner & réduire en cendre autant que l’on pourra. Etant bien calcinés,
faites-en une lessive avec eau bouillante ; filtrez-la par le papier, puis
l’évaporée, & il vous restera un sel, que vous ferez fondre dans de nouvelle eau
chaude ; faites évaporer pour en tirer le sel, qui sera plus blanc que le premier.
Mettez une demie once de ce sel dans chaque pinte de votre esprit de mélisse, &
sa force & vertu seront augmentées ; ou bien, au lieu le calciner la mélisse, vous
la prendrez & en joindrez de nouvelle, & la triturerez avec de l’eau clarifiée,
ainsi que le pratique M. le Comte de Garraye dans la Chymie hydraulique

VI. Manière de faire la véritable eau de la Reine de Hongrie, par l’esprit de miel.

Cette eau qui a tant de réputation, ne se doit pas faire avec l’esprit de vin de
vignes, comme on le pratique ordinairement : mais avec l’esprit de vin de
romarin fermenté par le miel, qui multiplie la quantité & la vertu de la plante,
sans en altérer la simplicité.

Il faut donc pour faire cette eau, prendre une livre de miel blanc, quatre livres
d’eau de rivière bien clarifiée, & les faire fermenter avec une livre de romarin,
fleurs, feuilles & tige pilées, & broyées comme nous avons dit qu’il fallait pour
l’eau de mélisse. Le miel, qui est une substance homogène aux fleurs & aux
plantes, est un dissolvant tiré de l’esprit universel, & bien plus propre à en faire
la quintessence, que ne serait l’esprit de vin, qui est d’une espèce différence.
Quand la fermentation est finie, le marc tombe au fond, & il reste une espèce
d’hydromel vineux, qu’il faut tirer au clair, presser les fèces pour en avoir ce qui
s’en peut exprimer : ce premier travail ne dure pas plus de huit jours. Prenez de
nouvelles fleurs de romarin, feuilles & tiges, pilez & mettez avec votre
hydromel en une grande cucurbite, pour distiller à feu doux, comme on fait
l’eau-de-vie : vous prendrez la liqueur distillée, & vous y joindrez quantité
suffisante de fleurs de romarin ; laisser digérer & distiller à feu doux, & vous
aurez la véritable eau de la Reine de Hongrie, dans laquelle se trouve toute la
substance de la plante, & qui se peut prendre intérieurement, en petite quantité
cependant.

Mais pour l’usage extérieur, on pourrait fortifier cette eau par le propre sel de la
plante calcinée, & dont on fait une lessive. On tire de cette lessive par
évaporation le sel de la plante, que l’on joint avec son esprit, & que l’on fortifie
même avec un huitième ou sixième d’esprit de sel ammoniac ; alors cette eau de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 222

la Reine de Hongrie est excellente pour les rhumatismes, gangrènes, ulcères


putrides, contusions & sang extravasé, en étuvant la partie plusieurs fois le jour
: ce qui a été éprouvé plus d’une fois.

On peut tirer le même esprit & par la même voie de toutes les plantes
aromatiques, comme sauge, rhue, lavande, impéraroire, absinthe, hyssope, & de
celles qui abondent en sels volatils , dont la vertu est infiniment exaltée par
cette opération.

VII. Electuaire de grande cousoude très utile pris intérieurement, de Fioraventi.

La grande consoude, est une herbe à laquelle on a imposé ce nom, pour la vertu
qu’elle a de consolider les plaies & lieux séparés en la chair : elle aide aussi
beaucoup, prise par la bouche, pour les ruptures d’en bas ; elle est utile à toutes
les plaies, qui pénètrent dans le corps, aux ulcères du poumon, dessèche la taie,
& fait d’autres effets semblables. Mais afin qu’on puisse s’en servir facilement,
on en compose un électuaire, qui est tel.

Prenez une livre de racine de grande consoude, & la faites cuire en eau jusqu’à
ce qu’elle soit consommée ; & l’ayant bien pilée en un mortier & passée par le
tamis, vous y ajouterez autant de miel blanc que vous avez de liqueur passée, &
les ferez bouillir à petit feu, jusqu’à ce qu’ils soient cuits en forme d’électuaire ;
& quand ils se tout cuits, vous y ajouterez ce qui s’ensuit.

Girofle. Safran, de chacun une dragme. Cannelle fine, deux dragmes. Musc de
Levant dissout en eau rose, un carat. Incorporer le tout, étant encore chaud, & il
sera sait. Voilà l’électuaire de cousoude fait, de la composition de Fioraventi,
duquel avant que d’en user, il est besoin que le malade soit premièrement bien
purgé, & qu’il fasse grande diète, si on veut en tirer du secours. Il guérit toutes
les maladies internes, comme j’ai dit. On peut aussi en faire emplâtres sur les
blessure & fractures des os, en faire prends par la bouche ; & ainsi le malade
guérira en peu de temps sans aucun dégoût, avec l’aide de Dieu premièrement,
& la vertu d’un tel médicament. Avec ce remède, j’ai vu guérir des hommes de
grand âge, lesquels étaient rompus en bas, ou qui avaient des plaies qui
passaient de part en part, des os rompus, des meurtrissures & autres blessures,
qu’on ne croirait pas, si je les disais même conformément à la vérité.

VIII. Emplâtre excellent fait par le miel.

L’onguent suivant, est pour servir dans les maux, qui ne souffrent pas les
choses grasses & onctueuses. Prenez quatre onces de miel très pur, douze onces
de suc de plantin exprimé & dépuré, & deux onces de vitriol doux de Vénus;
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 223

faites cuire doucement jusqu’à ce que le tout s’épaississe ; alors ajoutez-y demie
once de safran oriental bien broyé ; & pour que le tout soit plus efficace,
ajoutez-y un peu de baume d’antimoine. Les vertus de ces deux remèdes,
comme l’a éprouvé Juncken & moi-même, l’emportent de beaucoup sur tout
autre remède, dans les plaies & les ulcères les plus mauvais : cela paraît même
par le simple emplâtre de vert-de-gris, réduit en emplâtre avec la cire qui
amollit merveilleusement les tumeurs dures des mamelles. De Saulx.

IX. Sirop pectoral, qui convient dans toutes sortes de toux, ou les crachats sont
visqueux.

Prenez feuilles sèches de bourrache, de buglosse, & fleurs de pas-d’âne, de


chacune une poignée ; mélisse, hyssope, aigremoine, de chacune une demie
poignée, bien épluchées & nettoyées ; des dattes, des figues, des jujubes, des
sebestes, de chacun deux onces ; écorce de citron fraîche, une once. Faites
bouillir le tout dans six pintes d’eau, réduites à la moitié; ajoutez-y sur la fin
une once de réglisse battue ; retirer le coquemar du feu ; passer le tout par une
étamine, avec expression : clarifiez cette décoction avec le blanc d’œufs, &
mettez ensuite dans la colature une livre de sucre candi brun. Faites-le bouillir
derechef, jusqu’à ce qu’il soit réduit en consistance de sirop.

Le malade en prendra de trois heures en trois heures une demi-cuillerée, battue


dans un verre d’eau chaude, & le continuera jusqu’à ce que la toux soit apaisée.
Ce sirop est universellement bon dans toutes sortes de rhumes, & de toux
invétérées.

Le malade en peut faire sa boisson ordinaire, mêlant trois ou quatre cuillerées


de ce sirop dans une pinte d’eau bouillante, & ensuite la laissent refroidir.

Quand on ne peut recouvrer ces différents ingrédients, on augmente à


proportion de ceux qui manquent, la quantité de ceux qu’on emploie. Avec les
mêmes simples, on peut faire toutes sortes de tisanes & de bouillons.

Les personnes les moins aisées, au lieu de sucre, peuvent user de miel commun
blanc, & bien choisi : elles peuvent s’en servir partout, où le sucre est nécessaire.
Méthodes d’Helvétius.

X. Pour faire le sirop laxatif de Fioraventi par le miel, & la manière de le pratiquer en
plusieurs maladies.

Les sirops laxatifs faits par décoction, sont fort salutaires, surtout contre les
crudités des humeurs ; parce qu’ils disposent la matière, & l’évacuent avec une

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 224

très grande facilité, sans fatiguer le parient. Ainsi, qu’on fasse prendre de ce
sirop laxatif à qui on voudra, cela n’empêchera point que ce jour-là, il ne puisse
sortir sans aucun danger, & il ne laissera pas de bien opérer, ce qui est fort
commode aux malades qui ont besoin de ces sortes de sirops. Or la manière de
le faire, est de prendre :

De la Sauge, Rue, Romarin, Alornier, Chicorée, Charbon bénit, Ortie, Origan, de


chacun de ces herbes une poignée. Figues, Dattes, Amandes douces, Sel gemme,
de chacun quatre onces. Aloès hépatique, Cannelle, Mirobolants citrins, de
chacun deux onces. Miel commun deux livres.

Toutes ces choses soient pilées grossièrement, & mises ensemble en infusion en
dix-huit livres d’eau commune : puis bouillies tant qu’elles reviennent à la moi-
tié ; pressez la décoction, qu’il faut clarifier par le filtre, & l’aromatiser avec
deux carats de musc & une livre d’eau rose, & il sera fait.

Il faut garder cette décoction dans un vaisseau de verre bien bouché. Elle sert à
toutes maladies comme j’ai dit, en prenant de quatre jusqu’à six onces assez
chaud, l’hiver, l’automne & le printemps, tiède ; & l’été, froid. Elle purge les
humeurs grossières, & ne corrompt point la viande. On peut continuer à en
prendre pour les fièvres, quatre ou cinq jours de suite, & elles seront guéries.
Mais pour les maladies qui sont causées par des humeurs crues, & même au
mal de Naples, gouttes, catarrhes, douleurs de jointures, & autres semblables
qui sont sans fièvre, on en pourra prendre dix ou quinze jours durant ; car il ne
peut faire aucun mal, & purge le corps parfaitement. Il se peut prendre pour la
toux, flux d’urine, douleur de tête, pour la carnosité de la verge, pour les
hémorroïdes ; enfin, il est bon pour toutes les maladies causées par des
humeurs corrompues, étant de telle vertu, qu’il purge les parties externes, &
évacue aussi les humeurs internes du corps. J’ai fait une infinité d’expériences
de ce sirop, sur des personnes presque abandonnées des Médecins, & qui
avaient perdu l’appétit, qui en ont incontinent été rétablies.

XI. Elixir de propriété de Paracelse.

Prenez myrrhe d’Alexandrie, Aloès hépatique, safran Oriental, ana quatre onces.
Pulvériser ensemble, & les mettez après dans un vaisseau de verre, les
humectant de bon esprit de vin alcoolisé : cela fait, il faut y ajouter l’huile de
soufre rectifié, & fait par la cloche. Je dis néanmoins en passant, que pour avoir
plus d’huile de soufre, il la faut distiller en temps de pluie, ayant choisi le plus
jaune ou grisâtre. Il faut que ladite huile surnage le reste à l’éminence de trois
ou quatre doigts, & incontinent vous mettrez le tout en digestion l’espace de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 225

deux jours, le circulant souvent, & la teinture ne manque point à se faire,


laquelle il faut séparer par inclination.

Quant à la matière qui reste au fond, elle doit être arrosée avec de bon esprit de
vin, & laissée en digestion l’espace de deux mois, la circulant tous les jours, afin
qu’elle rende toute sa teinture, laquelle sera retirée & mêlée avec la première,
pour la distiller lentement. Les fèces doivent aussi être distillées ; & ce qui en
sort le premier, mêlé à la première teinture ; & par ce moyen, il ne sentira pas si
fort le feu qu’à la façon ordinaire de distiller.

Il faut prendre garde d’arroser la matière avec l’esprit de vin, afin qu’elle se
puisse mettre en pâte ; après quoi, il faut y mettre de l’huile de soufre ; car sans
cela, toute la matière se brûlerait & deviendrait noire comme charbon, ce que
Paracelse a caché fort subtilement.

Ses forces & son usage.

C’est le baume des Anciens, selon le rapport de Paracelse, échauffant les parties
faibles, & les conservant de putréfaction.

C’est enfin un élixir très parfait ; car en lui sont toutes les vertus du baume
naturel, avec la vertu conservatrice, principalement pour ceux que l’âge a
amenés jusqu’à la cinquantième ou soixantième année.

Il fait des merveilles aux affections de l’estomac & des poumons. Contre la
peste & l’air envenimé. Il chasse les humeurs diverses du ventricule. Il conforte
l’estomac & les intestins, & les préserve de douleur. Il mondifie la poitrine, &
soulage les hétiques, catarrheux, & ceux qui sont oppressés de la toux. Il n’est
pas moins profitable au refroidissement de la tête & de l’estomac. Il guérit de
l’hémicranie, ou migraine, & même les étourdissements, qui arrivent souvent
aux personnes faibles. Il est utile contre la chassie des yeux. Il fortifie le cœur &
la mémoire. Il soulage dans les douleurs de côtés, & peu à peu la
démangeaison, qui souvent arrive au corps. Il rompt le calcul des reins. Guérit
la fièvre quarte. Il préserve de la paralysie & goûte. Il subtilise & épure
l’entendement, & tous les autres sens nature. Il chasse la mélancolie & procure
la joie. Il résiste à la vieillesse, & empêche que l’homme ne devienne sitôt vieux,
& décrépité. Il prolonge la vie, qui par débauches de boire & manger
excessivement, aurait été raccourcie. Il guérit les plaies & ulcères internes en
peu de temps. Et enfin toutes les infirmités, tant chaudes que froides, reçoivent
du soulagement & même la santé désirée.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 226

Dose dudit sel liquide.

La dose est depuis six, à dix ou douze gouttes, selon la nécessité du malade,
jetées dans le vin, ou eaux convenables.

Fin du Tome premier.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 227

COUR DE CHIMIE
POUR
SERVIR D’INTRODUCTION
à cette Science.
PAR

NICOLAS LEFEVRE

Professeur Royal en Chimie, & Membre de la Société Royale de Londres.

CINQUIEME EDITION,

Revue, corrige & augmentée d’un grand nombre d’Opérations, & enrichie de Figures,

PAR M. DU MONSTIER, Apothicaire de la Marine & des Vaisseaux du Roi ; Membre de la


Société Royale de Londres & de celle de Berlin.

TOME DEUXIEME.

A PARIS.

Chez JEAN-NOËL LELOUP, Quay des Augustins, à la descente du Pont Saint Michel, à
Saint Jean Chrysostome.

M. DCC. L I.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 228

TABLE DES MATIERES.

CHAPITRE IX.

SECTION PREMIERE : Des Racines, p 7.

PREMIER EXEMPLE.
§. 1. De la préparation des racines odorantes qui abondent en esprits & en sel
volatil, p 8.
§. 2. Comment il faut faire le baume potable & dissoluble de l’huile de la racine
d’angélique, p 10.
§. 3. Comment il faut faire le baume onctueux de l’huile de la racine
d’angélique, p 11.

SECOND EXEMPLE.
§. 1. De la racine d’année ou de campane en latin : Enula campana, p 15.
§. 2. De la racine de la grande consoude, & de celle du satyrion, p 18.
§. 3. Comment on fera l’extrait ou le sang des racines de la grande consoude &
de celles du satyrion, p 19.
§. 4. De la racine de la fougère femelle, p 20.
§. 5. Des racines de Jalap & de méchoacan, p 21.
§. 6. Pour faire le magistère ou résine du jalap, p 22.
§. 7. Pour faire le vrai extrait du méchoacan, p 23.
§. 8. Les racines dont on tire les fécules, p 24.
§. 9. Comment il faut faire les fécules, p 25.

SECTION SECONDE : Des Feuilles, p 26.

SECTION TROISIÈME.
§. 1. Des fleurs, p 39.
§. 2. De la rose & des préparations que la Chimie en tire, p 40.
§. 3. Comment il faut frire la teinture des roses rouges, p 41.
§. 4. La façon de tirer l’eau, l’huile, l’esprit & le sel des roses, p 43.
§. 5. Le moyen de faire la véritable essence des roses, p 44.
§. 6. Du romarin, p 46.
§. 7. Pour faire l’eau de la Reine de Hongrie avec des fleurs de romarin, p 46.

SECTION QUATRIEME.
§. 1. Des fruits, p 48.
§. 2. Comment il faut bien faire l’extrait de coloquinte, p 49.
§. 3. La façon de faire l’esprit de vie auré de Rullandus, p 52.

228
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 229

SECTION CINQUIEME.
§. 1. Des racines ou des baies & des semences, p 54.
§. 2. Du ferment & de son action, & comment il faut faire la fermentation du blé,
du seigle ou de l’orge, pour en tirer l’esprit ardent, p 55.
§. 3. Comment on fera l’eau spiritueuse & l’huile éthérée des semences d’anis,
de fenouil, de persil & de leurs semblables, p 64.
§. 4. Comment on travaillera sur les semences du cresson alénois, de la roquette,
de la moutarde & de celles qui leur sont analogues, p 65.
§. 5. Le moyen de tirer des grains ou des baies de genièvre tout ce qu’elles
contiennent de bon & utile, pour l’usage de la Pharmacie Chimique, p 67.
§. 6. Bois de genièvre, p 68.
§. 7. Baies de genièvre, p 69.
§. 8. Pour faire l’élixir des baies de genièvre, p 73.
§. 9. Gomme de genièvre, p 73.

SECTION SIXIÈME.
§. 1. Des Ecorces, p 74.
§. 2. Pour faire l’élixir des écorces de citron & de celles d’orange, p 75.
§. 3. Comment il faut faire l’esprit, l’huile & le sel, l’extrait, la teinture, & le
magistère de l’écorce de gayac, p 76.
§. 4. Pour faire l’extrait de l’écorce de gayac & la teinture, p 78.

SECTION SEPTIÈME.
§. 1. Du Bois, p 79.
§. 2. Comment on fera l’extrait & l’essence du bois d’aloès, p 79.
§. 3. Pour faire l’eau & l’huile du bois de roses, p 81.
§. 4. Pour faire l’extrait du bois néphrétique, p 82.
§. 5. Pour faire l’eau spiritueuse & l’huile du sassafras, p 83.
§. 6. Teinture du bois de sassafras, p 85.

SECTION HUITIEME : Des végétaux, & de leur préparation chimique, p 85.


§. 1. Des Sucs, p 85.
§. 2. L’anatomie du vin, p 86.
§. 3. Pour faire l’esprit de vin, p 88.
§. 4. Pour faire l’alcool de vin, p 89.
§. 5. Pour faire esprit devin tartarisé, p 92.
§. 6. Pour faire l’esprit du vin philosophique spécifique, contre le scorbut &
contre toutes les fièvres, tant intermittentes que continue, p 94.
§. 7. L’anatomie du vinaigre, p 95.
§. 8. La façon de distiller le vinaigre, p 96.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 230

§. 9. Pour faire le vinaigre radical vinaigre alcalisé, p 98.


§. 10. Un autre esprit de vinaigre très subtil, p 98.
§. 11. Pour faire les cristaux du vinaigre, ou son tartre subtil, p 99.
§. 12. Du tartre & des préparations qu’on en tire, p 99.
§. 13. La purification du tartre, p 101.
§. 14. Pour faire le tartre martial ou chalybé, p 103.
§. 15. La distillation du tartre pour en tirer l’esprit & huile, p 103.
§. 16. Vertus de l’esprit, de l’huile, du sel & de l’huile de tartre par défaillance, p
105.
§. 17. Pour faire le tartre vitriolé ou le magistère de tartre, p 107.
§. 18. Pour faire l’huile de tartre, de Sennert, ou le sel de tartre purgatif, p 107.
§. 19. Pour faire la teinture de tartre, p 109.
§. 20. Comment il faut faire le verre dissoluble du tartre, & comme on en tirera
la teinture, p 110.
§. 21. La manière de faire un esprit de tartre vitriolique, désopilatif &
diurétique, & un bon tartre vitriolé, p 113.
§. 22. Le tartre vitriolé, p 114.
§. 23. Pour faire le tartre dissoluble & purgatif, p 114.
§. 24. De l’opium, qui est le suc condensé du pavot, p 116.
§. 25. Préparation simple de l’opium, p 119.
§. 26. Pour faire l’extrait d’opium simple, p 121.
§. 27. Laudanum, ou spécifique anodin de Paracelse, p 124.
§. 28. Laudanum hystérique, ou pour les femmes, p 125.
§. 29. Laudanum, contre la dysenterie & contre toutes les espèces de flux de
ventre immodérés, & contre les fièvres, p 126.
§. 30. De l’élatérium ou suc des concombres sauvages, qui est condensé, p 127.
§. 31. La dépuration de l’élatérium, p 128.
§. 32. Comment il faut faire l’extrait de l’élatérium, p 128.

SECTION NEUVIEME.
§. 1. De l’Huile, p 129.
§. 2. Comment il faut faire l’huile des Philosophes, p 130.
§. 3. La défécation de l’huile, p 132.

SECTION DIXIÈME.
§. 1. Des larmes ou des résines, p 133.
§. 2. La distillation de la térébenthine commune, p 133.
§. 3. Comment il faut distiller la résine élémi, p 137.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 231

SECTION ONZIEME.
§. 1. Des gammes résines, & des gommes, p 138.
§. 2. La distillation du Laudanum, p 139.
§. 3. Le travail qui se doit faire sur le benjoin, p 139.
§. 4. Pour faire la teinture & le magistère du benjoin, p 140.
§. 5. Pour faire les fleurs de benjoin, p 142.
§. 6. La distillation du benjoin, p 142.
§. 7. Pour faire une excellente eau d’ange & la masse qu’on appelle d’Espagne, p
146.
§. 8. Du camphre, p 147.
§. 9. Comment il faut faire l’huile de camphre simple, p 151.
§. 10. La façon de faire l’huile de camphre composé, p 152.
§. 11. La façon de distiller la gomme ammoniac, p 152.

CHAPITRE X : Des minéraux, & de leur préparation Chimique, p 154.

SECTION PREMIERE : Des terres, p 156.


§. 1. De la terre sigillée, p 157.
§. 2. La distillation de la terre sigillée, p 159.
DU BOL, p 160.
§. 1. La préparation du bol pour le rendre plus astringent pur le dehors, p 161.
§. 2. La préparation du bol pour résoudre le sang caillé intérieurement, p 161.
§. 3. La préparation du bol contre la dysenterie & les diarrhées, p 162.
§. 4. La préparation du bol contre les maladies contagieuses, p 162.

SECTION SECONDE : Des Pierres, p 163.


§. 1. De l’émeraude & de sa préparation chimique, p 167.
§. 2. La préparation chimique de l’émeraude, p 168.
§. 3. Du cristal, & de sa préparation chimique, p 169.
§. 4. La préparation chimique du cristal, p 170.
§. 5. Pour faire le sel du cristal, p 170.
§. 6. Comment il faut faire l’élixir ou l’essence de cristal, p 171.
§. 7. Du corail & de sa préparation chimique, p 173.
§. 8. La préparation chimique du corail, p 174.
§. 9. Comment il faut bien faire le sel de corail, p 175.
§. 10. Commun il faut faire le faux magistère de corail, p 177.
§. 11. Comment il faut faire le magistère de corail, p 178.
§. 12. De la teinture du corail, p 180.
§. 13. Procède véritable de la teinture du corail, p 181.
§. 14. Le premier menstrue, p 181.
231
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 232

§. 15. Le second menstrue, p 182.


§. 16. Comment on fera la teinture an corail, p 182.
§. 17. Pour faire le vrai sirop de corail, p 185.
§. 18. De la pierre judaïque & de sa préparation Chimique, p 186.
§. 19. Du talc & de sa préparation chimique, p 187.
§. 20. La préparation chimique du talc de Venise, p 188.
§. 21. Pour faire une crème de talc, moins difficile à préparer que la précédente,
p 189.
§. 22. La préparation chimique du talc rouge, p 190.
§. 23. De la chaux qui se fait des pierres, & de sa préparation chimique, p 190.
§. 24. Comment il faut faire l’eau de la chaux vive & la chaux préparée, p 191.
§. 25. Pour faire l’eau simple contre la gangrène & contre les accidents qui
l’accompagnent, p 191.
§. 26. L’admirable & véritable eau contre la gangrené, p 193.
§. 27. La façon de faire l’eau ophtalmique, p 194.
§. 28. Pour faire l’esprit ou le vrai magistère de la chaux vive, p 194.

ADDITIONS POUR LE TOME SECOND.


1. Liqueur d’Angélique des religieuse Anglaises, p 196.
2. Eau de Mélisse, p 197.
3. Esprit de roses ou de Mélisse par la fermentation avec le sucre, p 197.
4. Eau impériale de Montpellier, p 197.
5. Eau de Santé, p 198.
6. Eau Cordiale, p 198.
7. Eau impériale & céleste du grand Duc de Florence, p 199.
8. Quinquina, p 199.
9. Extrait fébrifuge & cordial de quinquina, p 201.
10. Du vin & des remèdes, qu’on en tire en plusieurs manières, p 201.
11. Manière de faire la Quintessence végétale de très-grande vertu, de
Fioraventi, p 202.
12. Méthode d’un bon vinaigrier pour faire de fort vinaigre, p 203.
13. Laudanum liquide de Sydhenam, p 204.
14. Autre Laudanum ou eau somnifère, p 204.
15. Huile de Briques ou de Tuiles, p 204.
16. Emplâtre singulier pour l’estomac, p 207.
17. Préparation de l’eau de Goudron, p 207.
18. Huile de térébenthine & huile dessicative & pénétrante, p 216.

232
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 233

TRAITE DE CHIMIE EN FORME D’ABREGE.

CHAPITRE IX.

SECTION PREMIERE.

Des Racines.

Les racines, sont les parties inférieures ou les plus basses des végétaux ; c’est
comme le lieu & la boutique de leur première digestion. Or la digestion, est la
volatilisation ou spiritualisation d’un aliment, qui était en quelque manière fixe.
Il semble donc que c’est avec raison, que quelques-uns on dit que les racines
étaient plus fixes que les autres parties des plantes, parce qu’elles sont nourries
d’un aliment moins digéré que le reste. Cela semble vrai à l’égard de plusieurs
racines ; mais non pas à l’égard de toutes : car il y en a qui possèdent en elles la
vertu de toute la plante ; en sorte qu’il y a quelques plantes, dont il n’y a que la
seule racine qui entre dans l’usage de la Médecine, à cause que les Naturalistes
ont reconnu par expérience & par le raisonnement, que le sel, le soufre & le
mercure de ces plantes, avaient leur siège principal dans la racine, comme leur
goût & leur odeur en font foi. Et comme il y a des racines qui sont ligneuses,
nerveuses & noueuses, aussi y en a-t-il qui sont rares, molles & spongieuses : il
y en a qui font mucilagineuses & glaireuses, comme il y en a pareillement qui
sont laitées & moelleuses : il y en a qui sont amères, & d’autres qui sont douces :
il y en a qui sont aigres & agréables au goût ; comme au contraire, il y en a qui
sont âcres, corrodantes & même corrosives : enfin les unes sont d’une odeur
agréable, & les autres sentent très mal, & blessent le cerveau & la poitrine ; au
lieu que les premières les récréent & les fortifient.

Nous n’avons fait ici le dénombrement de toutes ces différences, que pour faire
mieux comprendre à l’Artiste, qu’il ne faut pas qu’il travaille d’une même façon
sut toutes sortes de racines, sans avoir au préalable mûrement &
judicieusement examiné de quelles parties elles sont composées, & ce quelles
ont de fixe ou de volatil ; afin qu’après qu’il aura bien conçu leur nature par
l’aide des sens extérieurs, il conclue après cette connaissance de quelle manière

233
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 234

il pourra faire l’extraction de leur vertu. Et comme nous entrons dans le détail
des opérations, qui se font par le moyen de la Chimie sur les végétaux & sur
leurs parties, il faut faire suivre les exemples du travail, qui se doit faire selon la
diversité des racines.

PREMIER EXEMPLE.

§. 1. De la préparation des racines odorantes qui abondent en esprits & en sel volatil.

Nous prendrons pour le premier exemple de ces racines celle de l’angélique,


qu’on nous apporte de dehors, & qui est sèche ; car comme cette racine a
beaucoup de vertu, & qu’elle est un des meilleurs alexitères : nous l’avons
choisie pour servir de règle pour le travail qui se peut faire sur les racines de
calamus aromatique, de la carline, de petasites, de la valériane, de celle de
l’impéraroire, & des autres de pareille nature, ou qui en sont en quelque façon
approchantes, ou par l’odeur ou par le goût.

Prenez donc six livres de racine d’angélique de Bohême, qui soit bien
conditionée, c’est-à-dire, qui ne soit ni trop sèche, ni cariée ; hachez-la & la
mettez en poudre grossière, que vous mettrez digérer à chaleur lente dans un
vaisseau de rencontre, avec douze livres d’eau de pluie distillée & autant de vin
blanc, durant l’espace de quatre jours naturels : ensuite de quoi il faut mettre le
tout dans la vessie, & donner le feu graduellement, jusqu’à ce que les esprits
commencent à monter, & qu’ils commencent à se condenser & à dégoutter ;
alors il faut continuer le feu dans une égalité bien réglée, jusqu’à ce qu’on ait
tiré toute l’eau spiritueuse ; ce qui se connaîtra, lorsque ce qui sortira, n’aura
plus ni goût, ni odeur.

Ceux qui voudront séparer l’esprit de l’eau, feront la rectification de cet esprit
au bain-marie à chaleur lente ; ainsi ils auront un esprit très subtil, & qui sera
rempli du sel volatil de la racine d’angélique, qui est d’une très rare vertu dans
toutes les maladies pestilentielles, & dans toutes les affections de la matrice : cet
esprit est diaphorétique, diurétique & alexitères ; la dose est depuis un demi-
scrupule jusqu’à une drachme, dans du vin, dans du bouillon, ou même dans sa
propre eau.

Lorsque le premier esprit est sorti, il faut augmenter le feu, & tirer l’eau
spiritueuse, qui suivra jusqu’à ce qu’elle sorte sans goût & sans odeur; il faut
jeter ce qui reste, car il est inutile, & conserver cette eau pour y mêler son
propre esprit, ou pour y dissoudre l’extrait de la racine dont elle a été tirée ; la
dose est depuis une demi-once jusqu’à quatre.

234
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 235

Or, il surnage ordinairement une huile éthérée sur la première distillation qu’on
a faite par la vessie, qu’il faut séparer par le coton, ou par l’entonnoir, & la
garder soigneusement ; car c’est une excellente essence, pour en faire du baume
potable & dissoluble dans les liqueurs, ou pour en faire un baume préservatif
en temps de peste. Mais comme il arrive quelquefois que cette huile s’affaisse
au fond du vaisseau, qui a reçu l’eau ; parce que la violence de l’ébullition fait,
que cette huile s’est chargée d’une portion du sel fixe de la racine ; il faudra
aussi la séparer avec soin, car elle ne sera pas de moindre efficace que celle qui
surnage ; mais elle sera néanmoins un peu moins subtile & un peu moins active.

Revenons à présent à ce qui est resté dans la vessie après la distillation, qui
contient en soi le sel fixe de la racine & une portion de son soufre, qui lui tient
toujours une bonne & fidèle compagnie, à cause de l’alliance & de la liaison
mutuelle qu’ils ont ensemble. Cette proposition se justifie par la couleur de la
liqueur qui reste & par son goût ; ce qui prouve que ce serait une grande
imprudence, & un défaut de jugement & de connaissance dans l’Artiste, s’il
laissait perdre par sa négligence & par son ignorance, ce que la nature & ses
propres sens extérieurs lui font non seulement paraître bon, mais aussi qui l’est
véritablement en soi. C’est pourquoi, il faut que l’Apothicaire Chimique
reconnaisse que cette vertu ne peut être concentrée que dans ce qu’il appelle un
extrait, qu’il faut faire de la manière qui suit.

Il faut presser & couler le tout, puis le clarifier avec des blancs d’œufs, puis les
couler par le blanchet, ou à travers de la chausse, & faire évaporer cette liqueur
claire très lentement, jusqu’en la consistance d’extrait, qui est celle qu’on peut
dire entre une masse de pilules & celle d’un d’électuaire liquide, afin qu’on le
puisse donner en bol, ou en pilules, lorsque le Médecin l’ordonnera, ou qu’on le
puisse plus promptement dissoudre dans quelque liqueur appropriée à
l’intention, pour laquelle on s en sert. Or avant que de déterminer la dose de cet
extrait, il faut dire en passant, que tous les extraits qui se font de cette manière,
sont fort amis de l’estomac, & qu’ils lâchent doucement le ventre, sans troubler
l’économie de la digestion, ni faire aucune colliquation superflue & nuisible ;
que ceci serve donc de remarque générale pour tous les extraits, qui se font ès
végétaux sulfurés & volatils, après qu’on en a tiré l’esprit, l’huile & l’eau. La
dose de cet extrait comme des autres de même nature, est depuis une demi-
drachme, jusqu’à une demi-once, ou seul, ou dissout, & mêlé dans son eau, ou
dans quelque autre liqueur analogue, & cela afin d’ouvrit doucement le ventre
du malade, sans aucune crainte des bouleversements, qui arrivent à cause de
l’irritation & de la violence des purgatifs ordinaires.

235
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 236

Et comme il ne faut rien perdre de ce qui possède quelque vertu, il faut faire
sécher le marc de l’expression, qu’on calcinera dans un creuset, ou dans un pot
de terre non vernissée, jusqu’à ce que la matière soit réduite en cendres
grisâtres, dont on fera la lessive, avec de l’eau de pluie distillée, qu’on filtrera &
qu’on évaporera jusqu’à sec, pour retirer le sel des racines ; qu’il faudra mettre
après cela dans un creuset & le faire rougir entre les charbons ardents, sans qu’il
se fonde, puis le dissoudre dans la dernière eau qu’on aura tirée, le filtrer &
l’évaporer jusqu’à pellicule, le laisser cristalliser au froid, en retirer le sel pur &
net, & continuer ainsi, jusqu’à ce qu’il ne se fasse plus aucune cristallisation.
Vous pourrez mêler une portion de ce sel dans son eau, pour la rendre moins
susceptible d’altération ; vous en pourrez mettre aussi une autre partie dans
l’extrait, & il augmentera la vertu stomachique & cathartique d’icelui. Le reste
vous le garderez, afin que si vous voulez réunir toutes les vertus fixes &
volatiles de la racine d’angélique en un seul corps, pour en faire le Clyssus, qui
est proprement ce qui contient en soi, comme en raccourci, toutes les vertus
d’une chose, dont on a séparé & dépuré les parties ; vous fassiez l’assemblage
de l’esprit rectifié & de l’huile éthérée, par ce moyen en unissent le sel fixe, sans
lequel on ne pourrait jamais parvenir à faire l’union de l’huile & de l’esprit, à
cause qu’ils sont d’une nature diverse, & qu’ils surnagent toujours l’un sur
l’autre ; mais lorsque vous aurez alcalisé l’esprit subtil & rectifié avec le propre
sel alcali de la plante ; alors vous y joindrez inséparablement l’huile, ce qui
produit une essence merveilleuse. Mais pour le Clyssus, il n’est pas nécessaire
de tant de raffinement, il faut seulement mêler une partie du sel fixe purifié,
avec deux parties de l’huile distillée, & trois parties de l’esprit très subtil, & les
digérer ensemble à la vapeur du bain dans un vaisseau circulatoire, jusqu’à ce
que le tout soit joint & uni indissolublement ensemble; ce qui arrive pour
l’ordinaire dans le temps du mois philosophique, qui est de quarante jours
naturels, ou l’espace que nous disons de six semaines. Ce remède étant ainsi
achevé, peut être légitimement donné en la place de l’esprit de l’huile, de
l’extrait & du sel, puisqu’il a toutes les propriétés essentielles de ces quatre
ensemble. La dose est depuis six grains jusqu’à un scrupule, dans toutes les
maladies auxquelles les Médecins emploient le corps de la racine d’angélique,
dont il a été parlé.

§. 2. Comment il faut faire le baume potable & dissoluble de l’huile de la racine


d’angélique.

Quoique cette opération ne soit pas mystérieuse à ce qu’il semblera à ceux qui
liront ceci, elle est digne cependant de considération, puisque c’est toujours
pour faire voir de plus en plus la vérité de ce que nous avons dit tant de fois ;

236
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 237

savoir que les sels sont des esprits fermés, & qu’ils ont en eux un soufre caché,
& par conséquent qu’ils possèdent une nature moyenne entre les liqueurs
aqueuses & les huiles, qui ne se peuvent assembler & encore moins s’unir sans
la médiation du sel, qui rend l’huile dissoluble & unissable avec l’eau & avec
toutes les liqueurs qui sont de sa nature, ce qui n’est pas un des moindres
secrets de la Chimie, quoiqu’il semble en quelque façon méprisable, à cause de
sa simplicité ; mais que personne ne méprise cette louable simplicité, puisque
ceux qui la suivront se pourront vanter de suivre la nature, dont les beautés &
les ressors les plus admirables ne se rencontrent jamais dans l’embarras & dans
le mélange imparfait, que pour produire des monstres.

Or, comme il faut étudier à rendre les choses agréables & faciles, & que ceux qui
ont besoin de ces beaux remèdes, ne sont pas toujours en lieu où il y ait des
fourneaux & des vaisseaux, pour unir le sel fixe avec l’huile de son sujet ; & de
plus, ce sel étant ordinairement désagréable, à cause de son goût lixivial &
urineux : j’ai jugé plus commode & moins ingrat de prendre du sucre très fin en
poudre impalpable ou réduit en alcool, dont on emplira une boite d’ivoire ou
d’argent doré, sur lequel on fera tomber goutte à goutte de l’huile distillée des
racines d’angélique ou de quelque autre, jusqu’à ce que le sucre en soit
suffisamment imbu, & qu’il soit réduit en une consistance, qui puisse être
contenue dans la boite, lors même qu’elle sera renversée. Ainsi vous aurez un
baume admirable, que vous pourrez prendre en temps de peste par précaution
& pour préservatif, en moindre dose néanmoins que si on le prenait pour
remède curatif. La dose est depuis la grosseur d’un poix, jusqu’à celle d’une
noisette, dans du vin le matin à jeun pour préservatif, ou dans son esprit ou
dans son eau pour remède curatif.

Que personne ne s’étonne que le sucre rende les huiles mêlables & dissolubles
avec l’eau ; car le sucre est un sel végétable qui est capable de faire cette union,
parce que c’est un sel mêlé de soufre & de mercure ; ce qui le rend capable de
recevoir l’huile, & de la changer tellement de nature, qu’elle se dissout & s’unit
très facilement avec l’eau, à cause de la substance saline du sucre. C’est
proprement ces baumes que vous trouverez dans les Auteurs modernes, sous le
nom d’Eleosaccharum.

§. 3. Comment il faut faire le baume onctueux de l’huile de la racine d’angélique.

Pour faire ce baume, il faut avoir un corps incorruptible, inodore & sans
couleur, qui soit capable de recevoir l’huile & d’en conserver l’odeur & la vertu.
Or ceux qui se sont adonnés à ce travail, se sont beaucoup fatigués, avant que
d’avoir pu rencontrer une substance qui ne contractât aucune couleur, aucune
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odeur, & qui ne se corrompît pas avec le temps. On s’est servi durant quelques
années de la cire blanche & de la moelle, du suif de chevreau, & de la graisse de
porc, bien préparés & bien lavés, pour faire le corps des baumes odorant &
onctueux ; mais tout cela n’a pas eu de durée, parce qu’ils devenaient rances, de
mauvaise odeur & jaunes.

Enfin les Chimistes ont raffiné là-dessus, & se sont servis de l’huile qui se tire
de la noix muscade par expression, pour en faire le corps de ces baumes, sans
néanmoins perdre la vertu subtile éthérée, & odorante e la noix muscade. Ce
qu’ils font ainsi, prenez quatre onces d’huile de noix muscade, qui soit bien
pure & sans aucun mélange étranger ; mettez-la dans un matras à long col, ou
dans un vaisseau de rencontre, & verser dessus de l’esprit de vin tartarisé,
jusqu’à l’éminence de quatre doigts, & les mettez digérer & extraire au bain-
marie à une chaleur modérée ; & lorsque l’esprit sera bien empreint de la
teinture de l’huile, retirez-le par inclination & en reverser de l’autre, & cela
jusqu’à ce que l’esprit ne tire plus de teinture. Alors il faut mettre tout ce qui
vous reste dans une écuelle de faïence, & le laver avec de l’eau bouillante,
jusqu’à ce que toute la masse soit inodore & blanche, & c’est ce qui fait le corps
de tous les baumes onctueux, qui ne contracte aucune mauvaise qualité, & qui
s’empreint facilement de l’odeur & de la vertu des huiles odorantes &
aromatiques.

Mais comme il faut plaire à la vue aussi-bien qu’à l’odorat, on donne la couleur
verre aux baumes des plantes, avec le suc de quelque plante inodore, dans
lequel on fait bouillir le corps des baumes, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment
chargé de la couleur verte ; puis on s’en sert pour tous les baumes, auxquels on
veut donner cette couleur. On colore aussi les baumes des huiles des racines &
des aromates, qui sont de leur couleur, avec un peu de terre d’ombre, & ceux
des fleurs, avec un peu de fine laque des Peintres. Or, comme ce corps des
baumes est desséché, à cause de l’extraction qu’on a fait de son huile subtile &
onctueuse, par le moyen de l’esprit de vin tartarisé, il n’y a plus rien à faire,
sinon de le refournir d’une quantité proportionnée de l’huile de la racine
d’angélique, ou de quelque autre huile aromatique, pour en faire le baume
onctueux, duquel on se sert pour frotter les narines & les tempes, aussi-bien que
le dessus de la main, pour empêcher que les puanteurs n’attaquent le cerveau,
& pour corriger la malignité des esprits empestés & malins, qui sont dans l’air
en temps de contagion, ou lorsqu’on est obligé de passer & de converser en des
lieux où il sent mauvais, ou en ceux où il y a des malades.

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Mais avant que d’aller plus avant, il ne faut pas oublier de dire ce que l’Artiste
fera de l’extraction qu’il aura faite de l’huile de muscades, avec l’esprit de vin ;
il retirera l’esprit au bain-marie, jusqu’en consistance de miel cuit, & ainsi il
aura l’extrait de la noix muscade rempli du meilleur de son essence corporelle,
& un esprit doué de son huile, de son esprit & de son sel volatil : s’il veut, il
pourra garder une portion de son extraction ; car cela tiendra le milieu entre
l’extrait & l’esprit qu’on en aura retiré, & pourra être employé aux mêmes usa-
ges, parce qu’il possède la même efficace & la même vertu de l’extrait, de
l’esprit & de la teinture, réjouit l’estomac, le cerveau & la matrice, elle dissipe
les ventosités, aide à la digestion, corrige la mauvaise haleine, fortifie
l’embryon, est bonne contre la syncope & contre la palpitation du cœur, ouvre
& dissipe les obstructions de la rate, arrête le flux de ventre & le vomissement.

Et comme je suis témoin de la vertu vulnéraire de la noix muscade, je me sens


obligé pour le bien commun, de mettre ici ce que j’ai vu dans les Armées
d’Allemagne, en la personne d’un Capitaine de Cavalerie, qui était tout percé
de coups, soit de ceux de feu, ou de ceux d’épée, & qui néanmoins n’avait
jamais eu la fièvre dans tout le temps du traitement de ses plaies, non pas
même lorsque la suppuration se faisait. Cela semblera sans doute étrange &
paradoxe ; mais lorsqu’on saura que ce Gentilhomme portait toujours sur soi
des noix muscades, & qu’il en mangeait une entière aussitôt qu’il se sentait
blessé, l’admiration cessera, puisque la vertu balsamique de la muscade, qui
réside dans son huile & dans son sel volatil, était poussée par la chaleur de
l’estomac dans toutes les parties, qui corrigeait la sérosité maligne, qui est la
cause occasionnelle des douleurs, des inflammations, & par conséquent de la
fièvre & de la mon, de la plupart de ceux qui sont bleues dans quelque partie
considérable. Il ne faut donc pas que les Chirurgiens appréhendent les potions
vulnéraires, & encore moins l’usage de cet aromate, dans les bouillons de leurs
blessés, à cause de la prétendue chaleur qu’ils contiennent : au contraire, ceux
qui seront les plus sensés y auront toujours recours, comme à un asile très
assuré & qui ne leur manquera jamais ; mais principalement s’ils se servent
intérieurement & extérieurement de la teinture qu’on aura tirée, comme nous
l’avons dit ci-dessus. Qu’on ne m’allègue pas ici que j’apporte un exemple
personnel, puisque la même chose est arrivée à plusieurs de ses amis, quoiqu’ils
fussent de différent tempérament, comme on parle, & qu’ils eussent été très mal
dans la cure de diverses autres blessures, à cause qu’ils ne s’étaient pas servis
de la noix muscade.

Je crois que cette digression ne déplaira pas, puisqu’elle est utile au général &
au particulier : mais il faut que nous fassions voit que la Chimie ne se contente

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pas du coloris des baumes onctueux, dont nous venons de faire mention, parce
qu’elle a trouvé le secret de colorer le corps des baumes, avec le magistère des
mêmes plantes dont on veut faire le baume, ce qui serait ainsi.

Prenez de la rhue ou de la marjolaine, ou même quelque autre plante odorante


& balsamique, autant que vous voudrez, lorsqu’elles sont dans la vigueur de
leur verdure ; faites-les bouillir dans de l’eau qui soit suffisamment empreinte
d’huile de tartre par défaillance, ou de sel de tartre résout ; couler la décoction,
versez-y de la dissolution d’alun de roche, faite dans de l’eau de pluie distillée,
& la matière se précipitera au fond en forme d’une bouillie verte : séparer la
liqueur qui surnage, par le filtre, puis lavez la matière filtrée avec de l’eau
commune au commencement, & avec de la propre eau odorante de la plante sur
la fin, jusqu’à ce que vous l’ayez privée de tout le goût salin, qu’elle peut avoir
acquis du sel de tartre & de l’alun : évaporer ensuite à une chaleur très lente ce
magistère, jusqu’en consistance d’une bouille fort épaisse, avec laquelle vous
teindrez le corps blanc & inodore de la noix muscade, que vous sécherez à l’air
doucement, pour le garder & en faire le baume, où vous y ajouterez sur-le-
champ l^huile distillée de la plante, & le baume sera parfait, & il se conservera
en odeur & en couleur, aussi longtemps qu’on le peut désirer. Mais il faut
observer qu’on ne doit pas dessécher entièrement le magistère des fleurs ou des
herbes, avant que de colorer le corps du baume, autrement il ne se ferait aucune
union ni aucune liaison, & par conséquent il n’y aurait aucune légitime
coloration.

On peut faire la même chose que nous venons de dire avec les fleurs de roses,
de pœone, de pavot rouge, des iris, & de la graine d’écarlate ou de kermès, pour
en faire les magistères, qui serviront à donner la couleur aux baumes des fleurs
sans aucun mélange étranger.

Mais avant que de quitter ce que nous avons commencé des baumes, nous vou-
lons bien enseigner encore après le très docte Sennert, le moyen de faire les
baumes pour l’intérieur, d’une autre façon qu’avec le sucre, qui ne seront pas si
agréables ; mais qui auront néanmoins autant ou plus de vertu, & qui
contiendront comme en raccourci l’efficace du mixte, duquel ils seront
composés.

Pour les faire, prenez une once de l’extrait de la plante de la racine, de la fleur
ou de la semence, auquel vous ajouterez deux drachmes de manne choisie,
mêlez-les ensemble à une chaleur lente ; & lorsque le mélange sera refroidi,
ajoutez-y une drachme & demie de l’huile distillée de son mixte, & ainsi on

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aura un baume qui se pourra donner en bol, ou qu’on pourra mêler dans des
bouillons, ou dans d’autres liqueurs appropriées à la maladie & au remède.

SECOND EXEMPLE.

§. 1. De la racine d’année ou de campane en latin : Enula campana.

Cette racine mérite bien que nous parlions de sa préparation, & que nous
fassions les remarques nécessaires pour l’instruction de l’Artiste ; car outre
qu’elle est remplie de beaucoup de vertu & de propriétés très particulières, c’est
que de plus nous ferons voir tout d’une suite ce que l’Apothicaire Chimique
doit faire, selon le jugement & l’expérience, pour tirer de cette racine, qui nous
est domestique, plusieurs bons remèdes pour orner & pour fournir sa boutique,
afin que Messieurs les Médecins y aient recours, lorsqu’ils en auront besoin,
pour le bien des Malades.

Commençons par le choix du temps auquel il faut arracher cette racine de terre,
afin qu’elle soit abondamment fournie de ce que nous y cherchons, qui est un
sel volatil, spirituel & sulfuré, qui se manifeste par son goût & par son odeur.
Disons donc qu’il faut arracher cette racine au commencement du printemps,
lorsqu’on commence à voir pousser les œilletons, ou les pointes aiguës qu’elle
pousse hors de terre en ce temps-là ; car si on attend davantage, cette vertu qui
est concentrée dans la racine, & qui est l’âme de la végétation, s’explique soi-
même & se pousse au-dehors, pour faire paraître le caractère visible de l’idée
invisible, qui lui a été donnée par le Créateur de la nature ; & ainsi la racine
s’épuise soi-même de sa vertu séminale, pour fournir à la beauté de la
végétation parfaite.

Lorsque vous aurez une bonne quantité de campane de cette qualité, qu’elle soit
encore tendre & succulente, en sorte qu’on la puisse couper en tranches en long
ou en rouelle ; il la faut bien laver, puis couper les racines les mieux faites & les
plus tendres en morceaux, de la longueur du doigt indice & de la grosseur du
petit doigt ; & les autres, il les faut couper par taléoles ou par rouelles de
l’épaisseur d’un écu blanc ; ensuite de quoi, il les faut mettre dans une cucurbite
de verre au sable, avec une suffisante quantité d’eau nette ; il faut couvrit la
cucurbite de son chapiteau, y adapter un récipient, & en lutter exactement les
jointures ; puis y donner le feu par degrés, & distiller en augmentant le feu
jusqu’à faire bouillir ce qui est dans le vaisseau, afin de cuire les racines. Par
cette opération, vous faites plusieurs choses à la fois ; car lorsque la racine est
cuite, en sorte qu’elle se trouve molle sous les doigts, on peut cuire du sucre
avec la décoction, qui reste dans la cucurbite en sucre rosat, afin d’y plonger les

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morceaux longuets, après qu’ils auront jeté leur eau superflue dessus un tamis
renversé ; & ainsi on aura de la confiture liquide de campane, qui se gardera
longtemps. Si on redouble la cuite du sucre, & que la racine y soit mise encore
une fois, & qu’elle soit séchée dans l’étuve, on aura de la confiture solide, pour
ceux qui vont en campagne. Mais de plus, on peut battre au mortier de marbre
les taléoles, après qu’elles auront été égouttées, & les passer à travers un tamis
pour en tirer la pulpe, que l’on confira aussi avec du sucre cuir en tablettes, & ce
sera une conserve qui sera très bonne seule à ses usages, mais qui servira de
plus de corps pour recevoir d’autres remèdes pour la rate & pour la poitrine, &
en former ainsi des opiates & des électuaires, qui seront excellents.

Mais nous avons réservé le meilleur pour le dernier, qui est l’eau spiritueuse &
le sel volatil sulfuré, qu’on a tiré par la distillation, durant le temps de la cuite
de la racine, & qui auraient été perdus, si cette cuisson avait été faite dans un
chaudron, ou dans une bassine à feu nu, qui serait une perte très grande, & qui
ferait connaître dans l’Artiste un défaut de jugement, de connaissance &
d’expérience : car cette eau distillée a le propre goût & la propre odeur de la
racine, & par conséquent elle possède la meilleure portion de sa vertu, parce
qu’elle est remplie d’un sel volatil excellent & très subtil, qui monte dans le
chapiteau en forme de neige & qui s’attache à ses parois, lorsque la chaleur fait
pénétrer l’eau jusque dans le centre de la racine, & que ce sel étant dégagé du
mucilage de son corps, est sublimé dans le chapiteau par l’action du feu : il est
vrai qu’il n’y demeure pas longtemps, à cause que les vapeurs aqueuses le
dissolvent aussitôt, & l’emmènent avec elles dans le récipient, & c’est ce sel qui
communique à l’eau son goût, son odeur & sa vertu.

Que ceux qui ne me croiront pas, travaillent comme je viens de le dire ; & qu’ils
prennent garde très exactement, lorsqu’ils verront que le chapiteau deviendra
plein de nuages blancs, & qu’il s’attachera quelque chose au-dedans d’icelui ;
qu’alors ils aient un autre chapiteau pareil, qu’ils délutent le premier, & qu’ils
substituent le second en sa place, & alors ils se trouveront convaincus par leurs
propres sens de la vérité que je marque : car l’esprit de ce sel leur remplira le
nez & le cerveau de la vraie odeur de la campane ; & s’ils mettent un peu du sel
qui sera sublimé, sur la langue, ils avoueront que la plante même n’a jamais eu
un goût si subtil, si pénétrant, ni si efficace, & qu’ainsi ce serait un dommage
irréparable & une ignorance grossière, de laisser perdre ce qui est le principal,
& la vertu la plus efficace du sujet sur lequel on travaille.

Ceux qui voudront faire l’extrait de la racine d’aunée, la feront sécher un peu
plus qu’à demi ; puis ils la battront en poudre grossière, & la mettront dans un

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vaisseau de rencontre avec du vin blanc subtil, tant qu’il surnage de quatre
doigts ; ils feront digérer & extraire à la lente chaleur des cendres, jusqu’à ce
que le vin soit chargé du goût, de l’odeur & de la couleur jaunâtre de la racine ;
alors ils retireront ce qui sera chargé, & y en remettront du nouveau, jusqu’à ce
qu’il ne tire plus rien ; puis ils feront l’expression du tout, qu’ils mettront dans
une cucurbite au bain-marie avec les précautions requises, pour en tirer l’esprit
& l’eau spiritueuse, jusqu’à ce que ce qui sortira, n’ait plus ni goût, ni odeur.
Clarifier ensuite ce qui reste au fond du vaisseau, & l’évaporez dans une terrine
au sable, jusqu’à la consistance d’extrait, qui aura en soi toute la vertu de ce
qu’il y a de fixe dans cette racine, & qui n’est pas méprisable, parce qu’il ouvre
le ventre & fortifie l’estomac. La dose est depuis une drachme, jusqu’à une
demi-once : cet extrait est très efficace pour dissoudre & pour évacuer les
substances fixes, gluantes & tartarées du ventricule, de la rate & de la poitrine ;
mais principalement dans la cure des asthmes périodiques, pourvu qu’on y
mêle du diaphorétique d’antimoine & du sel volatil de carabe, qui ne
manqueront pas de fortifier le ventricule, & d’apaiser les mouvements & les
gonflements météoriques de la rate, qui presse ordinairement le diaphragme,
qui est un des principaux organes de la respiration, & qui cause l’oppression de
la poitrine & le défaut de la respiration.

Cet extrait servira de règle pour faire ceux des racines de valériane, de celles de
l’impératoire, de la carline, & principalement du contrayerva, qui est une racine
qui vient du Pérou, & qui est un des plus souverains remèdes contre le poison,
mais principalement dans toutes les maladies pestilentielles & malignes, comme
dans les fièvres d’armée, dans le pourpre, dans la rougeole & dans la petite
vérole ; parce qu’elle dégage puissamment le venin, & qu’elle chasse subitement
les sérosités dangereuses, par la voie des sueurs & par celle de l’urine. Elle fait
aussi des merveilles contre les corruptions de l’estomac, & particulièrement
contre les vers. Il y en a même qui croient que son usage est capable de dissiper
le charme & le poison des filtres amoureux. La dose de la racine en poudre, est
depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme entière dans du vin, ou dans des
eaux cordiales & sudorifiques, comme sont celles de reine des prés, de chardon
bénit & de sassafras. Mais son extrait fait avec exactitude, & l’esprit qui en est
tiré par la distillation, sont sans comparaison beaucoup mieux que le corps
matériel de la racine, & leur dose est moindre de la moitié. Je n’ai pu
m’empêcher de parler en passant de cette digne racine, parce que je sais qu’elle
est encore cachée à la plupart des Apothicaires Français ; & je veux croire que
ceux qui la mettront en usage, par l’ordre de Messieurs les Médecins,
trouveront que les effets répondront aux vertus que je lui ai attribuées.

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§. 2. De la racine de la grande consoude, & de celle du satyrion.

Après avoir parlé des racines odorantes, aromatiques, & qui ont beaucoup de
goût & de sel volatil sensible ; il faut que nous parlions ensuite de celles qui
sont mucilagineuses & qui sont presque insipides ; mais quoiqu’elles paraissent
n’avoir aucune saveur, cependant elles possèdent de la vertu en assez grande
abondance, pourvu que l’Artiste sache délier la viscosité & la lenteur de leur
substance, afin de faire paraître le sel & l’esprit qu’elles contiennent, dont la
pointe & l’efficace sont emprisonnées & arrêtées par les liens de cette substance
gluante, qui les empêche de produire au-dedans de nous les beaux effets
qu’elles retiennent dans leur centre. Or, cela ne se peut pratiquer que par le
travail de la Chimie, qui rend visibles les vertus cachées, & qui manifeste le
mystère que chaque mixte possède. Nous commencerons par la préparation de
la racine de la grande consoude, qui, quoique visqueuse & insipide, ne laisse
pas néanmoins de produire de très beaux effets au-dehors & au-dedans des
corps. Car elle est merveilleuse pour résoudre toutes les contusions, elle fortifie
les parties nervales des jointures dans toutes les espèces de luxations ; mais elle
est encore plus admirable en cataplasme, avec de la poudre de la pierre
nommée Osteocolla, tant pour empêcher les accidents des fractures, que pour
engendrer le calus, qui est nécessaire pour la réunion des os rompus.

Cette racine qui produit des effets si notables pour l’extérieur, n’est pas moins
admirable pour arrêter le crachement du sang, causé soit par la rupture de
quelque veine, soit qu’il procède de l’érosion de ces mêmes vaisseaux, qui se
fait ordinairement en la poitrine & en la gorge : de plus, son usage continué
guérit les hernies de diverses espèces, pour vu qu’on ait soin en même temps de
tenir la partie sujette avec un bon bandage, & d’appliquer tous les trois jours un
cataplasme fait avec la même racine, du crocus de mars astringent, & de la terre
douce de vitriol. Or, nous n’avons avancé ce que dessus, que pour faire mieux
comprendre que cette racine recolle une puissante vertu, & que pourvu que
l’Apothicaire Chimique soir capable de la digérer & de l’extraire pour en
séparer les hétérogénéités nuisibles, & qui empêchent cette puissance cachée
d’être réduite en acte, pour faire paraître le mystère de la nature, que chaque
individu cache profondément en son centre. Et pour y parvenir, il y procédera
de la manière qui suit.

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§. 3. Comment on fera l’extrait ou le sang des racines de la grande consoude & de celles
du satyrion.

Quoique cet extrait ou ce sang se puisse faire avec la seule racine de la grande
consoude, & qu’il aurait beaucoup de vertu : cependant je trouve non
seulement à propos, mais aussi très nécessaire, d’y joindre les racines, les
feuilles & les fleurs de la consoude sarrasine, celles du bugle qui est la consoude
moyenne, de celles du prunella ou de la petite consoude, & de la semence de
millepertuis ; parce que le sel balsamique des feuilles & le soufre embryonné
des fleurs & de la semence, contribueront infailliblement à la perfection du
remède que nous allons décrire.

Prenez deux livres de racines de la grande consoude, & autant des racines, des
herbes & des fleurs des trois autres espèces, qu’il faut soigneusement monder &
laver ; puis battez-les au mortier de marbre avec un palon de bois, tant que le
tout soit réduit en bouillie, à laquelle vous ajouterez une demie livre de
semence de millepertuis, qui aura aussi été réduite en bouillie dans le même
mortier, en l’arrosant peu à peu avec du vin blanc ; joignez au tout une livre de
mie de pain de seigle, & autant de celle de pain de froment : mêlez tout cela
comme il faut ensemble, & l’imbibez encore d’un peu de bon vin blanc, jusqu’à
ce qu’il soit converti en une forme de bouillie claire, que vous mettrez dans un
matras à long col, que vous boucherez avec un autre matras, dont le col entrera
dans le premier jusqu’à la longueur de quatre pouces; luttez-en les jointures très
exactement avec du blanc d’œufs battu, du linge, de la vessie & de la chaux
vive, comme nous l’avons enseigné dans le Traité des lutations. Suspendez le
vaisseau dans le bain vaporeux, ou le mettez digérer à la chaleur du fumier, ou
à quelque autre qui lui soit analogue, & donner une chaleur lente & digestive,
tant & si longtemps que la matière soit changée en une espèce de chile, qui soit
rouge & coloré comme le sang. Alors laisser refroidit le fourneau, tirez-en les
vaisseaux, coulez la matière au travers d’un couloir de linge neuf, pressez ce qui
reste fortement : mettez cette expression rouge & colorée au bain vaporeux, afin
d’en faire la seconde digestion & une purification plus exacte ; car la liqueur se
clarifiera beaucoup mieux, & les lies ou les restes de l’impureté feront un
sédiment au bas du vaisseau, qu’il faudra séparer en versant doucement par
inclination ce qui sera clair, d’avec ce qui est féculent ou bourbeux ; continuez
cette digestion & cette séparation du pur d’avec l’impur, jusqu’à ce que la
liqueur soit claire, rouge & transparente, en sotte qu’il ne se fasse plus aucun
sédiment d’impureté : mettez alors cette liqueur, ainsi dépurée dans une
cucurbite au bain vaporeux ou au bain-marie, & en retirez par la distillation

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environ les deux tiers, & il restera au fond du vaisseau le vrai extrait
balsamique de ces racines vulnéraires, qu’on nomme assez proprement, le sang
de la grande consoude, qui est merveilleux contre toutes les espèces de hernies,
avec les précautions que nous avons dites : il est aussi très excellent, pour aider
à consolider les ulcères du dedans, & principalement ceux de la poitrine : il est
aussi très bon pour en mêler dans les injections, qui se font dans les plaies,
comme aussi pour en tremper les plumaceaux qu’on applique à leur orifice. La
dose est depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme, dans l’eau qu’on en
aura retirée par la distillation dans du vin blanc, ou dans quelque autre liqueur
convenable, comme dans les potions vulnéraires ; mais il faut continuer
plusieurs jours tous les matins à jeun ; & même dans les maux in-vétérés, il faut
en prendre durant le temps du mois philosophique, qui est de quarante jours.

Il faut suivre cette préparation de point en point, pour faire l’extrait ou le sang
des racines de satyrion ; hormis qu’il n’y faut faire aucune autre addition que
celle du pain & du vin, avec une drachme de très bon ambre gris pour chaque
livre de matière qu’on mettra digérer. La dose est aussi la même que l’extrait
précédent, tant pour fortifier la matrice, que pour la rendre fertile & propre à la
génération. C’est aussi un spécifique très assuré, pour remettre en leur devoir
toutes les parties qui sont destinées au coït, & à tout ce qui s’en suit. Ceux qui
voudront ajouter une de-mi’once de chair de vipères desséchées au bain-marie,
à chaque livre des racines de satyrion, avant que de les digérer avec le pain & le
vin, rendront ce remède beaucoup plus efficace. Notez qu’il faut prendre ces
racines au commencement du printemps, & qu’il ne faut prendre que le
testicule qui est lisse & plein, & rejeter celui qui est ridé & flasque : la signature
de cette racine témoigne très évidemment, que la nature l’a fournie des vertus
nécessaires aux parties dont elle représente la figure.

§. 4. De la racine de la fougère femelle.

Quoique cette racine soit commune, cependant elle n’est pas assez en usage, eu
égard à ses belles vertus. Or, ce qui est cause que Messieurs les Médecins ne
peuvent faire des observations légitimes sur la vertu particulière & spécifique
des choses, c’est qu’ils les confondent ordinairement les unes avec les autres, ce
qui fait qu’ils ne peuvent proprement déterminer, à laquelle de ces choses ils
attribueront les effets des remèdes qu’ils ont ordonnés. Mais la Chimie & ses
Sectateurs, y procèdent d’une autre manière ; & comme ils reconnaissent que la
nature est une & simple, aussi veulent-ils suivre cette bonne mère le moins mal
qu’il leur est possible. Et comme ils ont connu par les sens, que la racine de la
fougère femelle a quelque viscosité coagulée en elle, qui témoigne qu’elle a

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beaucoup de sel volatil sulfuré, qui est d’une rare vertu, qui se connaît par son
amertume qui est mêlée de quelque astriction, mais que cette vertu était cachée
sous l’ombre du corps ; aussi ont-ils trouvé nécessaire de la retirer de sa prison,
par le moyen de la fermentation de la manière qui suit.

Prenez quarante ou cinquante livres de cette racine, qui aura été cueillie au
commencement du printemps, & lors seulement qu’elle commence à faire
paraître une petite production jaunâtre hors de la terre, afin qu’elle n’ait encore
rien perdu de sa substance interne par la végétation : lavez-la, & la nettoyez de
toute la terre qui la couvre, & sa séparez de tout ce qu’il y aura de superflu, sans
ôter néanmoins ce qu’elle avait commencé de pousser à la superficie de la terre ;
coupez-la, puis la battez grossièrement au mortier de pierre ou de marbre,
mettez-là dans un tonneau de quinze ou vingt sceaux, & versez dessus douze
sceaux d’eau chaude, comme pour plumer, & les agiter bien ensemble ; puis
mettez-en deux sceaux en levain ou en fermentation, avec de la levure de bière
ou avec un peu de levain ordinaire du pain & un peu de farine de seigle ; &
lorsque la liqueur commencera à s’élever & à bouillir, versez-la dans le tonneau,
pourvu que la liqueur qu’il contient soit d’une chaleur tempérée, qu’on y puisse
souffrir la main sans aucune incommodité ; couvrez le tonneau & laisser agir le
ferment, après avoir bien agité le tout. Après quoi vous distillerez la liqueur
fermentée à diverses fois par la vessie, deux jours après que l’action de la
fermentation aura été passée. Lorsque le tout sera distillé, & que la distillation
aura continué jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun goût spiritueux & salin, il faut
remettrez tout ce qui aura été distillé dans la vessie, & rectifier l’esprit ; il faudra
mettre à part celui qui viendra le premier, comme le plus efficace & le plus
pénétrant, & ainsi le second & le troisième, jusqu’à ce qu’il ne sotte plus qu’un
phlegme inodore & insipide. Cet esprit est apéritif & désopilatif, qui est destiné
pour ouvrir les obstructions des viscères en général, mais spécialement celles de
la rate & celles de la matrice. La dose est depuis une demi-drachme jusqu’à
deux drachmes, même jusqu’à une demi-once dans la dernière eau qu’on en a
retirée par la rectification, ou dans des bouillons, aussi bien que dans du vin
blanc. Il faut que la fermentation de cette racine & sa distillation, servent
d’exemple pour toutes les autres racines qui sont de la même nature, ou qui en
approchent en quelque façon.

§. 5. Des racines de Jalap & de méchoacan.

Comme nous nous sommes proposés de donner des exemples des racines qui
sont d’une nature différente, nous avons jugé nécessaire de proposer celle de
jalap & celles de méchoacan, à cause que ce sont deux racines qui sont

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purgatives, & qui purgent même toutes deux les sérosités, & néanmoins elles
sont très différentes entre elles ; car l’une est résineuse, qui est le jalap, & l’autre
est mucilagineuse, qui est mêlée de résine & d’une substance saline insipide,
dans laquelle réside en partie fa faculté purgative, pourvu qu’elle soit bien
extraite, qui est le méchoacan : ce qui oblige l’Artiste de se servir de
préparations diverses & de menstrues différents, pour extraire la vertu de ces
racines, afin de les donner en moindre dose, & de les faire agir avec moins de
violence.

§. 6. Pour faire le magistère ou résine du jalap.

La racine du jalap nous est venue des Indes, elle est plus ou moins remplie de
vertu, selon qu’elle participe plus ou moins de la résine, qui n est autre chose
qu’une substance volatile sulfurée, plus cuite & plus exaltée que le sel volatil,
qui se rencontre ordinairement dans les autres racines ; & comme c’est dans
cette partie résineuse & grasse, que réside la vertu purgative du jalap, & qu’il
n’y a que les esprits éthérés, volatils & sulfurés, qui soient capables d’extraire &
de dissoudre cette résine ; les Chimistes se servent ordinairement de l’esprit de
vin rectifié pour cette extraction, ce qui se fait ainsi.

Prenez une livre de racine de jalap, qui soit bien choisie, c’est-à-dire, qui ait des
cercles noirâtres de distance en autre, jusque dans son centre, qui soit massive
compacte & serrée, & qui soit luisante dans son intérieur, lorsqu’on l’a rompue ;
mettez-la en poudre qu’on passera par le tamis ; versez cette poudre dans un
matras, & verser dessus du très bon esprit de vin, qui ne soit participant
d’aucun phlegme ; digérez cela quelques jours aux cendres, & lorsque le
menstrue sera bien chargé de couleur, retirez-le par inclination & le filtrez ;
continuer cette extraction, jusque ce que l’esprit de vin ne se teigne plus. Mettez
toutes vos teintures filtrées dans une cucurbite, & retirer au bain-marie par la
distillation les trois quarts de l’esprit, qui servira encore à des opérations
semblables ; après cela tirez votre cucurbite du bain, & versez sur la liqueur qui
vous reste, environ une pinte d’eau bien claire, qui précipitera la résine du jalap
au fond du vaisseau, parce que l’eau affaiblit l’esprit de vin, qui avait dissout
cette résine, & qui la tenait en liqueur ; ce qui fait qu’elle gagne le fond, à cause
qu’il n’y a plus d’esprit assez subtil pour la tenir en dissolution. Remettez votre
cucurbite au bain, & retirez le reste de l’esprit de vin qui est mêlé avec l’eau, &
cela pour deux raisons, la première, afin que vous ne perdiez pas cette portion
d’esprit de vin, qui est toujours utile ; & la seconde, à cause que par ce moyen
vous faites encore comme une seconde précipitation de résine, parce que
l’esprit de vin en retenait encore quelques peu avec soi, comme la blancheur

248
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 249

lactée de l’eau le témoigne évidemment. Tirez la résine de la cucurbite, & la


mettez dans une écuelle de grès ou de faïence, & la lavez trois fois avec de l’eau
simple, pour lui ôter l’odeur & le goût de l’esprit de vin, qui n’est pas
également agréable à tous ; mais il la faut laver la quatrième fois avec de l’eau
de roses & de celle de cannelle, mêlées ensemble, puis il la faut faire sécher
lentement aux cendres & la garder au besoin.

La dose de cette résine est depuis trois grains jusqu’à quinze, en bol dans des
conserves, ou dans de la gelée de coings ou de groseilles ; on peut encore la
broyer sur le marbre avec trois fois autant de crème de tartre, jusqu’à ce que le
tout soit réduit en poudre impalpable, puis en dissoudre une dose dans de l’eau
ou dans un bouillon : mais il faut avoir une précaution bien exacte, lorsque l’on
donne de cette résine & de toutes les autres qui lui ressemblent, &
principalement de celles qui sont purgatives ; parce que comme leur substance
n’est pas dissoluble dans les liqueurs aqueuses, & qu’au contraire elles se
rassemblent en corps, lorsqu’on pense les avoir parfaitement mêlées ; & que de
plus l’estomac est ordinairement rempli de quelque humidité, on doit
appréhender légitimement que cette résine ne se rassemble, & ne s’attache aux
parois du ventricule, au passage du pylore, ou dans le duodénum, ce qui est la
cause ordinaire des super-purgations : ce qui n’est pas proprement un mauvais
effet du remède ; mais ce n’en est qu’un accident, qui arrive pour n’avoir pas
bien connu la nature de la chose ; car lorsque ces médicaments sont bien
dissous, & qu on les a alliés & joints à la liqueur aqueuse, par le moyen de
quelque corps neutre, il n’y a plus rien à craindre. Il faut donc se servir du jaune
d’œuf pour dissoudre les résides purgatives, afin de les allier avec la tisane, ou
avec le bouillon, dans lequel on les fera prendre au malade ; car il n y a jamais
eu que les accidents qui aient fait craindre ces sortes de remèdes, qui ne sont
aucunement dangereux en leur opération, que lorsqu’ils ne sont pas bien
dissous & bien unis avec la liqueur aqueuse ; c’est néanmoins un très bon avis
que nous avions à donner à cause des maux qui en arrivent tous les jours.

§. 7. Pour faire le vrai extrait du méchoacan.

Prenez une livre de méchoacan, qui soit bien choisi, qui ne soit point carié, &
qui ne soit point mêlé de racine de brione, ce qu’on connaître facilement par la
vue & par le goût. Par la vue, parce que la racine de méchoacan a des cercles,
depuis le centre jusqu’à la circonférence, ce que celle de brione n’a pas : de plus,
le goût découvre encore mieux la vérité ; car celle de méchoacan n’a qu’un goût
farineux insipide, mais celle de brione pique la langue & le gosier, lorsqu’elle a
été tenue longtemps dans la bouche : il faut donc prendre le méchoacan le plus

249
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 250

blanc, & celui qui se casse facilement sans jeter de la poussière, qui témoigne
qu’elle est altérée & cariée. Mettez cette racine bien choisie en poudre subtile,
que vous jetterez dans une cucurbite de verre, & vous verserez dessus de
l’esprit de vin, qui ne soit point rectifié, jusqu’à l’éminence de quatre doigts &
plus ; couvrez la cucurbite de sa rencontra, & luttez-en les jointures ; digérez le
tout à la chaleur des cendres, jusqu’à ce que le menstrue soit bien coloré, que
vous retirerez par inclination, & y en remettrez du nouveau, tant & si souvent
qu’il ne tire plus aucune teinture ; presser la racine fortement, filtrez toutes les
extractions, & les distiller au bain-marie, pour retirer l’esprit de vin de l’eau-de-
vie, qui a servi de menstrue, jusqu’à ce qu’il n’ait plus aucun goût ; cessez alors
le feu, & retirez la résine qui nagera dans ce qui reste dans le vaisseau, & la
faites sécher lentement au sable dans une petite écuelle : mettez cette liqueur
qui contenait la résine dans une terrine vernissée ; ajoutez-y une drachme de sel
de tartre ; & mettez dedans le marc de l’expression, que vous ferez bouillir
ensemble, jusqu’à la consomption de la moitié ; clarifiez cette décoction avec
des blancs d’œufs, & la couler par le drap ; évaporez-la doucement au sable en
consistance d’extrait liquide, auquel vous ajouterez la résine que vous aurez
mise en poudre très subtile, avec trois ou quatre amandes pelées & deux
drachmes de sucre ; puis vous conserverez cet extrait pour le dissoudre,
lorsqu’on en aura besoin, ou pour le donner en pilules.

Notez en panant, que ce n’est pas sans raison que j’ai dit qu’il fallait ajouter des
amandes & du sucre, lorsqu’on triturera la résine ; car il ne faut pas croire que
ce soit simplement pour empêcher qu’elle n’adhère au mortier ou au porphyre,
quoique cela y soit utile : mais c’est de plus, afin que ces deux substances
servent de moyens unissant, pour joindre intimement la résine avec son extrait,
& même pour en faciliter la dissolution dans les liqueurs aqueuses. Cet extrait
est merveilleux, pour évacuer les sérosités superflues de toutes les parties du
corps : il est vrai qu’il est moins actifs & moins violent que la résine de jalap,
dont on se sert aux mêmes effets que de ce remède. Il est surtout spécifique
pour purger la tête, les parties nerveuses & celles de la poitrine. C’est pourquoi,
ce médicament fait très bien dans toutes les affections catarrheuses, dans
l’hydropisie, & dans toutes les douleurs arthritiques, mais plus particulièrement
encore dans la vérole. La dose est depuis six grains jusqu’à trente, soit qu’on le
prenne en pilules ou dissout.

§. 8. Les racines dont on tire les fécules.

Nous ne pouvons assez admirer l’abus qu’ont pratiqué si longtemps les plus
censés & les plus expérimentés Médecins touchant les fécules ; & je m’étonne

250
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 251

que des personnes qui ont tant de fois avoué, confessé & enseigné, que toute la
vertu des choses ne réside en aucune autre substance, que dans les sels qu’elles
contiennent & principalement les végétables : je m’étonne, dis-je, que ces
Physiciens Chymiques se soient servis des fécules, & leur aient attribué la vertu
d’ouvrir, de dissoudre, & de pouvoir pénétrer jusque dans les digestions les
plus éloignées. Pour prouver la véritable raison de mon étonnement, il faut
qu’on sache que les fécules ne sont rien autre chose, que la partie farineuse &
insipide de la racine, qui n’est à proprement parler que de l’amidon : or, il n’y a
personne qui ne connaisse que l’amidon coagule une grande quantité d’eau, &
que par conséquent elle fera le même effet dans l’estomac, lorsque les fécules y
seront introduites, & que la chaleur naturelle agira dessus, comme la moindre
chaleur fait sur l’amidon. Mais pour mieux faire connaître cet abus, il faut que je
dise la façon de faire le plus exactement & le plus artistement les fécules, afin de
faire voir aux moins intelligents, que je n’ai rien avancé contre la vérité, & que
ce n’est qu’avec l’appui de la raison & de l’expérience, que je les ai condamnées.

§. 9. Comment il faut faire les fécules.

On fait ordinairement les fécules de cinq racines principales, qui sont celles
d’arum ou de pied de veau, d’iris, de pœone, de brione & de grande serpentaire. Or, il
suffira de donner l’exemple de l’une de ces cinq, qui servira de modèle pour les
autres, & pour toutes celles qui leur ressemblent. Il faut premièrement avoir
égard au temps auquel on doit arracher la racine, lorsqu’on en veut faire la
fécule, qui est celui auquel la plante commence seulement de pousser le
moindre petit bourgeon, autrement on ne ferait rien qui vaille.

Prenez donc de la racine de brione au point que nous avons dit, & la lavez
exactement ; ratisser l’extérieur de l’écorce de la racine, & la râpez bien
nettement ; presser fortement ce qui sera râpé ; puis laisser affaisser au bas de la
terrine ce qu’il y a de féculente blancheur, jusqu’à ce que le suc soit éclairci,
qu’il faut retirer doucement par inclination ; & comme il y a une substance
mucilagineuse & jaunâtre, qui est au-dessus de la farine blanche qui est au bas,
il faut y verser un peu d’eau claire qui soit tiède, pour en faire la séparation en
faisant une agitation lente & circulaire : lorsque cela est achevé, il faut mettre
cette farine ou cet amidon dans un mortier de marbre, & l’agiter avec de l’eau
claire, jusqu’à ce qu’elle soit blanche comme du lait ; alors il faut passer cette
eau blanche dans une étamine neuve & qui soit un peu serrée, afin que ce qui
serait trop grossier demeure dedans, il faut couvrir la terrine & laisser affaisser
la fécule au bas ; il faut réitérer cette agitation avec de la nouvelle eau, jusqu’à
trois ou quatre fois ; ensuite de quoi, il faut en séparer l’eau par une douce &

251
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 252

lente inclination ; puis couvrit la terrine d’un papier blanc, auquel on fera
plusieurs petits trous avec une aiguille ; puis on l’exposera au Soleil, jusqu’à ce
que la fécule soit séché, qui sera blanche comme du vrai amidon, si on y
procède exactement & nettement.

Telle est la manière de faire artistement les fécules ; mais il serait à souhaiter
qu’elles eussent les belles vertus qu’on leur attribue : car il n’y a personne de
sain jugement & qui soit tant soit peu initié aux mystères de la Chimie, qui ne
conçoive facilement que cette portion terrestre & féculente, qui se sépare de son
suc par sa pesanteur, ne soit plutôt un excrément de la racine, qu’une substance
qui en contienne la vertu. Car il n’en est pas dans la famille des végétaux,
comme dans celle des minéraux & des métaux, vu que les végétaux ne
possèdent qu’une substance saline & volatile, qui contient leur vertu ; au lieu
que les minéraux & les métaux sont fixes en quelque façon, & que c’est dans
cette substance fixe, & dans leur centre matériel & serré que loge leur principale
vertu. Or, cette substance saline est assurément dans le suc de la plante, puisque
c’est le propre des sels de se dissoudre dans l’eau ; que s’il en restait quelque
portion parmi les fécules, les lotions qu’on fait avec de l’eau simple pour les
purifier, emportent sans doute le reste de leur vertu, si bien qu’il ne demeure
qu’une terre subtile, ou un amidon pur & simple. Il serait donc beaucoup plus à
propos de se servit des racines, dont on tire les fécules, lorsqu’elles auront été
séchées, ou entières ou coupées par rouelles ; car on est assuré que leur vertu
saline & mucilagineuse s’est concentrée dans leur propre corps, par
l’exsiccation, & qu’il ne s’est évaporé que la substance aqueuse, phlegmatique &
inutile. J’assure même que ce qu’on jette de l’expression de ces racines, vaut
sans comparaison mieux que les fécules qu’on en tire : il est donc plus
avantageux de couler le suc & le dépurer, puis l’évaporer au bain-marie en
consistance de suc épaissi ou d’extrait, afin de s’en servir au besoin ; puisqu’il
aura la vertu de la racine, & qu’il produira les effets qu’on en espère. Je finis
avec cela l’exemple des racines, pour passer aux autres selon leur rang & selon
leur ordre.

SECTION SECONDE.

Des Feuilles.

Quoique nous ayons amplement & généralement parlé des feuilles des
végétaux, lorsque nous avons parlé de leur préparation & de leur différence au
commencement de ce Chapitre des végétaux : nous avons néanmoins encore
beaucoup de choses à y ajouter, tant pour la distillation de leurs eaux simples,
que pour celle de leurs esprits & de leurs nulles ; car pour leur extraction &
252
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 253

pour leur réduction en sel, nous en avons assez parlé ci-devant, nous en dirons
pourtant encore quelque chose de plus particulier.

Nous avons suffisamment instruit l’Artiste pour tout ce qui concerne les plantes
odorantes, les plantes aigrettes & succulentes, & celles que nous avons appelées
anti-scorbutiques, qui sont succulentes & piquantes, à cause du sel volatil
qu’elles contiennent, pour en tirer diverses préparations ; mais il faut encore
enseigner ici le moyen de distiller les plantes, pour le général de la boutique de
l’Apothicaire Chimique, selon la classe à laquelle elles peuvent être réduites.

Pour cet effet, l’Artiste aura recours à la figure, qui est peinte à côté de cette

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 254

page, afin de se fournir d’un vaisseau & d’un fourneau, qui soit capable de lui
servir à distiller les plantes qui n’ont point d’odeur & qui ne sont pas acides,
comme sont l’alchimille ou le pied de lion, la bourrache, la buglosse, le chardon
bénit, l’euphraise, la fumeterre, la laitue, la mercuriale, la morelle, la primevère,
le pourpier, le pissenlit ou taraxacon, la verveine, & toutes les autres plantes qui
sont de cette classe, ou qui en approchent. Pour se servir de ce vaisseau avec
utilité, il faut que nous disions en peu de mots le moyen de s’en servir, & les
raisons pourquoi on le préfère aux autres. Ceux qui se sont servis jusqu’ici, &
qui se servent encore de la cloche de plomb & du pot de dessous, pour la
distillation des eaux des plantes & des fleurs, n’ont pu éviter jusqu’ici que leurs
eau, n’aient senti le brûlé, qui est ce qu’on appelle empyreume, à cause qu’ils
n’ont pas eu la patience requise, ni le soin pour bien gouverner leur feu ; &
aussi parce qu’ils ne se sont pas servis de quelques moyens interposés, pour
empêcher l’action trop violente du feu sur une matière si peu fixe qu’est la
végétable. Or, comme les Chimistes ont reconnu ce défaut, ils ont étudié ce qu’il
y aurait à faire pour empêcher un si mauvais effet. Et pour y parvenir, ils ont
trouvé la construction du fourneau que nous avons fait représenter, & celle du
vaisseau distillatoire qu’il contient, dont voici la description.

Il faut premièrement bâtir un fourneau rond, qui ait deux pieds & demi de
diamètre, & deux pieds & demi de hauteur, auquel on laissera un cendrier & un
foyer pour contenir les charbons ; il faut approprier un pied au-dessus de la
grille du foyer, un chaudron de taule ou de plaque de fer, qui ait nuit pouces de
profondeur, & qui ait de chaque côté un pouce moins de largeur, que n’en a le
diamètre du dedans du fourneau, afin qu’il reçoive la chaleur de toutes parts ; il
faut aussi que ce chaudron ait un bord plat en haut, qui soit large de trois
pouces, afin de l’appuyer sur le bord du fourneau, & qu’il soit soutenu par-
dessous de deux barres de fer mises en travers : ce bord doit être percé de huit
trous d’un pouce de diamètre, également distants l’un de l’autre, qui se
puissent ouvrir & fermer avec une lunette de même matière que le chaudron,
afin que ces trous servent de registres pour augmenter, diminuer & supprimer
le feu. Il faut que ce vaisseau ait au fond deux pouces de sable ou de cendre,
afin de poser là-dessus le second chaudron qui sera de cuivre étamé, qui soit
d’un demi-pouce moins large de chaque côté, que celui qui est de fer, & qui le
doit recevoir, & de la hauteur de cinq pouces & demi ; c’est ce vaisseau qui doit
recevoir la plante, le fruit ou la fleur qu’on voudra distiller, ou même quelque
liqueur, pourvu qu’elle ne soir pas acide. Ce second vaisseau doit être couvert
de son chapiteau, qui soit ample & relevé en dôme avec deux canaux, par
lesquels sortira l’eau qui aura été condensée dans ce chapiteau : on pourra

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 255

mieux concevoir les proportions du reste de la figure, qui est ci-dessus page 45,
que de la décrire : mais il faut que nous parlions ensuite de son utilité.

Le principal but qu’a eu l’Artiste dans la construction de ce fourneau & de son


vaisseau distillatoire, a été sans doute d’empêcher l’odeur empyreumatique, qui
se contracte ordinairement par l’action trop prochaine du feu sur le vaisseau,
qui contient la plante qu’on distillera : or cela ne peut arriver ici pour les raisons
suivantes, qui sont premièrement, que le feu n’agit pas immédiatement sur le
vaisseau, qui contient le sujet qu’on distille, puisqu’il rencontre le fond du
chaudron de fer qui fait la première résistance ; ensuite le sable ou les cendres
font la seconde, parce que l’une de ces deux substances rompt l’action & la
violence de cet agent dévorant ; & ainsi le fond du vaisseau de cuivre ne reçoit
qu’une chaleur tempérée, & qui est néanmoins suffisante, pour faire monter
toute l’humidité de la matière qu’on distille dans le chapiteau, qui s’y convertit
en eau, qui est reçue dans les récipients appropriés, & n’est pas obligé à un si
grand soin ni à une attache si ennuyeuse : car lorsqu’il a une fois mis sa
distillation en train, il peut emplit le foyer de charbons, sans craindre aucun
mauvais accident, pourvu qu’il ait le soin de boucher exactement les portes du
cendrier & du foyer, & de ne laisser aucune expiration d’air à ses registres, ou
qu’il en laisse si peu, que cela soit simplement capable de nourrir & d’entretenir
le feu dans le degré où il est lorsque les deux becs de son chapiteau vont goutte
à goutte sans aucune intermission : alors il est assuré qu’il n’aura pas besoin
d’avoir aucun égard au gouvernement du feu de plus de nuit ou dix heures.
Mais ce qui est encore le plus avantageux & le plus considérable, est que les
eaux qui ont été distillées de cette manière, ont en elles toute la vertu requise,
qui consiste dans le sel essentiel, ou dans le sel volatil de la feuille, ou de la
plante entière avec sa fleur ; mais il faut observer qu’on doit retourner & remuer
de quatre heures en quatre heures la matière qu’on distille, si elle est solide, en
levant doucement le chapiteau avec la corde qui est soutenue de la poulie pour
une plus grande facilité. Et lorsque la plante sera tout à fait desséchée, on la
trouvera privée d’odeur, friable & séché de façon, qu’on la peut facilement
mettre en poudre avec le bout des doigts sans néanmoins qu’elle soit
aucunement brûlée : au contraire, elle est encore d’un vert, qui sera plus ou
moins brun ou noirâtre, selon que la plante aura été succulente.

Ce vaisseau ne sert pas feulement à la distillation des herbes ; il sert aussi à celle
de leurs sucs, pourvu qu’ils aient été dépurés au bain-marie avant que d’être
mis dans le bassin, afin que l’odeur herbacée qui provient des fèces des plantes,
ne se communique pas à leur eau : ainsi on aura une très bonne eau, & le suc
épaissi ou l’extrait improprement dit de la plante. Il sert encore à la distillation

255
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 256

des fruits comme pour faire l’eau de noix vertes, de pommes, des melons, des
concombres, & de quelques autres fruits semblables. On y peut aussi distiller le
lait, le sperme des grenouilles, & la bouse de vache, dont on tire l’eau qu’on
appelle de mille fleurs. Enfin on y peut mieux distiller que dans pas un autre
vaisseau, les fleurs de nénuphar, celles de pavot rouge, celles de sureau, celles
des rêves, & celles de chèvrefeuille. Et pour conclure en un mot, c’est un
vaisseau dont le laboratoire chimique, ou la boutique d’un Apothicaire curieux
de la distillation, ne peuvent être privés.

On peut facilement calciner les plantes qu’on aura distillées de cette façon,
parce qu’elles sont son sèches, & ensuite en tirer le sel, afin de le joindre à l’eau
de la plante, & ainsi la rendre non seulement plus virtuelle & plus efficace ;
mais aussi faire qu’elle se conservera beaucoup mieux & plus longtemps, sans
aucune altération, qui est le profit de l’Apothicaire, la satisfaction des Médecins
& le bien des malades.

Nous avons encore à parler ici des plantes odorantes, qui sont mercurielles &
sulfurées, & qui ne sont pas au vrai point de leur vertu, que lorsque la chaleur
du Soleil & leur archée intérieur a cuit & digéré l’humidité superflue, qui
empêchait leur perfection. Cette sorte de plante, est pourtant celle qui nous
fournit la plus ample & la plus belle moisson, pour garnir les boutiques, & pour
employer le temps avec utilité & avec un grand agrément. Les plantes qui sont
de cette classe, sont l’absinthe, l’auronne mâle & femelle, l’aneth, l’anis, le cerfeuil, la
coriandre, le fenouil, l’hyssope, la marjolaine, la matricaire, la mélisse, le pouillot royal,
le persil, la rhue, la sabine, le scordium ou l’herbe à l’ail, la tanaisie, & toutes les
autres plantes odorantes qui ont quelque analogie, ou quelque correspondance
à celles qui sont de cette classe. Le vrai temps de cueillir ces plantes pour en
tirer ce qu’on en espère, c’est lorsqu’elles sont tout à fait en fleur, & que la
semence commence à se former dans leurs épies ou dans leurs ombelles : car
c’est le vrai point auquel la racine est tout à fait épuisée, & que la nature est
dans l’intention de concentrer & d’unir dans la semence ce qui se trouve alors
encore épars & diffus dans la tige, dans les feuilles, dans les fleurs & dans cette
semence embryonné. Or, il faut nécessairement empêcher que cette
concentration ne se fasse & ne s’accomplisse, autrement il ne serait plus
possible d’extraire la vertu de ces plantes, par le moyen de la distillation avec
de l’eau, comme elle se sait par la vessie. La raison est, à cause que tout ce qui
est encore volatil, & de la nature saline & volatile, se digère, se cuit & se fixe en
quelque façon par la maturité, & par l’union de cette substance spirituelle en
une huile grasse, visqueuse & lente, qui ne se communique plus si facilement à
l’eau, que par le moyen de la désunion de ses parties & de leur défermentation,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 257

s’il est permis de parler ainsi ; mais il n’est pas nécessaire de travailler
inutilement, puisque nous pouvons prendre ces plantes dans le temps que la
nature n’a pas encore poussé ce végétable au vrai point de sa destination
naturelle, c’est-à-dire, à la perfection de la semence, qui est la source de la
perpétuation & de la multiplication des êtres.

Lorsque vous aurez l’une de ces plantes, qui aura été cueillie le matin un peu
après le lever du Soleil, lorsqu’elle est en l’état que nous venons de dire ; il la
faut couper fort menu avec des ciseaux, & la mettre dans la vessie, qu’on
emplira jusqu’à demi pied près d’être pleine : vous y verserez de l’eau jusqu’à
la même hauteur, vous couvrirez la vessie de la tête de maure, lutterez les
jointures avec des bandes de papier enduite de colle faite avec de la farine & de
l’eau ; donner le feu, & tenez la porte du fourneau & les registres ouverts,
jusque ce que les gouttes commencent à tomber dans le récipient, & que vous ne
puissiez plus empoigner le canal, qui est entre la tête de maure & le tonneau,
sans vous brûler ; il faut alors fermer exactement la porte & les registres, afin
que la matière ne monte pas en corps jusque dans la tête de maure, par une trop
violente ébullition ; mais que les vapeurs en soient seulement élevées &
poussées jusque dans le canal, qui passe à travers du tonneau qui contient de
l’eau froide, qui les condense en une liqueur mêlée d’eau, d’esprit & d’huile
éthérée & subtile, comme cela se voit clairement dans le récipient, où l’eau
spiritueuse soutient l’huile qui surnage au-dessus. Il faut continuer le feu dans
ce même degré, jusqu’à ce que l’eau qui en sort, soit insipide & inodore. Après
quoi, il faut ouvrir la vessie & retirer ce qu’elle contient, qu’il faut couler &
presser l’herbe, la faire sécher & la brûler pour en tirer le sel ; mais il faut
clarifier la décoction & l’évaporer en consistance d’extrait, qui contiendra ce que
la plante a de plus fixe : car ce qui en est sorti par la distillation, est de nature
volatile. Il faut laisser reposer le récipient, qui contient la première partie de ce
qu’on a tiré par la distillation, afin que toute la substance oléagineuse se sépare
avec le temps de la substance spiritueuse & aqueuse, & qu’elle s’assemble au-
dessus ; lorsque cela sera de la sorte, il faut faire la séparation de l’huile & de
l’eau, par le moyen du coton, qui la tirera à soi, & la fera couler dans la fiole
qu’on aura liée au haut du col du récipient, comme on verra en la figure, a côté
de celle de la vessie & du tonneau ; ( vous en trouver la figure au Tome I. ) &
lorsque le coton ne tire plus rien, à cause que l’huile est abaissée, il la faut faire
monter, en y versant doucement de la même eau de la plante, dont on aura tiré
l’huile, & continuer ainsi jusqu’à ce que toute l’huile soit épuisée & séparée de
l’eau. Lorsqu’on a travaillé sur une bonne quantité de plantes, & qu’on a
beaucoup d’eau spiritueuse, on peut la rectifier, afin d’avoir l’esprit à part, qui

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 258

est ce qui sortira le premier, & continuer ensuite la distillation, jusqu’à ce que
l’eau n’ait plus d’odeur, & garder-le tout au besoin.

Voilà le vrai moyen d’anatomiser les plantes, qui sont de cette dernière classe,
pour en tirer toute leur vertu & tout ce qui est utile à la Médecine : c’est aussi la
vraie méthode de s’instruire, pour connaître à fond la vertu des plantes ; car
selon qu’elles abonderont en nulle, en sel volatil ou en sel fixe, en mercure ou
en esprit : on prendra les indications de les employer aux maladies fixes ou
volatiles, c’est-à-dire, ou il y a des obstructions ou des colliquations ; je sais
qu’assurément on y trouvera mieux son compte, que de raisonner simplement
sur les premières, ou sur les secondes qualités, que les Anciens & les modernes
leur ont attribuées si vainement jusqu’ici : ce qui fait voir qu’il n’y a que la
Chimie, qui soit la véritable clef pour ouvrir les corps naturels, afin de
découvrir les vertus des corps, & les appliquer ensuite aux usages, auxquels ils
ont été destinés par la providence du Créateur, pour le soulagement & la
guérison des maux, auxquels nous sommes assujettis.

Nous ne pouvons nous étendre ici sur les vertus des esprits, des huiles ou des
essences, des extraits, ni des sels de ces sortes de plantes ; parce que nous n’en
avons donné le travail que sur le général, sans nous attacher au particulier ; que
celui qui s en voudra servir avec utilité, consulte là-dessus la très docte & très
excellente Pharmacopée du très savant & très expérimenté Médecin M.
Schroder, Physicien ordinaire de la ville de Francfort sur le Mein, où il trouvera
dans un très beau raccourci l’ingénue description de la vertu des plantes,
comme aussi celle de tous les autres produits naturels, qui sont tous décrits
avec un ordre & une méthode véritablement digne de ce grand homme, auquel
la République de la Médecine & de la Pharmacie chimique encore mieux que la
Galénique, sera toujours très obligée.

Il faut que nous achevions cette Section, par la description du travail, qui se doit
faire sur les plantes pour en tirer l’huile, le sel volatil, l’esprit & le sel fixe, sans
aucune addition ; ce qui se fait par la cornue à feu ouvert, dans le fourneau de
réverbère clos : nous prendrons pour exemple de ce travail, la plante qu’on
appelle vulgairement tabac. Si nous étions en un temps auquel cette herbe fut
moins connue, nous serions obligés d’en dire l’origine ; mais il y a si peu de
personnes qui ne sachent qu’elle vient des Indes, que ce serait se rendre
importun d’en dire quelque chose de plus. Disons seulement en passant
quelques-uns de ses noms, à cause que les Auteurs qui en ont parlé, l’ont
diversement nommée. Les Indiens l’appellent Petum ou Petechenune, d’où nous
vient aussi le nom de petun ; & à cause que ce fut Jean Nicot, qui était

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 259

Ambassadeur de France en Portugal, qui en envoya le premier de la semence à


la Reine Catherine de Médicis, on la nomma l’herbe à la Reine & Nicotiane ;
d’autres l’appellent de plus l’herbe Sainte, à cause des merveilleux effets qu’elle
produit. Quoiqu’on cultive cette plante en France, en Angleterre, en Allemagne
& dans les Pays-bas, & qu’on l’ait même cultivée en France, & qu’elle y vienne
bien ; cependant celle qui vient des Indes toute séchée & préparée, est toujours
préférable à celle qui croit en notre climat ; car le Soleil n’a pas assez de chaleur
ici, pour digérer l’humidité qu’elle contient ; & pour lui faire acquérir le sel
volatil & le soufre balsamique, qui constituent les principales vertus des
remèdes qu’on en tire. Ce n’est pas qu’on ne se puisse servir du tabac récent,
qui croît en nos quartiers pour en faire l’onguent, l’emplâtre, le sirop, le miel &
le baume simple, dont on trouva les descriptions dans les dispensaires mo-
dernes, aussi bien que de beaucoup d’autres remèdes ordinaires, qui sont dans
les Auteurs qui nous ont laissé la louange de cette herbe admirable ; mais
comme nous voulons anatomiser cette plante sans aucune addition, & faire
connaître ce qu’elle recèle de meilleur en soi ; nous sommes d’avis de prendre
du tabac bien conditionné, tel que celui qu’on apporte de la Virginie, Province
des terres Anglaises dans les Indes Occidentales. Et je ne puis m’empêcher de
témoigner mon étonnement sur ce que les Médecins & les Chirurgiens n’ont pas
continué la pratique & l’usage de cette plante, tant pour le dedans que pour le
dehors ; puisqu’elle produit des effets, qui sont au-dessus de l’attente de ceux
qui savent bien employer les remèdes qu’elle fournit ; mais afin qu’elle ne
demeure pas davantage ensevelie dans l’oubli, il faut la distiller de la sorte.

Prenez trois ou quatre livres de tabac de Virginie, qui ne soit ni sophistiqué ni


corrompu ; hachez-le grossièrement, & le mettez dans une cornue de verre, que
vous placerez au four de réverbère dans une capsule, qui soit soutenue sur
deux barres de fer ; mettez une poignée de cendres ou de sable dans la capsule,
ce qui servira pour empêcher que la terre ne casse le verre, & le couvercle
servira de lutation à la cornue, & de moyen entreposé pour rompre la violence
de l’action du feu : couvrez le fourneau, & adaptez le récipient au col de la
cornue ; luttez-en les jointures avec un bon lut salé, que vous laisserez sécher
lentement : donnez le feu par degrés & l’augmenter peu à peu, jusqu’à ce que le
récipient s’emplisse de nuages & de vapeurs, alors entretenez l’égalité du feu,
jusqu’à ce qu’il commence à s’éclaircir, & donner alors le dernier & l’extrême
degré du feu, qui est celui de la flamme, afin que la matière se calcine, & qu’il
ne reste aucune substance saline volatile, ou oléagineuse, il faut cesser
l’opération, lorsqu’on voit que le récipient devient clair de soi-même, & que

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 260

quoique le feu agisse, il ne sort néanmoins aucune vapeur, ni aucune liqueur de


la cornue.

Lorsque le tout sera refroidi, il faut délutez les vaisseaux, & verser ce qui sera
dans le récipient dans une bouteille, afin que l’esprit & l’huile se séparent l’une
de l’autre ; il faut ensuite filtrer l’esprit par le papier, & l’huile demeurera dans
l’entonnoir avec le papier, qu’il faut percer au fond & faire couler l’huile dans
une fiole, il faut rectifier l’esprit, afin d’en séparer le phlegme. On peut garder
l’huile sans la rectifier, pour l’usage extérieur ; mais si on s’en veut servir
intérieurement, il le faut aussi rectifier par la cornue au sable ou aux cendres ; &
pour y bien procéder, il faut mêler cette huile avec le reste de ce qui est
demeuré dans la cornue après la distillation du tabac, jusqu’à ce que le tout soit
réduit en une masse, dont on puisse former des boulettes, qui puissent entrer
dans une cornue qui soit nette, afin de la mettre après au sable, & en retirer
l’huile par une seconde distillation qui sera subtile & claire, dont on se pourra
servir en dedans aux usages que nous dirons ci-après.

Cela étant fait, vous mettrez tout ce qui sera resté de la première & de la
secondes distillation dans un pot de terre non vernissé ou dans un creuset afin
de le calciner au feu de roue, jusque ce qu’il soit réduit en cendres grisâtres &
blanchâtres, qu’il faudra mettre digérer aux cendres dans un matras, avec une
quantité suffisante du phlegme, qu’on a retiré lorsqu’on a rectifié l’esprit, afin
de dissoudre le sel que ces cendres contiennent ; filtrez cette première
dissolution, & remettez de la liqueur sur les cendres, & continuer jusqu’à ce que
l’eau en sorte insipide comme on l’y aura mise : joignez ensemble tout ce que
vous aurez filtré, & le faites évaporer dans une terrine de grès, jusqu’à pellicule
à la vapeur du bain bouillant ; puis le mettez cristalliser au froid, ou achevez de
le dessécher à la même vapeur, en l’agitant doucement avec une petite spatule
de bois ; & lorsqu’il sera bien sec, il le faut mettre dans une fiole qui soit bien
bouchée, pour le conserver à ses usages.

Nous ne cherchons pas à décrire ici les vertus générales du tabac : tant
d’Auteurs Modernes en ont amplement traité, selon les régies de la méthode
ordinaire, que cela serait superflu : je suis seulement obligé de dire, que je
m’étonne de ce que ces Messieurs, qui ne connaissent le tabac que par son
écorce, & par ses qualités premières & secondes, donnent la torture aux
passages qu’ils tirent d’Hippocrate & de Galien, pour les faire venir à leur sens ;
& de ce qu’ils font agir ces deux grands Génies de la Médecine, pour & contre le
tabac, sans qu’ils l’aient jamais connu, ni par sa figure, ni par ses effets. Agitions
d’une autre manière, & faisons voir que les Physiciens Chymiques ne se

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 261

contentent pas de la superficie des choses ; mais qu’au contraire, ils les ouvrent
pour pénétrer jusqu’à leur centre, afin de découvrir ce qu’elles contiennent de
bon, pour l’approprier ensuite aux maladies extérieures & intérieures,
auxquelles ils ont trouvé qu’il était propre par les expériences redoublées, qui
ont été remarquées avec un jugement solide.

L’esprit du tabac est tellement rempli de sel volatil, que cela doit insinuer son
usage & sa vertu, puisque c’est le propre de ce sel de déterger, d’atténuer & de
dissoudre tout ce qui est contre nature, de quelque qualité qu’il soit & en
quelque partie qu’il soit contenu : c’est pourquoi, on se peut servir
heureusement de cet esprit dans l’asthme, & dans les autres oppressions de la
poitrine & des parties qu’elle contient, qui proviennent ordinairement des
pituites glaireuses & des matières tartarées, dont cet esprit est le vrai spécifique
dissolutif : on le prend dans de l’Hydromel, dans du vin blanc, dans du
bouillon, dans des eaux distillées ou dans des décoctions incisives, atténuantes
ou pectorales. La dose est depuis trois gouttes jusqu’à quinze ou vingt, selon
l’âge & les forces des malades qui en auront besoin. Il agit principalement par
les crachats, par les urines & par les sueurs ; il provoque même quelquefois le
vomissement, s’il rencontre l’estomac du malade rempli de quelque madère
mucilagineuse, à cause que cet esprit agit aussitôt dessus, qu’il élève &
fermente cette matière nuisible, & qu’ainsi il chasse toute impureté au-dehors.
Qua data porta ruit.

Si cet esprit est profitable en dedans, son usage n’est pas moins merveilleux
pour le dehors ; car il n’est rien de meilleur pour mondifier les ulcères qui sont
sinueux & chancreux ; surtout, il fait très bien dans les fistules : il excelle aussi
par-dessus les autres remèdes pour les plaies récentes & pour les contusions, si
on en mêle avec de l’urine pour en laver les parties, & en appliquer ensuite un
peu chaudement sur la partie blessée. Disons pour la dernière louange de cet
esprit, que Hartman, célèbre Médecin Allemand, aussi renommé pour la théorie
que pour la pratique, n’a trouvé aucun autre remède contre la cristalline, qui est
le plus pernicieux & plus dangereux de tous les accidents véroliques, que le
seul esprit de tabac, qui apaise comme miraculeusement les extrêmes doubleurs
de cette méchante maladie, qui résout puissamment l’horrible venin qui les
cause, & qui empêche en très peu de temps les suites mauvaises & mortelles qui
l’accompagnent toujours.

Nous avons dit qu’il fallait garder une partie de l’huile qu’on a tirée du tabac
par la distillation, sans la rectifier, & cela avec beaucoup de raison ; parce que
comme on ne destine pas cette huile aux usages intérieurs, aussi n’est-il pas

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 262

nécessaire de la purifier avec tant d’exactitude. Il y a néanmoins une autre


raison plus pressante, qui est que la rectification priverait cette huile de la plus
grande partie du sel volatil qu’elle contient, & qui est intimement joint à son
soufre : or on ne se sert de cette huile extérieurement, que pour consolider les
plaies récentes, pour mondifier & pour guérir tous les mauvais ulcères, & pour
ôter les accidents des contusions ; parce qu’elle résout puissamment le sang
extravasé, & qu’ainsi elle empêche la chaleur & l’inflammation qui précédent
toujours la suppuration, que ce sang extravasé présuppose nécessaire. Mais ce
n’est pourtant jamais l’intention de la nature, pourvu qu’elle soit aidée dans le
temps convenable par quelque remède balsamique, tel qu’est l’huile de tabac
non rectifié. On s’en sert aussi pour apaiser la douleur des dents, & pour
dissiper les tophes & les nodus, qui proviennent des gouttes & de la maladie
vénérienne. Or, comme c’est le sel volatil & l’huile, qui produisent
conjointement tous ces bons effets ; cela montre évidemment qu’il est nécessaire
de s’en servir, sans avoir été rectifiée. Mais lorsqu’on veut se servir de cette
huile intérieurement, il faut en quelque façon corriger son odeur
empyreumatique, qui est désagréable & qui fait soulever l’estomac, ce qui ne se
peut faire que par la rectification : on peut l’employer avec un très heureux
succès contre la suffocation & contre l’étranglement de la matrice, contre les
gonflements & contre les irritations de la rate, qui causent la courte haleine, à
cause de la compression du diaphragme. On en peut aussi donner contre les
fièvres intermittentes un peu avant l’accès, dans les eaux de petite centaurée &
de chamedris ; mais je conseille plutôt qu’on se serve à cet effet du clyssus, dont
nous parlerons ci-après. Pour les affections de la matrice, il s’en faut servir dans
l’eau de pouillot royal, ou dans celle de sabine ; & pour la rate, dans celle de
sassafras, ou dans celle de suc de cerfeuil. Cette huile est un bon anti-
épileptique, pourvu qu’on la donne sur le déclin de la Lune dans de l’esprit
thériacal camphré, ou dans de l’esprit volatil de corne de cerf, mêlé avec l’eau
de muguet & de mélisse. La dose est depuis deux gouttes jusqu’à dix ; mais il
faut remarquer qu’il faut rendre cette huile dissoluble avec du sucre en poudre,
avant que de la joindre aux liqueurs aqueuses.

Il ne nous reste plus que le tel fixe du tabac, qui possède aussi des vertus
particulières : car outre que c’est un escarotique mondifiant, qui est très bénin,
lorsqu’on l’applique sur les chairs baveuses des ulcères, & sur les bords calleux
qui empêchent la réunion ; c’est que de plus il lâche doucement le ventre, si on
en prend dans des bouillons ; il est aussi ennemi des vers & de toutes les
mauvaises générations, qui se font au fond de l’estomac, & dans les intestins.
De plus, il est diurétique & désopilatif, il ôte toutes les obstructions des parties

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 263

qui sont voisines du ventricule, & principalement celles du mésentère & celles
du pancréas. Il nettoie toutes les impuretés de la matrice, s’il est pris
intérieurement, & qu’on mette incontinent après la femme sur une chaise
percée, & qu’on mette dessous elle un parfum des feuilles du tabac, en forme de
bain vaporeux ; il faut que le tabac ait bouilli dans de l’urine & dans du vin
blanc. La dose du sel est depuis quatre grains, jusqu’à quinze & vingt grains,
dans des décoctions, ou dans des eaux qui soient appropriées à la maladie, pour
laquelle on s’en servira.

Mais si l’Artiste prend la peine de faire le clyssus des trois principes du tabac,
qui sont l’esprit ou le mercure, l’huile ou le souffre & le sel, qui soient mêlés
ensemble, avec la proportion telle que nous l’avons enseignée ci-devant, & qu’il
les fasse digérer ensemble, jusqu’à ce que l’union inséparable en soit faite, ce
sera un remède qui vaudra mieux sans comparaison, que l’un de ces trois
principes séparés ; mais la dose en doit être moindre de la moitié.

Peut-être que beaucoup de personnes s’étonneront de ce que j’attribue tant de


belles & de différentes vertus aux remèdes qu’on tire du tabac : mais je sais que
leur étonnement cessera, lorsqu’ils prendront la peine de faire réflexion sur les
différents usages, auxquels le commun du peuple, les Chirurgiens & les
Médecins même en appliquent la plante récente, ou ses feuilles apprêtées &
séchées ; car on s’en sert en fumée, en masticatoire & en poudre pour faire
éternuer, donc les effets sont différents, selon la diversité de la constitution des
personnes qui s’en servent : car il enivre les uns, il désivre les autres ; il en fait
vomir , dormir & veiller ; enfin il semble ( comme il est vrai ) que cette plante ait
quelque chose d’universel, pour ne pas dire divin. Il faut aussi que l’on
considère qu’il y a quelque mystère chimique, qui est caché sous la préparation
de cette feuille : car quoique ceux qui l’apprêtent, ne soient pas capables de
rendre raison de leur façon de faire, cependant le Naturaliste trouve beaucoup à
philosopher là-dessus ; d’autant plus qu’il faut faire choix des grandes feuilles
du milieu, rejeter celles du bas, & tronquer tous les surgeons des côtés du tronc
de la plante, avec les boutons ou les commencements de leurs fleurs, & couper
le haut de la tige & toutes les petites feuilles qui croissent deçà & delà par les
intervalles des grandes feuilles & de la tige, afin de concentrer l’aliment
spirituel & salin de la plante, & de l’arrêter pour la nourriture des dix ou douze
principales feuilles qui sont vers le milieu.

Il y a de plus un point de constellation, qui est d’une observation très nécessaire


pour cueillir le tabac, aussi bien que pour le semer ; si on prétend en faire
quelque chose au-dessus du vulgaire, la semence du tabac est dédiée à la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 264

planète du Verseau & à celle de Mars. On le sème au croissant de la lune


d’Avril, qui est quelque peu avant l’entrée du Soleil en Ariès, & cela très
prudemment, parce qu’il a besoin d’eau & de chaleur modérée dans son
commencement ; ce qui ne se rencontre pas si particulièrement tempéré en
toute autre saison de l’année. On le cueille au déclin de la lune d’Août, lorsque
le soleil est dans le Lion, qui est une constellation de dignité, de force & de
vertu, & en une saison qui peut par sa chaleur, digérer comme il faut,
l’humidité superflue des feuilles du tabac. Mais ce qui est encore plus
considérable, c’est que les feuilles, les bourgeons, les boutons & les fleurs
naissantes n’en sont point inutiles ; au contraire tout cela sert de baume & de
liqueur préparante & conservative, sans laquelle les feuilles les mieux
conditionnées perdraient leur vigueur, leur force & leur vertu, ou par leur trop
prompte exsiccation, on par leur subite corruption & leur pourriture.

On tire le suc de ces parties qu’on a cueillies & coupées, après les avoir battues
au mortier de bois on de pierre, puis on les fait bouillir avec du vin d’Espagne
qui soit douçâtre, qu’on appelle du vin cuit ou avec de la malvoisie, jusqu’à ce
que le tout soit bien & curieusement écumé, après quoi il faut y ajourer du sel,
jusqu’à ce que la liqueur ait acquis le goût & la salure approchante de celle de
l’eau de la mer ; & sur la fin il y faut jeter & mêler de l’anis & du gingembre en
poudre subtile, & laisser reposer cette liqueur, afin qu’elle se dépure & qu’elle
dépose des féculences au fond vaisseau ; lorsque cela est fait, il faut la mettre
dans des vaisseaux bien bouchés, autrement toute sa vertu s’évanouirait. C’est
avec cette liqueur qu’on embaume les feuilles du tabac, lorsqu’elles sont
cueillies ; car on les trempe les unes après les autres dans un baquet rempli de
cette sauce, qui est un peu plus que tiède, car si elle était bouillante, sa vertu
s’en irait en l’air, à cause de la volatilité : & de plus, la chaleur trop violence
cuirait la feuille qu’on y tremperait, & la rendrait inutile. Il faut ensuite entasser
ces feuilles, ainsi préparées les unes sur les autres, & les couvrir de tous les
côtés, afin qu’elles se mitonnent, qu’elles se digèrent & qu’elles se fermentent en
quelque façon, jusqu’à ce que la liqueur les ait pénétrées en toutes leurs parties,
& qu’elles commencent à s’échauffer. Alors il faut prendre une de ces feuilles,
l’étendre & l’exposer à la clarté, afin de voir si elle a changé de couleur, qui doit
être roussâtre ou rougeâtre : cela étant ainsi, il faut promptement découvrir le
tabac, séparer les feuilles, les enfiler & les exposer en un lieu couvert, mais qui
soit ouvert de tous les côtés à un air perméable ; en sorte qu’on le puisse
toujours fermer du côté du Soleil & de celui de la pluie, & laisser ainsi sécher
tempérément ces feuilles, jusqu’à ce qu’on les file, ou qu’on les presse toutes
entières dans des caisses bien enveloppées de leurs mêmes feuilles, & d’autres

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 265

enveloppées encore à l’entour, afin d’empêcher que leur vertu subtile & volatile
ne s’exhale, ce qui s’appelle par le commun, du tabac éventé, qui n’est propre à
aucune chose, s’il n’est refourni de force & de vertu par la décoction de quelque
portion de bon tabac faite dans du vin d’Espagne. Il y en a même qui n’y
emploient que de la bière avec un peu d’aromates ; & c’est ce qu’on appelle du
tabac rhabillé ou raccommodé.

J’ai voulu décrire cette préparation, afin de faire voir la nécessité du choix du
tabac, pour en tirer de bons remèdes, & pour faire d’autant plus admirer les
merveilles que le Créateur a placées dans cette planté, de laquelle on ne se sert
pas au légitime usage, pour lequel sa bonté l’a produite, qui est pour le
recouvrement & pour l’entretien de la santé ; au contraire, on en abuse tous les
jours avec des excès qui offensent sa Majesté divine, qui blessent & qui ruinent
la santé, & qui détruisent les familles & la société civile.

SECTION TROISIÈME.

§. 1. Des fleurs.

Entre le grand nombre de fleurs que la famille des végétaux nous fournit, avec
une si belle, une si agréable & une si divertissante profusion, la nature ne nous
a pas témoigné plus de soin que pour la rose, qu’on peut en quelque façon
appeler la reine des fleurs, tant à cause de la beauté & de l’agrément de son
coloris & de son odeur, que parce qu’elle est de toutes les fleurs celle qui fournit
à la Médecine & à la Pharmacie le plus beau travail. Car un des Auteurs qui a
recherché avec le plus d’exactitude tout ce que les Anciens & les Modernes ont
tiré de simple & de composé de la rose, compte jusqu’à trente-sept différents
sujets, que cette noble fleur prête à la Médecine & à la Pharmacie. Ce qui fait
que je m’étonne que les Grecs aient donné le nom de fleur, qui est ανθος en leur
langue, à la fleur du romarin, par une façon de parler de Rhétorique, comme qui
dirait la fleur par excellence, puisque cette fleur ne fournit pas un si grand
nombre de remèdes que la rose. Néanmoins comme la fleur de romarin possède
aussi bien que la rose, beaucoup d’excellentes vertus, & qu’elle est même plus
balsamique, nous nous servirons de ces deux fleurs dans cette Section, pour
apprendre aux Artistes comment il faut travailler sur les fleurs ; afin que ce que
nous en dirons, leur serve d’exemple pour celles qui seront de la nature
approchante de la leur ; car pour les autres sortes de fleurs, nous avons assez
insinué comment il fallait travailler sur elles, lorsque nous avons parlé
généralement des plantes dans les discours que nous avons ci-devant faits au
commencement du Chapitre des végétaux.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 266

§. 2. De la rose & des préparations que la Chimie en tire.

Avant que d’entrer dans le détail des opérations, que l’Artiste peut faire sur la
rose, il est nécessaire que nous disions quelque chose de ses différences, & du
choix que l’Artiste en doit faire, pour parvenir à la fin qu’il se proposera dans
son travail ; car les roses possèdent des vertus différentes, selon le plus ou le
moins de leur coupleur, de leur goût & de leur odeur. Par exemple, les roses de
Provins sont plus colorées que toutes les autres, & ont un goût plus austère ;
leur substance même est plus compacte, moins altérable, & moins corruptible
que celle des autres ; ce qui marque un alliage bien proportionné de leur soufre
& de leur sel ; c’est pourquoi elles sont plus céphaliques & plus stomachiques :
ce qui fait que les Médecins se servent de celles-là plutôt que des autres, pour la
conserve & pour le vinaigre ; mais principalement pour en tirer la teinture après
qu’elles sont sèches, comme nous le dirons ci-après. Les roses pâles, qui sont
celles qu’on appelle les roses communes entre celles qui sont cultivées, sont
d’une odeur plus pénétrante & plus subtile que les précédentes ; elles abondent
en suc, & sont plutôt fanées & altérées, jusque-là même qu’à peine les peut-on
sécher ; elles ont aussi un goût plus amer & plus salin, qui témoigne leur faculté
purgative & colliquative, comme les effets qu’elles produisent, le vérifient ; c’est
pourquoi on les emploie à la distillation, aux sirops & aux miels, à cause de
l’abondance de leur mercure, de leur soufre & de leur sel, qui sont surmontés
par une humidité, qui les rend capables d’une prompte fermentation, & qui fait
qu’elles communiquent facilement leur vertu aux sujets, qui tiennent de l’un
des crois principes qui abondent en elles.

Il y a une troisième sorte de roses, qui sont celles qu’on appelle roses de damas
ou roses muscates, qui sont d’une odeur agréable, qui ne choque pas le cerveau
si violemment que les roses pâles, qui ne font pas une colliquation si grande,
quand on les emploie à la purgation, & qui n’irritent pas si facilement la matrice
des femmes qui sont sujettes à ses passions. Ce qui, est cause qu’on les préfère
pour en faire les sirops purgatifs simples ou composés ; mais comme on ne
trouve pas de ces roses muscates par tout, & qu’il n’y a que les curieux qui les
cultivent, plutôt pour le plaisir de la vue & de l’odorat, que pour l’usage de la
Médecine ; on substituera légitimement en leur lieu les roses sauvages, qui
feront le même effet qu’on espère de celles-là, pourvu qu’elles soient cueillies à
propos.

La quatrième sorte de roses que la Médecine emploie, sont les roses blanches,
qui ne servent ordinairement que pour les yeux & pour les femmes, à cause des
raisons alléguées. Nous ne passerons pas ici le temps inutilement à décrire

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 267

toutes les préparations ordinaires que la Pharmacie tire de la rose ; nous dirons
seulement ce que nous jugerons être nécessaire pour l’instruction de
l’Apothicaire Chimique, afin qu’il puisse tirer de cette aimable fleur ce qu’elle
contient de plus pur & de meilleur, sans perte d’aucune de ses vertus.

Mais avant que de rien particulariser, il faut que nous disions en deux mots le
temps auquel il faut cueillir les roses, afin qu’on y trouve en leur perfection ce
que la nature y a logé. Pour y parvenir, il faut que celui qui veut travailler sur
les roses, ait le soin de les faire cueillir un peu après le point du jour,
lorsqu’elles ont encore en elles un petit reste de cette humidité balsamique, que
la fraîcheur de la nuit a comme rassemblé & comme concentre au-dehors & au-
dedans de ces fleus, surtout il ne faut pas qu’il ait plu le jour précédent ; mais
principalement lorsqu’on veut employer ces fleurs pour en faire de la conserve
ou pour les sécher ; il ne faut pas aussi les cueillir longtemps après le lever du
Soleil, à cause que cet Astre suce très avidement le baume & le nectar de toutes
les fleurs, qui sont d’une substance délicate & éthérée : or en toutes les fleurs, il
n’y en a guère qui soient plus délicates que les roses ; c’est pourquoi il faut que
ceux qui travailleront sur elles, prennent le temps à propos, comme nous
venons de dire.

§. 3. Comment il faut frire la teinture des roses rouges.

Lorsqu’on aura fait cueillir des roses rouges, qu’on nomme ordinairement de
Provins, avec les précautions requises ; il les faut monder de leurs ongles,
lorsqu’elles ne sont pas encore épanouies, & qu’elles sont seulement en boutons
bien enflés : de plus, que ce ne soit pas des roses doubles, que ce soit seulement
des simples & des ordinaires ; il les faut ensuite faire sécher à l’ombre entre
deux papiers, afin que rien n’exhale que l’humidité superflue ; & que ce qu’il y
a d’odeur & de couleur, soit concentré par une exsiccation lente & modérée ; car
c’est en cela proprement que réside la vertu que Mrs les Médecins requièrent en
la teinture de ces roses qui se fait ainsi.

Prenez une once de roses ainsi desséchées, & les mettez dans une terrine de
grès ou de faïence, versez dessus autant d’eau bouillante qu’il en faut pour les
humecter, & lorsque l’eau les aura bien pénétrées, il faut verser dessus goutte à
goutte en remuant toujours les roses, quatre scrupules de bon esprit de vitriol,
ou autant de bon aigre de soufre, ou encore le même poids d’esprit de sel, selon
l’indication qu’on aura prise du remède & de la maladie ; après quoi, il faut
verser là-dessus quatre livres d’eau bouillante, & couvrir le vaisseau jusqu’à ce
que la liqueur soit refroidie, qu’il faut couler par le blanchet ou la filtrer : on y

267
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 268

pourra ajouter une once ou deux de sucre pour livre de teinture, si le Médecin
le prescrit, & s’il agrée au malade.

Cette teinture est un excellent remède, pour corriger tous les défauts de
l’estomac, & principalement lorsqu’il est dévoyé par les vomissements & par les
flux de ventre, & même lorsque la digestion est dépravée, & qu’il y a défaut
d’appétit naturel, à cause de quelque relâchement des fibres du ventricule, ou
par la dilatation de ses membranes. Surtout, c’est un spécifique dans la maladie,
qu’on appelle Colera morbus, trousse-galant ou dévoiement haut & bas, pourvu
que le malade en boive à grands traits : car la vertu balsamique de la rose, qui
est aidée de l’acide stomachique du vitriol, du soufre ou du sel, remet
admirablement toutes ces agitations & ces tempêtes, dans un calme agréable &
très utile dans toutes les fièvres ardentes, soit qu’elles soient intermittentes ou
continues.

Comme la plus grande partie de ces fièvres proviennent de quelque corruption


qui s’est faite dans l’estomac, il s’ensuit une altération au ferment de la
digestion, qui ne manque pas d’introduire la malignité de l’idée, qu’il a conçue
dans les aliments que prend le malade. Ces aliments mal digérés chassent
continuellement leur venin dans les veines & dans les artères, ce qui cause
l’effervescence des esprits, & par conséquent une suite de la fièvre & de ses
redoublements.

Or comme cette maxime de la Médecine est très vraie, que sublata causa, tollitur
effectus, qui est que lorsque la cause est ôtée, il saut aussi de nécessité, que l’effet
qui en provient, cesse, & que ces fièvres dans le commencement ne sont que les
produits & les suites de la corruption qui s’est faire dans le ventricule ; il
s’ensuit nécessairement que si cette cause est ôtée, assurément la fièvre cessera,
puisqu’elle n’en est que l’effet ; & comme nous avons dit ci-devant, que la
teinture de roses remettait l’estomac de ses fonctions en leur devoir ; c’est aussi
d’elle qu’on doit faire la boisson ordinaire des malades, lorsqu’ils seront
attaqués de ces sortes de fièvres. Ce breuvage n’est pas moins nécessaire contre
la dysenterie, & contre la lientérie, & généralement contre toutes les espèces de
flux du ventre, qui causent aux malades une soif & une sécheresse de bouche
très importune, que cette teinture apaise & humecte comme par miracle.

§. 4. La façon de tirer l’eau, l’huile, l’esprit & le sel des roses.

Nous ne répéterons pas ici les raisons qui nous font prendre des roses pâles ou
communes, ni le choix du temps pour les cueillir, parce que nous l’avons
enseigné au commencement de cette Section. Disons seulement comment

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 269

l’Apothicaire Chimique procédera pour en tirer ce qu’elles contiennent. Pour


commencer, il faut prendre huit livres de roses pâles, qu’il faut éplucher pour
désunir les feuilles de leurs queues, qu’il ne faut pourtant pas rejeter comme on
le fait à l’ordinaire ; au contraire, il les faut laisser avec les roses, parce que ce
qu’il y a de jaune au milieu de la rose, contient une huile matérielle, qui monte
en la distillation en forme de beurre qui nage sur l’eau, qui tire à soi l’huile
subtile & éthérée des feuilles de la rose, & qui l’arrête si bien, que cette manière
de travailler fait que l’artiste aura le double on le triple d’huile davantage ;
mettez les roses dans une vessie, dont la tête de maure & le canal du tonneau
qui rafraîchit, soient d’étain, ou à tout le moins de cuivre qui soit nouvellement
étamé, parce qu’autrement l’huile tirera du goût & de la couleur verte du
cuivre, à cause de son sel volatil qui est très pénétrant & très actif ; versez sur
les roses qui ne doivent être aucunement contuses, le quadruple d’eau de pluie,
s’il se peut, ou de celle de rivière, puis distillez selon que nous l’avons déjà dit
assez de fois. Ne cessez point le feu que vous n’aperceviez par la vue, par le
goût & par l’odorat, que l’eau qui sort, n’est plus chargée d’huile, qu’elle n’a
plus de goût, ou qu’elle ne sent plus rien. Lorsque cela est ainsi, ouvrez la
vessie, videz-la dans un tonneau dont on ait ôté nouvellement la lie, &
recommencez la distillation avec des roses nouvelles, afin de ne point inter-
rompre & de ne point perdre la chaleur du fourneau qui est en train ; il faut
continuer & réitérer jusqu’à ce que vous ayez suffisamment d’huile pour en
faire ce que nous dirons ci-après. Lorsque vous aurez assemblé toutes vos eaux
distillées en un grand ballon, il faut les laisser reposer, afin que l’huile
s’assemble au-dessus, pour la pouvoir tirer avec une cuillère d’argent ; ou ce
qui est encore mieux, il faut couler toutes vos eaux au travers d’un linge bien
net, qui soit tendu au-dessus d’un carlet, & toute l’huile demeurera sur le linge,
que l’on mettra dans une fiole qui soit bien bouchée, à cause de la subtilité de
ses parties. Si vous voulez conserver votre eau comme elle est, vous le pouvez,
car elle est bonne ; néanmoins vous la pouvez rendre meilleure & beaucoup
plus efficace, si vous la cohobez deux fois fur huit livres de roses battues au
mortier de marbre.

Que si on demande la raison, pourquoi nous avons dit ci-dessus qu’il les fallait
laisser entières, & pourquoi nous disons à présent qu’il les faut battre au
mortier ; il faut répondre que dans la première distillation, nous n’avons eu
l’intention que de tirer l’huile, sans nous soucier beaucoup de la perfection de
l’eau ; & que comme l’artiste doit savoir que l’huile se confond avec le sel &
avec l’esprit, par le mélange & la contusion qui s’en fait au mortier, ce qui
empêcherait qu’elle n’en pût être dégagée par l’action du feu dans la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 270

distillation, à cause que l’esprit & le sel la tiennent avec eux invisiblement dans
l’eau : ce qui fait voir la raison pourquoi nous avons ordonné de battre les roses
dans la seconde distillation, qui n’est que pour améliorer l’eau, & lui
communiquer plus de vertu.

Revenons à présent aux restes des distillations qu’on a mises dans le tonneau,
qu’il faut couler à travers d’un couloir de linge grossier, & presser tout ce qui
restera dessus, afin de faire sécher le marc de l’expression pour le calciner, & en
tirer le sel, qu’il faudra purifier & cristalliser comme nous l’avons dit ci-devant,
lorsque nous avons parlé des sels fixes des végétaux.

Mais comme nous voulons mettre la liqueur, qui a été coulée en fermentation
avec des roses nouvelles, on pourrait demander pourquoi nous avons fait
presser les roses distillées avant la fermentation ; & comme cette demande n’est
pas sans fondement, il y faut répondre avec des raisons pertinentes, qui fassent
connaître que nous ne l’avons point avancé sans une nécessité absolue : car si la
substance des roses avait été fermentée auparavant, ce qu’il y a de sel fixe en
elle, aurait été dissout par l’action du ferment, & aurait été volatilisé, en force
que presque toute cette substance saline aurait passé en esprit, au lieu que la
première distillation n’a été capable que de faire l’extraction de l’huile éthérée &
d’une partie du sel volatil de cette fleur.

Il faut chauffer modérément ce qui aura été coulé, & le mettre en fermentation
avec vingt on trente livres de nouvelles roses entières, soit par le moyen du
levain ordinaire, soit par celui de la levure ou du ject de la bière, avec toutes les
observations & toutes les précautions requises à cette opération, qui sont
amplement décrites au commencement de ce Chapitre, auquel nous renvoyons
l’artiste pour ce sujet, aussi-bien que pour la distillation & pour la rectification
de l’esprit qu’on en aura tiré.

§. 5. Le moyen de faire la véritable essence des roses.

L’exemple que nous allons donner, n’est pas un des moindres mystères de la
Chimie ; c’est pourquoi nous le décrirons le plus exactement qu’il sera possible,
afin que l’artiste s’en puisse servir avec utilité & avec plaisir. Pour y parvenir, il
faut prendre quatre onces de sel de roses & les mettre dans une petite cucurbite
; puis verser dessus une demie livre du meilleur esprit de roses qu’on aura tiré ;
il faut couvrir la cucurbite de son chapiteau & en luter très exactement les
jointures, & retirer l’esprit à la chaleur lente du bain-marie, afin que l’esprit
devienne alcoolisé, c’est-à-dire, bien déphlegmé ; car il n’y aura que la pure &
seule substance spiritueuse & éthérée qui montera, & le sel retiendra tout ce

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 271

qu’il y avait du phlegme.

Mais ce n’est pas encore assez de cette subtilisation de l’esprit ; car il faut outre
cela, que cet esprit soit empreint de la plus pure & de la plus subtile partie du
sel fixe, sur lequel il a été distillé, & c’est ce que les Chimistes appellent de
l’esprit alcalisé, comme qui dirait un esprit qui participe du sel alcali de sa
plante, qui est le nom que les Artistes donnent à tous les sels tirés des végétaux
ou de leurs parties, par le moyen de la calcination & lixiviation. Il faut donc
mettre le sel qui a servi à l’alcoolisation de cet esprit, dans un creuset, & le
sécher au feu par degré, jusqu’à ce qu’il rougisse, & prendre surtout bien garde
qu’il ne se fonde ; & lorsqu’il sera modérément refroidi, il le faut mettre dans la
cucurbite & l’esprit par-dessus, & distiller comme auparavant, & continuer ainsi
trois fois, desséchant le sel & distillant l’esprit, afin de l’acuer & de le fournir de
la portion suffisante de son propre sel, qui lui servira de moyen suffisant pour
se joindre & pour se mêler indivisiblement ensemble, pour en former une
essence admirable, tant pour son parfum que pour ses vertus médicinales, qui
surpassent de beaucoup toutes les autres opérations qu’on a pu faire sur les.
Végétaux.

Or le principal de tout ce mystère, est l’alcalisation de l’esprit ; c’est pourquoi


l’artiste aura très exactement égard à la travailler avec la ponctualité requise.
Pour faire le mélange de ces deux corps avec proportion, il faut mettre une
partie de l’huile éthérée très pure & très subtile, & verser dessus trois parties de
l’esprit alcalisé, & vous verrez qu’il s’en fera en un instant une union admirable,
& qu’ainsi vous aurez une essence qui se mêle avec toutes sortes de liqueurs, &
qui recrée parfaitement les sens par sa bonne odeur. Que si on y joint de
l’essence de très bon ambre gris & de celle d’écorce de citron, ce sera un cordial
& un céphalique, qui n’aura point son pareil au monde, tant à cause de
l’excellence de son odeur, qu’à cause des vertus subtiles & efficaces des choses
qui le composent, qui sont très pénétrantes, & qui sont capables de réveiller les
esprits assoupis ou exténués, par les affections soporeuses, qui attaquent
ordinairement le cerveau, & qui en abâtardissent les fonctions, aussi bien que
dans toutes les faiblesses & les autres passions du cœur, soit qu’on donne ces
essences dans du bouillon, dans du vin ou dans quelque eau cordiale, ou même
qu’on se contente seulement d’en laisser couler quelques gouttes entre les
dents, si elles sont serrées, & d’en introduire dans les narines avec une plume
ou avec un peu de cotton. La dose ordinaire de ces essences, est depuis deux
gouttes jusqu’à six, huit & dix gouttes, dans l’une des choses que nous avons
dites.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 272

On pourra de cette même manière faire les essences de tous les végétaux, qui
produisent de l’huile éthérée, & qui peuvent être fermentés pour en avoir
l’esprit, soit que ces plantes aient une odeur agréable ou non. Car celles qui ne
nous semblent pas agréables, ne laissent pas d’être utiles, & d’avoir leurs vertus
spécifiques pour quelques parties du corps humain. Mais comme il y a des
choses simples qui ont été tirées des végétaux, ou de quelque autre substance,
qui donnent néanmoins des huiles qui ont beaucoup de vertu, mais qui en
auraient néanmoins beaucoup plus, & elles étaient converties en essences,
comme sont celles des gommes, des résines, & celle du succin ; il faut que nous
disions en peu de mots, qu’on se pourra servir de l’esprit de vin alcalisé pour
les essencifier, ou bien prendre de l’esprit de quelque autre plante, qui aura du
rapport avec la maladie ou avec la partie qui souffre.

§. 6. Du romarin.

Ceci doit suffire pour la rose, passons au romarin, duquel on pourra faire la
même chose ; & ainsi nous n’avons rien à ajouter, sinon la préparation de l’eau
d’Elisabeth, ou d’Isabelle Reine de Hongrie, qui est véritablement un très digne
remède.

§. 7. Pour faire l’eau de la Reine de Hongrie avec des fleurs de romarin.

Prenez vingt onces de fleurs de romarin, qui aient été cueillies un peu après le
lever du Soleil ; mettez-les dans un vaisseau de rencontre, & versez dessus
trente onces d’esprit de vin alcoolisé ; lutez exactement les jointures de la
rencontre, & mettez le tout digérer & extraire à la très lente chaleur du bain
vaporeux durant l’espace de trois jours naturels : laissez refroidir le vaisseau
avant que de l’ouvrir, après cela tirez la teinture, & pressez les fleurs ; filtrez le
tout, & gardez à part une partie de cette teinture balsamique, afin de s’en
pouvoir servir intérieurement & extérieurement ; car elle a autant ou plus de
vertu que l’eau qu’on en tire, mais elle n’est pas si agréable ni si subtile.

Il faut distiller l’autre partie au bain-marie à une chaleur si bien graduée, que le
chapiteau ne s’échauffe aucunement, & que l’artiste puisse compter deux ou
trois entre les gouttes qui tombent, & continuer ainsi, jusqu’à ce que vous ayez
réduit la teinture en consistance d’extrait. Il faut boucher bien exactement la
bouteille où sera cette eau, car elle est extraordinairement subtile.

Zapata, qui était Médecin & Chirurgien Italien, attribue aux remèdes qui se
tirent du romarin, des vertus presque innombrables, & cela avec beaucoup de
raisons car cette plante est remplie de sel & de soufre volatils, qui sont les deux

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 273

principaux agents de la nature ; mais particulièrement lorsque leur vertu est


animée de la subtilité de l’esprit de vin, qui pénètre en un moment du centre de
l’estomac à la circonférence du corps, & qui influe une nouvelle vigueur à
toutes les fonctions de la vie. A peine peut-on assez dignement décrire toutes
les facultés de cette teinture balsamique, de cette eau & de cet extrait. Car qu’y
a-t-il, je vous prie, de plus étonnant & de plus beau, que le rétablissement de la
Reine de Hongrie par le moyen de cette eau ? Elle était paralytique, goûteuse &
tellement infirme, qu’elle n’avait aucun mouvement libre, & cela à l’âge de
soixante & douze ans ; néanmoins cet esprit subtil & balsamique eut une si
noble éradiation de vertu, qu’elle fut rétablie en un si haut point de santé & de
vigueur, qu’elle ne paraissait pas avoir plus de vingt-cinq ans, jusque là même
que le Roi de Pologne la fit demander en mariage, tant elle était belle &
vigoureuse.

Voilà un effet pour l’intérieur, que nous tenons de l’histoire : il faut que je
raconte aussi une autre cure extérieure, pour prouver de plus en plus la belle &
l’excellente vertu de cette eau, par ce qui arriva à une servante chez moi : elle
s’était fait une contusion au front en tombant sur le gond d’une porte ; &
comme elle avait fait à l’instant la répercussion de la tumeur qui s’était élevée,
par le moyen d’une compresse trempée dans de l’eau, au milieu de laquelle elle
avait mis une pièce d’un écu, cela fit qu’il ne parut rien au-dehors ; mais les
accidents qui arrivèrent, firent bien connaître qu’il y avait du sang épanché sous
le péricrane : car elle devint pesante & endormie ; elle chancelait comme si elle
eût été ivre y & ne parlait que comme en rêvant, sans néanmoins qu’elle sentît
de douleur violente, ni qu’il parût rien au-dehors ; ce qui fut cause que je lui fis
mettre une compresse en quatre, qui était trempée dans de l’eau de la Reine de
Hongrie, sur l’endroit où avait été la contusion, & je lui en fis aussi avaler une
bonne cuillerée, qui l’endormit environ l’espace d’une heure ; & lorsqu’elle se
réveilla, elle dit qu’elle était guérie, & marcha incontinent fermement &
raisonna de même ; mais ce qui fit beaucoup mieux paraître qu’elle était
véritablement guérie, c’est que tout son front, le nez & le contour des yeux,
parurent comme de couleur de papier marbré, parce que le sang qui avait
croupi sous le péricrane, & qui causait tous les accidents, avait été digéré &
dissout par la vertu subtile & pénétrante de cette eau admirable ; si bien
qu’après cela, elle n’eut plus besoin que d’une seconde compresse, qui acheva le
reste de la cure, sans qu’elle s’en soit jamais sentie depuis.

J’ai encore beaucoup d’autres observations des beaux effets de cette eau ; mais il
suffit que nous disions en général les vertus & les doses de la teinture, de l’eau
& de l’extrait. Ce sont véritablement des remèdes spécifiques, & qui sont

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 274

principalement consacrés au cerveau, à la matrice & à toutes les maladies qui en


proviennent, comme sont l’apoplexie, la paralysie, l’épilepsie, les vertiges &
autres maladies semblables. Ils fortifient la vue & corrigent la mauvaise odeur
de l’haleine ; ils confortent l’estomac, ôtent les obstructions du foie, de la rate &
de la matrice ; ils sont admirables contre la jaunisse & pour remédier aux fleurs
blanches ; enfin ils réjouissent le cœur & toutes ses fonctions, renouvellent la
mémoire débilitée, & entretiennent en une vigueur égale tous nos sens
intérieurs & extérieurs, soit qu’on les applique en, dehors, ou qu’on les prenne
en dedans. La dose de la teinture & celle de l’eau, est depuis un scrupule
jusqu’à quatre, dedans du vin blanc, dans des bouillons ou dans quelque autre
liqueur qui soit appropriée à la maladie ; mais il faut remarquer que si on fait
prendre ces remèdes dans du bouillon, il faut attendre de les mêler, lorsque le
bouillon sera de la chaleur tempérée pour être avalé, autrement tout se perdrait
& s’évanouirait à cause de la subtilité.

La dose de l’extrait, est depuis un demi scrupule jusqu’à une drachme, ou seul
ou mêlé avec quelque conserve, ou dissout dans du vin blanc ou dans quelque
eau distillée. Ce remède est si nécessaire, à cause des accidents qui arrivent à
toute heure dans une famille, comme de se blesser, de se brûler, de se fouler &
de s’enrhumer, qu’il faudrait en avoir toujours chez soi, afin de prévenir par un
secours prompt & sûr, les malheurs & les douleurs qui suivent ordinairement
les commencements de ces maux.

Principiis obsta, sero medicina paratur, Dum mala per longas involuere moras.

D’ailleurs, nous avons donné à la fin du tome I, une autre manière de faire l’eau
de la Reine Hongrie, par le miel fermenté, & qui est beaucoup plus efficace que
celle-ci.

SECTION QUATRIEME.

§. 1. Des fruits.

Les fruits sont des parties des végétaux, qui sont le moins employées dans la
Pharmacie Chimique ; c’est pourquoi nous n’aurons pas beaucoup de choses à
dire de leur préparation, puisqu’il n’y a que la coloquinte que nous trouvons
capable de nos remarques & de notre travail. Et comme c’est un purgatif qui est
employé, & qu’on a manqué jusqu’ici à sa vraie correction, nous ne produirons
que ce que le raisonnement & l’expérience nous ont appris là-dessus.

Quoique les plus célèbres Auteurs Chimiques aient prescrit de faire l’extrait de
coloquinte avec l’esprit de vin, cependant je ne suis pas de leur sentiment en
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 275

cela ; parce que le fruit de la coloquinte est volatil, & qu’il a un sel subtil &
nuisible en soi, qui fait des colliquations étranges, & qui fait aussi des érosions à
l’estomac & aux intestins, comme cela se voit évidemment, lorsque ce mauvais
remède a causé des hypercatharses ou sur-purgations. Or, l’esprit de vin ne tire
de la substance de la coloquinte, que le sel volatil & nuisible, sans toucher à sa
partie fixe, qui est celle qui purge véritablement les sérosités, les glaires & les
mucosités de tout le corps : de plus, l’esprit de vin subtilise & atténue tellement
la coloquinte, qu’elle est charriée dans les veines & dans les artères, d’où elle
attire jusqu’au meilleur & au plus pur sang. Il faut donc que l’artiste trouve
quelque moyen de corriger & d’extraire ce fruit purgatif, afin qu’il purge sans
aucun danger, comme il en est capable.

Il saut donc que ce soit un menstrue, qui soit d’une nature différente de l’esprit
de vin, afin qu’il fixe en quelque façon ce qu’il y a de volatilité maligne, qui
prédomine dans ce fruit, & qui cause tous ses mauvais effets ; c’est pourquoi il
faut nécessairement que ce soit le vinaigre distillé qui soit le menstrue & le
correctif de la coloquinte, pourvu qu’il soit animé & aidé d’un sel fixe qui soit
pénétrant & subtil, qui puisse agir sur ce volatil, & le changer de nature ; ce sel
est celui de tartre préparé selon Sennert, comme nous l’enseignerons, lorsque
nous travaillerons sur le tartre. Car nous n’avons ici aucun égard à cette
prétendue correction des Pharmacopées anciennes ou nouvelles, qui se
contentent de la pulvérisation & de la mixtion des aromates ou de la gomme
tragacanthe, pour empêcher les mauvais & pernicieux effets de la coloquinte.
On fera donc le vrai extrait de ce fruit comme il suit.

§. 2. Comment il faut bien faire l’extrait de coloquinte.

Prenez de la coloquinte qui soit bien blanche & bien légère ; séparez la semence,
que la pulpe ou la chair de la coloquinte desséchée contient, parce qu’il y en a
qui craignent sa violence ; mais comme ce ne peut être qu’à cause de son sel
volatil sulfuré, dans lequel consiste tout son venin, qu’on prétend qu’il faut
rejeter cette semence, nous enseignons cependant le vrai moyen de le fixer & de
le corriger, ainsi nous en prendrons la moitié plus que de la pulpe pour faire cet
extrait. Mettez le tout en poudre grossière, que vous verserez dans un matras, &
l’imbiberez peu à peu avec de très bon vinaigre distillé, qui soit empreint d’une
demi-once de sel de tartre de Sennert pour chaque livre de vinaigre ; & lorsque
le tout sera bien abreuvé, versez de ce même vinaigre jusqu’à l’éminence de
quatre doigts, & mettez digérer aux cendres à une chaleur moyenne durant
l’espace de huit jours, à condition que vous agiterez le vaisseau trois ou quatre
fois par jour pour le moins : observez néanmoins que le vaisseau ne soit rempli

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 276

qu’à la moitié ; parce que ce fruit ayant été resserré par l’exsiccation, il reprend
son volume ordinaire dans le menstrue, & renfle extraordinairement ; ainsi il
serait capable de faire casser le vaisseau, lorsqu’on y penserait le moins, & serait
perdu : lorsque les huit jours seront expirés, coulez & pressez le tout, puis
remettez encore le marc en digestion comme auparavant ; filtrez la liqueur
simplement par un linge ; & s’il y a du corps qui reste, joignez-le à la digestion,
coulez, prenez, filerez, & digérez ainsi aux cendres trois fois de suite, & vous
serez assuré d’avoir tiré tout ce qui était de bon dans la coloquinte, & d’avoir
corrigé ce qu’il y avait de malin : évaporez ensuite toutes vos extractions
jusqu’en consistance d’extrait, dont vous garderez la moitié pour en donner
dans les maladies vénériennes, avec quelque bonne préparation de mercure ;
aussi bien que dans l’hydropisie & dans les douleurs arthritiques, pourvu que
vous ayez à faire à des corps robustes. La dose est depuis deux grains jusqu’à
un demi-scrupule, & un scrupule entier : si on le donne sans mercure, il faut
faire prendre par-dessus trois doigts de malvoisie, de bon vin d’Espagne,
d’hydromel vineux, ou de quelque autre vin fort & vigoureux ; mais s’il y a du
mercure qui soit incorporé avec l’extrait, il faut faire prendre un petit bouillon
par-dessus, dans lequel on aura mêlé dix grains de sel de corail & autant de
macis en poudre.

Mais si vous voulez donner l’extrait de coloquinte en plus grande dose & sans
crainte qu’il puisse faire aucun mal, il faut poursuivre & achever de faire la due
préparation de cet extrait : il faut donc mettre cet extrait dans un matras, & y
mêler pour chaque drachme d’extrait un scrupule de magistère dissoluble de
corail, & le circuler un mois dans le matras de rencontre qui soit bien luté, après
qu’on y aura versé de l’esprit de vin tartarisé, jusqu’à l’éminence de quatre
doigts : il faut que la circulation se fasse à la lente chaleur du bain-marie ; &
lorsqu’elle sera achevée, il faut verser le tout dans une cucurbite de verre, & y
ajouter le poids d’une drachme d’huile de ; noix muscade exprimée, qui aura
été unie ; & bien mêlée avec deux drachmes de sucre en poudre : mettez cette
cucurbite au bain-marie, & retirez l’esprit de vin par la distillation ; & lorsqu’il
ne sortira plus d’esprit, augmentez un peu le feu, & évaporez tout ce mélange
en consistance d’un extrait, qui se puisse mettre en pilules : alors vous aurez un
extraie purgatif, qui sera corrigé parfaitement, & duquel vous pourrez vous
servir assurément en toutes les maladies, où les Auteurs recommandent la
coloquinte ; mais principalement dans toutes les maladies du cerveau, des
nerfs, des jointures & du poumon ; c’est pourquoi il ne faut aucunement
feindre de donner de cet extrait ou de ce magistère ainsi préparé aux
apoplectiques, aux épileptiques, à ceux qui ont des vertiges ou des

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 277

tournoiements de tête, & surtout en tous les accidents de la vérole. La dose est
depuis six grains jusqu’à un scrupule & à une demi-drachme, dans la moelle de
pomme cuite, ou dans quelque gelée délicieuse : on le pourrait aussi dissoudre
dans du vin d’Espagne, mais on appréhende son amertume ; c’est pourquoi on
fera prendre de ces liqueurs vineuses ou du bouillon par-dessus, selon les
personnes auxquelles on aura à faire & selon la maladie.

Mais comme ceux qui s’adonnent à la Médecine Chimique, & par conséquent à
la lecture des Auteurs qui en traitent, & qu’ils trouveront dans Rullandus &
dans plusieurs autres, qu’ils font mention d’un esprit spécifique contre
plusieurs maladies opiniâtres, auquel on donne le nom de spiritus vitae aureus
Rullandi, & que néanmoins on n’en trouve point la description dans l’Auteur
même, & que les autres n’en parlent que par conjecture : j’ai cru nécessaire de
soulager l’esprit des Artistes sur ce sujet, & de leur dire l’opinion des autres &
la mienne.

Ceux qui soutiennent que cet esprit est fait de coloquinte, disent qu’il purgeait
sans faire vomir, & qu’ainsi ce remède ne pouvoir provenir que de ce fruit, qui
est le seul purgatif végétable, qui se donne en la moindre dose, &
principalement lorsqu’il est exalté par le moyen de l’esprit de vin ; car si ce
médicament eût été vomitif & purgatif tout ensemble, ils eussent tous
unanimement attribué ses vertus à quelque préparation, qui aurait été tirée de
l’antimoine. Or, comme il n’est point émétique, les plus sensés ont crû que
c’était de l’esprit de vin empreint par une longue digestion & par une longue
circulation des vertus des trochisques alhandal, qui ne sont rien autre chose que
la coloquinte préparée. Il y en a d’autres qui soutiennent le contraire, entre
lesquels un des principaux est Franciscus Antonius, Médecin de Londres : car ils
veulent que ce soit une préparation d’or potable, ou quelque teinture tirée de ce
noble métal, & disent pour leurs raisons, que la coloquinte, qui est un végétable,
ne peut avoir une vertu si ample, que celle dont les effets sont rapportés dans
les Centuries des Observations de Rullandus, & qu’il n’y a qu’un remède
minéral ou métallique, qui soit capable de cette universalité d’actions ; & de
plus, que ce n’est pas sans raison & sans mystère, que cet Auteur lui donne le
nom d’esprit de vie doré ou auré : car il semble qu’il veuille insinuer par cette
dénomination ce qu’il n’a pas voulu déclarer dans ses écrits.

Quoiqu’il semble que les raisons des uns & des autres soient valables,
cependant je suis contraint de souscrire à la première opinion, pour la
coloquinte ; parce que je sais par le récit de plusieurs Médecins très anciens &
dignes de foi, qui disent le savoir du jeune Rulland, que l’esprit donc son père

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 278

s’était servi, & dont il rapportait les histoires dans ses Centuries, n’était autre
chose que la teinture des trochisques alhandal ; mais qu’il y avait le temps à
observer, le menstrue, le poids des trochisques & leur préparation. Et comme ce
remède est rempli de belles vertus, j’ai crû le devoir mettre ici, quoiqu’il ne soit
pas si bien corrigé que le dernier extrait, dont nous avons donné la description,
parce que l’esprit acide & fixatif n’a été employé que pour la préparation des
trochisques, & que le sel qui l’accompagne, est un sel alcali, qui tue & qui
détruit l’action maligne du sel volatil de la coloquinte. Il faut pourtant
considérer que le menstrue, qui sert pour faire l’esprit de vie auré, est empreint
de la plus pure partie de ce sel alcali, puisque ce doit être l’esprit de vin alcalisé,
qui extraira les trochisques alhandal, & que par conséquent il en corrigera la
malignité par le moyen de ce sel & par la longueur & la réitération de la
digestion, ce qui se fait ainsi.

§. 3. La façon de faire l’esprit de vie auré de Rullandus.

Prenez de la coloquinte bien légère & bien blanche, mondez-la de toute sa


semence bien exactement, & la hachez & coupez menu avec des ciseaux autant
que faire se pourra ; ensuite mettez-la en poudre, après que vous aurez oint le
mortier & le palon avec de l’huile de noix muscade exprimée, ou avec celle qui
aura été tirée du mastic par la distillation ; passez la poudre par le tamis, & la
réduisez en pâte dans un mortier de marbre avec un palon de bois parle moyen
de très-bon vinaigre distillé ; formez cette masse en pastilles ou en trochisques,
ayant les mains ointes de l’une des huiles susdites. Faites sécher ces trochisques
à l’ombre entre deux papiers, & les remettez en poudre, & les pistez pour la
seconde fois avec le même menstrue formé & séché ; réitérez cela pour là
troisième fois, & ainsi vous aurez des trochisques alhandal, qui serviront à
toutes les compositions, avec beaucoup moins de hasard que ceux qui se font à
l’antique, avec le mucilage de la gommé tragacanth.

Prenez une once de ces trochisques réduits en poudre très subtile, & les mettez
dans un vaisseau circulatoire, ou dans un vaisseau de rencontre ; versez dessus
une livre d’esprit de vin alcalisé, fermez exactement les jointures des vaisseaux,
& mettez votre opération en digestion & en extraction, à la réverbération des
rayons du Soleil l’espace de quinze jours : ce temps achevé, ouvrez le vaisseau
& y ajoutez encore une demie once de ces trochisques en poudre, refermez & le
mettez encore digérer autant de temps qu’auparavant; ouvrez derechef votre
vaisseau, & y ajoutez pour la troisième & dernière fois deux autres drachmes
des mêmes trochisques pulvérisés, & continuez encore la digestion durant
quinze jours. Cela étant achevé, il faut couler la liqueur & presser la matière qui

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 279

reste, puis filtrer la teinture par le papier, & vous aurez l’esprit de vie auré de
Rullandus en sa perfection, que vous pourrez employer aux maladies, dont
vous trouverez l’histoire dans ses Centuries, ou encore à tous les maux à quoi
nous avons dit que l’extrait était utile.

La dose est depuis une drachme jusqu’à six, & même jusqu’à une once, si on
s’en sert en liqueur; mais si on retire l’esprit de vin, & qu’on réduise cette
liqueur en extrait , la dose sera depuis six grains, jusqu’à vingt & vingt-quatre
grains.

Nous aurions, encore pu ajouter à cette Section des fruits, beaucoup d’autres
opérations qui se rirent de ces mixtes, comme l’esprit ardent des poires & des
pommes, & de beaucoup d’autres fruits de cette même nature ; mais comme
personne n’ignore que les sucs de ces fruits se fermentent d’eux-mêmes, & que
l’art n’y apporte rien du sien que la distillation pour en tirer l’esprit : j’ai crû
qu’il n’était pas nécessaire d’en donner ici la manière, puisque nous en
donnerons l’exemple, lorsque nous enseignerons l’anatomie du vin dans la
Section des sucs.

Il semble aussi que nous aurions été obligés de mettre dans cette Section
comment il faut faire les esprits ardents des grains de sureau & de ceux
d’hieble, des cerises noires, des fraises, des framboises, des groseilles & de tous
les autres fruits semblables ; mais comme nous réservons l’exemple de toutes
leurs fermentations, au temps que nous décrirons celle des grains du genièvre,
nous y renvoyons l’artiste ; il y a seulement cet avertissement à donner pour ces
fruits, qui est que nous dirons qu’il en faut distiller les baies de genièvre avant
la fermentation, à cause qu’elles ont en elles une bonne quantité d’huile éthérée,
qu’il en faut extraire avant que de les fermenter ; mais que comme ces autres
fruits sont simplement succulents & sans aucune portion d’huile, sinon celle qui
est concentrée dans leur semence, aussi n’est-il pas nécessaire de les distiller
avant la fermentation.

SECTION CINQUIEME.

§. 1. Des racines ou des baies & des semences.

Nous avons déjà donné une idée générale de la composition des semences & de
leur différence, lorsque nous avons traité des végétaux en général : nous avons
aussi comme insinué la manière de les distiller, pour en extraire la vertu
qu’elles contiennent ; mais comme nous connaissons par notre propre
expérience, que ces dogmes généraux ne spécifient pas assez le travail : nous

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 280

avons crû devoir particulariser les opérations, selon la division que nous ferons
de ce genre universel en quatre autres genres subalternes, qui seront les
semences insipides & inodores ; celles qui sont odorantes & aromatiques ; celles
qui sont inodores, mais qui ont un goût subtil & piquant ; & finalement, celles
qui n’ont presque point d’odeur, si elles ne sont frottées ou pressées, & qui ont
un goût mielleux, mêlé de quelque saveur balsamique & aromatique.

Pour le premier, nous prendrons le froment, le seigle & l’orge, dont nous ferons
l’anatomie, pour en extraire la vraie eau-de-vie. Pour le second, nous prendrons
les semences d’anis, de fenouil ou de persil, dont nous tirerons l’eau spiritueuse
& l’huile éthérée. Pour le troisième, nous prendrons la semence de moutarde ou
celle de cresson d’allenois, que nous mettrons en fermentation pour en distiller
l’esprit volatil, & que nous distillerons aussi sans addition par la retorte, afin
d’en tirer le sel volatil, l’huile grossière & l’esprit acide, piquant & mercuriel.
Pour le quatrième, nous emploierons les bayes de genièvre, dont nous
préparerons plusieurs remèdes différents, & qui sont très utiles à la Médecine &
à la Pharmacie.

Je ne doute pas qu’il n’y en ait plusieurs qui croiront que c’est traiter une chose
fort commune, que d’insérer ici l’anatomie du froment ou du blé, celle du seigle
& même celle de l’orge ; parce que comme ces semences sont très communes, il
semblerait aussi que je devrais avoir apporté quelques autres sujets plus rares,
afin d’en faire l’anatomie ; mais que ceux qui le croiront de la sorte, considèrent
sérieusement & fassent une due réflexion sur les choses dont ils vivent tous les
jours, afin qu’ils ne trouvent pas mauvais qu’on leur apprenne la portion de
l’esprit de vie, qui est contenue dans le pain qu’ils mangent, & dont ils ne
peuvent aucunement se passer. Et quoique par leur babil quelques-uns, qui se
disent Philosophes jusqu’aux oreilles, & qui croient avoir examiné en détail
toute la nature, fassent beaucoup de bruit, & qu’ils croient être assez satisfaits
d’avoir dit, que la digestion se fait par la chaleur propre de l’estomac, sans faire
voir de quelle façon cette chaleur agit sur les matières qu’elle doit digérer ; que
de plus, cette digestion produit un chile qui est blanc, comme une espèce de
crème, sans toucher en aucune manière par quels moyens cela se fait, & qu’ils
infatuent par ces paroles creuses les esprits de ceux qui se consacrent à la
Médecine & à ses parties ; il est de notre devoir & de l’intérêt public, de faire
connaître que tous ces défauts ne sont produits, qu’à cause qu’ils ignorent la
Chimie, qui leur aurait appris, comme nous l’allons faire voir, que la
fermentation qui se fait au grain par le moyen de l’art, n’est qu’une imitation de
celle qui se fait dans le ventricule, & que par conséquent l’artiste chimique en
peut faire une démonstration réelle & véritable, sans qu’il soit besoin d’ouvrir

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 281

aucun animal vivant, pour en être plus certain. Car nous ferons connaître par
l’action de la fermentation & par l’esprit que nous retirerons, que c’est à tort que
l’on déclame si souvent sur le chaud & le froid, sur la chaleur & sur la froidure ;
enfin sur les premières & sur les secondes qualités des mixtes, qui ne sont
proprement que des chimères, qui remplissent l’esprit humain de termes
inutiles, qui abâtardissent la lumière naturelle, & qui empêchent beaucoup de
personnes de s’adonner à la recherche des vérités physiques, qui leur ferait
acquérir la connaissance de plusieurs beaux remèdes, qui seraient profitables à
tous ceux qui composent la société civile. Cette vérité parut, il y a deux ans, au
Jardin Royal établi pour la culture des plantes médicinales, & pour les leçons
théoriques de la Chimie ; & la démonstration de ses opérations que je faisais
alors, par les ordres de M. Vallot, premier Médecin : car lorsque je vins à parler
de la fermentation & de ses merveilleux effets, & que je voulus prouver la vérité
de mes raisonnements, par l’opération que je fis sur quelques semences, la plus
grande partie des assistants qui avaient été imbus d’une doctrine, qui se
contenté des paroles sans y joindre les effets, se récria, comme si ce que je disais
& ce que je démontrais, eut été quelque chose de trivial & de trop familier,
quoique eux tous n’entendissent en aucune façon cette manière de philosopher,
ni ne comprissent les hauts mystères que la nature nous a voulu révéler,
lorsqu’elle nous a fait voir les fermentations naturelles, qui doivent servir de
vrais modèles pour parvenir à, bien faire les artificielles, comme nous l’allons
faire voir dans la suite.

§. 2. Du ferment & de son action, & comment il faut faire la fermentation du blé, du
seigle ou de l’orge, pour en tirer l’esprit ardent.

Quoique le métier de faire le pain & celui de faire la bière, semblent à présent
être vils & abjects; il y a néanmoins beaucoup de personnes savantes, & même
de ceux qui veulent passer pour Naturalistes, qui boivent de la bière & qui
mangent du pain, sans avoir jamais fait une réflexion judicieuse, pourquoi ces
aliments les entretiennent & les sustentent, & encore beaucoup moins, quelle
portion de ces aliments passe dans leur substance pour l’entretien de leur vie.
Et c’est pourtant cette étude y qui devrait être le plus sérieux emploi de ceux
qui se veulent ingérer de traiter de la nature & de ses produits ; & comme nous
avons dit si souvent, qu’il n’y a que la seule Chimie qui puisse introduire les
hommes dans le sanctuaire de la nature, pour en découvrir les beautés à nu ;
c’est principalement ici qu’il faut que nous fassions voir cette vérité plus
essentiellement qu’ailleurs, par la description que nous donnerons de
l’introduction du levain ou du ferment dans les choses qui nous nourrissent,
qui nous fait paraître par son action la portion qu’il y a de substance vitale,

281
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 282

spiritueuse & céleste, dans les matières que nous employons tous les jours pour
nous conserver la vie.

Or, il faut nécessairement recourir à l’inventeur du levain, si nous en voulons


trouver l’origine ailleurs que de le faire dériver de Dieu, de la nature, de la
lumière & des esprits, puisque l’action du ferment est toute divine & toute
céleste ; c’est proprement ce feu du Ciel, que les anciens Poètes ont feint que
Prométhée avait dérobé, & qui depuis a servi d’instrument pour l’exercice de
tous les arts, puisque c est le seul qui aiguise les esprits, qui les illumine & qui
les guide dans les plus belles connaissances. Car si quelqu’un veut attribuer la
connaissance du levain à la tradition, il faut avoir recours au premier de qui on
l’aura reçue, qui ne peut être que notre premier père, qui avait la science infuse.
Que si on la veut attribuer au hasard, il faut que le premier qui l’aura
découverte, ait rencontré fortuitement quelque madère fermentée qui lui ait fait
concevoir, que ce qui agissait dans ce corps fermenté, l’ouvrait, le dilatait, lui
faisait acquérir beaucoup de qualités, par l’altération que le levain y avait
causée, qui faisait qu’il reconnaissait de nouvelles productions & comme de
nouvelles générations dans le sujet fermenté. Or un homme ne peut faire toutes
ces considérations, ni tous ces discernements, si son esprit n’a point reçu quel-
que teinture de la Philosophie naturelle, ou de la Philosophie acquise. Et ainsi
l’une ou l’autre de ces deux Philosophies lui auront fait examiner par ses sens
extérieurs, ce que les intérieurs lui avoient fait concevoir ; ou, ce qui est encore
plus vrai, son odorat & son goût l’auront obligé de méditer là-dessus, puisqu’il
n’y a aucune fermentation, qui ne donne une odeur spiritueuse, subtile &
pénétrante, qui fait penser que c’est un agent céleste & d’une nature ignée, qui
produit cela : de plus, le goût y rencontre une certaine acidité piquante, qui
n’est ni austère, ni corrosive ; mais au contraire, qui est agréable, & qui fait
connaître qu’il y a quelque esprit subtil qui est cache là-dedans : ce qui aura
sans doute obligé celui qui le premier a mis le levain en usage, de faire l’essai de
cette matière fermentée, par le mélange qu’il en aura fait avec d’autre matière,
qui avait de la disposition naturelle au ferment, & qu’ainsi il en aura reconnu
l’effet, qui s’est communiqué depuis lui à la postérité.

Néanmoins de quelque manière que les hommes aient reçu la connaissance du


ferment & de son action, il en faut pourtant toujours rapporter l’honneur & la
gloire au Créateur de la nature, & de tous les produits naturels ; puisque ceux
qui ont fait la recherche du ferment & du moyen de son action, ont bien
reconnu que cela provenait d’une source qui était au-dessus de la nature même,
& que tout ce que les plus sublimes esprits en ont pu dire, n’a jamais bien
exprimé son essence : ils se sont seulement contentés de marquer, que comme

282
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 283

Dieu & ses attributs sont une même chose, dont l’esprit humain ne peut rien
concevoir que son existence, & dont il ne peut aussi rien affirmer que par
négation : de même, les plus profonds de tous les Philosophes reconnaissent
bien le ferment & son action, mais ils n’ont jamais pu parvenir jusqu’à pouvoir
définir ce que c’est, ni comment il agit. Car nous trouvons dans les Livres
sacrés, que Moïse ne s’est servi d’aucun autre terme, que du FIAT, que la chose
soit, pour exprimer la pensée & la volonté de Dieu, qui faisait sortir les choses
de soi, comme l’a très bien remarqué un des plus savants Physiciens du siècle,
lorsqu’il dit que Dieu s’est ouvert & s’est expliqué dans l’ouvrage de la création,
comme un livre, dans lequel il s’est peint en très beaux & en très visibles
caractères, comme si Dieu s’était logé soi-même dans tous les êtres, afin qu’ils
fussent participants de sa honte.

Or, comme les choses devaient durer & se perpétuer par une suite de
générations, Dieu logea le ferment ou le levain dans la masse confuse du chaos,
pour introduire là-dedans, par sa toute puissance, les semences de toutes les
choses sublunaires, dont il avait eu les idées en soi-même de toute éternité. Ce
qui nous fait connaître que le ferment n’est rien autre chose qu’une étincelle de
la lumière céleste & divine, qui est logée dans tous les individus, qui ne parait
pourtant pas aux sens intérieurs & encore beaucoup moins aux sens extérieurs,
qui ne laisse pourtant pas d’agir incessamment, & de réduire de puissance en
acte toutes les choses, afin de les conduire au point de leur destination
naturelle. Nous n’avons à présent rien autre chose à dire là-dessus, sinon que
notre ignorance cause l’admiration, & qu’il faut quitter la contemplation, pour
nous réduire à faire selon les connaissances que Dieu nous a permises, qui sont
de pouvoir imiter, quoique de bien loin, les mystères des fermentations
naturelles par les artificielles.

Pour parvenir à faire comme il faut cette belle opération, il faut préparer une
portion de la semence que l’on veut fermenter, afin qu’elle reçoive une
disposition toute entière à recevoir le levain, & que de plus, elle soit capable de
l’introduire dans une grande quantité d’une semence semblable, qui n’aura pas
été préparée ; ce qui se pratique ainsi.

Il faut choisir le temps de l’équinoxe du printemps, pour faire cette préparation,


parce qu’en ce temps-là la nature est comme en mouvement, pour faire germer
& pour faire pousser toutes les choses en ce renouveau : c’est pourquoi elle
emploie toutes les astrations à son dessein, qui fécondent la terre par le moyen
de l’eau de la pluie vernale, qui est remplie d’un esprit & d’un sel très subtil &
très efficace, qui la rend perméable & pénétrante, plus qu’en toute autre saison.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 284

Prenez donc alors cinquante livres de blé, de seigle ou d’orge, que vous mettrez
tremper dans un cuvier de bois dans de l’eau de la pluie de l’équinoxe, ou dans
de l’eau de rivière, si la saison du printemps est sèche ; faites en sorte qu’il n’y
ait pas davantage d’eau qu’il en faudra pour bien humecter votre grain ; laissez-
le ainsi durant vingt-quatre heures, puis faites écouler l’eau superflue par un
trou qui doit être sous le cuvier ; ensuite de quoi, tirez votre grain du cuvier, &
le mettez en un lieu aéré, mais qui ne soit point exposé aux vents ; faites-en un
monceau qui soit de la hauteur d’un demi-pied, couvrez-le d’un linceul & d’une
couverture de laine par-dessus, & le laissez ainsi mitonner & échauffer
doucement, jusqu’à ce que vous trouviez, lorsque vous y regarderez, que le
grain a commencé de germer & de pousser un petit filet qui est blanc & subtil,
comme de la soie blanche ; il faut alors découvrir le grain, parce que le filet
témoigne que la chaleur a déjà suffisamment excité l’esprit intérieur &
fermentatif du grain, pour le réduire de puissance en acte, par le moyen de la
substance spiritueuse qu’il avait tirée de l’eau, qui avait réveillé cet esprit
interne qui était assoupi & concentré en soi-même ; parce que si on le laissait
encore couvert, il se fermenterait tout à fait & passerait à la putréfaction, qui
gâterait tout ce qui serait dans le milieu, & qui le convertirait en une masse
confuse & informe qui dégénérerait en terre ; & cette terre ne ferait que servir
de soutien & de nourriture au grain germé qui serait à la superficie, qui croîtrait
en peu de temps, & qui pousserait tout en herbe, à cause de l’abondance de
l’eau, & de la précipitation de la chaleur.

Or, pour éviter tous ces accidents, il faut étendre le grain germé dans un lieu
bien aéré, & qui soit perméable aux vents ; il ne faut pas qu’il y en ait plus de la
hauteur d’un demi-travers de doigt, afin qu’il se puise sécher plus
promptement ; ainsi le hâle & l’air dissiperont la chaleur & l’humidité
superflue, & concentreront cette puissance spermatique & vitale, qui se serait
évanouie & perdue par l’excès du chaud & de l’humide.

Lorsqu’on aura reconnu que le grain commence à sécher à la superficie, il le


faut remuer souvent, afin de hâter la dessiccation, & que l’esprit qui était en
action se renfonce & se reconcentre en son propre corps, qui ne laisse pourtant
pas de retenir en soi une disposition beaucoup plus prochaine à la production
de son esprit, que tout autre grain, qui n’aura pas été ainsi apprêté.

Et comme j’ai dit que le grain avait sucé de l’eau ce qu’il y avait de subtil & de
spiritueux, qui lui servait de sel conservatif ; il faut que nous expliquions ce
mystère, afin de te mieux faire comprendre à ceux qui n’auront pas
connaissance des belles actions de la nature & des ressorts qu’elle fait agir, vu

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 285

même que cela servira d’éclaircissement à ce que nous avons dit ci-devant du
ferment & de son action. Pour mieux concevoir cela, il faut remarquer que la
nature a placé dans chaque individu naturel un aimant, qui lui fait attirer avec
une avidité prompte & subite, ce qu’il y a l’analogue à son esprit interne dans
les choses avec lesquelles on l’assemble. Or, cet esprit interne est renfermé
comme invisible, dans le corps visible du sel volatil sulfuré, que le noyau ou le
grossier de la semence contient, qui est à proprement parler, l’âme & la vie de la
chose ; si bien que quand le grain trempé dans cette eau de l’équinoxe, qui est
remplie des semences invisibles de toutes les choses, il attire puissamment &
avidement à soi ce qui lui est propre & analogue, pour pousser à la perfection à
laquelle la nature l’avait destiné. Et lorsqu’il en est engrossé, il s’échauffe en soi-
même & se fermente, afin de produire le germe, qui est le principe de toute
végétation ; ce qu’il ne manque pas de faire, & pousserait encore plus avant, si
l’artiste n’arrêtait & ne repoussait cette puissance ébranlée, qui nécessairement
se réduirait en acte.

Mais la plus belle preuve & la plus naturelle que nous puissions donner, que le
grain a attiré la portion spiritueuse & saline de l’eau, est que cette eau se
corrompt en très peu de temps, & qu’elle contracte une puanteur différente de
tontes les autres, qui choque & qui irrite le cerveau & les organes de la
respiration, en sorte qu’il semble qu’on suffoque. Ceux qui passent devant les
logis des Brasseurs de bière aux mois de Mais & de Septembre, peuvent rendre
témoignage de cette vérité : car c’est en ces deux saisons qu’ils font tremper une
grande quantité de grains pour en faire la bière, & comme ces eaux croupissent
dans leurs logis & dans la rue, elles produisent une puanteur exécrable.

Or ceux qui ont travaillé avec de l’eau de l’équinoxe, & qui en ont conservé des
tonneaux pleins, savent qu’elle ne se corrompt point, & qu’elle se conserve des
années entières, ce que ne fait pas l’eau de pluie des autres saisons. Ce qui fait
voir évidemment que cette longue conservation ne peut provenir que de l’esprit
salin, que les astres avaient dardé dans cette eau par leurs influences ; & que
comme le grain l’a tiré à soi par son magnétisme pour germer, aussi l’eau n’a pu
se conserver sans altération, sans corruption & sans putréfaction» parce qu’elle
était privée de Ion sel.

Prenez douze livres & demie de ce grain germé & sec, & le mêlez avec trente-
sept livres & demie de bled, de seigle ou d’orge, ou de tous les trois ensemble,
& les faites moudre grossièrement, comme les Brasseurs font moudre le grain
qui est préparé pour en faire de la bière. Lorsque vous aurez votre farine,
mettez-en la moitié dans un muid, dont on ait tiré le vin nouvellement, &

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autant dans un autre pareil ; versez dessus de l’eau à demi bouillante par seaux,
& remuez incessamment votre farine avec un palon de bois & avec une fourche,
qui soit à quatre fourchons de bois, afin de la bien humecter & de faire comme
une dissolution de la substance interne du grain ; & lorsque vous y aurez mis
huit ou dix seaux d’eau chaude au degré que nous avons dit, & que la farine
sera bien détrempée & bien mêlée, il faut ajouter de l’eau froide, jusqu’à ce que
le tout soit réduit à une chaleur si modérée, qu’on y puisse souffrir la main sans
aucune incommodité. Après quoi, il faut mêler dans chaque tonneau un demi-
sceau de levure ou de jet de bière, qui servira de levain & de ferment, parce que
ce jet n’est rien autre chose que de la farine fermentée ; que l’action de l’esprit
fermentant jette hors du tonneau comme inutile, superflu & féculent, & qui a
encore conservé en soi la puissance fermentative, qu’elle est capable
d’introduire dans la matière que l’on veut fermenter.

Après avoir diligemment & exactement agité & mêlé le levain avec la matière, il
faut couvrir les tonneaux avec des couvercles de bois, & mettre par-dessus un
linceul plié en quatre & une couverture de lit, & regarder de temps à autre, si la
fermentation commence ; ce qui se remarquera par l’élévation du plus grossier
du grain au-dessus de la liqueur, & par un arrondissement qui se fait au-dessus
en hémisphère. Lorsque cela est en cet état, il faut prendre garde, que la matière
ne surmonte, & qu’elle ne fasse une trop prompte ébullition, ce qui témoigne
trop de chaleur ou le trop de levain ; que si cela arrive, il en faut ôter deux
sceaux, ou y verser un sceau d’eau froide, puis laisser agir. Mais ce qu’il y a de
plus physique & de plus admirable dans l’action de cette fermentation, c’est que
lorsque cette hémisphère est formée, le ferment élevé le corps le plus grossier
du grain jusqu’à la superficie, ce qui témoigne la sagesse de la providence de
celui qui est le Maître des fermentations : car ce même corps sert de rempart &
de défense contre l’éruption des esprits, qui agissent sur la matière depuis le
centre jusqu’à la circonférence ; & ces esprits agissent sous cette croûte, jusqu’à
ce qu’ils aient dissout & volatilisé toutes les parties du corps sur lequel ils
agissent, hormis les écorces qui sont au-dessus de cet encroûtement. Alors on
voit par intervalles une crème blanche comme la neige qui se forme au-dessous,
qui se dilate & qui produit des ampoules, qui se crèvent ensuite, & qui poussent
à l’odorat des assistants une vapeur spiritueuse, pénétrante, subtile & piquante,
qui chatouille le nez, & qui enivrerait & stupéfierait en très peu de temps, si on
tenait la tête au-dessus du tonneau, ni plus ni moins que ferait la vapeur
volatile & narcotique qui transpire du vin, lorsqu’il commence à fermenter dans
la cuve.

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Or comme nous avons dit que par la fermentation que nous enseignerions, nous
ferions connaître celle qui se fait dans l’estomac humain, il faut que nous ça
fassions le parallèle en peu de mots, afin de mieux faire paraître la vérité de ce
que nous avons avancé : car comme on voit que le pur se sépare de l’impur, &
que les substances qui semblaient hétérogènes, deviennent homogènes par
l’action du ferment, qui dissout la substance du grain, & qui l’allie avec l’eau
pour la changer de goût & d’odeur, & pour en donner l’esprit ; cela se fait aussi
dans le ventricule, où tout ce que nous avalons de liquide & de solide, se mêle
& s’allie ensemble pour ne faire qu’une masse, qui est de même nature ;
quoiqu’il semblât d’abord que ce que nous avons pris fut d’une nature
différente, comme le dur & le mou, le salé & le doux, l’âcre, l’épicé, le gras &
l’huileux, l’acide & toutes les autres choses qui se rencontrent dans l’estomac :
tout cela, dis-je, forme un chile uniforme par le moyen de l’esprit volatil, qui se
rencontre dans le fond de l’estomac, & qui est acide, comme l’est toute autre
sorte de levain.

Mais ce qui fait encore plus nettement paraître cette conformité de fermentation
; c’est l’odeur que les éructations produisent & rapportent à la bouche & au nez
quelques heures après le repas, qui font connaître le goût & l’odeur de ce qu’on
a mangé & de ce qu’on a bu, & principalement lorsqu’on a bu du vin nouveau
ou de la bière nouvelle, les rapports que l’on sent, rendent par leur exhalaison
un esprit fermentatif & chatouillant, comme celui dont nous avons fait mention
ci-dessus ; ce qui ne se peut comprendre autrement, que par la comparaison de
ces ampoules qui se forment dans la plus pure partie du chile de notre
fermentation du grain, qui envoient cet esprit subtil & chatouillant qui picote le
nez. Il en arrive de même dans l’estomac ; & lorsque l’éruption de ces ampoules
se fait, on est contraint de souffrir des rapports, & alors on sent le goût &
l’odeur de ce qui prédomine dans le chile.

Tout ce que nous venons de dire, fait voir combien il importe au Médecin de
bien connaître la bonne fermentation & ses effets, puisque c’est d’elle que
dépend la conservation de la santé. Il faut aussi qu’il connaisse le contraire, qui
est ordinairement la cause occasionnelle interne de toutes les maladies. Ce qui
se confirme par le grand Hippocrate, lorsqu’il dit dans ses aphorismes, que les
éructations acides des malades convalescents sont de bon augure. Ce qui n’est
dire autre chose, sinon que l’estomac commence à se remettre, & que la
digestion se fait bien ; parce que l’acide fermentatif naturel a repris le dessus, ce
qui lui fait conclure avec raison que tout ira de bien en mieux.

Revenons à notre fermentation que nous avons laissé agir pendant cette

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digression, qui n’était pas de peu d’importance, & disons que quand l’artiste
voit que ce qui s’était élevé par l’action de l’esprit, est retombé au fond du
tonneau, & qu’il connaît par le goût que la liqueur qui surnage, a acquis un
goût qui est entre doux, acide & piquant ; & que de plus, son odorat lui fait
aussi remarquer que cette liqueur a une odeur vineuse & spiritueuse, qui recrée
les sens & qui est subtile ( cela arrive ordinairement le quatrième ou le
cinquième jour ) il faut alors oindre le fond de la vessie, qui sert à la distillation
des esprits ardents avec un morceau de lard, afin d’empêcher que la matière du
fond ne s’y attache & ne soit cause qu’elle se brûle, ce qui communiquerait un
goût empyreumatique & mauvais à l’esprit ; après cela il faut agiter la
fermentation avec le palon de bois, pour faire que ce qui est au fond, se mêle
également avec la liqueur, de laquelle il faut emplir la vessie à demi pied près
de son bord, & agiter perpétuellement cette liqueur, jusqu’à ce que le feu l’ait
assez échauffée, pour faire monter tout le corps en haut ; alors il n’y aura plus
de péril de fermer la vessie avec la tête de maure, de luter les jointures & de
pousser le feu, jusqu’à ce que l’artiste ne puisse plus endurer la main au canal
de la tête de maure sans se brûler. Alors il faut fermer exactement la porte du
fourneau & les registres avec grande précaution, & attendre ainsi patiemment
que les esprits commencent à s’élever, en vapeurs dans le canal, où ils se
condensent en liqueur spiritueuse ardente, qui tombe goutte à goutte dans le ré-
cipient. Il faut entretenir le feu dans cette modération, jusqu’à ce que la liqueur
qui sortira soit tout à fait insipide ; alors il faut ouvrit la vessie, retirer la matière
& la remplir & continuer ainsi, jusqu’à ce qu’on ait distillé tout ce qui aura été
fermenté.

Cela étant fait, il faut mettre dans la vessie ce qu’on aura distillé, & jeter dedans
un pain de deux livres qui soit tout chaud, ou en faire rôtir & l’y mettre ; parce
que ce pain attire à soi & retient tout ce qu’il peut y avoir de mauvais goût dans
la première distillation : il faut couvrir la vessie, donner le feu avec jugement &
règle, jusqu’à ce que l’esprit commence à distiller, comme nous avons dit ci-
devant, & continuer tant que le phlegme vienne à paraître, ce qui ce distinguera
facilement au goût. Ainsi on trouvera qu’on aura après cette rectification une
eau-de-vie de fort bon goût & de bonne odeur, & qui ne cédera guère à celle
qu’on tire du vin, quoique le grain soit insipide & fade de soi-même ; ce qui fait
d’autant mieux remarquer les admirables effets de la nature & de l’art, & qui
éclaircit véritablement ce que dit le docte Philosophe Romain Morienus : Quod
est occultum, sit manifestum, & è contra ; ce qui ne se peut jamais faire que par le
moyen du ferment, qui pénètre jusque dans le centre des mixtes, & qui nous y

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fait trouver ce que notre intelligence, ni nos sens ne nous auraient jamais fait
apercevoir.

Ceux qui voudront subtiliser cet esprit par une troisième distillation, le
pourront faire, & y ajouteront un sceau de lie de vin sur le tout ; alors il
deviendra si subtil & si délicat, que les plus habiles seront bien empêchés de le
discerner d’avec l’esprit du vin, ni par le goût, ni par l’odorat. On s’en peut
alors servir à toutes les opérations, où l’eau-de-vie & l’esprit de vin sont
nécessaires ; ce qui sera très utile à ceux qui travailleront en Chimie, dans les
lieux où il n’y a point de vignobles, & où l’eau-de-vie est fort chère. Je conseille
néanmoins de se servir de l’esprit de vin dans les opérations délicates, parce
qu’il est toujours plus agréable, plus subtile & plus pénétrant ; mais lorsqu’on
n’en aura pas, on lui peut légitimement substituer cet esprit dans la com-
position de tous les remèdes, où l’eau-de-vie est nécessaire. Nous ne mettrons
pas ici les vertus de cet esprit, parce qu’outre que le vulgaire même sait qu’il
échauffe, qu’il restaure & qu’il fortifie ; c’est que de plus, nous nous réservons
d’en parler, lorsque nous traiterons de l’esprit de vin.

Il faut pourtant que nous ajoutions encore quelque chose en faveur des artistes
curieux, qui voudront faire cet esprit, & qui sont néanmoins dans des pays où
on ne sait ce que c’est que la bière, & par conséquent où il n’y a pas de levure, ni
de ject de cette liqueur, pour mettre la farine en fermentation. Or, il n’y a point
de lieu au monde où on ne fasse du pain, & par conséquent il faut qu’il y ait du
levain ou du ferment, qui sert à faire lever la pâte dont on fait le pain ; c’est
pourquoi ils prendront une demie livre de levain ordinaire, qu’ils mêleront avec
deux livres de farine dans quinze ou vingt livres d’eau tiède ; ils couvriront
ensuite le vaisseau qui contiendra ce mélange, & se donneront la patience que
cette liqueur commence à fermenter ; ce qu’ils connaîtront, lorsque la farine
s’élèvera au-dessus, & que la liqueur s’enflera ; alors ils introduiront cette
liqueur dans la matière qu’ils voudront fermentera les mêmes symptômes que
nous avons dits, arriveront ; mais non pas si promptement que si c’était avec du
levain de la bière.

Nous n’avons plus qu’une remarque à faire, qui est qu’on peut mettre la farine
des grains en fermentation, sans en ajouter de celui qui aura été préparé ; mais
il faut qu’on sache que l’artiste ne tirera pas tant d’esprit, qu’il ne sera pas si
subtil ni si délicat, qu’il n’aura pas si bon goût ; & que de plus ce qui est le plus
important, est que les fermentations, ne réussiront pas si bien, que lorsque ce
grain accompagne l’autre, qui le rend beaucoup plus propre à la fermentation ;
& que lorsqu’elle a bien réussi par son moyen, toutes les distillations réussissent

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 290

aussi beaucoup mieux ; parce que ce grain qui a été ouvert par sa préparation,
s’élève facilement en haut, & attire à soi l’autre qui n’a point été préparé.

Que si on me demande pourquoi je n’ai pas dit qu’il fallait employer du grain
préparé tout pur. La réponse est, que ce serait trop du tout, parce que le ferment
se volatiliserait trop promptement, & qu’ainsi la plus subtile partie de l’esprit
s’évaporerait i & se perdrait avant qu’on le pût distiller ; & que de plus, la
matière monterait trop facilement dans la tête de maure, par sa prompte
ébullition, & passerait en corps & non pas en vapeur spiritueuse, comme cela
arrive souvent à ceux qui ne sont pas encore assez expérimentés & bien versés
dans la distillation des matières fermentées.

§. 3. Comment on fera l’eau spiritueuse & l’huile éthérée des semences d’anis, de
fenouil, de persil & de leurs semblables.

Il faut prendre l’une de ces semences la plus récente qu’on la pourra avoir, & en
mettre quatre, six ou nuit livres en poudre grossière, qu’on jettera dans la
vessie, selon sa grandeur & la quantité d’eau qu’elle peut contenir, & on versera
dessus de l’eau de pluie ou de rivière, jusqu’à un demi-pied près du bord du
vaisseau qu’on fermera, & l’on donnera le feu jusqu’à ce que les gouttes
tombent dans le récipient. Alors il faut boucher le fourneau & continuer la
distillation, jusqu’à ce que l’eau soit sans odeur, & qu’on ne voit plus aucune
oléaginosité par-dessus ; après quoi, il faut cesser le feu, ou bien ouvrir la
vessie, & tirer ce qui y est, pour y substituer de la même matière, pendant que
le fourneau est en feu ; mais il faut avoir séparé auparavant l’huile de l’eau, afin
de la reverser sur de la nouvelle semence ; car on aura par ce moyen beaucoup
plus d’huile dans la seconde distillation que dans la première ; & comme on
distille ordinairement ces semences plutôt pour leur huile que pour avoir leur
eau, il faut aussi y avoir plus d’égard. On séparera les huiles avec le coton, selon
la figure dont on trouvera la description à côté de celle de la vessie, qui se
trouvera au Chapitre des vaisseaux, ci- dessus Tome I.

Mais si l’huile n’était pas fluide & qu’elle fût congelée, comme cela arrive à
l’huile d’anis, il faut couler l’eau à travers un linge net, & l’huile demeurera
dessus, comme nous l’avons dit ci-devant, en parlant de l’huile de roses. Il faut
seulement remarquer en passant qu’il y a des Auteurs, qui veulent qu’on fasse
digérer ces semences avant que de les distiller, & prétendent que l’artiste en
tirera beaucoup plus d’huile, parce que le corps de la semence sera plus ouvert.
Mais ils ne remarquent pas que ces semences abondent en sel volatil, qui est
d’une nature moyenne, & qu’ainsi l’eau la peut attirer à soi par la longueur de
la digestion : ce qu’elle ne fera pas, si on distille aussitôt après avoir mêlé l’eau
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 291

& la semence. Il est vrai que si la digestion précède, l’eau en sera plus
spiritueuse & beaucoup plus efficace que sans digestion ; mais aussi on aura
davantage d’huile, si on fait comme nous l’avons prescrit. Nous ne dirons rien
de la vertu de ces huiles & de ces essences improprement dites, non plus que de
leur dose ; car il y en a tant d’autres qui en ont amplement traité, que ce serait
faire des répétitions inutiles.

§. 4. Comment on travaillera sur les semences du cresson alenois, de la roquette, de la


moutarde & de celles qui leur sont analogues.

Quoique ces semences aient en elles une grande abondance de sel volatil, très
subtil & très pénétrant, comme leur goût le témoigne, cependant la
fermentation ne leur fait pas produire un esprit ardent, comme à beaucoup
d’autres végétaux ; mais elle les ouvre néanmoins, & les raréfie de telle sorte,
que tout le sel & l’huile que ces semences ont en elles, & qui sont le siège de leur
vertu, passent en vapeurs & en esprits qui se condensent en liqueur & tombent
dans le récipient, avec une odeur si subtile & si pénétrante, quelle prend au nez
& aux yeux, & pousse jusque dans tons les conduits du cerveau, aussi
subitement que peut faire l’esprit d’urine volatil le plus sabra.

Il n’est pas nécessaire que nous répétions ici comment il faudra procéder dans
la façon de la fermentation & dans celle de la distillation, il nous suffira
seulement de donner les précautions nécessaires au travail ; parce que ces
semences sont d’une nature différente des autres, à cause de la subtilité de leur
sel volatil. Il faudra donc surtout avoir égard que le vaisseau, où la
fermentation se fera, ne soit plein qu’à demi, afin que la matière ne s’enfle pas
trop dans l’action du levain. Il faut avoir la même précaution de ne mettre la
vessie qu’à demi, de luter exactement, & de conduire le feu avec un jugement
net & une assiduité bien réglée, autrement tout monterait en substance dans la
tête de maure. On pourra rectifier ces esprits au bain-marie, si on les désire plus
nets & plus subtils que par la vessie : ce sont de vrais remèdes diurétiques &
apéritifs, surtout pour ôter les obstructions de la rate : ce sont aussi de vrais spé-
cifiques contre le scorbut, dont la vertu & la dose a été mise ci-dessus, lorsque
nous avons parlé des plantes anti-scorbutiques, où nous renvoyons l’artiste
pour en être informé.

Mais comme les huiles & les esprits de ces semences se peuvent faire sans
addition ; & que de plus, il est nécessaire de les distiller de la sorte, pour les
employer aux usages du dehors : disons qu’il faut emplir une cornue de verre
jusqu’aux deux tiers de l’une de ces semences, mais particulièrement de celle de
moutarde, à cause des rares vertus de son huile : puis il la faut poser au
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 292

fourneau sur une capsule garnie de sable qui lui servira de lut ; il faut ensuite
couvrir le fourneau & adapter un ample ballon, ou récipient au col de la cornue,
& le luter avec de la chaux vive & des blancs d’œufs, & donner le feu par degré,
jusqu’à ce que les gouttes commencent à tomber ; il faut l’entretenir ainsi
jusqu’à ce que l’huile commence à paraître. Alors augmentez le feu peu à peu,
& le poussez jusqu’à ce que le récipient qui était trouble, redevienne clair de
soi-même ; ce qui est un signe manifeste, que l’action du feu a chassé dans le
récipient tout ce que la semence contenait de vapeurs, & que par conséquent il
n’y a plus rien à espérer. Cette opération dure ordinairement douze heures.

Après que tous les vaisseaux font refroidis, il faut déluter le récipient d’avec la
cornue, puis séparer les substances qui se trouveront dedans, qu’on pourra
rectifier si on veut. Mais comme on ne les applique qu’extérieurement, cette
rectification ne sera pas fort nécessaire : si néanmoins on les rectifie, il faut
laisser l’huile & l’esprit ensemble, & les verser dans une basse cucurbite, qu’il
faut couvrir de son chapiteau, & placer cet alambic aux cendres, & donner le feu
par degré, jusqu’à ce que le sel volatil & l’esprit commencent à se faire
apercevoir dans le chapiteau ; alors il faut seulement entretenir le feu dans
l’égalité, jusqu’à ce que le phlegme commence, ce qui se connaîtra par le goût :
car l’esprit volatil, qui est accué du même sel, est extraordinairement piquant,
subtil & pénétrant, & le phlegme est d’un goût simplement acide & presque
insipide. Cela étant fait, changez de récipient & fortifiez le feu, afin de faire
monter l’huile, & continuez ainsi jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien ; séparez
l’huile du phlegme, mettez les matières distillées ou rectifiées dans des fioles,
qu’il faut boucher exactement, à cause de la subtilité de cet esprit & de son sel
volatil.

L’esprit fait des merveilles, lorsqu’il est appliqué sur des membres atrophiés,
avec de l’esprit de vin & de l’urine humaine nouvellement rendue ; & lorsque le
membre a été bien fomenté, il faut faire un liniment avec l’onguent martiatum,
l’axonge humaine & l’huile de la semence de moutarde qu’on appliquera
dessus, qui réveillera la chaleur naturelle dans la partie, & qui y attirera les
esprits des autres parties plus éloignées ; ce que le malade sentira dans peu de
temps, à cause des friaments & des démangeaisons qui précéderont la guérison
entière. On peut de-là conclure, qu’il doit être souverainement bon dans tous les
assoupissements des nerfs, leur restriction ou leur relâchement, qui causent ou
la paralysie ou la contraction, pourvu qu’on fasse prendre de l’esprit de cette
semence fait par fermentation au malade, & qu’on le fasse suer ensuite.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 293

L’huile qui n’aura pas été rectifiée, mondifie, déterge & incarne les ulcères les
plus vilains & les plus malins’ : elle dissout tes nodosités & les trophes des
goûteux & des véroles ; mais il faut faire agir en même temps & auparavant, les
remèdes intérieurs, comme sont ceux que nous enseignerons de tirer du
mercure & de l’antimoine.

Nous ne parlerons pas ici de la dose, ni des belles vertus de l’esprit qu’on aura
tiré par la fermentation de cette sorte de semences, parce que nous en avons
assez instruit l’artiste, lorsqu’il a été parlé des vertus & de la dose de l’esprit de
ta plante nommée cochléaria. Il me reste seulement à dire que ceux qui n’auront
pas du cochléaria, pourront substituer l’esprit de la semence de cresson alénois,
qui leur servira dans les mêmes maladies avec les mêmes effets ; mais il serait
pourtant meilleur de distiller la plante toute entière, lorsqu’elle est seulement
entre fleur & semence.

§. 5. Le moyen de tirer des grains ou des baies de genièvre tout ce qu’elles contiennent
de bon & utile, pour l’usage de la Pharmacie Chimique.

Quoique cette plante soit commune, elle mérite néanmoins des éloges, qui ne
sont pas ordinaires, à cause des excellents remèdes qu’elle prête à la Médecine
par le secours de la Chimie : car qui voudra se donner la peine de considérer cet
arbrisseau avec des yeux & des pensées de naturaliste, sera sans doute contraint
de reconnaître, qu’il y a quelque chose en lui qui surpasse l’ordinaire, tant par
ce qu’il résiste aux injures des hivers & de toutes ses tempêtes, qu’à cause du
longtemps que la nature emploie à mûrit sa graine ; il faut nécessairement
croire, qu il y a un baume intérieur dans ce végétable, qui le maintient & le
conserve, & qui néanmoins a de la peine à se produire dans son fruit, puisqu’il
faut que le Soleil fasse deux fois son cours naturel, avant que le grain du
genièvre puisse être cueilli dans son état de perfection : nous ferons donc
l’anatomie de toutes les parties que nous fournit cette admirable plante,
puisque les bons remèdes qu’elles contiennent nous y convient, quoique nous
soyons obligés de parler d’autre chose que des semences, qui sont le vrai sujet
de cette Section.

Nous parlerons donc premièrement de son bois, qui fournit un esprit acide, une
huile & un sel. Secondement, nous parlerons de ses baies, qui donnent avant la
fermentation une eau spiritueuse, une huile éthérée, & un extrait cordial &
alexitaire ; & après la fermentation, elles donnent un esprit ardent, & un extrait
purgatif & diurétique, pour ensuite enseigner à faire la vraie teinture ou l’élixir
des baies de genièvre ; & finir en troisième lieu par sa gomme, qui fournit une
huile nervale & un baume anodin.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 294

§. 6. Bois de genièvre.

Il faut prendre le bois de genièvre avec ses feuilles ou ses épines, & ses baies
mûres ou non mûres, & les hacher en pièces menues ; en sorte qu’il puisse
entrer dans une retorte de terre qui soit ample, que vous placerez au fourneau
de réverbère clos ; & après avoir accommodé le récipient avec toutes les
précautions requises & nécessaires, il faut donner le feu par degrés, & le
continuer ainsi, jusqu’à ce que le feu ait chassé ce que le bois contenait d’esprit
ou d’huile, dont la marque certaine est lorsque le récipient s’éclaircit de soi-
même : le temps de l’opération dure douze ou quinze heures au plus.

Les vaisseaux étant refroidis, il faut séparer l’huile de l’esprit ; l’esprit sera
rougeâtre, parce qu’il est chargé de la teinture de l’huile, qui s’y est
communiquée, à cause du sel volatil de la plante. Si on veut le rectifier au sable
ou aux cendres, vous aurez un esprit acide très pur, qui est sudorifique &
diurétique. La dose est depuis un scrupule jusqu’à une drachme, dans du vin
ou dans quelque décoction convenable : il a autant ou plus de vertu que l’esprit
de gayac, pour les accidents de la vérole ; mais il est surtout recommandable
contre la morsure des vipères, des serpents & d’autres animaux vénéneux, si on
le donne en la même dose, & qu’on en lave la morsure mêlé avec de l’urine
nouvelle.

Il n’est pas nécessaire de rectifier l’huile qu’on a tirée du bois, parce qu’elle ne
sert pas intérieurement ; elle est excellente pour empêcher les accidents de la
coupure des nerfs, & ceux qui peuvent survenir après les morsures des
animaux qui sont en colère, parce que le sel volatil qu’elle contient, pénètre
jusqu’au plus profond de ces plaies, où il corrige la mauvaise impression du
venin, & empêche par ce moyen qu’il ne puisse pénétrer plus avant ; mais il
faut en même temps faire prendre au blessé de l’esprit du bois de genièvre dans
du vin chaud, avec cinq grains de muscade râpée. Cette huile est de plus très
excellente pour apaiser la douleur des dents cariées : elle égale aussi la vertu de
celle du gayac, pour la guérison des vieux ulcères ; surtout s’ils sont situés
proche des jointures, où il aboutit beaucoup de nerfs, de tendons & de
cartilages, qui abreuvent ordinairement les ulcères de glaires, de baves & de
sérosités superflues, qui empêchent la consolidation ; or cette huile digère &
consume toutes ces substances contre nature, & régénère un bon fonds, qui
remplit ensuite l’ulcère, & qui procure par conséquent la guérison.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 295

§. 7. Baies de genièvre.

Après avoir travaillé sur le bois, il faut continuer sur le fruit, qui sont les baies,
qui contiennent la semence qui est renfermée dans un corps mielleux &
visqueux, qui est couvert & enveloppé d’une pellicule extérieure noire & lisse,
lorsque la baie est en sa parfaite maturité ; ce qui arrive la seconde année de sa
production, vers le temps de la Notre-Dame de Septembre, qui est la vraie
saison où on les doit cueillir ; savoir lorsque le Soleil est dans le signe de la
Vierge ; car si on anticipait ce temps-là, ce grain ne serait pas encore assez mûr,
& n’aurait pas en soi cette douce amertume mielleuse & balsamique, qui
contient son sel volatil & par conséquent son esprit.

Lorsque vous aurez une suffisante quantité de ces baies ainsi conditionnées,
c’est-à-dire, bien noires & lisses, odorantes, si on les frotte & presse, & qui
fassent paraître de l’huile sur l’ongle & à l’odorat dans cette légère expression,
qu’elles aient une substance intérieure, mielleuse & visqueuse, qui ait des petits
grains en soi qui en sont la semence, & que lorsqu’on mâche cette baie, elle ait
au commencement un goût doux & balsamique, qui dégénère peu à peu en une
amertume qui n’est pas trop désagréable.

Il semblera peut-être que nous nous serons trop étendus sur les qualités que
doit avoir ce fruit ; mais comme sa vertu dépend de la bonté du sujet qu’on
préparera, aussi a-t-il été nécessaire de les déclarer au long, afin que l’artiste ne
consume pas le temps & les matières inutilement, comme il n’arrive que trop
souvent.

Prenez huit livres de baies de genièvre, qui soient de la nature marquée au-
dessus ; battez-les au mortier de bronze avec un gros pilon de bois, jusqu’à ce
qu’il vous paraisse qu’elles sont toutes écrasées & en pâte molle ; mettez-les
dans la vessie, & y versez de l’eau de pluie ou de celle de rivière, jusqu’à demi
pied près de son embouchure ; couvrez & lutez, donnez le feu avec jugement, &
distillez l’eau spiritueuse & l’huile éthérée qui surnagera ; avec cette remarque,
qu’il ne faut pas que l’artiste abandonne de vue son récipient, lorsque l’eau &
l’huile commencent à monter dans le col du récipient ; car comme cette
distillation ne se fait que pour tirer l’huile, il la perdrait par sa faute, parce que
l’eau venant à surmonter l’huile, serait toute perdue ; & pour éviter cette perte,
il faut être assidu pour substituer un autre récipient, lorsque l’huile approche
de trois ou quatre doigts de l’orifice du premier récipient, & continuer la
distillation jusqu’à ce qu’il ne paraisse plus d’huile sur l’eau y lorsqu’on recevra
ce qui distille dans une cuillère. On continuera cette opération de la même sorte,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 296

jusqu’à ce qu’on ait achevé ce qu’on a de baies, en remettant toujours l’eau


distillée sur les distillations, après qu’on en aura séparé l’huile par le cotton.

Que si on veut faire l’extrait simple, le miel ou la thériaque des Allemands de


ces grains, il faut couler & presser chaudement une partie de ces distillations, &
les évaporer lentement jusqu’en consistance d’un sirop fort épais ou d’un
extrait liquide : mais si l’on dit que l’huile en est déjà séparée, & que par
conséquent cet extrait n’aura pas tant de vertu ; la réponse est aisée, car il suffit
de considérer que cette huile se serait évaporée pendant la cuisson &
l’évaporation, comme le témoigne son odeur, qui s’étend fort loin, lorsque
l’extrait se fait avant la séparation de l’huile.

Prenez ce qui reste de toutes les distillations sans en rien séparer, & y joignez le
marc de l’expression de l’extrait ; faites-en chauffer plein la vessie, afin
d’échauffer le reste que vous aurez mis dans un tonneau, au point qui est
nécessaire pour la fermentation ; introduisez-y le levain avec les circonstances
& avec les précautions requises, & le laissez ainsi quatre on cinq jours, après
quoi vous le distillerez à diverses fois, jusqu’à ce que vous ayez achevé de tirer
tout l’esprit, que vous rectifierez dans la même vessie, avec six livres de
nouvelles baies de genièvre choisies & concassées, & vous aurez un esprit
ardent, qui a des vertus très excellentes & très-particulières : vous séparerez le
premier esprit à part, comme aussi le second & le troisième, afin de les
employer aux usages que nous dirons ci-après.

Et afin de faire voir que la Chimie ne perd rien de ce qui est utile, il faut couler
& presser les restes de la distillation fermentée, & le passer chaudement au
travers d’une chausse à hippocras ou d’un blanchet, puis les évaporer en
consistance d’un extrait liquide, qui est un des plus doux & des plus bénins
purgatifs, dont on puisse se servir : cette vertu purgative causera, peut-être, &
avec raison, l’étonnement de quelques-uns ; mais il faut ôter ce scrupule & faire
connaître, que l’action de la fermentation a dissout & uni avec l’eau la meilleure
partie du sel fixe de ces baies ; & comme les sels fixes lâchent le ventre, c’est
aussi celui qui prédomine dans cet extrait & qui cause sa vertu purgative.

Il faut après cela, faire sécher le marc des expressions & le calciner ensuite, afin
d’en faire la lessive & de tirer le sel, selon la méthode que nous avons ci-devant
enseignée, lequel il faut après réverbérer au creuset sans le fondre, le dissoudre
dans de la dernière eau distillée du genièvre, afin de le filtrer, de l’évaporer à
pellicule & de le faire cristalliser, pour le réserver à ses usages. Voilà ce que
nous avions à dire sur les baies de genièvre : il ne nous reste plus qu’à marquer
la vertu & les doses des belles préparations que cette semence nous fournit, &
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 297

de donner la description d’un élixir ou d’une teinture des baies de genièvre, qui
est un remède très accompli, auquel nous dirons aussi les propriétés & l’usage.

Nous donnerons aux baies de genièvre en général, les vertus qu’elles méritent,
avant que de venir aux propriétés particulières de chacun des remèdes qu’on en
à tirés, afin que cette application générale serve pour en pouvoir mieux faire les
remarques, lorsqu’on voudra se servir de ces médicaments. Et premièrement,
disons que le principal usage de ces baies est d’inciter, d’atténuer & de dissiper
en général ; mais on s’en sert particulièrement, pour provoquer l’urine & la
sueur, pour évoquer les purgations lunaires, pour ôter les obstructions de la
rate, contre les affections du cerveau, des nerfs, de la poitrine & contre la toux,
pour dissiper les ventosités du bas ventre, contre la colique, & surtout pour
dissoudre & pour évacuer les glaires, & le sable des reins & de la vessie : elles
sont aussi très utiles pour servir de préservatif en temps de contagion, soit
qu’on les mange, soit qu’on s’en serve en parfum, pour corriger le venin & la
malignité de l’air.

Il est à présent fort aisé a appliquer leur vertu à chacun de ces remèdes ; car elle
leur est commune à tous, puisqu’ils ont été tirés de ce corps qui les contenait en
soi, sinon le dernier extrait qui est purgatif, à cause des raisons que nous en
avons alléguées. L’huile éthérée de genièvre, est un souverain remède pour faire
uriner & pour apaiser les douleurs de la colique ; c’est aussi un excellent
topique dans les affections froides des nerfs, & même dans leur picure & dans
leur coupure, à cause de la qualité pénétrante, & principalement pour sa vertu
balsamique. La dose est depuis trois jusqu’à quinze, ou vingt gouttes, dans du
vin blanc ou dans sa propre eau. L’eau spiritueuse qui se tire en même temps
que l’huile, est diurétique & diaphorétique. La dose est depuis une once jusque
quatre & cinq ; mais elle agit tout autrement, lorsqu’elle est exaltée avec
quelques gouttes de ton huile, qui aient été mêlées avec du sucre en poudre
pour les rendre dissolubles.

Pour l’extrait qui a été fait avant la fermentation, c’est un remède très bon de
soi-même, pour fortifier la poitrine & l’estomac, c’est un bon diurétique & un
très sur alexitaire ; c’est pourquoi il est employé au lieu du miel commun cuit &
écumé, pour recevoir les poudres qui constituent cet excellent antidote qu’on
appelle Orviétan : c’est aussi un corps qui est merveilleux pour la composition &
l’assemblage de ce qu’on destine, pour former des opiates on des électuaires
liquides, contre la peste, contre toutes les autres maladies ; contagieuses, &
contre la vérole & ses dépendances. La dose est depuis une demi-drachme
jusqu’à une demi-once

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 298

Mais l’esprit est un agent qui surpasse tout ce que nous venons de dire ; car il
pénètre comme en un instant tout le corps ; si bien qu’on le peut employer en
toutes les maladies auxquelles les baies sont utiles ; & pour donner une preuve
manifeste de sa vertu pénétrante & balsamique, c’est que pour peu qu’on en
avale, il est très assuré que la première urine qu’on rendra, aura une odeur
agréable d’iris ou de violette. La dose est depuis une demi-drachme jusqu’à
deux dans des bouillons, dans du vin blanc on dans sa propre eau : on peut
augmenter la dose des autres esprits non rectifiés, du second & du troisième, à
proportion de la subtilité de leurs parties.

L’extrait purgatif est admirable pour recevoir en soi les autres remèdes
purgatifs, soit les résines ou les magistères, les extraits ou les poudres, afin d’en
faire quelque électuaire composé, qui conserve & qui aide par sa faculté
purgative la vertu des choses qu’on y a mêlées. La dose de cet extrait seul, est
depuis deux drachmes jusqu’à une once, soit qu’on le dissolve ou qu’on le fasse
prendre en bol ; sa quantité ne peut nuire, comme celle des autres médicaments
purgatifs, parce qu’il ne causera jamais aucune hypercatharse, qui est la sur-
purgation, & parce qu’il ne fait aucune colliquation dangereuse ; mais il lâche
simplement & doucement le ventre, par une détersion naturelle de tous les
excréments qui sont contenus dans les intestins, ce qui est une vertu
extrêmement requise dans plusieurs constipations opiniâtres & rebelles.

Il ne reste plus que le sel fixe, qui est diurétique & laxatif, aux poids depuis un
scrupule jusqu’à une drachme, dans des bouillons ou avec son eau, on ce qui est
encore meilleur, dans l’extrait purgatif en bol. Ce sel est aussi capable de
conserver longtemps la vertu de son eau, si on en dissout une drachme ou deux
dans chaque pinte.

§. 8. Pour faire l’élixir des baies de genièvre.

Prenez des baies de genièvre bien mûres & bien lisses, faites le choix des plus
grosses & des plus polies jusqu’au poids d’une livre, que vous concasserez au
mortier de marbre avec un pilon de bois ; mettez-les dans une cucurbite de
rencontre, & versez dessus de l’eau de suc de pariétaire & de celle de virga
aurea, de chacune deux livres, couvrez le vaisseau de sa rencontre, & digérez-le
tout au bain-marie durant trois jours ; puis ôtez la rencontre, & faites la colature
& l’expression, des matières que vous distillerez au bain lentement, jusqu’à ce
qu’il vous reste un extrait de consistance moyenne, que vous mettrez dans un
pélican, ou dans quelque autre vaisseau circulatoire avec une livre du meilleur
esprit des baies de genièvre, que vous luterez & ferez digérer & circuler durant
huit jours à la chaleur du bain vaporeux : ce temps expiré, laissez refroidir les
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 299

vaisseaux, puis filtrez la liqueur très purement, & vous aurez la vraie teinture
ou l’élixir de genièvre, qui est un souverain remède, soit préservatif, soit curatif,
dans la peste & dans les autres maladies pestilentielles & malignes ; mais cet
élixir est particulièrement destiné aux reins & à la vessie, non seulement pour
en évacuer ce qu’il y aurait de visqueux & de graveleux, mais encore pour en
ôter le séminaire, & pour empêcher par un usage continuel de ce bon remède,
qu’il ne s’en fît plus aucune génération : c’est aussi un spécifique stomachique
& hystérique, qui dissipe par sa chaleur & par sa vertu alexitères, balsamique &
cordiale, tout ce qui peut causer de mauvaises altérations dans le ventricule ou
dans la matrice. La dose est depuis une demi-cuillerée jusqu’à une & deux
cuillerées entières.

§. 9. Gomme de genièvre.

Il ne nous reste plus rien du genièvre que sa gomme ou résine, qui est très
bonne en parfum pour toutes les fluxions du cerveau : on en reçoit la fumée
dans les cheveux & autour du col, comme lorsqu’on a le nez bouché, le
maniement du col empêché, & lorsqu’on a les amygdales enflées, & qu’on a la
difficulté d’avaler : il faut aussi en parfumer les linges qu’on met à l’entour du
col & ce qui doit couvrir la tête. Mais ce qui est de meilleur, c’est que cette
résine, qu’on appelle communément vernis ou gomme de genièvre, donne une
huile par le moyen de la distillation, qui est merveilleuse pour l’usage extérieur,
pour les maladies des nerfs, contre le froid & l’impuissance des parties qui ont
souffert quelque résolution ou paralysie, contre les contractions des membres,
& généralement contre toutes les douleurs froides de toutes les parties du corps,
dont on ne peut donner aucune cause apparente, & qui ne font remarquer
aucune enflure ni aucune rougeur à l’extérieur. Elle est aussi très efficace pour
dissiper ; les œdèmes froids. Elle se fait ainsi.

Prenez de la gomme de genièvre, du charbon & du sel décrépite de chacun


parties égales, mettez-les en poudre grossière, & les mêlez bien ensemble ;
introduisez ce mélange dans une cornue de verre, & la placez au réverbère clos ;
adaptez-y le récipient, que vous luterez très-bien ; couvrez le fourneau, &
donnez le feu par degrés & le poussez peu à peu, jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus
rien, & que le récipient s’éclaircisse, ce qui arrive d’ordinaire dans l’espace de
douze ou quinze heures. Il faut séparer les deux substances qui sont dans le
récipient ; car l’une est aqueuse & acide, qui provient du sel & du sel volatil de
la gomme du genièvre, avec une petite portion de son esprit mercuriel, qui sont
aussi acides ; & l’autre substance est oléagineuse, inflammable & sulfurée, qui
est encore un peu lente & grossière ; c’est pourquoi, il faut rectifier cette huile

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 300

au sable dans une retorte de verre avec du sel de tartre, & ainsi on aura une
huile, claire, subtile & pénétrante, qui sera capable de tous les beaux effets que
nous lui avons attribués.

SECTION SIXIÈME.

§. 1. Des Ecorces.

Nous n’aurons ici que deux exemples i donner sur les écorces en général, donc
l’un sera sur les écorces de citron & sur celle» d’orange, qui sont volatiles, & qui
doivent être distillées d’une façon particulière, & avec des remarques qui sont
de grande importance & que l’artiste doit considérer avec soin : l’autre sera sur
l’écorce du gayac, qui est plus dense & plus fixe, afin que ces deux extrêmes,
étant opposés, fassent concevoir les choses avec beaucoup plus de lumière & de
vérité.

Pour mieux entendre les raisons qui nous obligent à distiller ces écorces
volatiles, tour autrement que les fleurs qui font si volatiles ; il faut faire la
remarque du goût & de l’odeur de ces deux écorces, lorsqu’elles sont encore
tendres, récentes & lisses, & les comparer avec le goût & l’odeur de ces mêmes
écorces, lorsque le fruit a été gardé, que l’écorce en est flétrie, ridée & demi
desséchée : car on trouvera que ces écorces ont un goût & une odeur agréable,
qui pousse subitement au cerveau, & qui le recrée & le fortifie, lorsque l’écorce
est récente ; mais on trouve tout le contraire, lorsque le fruit est suranné, & que
son écorce est rétrécie en soi-même, leur goût est ingrat & amer, pique trop, &
leur odeur n’a plus cette vivacité & ce famée agréable qu’on y remarquait
auparavant ; c’est néanmoins cet agrément qu’il faut nécessairement conserver,
si on prétend réussir avec les remèdes qu’on en prépare.

Pour y parvenir, il faut prendre le temps auquel on a les citrons & les oranges
récentes en abondance & à bon marché, & en couper l’écorce fort déliée, jusqu’à
ce qu’on en ait deux ou trois livres, qu’il faut hacher menu, & la mettre dans
une cucurbite de verre avec de l’eau simple, jusqu’à l’éminence d’un demi-pied,
& distiller au sable avec un feu modéré d’abord, qu’on augmentera peu à peu,
jusqu’à ce que ce qui distille n’ait plus de goût ni d’odeur, & qu’il n’appareille
aucune oléoginoisité au-dessus de l’eau qui tombe. Ainsi vous trouverez une
huile subtile & éthérée, qui aura toutes les vertus & l’agrément de l’écorce de
citron ou de celle d’orange, que vous garderez au besoin dans des fioles qui
soient bien exactement bouchées.

300
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 301

On pourrait m’objecter ici que je fais au contraire des Auteurs, qui ont ci-devant
donné la façon de distiller ces huiles, puisque je désire qu’on les distille aussitôt
après que l’écorce est séparée du fruit, au lieu que les autres prescrivent de les
digérer & de les fermenter, afin d’en avoir une plus grande quantité. A quoi
nous répondons, qu’il n’est pas ici question de la quantité, à laquelle il ne faut
pas que l’artiste ait jamais égard, lorsqu’il se fait un changement en la chose, &
que la vertu en est diminuée : car comme nous avons remarqué ci-dessus, que le
fumet des écorces est si subtil, qu’à peine se peut-il conserver avec son propre
sujet ; qu’ainsi à plus forte raison, il s’évanouira beaucoup plutôt, lorsqu’il en
est séparé, & quoiqu’il soit vrai que la quantité de l’huile distillée soit plus
grande, lorsque l’écorce a été digérée & fermentée durant quelque temps ; néan-
moins une drachme de celle qu’on aura distillée à notre mode, vaudra sans
comparaison mieux pour sa subtilité & sa vertu, que des onces entières de celle
qui aura été faite autrement. Ceux qui voudront avoir encore moins d’huile,
mais qui voudront avoir aussi en même temps un excellent esprit des écorces
susdites, les distilleront avec du vin blanc bien subtil, & ainsi ils auront l’esprit
qui ne vaudra guère moins que l’huile, duquel nous avons fait mention, lorsque
nous avons parlé des sirops de ces écorces, ce qui fait que nous n’en dirons rien
davantage.

§. 2. Pour faire l’élixir des écorces de citron & de celles d’orange.

Prenez la pellicule extérieure de l’un de ces deux fruits, que vous mettrez dans
un vaisseau de rencontre, après l’avoir coupée très déliée au poids de deux
onces ; ajoutez-y un scrupule d’ambre gris & six grains de musc de Levant, qu’il
faut avoir broyés avec deux drachmes de fin sucre ; versez sur cela du plus pur
esprit, que vous aurez retiré de dessus l’une de ces écorces avec le vin blanc ;
bouchez & lutez bien les jointures, & mettez ce vaisseau en digestion à la
vapeur du bain l’espace de trois jours naturels, à une chaleur lente ; au bout de
ce temps laissez refroidir le vaisseau, coulez & pressez ce qu’il contient, & le
filtrez dans un vaisseau couvert, afin qu’il ne s’évapore rien de sa vertu ;
conservez cet élixir précieusement, car c’est un remède cordial, qui n’a guère de
semblable dans les grandes faiblesses, dans les palpitations de cœur, &
principalement dans tout ce qui peur arriver à l’instant, après avoir fait quelque
exercice violent, ou dans des douleurs vives & aiguës.

Tous deux sont excellents aux hommes & aux femmes avec l’ambre & avec le
musc, honnis à celles qui sont sujettes aux passions hystériques ; ce qui fait qu’il
faut en avoir qui soit privé d’ambre & de musc, à cause de la matrice. L’élixir
des écorces d’orange, est beaucoup plus efficace que celui de celles de citron,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 302

pour les femmes, auxquelles on ne le saurait assez recommander, à cause d’un


bon & prompt secours qu’elles en peuvent espérer dans le temps de leurs
accouchements. La dose de ce remède est depuis un scrupule jusqu’à une
drachme entière, ou seul, ou mêlé dans du vin, dans du bouillon ou dans
quelque eau distillée, qui soit propre à la maladie ou au remède.

§. 3. Comment il faut faire l’esprit, l’huile & le sel, l’extrait, la teinture, & le magistère
de l’écorce de gayac.

Prenez de l’écorce de gayac la plus pesante, la plus compacte & la plus marquée
de raies noires que vous pourrez ; mettez-la en poudre grossière, &
l’introduisez dans une cornue de grès, que vous placerez au fourneau de
réverbère clos, auquel nous avons donné le nom de fourneau commun, & au col
de laquelle vous adapterez un ample récipient, dont vous luterez les jointures
avec du lut salé ; couvrez le fourneau, & laissez sécher le lut ; donnez le feu par
degrés, jusqu’à ce que vous voyiez que les vapeurs blanches paraissent, & que
vous aperceviez des gouttelettes d’huile rougeâtres, qui se mêlent dans les
veines que l’esprit fait au-dedans du récipient ; alors augmentez le feu auquel
vous joindrez même la flamme, jusqu’à ce que le récipient s’éclaircisse de soi-
même.

Il faut attendre au lendemain pour ouvrir les vaisseaux, & on trouvera dans la
cornue les restes de l’écorce qui seront convertis en charbon, qu’il faudra
calciner & réverbérer dans un pot non vernissé à feu ouvert, afin de les réduire
en cendres, desquelles il faudra tirer le sel par élixiviation, par filtration & par
évaporation, selon la manière que nous avons déjà tant de fois enseignée. On
doit mêler toujours de ce sel dans tous les purgatifs qu’on donne à ceux qui
sont atteints du mal vénérien ; car outre qu’il aide à la vertu de ces purgatifs,
c’est que de plus, il purge de soi-même, & que ce sel est un des spécifiques anti-
vénériens.

On trouve dans le récipient deux substances, une aqueuse mercurielle & acide,
qui est l’esprit de cette écorce ; & l’autre, une huile crasse & pesante, qui est au-
dessous de l’esprit, à cause de l’abondance de sel volatil qui se joint intimement
au soufre de l’huile, & aussi à cause d’une portion du sel fixe qui a été volatilisé
par la violence du feu, qui est aussi confondu dans cette huile ; il faut séparer
l’huile de l’esprit, en filtrant l’esprit à travers du papier sur l’entonnoir, &
l’huile demeurera sur le papier, qu’il faudra crever au fond pour faire couler
l’huile dans la bouteille qui lui est destinée.

On peut se servir de cet esprit & de cette huile pour l’extérieur, sans qu’il soit

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 303

besoin de les rectifier ; car on peut mettre un peu de cet esprit dans les
fomentations liquides, donc on lavera les ulcères chancreux, baveux, fistuleux,
rongeants, & principalement ceux qui sont causés par le venin de la vérole, afin
d’y appliquer après de l’huile, soit seule ou mêlée avec quelque autre corps
onctueux, qui énerve & adoucisse un peu sa pointe, qui causerait trop de
douleur. On ne saurait assez prêcher les dignes vertus de cette huile, pour la
guérison le tous les vieux ulcères, &pour dissiper les nodus ; mais surtout, pour
hâter & pour bien faire l’exfoliation des os, pourvu qu’on y mêle un peu de
l’huile distillée d’euphorbe.

Mais si on veut se servir de cet esprit & de cette huile intérieurement, il les
faudra rectifier au sable, l’esprit dans un alambic ; & comme c’est un esprit
acide, il faut que l’artiste soit averti, que le phlegme monte le premier, & que
l’esprit qui est acide & piquant, monte le dernier; c’est pourquoi il séparera le
phlegme, & substituera un autre récipient, lorsque le goût lui fera connaître que
les goûtes qui tombent sont acides. Cet esprit résiste puissamment au venin de
la vérole, qu’il combat partout ou il le rencontre, & le chasse par la voie des
urines, par les sueurs ou par une insensible transpiration, pourvu qu’il soit
empreint de son huile, qui a la meilleure & la plus ample portion du sel volatil
de notre écorce, & duquel il ne la faut pas dépouiller, si on désire lui conserver
sa vertu : pour cet effet, il la faut rectifier par la cornue avec les cendres, qui
seront restées de l’extraction du sel, & l’huile montera belle & claire & subtile,
qui sera dépouillée de la plus grande partie de l’odeur empyreumatique, qu’elle
avait contractée dans sa première distillation : car ces cendres qui seront mêlée
arec l’huile, retiendront en elles tout l’impur & le grossier, & ne retiendront pas
le sel volatil, qui est le principe actif & virtuel, non-seulement de cette huile,
mais qui l’est aussi de l’efficace & de la vertu de toutes les substances
sublunaires ; parce que c’est la dernière enveloppe & le dernier lien du ferment
& du feu interne de tous les mixtes, en qui réside la puissance & l’énergie de
toutes leurs actions : c’est pourquoi il ne faut pas que les artistes trouvent
étrange, que nous leur répétions si souvent les vertus de ce sel, & que nous leur
recommandions sa conservation avec tant d’empressement, puisqu’ils doivent
considérer que nous ne faisons pas cette remarque par une vaine ostentation, ni
par le vice des répétitions inutiles, qui ne sont jamais contre la bienséance,
lorsqu’elles sont absolument nécessaires, comme elles le sont en cet endroit.

Les vertus générales de cet esprit & de cette huile, sont de provoquer
abondamment les urines & la sueur, & de mondifier & dépurer par ce moyen la
masse du sang de toutes ses impuretés, de résister à la corruption des parties &
d’en conserver l’usage, comme on en voit les effets dans les maladies des

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 304

jointures, dans les goûtes vagues, dans l’hydropisie, dans tous les catarrhes, &
dans toutes les autres maladies qui tirent leur origine de la viscosité & de la
lenteur des matières tartarées & fixes : ce sont surtout des spécifiques contre la
vérole & contre toutes ses dépendances. La dose de l’esprit est depuis un
scrupule, jusqu’à une drachme dans de l’eau de sassafras, ou dans de la
décoction de la racine de salsepareille & de squine.

Celle de l’huile est depuis deux jusqu’à six & huit gouttes, qu’il faut allier avec
le sucre avant de la mêler avec l’esprit & avec les autres liqueurs. Il y en a qui
croient que l’huile de gayac, est celle que Rullandus nomme Heraclée, dans les
Centuries de ses Observations, dans lesquelles il en rapporte tant de bons effets
: ce que je croirais véritable, puisqu’un Tailleur d’habits nommé le Cerf, s’est
acquis de la vogue & du crédit dans Paris, par l’usage de la seule huile de
gayac. D’autres emploient cette huile pour la cure de l’épilepsie, aussi bien que
pour faciliter les accouchements difficiles, & faire sortir l’enfant vif ou mort, de
même que l’arrière-faix : il ne faut pas surtout oublier que cette huile apaise à
l’instant la douleur des dents cariées : car le sel volatil pénètre en un moment
jusqu’au petit nerf, qui est à la racine de la dent, & le stupéfie & le cautérise en
quelque façon, & lui ôte enfin la sensibilité. Outre les vertus médicinales de
l’esprit, il est encore utile au trayait de la Chimie, pour la dissolution des perles,
du corail, des pierres d’écrevisses & d’autres choses semblables ; mais ce qui fait
qu’on ne l’emploie pas, est qu’il laisse toujours quelque goût empyreumatique.

§. 4. Pour faire l’extrait de l’écorce de gayac & la teinture.

Prenez de la meilleure écorce de gayac que vous pourrez avoir, réduisez-la en


poudre subtile, & la mettez dans un matras, & versez dessus de l’alcool de vin
jusqu’à ce qu’il surnage de quatre pouces ; digérez, aux cendres & faites
l’extraction ; séparez ce qui sera teint, & continuez ainsi avec de nouvel esprit,
tant qu’il ne tire plus de couleur, filtrez toutes les teintures & en retirez la
moitié du menstrue à la vapeur du bain, gardez à part une livre de cette
teinture, qui est un très bon & très prompt sudorifique. La dose est depuis une
demi-cuillerée, jusqu’à une & deux cuillerées dans du vin chaud ou dans de
l’eau de sassafras. Prenez, la moitié de ce qui reste, & le précipitez avec de l’eau
commune, & vous aurez une résine que vous préparerez comme celle du jalap.
La dose est depuis dix grains jusqu’à vingt en bol dans son extrait, c’est un
spécifique contre la vérole, qui agit insensiblement. Il faut évaporer le reste au
bain-marie en consistance d’extrait, dont la dose est depuis un scrupule jusqu’à
une drachme : il produit les mêmes effet & que la résine ou le magistère.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 305

SECTION SEPTIÈME.

§. 1. Du Bois.

Les bois dont on se sert en Médecine, sont différents, au nombre desquels nous
mettrons aussi toutes les espèces qui sont ordinairement employées pour en
faire des ; infusions & des décoctions, selon les diverses intentions de ceux qui
s’en servent : mais la Pharmacie chimique travaille d’une manière différente sur
les bois, selon la diversité de leur nature : car les uns sont gommeux, résineux,
serrés & compacts, & les autres sont plus salins, & par conséquent de plus facile
extraction : on en tire par le moyen des opérations spagyriques, les extraits, les
eaux, les esprits, les huiles, & les sels, dont il faut que nous donnions des
exemples, selon la diversité de leur substance, plus ou moins compacte &
serrée.

Nous travaillerons pour cet effet sur le bois d’aloès, sur le bois de roses, qu’on
appelle dans les boutiques, lignum rhodium, sur le bois néphrétique & sur le
sassafras, parce que ces quatre exemples suffiront pour tout le reste : car pour ce
qui est du gayac, du buis & des autres semblables, nous en avons donné la
méthode dans la distillation de ceux du buis, de genièvre, & dans celle de
l’écorce du gayac, où on aura recours pour le travail, & aux Auteurs qui en ont
traité, pour leur vertu.

§. 2. Comment on fera l’extrait & l’essence du bois d’aloès.

Nous avons dit ci-dessus que les bois étaient de différente nature, & que c’était
la raison pour laquelle nous étions obligés d’en donner des exemples divers :
c’est ce que nous allons faire voir par la due préparation & l’extraction du bois
d’aloès, qui est un des plus excellents de ceux qui se trouvent dans les
boutiques, jusque-là que les Allemands lui donnent le nom de bois de Paradis, à
cause des belles & suprêmes vertus qu’il possède : il servira donc d’exemple
pour faire tous les extraits & les essences des bois précieux & aromatiques, à
cause que ces deux préparations se font sans aucune perte des vertus de ce bois.

Pour faire l’extrait, il faut prendre une demi-livre de vrai bois d’aloès, dont les
marques sont, que ce bois soit noirâtre & pourpré, entremêlé de veines, d’un
gris cendré, qu’il soit pesant & amer, & le principal, que lorsqu’on en met un
petit morceau sur un charbon ardent, qu’il jette une humeur gommeuse &
résineuse, dont la fumée ait une odeur un peu piquante au nez à l’abord, mais
qui se termine en une odeur suave & agréable, comme celle du benjoin & du
baume du Pérou ; & de plus, qu’il laisse avec son charbon, après qu’il est brûlé,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 306

quelques marques d’une espèce de liquidation : il faut râper ce bois


grossièrement, & le mettre dans une cornue, & l’arroser d’un peu d’esprit de
vin ; puis placer la retorte aux cendres, adapter le récipient y le luter, donner le
feu avec jugement & proportion, pour éviter l’empyreume, & tirer ainsi
doucement l’huile éthérée & subtile de ce bois, qui montera avec l’esprit de vin ;
lorsque les veines manqueront dans le récipient & qu’il sera sec, il faut cesser le
feu, & mettre ce qui reste dans un matras de rencontre, & verser dessus de
l’alcool de vin, afin d’extraire toute sa résine ; lorsque le bois est bien ouvert par
cette digestion, il faut verser-le tout dans une cucurbite & distiller avec les
précautions requises environ le tiers de l’esprit à part ; ensuite de quoi il faut
finir le feu, & filtrer l’esprit qui reste, afin d’en remettre d’autre, jusqu’à ce qu’il
ne tire plus de goût ni de couleur ; alors il faut couler & presser le tout & le
filtrer, pour en retirer l’esprit jusqu’en consistance d’un extrait liquide, qu’il
faut garder à part, & faire bouillir le bois qui reste dans de l’eau de rosée, ou
dans celle de pluie distillée, & presser la décoction qu’il faut clarifier avec des
blancs d’œufs, & l’évaporer aussi en consistance d’un extrait liquide ; il faut
chauffer les deux extraits & les joindre ensemble, afin d’en retirer encore un peu
d’humidité, & les réduire en une masse d’extrait plus solide, auquel on joindra
la moitié de l’huile qu’on & tirée la première, après l’avoir rendue capable
d’être mêlée & dissoute avec du sucre en poudre. Il faut garder cet extrait à ses
usages dans une boite d’argent, qui soit tournée & qui se ferme à vis, afin que ce
qu’il possède de subtil & de virtuel, ne se puisse exhaler.

Prenez l’esprit que vous avez réservé de la distillation de l’extraction du bois ;


mettez-y encore une once du meilleur bois d’aloès, réduit en poudre subtile,
que vous digérerez & extrairez à la vapeur du bain durant six jours naturels
dans un matras de rencontre ; après cela coulez & pressez à froid la liqueur, &
la filtrez dans un entonnoir couvert, il faut joindre à cette liqueur, le reste que
vous avez réservé de l’huile de ce bois, qu’on aura jointe avec deux fois autant
du sel, qu’on aura tiré du bois d’aloès sur lequel on a travaillé, ou avec autant
de sel de tartre préparé selon Sennert, donc nous avons déjà dit quelque chose,
& ainsi vous aurez la vraie essence du bois d’aloès, qui sera empreinte de toutes
les vertus & de toutes les puissances du mixte dont elle a été tirée.

La dose de l’extrait, est depuis quatre grains jusqu’à dix en bol, ou dissout dans
quelque esprit ardent spécifique : car outre qu’il ne se dissoudrait pas bien dans
une liqueur aqueuse ; c’est que de plus, il n’aurait pas tant de vertu, & que
quand même il s’y dissoudrait, il s’y ferait une précipitation de la substance
résineuse, qui ne se mêlerait aucunement avec l’eau, qui affaiblirait le remède
au lieu de l’exalter.

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La dose de l’essence, est depuis quatre goûtes, jusqu’à dix, qu’il faut donner au
malade, dans des esprits ardents de genièvre, de cerises noires, ou dans de
l’élixir de vie de Mathiol, & non point dans des liqueurs aqueuses, à cause des
raisons sus-alléguées ; mais comme il y a beaucoup de personnes délicates, qui
ne peuvent souffrir le goût & la force de ces esprits, on pourra mêler l’extrait ou
l’essence avec une cuillerée de sirop convenable, qui soit de consistance un peu
épaisse : car le sucre redent l’eau & l’empêche d’agir sur la substance résineuse
de l’extraction de l’essence.

Ces deux remèdes sont des confortatifs spécifiques de toutes les parties
principales qui sont contenues dans le ventre inférieur, dans le moyen & dans le
supérieur. Ils recréent les esprits vitaux & les animaux du cerveau & de la
matrice ; c’est pourquoi ils sont excellents contre toutes les faiblesses de ces
deux parties : ils sont aussi excellents pour fortifier la faculté digestive de
l’estomac, pour tuer par l’amertume de leur sel & de leur esprit les vers qui sont
dans le ventricule, & pour en effacer tout à fait le séminaire, tant pour les
personnes âgées, que pour les jeunes enfants, sinon qu’il faut avoir égard à la
dose.

§. 3. Pour faire l’eau & l’huile du bois de roses.

Nous donnons l’exemple de ce bois, afin de faire connaître que l’artiste


chimique doit savoir travailler sur toutes sortes de choses, pour en tirer ce
qu’elles contiennent, sans perte de leur agrément : car il serait fort facile, de
distiller ce bois par la cornue à feu ouvert ; mais on perdrait sa bonne odeur ; &
de plus, l’esprit & l’huile qu’on en tirerait, n’auraient pas les mêmes propriétés
que celles qu’auront l’eau & l’huile, qu’on en tirera par la façon que nous allons
enseigner.

Or comme se bois de roses est un bois pesant, gras & serré, il faut l’ouvrir avant
que d’en pouvoir extraire par la distillation ce qui est dans son centre ; c’est
pourquoi il en faut faire râper quinze ou vingt livres, & les mettre tremper
durant six semaines dans de l’eau de pluie, avec quatre livres de tartre en
poudre, afin de volatiliser en quelque façon les parties les plus fixes de ce bois ;
après ce temps, il faut mettre le quart de cette infusion avec le quart du bois
dans la vessie, & y verser encore de l’eau de pluie ou de rivière, jusqu’à demi-
pied près de sa hauteur, couvrir & donner le feu, & distiller dans un récipient
assez grand, jusqu’à ce que l’eau qui tombera, ne paraisse plus chargée d’huile.
Nous avons dit qu’il fallait que ce fut un ample récipient, à cause que le peu
d’huile qui vient sur la fin se perdrait dans des nouveaux récipients, au lieu que

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 308

dans un grand récipient, la dernière huile se joint & s’unit à celle qui est sortie
la première.

Mais on doit remarquer, qu’il faut que ce qui distille, soit un peu chaud, ce qui
est tout le contraire de ce qui doit être pratiqué dans la distillation des esprits
ardents, & dans celle des esprits volatils : car ses huiles doivent être séparées de
leurs corps par une forte ébullition, qui chasse l’huile en haut, & qui l’élève avec
les vapeurs aqueuses ; mais: il faut une chaleur plus tempérée, de peur que le
phlegme ne monte en trop grande abondance avec l’esprit, & de plus au lieu
qu’il faut tenir l’eau du tonneau qui rafraîchit, toujours fraîche, lorsqu’on
distille les esprits, il ne faut pas la renouveler, lorsqu’on distille les huiles. Nous
avons voulu mettre ces deux remarques tout au long, parce qu’elles sont
absolument nécessaires au travail.

Il faut séparer l’huile d’avec l’eau qui sera belle, jaune, & qui aura fort bonne
odeur : il faudra continuer ainsi la distillation, jusqu’à ce que le tout soit achevé.
L’huile est excellente pour les parfums à l’extérieur : on s’en peut aussi servir
intérieurement, en la réduisant en sucre-huile ou Elaeosaccharum, pour la
dissoudre dans son eau, ou dans quelque eau diurétique, pour nettoyer les reins
& la vessie, de glaires & de sable. On s’en peut aussi servir heureusement en
gargarisme, pour déterger & pour guérir les ulcères de la bouche, & pour laver
& mondifier ceux des autres parties, & particulièrement ceux des parties
destinées a la génération.

§. 4. Pour faire l’extrait du bois néphrétique.

Le bois néphrétique vient de la nouvelle Espagne y il est tendre & sec, quoiqu’il
soit pesant, ce qui témoigne qu’il est plus salin qu’huileux, aussi communique-
t-il sa couleur & sa vertu très facilement à l’eau, qu’il teint de couleur jaune-
brune en décoction, & qui paraît bleue au-dessus. Il y en a qui croient que c’est
une espèce de frêne. Nous avons choisi ce bois, afin de faire voir sa différence
avec d’autres bois ; car quoiqu’il soit inodore & sans goût, il a cependant
beaucoup de vertus & chasse puissamment par les urines, soit en simple
infusion à froid, dans l’eau pour en boire la colature, ou seule ou mêlé avec du
vin blanc, soit qu’on en fasse la décoction, qui n’a que peu ou point de goût. De
cette façon, il fait beaucoup de bien à ceux qui sont tourmentés de la gravelle, &
de la difficulté d’uriner ; mais il est surtout considérable dans les décoctions
contre la vérole & contre le scorbut, car il dégage avec efficace le venin de ces
deux maladies ; mais comme ce bois ne se trouve point partout, nous avons
jugé à propos d’enseigner son extraction, afin qu’elle serve de règle a l’artiste
pour tous les bois qui seront de ce genre.
308
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 309

Il faut donc râper six livres de bois néphrétique, & en faire une décoction avec
des racines d’arrête de bœuf & de chardon Rolland ou à cent têtes, de chacune
trois livres, & une livre de virga aurea dans trente livres d’eau de pluie ou de
rivière, jusqu’à la réduction de la moitié ; puis couler & presser, & faire encore
une seconde décoction du marc de l’expression dans vingt livres de nouvelle
eau, puis couler & presser, & continuer ainsi jusqu’à ce que la décoction ne le
colore plus ; après quoi, il faut clarifier toutes les décoctions & les couler par la
chausse, & les évaporer à chaleur lente sans bouillir, jusqu’à la consistance d’un
extrait liquide, auquel il faudra joindre le sel qu’on aura tiré des restes de
l’extraction.

Cet extrait est un excellent diurétique & apéritif, dont on peut donner depuis
un scrupule jusqu’à une drachme dans des bouillons, dans du vin blanc, ou
dans de la décoction du bois néphrétique, lorsque ceux qui sont tourmentés de
la gravelle, de la difficulté d’uriner, ou de la colique néphrétique, sont dans le
demi-bain ; mais avec cette précaution, qu’ils aient auparavant reçu & rendu un
lavement avec de la térébenthine.

§. 5. Pour faire l’eau spiritueuse & l’huile du sassafras.

Le bois de sassafras ou pavame, vient de la Floride, qui est encore d’une toute
autre nature que les précédents, car il est très odorant, & pour peu qu’on
l’échauffe en le frottant, il pousse des esprits qui frappent agréablement
l’odorat, & qui témoignent que cet arbre est rempli très abondamment de sel
volatil, ce qui fait qu’il est rempli de beaucoup de vertu. Il faut choisir pour la
distillation le plus menu sassafras, & qu’il soit garni de son écorce, & même s’il
était possible, il faudrait que ce fût de la racine qui eût aussi son écorce, parce
que l’écorce possède plus d’huile éthérée, de sel volatil & d’esprit, que la
substance intérieure du bois, qui est légère & spongieuse ; ce que l’écorce
témoigne aussi par son goût subtil & aromatique, qui représente celui du
fenouil. Et comme nous avons dit qu’il fallit ouvrir le bois de roses pour le
volatiliser, il faut faire ici le contraire ; car il faut distiller le sassafras aussitôt
qu’il est haché en morceaux, il le faut distiller par la vessie avec de l’eau de
pluie, mais si on veut avoir une eau excellente & peu d’huile, il faut le distiller
avec du vin blanc ; mais si on désire l’huile qui est très excellente, il ne faut que
de l’eau. L’huile de sassafras va au fond de l’eau, comme celle de tous les
aromates.

L’eau spiritueuse est excellente contre toutes sortes d’obstructions, &


principalement contre celles de la rate, qu’elle décharge mieux que pas un autre
remède. C’est aussi un excellent stomachique, qui fortifie la chaleur digestive, &
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 310

qui corrige ce que la crudité des aliments pourrait avoir causé de mauvais : elle
est excellente pour guérir les coliques venteuses. C’est un sudorifique ou un
diurétique infaillible, car il ne manquera jamais son effet par l’une de ces deux
voies naturelles ; parce que si le malade ne peut souffrir d’être couvert, &
qu’ainsi la sueur soit concentrée, la vertu du médicament ne manquera jamais
de se manifester par les urines, parce que l’action des esprits & des sels volatils
ne peut jamais être empêchée. C’est pourquoi cette eau spiritueuse est très
spécifique dans les maladies vénériennes, aussi bien que dans les scorbutiques.
La dose de ce remède est depuis une once jusqu’à six, ou seule ou mêlée avec
du vin blanc.

La teinture que l’artiste tirera du sassafras avec le vin blanc, au bain-marie dans
un vaisseau de rencontre, peut être légitimement substituée à l’eau spiritueuse,
lorsqu’il sera pressé de s’en servir : il ne faut qu’une demi-once de sassafras
pour une livre de vin ; mais il faut que la dose soit le double de celle de l’eau.

Or comme l’huile est plus subtile que l’eau, parce qu’elle n’est composée que
d’un peu de soufre très subtil, & que tout le reste n’est que du sel volatil, aussi
en doit-elle être moindre ; car il n’en fait donner que depuis trois goûtes jusqu’à
dix, réduites en dissolution avec du lucre en poudre, soit qu’on la donne dans
sa propre eau, dans celle de cannelle, dans du vin blanc ou dans du bouillon,
pour toutes les maladies que nous avons dites ci-dessus ; mais surtout dans les
accouchements difficiles, soit que l’enfant soit mort ou en vie, même pour faire
sortir l’arrière-faix, & pour purger l’accouchée sans beaucoup de tranchées ; car
cette huile fortifie la matrice, & fait qu’elle évacue plus facilement & en moins
de temps les sérosités, dont elle était remplie pendant la grossesse. Enfin on
peut donner légitimement cette louange au sassafras, que c’est comme une
vraie panacée végétable ; puisqu’on peut donner les remèdes qu’on en tire à
toutes sortes de maladies ; & que de plus, son usage continuel peut rendre
second l’un & l’autre sexe ; mais principalement la femme : car il échauffe &
fortifie doucement & naturellement toutes les parties internes, mais
principalement celles qui servent à la génération.

§. 6. Teinture du bois de sassafras.

J’ai reconnu par une expérience journalière, que la teinture de ce bois agit avec
beaucoup d’efficace, & qu’elle a même autant ou plus de vertu que son eau
spiritueuse. C’est pourquoi je me suis senti obligé de la mettre ici, afin qu’on en
profite en général & en particulier, d’autant plus que tous ne sont pas capables
de bien distiller ce noble bois, ni ne sont pas fournis des vaisseaux, ni des
fourneaux propres à cet effet. Elle se fait ainsi.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 311

Prenez deux onces de copeaux ou de râpure de bon sassafras ; mettez-les dans


une bouteille, ajoutez-y une drachme de macis, deux drachmes de cannelle, &
trois drachmes de sel de tartre de Sennert, dont la description est au Chapitre
du vin & de ses parties ; puis versez dessus trois livres de vin de Rhin, ou de
quelque autre vin blanc subtil & agréable ; bouchez-bien la bouteille, & laissez
extraire la teinture durant deux jours naturels avant de vous en servir. Lorsque
vous en voudrez donner, il en faut couler une partie par le blanchet, ou par la
chausse. La dose est depuis une once, jusqu’à six & nuit onces. On se peut servir
de cette teinture dans tous les accidents, contre lesquels nous avons dit que
l’esprit du sassafras était utile ; mais il faut l’employer particulièrement dans les
maladies cachectiques, où l’acier se donne en substance ou préparé, comme
dans l’ictéritie, dans les pâles couleurs, dans les obstructions du bas ventre & de
ses parties, & même dans le commencement des différentes sortes
d’hydropisies.

SECTION HUITIEME.

Des végétaux, & de leur préparation chimique.

§. 1. Des Sucs.

Le suc qui est l’aliment des plantes convient aux végétaux, comme le sang
convient aux animaux ; or comme il y a des superfluités inutiles ou maladives,
qui résultent de l’élaboration & de l’assimilation du sang, lorsqu’il est approprié
à la substance des animaux, comme les excréments, les urines, la sueur, la
graisse, les glaires, les pierres & les sucs vitriolés, nitreux, alumineux, acides,
amers, acres ; aussi-bien que de ceux qui sont de quelque autre nature mêlée,
desquels l’animal se décharge, ou doucement & naturellement, ou par force :
ainsi il y a dans les végétaux des sucs qui sont de diverses saveurs, qui
répondent analogiquement à ces excréments, comme sont les huiles, les résines,
les gommes, les viscosités, les tartres & les sels. Il y a pourtant cette différence,
que les animaux ont des conduits appropriés à la décharge de leurs superfluités
: ce que les plantes n’ont pas, si ce n’est qu’on veuille leur attribuer la porosité,
par laquelle elles exhalent la bonne & la mauvaise odeur, comme le plus subtil
& le plus volatil de ce qu’elles contiennent, & que le plus grossier demeure dans
le corps végétable, ce qui est cause qu’elles ont besoin de la main & du travail
de l’ouvrier pour les en séparer : il semble pourtant qu’il y a quelques-unes de
ces substances, qui cherchent à sortir. On voit en effet, que dès qu’on a fait
quelque incision a leur écorce, elles en font une abondante éruption ; & de cela
il y en a de quatre espèces, qui sont premièrement les substances aqueuses qui
sont les sucs, comme sont celui du bouleau & celui de la vigne. Secondement les
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 312

terrestres qui sont les gommes. Troisièmement les sulfurées qui sont les huiles,
les baumes, les résines & les gommes-résines ; & en quatrième lieu, les
substances salines, qui sont le sucre & le tartre.

Mais comme tout ce que nous venons de dire, fait voir que toutes ces choses
font naturellement partie des plantes, auxquelles nous avons destiné une
Section à chacune particulière, pour enseigner ce que l’Apothicaire chimique
pourra faire sur leur substance ; nous ne prétendons parler dans celle-ci, que
des sucs que la nature & l’art nous fournissent, qui sont leur vin, leur vinaigre
& leur tartre. L’opium qui est le suc condensé du pavot ; & l’élatérium, qui est le
suc du concombre sauvage : ces trois exemples suffiront, parce qu’il y aura des
remarques suffisantes sur ces matières en général, & sur le travail qui se fera
dessus en particulier, pour instruire l’artiste sur tout ce qui leur peut
ressembler.

§. 2. L’anatomie du vin.

Le vin est le suc du fruit de la vigne, qui est exalté par la fermentation, que
Paracelse nomme le sang de la terre, le suc du Prince de tous les végétaux, le
souverain cordial : il y en a qui croient que c’est le suc de la grande lunaire de
Raymond Lulle : d’autres l’appellent encore le suc du plan de Janus & celui du
grand végétable ; mais laissons toutes ces allégories pour venir à l’anatomie de
la chose & à ses parties. Le vin donne donc premièrement, par le moyen de la
distillation, une essence très subtile & incorruptible, qu’on appelle vulgaire-
ment eau-de-vie, eau ardente, esprit de vin, soufre céleste, soufre bézoardique
végétable, menstrue céleste, eau cœlique, le ciel de Raymond Lulle, la clef des
Philosophes, un corps éthéré composé de feu & d’eau, le baume volatil de la
liqueur catholique ou universelle, & finalement la quintessence du vin.
Secondement, on en sépare une grande quantité d’eau insipide & corruptible,
qu’on appelle phlegme. En troisième lieu, il en sort un certain esprit fumeux, qui
n’est rien antre chose que la plus grossière partie du sel volatil du vin, qui est
réduit & qui monte en fumée blanchâtre. Il suit en quatrième lieu, une certaine
huile qui est grasse, onctueuse & combustible, mais qui est en très petite
quantité. Pour le cinquième, on tire de la substance crasse & noire qui est restée,
un sel lixivial, pénétrant, subtil & fixe, après qu’elle a été calcinée. Et finalement
pour sixième, après l’extraction du sel, il reste une terre limoneuse & inutile.

Nous avons dit que le vin n’est tel que par le bénéfice de la fermentation, &
c’est aussi ce qu’il faut prouver, ce que nous ferons sans peine. Il n’y a personne
qui ne sache que le moût ne fut jamais vin, & que personne aussi ne lui donne le
nom de vin qu’après une parfaite fermentation. Mais il y a une autre preuve qui
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 313

est plus philosophique, qui satisfait pleinement l’esprit de l’artiste chimique,


qui connaît que tout ce qui est vin, & qui est appelle tel, donne son esprit avant
le phlegme ; & que s’il distille du moût, qu’on appelle improprement du vin
doux avant sa fermentation, on n’en tirera que de l’eau pure & insipide comme
celle de la pluie, ce qui est une preuve convaincante, puisqu’elle tombe en
démonstration : car il reste après la distillation un extrait agréable, qui est doux
& sucrin, qui contient en soi le sel essentiel & volatil du moût ;

Se ton soufre céleste» qui n’est plus en puissance d’agir, à cause qu’il est trop
resserré, & qu’il n’a pas suffisamment d’humidité, pour réduire sa puissance en
acte. Mais si on lui rend une portion d’eau suffisante, & qu’on sache y
introduire adroitement une étincelle de lumière, par le moyen d’un levain, qui
lui soit propre, il agira dans peu de temps, & fera paraître visiblement qu’il n’y
a que la seule fermentation qui puisse faire le vin : car le tout fermentera, & la
liqueur acquerra par ce moyen le goût, la force, l’agrément & toutes les autres
perfections du vin ; ce qui fait voir évidemment, que l’art est capable d’imiter en
quelque façon la nature, & qu’entre tous les arts, il n’y a que la seule Chimie,
qui soit capable de la théorie & de la pratique de cette fermentation artificielle.

Or il ne suffit pas d’avoir dépeint les six parties qui se tirent du vin en général,
si nous ne venons à l’anatomie particulière du vin. Ceux qui voudront se
satisfaire par la vue, distilleront du bon vin bien clair & subtil, qui soit généreux
& fort, au bain-marie dans une grande cucurbite de verre, afin qu’ils puissent
faire l’examen de tout ce qui montera à l’œil : car lorsque le pur esprit monte, à
peine voit-on paraître les veines dans le chapiteau, tant elles sont subtiles ; &
lorsqu’elles sont tout à fait privées de phlegme, elles ne sont pas droites ; mais
elles sont sinueuses, tordues & vont en serpentant, mais lorsque le phlegme
commence à s’y mêler, elles se font droites & plus visibles, à cause de la
pesanteur de l’eau qui le corporifie plus visiblement. Lorsque cela arrive, il faut
mettre la cucurbite au sable, qui soit un peu échauffe, mais il faut avoir ôté
l’humidité des vaisseaux en les essuyant, & continuer le feu par degrés, pour
faire ainsi l’anatomie entière du vin, afin de se satisfaire l’esprit. Mais à cause
que cela va trop lentement, & qu’il faut que le laboratoire de l’Apothicaire
chimique soit fourni d’une grande quantité d’esprit de vin de toutes les sortes,
parce que c’est le principal menstrue de tous & le plus analogue à notre nature,
pour venir à bout des plus belles opérations ; il faut que nous enseignions une
méthode plus prompte & plus abrégée de distiller le vin, pour dire ensuite tout
le travail qu’on fera dessus, afin de le rendre utile à toutes les préparations que
l’artiste voudra entreprendre.

313
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 314

§. 3. Pour faire l’esprit de vin.

Pour y bien réussir, il faut prendre d’un bon vin, fort & puissant, qui soit bien
dépouillé de sa lie, & emplir la vessie jusqu’à demi pied près de son haut ;
couvrir, luter, donner le feu doucement & l’augmenter peu à peu, jusqu’à ce
que les gouttes commencent à tomber, & qu’on ne puisse plus endurer la main
au canal de la tête de maure sans se brûler. Alors il faut boucher le fourneau de
tous côtés, & entretenir l’eau du tonneau toujours froide, & conduire son feu si
modérément & si judicieusement, que ce qui coule dans le récipient, tombe
toujours froid. Si on le fait ainsi, on épargne une rectification, parce que le
phlegme ne peut facilement monter m se mêler avec l’esprit. Lorsque la chaleur
est bien proportionnée, il faut toujours mettre le premier esprit à part, comme le
plus pur & le plus subtil, & continuer la distillation, jusqu’à ce que la liqueur
qui sort n’ait plus de goût : il faudra reverser cet esprit phlegmatique y qui sort
le dernier, avec le premier vin qu’on distillera, & continuer ainsi jusqu’il ce que
vous ayez assez d’eau-de-vie, pour en faire une rectification dans la même
vessie.

Mais c’est ici qu’il faut sur toutes choses avoir égard au feu, afin de le
gouvernée délicatement, & aussi d’entretenir l’eau froide & la changer souvent,
parce qu’elle s’échauffe facilement, & que les vapeurs de ces esprits ardents
sont beaucoup plus chaudes, que celles des corps plus grossiers, il ne faut pas
jeter ce qui reste après la distillation du vin ; au contraire, il le faut évaporer en
consistance d’un extrait noir & gluant comme de la poix, qu’il faudra distiller
par la cornue à feu ouvert, & on en tirera un esprit acide, un esprit volatil, &
une huile noire & pesante : tout cela sent très fort l’empyreume, mais il faut
achever de calciner ce qui reste dans la cornue, dans un creuset, ou dans un
vaisseau de terre non vernissé, jusqu’à la blancheur, & en faire ensuite la
lessive, qu’il faut filtrer, évaporer & dessécher en sel, qu’il faut réverbérer au
creuset, jusqu’à faire rougir le creuset & la matière qui est dedans sans la
fondre, puis l’exposer à l’air pour le faire résoudre, pour le rendre plus subtil, &
il se dépouillera encore de beaucoup de féculences visqueuses, qu’il faut
séparer par filtration. Retirez l’eau de ce sel aux cendres, jusqu’à sec, mettez-le
encore au creuset pour le faire rougir sans le fondre ; exposez-le à l’air, jusqu’à
ce qu’il soit résout, filtrez, évaporez & desséchez, & continuez ainsi jusqu’à sept
fois, ou ce qui serait encore mieux, jusqu’à ce que le sel ne laisse plus aucunes
impuretés dans le filtre, & lorsque vous retirerez l’humidité au bain-marie
jusqu’au quart, qu’alors il se cristallise en un sel clair, blanc & transparent.
Alors vous pourrez vous vanter d’avoir un véritable sel de vin, qui sera une des
clefs, qui servira à un artiste diligent, curieux & intelligent, pour ouvrir tous les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 315

corps naturels, lorsqu’il sera accué de son esprit, & qu’il sera capable de voler
avec lui. Alors ils pénétreront ensemble non seulement dans l’animal & dans le
végétable en général ; mais de plus, ils agirons aussi sur les minéraux & sur les
métaux même, pourvu qu’ils aient été détruits, & qu’on les ait mis en état de
pouvoir être extraits par le moyen de ce noble menstrue, que nous
recommandons sur toutes choses à ceux, qui voudront réussir dans des travaux
aussi utiles que curieux.

§. 4. Pour faire l’alcool de vin.

Il faut que le laboratoire chimique, qui est la vraie boutique d’un Apothicaire,
soit bien garni d’esprit de vin très subtil & très pur, qui est celui que les Auteurs
appellent Alcool de vin ; & comme il faut beaucoup de temps & beaucoup de
frais pour arriver à ce point de perfection, j’ai donné le modèle d’un vaisseau,
qui est capable de faire cette opération d’un seul coup & à peu de frais, sans
qu’il soit besoin de tant de distillations réitérées, qu’il fallait faire avant cette
belle invention, pour y bien réussir, à cause que les vaisseaux, dans lesquels on
faisait les cohobations pour la rectification & l’alcoolisation, étaient trop bas, ce
qui était cause que le phlegme se trouvait toujours mêlé avec l’esprit ; mais
dans le vaisseau que nous donnons, il est impossible qu’il puisse jamais monter,
quand même on donnerait une chaleur bien violente, ce qui se connaît sur la fin
de la distillation de l’esprit de vin qu’on a mis dans la vessie, car lorsque le
phlegme commence à dominer sur l’esprit, à cause qu’il est en plus grande
quantité, l’artiste est obligé de doubler & de tripler le feu, afin de faire monter le
reste de l’esprit, qui ne laisse pourtant pas d’être aussi pur & aussi subtil que le
premier, comme les épreuves & les marques en font foi. ( Voyez. tome I.)

Ces preuves sont, lorsque cet esprit est enflammé dans une cuillère d’argent ou
de quelque autre métal, il brûle & se consume tout, sans qu’il reste aucune
goutte de phlegme, ni même aucune humidité dans le fond de la cuillère. La
seconde marque est, lorsqu’on trempe un morceau de linge, de papier ou de
coton dans cet esprit, & qu’on l’enflamme, qu’il ne se consume pas seulement
entièrement, mais que de plus, il enflamme & allume le corps qu’il avait
humecté, pourvu qu’il ait été bien séché auparavant. La troisième & la meilleure
marque, & celle qui est infaillible, c’est lorsqu’on imbibe de cet esprit de la fine
poudre à canon, qui soit bien sécher, & qu’on met le feu à l’esprit, & sur la fin
qu’il enflamme & qu’il consume la poudre. Alors c’est un vrai signe concluant,
qu’il n’y reste aucune portion de phlegme : car pour peu qu’il y en ait, la
poudre ne prendra jamais feu ; ce qui fait que cette opération épargne beaucoup
de temps & de peine ; car lorsque tout l’esprit de ce que l’artiste aura mis dans

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 316

la vessie, est monté, il n’aura qu’a remplir le siphon d’eau, & l’introduire dans
le vaisseau par le petit canal qui est à côté & il videra la vessie jusqu’au fond,
sans qu’il soit besoin de déluter aucune des parties de cette machine, & il
remplira la vessie de nouvelle eau-de-vie, avec un entonnoir par le même canal
; ainsi son travail continuera presque sans peine jour & nuit, pourvu qu il ait
besoin d’y mettre du feu, lorsqu’il se retirera.

Et lorsque l’artiste désirera de faire de l’esprit de vin encore plus subtil, plus
pénétrant & plus actif que le précédent, il faut qu’il mette au fond de la vessie
de notre machine une livre de sel de tartre, qui soit bien sec, & qu’il verse son
esprit de vin rectifié par la vessie dessus ce sel ; qu’il lute les jointures de toutes
les pièces, qui s’emboîtent l’une dans l’aune, avec de la vessie de porc ou de
bœuf, qui soit trempée dans du blanc d’œuf battu, puis qu’il donne le feu,
jusqu’à ce qu’il ait retiré tout l’esprit pur, qui sera d’un goût & dune odeur plus
agréable que le précédent, & qui sera propre pour en faire les imprégnations &
les imbibitions du sel, duquel nous avons parlé ci-dessus, comme aussi pour
l’extraction de plusieurs belles & excellences teintures. Il y en a qui appellent cet
esprit, ainsi alcoolisé sur le sel de tartre, de l’esprit de vin tartarisé, mais mal à
propos : car le vrai esprit de cette nature ne peut être autre, que celui dans
lequel on a fait passer la plus subtile & la plus pure partie du sel de vin, qui est
une opération très laborieuse, & qui mérite le travail de ceux qui sont
consommés dans la Chimie, plutôt que l’impatience & l’incapacité de ceux qui
commencent à travailler aux belles opérations de cet art.

Il ne nous reste plus qu’à expliquer les belles & admirables vertus de ce noble
esprit, que personne n’estimera jamais assez, quoique le vain babil de ceux qui
ne le connaissent pas, puisse dire au contraire : car c’est un esprit très pénétrant
& incorruptible, qui résiste puissamment à la pourriture & à toutes les injures
de la gelée. Considérez, je vous prie, si cet esprit n’est pas capable de conserver
les corps vivants & leurs parties, lorsqu’il est bien & dûment administré,
puisqu’il conserve les corps morts ; ceux qui conservent des fœtus dans cet
esprit durant plusieurs années, en peuvent rendre témoignage, ce que feront
aussi les Chirurgiens qui s’en servent avec tant d’utilité & de succès y pour
empêcher les gangrènes & les autres accidents, qui occasionnent la corruption
des parties. Il réveille les facultés vitales & les animales ; c’est pourquoi, il
produit des effets tout à fait surprenants dans les apoplexies, dans les
léthargies, dans les épilepsies, & dans toutes les autres actions soporeuses, où
les passages des esprits sont arrêtés par quelque viscosité lente & crasse qui
bouche les nerfs, qui sont les organes du sentiment & du mouvement, car cet
esprit pénètre en un moment comme la lumière, qui résout & qui incise ce qui

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 317

causait l’obstruction, ce qui fait reluire aussi la vie & toutes ses fonctions, qui
étaient comme ensevelies & suffoquées.

Mais s’il est considérable pour l’intérieur, il est aussi très estimable pour
l’extérieur ; car il résout & dissipe par sa vertu ignée & céleste, les tumeurs
froides & schirreuses : il ouvre les pores, & fait pénétrer & exhaler les vents, qui
sont quelquefois contenus entre les espaces des muscles, qui causent des
douleurs vives : il empêche la coagulation du sang dans toutes les contusions, &
ainsi prévient tous les accidents qui suivent ordinairement, comme l’enflure, la
douleur, la corruption de ce sang extravasé, qui se corrompt nécessairement
sans ce secours, & qui suppurerait ensuite, si cet esprit n’empêchait tous ces
mauvais effets. Surtout, cet esprit est un spécifique miraculeux contre toutes
forces de brûlures, dont il apaise les douleurs, & en retire le feu étranger avec
un secours si subit & si prompt, qu’il ne se fait aucune pénétration, ni aucune
mauvaise impression dans les parties brûlées, non pas même des ampoules,
pourvu qu’il ait été appliqué avant que la peau ait été élevée, & avant tout autre
remède ; mais les paroles manquent pour pouvoir exprimer les dignes vertus de
ce baume divin : c’est pourquoi nous laissons le reste à l’expérience de ceux qui
s’en serviront, lesquels je peux assurer avec vérité, qu’ils n’y seront jamais
trompés.

Or, comme les artistes pourraient prendre lourdement le change sur le mot
d’esprit de vin alcoolisé, qu’on prononce & qu’on écrit alcoolisé par abréviation,
& sur celui d’esprit de vin alcalisé ; il est nécessaire d’en marquer les
différences, & d’enseigner aussi le moyen de faire le dernier autant ou plus
artistement, que pas un autre qui l’ait décrit. Mais avant que d’en donner la
description, il faut dire la différence de l’un à l’autre, qui est que l’esprit de vin
alcalisé, n’est autre que cet esprit pur & privé, de tout phlegme, que nous avons
décrit ci-devant ; mais l’esprit de vin alcoolisé, est un esprit de vin qui est
empreint de son propre sel ; ce qui se fait de deux manières : la première, par le
moyen de son sel essentiel, qui est le tartre ; & celui-là ne se peut bonnement
appeler esprit alcalisé, parce que le mot alcali signifie un sel fixe, qui est fait par
calcination ; & lorsque l’artiste a été capable d’empreindre l’esprit de vin de son
alcali, c’est proprement alors qu’il l’appellera esprit de vin alcalisé : car celui qui
se fait avec le tartre, est beaucoup mieux nommé, esprit de vin accué de son
tartre ou tartarifié ; mais je ne peux passer sous silence l’erreur de ceux qui
prétendent pouvoir unir l’esprit de vin très pur, & son alcali purifié ensemble
par une simple dissolution, pour en faire leur esprit de vin alcalisé ; puisque
ceux qui connaissent la nature des alcali & celle de l’alcool de vin, savent qu’ils
n’agissent pas l’un sur l’autre, pourvu que le sel soit très sec, & que l’esprit soit

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 318

très pur ; mais si le sel a tant soit peu d’humidité, ou que l’esprit ait encore
quelque petite portion de phlegme, il se fera quelque dissolution du sel ; mais il
ne se fera aucune union du sel avec l’esprit, parce qu’ils sont tout à fait
différents, puisque l’un est éthéré & combustible, & que l’autre est un sel qui se
dissout à l’eau : ceux qui savent ce que c’est que la vraie philosophie chimique,
jugeront sainement de ce que nous venons de dire, & confesseront que cela
devoir être éclairci, pour ne point faire de tort aux artistes.

§. 5. Pour faire esprit devin tartarisé.

Prenez deux livres d’esprit de vin de la première distillation ; versez-le dans


une cornue de verre, dans laquelle il y aura une once de tartre blanc très pur &
très net, réduit en poudre grossière ; mettez la cornue au bain-marie, qui soit
rempli de sciure de bois humectée, & qu’il n’y ait que quatre doigts d’eau au
fond du bain, dont la vapeur puisse entretenir la chaleur & l’humidité de la
sciure : donnez le feu lentement, en sorte que les goûtes qui tomberont dans le
récipient, qui sera bien exactement luté, se suivent doucement & sans chaleur,
tellement qu’il y ait le temps de quatre pulsations, ou celui de compter
lentement quatre entre chaque goutte qui tombera. Il faut cesser aussitôt qu’on
reconnaît que le phlegme commence à sortir ; que s’il en était passé quelque
peu, il le faudra séparer par la rectification. Il faut répéter cette opération trois
fois, en prenant toujours une once de nouveau tartre, avec l’observation de la
même gradation de la chaleur.

Pour la fin, desséchez bien les trois onces de tartre qui vous ont servi à la
distillation ; mettez l’esprit que vous avez distillé dans la retorte, & y ajoutez ces
trois onces de tartre en poudre ; qu’il soit sur toutes choses bien sec ; adaptez
aussitôt le récipient & le lutez exactement ; distillez aux cendres lentement,
jusqu’à ce que vous voyez que les gouttes finissent ; augmentez alors le feu peu
à peu, & même jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien du tout. Alors, vous aurez
l’esprit de vin tartarisé ou accué de son tartre, qui est apéritif & diurétique, mais
qui est un très excellent menstrue, pour l’extraction de plusieurs belles &
excellentes teintures médicinales.

Or il surnage ordinairement au-dessus de chacune de ces distillations, une


petite portion d’huile qu’il faut séparer à chaque fois, parce que c’est la vraie
essence ou la, vraie huile de vin, qui est un grand cordial. Mais pour parvenir à
faire un esprit qui soit encore plus pénétrant, plus actif & plus subtil que ce
dernier, il faut calciner le tartre qui est resté de ces distillations, avec encore
douze onces de nouveau tartre bien pur, dans un pot de terre non vernissé, au
feu de roue, jusqu’à ce qu’il ait acquis une couleur mêlée de bleu, de blanc & de
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 319

rouge, qu’il faut mettre, lorsqu’il sera encore chaud, en poudre dans un mortier
de bronze qui ait été échauffe, comme aussi le pilon de fer, & jeter aussitôt la
poudre dans un vaisseau de rencontre, & l’imbiber de l’esprit de vin tartarisé
peu à peu, & lorsque l’esprit aura bien pénétré toute la masse, il faut y en verser
jusqu’à l’éminence de quatre ou de cinq doigts, & boucher la rencontre & la
luter très exactement avec de la vessie, du blanc d’œuf & de la chaux vive, &
mettre cette rencontre en digestion au bain-marie avec de la sciure de bois,
durant six semaines entières à une chaleur humaine : ce temps expiré, il faut
ôter le dessus de la rencontre, & y appliquer subitement le chapiteau, qu’il faut
luter & continuer le feu d’un degré un peu plus fort, & distiller jusqu’à sec, &
donner bon feu sur la fin ; & alors vous pourrez vous vanter que vous aurez un
esprit de vin tartarisé, & en quelque façon alcalisé, qui a une odeur douce &
agréable, comme celle de la vigne en fleur. Il a aussi un goût qui est moins fort
& moins piquant que l’alcool de vin à cause que le soufre interne du sel calciné
a rebouché & comme amorti la pointe de cet esprit, qui est très excellent pour
tirer les teintures & les extraits de tous les purgatifs, desquels il corrige
l’immaturité ou la crudité, & toutes les autres mauvaises qualités ; parce qu’il
les digère & qu’il les change en mieux, par le moyen du feu céleste qu’il a dans
son intérieur ; ce qui fait aussi qu’il est capable de conserver les vertus & les
facultés des animaux, des végétaux, des minéraux & des métaux. C’est un
grand arcane dans la pratique de la Médecine, & principalement dans les
maladies tartarées qui proviennent des obstructions d’un sel fixe & tenace, qui
se forment par le manque de coction de cet esprit subtil, volatil & énergique, qui
est capable ou de les faire transpirer insensiblement, ou de les évacuer par les
urines & par les sueurs : c’est pourquoi cet esprit est très puissant pour la
guérison du scorbut, de toutes les maladies de la rate & des hypocondres, de
l’asthme & de la cachexie de tous les viscères. Il concilie aussi le sommeil, si on
en donne avec un peu de teinture de safran. La dose est depuis un demi-
scrupule, jusqu’à une drachme entière dans du vin, dans des bouillons, dans
des décoctions, ou dans quelques autres liqueurs appropriées selon l’intention
du Médecin.

Nous laissons les autres préparations qui se peuvent faire sur le vin & sur son
esprit à la recherche & à la curiosité de l’artiste, il suffit que nous ayons insinué
les méthodes nécessaires qui lui servent de règles, pour ne point errer dans ses
commencements ; comme aussi celles de pousser plus loin, lorsqu’il voudra
satisfaire son esprit sur les belles opérations, qu’il rencontrera dans les plus
célèbres Auteurs.

§. 6. Pour faire l’esprit du vin philosophique spécifique, contre le scorbut & contre

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toutes les fièvres, tant intermittentes que continue.

Assurément que ceux qui ne connaissent pas les actions & les réactions des
alcalis fixes, un alcali volatil, & des acides les uns sur les autres, s’étonneront
des changements de l’odeur & du goût, qui se font sentir dans la succession du
travail, qui se pratique dans la distillation de cet esprit merveilleux. Mais ceux
qui sont éclairés de la belle connaissance des sels, & de celle des esprits qu’on
en tire, qui ont remarqué autant qu’ils ont pu la sphère de leur activité, & qui
ont appris par leur propre expérience, combien les digestions & les cohobations
altèrent, mûrissent & perfectionnent ce qui n’était presque qu’ébauché par la
nature, trouveront sans doute de la satisfaction dans l’opération qui suit.

Prenez six onces d’huile de vitriol, qui ait toutes les qualités requises, qui sont le
poids, la couleur & la faculté corrosive ; mettez-la dans une cornue assez haute
de corps, & qui ait un col long & proportionné ; versez dessus, une livre &
demie d’esprit de vin alcoolisé, mais faites votre effusion doucement & par
degrés, & agitez doucement les matières ; placez la cornue aux cendres, adaptez
un récipient à son col, & lutez-en les jointures très exactement. Donnez le feu
lent d’abord, en sorte que les gouttes se suivent en comptant trois entre deux ;
continuez ainsi, en augmentant le feu par degrés, à mesure que les gouttes ne se
suivront pas de la sorte, jusqu’à ce que vous ayez retiré tout l’esprit de vin &
une partie de l’huile de vitriol. Lorsque la retorte sera refroidie, cohobez ce qui
en est sorti, avec les mêmes précautions & observations que la première fois ; &
continuez la distillation de la même manière jusqu’à sept fois, en augmentant
successivement toutes les fois le feu sur la fin, afin de faire monter l’huile de
vitriol. Que si ce n’est pas assez de sept fois, il faut continuer tant que vous ayez
joint & uni l’huile & l’esprit ensemble, qui changent si fort d’odeur & de goût,
que cela donne du plaisir à l’artiste ; car l’odeur en est si agréable & si subtile,
qu’elle réjouit les esprits, fortifie le cœur & le cerveau, & remplit agréablement
tout le laboratoire.

Cet admirable & merveilleux esprit pénètre du centre & du fond du ventricule
jusqu’à la circonférence, tout le corps, & charrie avec soi un soufre & un alcali
volatil, qui tue & qui change l’acide contre nature, qui se rencontre d’ordinaire
dans le superflu des digestions, & qui est la véritable cause occasionnelle des
lassitudes spontanées, des douleurs & des inquiétudes, qui jettent enfin les
personnes dans les fièvres, dans le scorbut & dans les autres maladies qui les
affligent. Ce remède est diurétique, diaphorétique & anodin. La dose est jusqu’à
ce qu’il communique un goût agréable à la liqueur, dans lequel on le mêle,
comme les bouillons, les juleps, la boisson ordinaire des malades ou autres

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telles choses, selon l’indication de la maladie & l’intention du Médecin. C’est


aussi un menstrue capable de tirer les teintures des animaux, des végétaux &
des minéraux, selon que l’artiste le voudra spécifier à telle ou telle maladie ; &
je suis sûr, si on y procède régulièrement, que personne ne se repentira jamais
d’avoir employé les frais & sa peine à faire cet esprit philosophique.

§. 7. L’anatomie du vinaigre.

Le mot de vinaigre témoigne assez que ce doit être du vin aigri : néanmoins
l’usage a voulu qu’on donnât le nom de vinaigre à toutes les liqueurs aigres, qui
se tirent des fruits ou des grains, comme sont les liqueurs aigres, qui se font de
la bière, du cidre & du poiré. Il faut pourtant se servir toujours du vinaigre de
vin dans toutes les opérations de la Chimie, comme plus excellent que tous les
autres vinaigres, parce qu’il vient de l’altération du suc du prince des végétaux,
qui abonde le plus en un sel vitriolique & acide, qui est le tartre ; & lorsque le
vin est privé de la plus pure partie de son soufre spirituel & igné, alors le tartre
qui prédomine, change toute la liqueur qui reste en vinaigre : ce qui est de très
grande importance, & qui est digne de très haute considération : car Paracelse
se sert de la comparaison de la sphère d’activité du ferment vinaigrifique, dans
les Livres des Archidoxes, pour prouver la vertu & la force des teintures
transmutâmes ; & le très docte Helmont ne saurait mieux prouver l’action
cachée & la puissance interne du feu, de la lumière & du ferment interne des
mixtes, que par la comparaison qu’il fait de ce levain, avec celui du pain & avec
celui de l’estomac, mais il rapporte de plus une histoire de la force & de la
puissance des esprits, qui sont empreints du ferment du vinaigre, qui est, que si
on emplit d’eau de rivière un tonneau de chêne qui soit sec, dans lequel il y ait
eu durant quelque temps du très bon vinaigre de vin, & qu’on expose ce
tonneau aux rayons du soleil durant les jours caniculaires, alors l’esprit
fermentatif du vinaigre transmuera & changera par sa vertu magistériale,
tingente & transmutative toute cette quantité d’eau en vinaigre ; ce qui est plus
que faisable, si on fait réflexion qu’une livre ou deux de pâte qui ont en elles le
principe du levain, sont capables de réduire cent livres de farine pétrie, non
seulement en levain, mais de les convertir & transmuer en esprit, en animaux &
en eau. Or le tonneau est fait de planches de chêne, qui est un arbre tout
vitriolique, & dont on tire un acide très puissant par la distillation ; mais ce qui
fait le tout, c’est que les pores de ce bois sont remplis du plus subtil esprit & du
sel du vinaigre qu’il avait contenu, qui retient toujours avec soi & en soi, le
caractère & la puissance de convertir en vinaigre les liqueurs qu’on mettra dans
le vaisseau, pourvu qu’il soit aidé de la chaleur du soleil, ou de quelque autre
chaleur continuelle, qui puisse suppléer au défaut de celle-là. Mais ce qu’il

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 322

remarque de plus admirable, c’est que ce vinaigre d’eau était tout spirituel, car
au lieu que le vinaigre de vin pousse le phlegme le premier, lorsqu’on le distille,
& ne donne son esprit que sur la fin : au contraire, ce vinaigre d’eau pousse
toujours de l’esprit également, depuis le commencement de la distillation
jusqu’à la fin, & toujours avec la même force & la même vertu dissolutive.

§. 8. La façon de distiller le vinaigre.

Il faut choisir du plus fort & du meilleur vinaigre qui se puisse trouver, & en
mettre dans des cucurbites de verre jusqu’à moitié, il les faut placer au sable, &
les couvrir de leurs chapiteaux, qu’il faut simplement luter avec une bande de
papier mouillé ; puis donner le feu, & le phlegme montera le premier : ce qui
prouve évidemment que le vinaigre n’est autre chose, qu’un vin qui a été fixé
par le sel & par l’esprit acide, qui a prédominé sur le soufre éthéré & subtil. Il
faut goûter de temps à autre les gouttes qui tombent, afin de changer de
récipient, lorsque les gouttes deviendront acides ; & pousser ainsi le feu
également, jusqu’à ce qu’on ait tiré tout l’esprit du vinaigre, qu’on appelle
communément vinaigre distillé.

Il saut remarquer de ne point continuer le feu, lorsqu’il n’y a plus guère de


vinaigre ; autrement ce qui serait au fond de la cucurbite se brûlerait, ce qui
communiquerait une mauvaise odeur empyreumatique à l’esprit du vinaigre ;
mais pour obvier à cet accident, il faut faire chauffer du vinaigre pour en
remettre dans la cucurbite, ce qui sert à trois fins, à exhaler premièrement une
partie du phlegme du vinaigre : secondement, la chaleur empêchera que le
vaisseau qui est de verre, ne se rompe ; & pour la troisième, le nouveau vinaigre
dissoudra le grossier qui est au fond de la cucurbite : ainsi la distillation
continuera, sans qu’il se communique aucun empyreume, & sans perte de
temps ni de chaleur des fourneaux ; mais ceux qui voudront faire un vinaigre
très fort pour travailler à la métallique, n’ont pas besoin de ces précautions,
parce qu’il est même besoin de faire passer le sel qui se trouve dans les restes
du vinaigre en esprit, pour pouvoir mieux pénétrer dans les corps ou dans les
chaux des métaux, c’est pourquoi il ne faudra pas feindre de pousser le feu sur
la fin, jusqu’à ce que les vapeurs rougeâtres soient toutes passées, avec cet
égard néanmoins, qu’il faut avoir bien luté les vaisseaux, auxquels on veut
donner le feu si violent, parce que les derniers esprits sont très pénétrants & très
subtils.

Or comme le vinaigre distillé est un menstrue, qui est fort employé dans les
opérations de la Chimie ; il faut aussi que la boutique de l’artiste soit bien
garnie de ces trois sortes, qui sont le phlegme acide, l’esprit du vinaigre sans
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 323

empyreume, & de ce dernier qui a été poussé avec violence, afin qu’il ait
toujours de quoi préparer des remèdes, & même de quoi contenter sa curiosité,
& pour faire les épreuves philosophiques, qu’il est obligé de faire tous les jours
pour contenter son esprit, afin de voir si l’expérience répond à son
raisonnement, & pour savoir si tout ce que les Auteurs nous ont laissé, est vrai
ou faux.

Le vinaigre distillé n’est guère employé dans la Médecine, que pour servir de
dissolvant pour la préparation d’autres remèdes, si ce n’est pour en faire des
sirops, comme nous l’avons dit ci-dessus, aussi bien que pour en faire des
vinaigres bézoardiques & contre la peste : car il a cette vertu de pénétrer,
d’inciser & d’atténuer : c’est pourquoi, il est diurétique, apéritif & sudorifique ;
il est même alexitères, car il guérit les morsures des serpents, parce qu’il tue par
la subtilité de son esprit acide, le sel volatil de la bave de l’animal : il produit
aussi ce même effet sur les sucs condensés, qui sont censés vénéneux & malins :
c’est pourquoi les Chimistes l’emploient comme le vrai correctif des remèdes
qu’on en prépare.

§. 9. Pour faire le vinaigre radical vinaigre alcalisé.

Prenez cinq ou six livres de très fort vinaigre distillé, qui soit bien déphlegmé,
dans lequel vous ferez dissoudre une livre de cristaux de vinaigre, qui ne sont
autre chose que son tartre bien purifié, que quelques-uns appellent son sel
essentiel, & les autres, son sel volatil, mais assez improprement ; digérez-les
ensemble durant quinze jours dans un vaisseau de rencontre, à la chaleur du
bain vaporeux, dans de la sciure de bois ou dans de la paille coupée : cela étant
fait, mettez-le tout dans une retorte, & distillez au sable jusqu’à sec, augmentant
le feu sur la fin, afin que les esprits de ce tartre subtil & acide se joignent au
vinaigre distillé : calcinez à blancheur ce qui sera resté dans la cornue, & y
joignez encore une demie livre de sel de tartre bien pur ; mettez ces sels calcinés
dans une cornue, & les distillez tant de fois là-dessus, en cohobant toujours au
sable, que l’esprit du vinaigre enlève avec soi la plus grande partie du sel fixe ;
cela n’arrive ordinairement qu’à la dixième ou la douzième cohobation. Alors
vous aurez un vrai vinaigre alcalisé, qui sera capable de dissoudre en très peu
de temps toutes les pierres & tous les coquillages, aussi bien que d’extraire & de
pénétrer les minéraux & les métaux : ceux qui se donneront la peine de le faire,
& qui s’en serviront adroitement, éprouveront de plus en plus à combien de
beaux effets cet esprit est propre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 324

§. 10. Un autre esprit de vinaigre très subtil.

Il faut distiller au bain-marie quinze livres de très bon vinaigre, qui soit bien
clair, & en extraire doucement jusqu’à douze livres de phlegme ; il faut mettre
ce qui reste dans une cornue & le distiller au sable, & donner le feu par degrés,
jusqu’à ce que la matière qui restera soit bien séché ; il faut cohober le même
esprit qui a été reçue dessus ses fèces, jusqu’à quatre ou cinq fois : après quoi il
faut faire une pâte d’une demie livre de cristaux du tartre du vinaigre, & de
quatre onces de sel de tartre, avec trois livres de bol en poudre & un peu de très
bon vinaigre distillé, & réduire cette pâte en boulettes, qui puissent entrer dans
une cornue de verre ou de grès, qu’il faut placer au réverbère clos, & y adapter
le récipient, où est le vinaigre qu’on a distillé le premier, avec les cristaux par
cohobation, & donner le feu graduellement, jusqu’à ce que tous les esprits en
soient sortis par la forte expression du feu : il faut ouvrir les vaisseaux après
que le tout sera refroidi, & rectifier le tout au sable, & on aura un esprit de
vinaigre qui ne cédera point au précédent ; mais au contraire, qui sera encore
plus subtil, & par conséquent plus capable de produire tous les effets qu’on en
espère.

§. 11. Pour faire les cristaux du vinaigre, ou son tartre subtil.

Faites évaporer à la vapeur du bain-marie quarante ou cinquante pintes de fort


vinaigre bien pur & bien net, jusqu’en constance de miel cuit, que vous mettrez
ensuite cristalliser en lieu froid ; retirez dans quelque temps la liqueur par
inclination, & la laissez couler lentement, jusqu’à ce que les cristaux en soient
déchargés ; dissolvez le jus épais & noirâtre, qui reste dans du phlegme acide de
vinaigre ; passez cette dissolution au travers du blanchet, afin d’en ôter les fèces
; puis évaporez la colature encore une fois à la vapeur du bain en la même
consistance qu’auparavant, & faites cristalliser pour la seconde fois ; séparez le
superflu, qui n’est propre que pour être calciné avec du tartre pour en tirer le
sel. Joignez vos cristaux, & les dissolvez à la lente chaleur du bain, dans une
quantité suffisante de bon vinaigre distillé ; filtrez la dissolution chaudement,
puis la mettez cristalliser au froid ; continuez d’évaporer & de cristalliser,
jusqu’à ce que vous ayez retiré tout ce sel essentiel, qu’il faut dissoudre, filtrer
& cristalliser ainsi jusqu’à trois ou quatre fois, afin de l’avoir bien pur & bien
net : ce sel sert pour faire le vrai vinaigre radical ; & de plus, c’est un tartre très
pur & très subtil, dont on peut donner dans des bouillons, pour nettoyer
l’estomac des impuretés glaireuses qui sont dans son fond, & qui enduisent ses
parois, ce qui cause le défaut de l’appétit : il est aussi bon pour ouvrir, désopiler
& nettoyer les conduits de l’urine, qu’il provoque doucement, & facilite même

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 325

la sueur. La dose est depuis un demi-scrupule, jusqu’à deux scrupules & à une
drachme.

§. 12. Du tartre & des préparations qu’on en tire.

Paracelse & les Auteurs qui l’ont suivi, ont tant parlé du tartre dans leurs
Livres, que cela est quelquefois capable de brouiller l’esprit de ceux qui les
lisent, parce qu’ils confondent le tartre microcosmique, le tartre des aliments &
le tartre remède. Il faut donc que nous disions en trois mots la différence qu’il y
a de l’un à l’autre, afin de soulager l’artiste dans son étude & dans son travail.
On appelle tartre dans la Médecine Paracelsique, la chose qui est capable de se
coaguler en pierre, ou qui est déjà coagulée : on entend néanmoins
principalement par le tartre microcosmique, ou par celui qui s’engendre en
l’homme, qui est appelé le petit monde, une matière lente & visqueuse, qui se
forme en nous par le défaut des digestions, qui a en soi une prochaine
puissance de se durcir ou de se coaguler, & par conséquent de causer des
obstructions, à cause du défaut d’un esprit fermentant, qui soit capable de les
pousser par les émonctoires naturels du centre du corps à sa circonférence, & de
là le chasser sensiblement ou insensiblement par les pores, puisque c’est le
défaut de transpiration y qui cause la plus grande partie des maladies internes,
comme il cause aussi les externes. Car il ne faut pas attribuer au vice des
aliments, les maux & les accidents, dont nous avons le seminere en nous,
comme le prouve très bien le très docte Helmont dans le Traité qu’il intitule,
Alimenta tartari insomia. Or la pensée des Paracelsiques est cause qu’on a donné
le nom de tartre au sel terrestre & essentiel, qui se tire de quelques plantes, soit
qu’il se sépare de soi-même de leurs sucs, ou que cela se fasse par artifice. Nous
avons enseigné ci-devant au commencement du Chapitre des végétaux, la façon
de séparer les tartres ou les sels essentiels des plantes : mais comme nous ne
pouvons comprendre celui qui se fait de soi-même qu’intellectuellement, par le
raisonnement & par la comparaison ; il faut que nous fassions connaître ce que
nous en pensons, avec les Auteurs les plus sensés.

Pour pouvoir mieux concevoir & mieux comprendre l’origine du tartre, duquel
nous avons à parler, il faut que l’artiste se représente que les principes des
choses sont indigestes & crus dans leur origine, & qu’ils sont comme simples &
homogènes dans cette disposition de leur chaos ; mais qu’après cela, il se fait
une séparation des parties grossières de celles qui sont subtiles par la
maturation. Les parties qui sont grossières, penchent naturellement à l’état
élémentaire, qui est aqueux & terrestre ; mais celles qui sont subtiles, s’exhalent,
& pour parler proprement, se spiritualisent elles-mêmes par la force & par la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 326

puissance de leur archée intérieure, c’est-à-dire, de leur âme principe, qui


contient en soi le ferment & l’esprit, qui les réduit aussi à l’état élémentaire, qui
est aérée & ignée, c’est-à-dire, qui est de la nature éthérée & céleste. Si cette
considération & cette méditation philosophique peut être appliquée à quelque
sujet, on ne la peut appliquer plus légitimement qu’au vin : car lorsque le moût
est nouvellement tiré des raisins, c’est un vrai chaos, jusqu’à ce que l’archée
interne ait excité l’esprit fermentant, qui fait la séparation du subtil & du
grossier & qui ne cesse point sa fonction, jusqu’à ce qu’il ait conduit les choses
au plus sublime état de leur destination naturelle, qui est la partie spirituelle,
ignée & céleste du vin ; & celle qui est grossière, retourne, par une sorte de
réincrudation, à la nature aqueuse, terrestre & saline qui fait le tartre, qui est un
sel essentiel, permanent & incorruptible de soi-même, mais qui peut recevoir
beaucoup de diverses altérations, par le moyen de l’art & du feu, parce qu’il
contient en foi des forces & des puissances insignes & merveilleuses, qui
approchent fort de celles des esprits, par le moyen de son sel & d’un soufre
qu’il possède très abondamment. Mais passons de la théorie à la pratique, qui
nous enseigne la purification du tartre, sa distillation, sa salification, &
l’extraction de la teinture du soufre interne de son sel.

§. 13. La purification du tartre.

On peut purifier le tartre en le lavant simplement avec de l’eau chaude, pour en


ôter la poudre & une partie de la lie terrestre, dont il est toujours accompagné
dans sa coagulation. Pour la bien faire, il faut mettre du tartre d’Allemagne ou
de celui de Montpellier en poudre, que l’artiste mettra dans une terrine, &
versera dessus de l’eau plus que tiède, jusqu’à l’éminence d’un demi-pied ; il
agitera le tartre en poudre avec un bistortier, afin que l’eau se charge du limon
du tartre ; il laissera rasseoir la partie saline, & versera l’eau par inclination ; il
continuera cette lotion trois fois avec de l’eau chaude, & trois autres fois avec de
l’eau froide ; ainsi il aura un tartre assez pur, dont il se pourra servir dans les
décoctions, dans les infusions & dans les macérations, où il en aura besoin, soit
pour son travail, soit par l’ordre des Médecins.

Mais cette purification est grossière ; elle sert plutôt la Pharmacie commune que
la Chimie, qui doit séparer totalement le pur de l’impur : ce que l’artiste fera de
la sorte, pour en faire ce qu’on appelle dans les boutiques, de la crème & des
cristaux de tartre, qui ne sont à vrai dire, que du tartre bien purifié. Il faut
mettre en poudre subtile trente ou quarante livres de bon tartre, qui soit bien
étincelant en le rompant, compact, cristallin & pesant. Faites bouillir deux cent
livres d’eau de pluie ou de celle de rivière, qui soit bien nette, & y jetez le tartre

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 327

en poudre peu à peu, il s’y dissoudra presque tout en un moment, coulez


aussitôt toute la liqueur au travers de deux grandes chausses à hypocras, qui
soient suspendues au-dessus d’un grand cuvier, qui soit bien net ; & lorsque le
tout sera coulé, agitez continuellement la liqueur avec des bistortiers, jusqu’à ce
qu’elle soit tout à fait refroidie ; laissez-la reposer ensuite, & vous trouverez
quelques heures après, que le tartre pur & net sera affaissé au fond du cuvier,
en une poudre impalpable & étincelante, de laquelle on se servira sans aucun
scrupule, au lieu du cristal de tartre, & de ce qu’on appelle improprement de la
crème de tartre, parce qu’il y en a qui se sont imaginés que là croûte, qui se fait
au-dessus de la liqueur coulée, était plus subtile que les cristaux qui se forment
au bas & aux parois du vaisseau, quoique ce soit la même chose ; puisque cette
croûte ou cette crème prétendue, n’est que la coagulation du tartre purifié à la
superficie de l’eau par l’air froid.

Mais outre tout cela, il y a encore une bien plus forte raison de préférer ce tartre,
ainsi purifié à la crème ou au cristal de tartre, qui se trouve ordinairement chez
les Droguistes & chez les Epiciers, qui est que ceux qui purifient le tartre dans
les lieux où il abonde & où il est à vil prix, mettent de la chaux vive avec leur
tartre dans l’eau qui le doit dissoudre, & cela pour deux taisons. La première
afin que le tartre se dissolve plutôt & plus facilement. La seconde, afin que la
chaux précipite au fond, & attire avec soi toute la lie & toutes les limosités
visqueuses, qui font l’impureté du tartre, & qui empêchent que les cristaux n’en
soient ni si blancs, ni si purs. Mais ceux qui font cela, ne considèrent pas le
grand mal qui en doit arriver & qui en arrive tous les jours : car outre que la
chaux, fixe en quelque façon le sel essentiel du tartre, & qu’elle le rend moins
dissoluble dans des bouillons & dans les autres liqueurs ; c’est que de plus, elle
imprime à ce sel une qualité maligne qui blesse l’estomac, & qui échauffe
extraordinairement la poitrine & même toute l’habitude de ceux qui en
prennent souvent ; si bien, que la bonne intention de Messieurs les Médecins
n’est pas suivie : car au lieu qu’ils prétendent donner un apéritif & un
désopilatif, on donne quelquefois un remède coagulatif & fixatif, à cause de
l’idée pétrifiante qui est inséparable du sel de la chaux, qui est mêlé & uni avec
celui du tartre. Cela soit dit en passant, afin que les Apothicaires prennent la
peine de préparer eux-mêmes les remèdes, dont ils sont responsables à Dieu, à
l’honneur des Médecins & leur prochain.

Les vertus de ce tartre purifié, sont premièrement & principalement de


dissoudre, & d’atténuer les humeurs grossières & tartarées, qui causent les
obstructions de la première région du ventre : c’est pourquoi on s’en peut servir
avec utilité, pour ouvrir celles du foie, de la rate, du mésentère, du pancréas &

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 328

des reins ; il est surtout recommandable dans les maladies mélancoliques &
dans toutes les affections des hypocondres. Tous les Auteurs assurent que c’est
un digestif universel, c’est aussi pour cela qu’ils le font toujours précéder de la
purgation, afin qu’il prépare & qu’il atténue ce que le purgatif doit évacuer.
C’est aussi un remède fort convenable pour ceux qui sont naturellement
constipés ; car il ouvre & lâche doucement le ventre, sans nuire aucunement à
l’estomac, ni à sa faculté digestive. La dose est depuis un scrupule jusqu’à une
& deux drachmes, dedans des bouillons, on dans quelque décoction apéritives
& digestive. Mais comme ce remède est destiné pour ouvrir les obstructions de
la rate & du foie, & que le mars ou le fer, est un des plus excellents spécifiques,
dont on puisse se servir à cet effet, les Chimistes ont trouvé le moyen de marier
& d’unir le mars & le tartre ensemble, par l’action qui se fait de l’un sur l’autre
dans leur dissolution ; ce qui se pratique ainsi.

§. 14. Pour faire le tartre martial ou chalybé.

Prenez une livre de tartre purifié comme nous venons de renseigner, avec
lequel vous mêlerez deux onces de limaille d’aiguilles, qui soit pure & nette.
Faites bouillir dans un pot de terre vernissée huit livres d’eau de pluie, qui soit
bien claire, ou même de celle qui a été distillée ; & lorsqu’elle sera en cet état,
versez-y doucement le mélange du tartre & de l’acier, faites les bouillir
ensemble autant de temps qu’il en faut pour cuire un œuf mollet : coulez
aussitôt à travers un blanchet, & agitez la liqueur jusqu’à ce qu’elle soit re-
froidie, & vous aurez une poudre de tartre martial ou chalybé, qui sera verdâtre
& étincelante, lorsqu’elle sera séché, qui est sans comparaison plus apéritive,
que le tartre purifié qui a précédé : car elle a en sot le vitriol du mars, que
l’acide du tartre a tiré, comme la couleur verdâtre le témoigne : on la donne
dans les mêmes liqueurs ; mais la dose en est moindre : celle-ci n’excède pas
depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme, dans toutes les maladies &
toutes les obstructions, auxquelles nous avons dit que l’autre était propre.

§. 15. La distillation du tartre pour en tirer l’esprit & huile.

Prenez six livres de tartre purifié par la dissolution & par la transcolation,
mettez-les dans une retorte de verre qui soit lutée ; ajustez-la au réverbère clos ;
adaptez à son col un ample récipient ou ballon, dont vous luterez les jointures
avec de la terre salée, ou mêlée avec un peu de la tête morte d’eau forte, laissez
sécher le lut, puis donnez le feu par degrés, jusqu’à ce que vous voyez que le
récipient s’emplir de nuages blanchâtres, & qu il se forme des veines rougeâtres
dans le contour intérieur du ballon ; alors augmentez le feu, &le continuez
même avec la flamme d’un bois qui soie bien sec, jusqu’à ce que le récipient
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 329

devienne clair de soi-même, dans la plus grande & dans la plus forte expression
du feu. Lorsque les vaisseaux & le fourneau feront refroidis, il faut déluter le
récipient peu à peu, en versant de l’eau chaude sur la terre ; puis ôter le
récipient & séparer les matières, dont l’une est aqueuse, mercurielle, subtile &
spiritueuse, qui a un goût acide & pénétrant, qui témoigne son sel volatil ; &
l’autre est une huile noire & pesante, qui est d’une odeur empyreumatique
aussi bien que l’esprit, & qui a un goût acre & mordicant, quoiqu’elle soit
inflammable comme les autres huiles distillées ; ce qui témoigne aussi que cette
huile contient en soi beaucoup de sel volatil, qui ne s’est point séparé de son
soufre, par l’étroite union qui est entre eux : cette réparation se fait de la même
sorte que celle que nous avons dite ci-devant.

Il faut après cela rectifier l’esprit aux cendres, avec cette remarque, que comme
le tartre est un sel qui provient du vin, qu’aussi l’esprit qui s’en tire, est de la
nature approchante de la sienne ; c’est-à-dire, que l’esprit du tartre n’est pas de
la nature des esprits acides, qui poussent leur esprit le dernier : car au contraire,
il a deux esprits en soi, dont le premier & le meilleur monte d’abord, qui est son
esprit volatil ; le phlegme vient après ; & pour le dernier, il fort un esprit acide,
qui n’a pas eu jusqu’ici beaucoup d’usages en la Médecine.

On peut garder l’huile sans la rectifier ; pour s’en servir extérieurement ; mais si
on la veut rendre plus pénétrante, plus dissolutive & plus résolutive, il la faut
aussi rectifier sur une partie de ce qui sera resté de la distillation ; & l’on aura
une huile capable de produire les effets que nous lui attribuerons ci-après.

Après tout cela, il faut rejoindre ce qui reste de la rectification de l’huile de


tartre, à ce qui est demeuré dans la cornue après sa distillation, & les calciner
encore à feu ouvert dans un pot de terre non vernissé, jusqu’à ce que le tout soit
blanchâtre, qu’il faut dissoudre avec de l’eau chaude, & en faire la lessive trois
ou quatre fois, jusqu’à ce que l’eau n’en tire plus aucune saveur, il faut filtrer
toutes ces élixiviations, & les faire évaporer peu à peu, sans aucune violente
ébullition, jusqu’à ce que le dessus commence à se couvrir d’une pellicules alors
il faut commencer d’agiter la matière qui reste, comme il faut aussi avoir un
grand soin de rassembler ce qui s’en attache de toutes parts, & empêcher aussi
qu’elle ne se coagule au fond du vaisseau, parce qu’on aurait trop de peine à
l’en retirer : il faut continuer ce soin assidu, jusqu’à ce que le tout soit converti
en un sel blanc & sec, qui est le vrai sel fixe du tartre, qu’il faut mettre dans une
bouteille bien séchée, & la bien boucher avec un bouchon de liège, qui aura été
trempé dans de la cire, afin qu’il ne se résolve pas en une liqueur qu’on appelle
improprement huile de tartre par défaillance, oleum tartari per deliquium, qui

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n’est rien autre chose que la liqueur du sel de tartre résout, & selon notre grand
Paracelse, l’eau de tartre ou la liqueur de tartre. Mais comme on a besoin de
cette huile de tartre ou de ce sel résout, il en faudra laisser la moitié à l’air dans
une terrine de grès, ou dans un vaisseau de verre, à cause que ce sel est le plus
pénétrant de tous les sels calcinés ou alcali, qui pénètrent même au travers du
vernis des vaisseaux de terre : c’est pourquoi j’ai voulu donner cet
avertissement, afin que l’artiste ne s’y trompe pas.

On s’étonnera peut-être de ce que nous avons prescrit de prendre du tartre bien


purifié pour en faire la distillation : vu que tous les autres Auteurs se contentent
du tartre, comme il se tire du tonneau, pourvu qu’il soit pur & net : il faut
satisfaire à cet étonnement, & faire voir que nous n’avons pas dit cela sans
raison.

Nous avons fait voir ci-devant, pourquoi il était nécessaire de dépurer le tartre,
à cause de la lie, de la terre, & de quelques autres corps étrangers, qui se
trouvent toujours dans cette matière : or toutes ces saletés se calcinent dans la
distillation, & communiquent leur mauvais goût & leur mauvaise odeur à
l’esprit du tartre, qu’on attribue ordinairement à l’empyreume : ce qui est la
cause qu’on se sert rarement de cet esprit pour l’intérieur, quoique se soit un
des meilleurs remèdes de la Médecine. Que ceux qui n’en seront pas persuadés,
fassent la comparaison du goût pénétrant & subtil de l’esprit de tartre purifié
avec celui qui est impur, & ils connaîtront que c’est avec grande raison que
nous avons été obligés de corriger cet abus, qui cause quelquefois beaucoup
plus de mal qu’on ne pense, à cause que ces hétérogénéités ont en elles quelque
malignité, qui ne se communique pas seulement à l’esprit, mais qui se mêle
intimement avec le sel, & qui lui imprime une mauvaise idée, qui ne peut être
corrigée dans les remèdes que l’artiste est obligé de faire ; ce qui cause
quelquefois des accidents pernicieux, sans que le Médecin puisse soupçonner
d’où ils procèdent.

§. 16. Vertus de l’esprit, de l’huile, du sel & de l’huile de tartre par défaillance.

Venons à présent aux vertus de l’esprit de tartre, de son huile distillée &
inflammable, de son sel & de l’huile par défaillance ou du sel résout. Lorsque
cet esprit est fait, comme nous l’avons enseigné, & qu’il a encore été rectifié au
bain-marie dans un vaisseau bien net, c’est un des meilleurs remèdes que
fournisse la Chimie : il a la force & l’efficace d’inciser, d’atténuer, de résoudre
tout ce qui cause les obstructions des viscères s il est de plus capable de
pénétrer jusque dans les parties les plus éloignées, à cause de sa grande subtilité
: car il chasse tout ce qu’il y a de superflu dans les digestions, par les urines &
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par la sueur : c’est pourquoi on le peut employer très utilement dans les
hydropisies, dans les douleurs des goûtes & dans toutes les malades
arthritiques, dans la paralysie, dans le scorbut, dans la vérole, contre la grattelle
& la galle, contre les démangeaisons & contre la contraction des membres. La
dose est depuis un demi-scrupule, jusqu’à jeux scrupules & même jusqu’à une
drachme entière, dans des bouillons, dans du vin blanc, ou dans quelques
décoctions appropriées selon la maladie, & selon l’indication de l’expert & de
l’habile Médecin.

Nous avons dit qu’on pouvait garder une partie de l’huile distillée sans
rectification, ce que nous n’avons pas fait sans raison : car cette huile a
beaucoup de sel en foi qui demeure au fond du vaisseau, lorsque la rectification
se fait : or c’est ce sel qui cause par sa vertu pénétrante & active les beaux effets
que cette huile produit, dans la guérison de la teigne, & des dartres malignes &
corrodantes. Car comme nous avons dit que les sels volatils sont antipathiques,
avec les sels acres & rongeants, qui causent la teigne & les dartres ; c’est aussi le
sel volatil qui est joint au soufre de l’huile, qui tue l’acide, & qui dessèche &
remet la peau en son état naturel. Ce n’est point ici la seule utilité de cette huile,
elle fait encore de petits miracles pour la résolution des tophes, & des nodus des
goûteux & des véroles, pourvu qu’on les ait auparavant purgés avec quelque
bonne préparation de mercure joint à un bon extrait de coloquinte bien corrigé.
L’huile qui aura été rectifiée, doit être employée au-dehors avec précaution, à
cause de sa pénétrabilité & ce sa grande activité ; mais on la peut mêler dans les
onguents qu’on préparera pour guérir la galle simple, celle qu’on appelle galle
de chien, & contre toutes sortes de galle vérolique. Pour le dedans, on en donne
contre les coliques venimeuses dans du vin chaud, & dans de l’esprit de grains
de sureau contre la suffocation de matrice. La dose est depuis deux gouttes
jusqu’à six.

Le sel de tartre est un puissant agent de soi-même, & dont on verrait des effets
tout à fait surprenants, si ce n’était son mauvais goût lixivial & urineux : car
c’est le plus subtil & le plus pénétrant de tous les sels fixes, tant comme remède,
que pour servir d’un moyen très utile & très propre pour la préparation de
beaucoup d’autres excellents médicaments ; ceux qui s’en voudrons servir sans
autre correction, en pourront donner depuis six grains jusqu’à trente, dans des
bouillons ou dans des décoctions, afin de faire évacuer par les selles & par les
urines, toutes les matières qui causent le prurit & les éruptions du cuir, la
grattelle, la galle & la teigne, pourvu qu’on se serve en même temps de quelque
onguent, où il y ait de l’huile de tartre distillé & un peu de sel de saturne ; mais
il faudra que nous donnions la manière d’ôter le mauvais goût à ce sel, de le

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rendre purgatif, ce qui de soi servira d’un très bon remède, & sera aussi un
instrument pour faire beaucoup d’autres belles opérations, entre les mains des
artistes qui le connaîtront & qui pénétreront, par le moyen de l’étude & du
travail, jusque dans les mystères qu’il possède.

L’huile de tartre par défaillance, sert admirablement pour l’extraction de tous les
végétaux purgatifs : car lorsque les menstrues qu’on emploie, sont empreints &
aiguisés d’un peu de cette liqueur, ils pénitent jusque dans le centre des corps,
font l’extraction de leur vertu, & corrigent tout ensemble la malignité qu’ils ont
en eux, & c’est par le moyen de ce feu céleste & magique, que le sel de tartre a
tiré de la lumière & de l’air. Cette huile se peut aussi donner intérieurement de
la même façon & pour les mêmes maladies que le sel. La dose est depuis quatre
goûtes jusqu’à vingt. C’est aussi un des principaux agents du laboratoire
chimique, pour faire les précipitations, & pour en faire le tartre vitriolé.

§. 17. Pour faire le tartre vitriolé ou le magistère de tartre.

Prenez une livre d’huile de tartre par défaillance qui soit bien claire & bien
nette, notez, lorsque le sel est très pur, & que la résolution a été faite en un lieu
net, & que la liqueur a été bien filtrée, cette huile est d’une couleur verdâtre :
mettez-la dans une cucurbite qui soit haute d’une coudée, & qui soit étroite
d’embouchure ; versez dessus goutte à goutte de l’huile de vitriol, ou de son
esprit très bien rectifié, jusqu’à ce qu’il ne se fasse plus d’ébullition ni de bruit.
Le poids de l’huile ou de l’esprit de vitriol, peut être déterminé à une demie
livre ou environ ; mais le meilleur est de faire comme nous avons dit : mettez
un chapiteau sur la cucurbite, & retirez toute l’humidité qui surnage le
magistère, jusqu’à consistance de bouillie un peu épaisse, après quoi il faut
mettre cette bouillie dans un vaisseau de grès ou de faïence, & achever de la
sécher tout à fait à la vapeur du bain bouillant, en l’agitant continuellement
avec une spatule de verre & non pas de métal ; car ce sel en tirerait le goût & la
teinture. Mettez ce magistère dans une fiole, qui soit bouchée bien exactement,
c’est le meilleur digestif qui se puisse donner pour préparer les malades à la
purgation, car il dissout toutes les matières tartarées, qui causent les
obstructions du corps humain ; surtout, il est efficace contre celles des
hypocondres & celles des veines mesaraïques, contre toutes sortes de fièvres &
surtout contre la quarte : pour accélérer les purgations lunaires, & pour les
procurer, lorsqu’elles sont tout à fait supprimées.

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§. 18. Pour faire l’huile de tartre, de Sennert, ou le sel de tartre purgatif.

Prenez deux livres de sel de tartre bien par & net ; mettez-le dans une cucurbite
de verre ; versez dessus deux pintes ou quatre livres de vinaigre distillé qui soit
bien déflegmé ; agitez le tout jusqu’à ce que tout le sel soit bien dissout ; placez
la cucurbite aux cendres, & en retirez la liqueur qui sera insipide comme l’eau
de pluie : continuez de dissoudre peu à peu votre sel, avec deux pintes de
nouveau vinaigre distillé, & de retirer aux cendres tant & si longtemps, que
vous goûtiez que le vinaigre en sortira avec la même force que vous l’y aurez
versé, ce qui arrive environ la vingtième fois.

Le sel qui vous restera après tout ce travail, est extrêmement noir ; mais il n’a
plus de goût lixivial, âcre, mordicant, ni urineux : au contraire, il est d’une
saveur qui n’est pas désagréable ; car elle tient du salé & de l’acide. Le
changement du goût de ce sel prouve la vérité de ce que nous avons dit ci-
devant, que les acides & les alcalis se changeaient l’un l’autre en un être neutre,
qui n’est plus ni l’un ni l’autre, & qui néanmoins a la vertu plus excellente, &
beaucoup moins nuisible que les corps qui les ont composés, comme l’exemple
s’en voit évidemment dans le tartre vitriolé : car l’huile de vitriol est un corrosif
très fort ; c’est comme un feu qui consume tout, & l’huile de tartre est d’un goût
âcre, piquant, & d’un goût urineux très désagréable, & néanmoins il en, résulte
des deux un magistère agréable par son acidité, qui ne participe plus en aucune
manière, des qualités de l’un, ni de l’autre des corps dont il a été fait, hormis sa
faculté pénétrante, subtile & dissolvante : cela se voit encore ici, où le vinaigre
perd toute son acidité, & passe en eau insipide, & ce sel volatil acide de vinaigre
combat & émousse la pointe, & change le mauvais goût du sel de tartre, pour en
faire un très bon remède : il faut donner le feu un peu sort à ce sel, la dernière
fois qu’on en retirera le vinaigre, afin qu’il n’y reste aucune humidité.

Faites dissoudre ce sel dans de l’alcool de vin, & le filtrez pour en séparer les
noirceurs qu’il a contractées ; mettez-le au bain-marie, & en retirez doucement
l’esprit de vin jusqu’à sec, dissolvez, filtrez & reniez ainsi jusqu’à quatre fois ;
mais à la cinquième, mettez votre vaisseau aux cendres, & cohobez derechef
l’esprit de vin dessus, & continuez ces cohobations, en donnant toujours le feu
de plus en plus fore sur la fin, jusqu’à ce que le sel soit devenu blanc : mettez-le
après cela en lieu humide & net dans un vaisseau de verre, & il se résoudra
facilement en une liqueur rouge, qu’il faut filtrer & la garder une partie en
liqueur, & évaporer l’autre en sel, qui soit sec, & qui soit mis dans une fiole
d’orifice étroit & qui soit très bien bouché, si on le veut conserver sans qu’il se
résolve.

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Nous ne pouvons assez recommander ce sel à tous ceux qui pratiquent la


Médecine, à cause des merveilleux effets qu’il est capable de produire : car il n’a
point d’égal pour ouvrir les obstructions de toutes les parties du corps, & pour
évacuer doucement toutes les matières qui surchargent la nature, &
principalement dans toutes les maladies chroniques & déplorées, à cause qu’il
purge doucement & sans violence par tous les émonctoires. La dose est depuis
cinq grains jusqu’à vingt, s’il est sec ; & depuis dix gouttes jusqu’à trente, s’il est
en liqueur & résout : il le faut faire prendre dans du bouillon de volaille & de
veau, qui soit altéré avec des racines de scorsonère & de celles de persil, ou
dans du vin blanc, dans lequel on ait fait tremper des raisins de Damas & peu
de très bonne cannelle. Le remède doit être pris le matin à jeun, & si la nécessité
le requière, on le peut réitérer environ les cinq heures après-midi.

§. 19. Pour faire la teinture de tartre.

Prenez une livre de sel de tartre bien pur, que vous mettrez dans un creuset
d’Allemagne, afin qu’il puisse résister au feu de fonte très violent : placez le
creuset au milieu du four à vent sur une culotte de terre ; couvrez le creuset
d’un couvercle qui soit fait exprès, & emplissez le fourneau de charbons jusque
par-dessus le creuset ; & lorsque le feu sera une fois allumé, ouvrez les portes
du four à vent les unes après les autres, & placez les canaux au-dessus du dôme
du fourneau, afin de concentrer le feu pour fondre ce sel, qui demande une
chaleur plus violente que l’or ; & lorsque vous apercevrez que le sel est en
pleine fonte, & qu’il flue dans le milieu des flammes comme de l’eau, il faut ôter
le couvercle, & continuer le feu tant & si longtemps qu’il ait acquis une couleur
bleue, & qu’il commence à se charger de rouge & de vert : alors c’est le vrai
signe que le soufre interne de ce sel admirable, est ouvert & comme tiré de son
centre par l’extrême action du feu, & il faut souvent faire l’épreuve de la
couleur du sel avec une spatule de fer, qui soit bien nette & bien sèche, parce
que s’il y avait la moindre humidité, cela ferait sauter le sel en l’air & ferait
péter le creuset ; il faut donc avoir grand égard de faire chauffer la spatule,
avant que de l’introduire dans le sel fondu.

Or, dès que l’artiste aura connu par la couleur, que le sel est suffisamment
ouvert, il le jettera dans un mortier de bonze qui soit bien net & bien chaud,
autrement l’extrême chaleur du sel fondu le ferait fendre ; & lorsqu’il est
coagulé, il faut réduire la masse en poudre avec un pilon chaud, mettre la
poudre dans un matras qui ait été aussi chauffé & séché, & verser dessus peu à
peu de l’alcool de vin, jusqu’à ce qu’il ait pénétré jusqu’au fond, & qu’on
n’aperçoive plus aucune portion du sel qui soit séché : cela fait, il faut achever

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d’y mettre de l’alcool de vin, jusqu’à ce qu’il surnage de quatre doigts, &
couvrir le matras avec un autre qui soit plus petit, & dont le col entre dans le
plus grand jusqu’à trois pouces en dedans ; lutez la jointure avec de la vessie
trempée dans du blanc d’œuf, & mettez le matras dans une capsule au sable qui
soit déjà chaud, & lui donnez le feu jusqu’à ce que l’esprit de vin commence à
bouillir ; continuez le feu de la même sorte trois ou quatre jours, & l’esprit de
vin se chargera d’une couleur de rubis d’Orient, & acquerra une odeur agréable
& suave, comme celle de la vigne en fleur ; filtrez la liqueur & y en remettrez
d’autre, & continuez ainsi jusqu’à ce que l’alcool de vin ne se colore plus ;
mettez toutes les teintures filtrées dans une cucurbite, & en retirez les trois
quarts du menstrue, & il vous restera une teinture réelle & véritable du sel fixe
du tartre, dont la couleur vient du soufre interne de ce sel qui lui communique
des vertus très efficaces contre plusieurs maladies opiniâtres & comme
désespérées.

Cette teinture fortifie toutes les facultés naturelles, & les remet dans le juste
devoir de leurs actions, donc elles avaient été dérangées par la malignité & par
la longueur de la maladie : elle tient le ventre libre, elle provoque
abondamment les urines & la sueur : c’est pourquoi son usage continué fait des
merveilles dans toutes les maladies mélancoliques & hypocondriaques, dans le
scorbut, dans l’hydropisie, & généralement pour ôter toutes les obstructions du
foie, de la rate, du mésentère, du pancréas & des veines mesaraïques. Surtout,
elle fait connaître sa vertu & sa force, dans les corps de ceux qui ont la masse du
sang infecté du venin vérolique : car elle ne fortifie pas seulement les facultés
vitales & animales, que ce venin attaque & ruine peu à peu ; mais elle empêche
aussi de plus, qu’il ne gagne plus avant, & rectifie la masse du sang des
sérosités impures & malignes, qui causent tous les mauvais effets de cette
pernicieuse maladie.

Il en faut user pour l’ordinaire durant l’espace du mois philosophique, qui est
de quarante jours. La dose est depuis quatre gouttes jusqu’à vingt dans du
bouillon, dans du vin, ou dans quelque décoction convenable à la maladie ;
mais il faut éviter surtout de la mêler parmi les acides, parce qu’ils tueraient le
volatil, qui est celui qui produit ses meilleurs effets.

§. 20. Comment il faut faire le verre dissoluble du tartre, & comme on en tirera la
teinture.

Nous avons montré dans l’opération précédente, comment il fallait faire


l’extraction du soufre central du sel de tartre, auquel nous avons attribué
beaucoup de belles qualités ; mais nous avons jugé nécessaire de faire voir que
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 336

les sels alcalis sont non seulement les dissolvants des soufres, mais qu’ils en
sont aussi les extracteurs, nous prendrons pour l’exemple de cette
démonstration, la calcination, la vitrification & l’extraction des cailloux, par le
moyen du sel de tartre & de l’alcool de vin. Or il faut que nous fassions
connaître quelle sorte de cailloux il faut prendre, pour en tirer le soufre solaire
embryonné qu’ils contiennent, & que le sel tire à soi pour le communiquer
ensuite à l’esprit de vin, ce qui n’est pas un petit mystère de la Chimie.

Pour venir à bout de cette opération, il faut avoir des cailloux qui se trouvent
dans les ruisseaux qui dérivent des montagnes, qui contiennent des rochers &
des bois, & surtout que la terre voisine contienne quelque veine métallique, &
que les ruisseaux de ces lieux abondent en truites, qui soient couvertes de
taches rouges, pourprées & très hautes en couleur : car ce sera un signe
infaillible, que les cailloux qui se trouvent dans ces ruisseaux ou dans les terres
prochaines, contiennent en eux des métaux embryonnés, qui se découvrent
avant & après la calcination ; avant, par les marques extérieures, qui sont des
veines rouges, vertes, bleues, pourprées & mêlées de quelques autres couleurs,
qui témoignent la teinture métallique ; & après, parce qu’on y trouve même au-
dedans, non seulement des taches & des couleurs superficielles, mais on
rencontre aussi dans quelques-uns des paillettes & des petits grains de métal
parfait, comme de l’or & de l’argent pur, qui marque sur la pierre de touche,
comme j’en ai fait l’expérience plusieurs fois sur des cailloux, qui venaient
d’auprès de Sedan en Champagne.

Pour commencer l’opération, il faut prendre un grand creuset, l’emplir de


semblables cailloux, & les mettre au four à vent, afin de les faire entièrement
rougir. Lorsqu’ils sont bien ignifiés, il les faut jeter dans un bassin à demi plein
d’eau fraîche, ce qui les rend cassants & friables, & les met en état d’être
facilement réduits en poudre dans le mortier, pour les triturer ensuite sur le
porphyre ou sur l’écaille de mer, jusqu’à ce qu’ils soient réduits en alcool, c’est-
à-dire, en poudre impalpable. Il faut la sécher exactement, & la mêler dans un
mortier chaud, avec cinq fois autant de sel de tartre qui soit très sec & très pur ;
il faut une livre de ce mélange dans un grand creuset d’Allemagne, afin que la
moitié ou les deux tiers restent vides, à cause de l’élévation & du gonflement de
la matière, lorsqu’elle se fond à l’extrême chaleur du four à vent. Il faut avoir
soin, lorsque tout est en fonte, de tirer souvent un peu de la matière avec une
pointe de fer, pour voir si elle est réduite en une forme de verre jaune, verdâtre,
clair & transparent ; mais il faut sonder le creuset jusqu’au fond, afin de savoir
si la poudre des cailloux est toute fondue & toute unie avec le sel : si cela est, il
faut aussitôt tirer le creuset & jeter le verre dans un mortier bien chaud, & le

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mettre aussitôt en poudre avec un pilon qui ait été chauffé : car si on laissait
seulement refroidir ce verre, il se résoudrait aussitôt en une liqueur visqueuse,
qui renfermerait le soufre & qui empêcherait que l’alcool de vin ne pût agir
dessus.

Chauffez le matras avant que d’y mettre la poudre de ce verre résoluble, & jetez
dessus du très subtil esprit de vin peu à peu, jusqu’à ce qu’il soit humecté &
pénétré de toutes parts ; alors versez de ce même esprit jusqu’à l’éminence de
trois ou quatre doigts au-dessus de la matière : mettez le vaisseau au sable qui
soit déjà chaud, & y donnez le feu jusqu’à faire frémir l’esprit, il faut que les
vaisseaux soient couverts & bouchés avec les mêmes précautions qu’à la
teinture précédente. Lorsque l’extraction sera faite, & que l’alcool de vin sera
chargé d’une belle couleur rouge ; il faut le retirer & le filtrer, puis y en remettre
du nouveau, & continuer ainsi de digérer, extraire & filtrer, jusqu’à ce que
l’esprit ne se colore plus ; joignez alors toutes les teintures, & en retirez l’esprit
au bain-marie par une chaleur très lente, jusqu’à ce que vous voyiez une
teinture très rouge, d’une odeur agréable & d’un goût igné y pénétrant &
perçant ; cessez alors le feu & tirez la teinture, que vous mettrez dans une fiole
qui ait l’orifice très étroit, qu’il faut boucher, s’il se peut, avec un bouchon de
verre qui entre juste, on avec du liège qui ait été trempé dans de la cire fondue,
& une double vessie mouillée par-dessus ; cette belle & excellente teinture
conserve sa couleur & sa vertu beaucoup plus longtemps, que celle qui se tire
du simple sel de tartre réverbéré, parce que le sel a tiré des cailloux le soufre
métallique, qui est de la nature solaire : or le sel ne peut retenir ce soufre,
lorsqu’il est en digestion avec l’esprit de vin pur, parce que le soufre se
communique aussitôt à l’esprit de vin, qui est un soufre éthéré & volatil, qui
l’extrait & le tire hors du centre des moindres particules du sel, par l’analogie &
par la sympathie qu’ils ont ensemble.

Cette’ teinture a une vertu plus générale & plus diffuse, que la précédente : c’est
pourquoi on peut la donner non seulement dans toutes les maladies, auxquelles
nous avons dit que l’autre était utile ; mais on peut de plus en donner dans
toutes les lèvres intermittentes, & principalement dans la quarte, aussi-bien que
dans toutes les maladies chroniques, qui se proviennent ordinairement à cause
de la dépravation des facultés internes, que ce remède répare & rétablit peu à
peu, & comme par miracle. Surtout il faut s’en servir dans les obstructions des
reins & de la vessie, soit quelles proviennent des glaires ou du sable, soit aussi
que le mal soit occasionné par l’irritation de l’archée de ces parties, qui s’apaise
aussitôt par l’éradiation de la vertu de ce soufre solaire, qui reluit dans cette
teinture.

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Ce ne serait jamais fait, si nous voulions rapporter ici tout ce que les Auteurs
anciens ou modernes ont fait sur le tartre, & ce que notre propre expérience en a
tiré ; il suffit que nous ayons donné à l’artiste des lumières suffisantes pour se
conduire dans la théorie & dans la pratique de ce sel merveilleux, qui recèle &
qui cache en soi la plus grande partie des mystères de la nature & de l’art ; ce
qu’on ne manquera pas d’y trouver & de l’en tirer, pourvu qu’on apprenne à
bien connaître le vin, le vinaigre, & le tartre, & qu’on soit assidu à l’étude & au
travail, qui sont les deux appuis de la curiosité Chimique.

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§. 21. La manière de faire un esprit de tartre vitriolique, désopilatif & diurétique, & un
bon tartre vitriolé.

Les deux remèdes que nous ajoutons ici y sont de si grande vertu, & produisent
de si beaux & de si bons effets dans les maladies chroniques, que nous aurions
crû faire tort au Public, si nous manquions de lui communiquer la vraie
méthode de les bien préparer, principalement à cause que ces médicaments sont
plus agréables & plus propres, que beaucoup d’autres qu’on emploie, contre les
obstructions du bas ventre & de ses parties. Vous les ferez ainsi.

Prenez trois livres de vitriol martial, qui se tire du pays de Liège, qui ait été
desséché en blancheur dans une étuve ou dans quelque autre lieu chaud,
pourvu que ce ne soit pas au soleil, & trois livres de bon tartre de Montpellier,
qui soit purifié ; mettez-les en poudre chacun à part, puis les mêlez exactement,
& les mettez dans une ample cornue de verre, que vous placerez au réverbère
clos ; joignez-y un très grand récipient, dont vous luterez les jointures avec soin
; donnez ensuite le feu par degrés, jusqu’à ce que les vapeurs & les nuages
paraissent. Alors entretenez le feu dans cette égalité avec soin & circonspection,
mais lorsque les vapeurs diminueront, augmentez alors votre feu, &
commencez à donner le feu de flamme, pour les continuer, & pour tirer de la
matière tout ce qu’elle est capable de donner, par l’activité de la chaleur & de la
calcination ; car il ne faut pas abandonner ni cesser l’opération, que vous n’ayez
tenu la retorte dans une rougeur perpétuelle durant douze heures entières.
Alors laissez refroidir les vaisseaux & le fourneau ; mettez la liqueur du
récipient dans une nouvelle cornue, & la mettez aux cendres, avec un récipient
médiocre qui joigne bien, qu’il faut luter avec de la vessie mouillée ; donnez le
feu doucement, pour en retirer le phlegme qui sera chargé d’un esprit volatil.
Mais notez qu’il faut goûter par intervalles les goûtes qui distillent, afin de
substituer un autre récipient. Lorsque vous les trouverez acides & piquantes,
réservez ce phlegme spiritueux dans une bouteille bien bouchée, & continuez la
rectification de l’esprit jusqu’à sec ; s’il y a quelque portion d’huile qui surnage,
séparez-la par l’entonnoir, & la gardez à part, aussi bien que l’esprit.

Le phlegme spiritueux est bon pour les enfants, qui ont des convulsions, avec
un peu de vin blanc, ou d’eau de fleurs de tillot. La dose est depuis un demi-
scrupule jusqu’à deux drachmes : on en peut aussi donner dans l’épilepsie
naissance, aux enfants & à ceux qui sont avancés en âge, l’esprit se donne aussi
depuis cinq gouttes jusqu’à quinze, & vingt gouttes dans des bouillons, dans
des juleps ou dans des eaux appropriées, contre l’hydropisie en son
commencement, contre les obstructions & contre le scorbut & les douleurs
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vagues des rhumatismes.

§. 22. Le tartre vitriolé.

Dès que la retorte est à peu près refroidie, il la faut tirer du fourneau, la casser,
& mettre la matière contenue dans de l’eau de pluie distillée, qui soit plus que
tiède, dans une grande terrine de grès, & la laisser dissoudre ; puis il la faut
agiter avec an pilon de bois, afin que l’eau pénètre jusque dans les moindres
parties, pour en tirer le sel : filtrez cette première liqueur, & reversez de la
nouvelle eau dessus jusqu’à ce qu’elle soit insipide : mettez toutes vos liqueurs
filtrées dans une cucurbite au sable ; couvrez-la de son chapiteau, & retirez
l’eau par distillation, jusqu’à ce qu’il se fasse une pellicule à la surface de la li-
queur ; placez la cucurbite en un lieu froid, quelque temps après avoir cessé le
feu ; séparez le lendemain le sel de la liqueur que vous sécherez en une écuelle
à la chaleur modérée des cendres, après que vous aurez couvert votre écuelle
d’un papier percé de plusieurs trous ; continuez la distillation de la liqueur qui
reste, & achevez de tirer & de sécher tout le sel, que vous réserverez dans une
fiole bien bouchée avec un bouchon de liège trempé dans de la cire fondue.

La dose de ce sel est depuis six grains jusqu’à une demi-drachme, dans des
bouillons, dans des apozèmes, ou dans quelque électuaire digestif & purgatif,
car il déterge, incise, atténue, mondifie & évacue doucement & bénignement les
glaires, viscosités & autres superfluités de la digestion, & rebouche & modifie le
ferment acide contre nature & trop exalté, qui tient son siège dans le ventricule,
qui est la source & la cause de plusieurs maladies.

§. 23. Pour faire le tartre dissoluble & purgatif.

Ceux qui se sont servis de la crème de tartre ou de ses cristaux, savent la


difficulté & même l’impossibilité qu’il y a de dissoudre ni l’un ni l’autre de ces
deux à froid, dans aucune liqueur potable, quoique réduits en poudre très
subtile : ils savent aussi qu’il faut que le bouillon ou l’eau, dans lesquels on les
donne, doivent être bouillants pour les dissoudre, & que dès aussitôt que ce
degré de chaleur est passé, alors le tartre tombe au fond du vaisseau, si bien
qu’il ne reste à la liqueur qu’une faible aigreur de ce remède. De sorte que
comme il est utile & même nécessaire pour l’entretien & pour le recouvrement
de la santé, j’ai cherché le moyen de le rendre dissoluble à froid par son propre
sel, & de le rendre d’un goût agréable, puisque l’acide de tartre change &
corrige le goût urineux, lixivial & mauvais de son alcali : ce qui se fait ainsi.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 341

Prenez deux livres de tartre de Montpellier bien purifié, mettez-le en poudre


très subtile ; ayez aussi deux livres de liqueur de sel de tartre, qu’on appelle im-
proprement huile de tartre par défaillance, mettez-la au sable dans une terrine
de grès, & l’échauffez jusqu’à ce que vous ne puissiez plus y souffrir le doigt ;
alors mettez votre tartre en poudre dans un petit tamis, & en faites tomber
environ une once à la fois par l’agitation dans la terrine, ce qui causera une
ébullition fermentative, par l’action de l’acide sur l’alcali, agitez doucement
avec une spatule de bois ; & lorsque le bruit est cessé & la dissolution faite,
continuez ainsi jusqu’à ce que vous ayez employé toute la pondre de tartre ;
donnez ensuite le feu doucement, & faites évaporer le superflu de l’humidité
jusqu’à sec.

Prenez le quart de ce qui vous reste, & le dissolvez dans de l’eau de pluie
distillée, douze parties contre une ; mettez digérer cette dissolution durant deux
jours naturels au bain-marie ; puis filtrez-la par le papier ou par la languette ;
évaporez cette liqueur à sec aux cendres à une chaleur modérée, & vous aurez
un tartre dissoluble & purgatif, qui est bon dans les cachexies, &
particulièrement, lorsqu’on se sert de mars ; car ce sel déterge, vide & emmène
avec soi, hors de l’estomac & des intestins, ce que l’acide contre nature avait
dissout de la substance du mars, qui donne cette teinture noire aux excréments,
que la plupart de ceux, qui ignorent la Chimie & ses mystères, attribuent à
l’évacuation de l’humeur mélancolique, qu’ils dépeignent de cette couleur.

La dose de ce tartre est depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme.

Il faudra distiller les trois quarts qui restent de ce sel, de la même manière que
nous avons dit ci-dessus, lorsque nous avons donné la façon de distiller l’esprit
de tartre vitriolique ; il y a seulement cette différence dans la rectification, qu’il
faut séparer l’huile & la dissoudre avec l’alcool de vin, ou d’esprit de vin très
pur, jusqu’à ce qu’elle lui soit intimement unie ; alors rectifiez l’esprit à part, &
en tirez jusqu’à ce que vous n’y trouviez plus le goût subtil & piquant qu’il
possède, que vous joindrez à la dissolution de l’huile, que vous rectifierez
ensemble & cohoberez tant de fois, que l’huile & l’esprit fassent un seul &
même corps.

Prenez cet esprit, qui a un goût aromatique & très subtil, pour le lieutenant de
l’esprit volatil du sel de tartre, & vous en servez confidemment à tous les maux
auxquels nous avons dit ci-devant, que l’esprit & la teinture de tartre étaient
propres. Mais assurez-vous que c’est un spécifique admirable contre les fièvres
intermittentes, de quelque qualité qu’elles soient. La dose est depuis cinq
jusqu’à vingt & trente goûtes.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 342

§. 24. De l’opium, qui est le suc condensé du pavot.

L’opium est une des principales pierre, d’achoppement de ceux, qui suivent la
pure Médecine Galénique, & qui n’ont pas voulu mettre le pied dans le
sanctuaire de la Chimie : or cette aversion ne peut venir que du manque de
connaissance des choses naturelles, & de l’expérience de leurs vertus, car, ut
ignoti nulla cupido, ita nec cura ; & comme il n’y a que la nature elle-même & la
Philosophie naturelle pratique, qui est la Chimie, qui puissent avoir fait
connaître, par le travail & par des expériences redoublées, que l’opium n’est pas
à craindre, soit cru, comme on l’apporte du Levant, soit préparé, selon les
préceptes de la Chimie ; il ne faut pas qu’on s’étonne si ceux qui se disent
Médecins, & qui néanmoins n’ont jamais été Physiciens, blâment tous les jours
ce qu’ils n’ont jamais connu, que par le discours & l’enseignement de quelque
Professeur, qui aura lu que l’opium ne valait rien, & que son usage était
condamné par Pline & par Galien : ce qui est une autorité trop authentique,
selon eux, pour être condamnée par des gens qui font une profession ouverte, &
comme un cas de conscience, de suivre aveuglément leurs Maîtres, & de jurer,
comme on dit, in verba Magistri.

Mais ce qui est encore beaucoup plus étonnant, c’est que ces gens-là veulent
être crûs comme une autorité souveraine, sans être obligés de prouver par les
effets, que ce qu’ils défendent, ne vaut rien ; & ce qui est encore pis, c’est qu’ils
se répandent en injures contre ceux qui ne sont pas de leur sentiment, quoique
ces derniers, anciens ou modernes, soient appuyés d’un vrai & solide
raisonnement, fondé sur l’expérience. Car ce ne doit pas être assez au
Philosophe chimique, de dire que l’opium, pour être corrigé & préparé de telle
sorte, puisse être pris intérieurement, puisque ce serait avouer tacitement, qu’il
est mauvais & dangereux de soi-même : au contraire, il faut que le vrai
Naturaliste cherche les choses jusque dans leur source, afin d’examiner si la
cause qui produit l’effet, qui est en controverse, est de soi mauvaise ou non. Or
tous ceux qui sont versés dans l’histoire des plantes, savent que le pavot qui
fournit l’opium, est une plante qui a été employée de tout temps en Médecine,
aussi bien que l’opium, comme cela se prouve sans contredît, par les sirops
qu’on en a faits, par la semence qu’on en a mise dans les émussions, & par
l’opium qui entre dans aucune préparation convenable, dans la composition
des plus remarquables électuaires de tous les dispensaires, d’où ils ont retenu le
nom d’opiates. Ce qui fait connaître que le pavot a été reçu de tout temps parmi
les remèdes, dont les meilleurs Praticiens se sont servis.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 343

Pour examiner ce point un peu plus à fond, je prie ceux qui sont désintéressés,
de considérer que le sirop de pavot blanc, celui des fleurs du pavot rouge, &
toutes les espèces de Diacodium, ne sont que des extraits ou des sucs du pavot,
qui sont mêlés avec du sucre pour les réduire en sirops, dont on se sert tous les
jours dans toutes les maladies, avec un heureux succès. Or lorsqu’on voudra
faire une réflexion judicieuse & sans aucune prévention suc l’opium, qui est le
Maslac des Turcs, ou sur le méconium ; on trouvera que ce que ces deux sucs
condensés ont de puissance & de vertu, ne leur vient que de la même source,
d’où les sirops & les diacodium les ont tirés. Car soit que l’eau tire la vertu des
têtes du pavot, qui contiennent sa semence imparfaite, & que cette vertu soit
concentrée dans le sirop : c’est aussi la même vertu, qui est extraite de ces têtes
de pavot par leur simple incision, d’où il coule des larmes, qui condensent peu
à peu, & qui forment ce suc épaissi & ferme, qui est le vrai opium ou le maslac
des Turcs, soit que l’expression tire aussi cette vertu du suc que l’on extrait des
feuilles & des têtes du pavot encore tendres, d’où vient le méconium ou l’opium
grossier. Il faut pourtant reconnaître, ou que tout pavot & ses préparations
doivent être bannies de la Médecine ; ou que si les décoctions, les sirops & les
diacodes demeurent dans l’usage, on n’en peut pas légitimement bannir
l’opium, ni même le méconium, puisqu’ils viennent d’une même plante, & que
ces sucs condensés & épaissis, n’ont en raccourci que ce que les remèdes susdits
contiennent dans une plus grande étendue de matière.

Nais si quelqu’un objectait, que la décoction & le sucre ne se chargent que de ce


qu’il y a de bon dans le pavot, & que le mauvais demeure dans ce qui reste, il
faut recourir à l’anatomie de la plante, pour répondre à cet argument, & dire
que cette plante est composée de parties grossières & de parties subtiles ; que
les grossières sont l’herbe & le suc qui s’en tire facilement & en quantité ; que ce
suc contient invisiblement en soi les parties subtiles, qui est un soufre extérieur
& matériel, qui est indivisiblement mêlé avec un autre soufre interne, & avec un
sel volatil mercuriel & sulfuré, qui sont tous deux enveloppés & renfermés dans
la masse grossière & tenace de ce qui constitue l’opium, qui a beaucoup de sel
grossier & de parties terrestres en soi, & principalement le méconium.

Or, comme le pavot n’est pas encore mûr ni bien digéré, lorsqu’on s’en sert
pour en faire les sirops, l’opium & le méconium, & qu’ainsi le soufre ne peut
encore être assez concentré dans la semence, pour empêcher qu’il ne soit
prédominé par le sel, qui est mêlé de telle manière, qu’il est encore embryonné,
pour être dissout & uni à l’eau qu’on y ajoute, pour la décoction ou par l’eau de
son propre suc : cela prouve très évidemment, que la même vertu qui est
diffuse dans la décoction, de laquelle on fait les sirops & toutes les sortes de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 344

diacodes, se trouve plus resserrée & plus unie dans le suc, qui sort
naturellement par les incisions des têtes de pavot qui fait l’opium, ou qui en est
extrait par l’expression, par laquelle on fait le méconium.

Nous n’avons avancé tout ceci, que pour montrer que c’est faire tort à la science
& à l’art, de vouloir employer avec autorité & avec éloge, les remèdes communs
qui se tirent du pavot, par des préparations grossières, & qui dégoûtent
ordinairement le malade, par leur quantité & par leur désagrément, & de
condamner avec opiniâtreté ceux que les Médecins Chimiques ont inventés ;
qui de plus ont séparé le pur de l’impur, & qui ont corrigé avec tant de
jugement & avec tant d’art, tons les défauts qu’on pourrait attribuer à l’opium :
outre qu’ils le font donner en très petite dose, ils l’ont aussi de plus tellement
changé de goût & d’odeur, que ceux qui le blâment, sans le connaître, seraient
fort empêchés de pouvoir jamais le reconnaître, s’ils n’en étaient avertis, ou s’ils
ne le soupçonnaient, à cause de quelque légère teinture de la Chimie qui le leur
aurait enseigné.

Mais pour autoriser encore mieux ce que nous avons dit, il faut joindre
l’expérience au raisonnement. Cette véritable pierre de touche nous fera voir
qu’il y a des Nations entières, qui se servent tous les jours, sans interruption, de
l’opium ou du maslac très pur, pour les plus aisés, & que le commun se sert du
méconium, & cela uns aucune préparation préalable & en une dose qui est
excessive, puisqu’ils en prennent depuis un demi-scrupule au moins, jusqu’à
une drachme entière, sans que cela leur nuise en aucune façon, & que ce suc
leur cause seulement un certain étourdissement, comme s’ils étaient ivres ; ce
qui a fait tourner le proverbe en reproche de dire ; Vous avez pris de l’opium ;
de même que si on disait ici : Vous êtes ivre.

Nous avons pour garants de ce que nous avons dit, les plus célèbres histoires de
ceux qui ont fait le voyage des Indes & du Levant, & surtout parmi les
Mahométans, qui croient, tous que l’opium augmente leur courage, qu’il les
rend plus hardis, & qu’il leur fait mépriser les périls. Les Indiens le prennent
pour empêcher que le chagrin & la tristesse ne les ronge, & même pour être
plus capables de contenter plus longtemps l’humeur luxurieuse des Indiennes.
Il est vrai que les mêmes Auteurs nous racontent, que si ceux qui n’y sont pas
habitués, en prennent d’abord autant, que ceux qui y sont accoutumés, cela est
capable, de leur apporter des accidents bien fâcheux & même la mort ; mais cela
ne doit pas être cause de la condamnation de l’opium, puisque le mal qu’on lui
impute, ne vient que de l’excès de ceux qui s’en servent, sans en avoir pris
l’habitude peu à peu ; comme si le vin serait mauvais, à cause qu’on en aurait

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 345

abusé, ou par la quantité, ou à cause qu’on n’y serait pas accoutumé. Ne


voyons-nous pas que le tabac en fumée, en masticatoire & en sternutatoire,
cause de très mauvais & très surprenants symptômes à tous ceux qui n’y sont
pas habitués, qu’il les étourdit, qu’il les fait vomir, & qu’il les met dans des
sueurs froides, comme s’ils étaient prêts à mourir ? néanmoins, lorsqu’ils ont
tourné cela en habitude, il s’en trouve qui sont tellement acharnés à cet usage,
qu’il leur est absolument impossible de s’en passer.

Voilà pourquoi il ne faut jamais juger des mauvais effets que l’excès des choses
produit, autrement il faudrait condamner les meilleures choses, qui sont
affectées & établies pour la conservation de notre vie, ce que prouve très bien
cet Axiome de Médecine qui dit, omniis repletio mala, panis vero pessima. C’est ce
que nous avions à dire pour l’opium, & pour ceux qui s’en servent tous les jours
très heureusement dans leur pratique, pour dompter les maladies, & pour en
corriger les plus fâcheux accidents.

Avant que de venir à la pratique, disons encore quelque chose, qui est très
considérable ; c’est que je crois avoir trouvé la raison, pourquoi l’opium ne fait
pas tant d’impression sur les peuples Orientaux, qu’il en serait à mon avis &
suivant mon raisonnement, sur les Européens. Qui est que les uns boivent du
vin ordinairement, ou quelque autre boisson fermentée, comme du cidre ou de
la bière, & que les autres n’en boivent point. Or les liqueurs fermentées exaltent
le soufre narcotique & soporifique de l’opium, & le charrient par le moyen de la
subtilité de leurs esprits, jusque dans les veines & dans les artères ; là il fait, ou
du moins il est capable de faire beaucoup de mauvaises impressions, lorsqu’il
est pris en trop grande dose, ou que même il n’est pas préparé avec toute
l’exactitude nécessaire.

Je conclus donc ce discours théorique de l’opium, par la protestation que je fais


d’en avoir donné de bien préparé, selon l’ordonnance des plus célèbres, des
plus doctes & des plus renommés Praticiens d’aujourd’hui, plus qu’aucun
Apothicaire de France, depuis plus de trente ans, sans que j’en ai jamais vu
arriver aucun mauvais accident : au contraire j’en ai vu tant d’effets admirables
& si louables, que je ne cesserai de ma vie de louer & de remercier ceux de qui je
tiens la connaissance de ce remède divin, duquel nous allons faire suivre la
préparation, telle que l’étude, le travail & l’expérience me l’ont donnée.

§. 25. Préparation simple de l’opium.

Je ne doute pas qu’il ne se trouve quelque Critique qui dira, que j’ai omis dans
le discours précédent, la dispute qui se fait ordinairement dans l’Ecole, entre

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 346

ceux qui soutiennent que l’opium est froid, à cause que les anciens l’ont crû de
la sorte ; & les autres qui affirment qu’il est chaud, parce que leurs sens &
l’expérience de ses effets les obligent à le croire de la sorte par les doux liens de
la vérité. Nous aurions agité cette question pour & contre, si nous ne faisions
point profession de la Philosophie Chimique, qui nous ordonne de nous arrêter
aux choses & non pas aux mots, & de ne pas juger de la vertu des choses, par les
divers degrés imaginaires de leurs qualités, mais de puiser la connaissance de
l’essence intérieure des mixtes de l’anatomie qu’on en peut faire ; c’est-là ce qui
donne une véritable lumière, c’est ce qui découvre le principe qui prédomine
dans les corps naturels, afin de puiser de là l’indication de leurs propriétés
particulières & des usages, auxquels elles doivent être appliquées.

Pour bien faire ce que nous venons de dire, il faut commencer par le choix de
l’opium ou du méconium : car ce serait dommage que l’artiste employât mal
son temps & ses matières ; c’est pourquoi il faut qu’il soit capable de discerner
le bon d’avec le mauvais, & le sophistiqué & adultéré d’avec le légitime : Nam
bonum a malo, salsum à vero discernere periti est artificis. Or, comme on ne peut
recouvrer que fort rarement & à grands frais le vrai maslac des Turcs, qui a une
odeur forte & ingrate, qui est de la couleur d’un jaune tirant sur le roux fauve
du poil du lion, qui est très amer, piquant & igné au palais & à la langue, si bien
qu’il semble l’enflammer, qui est ramassé & uni en un monceau, comme un
petit gâteau composé de plusieurs grains de diverses couleurs ; parce qu’en
recueillant les goûtes qui coulent des incisions, qu’on a faites aux têtes du
pavot, il s’y mêle toujours quelques grains de la semence avec la liqueur qui en
sort : il faut donc que nous donnions les marques de pouvoir au moins choisir
le meilleur & le plus pur de celui qu’on appelle méconium, qui se tire par
l’expression du suc des têtes du pavot contuses & broyées, ou encore par le
mélange du suc des feuilles du même pavot.

Il serait à souhaiter que ceux qui nous l’envoient, se contentassent de cette


grossière préparation, sans y ajouter d’autres sucs pour l’augmenter : car les
tourteaux d’opium qu’on tire de la Natolie, ne pèsent ordinairement que quatre
onces, ou une demi-livre tout au plus ; au lieu que ceux qui nous viennent
d’Alexandrie, d’Egypte, de Venise & de Marseille, pèsent toujours environ une
livre, ce qui fait connaître que ceux qui en font le trafic, l’augmentent de près de
moitié. Or on le sophistique de trois façons. La première, avec du suc à glaucium
; mais cette supercherie se reconnaît à la dissolution avec un peu d’eau, qui
devient aussitôt jaune comme de la teinture de safran. La seconde, avec du suc
d’endive & de laitue sauvage ; mais cela se connaît aussi, parce que lorsqu’on
casse ou qu’on coupe les tourteaux d’opium, ou de méconium, le dedans en est

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 347

plus rude & plus âpre, & qu’il a une odeur plus mêlée, plus obscure & plus
difficile à discerner. La troisième & dernière sophistication se fait avec de la
gomme, ce qui se découvre aussi facilement : car il en est plus cassant & plus
luisant ; & de plus il est le pire de tous, car il en a beaucoup moins de force & de
vertu. Ce qui fait connaître que les marques du vrai opium ne peuvent être
autres que celles que nous lui avons déjà données ; sinon que le méconium, qui
est celui qui nous est le plus commun, est plus compact & plus serré, plus noir
& plus fort en odeur ; mais il n’est ni si amer, ni si âcre & mordicant à la bouche,
à cause des autres parties du pavot qui ont été mêlées, qui ne sont pas encore
exaltées & cuites en sel volatil, comme le suc qui se tire de la tête seule, ou par
les incisions, ou par les expressions.

Lorsque l’artiste aura choisi de l’opium tel qu’il est obligé de l’avoir, il le
coupera par tranches très déliées, qu’il arrosera de vinaigre rosat dans une
poêle de fer, jusqu’à ce que l’opium soit réduit en bouillie avec le vinaigre, par
l’agitation qu’il fera avec une spatule de fer ; il faut après cela mettre la poêle
sur un très petit feu, & dessécher ainsi l’opium peu à peu, sans augmenter le feu
& sans le brûler, jusqu’à ce qu’il soit tout à fait sec ; en sorte qu’il ne soit plus en
masse, mais qu’il soit tout à fait réduit en poudre, & qu’il ne fume plus.

L’artiste fait par cette pure & simple opération deux choses, qui sont néanmoins
très considérables. La première, qu’il chasse par cette exhalaison lente &
modérée, & par l’agitation continuelle, le soufre extérieur, impur & indigeste de
l’opium ; soufre, qui cause tous les désordres qu’on en peut appréhender. Et la
seconde, qu’il corrige & qu’il fixe en quelque façon le sel volatil du même opium,
par le moyen de l’acide du vinaigre ; & que de plus, il change aussi son
amertume & son mauvais goût. L’Apothicaire Chimique gardera cet opium,
ainsi corrigé dans sa boutique, pour s’en servir à la composition de tous les
remèdes ordinaires, où cette drogue est requise, comme aussi pour en faire les
préparations plus exactes & plus philosophiques, selon la description que nous
en allons donner ci-après.

§. 26. Pour faire l’extrait d’opium simple.

Il faut mettre quatre onces d’opium préparé, comme nous venons de le dire, en
poudre très subtile, que vous mettrez dans un matras ; & vous verserez dessus
du très bon vinaigre distillé jusqu’à l’éminence de quatre doigts ; il faut bien
agiter les matières, & mettre le matras en digestion au sable ou aux cendres, afin
de faire l’extraction de la teinture de l’opium, qui se séparera de ses parties
grossières & terrestres, qui contiennent la plus grande portion de son soufre
impur & infect. Lorsque le vinaigre distillé sera bien empreint de la couleur
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 348

d’opium, il faut le retirer par inclination sans rien troubler, & en reverser du
nouveau ; agiter, extraire & continuer ainsi, jusqu à ce que l’esprit du vinaigre
en sorte de la même couleur qu’on l’y aura versé. Filtrez ces teintures, & mettez
à part ce qui restera dans le filtre, & le faites sécher pour en faire ce que nous
dirons incontinent : évaporez doucement au sable toutes les teintures, jusqu’en
consistance de miel cuit en un sirop épais, que vous conserverez : prenez alors
le reste de l’extraction de l’opium, faite par le vinaigre distillé, que vous aurez
desséché ; mettez-le dans un matras, & versez dessus de l’esprit de vin rectifié,
qui soie accué d’une drachme de sel de tartre de Sennert pour quatre onces
d’esprit, afin que ce menstrue ainsi animé, achève d’extraire le soufre interne de
l’opium, ce que l’esprit du vinaigre n’a pu faire, & qu’il fasse en même temps la
digestion de son immaturité, ou crudité fâcheuse ; continuez ces extractions au
bain-marie, jusqu’à ce que l’esprit ne se colore plus ; filtrez les teintures, &
retirez l’esprit de vin au même bain ( qui servira de nouveau à des opérations
semblables ) jusqu’en consistance de miel cuit ; alors vous joindrez les deux
extraits ensemble, & achèverez de les évaporer jusqu’à la véritable consistance
d’un extrait solide, qui se puisse former en pilules.

Ainsi vous aurez un corps d’extrait d’opium, qui est dépuré & corrigé, qui vous
servira pour faire tous les autres extraits d’opium qui sont composés, qu’on
nomme par excellence Laudanum, comme qui dirait un remède qui ne se peut
assez louer, & qui est même au-dessus de toutes les louanges, comme les beaux
& les admirables effets, qu’il produit tous les jours entre les mains des plus
habiles & des plus excellons Praticiens le démontrent. On peut même en
quelque façon donner déjà le nom de laudanum à cet extrait général de l’opium,
puisqu’il est la base & le fondement de tous les autres, & qu’on peut même s’en
servir sans aucun scrupule, ni sans aucun danger en beaucoup d’occurrences, &
principalement, lorsque l’Apothicaire Chimique ne sera pas encore fourni des
autres espèces de laudanum, qui; sont plus exaltées, & qui reçoivent d’autres
choses dans leur composition, à quelque maladie, ou au soulagement de
quelque partie en particulier.

Avant que d’attribuer aucune vertu à cet extrait d’opium ou laudanum simple,
il faut que nous prouvions qu’il n’est capable d’aucun des mauvais effets, que
les plus retenus & les moins hasardeux appréhendent de l’usage de l’opium.
Ces mauvais effets sont, à ce qu’on dit, que l’opium suspend & supprime
l’excrétion des excréments & des urines, qu’il engourdit & qu’il énerve les
membres, qu’il change le coloris naturel en une couleur plombée, qu’il excite
des sueurs froides, qu’il cause la courte haleine, & qu’il rend la respiration
difficile, qu’enfin il cause par succession de temps une aliénation des sens & de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 349

l’esprit, & qu’il assoupit & stupéfie toutes les facultés animales & vitales. Or
nous avons fait voir que des Nations entières se servent de l’opium tout cru &
sans aucune correction, sans que la plupart de ces accidents leur surviennent,
hormis l’étourdissement, dont ils sont aussi libres après l’effet, que le sont ceux
qui sont enivrés de bière, de vin, ou d’eau-de-vie. Ce qui fait voir que nous
pouvons dire, avec beaucoup plus de raison, que l’opium bien dépuré & bien
corrigé, comme nous l’avons enseigné, ne sera capable de produire aucun des
maux qu’on en appréhende, pourvu que ceux qui le prescriront aux sains & aux
malades, n’outrepassent pas la dose judicieuse, qui d’abord doit toujours être
petite, afin de n’être pas surpris par les accidents que le trop peut occasionner,
& que de plus on peut toujours y ajouter ; mais qu’on n’en peut rien diminuer,
lorsqu’il est une fois dans l’estomac. Cela soit dit en passant, sur les précautions
de la dose, qui doit être depuis un demi-grain, jusqu’à quatre & six grains.

Ajoutons à présent les excellences vertus de ce beau remède, qui sont


premièrement d’apaiser les irritations, les séditions, les mouvements violents, les
inquiétudes, les rages, la furie & la folie de l’archée, qui est le directeur principal
des esprits de la vie, & par conséquent de la santé & de la maladie ; en sorte
qu’il remet la paix & la concorde entre le moteur & les mouvements, si bien
qu’après avoir doucement apaisé les douleurs, il concilie un sommeil doux &
agréable, qui remet la nature en son entier, & qui rétablit les forces des pauvres
malades, qui sont faibles & langoureux, à cause de la douleur, des inquiétudes
& des veilles ; ce qui assurément fait au moins la moitié de la cure de la mala-
die, de quelque qualité qu’elle puisse être, car sommus réparas vires, fessaque
membra levat, ce qui fait conclure que Natura corroborata, est uranium morborum
medicatrix. Ce que je prouve par le texte même de Paracelse, au Livre septième
des Archidoxes, an Chapitre de l’anodin spécifique. Il y a plusieurs causes, dit-
il, qui nous ont aussi obligés de parler de cet anodin spécifique, parce que nous
avons traité certaine sorte de maladies, où tous nos arcanes nous ont
abandonnés, hormis le seul anodin spécifique, qui a produit les effets
miraculeux, que nous n’avons pas néanmoins admirés, parce que nous savons
que l’eau éteint le feu, & que l’anodin éteint les maladies de la même manière,
& cela pour plusieurs rairons que nous laissons à part. Car qui repose & qui
dort, ne pèche point même naturellement.

Si donc le paroxysme dort, on ne le sent pas ; s’il ne dort pas, son opération
s’achève & se fait sentir. Nous avons en ceci sujet de nous consoler, que le
dormir ôte & fait passer beaucoup d’ennui, de chagrin & de mélancolie. Mais il
faut remarquer en ce lieu, qu’il n’est pas nécessaire que ce soit l’homme qui
dorme, mais il faut que ce soit la maladie même. C’est pourquoi nous

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 350

composons un spécifique qui combat contre la maladie seule, & non pas contre
l’homme tout entier, comme cela s’entend des fièvres, où il est besoin de s’en
servir. Car y a-t-il des choses qui soient nuisibles à l’homme entier, & qui soient
divisibles dans l’homme malade. Ce qui fait que nous attaquons la maladie, &
que nous préparons le spécifique de telle façon, qu’il ne puisse faire aucune
opération sur le corps. Voilà les mots de ce grand & admirable Théophraste, qui
donne ensuite la préparation du laudanum qui suit.

§. 27. Laudanum, ou spécifique anodin de Paracelse.

Prenez de l’opium corrigé une once, du jus d’oranges aigres & de celui de
coings, qui soient bien dépurés, de chacun six onces ; de la cannelle & du
girofle, de chacun une demi-once : mettez le tout en poudre, & les mêlez
ensemble dans un vaisseau de rencontre, & digérez au soleil ou au fumier de
cheval l’espace d’un mois : cela fait, pressez les espèces, & remettez la liqueur
dans le vaisseau circulatoire, à laquelle vous ajourerez un demi-scrupule de
musc, quatre scrupules d’ambre gris, une demi-once de safran, une demi-
drachme de sel de corail & autant de celui de perles : remettez encore le tout en
digestion à la même chaleur durant un mois ; ensuite de quoi ouvrez le
vaisseau, pressez le tout & le réduisez en extrait liquide, auquel vous ajouterez
sur la fin un scrupule & demi de quintessence d’or ou de sol ; achevez
l’évaporation & l’exsiccation de l’extrait en une masse dont on puisse former
des pilules, dont la dose est depuis un demi-grain jusqu’à trois & quatre grains,
ce qui est, ajoute-t-il, le vrai spécifique anodin, qui ôte & qui apaise toutes sortes
de douleurs intérieures & extérieures, en sorte qu’aucun des membres n’en est
plus en aucune façon tourmenté.

Vous voyez que Paracelse se sert de liqueurs acides, pour la dissolution & pour
la digestion de l’opium, qui est la base de ce remède admirable, auquel il avait
recours dans les plus urgentes & les plus difficiles maladies. Je ne peux
m’empêcher de mettre encore ici ce qu’il dit à la louange des anodins & des
somnifères en général, lorsqu’il parle dd soufre embryonné au premier Livre
des choses naturelles. Que l’arcane le Médecin doit-il plus ardemment soulager,
que celui qui peut apaiser toutes les douleurs & éteindre toutes les ardeurs ?
Car celui qui en jouira, ne possède pas moins de science, qu’Apollon, que
Machaon & Podalyre. C’est une façon de parler dont il se sert, pour élever
jusqu’aux nues les louanges des remèdes somnifères & anodins.

Quoique le laudanum précédent soit propre & convenable à l’homme & à la


femme indifféremment, il est cependant nécessaire de donner une description
d’un laudanum hystérique pour les femmes, qui sont sujettes au mal de mère,
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 351

& qui soit privé du musc principalement : car l’ambre gris ne leur est bien
contraire, ni nuisible, si le musc on la civette ne l’accompagne, quoiqu’il y en ait
plusieurs qui soient persuadés du contraire. Ce laudanum se fait ainsi.

§. 28. Laudanum hystérique, ou pour les femmes.

Prenez deux onces de karabé blanc ou d’ambre blanc, celui dont on fait les
chapelets, une demi-once de myrrhe très fine, deux drachmes de safran, une
drachme de la substance interne & dissoluble du castor ; mettez le tout en
poudre, & en faites l’extraction à la chaleur du bain-marie, dans un vaisseau
circulatoire avec de l’esprit de vin alcalisé ; & continuez d’extraire avec de
nouveau menstrue, jusqu’à ce que vos espèces demeurent sans aucune couleur,
filtrez toutes les teintures, & en retirez l’esprit à la vapeur du bain, jusqu’à
consistance de sirop ; vous le circulerez l’espace de quinze jours avec deux
onces d’esprit de vertus, tiré de la manière que nous l’enseignerons, lorsque
nous traiterons des métaux : retirez l’esprit aux cendres ; puis joignez à ce qui
reste une once d’extrait d’opium simple, qui ait été dissout dans trois onces de
suc d’oranges bien dépuré ; mettez évaporer aux cendres à un feu fort lent,
jusqu’à ce que le tout soit réduit en un extrait solide, qui puisse être manié &
formé en pilules ; il faut garder la masse de toutes les sortes de laudanum dans
de la vessie, qui ait été ointe d’huile ou d’essences aromatiques, comme de
celles de girofles, de cannelle & de muscade, pour le laudanum simple & pour
celui de Paracelse ; & avec celles de succin ou de pouillot royal, pour le
laudanum hystérique, & mettre la masse ainsi enveloppée dans une boite
d’étain ou d’argent.

On peut donner librement de ce laudanum aux femmes & aux filles, sans
craindre aucune irritation de la matrice : au contraire, ce remède corrigera tout
ce qu’il y aura de mauvais & d’impur dans cette partie ; il est aussi spécifique
en l’un & en l’autre sexe, contre toutes les maladies du cerveau, de quelque
cause qu’elles proviennent : mais principalement, il est très recommandable
pour ôter les idées maladives & malignes des épileptiques, & principalement
pour empêcher les accidents de l’épilepsie, qui est occasionnée par les
météorismes de la matrice ; & que personne n’appréhende aucunement que ce
médicament retienne les purgations lunaires, ou qu’il suspende les vidanges
des femmes qui sont en couche : au contraire, il ne manquera jamais de les faire
suivre, après qu’il aura remis les fonctions naturelles en leur devoir, par le
repos qu’il aura procuré, après avoir apaisé les douleurs & avoir aussi concilié
le sommeil. Mais ce qui est ici de plus surprenant & de moins concevable, c’est
que cet extrait arrête aussi sans aucun danger le flux immodéré des femmes,

351
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 352

sans aucune peine, parce que s’il provient de quelques sérosités acres & ma-
lignes, ce qui le compose, les adoucit & les tempère de telle sorte, que ce remède
ne manque jamais de satisfaire l’espérance du Médecin & de soulager le
malade. Il est aussi merveilleux dans routes les autres hémorragies, de quelque
cause interne ou externe qu’elles proviennent, comme j’en suis témoin oculaire
en diverses rencontres. La dose est depuis un grain jusqu’à quatre au plus ;
mais il faut noter qu’il agira mieux & plus vite dissout, qu’en pilules.

§. 29. Laudanum, contre la dysenterie & contre toutes les espèces de flux de ventre
immodérés, & contre les fièvres.

Prenez des racines d’asclépias, de contrayerva, d’impératoire, d’angélique, de


carline, de scorsonère qui ait été séchée à l’ombre, de zédoaire, de bistorte & de
tormentille, de chacune deux drachmes, de la chair de vipères, trois drachmes,
du sang de dragon très fin ou en larmes, une drachme & demie ; du camphre,
une drachme ; de l’écorce de quinquina & du gui de chêne, de chacun une
demie once : mettez le tout en poudre, que vous digérerez au bain-marie dans
un vaisseau de rencontre avec de l’alcool de vin, tant qu’il surnage de quatre
doigts. Lorsque l’esprit sera bien teint, versez-le par inclination & en remettez
du nouveau, & continuez ainsi les extractions, jusqu’à ce que toute la teinture &
la vertu des espèces soient extraites ; pressez-les ensuite & filtrez les teintures,
auxquelles vous ajouterez une once d’extrait d’opium simple, une drachme
d’extrait de safran, quatre scrupules de magistère dissoluble de corail rouge,
autant de celui de perles, & une demi-drachme de très bon Ambre gris, dissout
avec deux scrupules d’huile de macis faite par expression, qui auront été unies
ensemble, à une drachme de sucre fin en poudre très subtile : mettez le tout
dans une cucurbite à la vapeur du bain, le chapiteau mis & les jointures bien
exactement lutées : on donnera le feu modérément, afin d’en retirer un esprit
sudorifique, cardiaque & alexitères, qui n’a presque point son pareil : réduisez
peu à peu le tout en une masse, que vous garderez au besoin dans la vessie
ointe d’huile de girofles.

Ce laudanum est un trésor pour ceux qui le posséderont dans les lieux où la
dysenterie, la lientérie, & les flux de ventre malins régneront, comme cela se
voit ordinairement dans les armées. De plus, c’est un souverain cordial &
alexitères dans toutes les fièvres malignes, aussi bien dans les intermittentes,
que dans les continues, dans les veilles immodérées, dans les douleurs & dans
les picotements importuns & lassants du tenesme. Il ne faut pas que ceux qui
emploieront ce digne remède, craignent de s’en servir avant la purgation, de
peur, comme on dit, d’enfermer le loup dans la bergerie ; parce qu’il faut

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 353

toujours avoir plus d’égard au soulagement des douleurs & au repos du


malade, qu’à la malignité de ce qui pèche en qualité ou en quantité, vu même
qu’après cela le patient souffre beaucoup plus gaiement la purgation, à cause
qu’il a reposé, & que ses forces sont augmentées. Ce laudanum produit aussi de
merveilleux effets dans toutes les coliques universellement, & particulièrement
dans celle qu’on appelle Convolvulus, qui n’est rien autre chose qu’un
mouvement des intestins, qui se fait contre nature de bas en haut, au lieu que le
mouvement naturel, qu’on appelle péristaltique ou consécutif, se fait de haut en
bas ; & comme cela n’est occasionné que par l’irritation des esprits ou par la
malignité des matières retenues, ce remède remédie à l’un & à l’autre en même
temps, quoique cela passe pour incroyable dans l’esprit de ceux qui
condamnent cette pratique : Sed canes allatrant lunae, nec luna movetur. Il est aussi
très utile & très excellent dans toutes les fièvres, parce qu’il les fait critiquer par
la sueur & par les urines ensuite du repos, & que de plus, il fortifie le ventricule
& sa faculté digestive, qui est toujours dépravée dans les fièvres, &
principalement dans les lièvres tierces, doubles tierces, quartes & doubles
quartes, qui durent ordinairement trop longtemps pour les pauvres malades, ce
qui les jette le plus souvent d’un gouffre en l’autre, c’est-à-dire, de la fièvre dans
l’hydropisie.

La dose est depuis un grain jusqu’à quatre, avec cette remarque de faire
toujours précéder un lavement simple avec de l’urine nouvellement rendue, à
ceux à qui on en donnera qui auront la fièvre, & d’éviter aussi de le donner le
jour du paroxysme ou de l’accès, sinon dans les fièvres continues & dans toutes
les fièvres malignes : il y a néanmoins cette réserve, qu’il faudra anticiper les
redoublements, s’il en arrive tous les jours.

§. 30. De l’élatérium ou suc des concombres sauvages, qui est condensé.

L’élatérium est un suc très amer, qui se tire du fruit du concombre sauvage,
avant qu’il se soit crevé, & qu’il ait jeté sa semence, qui est proprement dire, un
peu avant qu’elle soit mûre ; ce suc ensuite a été évaporé & condensé en un
extrait grossier, qu’on dit être celui de tous ces sucs, qui se conserve le plus
longtemps avec son goût & sa vertu : car il y en a qui croient qu’il dure plus de
cent ans, avant que de perdre aucune de ses facultés. Ce que nous avons dit de
l’immaturité de l’opium, doit faire conjecturer que ce suc ne manque pas
d’avoir aussi ses défauts, puisqu’il est tiré d’un fruit qui n’était pas encore
arrive à sa perfection, & qu’ainsi il est nécessaire de le corriger, si on le veut
rendre capable de produire quelque effet non nuisible par sa vertu purgative,
qui est très violente, jusque-là qu’elle est capable de perdre le fœtus mais comme

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 354

cette violence & son immaturité peuvent être corrigées, & que c’est un remède
qui est capable de produire beaucoup de bons effets, pour évacuer les sérosités
véroliques, & pour vider les eaux des hydropiques ; nous avons jugé nécessaire
de donner premièrement le moyen de purifier ce suc condensé ; puis en second
lieu, d’enseigner comment on en pourra faire un extrait légitime, dont on
pourra se servir sans aucun danger dans plusieurs maladies opiniâtres ; parce
que ce remède a en soi un sel volatil très abondant, & un soufre, qui le
conservent sans aucune corruption, & qui lui communiquent la vertu
colliquative & purgative.

§. 31. La dépuration de l’élatérium.

Il faut que l’artiste dissolve autant qu’il voudra de ce suc dans une quantité
suffisante de phlegme de vitriol, qui soit rendu aigrelet avec une portion de son
esprit acide, puis les digérer ensemble à la chaleur du bain, durant le temps de
six semaines, & lorsque ce temps sera expiré, il faut presser & couler la
dissolution & la filtrer, pour en séparer toutes les grossièretés & toutes les
hétérogénéités. Faites évaporer ensuite la filtration aux cendres à un feu
modéré, jusqu’en consistance d’un extraie, qui sera l’élatérium dépuré & en
partie corrigé, à cause de l’acide du vitriol, qui aura émoussé la vertu trop
active de l’élatérium, qui est déjà capable d’entrer dans les pilules qu’on
donnera pour la vérole, pourvu que les corps qu’on voudra purger soient bien
robustes, & que l’on joigne quelques drogues aromatiques, qui empêcheront
qu’il ne nuise à l’estomac & aux parties voisines. La dose est depuis un grain
jusqu’à six ; mais il faut travailler d’une autre façon, plus capable d’agir sur le
soufre de ce suc, & sur son sel terrestre & indigeste, afin de le mûrir, & de
rendre ce médicament utile à ceux qui en auront besoin : ce qui se fait de la
manière suivante.

§. 32. Comment il faut faire l’extrait de l’élatérium.

Il faut pour cet effet mettre autant qu’on voudra de l’élatérium dépuré dans un
vaisseau de rencontre, & verser de l’esprit de vin très pur, qui soit accué d’un
scrupule de sel de Sennert, pour chaque once d’esprit, jusqu’au milieu du
vaisseau, qu’il faut luter avec exactitude, & le placer au bain vaporeux dans de
la sciure de bois à une chaleur modérée, durant trois semaines entières. Ce
temps expiré, l’artiste doit ouvrir le vaisseau & filtrer la teinture, à laquelle il
faut joindre un scrupule de magistère dissoluble de corail, & un demi-scrupule
d’huile de noix muscade exprimée, broyée avec du sucre en poudre, pour
chaque once d’élatérium ; puis retirer l’esprit au bain vaporeux, jusqu’en
consistance d’un extrait mou, qu’il faut après cela mettre dans une écuelle de
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 355

grès ou de faïence, & l’évaporer aux cendres lentement en une masse, dont on
puisse faire des pilules, qu’on doit garder dans une vessie ointe d’huile de
girofles.

Cet extrait est un grand remède pour évacuer toutes les sérosités superflues &
malignes, qui infectent les parties nerveuses & membraneuses : c’est pourquoi,
on le donnera avec succès dans toutes les maladies des jointures, dans les
atrophies, la leucophlegmatie, les goûtes, la vérole, l’hydropisie & toutes autres
affections semblables ; mais principalement, lorsqu’on y mêle quelque bon
arcane, qui soit tiré du mercure, ainsi que nous l’enseignerons ci-après. La dose
est depuis deux grains jusqu’a douze, à condition que le malade prendra le soir
du jour de la purgation un julep, avec quatre onces d’eau du suc de chicorée,
une once & demie de sirop d’œillets, & cinq ou six gouttes de très bon esprit
volatil de Vénus.

SECTION NEUVIEME.

§. 1. De l’Huile.

Les Médecins qui ont écrit de la Pharmacie, se sont toujours servis du simple
mot d’huile, ou de celui d’huile commune, lorsqu’ils ont parlé de l’huile qui se
tire des olives par expression : ce nom lui appartient légitimement, parce qu’elle
n’est pas seulement d’un très grand usage dans la Médecine, pour l’extérieur,
mais aussi à cause qu’elle sert d’aliment & de remède, pour l’intérieur. Or
comme cette Section est destinée à traiter de l’huile, nous n’en choisirons pas
d’autre, que celle que les Anciens & les Modernes ont mise en usage. Et comme
la Chimie ne travaille sur des produits naturels, que pour corriger leurs défauts
& pour les exalter en vertu : aussi n’aurons-nous aucune autre chose à faire ici
sur l’huile, sinon d’en séparer quelque humidité grossière & indigeste, qui
empêche sa pénétration, & de la rendre plus subtile & plus active : car l’huile
d’olives n’est à proprement parler, que le soufre imparfait & indigeste de ce
fruit, qui participe de beaucoup de sel volatil mêlé d’une viscosité lente, comme
le témoigne sa congélation, sa gruméfaction au froid, & son inflammation.

Nous n’en ferons donc que deux préparations, qui serviront de type pour
travailler sur toutes les autres sortes d’huiles, lorsque l’artiste les voudra rendre
plus pures, plus pénétrantes & plus subtiles. La première sera l’opération qui
produit l’huile, qu’on appelle des Philosophes, & cette dénomination convient
bien à cette opération : car il faut avouer que celui qui l’a inventée, a été imbu
de la belle Philosophie, puisqu’il a joint la pratique à la théorie, & qu’il nous a
laissé pour marque de son étude & de son travail, la façon de faire une huile qui

355
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 356

est admirable pour sa vertu. La seconde opération, ce sera la distillation de


l’huile commune, afin de la rendre plus durable & moins fuligineuse, afin
qu’elle serve aux lampes que les Chimistes emploient pour donner la chaleur au
four à lampe, & même pour s’en servir en diverses occasions, où elle peut être
utile pour les maux du dedans & pour ceux du dehors.

§. 2. Comment il faut faire l’huile des Philosophes.

Il faut prendre des vieilles tuiles ou des vieilles briques & les rompre par
morceaux, de la grosseur d’une petite noix, & les mettre en un creuset dans le
four à vent avec du charbon, stratum super stratum, ou lit sur lit, en sorte
néanmoins que le premier & le dernier lit soient de charbon, auquel il faut
mettre le feu, & faire ainsi rougir les morceaux de brique ; & lorsqu’ils seront
tellement rouges, qu’on ne les pourra plus distinguer d’avec la braise, il faut
avoir cinq ou six livres de vieille huile d’olive qui soit claire, & la mettre dans
un bassin de cuivre ou d’étain, qui ait un couvercle qui soit juste, pour le fermer
& éteindre la flamme, lorsqu’on y mettra les morceaux de tuile ou de brique
rougis au feu ; il faut donc ensuite prendre les morceaux avec des molettes hors
du feu, & les éteindre les uns après les autres dans l’huile, & continuer ainsi
jusqu’à ce que toute l’huile soit absorbée. Après cela, il faut mettre ces
morceaux imbus de l’huile, en poudre, & y mêler leurs poids égal de sel
décrépite, ou autant de la tête morte de l’eau forte, ou de colcotar ; il faut mettre
la matière dans une cornue de verre qui soit lutée, la placer au fourneau de
réverbère clos, lui adapter un ample récipient qui soit bien luté, couvrir le
fourneau, puis donner le feu graduellement, jusqu’à ce que les gouttes
commencent à suivre les unes après les autres, & que l’huile pousse en vapeurs
& en nuages obscurs dans le récipient. Alors il faut augmenter le feu, & le
continuer même avec la flamme d’un bois qui soit bien sec, jusqu’à ce que le
récipient devienne clair de soi-même, il faut alors cesser le feu & laisser
refroidir le tout ; & lorsque les vaisseaux seront ouverts, on reconnaîtra que ce
qui était presque inodore & insipide, a bien changé de nature : car le sel volatil
de l’huile est tellement exalté & changé, qu’à peine peut-on souffrir le nez sur le
récipient, à cause de la subtilité des esprits de ce sel, & cette huile distillée a
acquis une odeur qui n’est nullement agréable.

On peut mettre à part la moitié de l’huile distillée, sans la rectifier ; car elle
pourra servir en beaucoup de rencontres, où il n’est pas nécessaire qu’elle soit si
subtile. Prenez ensuite l’autre moitié, & la mêlez avec des cendres du foyer &
du colcotar, jusqu’à ce que le tout soit réduit en une pâte, dont vous formerez
des boulettes, & les mettrez dans une cornue de verre, de laquelle il faut bien

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 357

nettoyer le col en dedans, & la placer au sable avec son récipient, puis donner le
feu par degrés, & continuer jusqu’à ce que vous ayez retiré toute l’huile qui sera
très subtile & fluide, & qui pénétrera avec une activité admirable. Ces deux
huiles sont bonnes pour être employées au-dehors ; mais si on désire s’en servir
intérieurement, il faut que l’artiste prenne une demie livre de l’huile rectifiée, &
qu’il la mêle avec autant de sel de tartre, & avec deux livres de vin blanc, qu’il
mette tout ce mélange dans une basse cucurbite, dont le chapiteau joigne juste,
& qu’il soit bien exactement luté, & qu’il donne le feu jusqu’à ce que les vapeurs
s’élèvent, qui seront mêlées d’huile, d’eau & d’esprit ; il faut continuer le feu
jusqu’à ce qu’il ne monte plus aucune portion d’huile : on doit séparer l’huile
qui restera dans la cucurbite, & la joindre à celle de la première distillation, qui
n’a pas été rectifiée : ainsi vous aurez la véritable huile qu’on appelle des
Philosophes, & qui mérité bien ce nom, lorsqu’elle est réduite à ce haut point de
subtilité, à cause des rares & des beaux effets qu’elle produit, tant au-dedans
qu’au-dehors.

La première huile qui a été tirée, & qui n’a point été rectifiée, dissout, digère,
mûrit & amollit toutes les duretés schirreuses, & principalement celles qui sont
indolentes : elle résout puissamment les œdèmes flatueux & froids, & toutes les
autres tumeurs dures & froides, en quelque partie du corps qu’elles puissent
être situées, & particulièrement celles qui sont vers les jointures, dont elles
empêchent les actions. La seconde qui a été rectifiée, est aussi très utile à tout ce
que dessus ; car elle digère beaucoup plus promptement : surtout elle fait
merveille pour dissiper les tophes & les schirres, ou les nodosités des goûtes
froides, si on la mêle avec un peu d’esprit de sel & avec de l’esprit de vin très
subtil ; ce mélange est aussi très salutaire à ceux qui ont quelque membre
atrophié ou paralytique : car il s’insinue dans les parties, & consume les glaires
qui empêchaient l’illustration des esprits dans la partie, par leurs obstructions ;
ou bien, ils raniment la vie & les esprits dans la partie, lorsqu’elle en est privée
& comme demi-morte.

Mais il n’y a point de comparaison de la première, ni de la seconde avec la


troisième ; car elle est si subtile, qu’elle pénètre en un instant comme la lumière
: c’est pourquoi il faut que ceux qui s’en serviront, agissent avec jugement &
avec proportion, car si on la donne intérieurement contre la peste & contre les
coliques venteuses, il ne faut pas outrepasser huit goûtes au plus, & la donner
contre la peste dans de l’eau distillée, avec du vin blanc des racines de petasites,
& contre la colique dans celle de sassafras. Il faut aussi user de précaution,
lorsqu’on s’en servira extérieurement : car si on s’en sert aux goûtes froides, il y
faut dissoudre du camphre, & ne l’appliquer sur la partie qu’avec une plume, &

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 358

ne la passer que trois fois au plus en un même endroit : ce n’est pas néanmoins
encore son plus excellent usage ; car il semble que cette huile soit
particulièrement dédiée à la matrice, dont elle apaise les irritations, si on la
donne intérieurement dans de l’eau de sabine ou de matricaire : elle en ôte aussi
toutes les obstructions & en chasse toutes les ordures, si on en introduit dans
son orifice, où elle se volatilise aussitôt, & cause l’ouverture de l’utérus, pour en
faire sortir ce qui est nuisible. On peut aussi la faire pénétrer jusque dans le
corps de la matrice, avec un instrument qui ait une boule au-bas qui se monte à
vis, avec un canal proportionné au col de la matrice, qui soit bien rond par le
bout, & qui soit percé de plusieurs petits trous ; afin que lorsque cette huile
subtile se volatilisera par l’action de la chaleur, que la matrice en reçoive la
vapeur, qui en corrigera tous les défauts : c’en est assez pour les personnes de
l’art ; car il n’est pas nécessaire ni même permis d’en dire davantage.
J’achèverai en disant, que cette huile mûrit en très peu de temps, les abcès, &
surtout le bubon pestilentiel, si on l’applique dessus en même temps qu’on en
aura donné intérieurement au malade, & qu’on l’aura couvert pour provoquer
la sueur.

§. 3. La défécation de l’huile.

Il faut mêler huit livres d’huile qui soit bien claire, avec deux livres de sel de
tartre dans une cornue de verre, qu’il faut placer au sable, & la distiller
lentement à une chaleur graduée, jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien : alors il
faut retirer le sel de la cornue avec de l’eau chaude, le filtrer & l’évaporer
jusqu’à sec, puis le faire rougir dans un creuset ; & lorsqu’il sera presque
refroidi, il faut le mettre en poudre dans un mortier chaud, & le mêler derechef
dans la cornue avec l’huile, qui aura été déjà distillée, & réitérer au sable comme
auparavant : ce qu’il faudra faire encore pour la troisième fois, afin d’avoir une
huile subtile qui dure beaucoup à la lampe, qui ne s’éteint point, pourvu qu’on
ait soin des mèches, & qui ne pousse pas une fumée si grossière, ni si noire, &
par conséquent qui ne fait pas tant de suie : mais elle n’est pas seulement
propre à cela, elle est de plus très bonne pour résoudre & pour amollir comme
la précédente ; c’est pourquoi on la pourra en quelque façon substituer,
lorsqu’on en aura besoin pour les maux externes, lorsqu’on traitera quelques
personnes délicates, qui ne pourront pas souffrir l’odeur ingrate de l’huile des
Philosophes ; mais elle n’est pas si pénétrante ni si efficace : on peut aussi s’en
servir pour la cuite des emplâtres & des onguents, à cause qu’elle ne participe
plus de cette humidité excrémenteuse, qui cause ordinairement de la pourriture
& de la colliquation dans les plaies & dans les ulcères.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 359

SECTION DIXIÈME.

§. 1. Des larmes ou des résines.

Les larmes ou les résines, sont des substances qui proviennent des végétaux,
qui sont grasses & oléagineuses, & qui en sortent d’elles-mêmes, ou après
qu’ont fait quelque incision à la plante : elles sont de consistance différente : car
il y en a qui sont molles & les autres sont dures. Les molles sont toutes les
espèces de térébenthine & la poix liquide. Les dures sont l’élémi, l’animé, le
tacamaca, l’oliban & toutes les autres pareilles. Nous donnerons deux exemples
de la distillation, l’un d’une résine liquide, & l’autre d’une résine solide, qui
seront la térébenthine commune & celle de Venise, & la résine élémi, afin que le
travail que nous ferons là-dessus serve d’instruction pour opérer sur le reste.

§. 2. La distillation de la térébenthine commune.

Nous prenons plutôt la térébenthine commune qu’une autre qui serait plus
subtile, parce qu’elle est en quelque façon plus naturelle, & qu’elle possède plus
amplement les parties mercurielles & balsamiques que les autres espèces. C’est
celle que Paracelse appelle resina de botin ; & quoiqu’il y en ait qui croient
qu’elle est inférieure, & moindre en vertu que celle de Chypre ou de Venise,
nous ne sommes pourtant pas de ce sentiment. Car quoique les autres soient
plus nettes, & plus claires, celle-ci toutefois a quelque sel volatil mercuriel, qui
ne se trouve pas si abondamment dans les autres : il faut donc y procéder de la
sorte.

Il faut mettre six livres de térébenthine commune, qui est celle du larix, dans
une grande & ample retorte de verre, qui ne soit occupée de la matière, que
jusqu’au tiers de la capacité, ou un peu plus, à cause que la chaleur fait élever la
térébenthine, & qu’ainsi elle sortirait en corps par le col de la cornue, au lieu de
s’élever simplement en vapeurs ; mais pour éviter cela, il faut mettre dans le
vide de la cornue au-dessus de la térébenthine une bonne poignée de filasse,
afin qu’elle empêche l’ébullition & l’élévation de la matière, placez la cornue au
sable, & lui adaptez un récipient qu’on lutera avec du papier & de la colle faite
avec de la farine ; donnez d’abord le feu lentement, jusqu’à ce que les gouttes
de l’esprit acide & mercuriel commencent à tomber ; il le faut entretenir de la
sorte, tant que l’artiste aperçoive que l’huile éthérée & subtile commence aussi à
dégoutter, & à paraître en une petite vapeur nuageuse & blanche, qui se
condense en une huile subtile dans le récipient : alors il faut augmenter le feu
peu à peu, jusqu’à la cessation des gouttes & du nuage blanc, ce qui est un signe
que l’huile jaune commencera bientôt ; alors changez de récipient, afin d’avoir

359
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 360

toutes ces substances séparément : continuez le feu en augmentant, jusqu’à ce


que les gouttes qui tombent, commencent à être d’un jaune foncé, ce qui
témoigne qu’il faut encore changer de récipient ; & alors vous donnerez le
dernier degré du feu, afin de faire passer tout le corps de la térébenthine en
vapeur, qui se condenseront en une huile balsamique, qui sera un peu lente &
rouge comme du sang.

Ainsi vous aurez fait passer toute la substance de cette résine en quatre liqueurs
différentes, non seulement en couleur, mais aussi en vertu ; car il y a la liqueur
aqueuse qui se trouve au-dessous de l’huile éthérée & subtile, qu’on appelle
ordinairement esprit de térébenthine ; mais c’est improprement : car les
Chimistes n’appellent jamais esprit, ce qui est gras, onctueux & inflammable :
cet esprit n’est proprement que le sel volatil & mercuriel do h térébenthine, car
il est acide ; c’est un dissolvant philosophique des cristaux, des pierres & des
coquillages selon quelques-uns : mais comme il y en a beaucoup d’autres qui le
surpassent en dignité & en vertu pour cet effet, nous ne sommes pas de ce
sentiment. Mais nous pouvons dire avec vérité, que cet esprit est pourtant en
quelque façon estimable, à cause de son astriction balsamique, qui ne nuit point
aux parties nerveuses & membraneuses, comme sont tous les autres acides, qui
ne participent point de cette vertu balsamique : car, quoique les Dogmatiques
prétendent corriger la térébenthine avec leur prétendue lotion, ils en ôtent
pourtant ce qu’elle a de meilleur & de plus énergique, pour déterger & pour
mondifier. Comme l’huile éthérée & subtile, que la térébenthine contient en soi,
lenit & adoucit par sa qualité balsamique, ce sel subtil & détersif agit aussi en
même temps, parce qu’il déterge & mondifie puissamment, & qu’il sert comme
de précurseur à l’autre, qui lenit & qui tempère ce que le premier avait comme
presque irrité. De-là l’artiste doit conclure que cet esprit est bon, pour nettoyer
les viscosités, les impuretés & les autres mauvaises dispositions des reins, des
uretères, des vaisseaux spermatiques, des prostates & des parastates, lorsqu’il
s’est fait quelque irritation & quelque vilenie, qui s’est logée dans la sinuosité
de ces parties, qui ne peuvent être ni ôtées, ni corrigées que par le moyen des
remèdes mondifiants & balsamiques, qui soient capables de garder & de
conserver leur verni sans aucune altération, afin de la pouvoir charrier avec eux
jusque dans les parties qui ont besoin de leur secours.

II faut faire une remarque générale, qui est de grande importance pour la
Médecine, qui doit prendre indication de l’effet des remèdes, & principalement
de ceux qui sont employés pour les reins & pour la, vessie : car tous les
médicaments qui sont doués d’un sel sulfuré, volatil & balsamique, conservent
leur vertu inviolable dans la digestion même, & la poussent jusque dans les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 361

parties malades, ainsi que l’odeur de l’urine le témoigne, ce que fait aussi sa
couleur ; ce qui prouve évidemment qu’il ne s’est fait aucune mauvaise
altération ; mais au contraire, que le remède est demeuré vainqueur, puisqu’il a
passé par tant de lieux, sans avoir été corrompu, & qu’au lien de cela, il s’est
perfectionné par l’action de la chaleur interne. Car l’urine de ceux qui ont pris
de la térébenthine ou de son huile éthérée, sent la violette ou l’iris, & pour une
preuve plus convaincante, il faut qu’on sache que ce n’est pas la térébenthine
seule, qui produit cette bonne odeur ; car la noix muscade, le macis, le girofle,
les baies de genièvre, les racines de persil, de fenouil, de daucus, que nous
appelions carottes, & les panais ou pastinaca sativa, donnent une odeur de
violette à l’urine, à cause de leur vertu balsamique & sulfurée volatile, qui
s’exalte & se perfectionne par le moyen de l’esprit & du sel de l’urine : ce qui est
un mystère qui n’est pas peu considérable pour ceux, qui se donnent la peine
d’examiner les remèdes par l’effet des digestions naturelles, afin de connaître
jusqu’où peut aller la sphère de leur activité.

Mais ce qui est encore plus admirable, est que la térébenthine qui est dissoute
dans un lavement, pénètre par la vertu de son huile éthérée, au travers de
toutes les parties membraneuses & nerveuses, où elle imprime le caractère de
son efficace. Et de-là je prouve cette vérité, par l’agréable odeur, de violette que
l’urine en reçoit : ce qui fait connaître qu’il ne faut aucunement craindre de
donner dé la térébenthine ou des remèdes qui en font tirés, aux bleues, ou par la
bouche, on dans les lavements, à cause que l’effet n’en peut jamais être que très
heureux pour le bien du malade, pour la réputation du Médecin & pour celle
du Chirurgien. Il faut aussi qu’on reconnaisse que comme les choses, qui
s’exhalent en bonne odeur, témoignent par-là le bien qu’elles peuvent apporter ;
qu’au contraire celles qui dégénèrent en mauvaise odeur, & qui troublent
l’économie des reins & de la vessie, témoignent quelque mauvaise qualité, qui
doit être évitée ; comme l’autre doit être mise en usage. C’est ce que nous avons
cru devoir dire, pour déraciner de plus en plus les préjugés de ceux qui
craignent toujours le chaud & le froid, sans considérer la vertu spécifique du
mixte qu’ils veulent employer.

La vertu de l’huile éthérée de térébenthine qu’on appelle vulgairement essence


ou esprit de térébenthine, mais improprement, est grande : car elle pénètre
subtilement, elle incise, résout & atténue les mucilages, & les glaires tartareuses
des reins & de la vessie, & provoque l’urine. Elle est aussi excellente contre la
toux & contre les affections des pommons, qui proviennent de quelque matière
tartarée ; contre, les obstructions de la rate & de la matrice ; contre la strangurie
& la difficulté d’uriner, pour chasser le sable des reins & de la vessie ; contre les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 362

chaude pisses & les gonorrhées ; & enfin contre les ulcères du col de la vessie &
de toutes les autres parties qui fervent au déduit, lorsqu’elles sont infectées du
venin vérolique. La dose est depuis quatre gouttes jusqu’à vingt dans les
liqueurs appropriées.

L’huile jaune & le baume, qui n’est rien autre chose que l’huile rouge, ne sont
pas beaucoup différentes en vertu ; c’est pourquoi on les pourra employer ou
conjointement, ou séparément : car elles échauffent, atténuent, mondifient &
consolident également. Ce qui fait qu’elles sont très utiles, & qu’on peut s’en
servir avec un heureux succès, pour les membres qui ont été endommagés du
froid & de la gelée, pour les tumeurs schirreuses, pour les vieux ulcères baveux
& pourris, contre la gangrène, contre les engelures des pieds qu’il guérit & qu’il
réunit parfaitement, mais le baume plutôt que l’huile.

Mais parce que l’huile éthérée, qui se tire de la térébenthine commune, n’est pas
si subtile, ni si agréable à l’odorat ni au goût, que celle qu’on distille de celle de
Venise par la vessie : il faut que nous enseignions comment il faut que l’artiste
fasse bien & exactement cette opération. Pour cet effet, il faut qu’il prenne huit
livres de térébenthine de Venise de la plus claire, de la plus coulante & de la
plus odorante : car toutes ces marques-là témoignent qu’elle est nouvelle, &
qu’elle est par conséquent meilleure ; qu’il la mette dans la vessie, qu’il verse
dessus douze pintes d’eau de roses, & huit pintes de vin blanc ; qu’il ajoute
aussi trente citrons coupés par rouelles ; qu’il couvre la vessie, & qu’il donne le
feu comme pour distiller de l’eau-de-vie, & ainsi il fera trois opérations d’un
seul coup : car il tirera premièrement une huile éthérée très subtile, très efficace
& de très bonne odeur : secondement, il aura un esprit diurétique très excellent ;
& pour le troisième, une eau qui lui servira, pour donner l’huile après l’avoir
mêlée avec du sucre en poudre, & qui peut toujours servir à la même
distillation.

Sans doute qu’il y en aura qui diront que c’est faire beaucoup de frais, pour
avoir de l’huile de térébenthine, & qu’il n’est pas nécessaire de prendre tant de
peine, puis-qu’on en peut avoir à meilleur marché une livre entière, que ne
coûte la térébenthine de Venise. Mais que ceux qui raisonnent de la sorte,
rentrent en eux-mêmes, & qu’ils considèrent l’odeur & la vertu de l’une & de
l’autre ; qu’ils en fassent les épreuves, & ils connaîtront alors quelle différence il
y a de l’une à l’autre : c’est pourquoi j’exhorte l’Apothicaire Chimique de ne
regarder jamais aux frais ni au travail, parce que l’un & l’autre de ces
ménagements chargeront sa conscience, & diminueront sa réputation.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 363

Il faut que l’artiste ait soin de changer de récipient, lorsqu’il y aura environ
quatre ou cinq livres de liqueur dedans, afin de n’avoir pas la peine de rectifier
l’esprit ; & lorsque la distillation sera achevée & que les vaisseaux seront
refroidis, il trouvera la colophone dans le fond de la vessie, qui n’est rien autre
chose que la térébenthine, qui est privée de son huile éthérée ; il la faut fondre
lentement dans l’eau, pour la couler à travers un linge ou une étamine, afin de
la purifier & de la séparer d’avec les tranches de citron. Or comme la colophone
n’est qu’une portion des résines, aussi lui peut-on légitimement attribuer les
mêmes vertus, hormis que la colophone n’est ni si pénétrante ni si active : car
elle échauffe & dessèche ; elle agglutine & consolide ; & comme elle se fond &
se lie bien avec les choses onctueuses & grasses, aussi est-ce son principal usage
d’entrer dans la composition des emplâtres & des onguents. On peut aussi s’en
servir dans les opiates, au lien de la térébenthine cuite : mais je conseille plutôt
de se servir de la térébenthine qui n’ait été ni bouillie, ni distillée, afin qu’elle
soit encore fournie de ses facultés balsamiques.

§. 3. Comment il faut distiller la résine élémi.

Ce qu’on appelle dans les boutiques, gomme élémi, c’est la larme ou la résine
d’une espèce de cèdre qui croît en Ethiopie. La meilleure est celle qui est claire
& blanchâtre, qui est mêlée de quelques petites particules jaunes, qui est réduite
en masse, & qui, lorsqu’elle est enflammée pousse une odeur qui n’est point
désagréable. Il faut mettre l’élémi en poudre, & le mêler avec trois parties de
farine de briques & une partie de sel décrépité, & mettre le tout dans une
retorte, qu’il faut placer au réverbère clos sur une bonne capsule de terre, & sur
laquelle il y ait du sable : puis il faudra y adapter un récipient & couvrir le
fourneau, & donner ensuite le feu par degrés, jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus
rien : on pourra garder une partie de cette huile sans la rectifier ; mais il faut
distiller l’autre, en la mêlant avec trois fois autant de sel décrépité : il faut
mettre ce mélange dans une cornue de verre, & faire la rectification de cette
huile au sable.

L’une & l’autre de ces huiles ne se donnent point intérieurement ; mais elles
sont spécifiques pour toutes les maladies des nerfs, & principalement contre la
paralysie & contre les contractions des nerfs, qui rendent les parties estropiées
& inhabiles. Elles atténuent, résolvent & dissipent toutes les matières
catarrheuses, flatueuses & douloureuses ; elles amollissent les duretés des
contusions, & fortifient néanmoins les relaxations des parties, qui sont affaiblies
par quelque abondance d’une matière indigeste & froide, car cette résine est fort
balsamique. On peut distiller de la même façon les huiles du tacamaca, de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 364

l’animé & du caranna, parce que ce sont des résines qui sont approchantes de
celle de l’élémi.

SECTION ONZIEME.

§. 1. Des gammes résines, & des gommes.

Les gommes résines participent de la nature des résines & de celle des gommes,
en ce qu’elles ne sont autre chose que les larmes de certains arbres, qu’on peut
dissoudre dans l’huile avec beaucoup de facilité, & aussi dans l’eau, mais
beaucoup plus difficilement ; parce qu’elles participent davantage de la
substance sulfurée, huileuse & inflammable, que de la saline, qui est celle qui
est dissoluble dans l’eau. Celles qui sont de cette classe, ou qui en approchent,
sont le camphre, le mastic, le laudanum, le benjoin, le styrax, la myrrhe, &
quelques autres qu’il n’est pas nécessaire de rapporter. Nous enseignerons le
travail qui le peut faire sur les principales & les plus utiles.

Les gommes, proprement dites, ne sont tien autre chose que des liqueurs
concrètes, qui se dissolvent facilement dans l’eau ou dans les autres menstrues
aqueux, comme sont le vin & le vinaigre : elles sont de deux sortes : les premières
sont composées d’un sel volatil, qui prédomine, & qui est un peu sulfuré &
d’un suc gommeux & visqueux ; celles-là proviennent des plantes, des
arbrisseaux & des arbres férulacés, comme l’ammoniac, le galbanum,
l’opoponax, l’euphorbe, le sagapenum, l’assa fœtida & plusieurs autres. Les
secondes sont purement gommeuses & mucilagineuses ; elles proviennent aussi
de quelques plantes & des arbres fruitiers, qui sont la gomme arabique, celle
des pruniers & des cerisiers & la gomme tragacanthe. Celles-ci ne peuvent être
distillées, parce qu’elles n’ont que peu ou point de sel, ni de soufre.

§. 2. La distillation du Laudanum.

Quoique le laudanum ne soit pas beaucoup en usage, il a cependant beaucoup


de belles propriétés, & je puis assurer que ce n’est que le défaut de l’avoir
anatomisé, & d’en avoir fait les expériences, qui fait qu’on l’a trop négligé : car
il est impossible que ceux qui le connaîtront, ne s’en servent pas. C’est une
gomme résine qui se tire de dessus les feuilles d’un Arbrisseau, qui s’appelle
Cistus ledon, le meilleur est celui qui est d’un noir verdâtre, qui est friable, & qui
néanmoins se réduit facilement en pilules entre les doigts, qui est inflammable,
& qui donne une odeur douce & agréable, lorsqu’il est allumé. Mais il y a cela
de considérable, que quoique le laudanum soit inflammable, cependant il ne
s’allie pas facilement avec les huiles, ni avec les autres choses grasses &

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 365

onctueuses. La raison est, qu’il a beaucoup de sel volatil & une portion d’extrait
herbacée, qui empêche cette union, & qui est cause qu’il se grumelle ; & c’est ce
qui marque sa vertu principale, parce que ce sel sulfuré passe par la distillation
en une huile qui est spécifique à beaucoup de maux. Elle se fait ainsi.

Prenez une livre de laudanum qui est en rouleaux, & non pas de celui qui est en
masse ; mettez-le en poudre, & le mêlez avec trois livres de bol, qu’il faut
réduire en masse avec de l’eau-de-vie ; il en faut former des boulettes & les
mettre dans une cornue, après qu’elles auront été séchées lentement : mettez
ensuite la retorte au sable, adaptez-y le récipient qui soit bien luté, donnez le
feu par degrés, & le continuez jusqu’à ce que toute la liqueur soit sortie ; &
lorsque les vaisseaux seront refroidis, il faut tirer ce qu’il y aura dans le
récipient, & séparer l’huile de l’esprit par l’entonnoir, & les réserver à leurs
usages.

On peut donner depuis deux gouttes de l’huile & de l’esprit, jusqu’à douze
gouttes dans un peu de vin chaud, pour ouvrir & tout atténuer les matières
grossières qui causent les catarrhes : c’est aussi un bon remède contre la
dysenterie ; mais c’est un vrai spécifique pour apaiser les irritations de la
matrice, si on en donne la même dose dans de l’eau d’armoise, ou dans celle de
pouillot royal.

§. 3. Le travail qui se doit faire sur le benjoin.

Le benjoin est une des plus excellences gommes-résines, que le régner végétable
fournisse, tant à cause de son odeur agréable & douce, qu’on emploie aux
parfums pour le dehors, que pour des vertus essentielles qu’il a en soi-même,
qui proviennent de l’abondance de son sel volatil sulfuré, ce que nous
prouverons amplement par les opérations qui vont suivre : car on pourrait dire,
à proprement parler, que le benjoin est un vrai baume sec. On le tire de la
Samarie & de Sion, d’un grand arbre, duquel on ouvre l’écorce au temps
convenable, afin d’en faire sortir cette larme précieuse. Le meilleur, est celui qui
est en quelque façon transparent, qui est mêlé de grains & de raies blanches
dans une masse jaune rougeâtre, qui est friable, qui n’est pas trop pesant, qui se
fond facilement, & qui a une odeur très douce & très agréable. Nous en ferons
les opérations qui suivent, qui seront la teinture, le magistère, les fleurs, l’huile, la
manne ou le cristal, l’esprit acide mercuriel, & le baume ou l’huile grossière.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 366

§. 4. Pour faire la teinture & le magistère du benjoin.

Prenez deux onces de benjoin, qui soit de la meilleure marque ; mettez-le en


poudre très-subtile, qu’il faut passer par le tamis de soie, afin d’en séparer
toutes hétérogénéités ; mettez cette poudre dans un matras, & versez dessus six
onces d’alcool de vin qui ait été préparé sur le sel de tartre, à cause que s’il y
avait tant soit peu de phlegme, l’opération ne réussirait pas bien. Agitez
promptement la matière, & tenez le matras dans un peu d’eau tiède, & la
dissolution se fera en très peu de temps, ce qui témoigne manifestement que
cette résine est composée d’un sel volatil sulfuré très pur & très subtil : car si
elle tenait d’un soufre grossier & onctueux, l’alcool de vin n’en ferait qu’une
simple extraction sinon une dissolution entière ; & si elle tenait d’un mucilage
grossier & terrestre, cela ne conviendrait nullement ni de proportion, ni de
matière, avec la netteté & avec la subtilité de notre esprit vital, non plus qu’avec
celle de l’alcool de vin. Car comme on emploie les remèdes qui se tirent du
benjoin, pour les maladies de la poitrine & pour celles des poumons, il faut
nécessairement que la matière dont on les tire, soit composée de parties
subtiles, volatiles & balsamiques, afin qu’ils puissent être conduits & appropriés
par l’archée, jusqu’aux digestions des parties malades, en conservant toujours sa
force & sa vertu curative.

Il saut filtrer la dissolution qui sera rouge & transparente, dans une fiole qui
soit bien séché : car s’il y avait la moindre humidité aqueuse, cela blanchirait la
teinture d’abord, parce qu’elle la précipiterait en magistère. Gardez la moitié de
la teinture a part, dans une fiole qui soit exactement bouchée, afin de s’en servir
à ses usages. Ceux qui voudront avoir du benjoin bien dépuré, précipiteront
l’autre partie de la dissolution dans de l’eau commune qui soit bien claire ; &
lorsqu’on aura retiré l’esprit de vin dans une petite cucurbite à la vapeur du
bain, le prétendu magistère se trouvera au fond : il faut retirer l’eau par
inclination, & laver ce pur benjoin avec de l’eau de roses, puis le sécher
lentement. Nous lui laisserons néanmoins le nom de magistère, quoique
improprement, pour ne pas contredire les Auteurs qui l’appellent de la sorte.
Mais il est beaucoup plus utile de garder la dissolution que de la précipiter,
parce qu’elle peut servir plus utilement que le magistère.

La teinture n’est pas mieux nommée ; car ce n’est proprement qu’une


dissolution, dont la vertu est pourtant augmentée, à cause de la noblesse & de
l’excellence du menstrue : c’est pourquoi on la peut légitimement employer au-
dehors & au-dedans.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 367

Pour le dehors, c’est un excellent cosmétique, qui déterge très bien la peau des
mains & du visage, qui en efface les taches, & qui digère & dessèche les
bourgeons, les boutons, les bubes & les rougeurs du cuir, parce qu’il résout
puissamment les sérosités âcres & malignes, que l’air empêche de sortir, parce
que le visage n’est pas couvert comme les autres parties ; & comme la matière
est retenue encre cuir & chair, cela cause tous les vices de la peau. Pour se bien
servir de cette teinture, il en faut appliquer le soir en se couchant, sur les
endroits qui en ont besoin ; & le lendemain, il les faut laver avec de l’eau d’orge
& de veau, qu’il faudra rendre blanche comme du lait, avec quelques gouttes de
la teinture de benjoin, puis s’essuyer le visage ou les mains doucement avec un
linge fort doux. Mais outre cet usage extérieur pour réparer ces défauts, c’est
que si ceux qui se font raser, se font ensuite laver avec de l’eau blanchie avec
cette teinture, ils ne seront jamais sujets aux engelures, ni aux rougeurs qui
arrivent ordinairement, à cause de la mauvaise préparation du savon, & du sel
lixivial, qui le compose, qui est toujours un peu caustique.

Pour l’usage intérieur, on en peut donner aux asthmatiques, aux phtisiques, & à
ceux qui ont des toux invétérées, depuis deux goûtes jusqu’à dix ou douze
gouttes, dans un œuf mollet, ou dans une cuillerée de sirop d’hyssope, qui soit
fait selon la description que nous en avons donné ci-dessus : on en peut donner
le matin à jeun & le soir deux heures avant le repas.

Pour le magistère, on en pourra donner aussi dans des œufs frais, ou dans
quelque conserve thorachique, depuis quatre grains jusqu’à quinze & vingt
grains, pour ceux qui ne pourront pas souffrir l’odeur, ni le goût de l’esprit de
vin ; on en peut aussi mêler dans des électuaires & dans des tablettes. Ceux qui
voudront faire de bonnes savonnettes, & qui ne causeront jamais aucun
mauvais accidents au visage de ceux à qui ils feront le poil, prépareront &
laveront curieusement leur savon, afin d’en ôter la qualité maligne du sel
lixivial, & qu’il ne lui reste que celle gui est simplement mondifiante &
détersive, lorsqu’il sera réduit à ce point-là ; il faut le laver & le nourrir
longtemps avec de la teinture de benjoin, & y ajouter une demi-once de
magistère pour chaque livre de savon, ensuite de quoi, ils formeront leurs
savonnettes de la grosseur de deux onces, & les laisseront sécher lentement.
Que s’ils y veulent ajouter un peu de muse & d’ambre gris, ils se pourront
vanter d’avoir des savonnettes plus excellentes pour le parfum, & plus utiles
pour l’entretien & pour la netteté du cuir des mains & du visage, que celles de
Bologne dont on fait tant de cas.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 368

§. 5. Pour faire les fleurs de benjoin.

Comme les fleurs de benjoin sont excellentes en vertu, il faut aussi que l’artiste
soit curieux de les bien préparer : c’est à cause de cela que nous en donnerons
deux moyens ; le premier sera le plus simple, parce qu’il se peut faire à tous
moments selon la nécessité ; & le second sera réservé, lorsque nous parlerons de
la distillation du benjoin. Pour cette première manière de faire les fleurs, il faut
simplement prendre un bon creuset d’Allemagne, qui soit rond & un peu haut,
dans lequel il faut mettre deux onces de benjoin en poudre, il le faut placer dans
une petite capsule avec du sable, & le couvrir avec un haut cornet d’un bon
double papier bleu, qui soit bien fort & bien collé, & que le cornet soit
proportionné d’entrée à l’orifice du creuset : après quoi il faut donner le feu par
degrés, & lorsque l’artiste sentira que les vapeurs du benjoin s’élèvent, il ôtera
le cornet, & y en substituera un autre de la même matière & de la même
proportion, afin d’avoir le temps d’ôter avec une plume les fleurs qui seront
sublimées dans le premier cornet, & de ne perdre pas celles qui s’évanouiraient
pendant que le creuset serait découvert : il faut continuer ainsi, jusqu’à ce que
tout le sel volatil sulfuré du benjoin ait été élevé en fleurs.

La dose est de trois grains jusqu’à douze de la même façon, & pour les mêmes
maladies que la teinture & le magistère. C’est par cette opération que l’artiste
connaîtra clairement que le benjoin possède un sel volatil sulfuré, qui est très
subtil & très pénétrant : car dès que la chaleur est suffisance pour le pousser
hors de son sujet, il se fait sentir au nez, aux yeux & à la poitrine, qu’il irrite &
qu’il picote de telle façon, qu’il excite l’éternuement, les larmes, la toux, par la
pointe subtile & spiritueuse de ce sel, dans lequel réside tout ce que le benjoin a
d’activité & de puissance.

§. 6. La distillation du benjoin.

La distillation du benjoin produit beaucoup de belles préparations tout à la fois,


pourvu que l’artiste soit adroit & vigilant, & qu’il n’épargne point tout ce qui
est nécessaire pour en bien venir à bout ; car il ne faut pas que l’Apothicaire
Chimique se persuade faussement, comme il y en a beaucoup qui l’ont crû &
qui le croient encore, qu’il se faut contenter de prendre les restes du Droguiste
ou celui de leur boite, pour travailler aux opérations, parce que c’est une très
grande absurdité de le penser de la sorte : car outre que les matières ne peuvent
donner ce qu’elles n’ont pas, à cause que le sel & l’esprit résident toujours dans
le plus pur ; il s’ensuit encore que ce qu’il y a de bon, serait surmonté & absorbé
par ce qu’il y aurait d’impur & d’hétérogène. Il faut donc que ceux qui seront
curieux de se bien acquitter de leur devoir dans la Pharmacie spagyrique,
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 369

fassent un choix des matières, sur lesquelles ils veulent travailler, comme si
c’était pour un chef d’œuvre ; parce qu’outre qu’ils perdraient la matière
distillable, c’est que de plus, ils consumeraient inutilement le dans, le feu & les
vaisseaux.

Cela soit dit en passant pour une seule fois, mais principalement en cet endroit,
où il est absolument nécessaire que la matière soit nette, afin qu’elle pousse
hors de soi quelque chose de pareil. Car on tirera premièrement un esprit de
vin, qui sera chargé d’une portion du sel volatil sulfuré & spirituel du benjoin :
secondement, il en sortira ce sel volatil le plus pur qui s’attachera au col de la
retorte : pour le troisième, une matière butyreuse, qui n’est rien autre chose que
la partie la plus grossière du sel & du soufre : en quatrième lieu, il en distillera
un peu d’esprit acide mercuriel ; en cinquième lieu, un peu d’huile jaune de
couleur d’hyacinthe, qui sera de bonne odeur ; & pour la fin, lorsqu’on donnera
le dernier feu, il en sortira un baume épais & noirâtre.

Pour faire artistement & méthodiquement cette ample distillation, il faut choisir
une livre de benjoin qui soit du plus excellent y le mettre en poudre & le faire
digérer à la vapeur du bain dans un vaisseau de rencontre, avec quatre livres
d’alcool de vin durant l’espace de cinq jours naturels ; au bout de ce temps, il
faut verser-le tout dans une grande cornue de verre dans laquelle on aura mis
une livre de sable pur & net, & une demie livre de paillettes de fer qui tombent
de l’enclume, en sorte que la matière ne surpasse de guère le tiers du vaisseau,
qui doit avoir un col qui soit long & large, & que la bouche en soit d’un pouce
de diamètre ; il la faut placer aux cendres mêlées de sable, y adapter un moyen
récipient qui soit net & sec, dont on lutera la jointure avec une simple vessie
trempée dans de l’eau, afin de pouvoir l’ôter plus facilement, lorsqu’on sera
obligé de changer de récipient. Tout cela étant exactement observé, il faut
donner le feu lentement par degrés, en sorte que les gouttes se suivent
doucement les unes après les autres, sans que le récipient s’échauffe, & ne se
point hâter davantage ; autrement, on ne ferait rien qui vaille : car comme dit
notre très expérimenté Paracelse : Omnis precipitatio a diabolo. Il faut donc sur
toutes choses que l’artiste soit patient & judicieux, à moins qu’il ne le veuille
devenir à ses dépends & à sa confusion, après en avoir été bien & dûment
averti.

Lorsqu’il jugera que l’esprit-de-vin est à peu près tout sorti, il doit avoir une
attention particulière à augmenter un peu le feu, & remarquer lorsque les fleurs
ou le cristal commenceront à se coaguler dans le col de la cornue, afin de
changer de récipient, qui ne doit point être luté, parce qu’il le faut ôter fort

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 370

souvent, ou pour prendre les cristaux & les fleurs qui se forment à son entrée,
ou pour les retirer du dedans du col de la retorte avec un bâton fait exprès, de
peut qu’elles ne le bouchent tout à fait, ce qui ferait crever la cornue, à cause de
l’abondance des vapeurs qui n’auraient pas un libre passage. Lorsque toutes les
premières fleurs, qui sont les plus subtiles & les plus blanches, seront tirées, &
que la substance butyreuse commencera à paraître, il faut alors luter derechef la
cornue au récipient avec de la vessie, & augmenter un peu le feu, afin que toute
la liqueur acide & mercurielle suive le beurre : cela étant passé, il faut changer
encore de récipient pour recevoir la vraie huile de benjoin, qui sera d’un jaune
couleur d’hyacinthe, mais il y en aura peu & de très bonne odeur : c’est
pourquoi il faut que l’artiste prenne garde au changement de la couleur : car
lorsque les gouttes paraissent rouges, c’est le vrai temps de substituer un
nouveau récipient, pour recevoir un baume épais & noirâtre par la dernière
expression du feu.

Il ne nous reste plus à présent qu’à dire les vertus, & les usages des diverses
substances, que le benjoin nous aura fournies par la distillation, & pour
commencer par l’esprit, nous dirons qu’il peut servir de cosmétique excellent
tout seul, sans y ajouter davantage de notre gomme résine, puisqu’il est déjà
empreint, & charge d’une partie du sel volatil, qui est proprement le sujet en
quoi réside la force & la vertu détersive, mondifiante & résolutive du benjoin ; il
a même-plus de faculté de pénétrer que la teinture, & cela parce que la teinture
est chargée du corps onctueux du benjoin, qui bouche les pores & qui dessèche
le cuir. Cet esprit est aussi plus capable de bien tirer la teinture véritable du
benjoin ; ce ne sera pas néanmoins du benjoin corporel, mais de celui qui est
dépouillé de son huile subtile & grossière, & de son esprit acide : car il faut
prendre deux drachmes des fleurs ou des cristaux de benjoin, & une demi-once
de la matière butyreuse qu’il faut mettre dans une rencontre, & verser dessus
trois onces de l’esprit ci-dessus, & les digérer ensemble quelque temps, &
l’esprit se chargera d’une couleur jaune, qui ne sera que l’addition & l’extrait du
sel volatil & du soufre, qui sont gradués & exaltés au suprême point de
perfection ; il faut filtrer la liqueur, & il reste au fond du vaisseau une gomme
blanche, qui peut être employée dans les parfums. Cette teinture a toutes les
belles vertus du benjoin en raccourci. La dose est depuis deux gouttes jusqu’à
douze dans de l’eau de sassafras, dans du sirop d’hyssope, ou dans quelque
conserve en bol, pour toutes les maladies de la poitrine que nous avons ci-
devant énoncées.

Mais comme nous avons dit que nous donnerions ici le moyen de faire des
fleurs de benjoin en plus grande quantité & en moins de temps que celles qu’on

370
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 371

peut faire par la sublimation dans le creuset, il en faut enseigner la méthode,


qui n’est autre que de dissoudre dans de l’eau bouillante, une once du premier
beurre du benjoin & du plus blanc, qui sort immédiatement après les cristaux
ou les fleurs, & filtrer la liqueur très promptement par le papier, & les fleurs se
coaguleront à l’instant sous la main & comme en un clin d’œil ; il faut ensuite
retirer l’eau blanchâtre par inclination, & la laisser affaisser, & on aura au fond
un magistère, qui est de pareille efficace que celui qui est fait par la
précipitation de la teinture ou de la dissolution grossière : vous laisserez sécher
les fleurs & le magistère très lentement entre deux papiers, afin de les garder
ensuite à leurs usages.

Les cristaux qui sont proprement les fleurs & le vrai sel volatil du benjoin, sont
sudorifiques & sont un grand spécifique contre la vérole, si on en donne depuis
six grains jusqu’à vingt, dans un verre de teinture de sassafras faite avec le vin
blanc, on encore dans un verre de la décoction de salsepareille, de squine &
d’écorce de gayac ; car c’est un furet qui pénètre en un instant tout le corps : on
le peut aussi donner en moindre dose, comme les premières fleurs qui ont été
sublimées. L’huile en est un excellent vulnéraire & un excellent parfum. Le
baume noirâtre, qui est lent & visqueux, en est fort bon pour mondifier les
ulcères ; c’est pourquoi on le peut mêler dans les onguents & dans les
emplâtres. Il y en a qui le mêlent parmi le baume du Pérou, pour le falsifier &
pour l’augmenter, & c’est la sophistication qui est la plus malaisée à connaître.
Le benjoin donne si peu de l’esprit acide, que cela ne vaut pas la peine de dire
son utilité ; néanmoins on s’en peut servir aux mêmes usages, auxquels nous
avons dit que celui de térébenthine était propre,

Ceux qui voudront avoir la curiosité de faire un beau & bon mélange d’un
parfum onctueux, qui servira pour des peaux & pour des gans, peuvent
dissoudre le beurre de benjoin & une partie de ses fleurs dans de l’huile de ben,
ce qui leur servira d’un corps pour recevoir le musc, l’ambre gris & la civette,
selon la proportion de la bonté qu’ils voudront donner à leurs peaux.

§. 7. Pour faire une excellente eau d’ange & la masse qu’on appelle d’Espagne.

Prenez quatre onces de benjoin très pur, deux onces de styrax en larmes, une
once de bons clous de girofles, deux drachmes d’ambre gris, une drachme de
musc de Levant, & un scrupule de civette très fine : mettez toutes ces choses en
poudre fort subtile, que vous triturerez ensuite ensemble dans un mortier de
marbre ; joignez-y la râpure superficielle & subtile de l’écorce de douze citrons ;
mettez tout ce mélange dans un vaisseau de rencontre, & versez dessus une
livre & demie de très excellente eau de roses, & autant de vin muscat bien clair
371
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 372

ou de quelque autre vin blanc, qui soit clair, odorant & subtil ; couvrez la
rencontre de son alambic aveugle, & la placez au bain-marie, auquel vous
donnerez le feu de digestion durant huit jours, si c’est en hiver ; ou vous
exposerez ce même vaisseau au réverbère des rayons du soleil, si c’est en été.

Cela étant fait, ouvrez le vaisseau, & retirez à part l’eau qui sera colorée &
d’une très excellente odeur pour parfumer le linge de table, de nuit ou de jour,
& même pour faire une cassolette vaporeuse, en faisant exhaler un peu de cette
eau pour parfumer le lieu où on mangera, où on couchera, ou celui où on
voudra recevoir le monde. Mais il faut faire chauffer la masse de part qui est au
fond, afin de la mêler & de la malaxer avec les mains ointes des huiles de
jasmin, ou de fleur d’oranges, de celle de girofles ou de cannelle, selon l’odorat
qui agréera le mieux à ceux qui s’en voudront servir ; car en cette matière, il y a
autant de caprice que pour le goût ; on peut aussi avoir égard à l’intention du
Médecin & à celle du malade, parce qu’il y a des odeurs qui choquent les uns &
qui restaurent les autres, & principalement en ce qui regarde les femmes ; c’est
pourquoi on y pourra toujours ajouter, comme on en peut aussi retrancher.
Lorsque la masse est rendue traitable & ductile par la malaxation, il faut en
former des brasselets, des pommes de senteur, ou des cassolettes perpétuelles,
qui se font de la manière qui suit.

Il faut avoir une boite d’argent qui ait un double fond, que l’un soit éloigné de
l’autre d’un pouce de hauteur, qu’il y ait au-dedans ou au-dehors de la boite,
un canal qui pénètre au travers du second fond, afin de pouvoir faire entrer
telle eau qu’on voudra, dans le vide d’entre les deux fonds. Cette boite étant
ainsi construite, il la faut emplir de la masse odorante de la hauteur d’un pouce
puis la fermer avec un couvercle qui soit fait en dôme, & qui soit percé de tous
les côtés, afin de pousser plus facilement l’odeur. Lorsqu’on voudra faire agir
cette cassolette, il faut emplir le fond d’eau de roses ou de vin, ou d’eau simple,
selon qu’on voudra frapper doucement on fortement l’odorat ; puis la poser sur
un feu médiocre, qui agira doucement sur la masse de senteur, & qui l’excitera
doucement & peu à peu à jeter une odeur agréable & continuelle, qui n’a point
sa pareille. On peut aussi dissoudre de cette masse dans tous les parfums qu’on
fera avec l’huile de benjoin, auxquels on donnera la couleur qui agréera le plus,
comme aussi le plus & le moins de mélange, de force & de douceur.

Qu’on ne pense pas ici que ce soit sortir de notre texte, que d’avoir enseigné le
mélange & la dose des parfums ; au contraire, on doit croire qu’ils sont
totalement de l’essence de notre Traité, puisqu’il y a plusieurs accidents de la
vie, auxquels on ne peut remédier que par le moyen de l’odorât, tellement que

372
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 373

les exemples que nous avons donnés de ceux qui sont utiles & agréables,
pourront servir d’instruction & de règle, pour faire ceux qui ne serviront qu’au
seul usage de la Médecine pour les malades.

§. 8. Du camphre.

Plusieurs ont crû que le camphre était un bitume ; mais ceux qui nous
rapportent la véritable histoire de leurs voyages des Indes Orientales & de la
Chine, nous apprennent que c’est une larme résineuse, ou une gomme-résine,
dont la plus excellente vient de l’Ile de Bornéo ; & la seconde en bonté, du
Royaume de la Chine, de la Province de Chincheo ; elle distille goutte à goutte
d’un grand arbre, qui ressemble à nos noyers, dans le tronc duquel elle
s’assemble. Les Médecins Indiens ne sont pas du sentiment de ceux qui en
appréhendent l’usage, à cause du froid qu’on lui attribue ; car ils l’emploient
avec un très heureux succès, comme un remède divin : aussi faut-il reconnaître
le camphre, comme une des productions naturelles les plus merveilleuses & les
plus approchantes de la nature lumineuse : car comme nous avons dit tant de
fois, que le sel volatil est la dernière enveloppe de l’esprit, que ce n’est rien
autre chose qu’une concrétion de la lumière, & que la lumière n’est autre chose
qu’un feu invisible & la véritable émanation de la Divinité : aussi pouvons-nous
dire que le camphre est la seule production naturelle, où la main de la nature a
le plus excellemment fait paraître une de ses plus nobles opérations, en la
séparation qu’elle fait d’un pur sel volatil sulfuré hors d’un sujet, qui semble en
être incapable ; & ce qui est de plus admirable, c’est que toute l’adresse des plus
habiles artistes ne saurait imiter que de loin cette préparation naturelle, puisque
tout ce qu ils peuvent faire de plus parfait dans leur art, ce sont les sels volatils
qu’ils comparent ordinairement au camphre, lorsqu’ils ont crû les avoir réduits
au plus haut point de leur perfection ; mais ils n’approchent jamais de la
subtilité, de la transparence, ni de la blancheur de ce mixte non pareil. Il semble
même que la nature veuille avoir seule toute la gloire de sa beauté, de sa
perfection & de ses vertus : car, lorsque les Chimistes ont tâché de vouloir
élever & exalter cette gomme en huile, ou en quelque autre liqueur analogue,
elle s’est toujours recorporifiée, toujours évanouie, ou elle a toujours perdu le
plus pur & le plus excellent de ses forces & de son efficace. Il faut donc que
l’artiste soit ici plutôt admirateur qu’opérateur, puisqu’il n’y a rien à corriger, &
que le camphre est de soi-même assez pur, assez subtil & assez volatil, pour
être réduit de puissance en acte, sans qu’il se fatigue inutilement à vouloir
corriger, par une témérité ignorante, ce que Dieu a créé, & que la nature a
produit avec tant de perfections.

373
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 374

Pour prouver ce que nous venons de dire, il faut donner les marques du vrai
camphre, enseigner un de ses plus beaux usages, & faire quelques remarques
sur ce mixte, avant que de venir à quelqu’une des opérations qui se pratiquent
sur cette belle résine. Il faut donc que le camphre soit très blanc & transparent
comme le cristal ; qu’il soit très pur, sans tache & sans mélange étranger, qu’il
ait une odeur subtile & pénétrante, qu’il soit friable entre les doigts, & qu’il ne
se puisse presque pas éteindre, lorsqu’il est une fois allumé ; car il brûle dans
l’eau même ; & pour mieux découvrir s’il est sophistiqué, il faut avoir un pain
de seigle qui sorte immédiatement du four, l’ouvrir & faire un trou dans le
milieu, y mettre un morceau de camphre de la grosseur d’une noix, puis
recouvrir le pain & le laisser encore un peu de temps chaudement : cet essai fera
paraître évidemment la vérité ; car si le camphre est pur, il s’évanouira tout & se
fondra ; mais s’il est mélangé de quelque matière hétérogène, il se brûlera ; ou
pour mieux dire, le camphre se dissipera, & la matière grossière qui le falsifiait,
se trouvera en corps dans le pain toute séché & comme rôtie.

Et pour mieux faire voir la volatilité de ce mixte & sa vertu pénétrante & subtile
; nous dirons que c’est un remède approuvé contre les fièvres tierces, pourvu
qu’on en mette du très pur selon l’âge, depuis un demi-scrupule jusqu’à quatre
scrupules dans un nouet de taffetas, qu’il faut pendre au col du malade, & faire
descendre le nouet jusque sur le creux de l’estomac, qui en est l’orifice
supérieur, où se font les premières sensations de la joie & de la douleur ; il faut
porter ce nouet neuf jours continuels, & le neuvième jour il faut jeter le nouet
sans regarder dedans ce qu’il y reste, dans une eau courante, & cela sans y
manquer, si on en veut recevoir la guérison.

Mais quelqu’un pourra dire ici, que ce nombre de neuf jours est superstitieux »
comme aussi de ne point regarder dans le nouet, & de le jeter dans une eau
courante. Il faut que l’artiste réponde à cela que toutes ces observations sont
nécessaires, purement naturelles & convenables à la nature du remède & à la
maladie. Car quoique le camphre soit fort volatil, cependant il faut une chaleur
plus violente, que la chaleur humaine pour le volatiliser en moins de temps que
de neuf jours : or il faut qu’il se volatilise pour produire son effet, qui se fait par
l’odorat du malade qui le respire continuellement, & ainsi ce sel volatil fait une
impression dans les esprits naturels, qui chassent peu à peu par une
transpiration sensible ou insensible, ou par les urines, ce qui faisait le levain de
la fièvre, & qui détruit par cette opération lente son action & sa violence.

Pour ce qui est de regarder dans le nouet & de le jeter dans l’eau courante, c’est
une observation qui dépend d’une plus haute philosophie, qui fait connaître

374
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 375

que comme le camphre a effacé le caractère & l’idée de la fièvre, par l’éradiation
de sa vertu magnétique ; aussi l’esprit de vie a-t-il imprimé l’idée & le caractère
de la maladie au nouet, d’où le remède est sorti, & qu’ainsi il faut éloigner
autant qu’on pourra cette idée de la personne qui a été malade, de crainte que
l’éradiation & l’écoulement des esprits subtils, qui fluent continuellement des
corps, ne soit cause que ces esprits ne soient derechef atteints du venin & de la
contagion de l’idée de la maladie, que l’eau entraîne avec elle, & qui la perd &
la détruit, en sorte que le malade en est exempt tout à fait, sans appréhension de
récidive : car il n’y a personne qui ne sache, qu’une chandelle nouvellement
éteinte, se rallume très facilement par l’approche d’une autre qui est allumée,
quoiqu’elle en soit encore loin, & qu’elle n’en touche aucunement la flamme ; &
c’est ce qui arrive à ceux qui regardent dans le nouet, après l’avoir ôté de leur
col, & qui ont négligé de le jeter dans le même instant dans l’eau courante.
Nous pourrions avoir encore ici recours à la force de l’imagination du malade :
mais quoique cela puisse y faire beaucoup, il n’est pas nécessaire, puisque nous
prouverons ci-après, que les remèdes qui sont faits avec le camphre, font le
même effet, lorsqu’ils sont pris intérieurement.

Il faut venir à présent aux remarques, qui sont nécessaires pour la preuve de ce
que nous avons dit ci-devant ; car l’examen du camphre dans le pain & la cure
de la fièvre tierce, sont des signes infaillibles de sa subtilité & de sa prompte
pénétration. Ce qui fait voir que ceux qui le croient froid, sont imbus d’une
fausse & vaine philosophie, qu’ils ont prise des anciens qui n’en avaient aucune
expérience, mais qui se fondaient sur des oui-dire, comme font aussi quelques-
uns de leurs Disciples. Mais, disent-ils, le camphre ne peut être que froid, parce
qu’il empêche la génération, & que même il empêche l’érection & tontes les
autres irritations nécessaires à l’acte vénérien ; cela ne fait rien pour eux ; car
supposé que cela soit vrai, ce qui pourtant est très-faux, il ne s’ensuit pas que le
camphre doive être froid ; & je veux même que quelqu’un en voulut faire
l’expérience, par un long usage au-dedans & au-dehors, & que l’effet de
l’impuissance & la privation de la conception suivît : cela prouverait beaucoup
plutôt sa chaleur & la subtilité de ce sel volatil sulfuré, qui tiendra toujours les
pores ouverts, & qui résoudra continuellement insensiblement, ou sensiblement
les exhalaisons spiritueuses, qui sont absolument nécessaires à l’acte vénérien &
à la conception.

Les anciens Romains connaissaient mieux que ces Philosophes chimériques, que
les choses qui ont une odeur subtile & pénétrante, énervaient, puisqu’ils
défendaient à leurs soldats par une des lois des douze tables : menhiham in bello
nec edito, nec cedito : ne voit-on pas aussi que la rhue & l’agnus castus diminuent

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 376

la semence & empêchent l’érection & les aiguillonnements, par la même raison
que le camphre, quoiqu’on les tienne pour des remèdes chauds ? Ce qui prouve
plus qu’invinciblement le peu de solidité de cette fausse doctrine, qui s’attache
toujours aux apparences & aux effets, sans faire réflexion & sans avoir recours à
la cause. Il n’y a que la Chimie qui les puisse connaître, & qui soit capable de ce
juste discernement ; & c’est aussi ce qui a obligé les Médecins Chimiques de se
servir du camphre dans les maladies malignes & pestilentielles, comme aussi
dans les fièvres, soit qu’ils le donnent intérieurement, ou qu’ils l’appliquent
extérieurement en épithèmes ou en frontaux. Mais surtout on s’en sert avec un
succès surprenant dans les suffocations de la matrice, si on en fait brûler un
scrupule, une demi-drachme, ou une drachme entière dans un verre d’eau de
mélisse, ou même dans un verre d’eau simple ; ce qui fait voir clairement que
c’est la seule vertu du camphre qui agit. Nous n’avons pu nous empêcher de
faire voir la vérité dans ce discours, afin de lever le scrupule de ceux qui
craignent de se servir du camphre. Car comme je suis persuadé de ses bonnes
vertus par l’expérience, j’ai crû être obligé d’en persuader l’usage, afin que la
société civile ne soit pas frustrée du bien qu’elle en peut recevoir.

Lorsque nous avons dit que l’artiste ne pouvait beaucoup agir sur le camphre
sans le perdre, nous avons dit la vérité : car il ne peut rien ajouter à sa
perfection, & ne peut que gâter beaucoup de sa substance, qui est toujours utile
& remplie de vertu : il y a pourtant quelque sorte d’opération, qui est nécessaire
pour le réduire en liqueur & pour le mêler indivisiblement avec les autres
choses, qui ne le peuvent retenir facilement, si l’artiste n’agit avec
circonspection & avec méthode. Or à cause qu’il y en a qui ont crû jusqu’ici,
qu’il était impossible d’en faire de l’huile, il faut néanmoins montrer que labor
improbus omnia vincit ; mais ce sera en petite quantité. Nous en donnerons deux
exemples, l’un d’une huile de camphre, sans addition d’autre huile ; & l’autre
qui se fera avec addition de deux huiles nécessaires, pou augmenter sa vertu de
plus en plus.

§. 9. Comment il faut faire l’huile de camphre simple.

Prenez une demie livre de camphre, qu’il faut mettre en poudre, & le mêler
avec une livre & demie de bol ; puis mettez ce mélange dans une cornue de
verre, & en faites la distillation au sable avec un feu bien gradué, & le camphre
en sortira en forme de beurre. Il faut ensuite retirer cette substance butyreuse, &
la mêler avec le double de son poids de tartre très bien calciné ; vous mettrez ce
mélange dans une cucurbite & verserez dessus de l’esprit de vin, jusqu’à
l’éminence de trois ou quatre doigts, & en ferez la distillation au bain-marie

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 377

avec toutes les précautions requises. Mais il faut surtout que l’artiste ait l’œil au
guet, pour bien prendre garde, lorsque le camphre commencera à se sublimer :
car dès qu’il le verra paraître dans le chapiteau, il doit aussitôt retirer le feu &
laisser refroidir les vaisseaux. Il faut mettre l’esprit de vin, qui sera dans le
récipient, dans une bouteille qui ait l’embouchure étroite, & verser de l’eau de
pluie distillée, jusqu’à ce que le mélange des deux soit blanc comme du lait ;
ainsi l’esprit de vin étant affaibli par le moyen de l’eau, on verra aussi que
l’huile de camphre, qui était mêlée & unie à cet esprit éthéré, s’élèvera & surna-
gera la liqueur. Il continuera de la même manière à verser de l’esprit de vin sur
la matière qui est restée dans la cucurbite, & distillera avec les mêmes
circonspections qu’auparavant, jusqu’à ce qu’il ne se fasse plus aucune
séparation de l’huile. L’artiste pourra garder de cet esprit de vin, qui est
empreint de l’huile de camphre ; car c’est le véritable esprit de vin camphré, &
non pas celui dans lequel on a simplement dissous le camphre. On ne tire
ordinairement que la huitième partie du camphre ça huile.

L’huile de camphre est un très excellent remède ; car elle résiste à la


putréfaction & aux venins : c’est pourquoi on en peut donner dans la peste,
dans les maladies malignes, & dans les fièvres continues & intermittentes. La
dose est depuis une goutte jusqu’à six dans quelque liqueur appropriée.
L’esprit de vin camphré a les mêmes vertus, mais la dose en est plus grande, car
on en peut donner depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme ; mais leur
usage extérieur est aussi admirable ; car l’huile & l’esprit arrêtent la gangrène &
apaisent la douleur des dents, aussi-bien que celle des goûtes, &
particulièrement la sciatique.

Notez qu’il ne faut pas perdre l’esprit de vin, qui sera mêlé avec l’eau de pluie
distillée : car il doit être retiré par la distillation au bain-marie, parce qu’il
pourra servir encore ou à cette même opération, ou à quelques autres. Il ne faut
pas aussi perdre le sel de tartre qui demeure dans la cucurbite ; il suffit
seulement de le dissoudre avec de l’eau chaude, le filtrer, l’évaporer & le
dessécher, pour s’en servir à toute autre chose comme auparavant.

§. 10. La façon de faire l’huile de camphre composé.

Mettez de l’esprit de nitre dans un matras environ une livre ; mettez aussi dans
le même matras six onces de camphre ; bouchez le matras avec un autre matras,
en sorte que le col de l’un entre dans celui de l’autre ; lutez les jointures avec de
la vessie & du blanc d’œuf, faites digérer à la vapeur du bain, jusqu’à ce que le
camphre soit résout en huile, qui surnagera l’esprit ; séparez après cela cette
huile, & la mêlez avec quatre onces d’huile de succin rectifiée & autant d’huile
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 378

de genièvre ; digérez-les ensemble, afin d’en faire l’union, & les distillez aux
cendres par la retorte trois fois de fuite ; après quoi vous en ferez la rectification
sur du colcotar de vitriol, jusqu’à ce que l’huile sorte, belle, claire & fluide, &
que le camphre soit totalement décorporifié & passe en huile.

C’est un sudorifique qui est très-sur pour chasser la malignité de la peste, des
fièvres malignes & celle du poison même. C’est aussi un remède préservatif en
temps de contagion, pour l’intérieur & pour l’extérieur : si c’est pour l’intérieur,
il faut réduire cette huile en baume dissoluble avec du sucre en poudre, & en
prendre tous les matins trois gouttes dans un peu de vin. Mais pour l’extérieur,
il en faut frotter les tempes & les poignets à l’endroit des artères, & ainsi cela
agira concurremment en dedans & au dehors : car ce noble remède fortifiera
suffisamment les esprits, de sorte qu’ils ne pourront être infectés du venin de la
peste.

On ne saurait assez recommander l’usage de cette huile, pour les personnes


sujettes aux passions hystériques : car ce remède pénètre comme en un instant,
& apaise toutes les irritations de la matrice. La dose est depuis deux gouttes
jusqu’à six & huit ; mais il faut observer de plus, que cette huile est un
spécifique très notable dans l’épilepsie des jeunes & des vieux, &
principalement dans celle qui provient de la matrice.

§. 11. La façon de distiller la gomme ammoniac.

Nous prenons la gomme ammoniac pour l’exemple de la distillation des autres


gommes, parce qu’elle est douée de beaucoup de belles propriétés médicinales,
& aussi parce qu’elle abonde plus que les autres en esprit & en huile. Cette
gomme provient d’une plante ferulacée, qui croît en la région où fut autrefois le
Temple de Jupiter-Ammon, au milieu de la Libye ; ce qui lui a donné le nom de
gomme ammoniac. Pour en tirer une huile & un esprit qui soient excellents, il
faut qu’elle soit bien choisie. Les bonnes marques de l’ammoniac sont, qu’il soit
jaune au-dehors & blanc au-dedans, qu’il soit en grumeaux ou en grains,
comme l’oliban ; qu’il est l’odeur approchante de celle du castor ; qu’il soit amer
au goût, & qu’il s’amollisse facilement, lorsqu’on le manie quelque temps avec
les doigts.

Il faut mettre de cette gomme ainsi bien choisie dans une cornue de verre,
jusqu’au tiers de sa capacité, & placer cette retorte dans une marmite, de fer cru,
qui soit ajustée dans le fourneau, en sorte qu’il y ait des registres dans les
encoignures : il ne faut pas que le cul de la cornue touche au fer ; mais elle doit
être soutenue par trois morceaux de terre, qui serviront comme de trépied, afin

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 379

que l’huile & l’esprit ne contractent aucune odeur empyreumatique, s’il se peut
: couvrez la marmite de son couvercle & lutez, en sorte qu’il n’y ait que l’air
chaud qui entoure la cornue, afin de faire sortir les vapeurs dans le récipient,
qui doit être exactement luté avec des bandes de linge trempées dans du blanc
d’œuf & poudrées de chaux vive. Il faut graduer le feu comme il est requis, &
continuer la distillation, jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien ; & lorsque le tout
sera refroidi, il faut séparer l’huile de la liqueur acide, & les rectifier aux
cendres chacun à part, pour ensuite les appliquer à leurs usages.

L’huile & l’esprit peuvent être pis intérieurement, depuis quatre gouttes jusqu’à
quinze & vingt, dans du vin blanc ou dans de l’eau de sassafras, ou de petite
centaurée, pour ouvrir les obstructions des parties du ventre intérieur, &
particulièrement celles de la rate. C’est aussi un remède spécifique, pour
résoudre & pour évacuer par les selles & par les urines, les glaires & tes
viscosités tartarées, qui causent les douleurs des articles ; c’est pourquoi, on en
peut faire user librement à ceux qui sont sujets à la goûte & aux rhumatismes,
comme aussi à ceux qui ont la poitrine chargée de colles & de vilenies épaisses,
qui empêchent la liberté du mouvement des poumons. L’esprit est surtout
recommandable pour purger la matrice de ses impuretés, aussi-bien que pour
nettoyer les reins & la vessie de glaires & de sable. L’huile en est aussi très
excellente, pour appliquer extérieurement sur la région de la rate, afin de
l’amollir & de la remettre en son état naturel, lorsqu’elle est devenue schirreuse.
Elle est aussi très efficace pour résoudre les tophes, les duretés & les callosités
des pieds & des mains, de ceux qui ont été tourmentés de la podagre & de la
chiragre. C’est aussi un des meilleurs médicaments qu’on puisse appliquer aux
écrouelles, pourvu qu’on purge en même temps le malade alternativement avec
quelque bon remède antimonial & mercuriel.

Ainsi nous finissons ce Chapitre des végétaux, dans lequel nous croyons avoir
donné à l’artiste de quoi se conduire dans le travail qu’il sera obligé
d’entreprendre, sur les choses qui composent cette belle & ample famille de la
nature, soit par une simple curiosité, pour se rendre plus savant & plus expert,
soit aussi pour les remèdes dont il se pourra servir pour l’utilité publique. Il
faut continuer les mêmes règles & les mêmes instructions sur les minéraux ; ce
que nous ferons, Dieu aidant, dans le Chapitre qui suit, avec toute l’attention &
toute la ponctualité requises & possibles.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 380

CHAPITRE X.

Des minéraux, & de leur préparation Chimique.

Nous sommes enfin parvenus au dernier Chapitre de notre Traité Chimique,


qui contiendra les opérations que l’artiste doit avoir pour modèle, de ce qu’il
voudra entreprendre sur quelqu’une des parties de la famille des minéraux, qui
est selon quelques-uns, l’objet propre de la, Chimie. Car quoique nous ayons
fait voir combien cet art peut tirer de beaux & utiles remèdes des animaux &
des végétaux, il semble pourtant que tout cela ne soit qu’un jeu à l’égard des
opérations qu’il faut entreprendre, pour ouvrir & pour désunir ce que la nature
a si fortement lié & comme fixé dans les êtres, qui composent les minéraux.
C’est ce qui paraîtra plus évidemment, lorsque nous en parlerons en particulier
: car quoique nous ayons traité de leur génération dans la théorie de ce Traité, il
est néanmoins nécessaire que nous fassions la subdivision de cet ample genre,
& que nous énoncions les divisions subalternes qu’ils contiennent, aussi-bien
que les espèces qui les composent ; & que nous fassions aussi une description
de leur origine ; que nous donnions leur définition & la description de leurs
parties constituantes, afin de faire mieux concevoir la vérité des choses, la
beauté & même la difficulté du travail, qui doit rendre étonnés & confus ceux
qui se prétendent Naturalistes, & qui néanmoins n’ont aucune connaissance des
plus belles & des plus nobles actions de la nature. En effet que pourrait-elle
produire de plus parfait & de moins corruptible que l’or, de plus blanc que la
perle, de plus lumineux & de plus éclatant que le rubis & le diamant, de plus
miraculeux que l’aimant, & enfin de plus surprenant pour tous ces Philosophes
putatifs, que tout ce qui compose la famille des minéraux. Mais ce qui est
étrange & qui néanmoins est le propre de l’ignorance, c’est que ces Messieurs
ne se contentent pas de négliger l’anatomie & l’examen des minéraux, ils
passent au mépris & aux injures contre les vivants & contre les morts, qui se
sont adonnés & qui s’adonnent encore à un travail si nécessaire à la belle
Médecine ; & ils croient avoir assez fait d’hasarder que tous les corps minéraux
n’ont aucune correspondance, ni aucune analogie avec l’homme, ni avec les
maux qui l’affligent. Mais nous prouverons le contraire dans la suite, si Dieu le
permet, où nous ferons voir très évidemment qu’il n’y a que l’ignorance de la
belle physique & l’inhabilité au travail, qui ont occasionné leurs contradictions,
dont la vanité est palpable, puisque la Médecine, la Pharmacie & la Chirurgie,
ne se peuvent passer des beaux remèdes qui se tirent des minéraux par le
moyen des opérations de la Chimie.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 381

Le règne minéral contient sous soi plusieurs familles, ou plusieurs genres


subalternes, qui sont premièrement les terres rangées sous plusieurs espèces ;
mais principalement celles dans lesquelles on a reconnu de tout temps quelque
vertu particulière. Celles qu’on appelle proprement terres minérales &
médicinales, sont toutes les espèces de bol, comme d’Arménie ou d’Orient, & le
bol commun. Tontes les terres sigillées ou scellées, comme celle de Turquie ou
de Lemnos, celle de Silésie & celle de Blois ; la craie, le plâtre, l’ocre, la terre
rouge & le tripoli.

Ce règne contient ensuite les pierres minérales, divisées en précieuses & en


moins, précieuses. Les précieuses sont l’améthyste, la cornaline, la topaze, le
grenat, l’hyacinthe, le rubis oriental, le saphir & l’émeraude, auxquelles on
ajoute, quoique assez improprement, la perle, le corail, & le bésoard oriental &
l’occidental. Entre toutes celles que nous avons nommées, la Médecine & la
Pharmacie appelle les cinq fragments précieux par excellence, le grenat,
l’hyacinthe, le saphir, l’émeraude & la cornaline. Les moins précieuses, sont la
pierre d’aigle, l’albâtre, l’amiante, ou l’alun de plume, la pierre arménienne, la
pierre calaminaire, le cristal de roche, l’hématite ou la sanguine, la pierre
judaïque, le Lapis, ou la pierre d’azur, la pierre de lynx, l’aimant, le marbre, la
pierre néphrétique, l’ostéocolle, la pierre de ponce, l’ardoise, la pierre
serpentine, le caillou, l’émeri, la pierre spéculaire ou luisante, la pierre d’épongé
& le talc.

Il y a en troisième lieu les métaux, avec les choses qui ont quelque affinité avec
eux, & les excréments naturels ou artificiels des métaux. Les métaux sont, l’or,
l’argent, le cuivre, le fer, l’étain & le plomb. Les choses qui ont de l’affinité avec
les métaux, sont le mercure ou le vif argent, le cinabre ou le vermillon &
l’antimoine. Les excréments naturels des métaux, sont les marcassites ou les
moyens minéraux, comme le zinc, le bismuth, le cobolt & la cadmie métallique
& naturelle. Ceux qui sont artificiels, sont les deux espèces de litharge, le
pompholix & la tutie.

Les sels tiennent le quatrième rang dans le règne minerai, dont il y en a de deux
sortes, qui sont les naturels & les artificiels. Les naturels, sont le sel commun, le
sel gemme & le vitriol ; les artificiels sont, les aluns, le sel armoniac & le
salpêtre, qui se peut aussi appeler naturel.

Dans le cinquième & dernier rang sont, les minéraux, qui contiennent sous eux
les mixtes sulfurés ; savoir les soufres, l’arsenic, l’orpiment le réalgar, l’ambre
gris, le karabé ou le succin, le sperme de baleine, l’asphalte, le naphte, le pétrole

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 382

ou l’huile de pierre naturelle, le charbon de terre & le jayet, que quelques-uns


prennent pour le karabé noir.

Nous choisirons dans chacune de ces familles subalternes, ce qu’il y aura de


plus considérable : nous donnerons à chacun des sujets une Section à part, dans
laquelle nous expliquerons, autant que nous le pourrons, la nature de la chose ;
comme nous donnerons aussi la façon de faire sur ces produits naturels, les
plus belles & les principales opérations que l’étude & l’expérience nous a fait
acquérir, afin que la connaissance de la chose & celle du travail, servent aux
artistes de règle & de conduite, tant pour leur aider à la connaissance extérieure
& intérieure des matières minérales, que pour leur servir de modèle pour toutes
les opérations médicinales & Chimiques, qui sont nécessaires pour en tirer les
beaux & riches remèdes que Dieu & la nature y ont logés : car pour ce qui est
des opérations mécaniques & vulgaires, qui se font sur les mines des métaux &
des minéraux, ceux qui en sont curieux, les trouveront dans les Auteurs qui en
ont traité fondamentalement. Qu’on ne pense pas aussi trouver ici des
sophistications, des blanchiments, m des rubification : outre que cela n’est pas
du Traité de la Chimie médicinale & pharmaceutique ; c’est qu’il suffit à l’artiste
d’en savoir assez, pour se garder de la fourberie ordinaire de ceux qui s’en
mêlent, dont le nombre n’est aujourd’hui que trop grand : mais de plus, ce
serait faire tort à la société civile d’enseigner des choses que les méchants ne
pratiqueraient que trop, pour surprendre & tromper les bons qui savent s’en
abstenir.

SECTION PREMIERE.

Des terres.

Nous commençons par la terre, comme le sujet de toutes les générations


physiques : car la terre est la mère commune, non seulement des animaux & des
végétaux, mais encore plus proprement des minéraux, puisque son sein leur
sert comme de matrice, dans le centre de laquelle ils sont engendrés & procréés.
Nous ne prétendons point parler ici de la terre, comme d’un élément simple,
qui ne peut être conçu qu’intellectuellement ; nous n’en voulons pas aussi
traiter, comme de cette terre qui est empreinte de l’âme du monde, & qui,
quoique morte de soi-même, vit néanmoins d’une vie invisible, que l’esprit
universel y verse incessamment, pour lui faire produire les minéraux au-
dedans, les végétaux à la surface, & les animaux qui semblent être les maîtres
de tout le reste : car nous avons traité de cette belle & ample matrice, dans la
partie théorique qui fait le commencement de ce Traité. C’est pourquoi nous
consacrons cette Section aux terres minérales, qui sont douées de quelque vertu
382
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 383

médicinale, afin d’enseigner le moyen spagyrique d’en tirer cette vertu & de la
séparer par les opérations de la Chimie, ou même, si cette vertu ne peut être
séparée sans altération de son sujet, ou des seules propriétés essentielles, de les
y conserver, & de plus, de les augmenter par l’addition de ce qui peut concourir
à l’intention & à l’indication de l’artiste qui s’en veut servir.

Ces sortes de terres ont été nommées diversement pour trois raisons
principales : la première, par le lieu de leur origine ; la seconde, par la matrice
qui les a fournies, & la couleur qu’elle leur a donnée ; & la troisième, pour
certains caractères ou certaines figures qu’on leur a imprimées. Ainsi on dit la
terre Lemnienne, celle de Malte & celle de Turquie. Ainsi la mine ou la terre
aurée ou solaire, la mine ou terre lunaire, la vénérienne, saturnienne, &c. &
finalement la terre sigillée, ou la terre marquée, selon les lieux d’où on nous
l’apporte.

Nous ne parlons pas ici des terres minérales ou des mines des métaux, non plus
que des marcassites, des moyens minéraux, ou des terres vitrioliques &
sulfurées, parce que nous serons obligés d’en parler, lorsque nous traiterons des
métaux & de leur origine dans les Sections suivantes : nous ne parlerons donc
ici que des bols, ou des terres proprement dites, afin que ce que nous en dirons,
serve de lumière & d’enseignement pour toutes les autres espèces de terres qui
auront quelque rapport avec elles.

§. 1. De la terre sigillée.

Avant que de marquer le choix de ces terres, & de désigner particulièrement les
indices de leur bonté & de leur vertu, il faut que nous fassions une petite
réflexion sur ce qui peut être la cause principale de la vertu qu’elles
contiennent. Nous avons déjà dit plus d’une fois, que la lumière est la source de
toutes les bonnes impressions, ainsi nous n’insisterons pas davantage là-dessus,
puisqu’il faut de toute nécessité que ce soit cette lumière qui ait transmis ses
rayons, jusqu’au centre de ces terres, puisqu’on y rencontre une vertu
cardiaque, céphalique, hépatique, stomacale, ce qui ne peut être, à moins que
cette terre ne soit empreinte de quelque vitriol, ou de quelque soufre solaire,
martial ou lunaire, qui ne sont pourtant qu’embryonnés en elle, comme nous le
ferons voir dans la suite : car comme ces sortes de terres ne se trouvent que
dans les lieux, d’où l’on tire des métaux parfaits ou imparfaits, aussi sont-elles
plus ou moins pures, plus ou moins efficaces & remplies de vertu, selon qu’elles
participent de la pureté ou de l’impureté du vitriol & du soufre, qui sont les
principes des métaux, qui se trouvent aux lieux de leur origine.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 384

La plus excellente de toutes ces terres, est celle qui se tire dans l’Ile de Lemnos y
par les ordres du Grand Seigneur, d’où elle est portée à Constantinople, & de-là
distribuée selon ses intentions. Celle qui tient le second rang, se trouve proche
d’une Ville de Silésie nommée Striga, où l’on a commencé de la sceller, elle
porte la marque de deux montagnes ; il y en a qui l’appellent la graisse ou
l’axonge de l’or, ou du soleil, à cause qu’elle est empreinte d’un foutre solaire,
& celle-là est rougeâtre : il y en aussi une seconde espèce, qui est grise ou
blanchâtre, qu’ils appellent la graisse ou l’axonge de la Lune, parce qu’elle est
empreinte d’un soufre lunaire. Celle qui est solaire, est dédiée au cœur & à ses
maladies, comme celle qui est lunaire, est destinée au cerveau & au foie. La
troisième sorte de terre en bonté, est celle de Blois, & toutes les autres espèces
qui lui ressemblent.

Le choix des unes & des autres dépend de deux remarques principales. Il
premièrement qu’elles adhèrent subitement à la langue, lorsqu’elles en sont
touchées. Secondement, il faut que la salive qu’on met dessus ou quelque autre
humidité que ce soit, s’élève aussitôt en vessie, & fasse comme une petite
ébullition, & lorsqu’on les jette dans l’eau, qu’elles la fassent bouillonner
subitement. Or comme nous avons dit que ces terres participaient de la vertu
solaire & de la lunaire, à cause du soufre minéral embryonné qu’elles ont en
elles, aussi peut-on dire que ce sont des remèdes purement naturels, & qui sont
capables de faire paraître leurs vertus en sortant des mains de la nature, sans
qu’il soit besoin que l’art y produise rien du sien ; au contraire, il semble que
l’art ferait ici du tort à la nature, puisque ces terres ont beaucoup plus de vertu
avant la préparation commune, que la Pharmacie ordinaire en prétend faire, qui
sont de les laver & de les triturée sur le marbre ou sur le porphyre ; ce qui n’est
proprement faire autre chose, sinon de leur ôter cette portion vitriolique
embryonnée, en quoi cependant consistent leur efficace & leur vertu. Mais il y a
la préparation spagyrique, qui est capable d’en tirer ce qu’elles contiennent de
meilleur, & qui se peut donner aux malades plus agréablement & en moindre
dose.

Les vertus générales & particulières des terres & des bols, sont de dessécher,
d’être astringents, de résister à la pourriture & au venin, de résoudre le sang
caillé, de fortifier le cœur & le cerveau, & de purifier la masse du sang par le
moyen de la sueur : c’est pourquoi on les peut donner avec une grande utilité
dans la peste, dans les fièvres malignes, dans la diarrhée, dans la dysenterie, &
contre les morsures des animaux vénéneux. Leur usage extérieur est, qu’on les
peut appliquer sur les plaies malignes & envenimées, & pour arrêter les
hémorragies.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 385

§. 2. La distillation de la terre sigillée.

Prenez cinq ou six livres de terre de Silésie, qui est marquée de deux
montagnettes, & qui ait toutes les marques de bonté que nous avons rapportées,
rompez les rotules en trois ou quatre morceaux, & les mettez dans une cornue
de verre, que vous placerez au réverbère clos ; adaptez-y un ample récipient,
lutez-en exactement les jointures, couvrez le fourneau & donnez le feu par
degrés, durant l’espace de vingt ou trente heures, ou jusqu’à ce qu’il ne paraisse
plus aucun nuage, & que vous voyiez qu’il se sera fait une sublimation, non
seulement au col de la cornue, mais qu’elle soit aussi passée jusque dans le
corps du récipient : car alors c’est la vraie marque que la terre a donné tout ce
qu’elle contenait en soi de sel & de soufre, & quoique cela ne paraisse pas par sa
quantité, cependant ce qui en est sorti, est très estimable, à cause de ses rares
vertus & de son agrément ; car la liqueur est d’une petite acidité fort agréable :
il faut soigneusement joindre ce qui s’est sublimé à la liqueur qui est dans le
récipient, qu’il faut mettre dans une fiole & la garder à ses usages. Il n’est pas
nécessaire de la rectifier, car elle ne contient rien qui ne soit pur & utile.

On s’en peut servit au lieu du corps de la terre dans toutes les maladies,
auxquelles nous avons dit qu’elle était convenable ; il y a pourtant encore ceci
de plus, que cette liqueur est excellente pour apaiser les douleurs des goûtes
vagues, & pour corriger la malignité de la grattelle & de toutes les autres
éruptions de la peau. La dose est depuis quatre jusqu’à quinze ou vingt goûtes,
dans du bouillon, dans du vin, ou dans quelque eau distillée, qui soit
appropriée à la maladie. Mais il faut remarquer que la terre, qui est demeurée
dans la cornue après la distillation, ne s’attache plus à la langue, ni ne fait plus
bouillonner la liqueur ou la salive, lorsqu’elle en est humectée, quoiqu’elle ait
pourtant encore sa figure & sa couleur, ce qui témoigne évidemment, que son
humide radical & son feu intérieur qui faisaient l’astriction & le
bouillonnement, sont passés dans le récipient, & qu’il n’y a par conséquent que
cela qui faisait le principal de sa vertu.

DU BOL.

Le bol est une espèce de terre qui est rougeâtre, qui participe & qui est
empreinte des vapeurs de quelques mines ou veines de fer, qui est le mars, &
qui tient aussi quelque peu de la nature solaire. On l’appelle ordinairement
dans les boutiques du bol d’Arménie, ou du bol oriental & fin, parce qu’il vient
des parties orientales de l’Arménie. Le meilleur est celui qui est pur, qui n’est
point mêlé de sable, qui s’écoule insensiblement comme la chaux, lorsqu’il a été
humecté, & qui se fond comme du beurre dans la bouche, qui est fort
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 386

astringent, & qui s’attache facilement & promptement aux lèvres & à la langue.

Ses vertus principales sont, de dessécher fortement, d’être astringent & de


fortifier : c’est pourquoi il est très utile pour arrêter les fluxions, pour empêcher
les colliquations, pour résister à la pourriture & aux venins. Ce qui fait qu’il est
convenable aux diarrhées, à la lientérie & à la dysenterie, au flux des femmes,
soit au rouge ou au blanc, au crachement de sang, au saignement du nez, &
pour arrêter le sang des plaies. On le peut aussi mêler dans les cataplasmes &
dans les onguents, & parmi les poudres astringentes pour l’usage extérieur. On
peut distiller le bol de la même façon que la terre sigillée, & l’appliquer aux
mêmes usages.

Mais comme le bol est excellent de soi, il faut enseigner comment l’Artiste le
pourra encore améliorer, non pas en faisant la séparation de ses parties ; mais
plutôt en y ajourant quelques substances, qui augmentant sa vertu, selon
l’indication qui obligera de s’en servir ; car comme cette terre à aride & sèche,
aussi attire-t-elle avidement à soi les esprits & les sels des liqueurs dont elle est
abreuvée, & qu’elle retient en soi pour les rendre, lorsque la chaleur de
l’estomac du malade en fait la séparation : nous en donnerons quatre
descriptions diverses, afin qu’on en puisse faire autres à leur imitation.

La première sera pour le rendre plus astringent, & plus capable de produire son
effet plutôt, & plus sûrement pour l’extérieur. La seconde sera pour le rendre
plus efficace, pour dissoudre le sang caillé & coagulé dans le corps, afin de
fortifier la nature, & de faire évacuer ce sang ainsi dissout, par la sueur ou par
les urines. La troisième le rendra plus astringent pour l’intérieur, afin qu’il arrête
plutôt le flux de ventre, la dysenterie, & le flux immodéré des femmes. La
quatrième lui fera produire des effets très notables dans les maladies
pestilentielles & dans toutes les fièvres malignes, où les forces défaillent par
l’excès du venin, qu’il faut faire accessoirement transpirer & le chasser du
centre du corps du malade, à la circonférence & au-dehors par le moyen de
cette terre préparée, qui aura retenu en soi le plus subtil & le plus excellent de la
liqueur dont elle aura été abreuvée.

§. 1. La préparation du bol pour le rendre plus astringent pur le dehors.

Cette préparation ne se peut faire qu’une fois l’année au mois de Mars, à cause
qu’on ne peut avoir du frai de grenouilles qu’en cette seule saison, qui est le
commencement du printemps. Il faut prendre en ce temps-là un demi seau de
sperme de grenouilles, qu’il faut mettre dans un sac de toile, qui soit un peu
claire, avec un demi cent d’écrevisses pilées au mortier de pierre ou de marbre,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 387

jusqu’à ce qu’elles soient réduites en bouillie : le tout étant mêlé ensemble, il


faut suspendre le sac au-dessus d’une terrine, qui recevra la liqueur qui
distillera du sac ; lorsqu’il y aura environ quatre livres de cette liqueur, il faut la
purifier par la colature, & y mêler du salpêtre purifié & cristallisé & de l’alun de
roche, de chacun une once & demie : après quoi, il faut mettre une livre de bol
fin en poudre, qu’il faut humecter de cette liqueur & le faire sécher ensuite, &
continuer ainsi d’humecter & de sécher, jusqu’à ce que le bol ait été abreuvé de
toute la liqueur ; & c’est de ce bol ainsi préparé qu’il le faut servir pour
l’extérieur, tant pour arrêter le sang, que pour empêcher l’inflammation, & les
autres accidents qui suivent ordinairement les contusions & les plaies. Il le faut
aussi employer dans les emplâtres, dans les onguents & dans les cataplasmes.

§. 2. La préparation du bol pour résoudre le sang caillé intérieurement.

Prenez de l’ache, de l’oseille & du plantain, de chacune de ces plantes récentes,


une livre ; battez-les au mortier de marbre, & les pressez fortement pour en
avoir le suc, que vous mettrez dans une cucurbite au sable, avec quatre onces de
racines mondées des mêmes plantes, & deux poignées de chardon laitté ou de
nôtre-Dame, trois poignées de cerfeuil & quatre poignées de pinpernelle ; il faut
couvrir le vaisseau de sa rencontre, & faire bouillir le tout durant six heures,
puis en faire la colature, la plus nette que faire se pourra, de laquelle il faudra
abreuver une livre de bol fin en poudre & la laisser sécher, & continuer ainsi
d’humecter & de dessécher jusqu’à ce que toute la colature soit achevée, &
garder ce bol ainsi préparé, pour en donner à ceux qui sont tombés de haut, &
qui ont quelque quantité de sang épandu dans la poitrine, ou dans le bas du
ventre : on en donne depuis dix grains jusqu’à quatre scrupules, mêlé avec
autant de noix muscade en poudre dans des bouillons, ou dans quelque
décoction vulnéraire, faite avec le bugle, le sanide, le pyrola & la consoude
Sarrasine, ou même on le peut donner en bol, & faire boire par-dessus.

§. 3. La préparation du bol contre la dysenterie & les diarrhées.

Prenez deux racines de bistorte, d’oseille, de langue de chien ou cynoglosse, de


patience aiguë ou étroite, ou lapathum acutum, de plantain & de tormenrille, de
chacune une once & demie ; des herbes récentes de plantain, de mille-feuilles,
de pyrola & des feuilles récentes des extrémités des branches de chêne, de
chacune deux poignées : il faut éplucher le tout, le laver & le hacher, puis le
faire bouillir dans un pot de terre au sable, avec une livre de phlegme de vitriol
& trois livres d’eau de renouée, & réduire cela jusqu’à un tiers ; il faut presser &
couler le plus nettement qu’on pourra, & arroser & humecter de cette liqueur
une demie livre de bol fin, & continuer ainsi d’abreuver & de dessécher, jusqu’à
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 388

ce que toute la décoction soit employée ; & ainsi on aura un bol qui est
admirable, pour arrêter la dysenterie & toutes les espèces de flux de ventre
immodérés, sans qu’on puisse craindre d’enfermer, comme on dit en proverbe,
le loup dans la bergerie : car ce remède agit en fortifiant, il corrige simplement
l’irritation ou la faiblesse & le relâchement du pylore, & remet le ventricule en
état de retenir les aliments & de les digérer.

La dose est depuis cinq grains jusqu’à deux scrupules, avec la moitié d’autant
de sel de corail en bol, dans de la conserve de roses, vitriolée ou mêlée dans
quelque décoction stomacale, ou dans du bouillon : mais il vaut beaucoup
mieux le donner en bol, afin qu’il séjourne plus longtemps dans l’estomac, &
qu’il y puisse mieux imprimer le caractère & l’éradiation de sa vertu.

§. 4. La préparation du bol contre les maladies contagieuses.

Prenez du scordium & de la rhue, de chacune de ces herbes deux poignées ; des
écorces superficielles d’oranges & de citrons, de chacune deux onces ; de la
racine Angélique, de carline & de celle de contrayerva, de chacune une once :
hachez menu les plantes & les écorces, & mettez les racines en poudre grossière
; mettez-les dans un matras avec une livre & demie de vin d’Espagne, que vous
boucherez avec un autre matras de rencontre, & le mettez digérer an bain
vaporeux l’espace de trois jours naturels ; après quoi laissez refroidir les
vaisseaux, puis pressez fortement les espèces & filtrez la liqueur, dont il faudra
humecter une demie livre de bol oriental en poudre en quatre portions égales ;
mais comme ce serait dommage de perdre l’eau, qui s’en irait en l’air par une
simple exsiccation, il faudra retirer l’eau au bain-marie jusqu’à sec, dans une
cucurbite couverte de son chapiteau, & cela jusqu’à ce qu’on ait par quatre
diverses fois humecté le bol, qu’il faut garder en poudre dans une bouteille qui
soit bien bouchée : on doit aussi garder l’eau très curieusement ; car comme le
bol a retenu l’extrait & la vertu centrique des choses, qui augmentent sa vertu
cardiaque & alexitères, aussi l’eau a-t-elle en soi ce qu’elle contenait de
spiritueux & de volatil, qui n’est pas de moindre conséquence que le reste. On
peut donner de ce bol anti-pestilentiel, depuis cinq grains jusqu’à trente, avec la
moitié d’autant de chair de vipères, dans une cuillerée ou deux de l’eau qu’on a
retirée de la préparation, dans toutes les maladies malignes, mais
principalement contre la peste ; & même on peut donner de cet admirable
remède contre tous les poisons.

Ce sont là les quatre sortes de préparations que nous avons crû devoir marquer,
afin qu’elles servent de modèles pour en faire d’autres, selon les indications que
prendront les Médecins, qui seront curieux du salut de leurs malades. L’Artiste
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 389

Chimique pourra distiller le bol de la même manière que nous avons dit qu’il
fallait distiller la terre sigillée, & approprier ce qu’il en tirera, selon les vertus
que possède le bol, avec les mêmes observations & la même dose que celle des
remèdes qu’on aurait tirés de la terre sigillée, comme nous l’avons assez fait
connaître ci-dessus.

SECTION SECONDE.

Des Pierres.

Avant que de donner la définition des pierres, & décrire les opérations qui se
font sur quelques-unes d’entre elles, nous avons jugé nécessaire de dire deux
mots de l’essence ou de l’esprit minéral, qui domine dans la terre, dans le sein
de laquelle elle commence & achevé la génération des pierres, & celle de tous
les autres corps minéraux, or cette essence ou cet esprit ne peut agir, s’il n’est
aidé de l’eau qui lui sert de véhicule, pour le porter & le charrier dans son corps
mol & fluide, jusque dans les entrailles de la terre. Cette essence minérale ne
semble être rien autre chose, que l’esprit universel ou l’esprit du monde
engrossi par la lumière de toutes les idées minérales qu’elle imprime & qu’elle
communique à l’eau, afin qu’elle produise les fruits du règne minéral dans les
diverses matrices de la terre, selon le genre & l’espèce de cette essence, qui est
différente en nomination, quoiqu’elle soit une essence : car selon qu’elle est
métallique, pétrifique, saline, bitumineuse & terrestre, elle produit aussi la
diversité des substances de chacun de ces genres subalternes ; & selon le
caractère & l’idée qui prédomine, les choses minérales sont pures ou impures,
fixes ou volatiles, & ainsi de toutes les autres propriétés de ces mixtes.

Cela étant ainsi, il n’est pas malaisé de concevoir que les pierres en général ne
sont rien autre chose que des corps terrestres, durs, inductiles & friables, qui
ont été coagulés par la force du ferment lapidifique. Nous avons dit d-dessus la
différence & la diversité des pierres, nous n’avons plus à présent qu’à faire le
choix de celles que nous voulons donner pour l’exemple au travail des
opérations, qui se peuvent faire sur toutes les autres en général. Nous
prendrons donc pour les sujets des préparations, qui se font sur les pierres,
premièrement l’émeraude, secondement le cristal, troisièmement le corail, en
quatrième lieu la pierre judaïque, en cinquième le talc, & finalement la chaux.

Mais comme i! y a des observations générales, qu’on peut donner pour toutes
les pierres en général, il en faut dire quelque chose, à cause que cela servira
beaucoup à l’artiste, pour faciliter l’intelligence de tout ce que nous dirons ci-
après, non seulement des pierres, mais aussi de tous les autres minéraux & des

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 390

métaux mêmes. Ceux qui voudront avoir une exacte connaissance des pierres,
doivent recourir au docte Livre qu’en a écrit Boëtius à Boodt, Médecin de
l’Empereur Rodolphe second, & il trouvera son esprit très satisfait sur toutes
sortes de pierres : car nous ne prétendons faire ici que l’anatomie de celles que
nous avons nommées, parce qu’elles suffiront pour l’instruction de
l’Apothicaire Chimique, pour travailler sur toutes les autres qui ont quelque
relation avec elles.

Nous disons donc premièrement, qu’il faut que l’artiste considère, que comme
le corps des pierres précieuses ou non précieuses, sont plus fixes & plus durs
que ceux des animaux & des végétaux ; il faut aussi qu’il entreprenne leur
anatomie d’une toute autre façon, & qu’il se serve de menstrues différents, pour
les extraire & pour les dissoudre ; de plus, que ces menstrues n’agiraient pas le
plus souvent sur des corps si fixes, si on ne les calcine auparavant, ou seuls, ou
mêlés avec le sel ou avec le soufre, pour pénétrer la dureté de leurs corps & les
rendre poreux, afin que les liqueurs dont on se servira pour l’extraction, ou
pour la dissolution, puissent agir plus facilement & plus utilement.

Or la calcination est une des principales opérations qui se fasse sur les pierres,
soit pour les rendre capables de servir en Médecine, soit aussi pour les ouvrir &
pour les disposer aux plus exactes préparations Chimiques. La calcination
dispositive est triple, car elle est simple ignition, comme quand on fait la chaux
commune : il y a secondement l’ignition avec extinction de la matière en
quelque liqueur, afin de la désunir par cette action réitérée, & ainsi de la réduire
en poudre ou en chaux ; & la troisième calcination se fait avec le sel commun,
avec le salpêtre pu avec le soufre. La solution suit la calcination, elle se fait avec
plusieurs menstrues différents, selon le plus ou moins de fixité qui se trouve
dans les corps dissolubles. Les principaux qu’on emploie, sont le vinaigre
distillé, simple on alcalisé, l’esprit de vinaigre térébenthine & le vinaigre de
miel, l’esprit de vitriol, celui de sel & l’huile de soufre qui a été faite par la
campane ; mais il y a l’esprit de Vénus qui surpasse en activité & en vertu tous
les susdits menstrues, pour extraire ou pour dissoudre toutes sortes de pierres
calcinées ou non calcinées : nous en donnerons le procédé dans la Section des
métaux.

Ensuite de la dissolution, on vient à la coagulation, qui se fait de deux manières,


ou en retirant le menstrue par évaporation ou par distillation, & alors ce qui
reste, est un sel ; ou elle se fait par précipitation, & la poudre qui demeure,
s’appelle improprement un magistère. Il y a de plus, l’édulcoration & la
purification, qui se font par les ablutions, par les solutions & par les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 391

coagulations plusieurs fois réitérées ; & enfin pour la dernière opération, il y a


la liquation ou la solution des sels, qui ont été tirés des pierres, en une liqueur
qu’on appelle ordinairement l’huile par défaillance : elle se fait en quelque lieu
humide sur quelque table de verre ou de marbre ; & la couronne de tout le
travail, c’est la volatilisation de la liqueur ou du sel d’une pierre, par le moyen
de quelque bon menstrue cordial : elle ne se peut faire que par le moyen de la
digestion & de la distillation réitérée ; car il monte toujours à chacune de ces
opérations une portion du sel avec le menstrue. Mais si on laisse le menstrue
empreint de ce sel, on l’appelle l’élixir de la pierre ; & si on retire le menstrue à
une chaleur douce & bénigne, ce qui demeure au fond du vaisseau en forme
d’huile, s’appelle l’essence de la pierre.

Ainsi par cette gradation d’opérations, on convertit les pierres en sel, en


magistère, en liqueur, en élixir & en essence ; mais avant que de finir ces
remarques générales, il faut que nous donnions un procédé général sur toutes
sortes de pierres, pour les réduite en sel & en essence avec moins de travail ; ce
qui se fera comme nous l’allons dire.

Réduisez en poudre impalpable telle sorte de pierre qu’il vous plaira, par l’une
des trois calcinations que nous avons marquées ; broyez cette poudre très
subtile sur le porphyre, ou sur une écaille de mer avec son poids égal de sel
marin bien desséché ; mettez ce mélange dans un creuset, que vous couvrirez
de son, couvercle qui soit juste, & que vous luterez ensemble bien adroitement.
Lorsque le lut sera sec, vous le mettrez dans le fourneau d’un potier au même
temps qu’il commence à donner le feu pour cuire ses vaisseaux ; laissez-le là
durant vingt-quatre heures ; ce temps expiré, retirez votre vaisseau & l’ouvrez ;
dissolvez la matière que vous y trouverez avec de l’eau de pluie distillée qui
soit chaude, dans une terrine vernissée, agitez & triturez fortement la matière
avec un pilon de verre ou de bois ; versez ce qui sera dissout & trouble dans
une autre terrine, qui soit aussi vernissée, & continuez ainsi de broyer, d’agiter
& de dissoudre avec de la nouvelle eau chaude, jusqu’à ce que la chaux de la
pierre demeure indissoluble au fond ; il faut la faire sécher, & réitérée le même
travail avec du sel desséché, jusqu’à ce que tout le corps de la chaux soit passé
en limon gras & collant avec l’eau chaude. Lorsque le tout sera affaissé, il faut
séparer, par inclination, l’eau claire qui surnage le limon, mettre toutes ces eaux
dans une cucurbite au sable, donner le feu & en retirer la moitié par
évaporation ou par distillation ; puis verser sur la liqueur qui reste dans la
cucurbite, de l’huile de tartre par défaillance goutte à goutte, tant que cette
liqueur devienne blanche comme du lait, afin d’en séparer ce qui aura été

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 392

précipité, & continuer de précipiter & de filtrer jusqu’à ce que l’eau demeure
claire.

Joignez alors toute la limosité des terrines, avec celle qui est demeurée dans le
filtre, & les lavez avec de l’eau de fontaine tiède, jusqu’à ce que l’eau en sorte
insipide comme on l’y aura versée, ce qui sera un vrai signe que toute la matière
qui reste, sera privée de tout sel ; séparez-en l’eau le plus exactement que vous
pourrez ; puis mettez cette matière dans une cucurbite, & versez dessus de très
bon vinaigre distillé, jusqu’à l’éminence de quatre doigts ; mettez le tout digérer
aux cendres, jusqu’à ce que le vinaigre ait perdu son acidité & qu’il soit devenu
doux, retirez-le alors par inclinaison, & en reversez d’autre jusqu’à la même
hauteur, & continuez ainsi, tant que le vinaigre distillé ne change plus de goût ;
joignez toutes les extractions & dissolutions ; filtrez-les & les évaporez au sable
lentement jusqu’à sec, mais sans bouillir ; & il vous restera le sel de la pierre de
couleur grisâtre, qu’il faut broyer & mettre dans un matras, & verser dessus de
l’esprit de vin tartarisé, jusqu’à la hauteur de quatre doigts ; il faut boucher le
vaisseau avec un autre matras de rencontre, & en tirer la teinture au bain-marie
; & lorsque l’esprit sera coloré, il le faut séparer & en remettre d’autre, jusqu’à
ce qu’il ne se colore plus ; filtrez toutes les teintures, & en retirez doucement
l’esprit à la vapeur du bain, jusqu’à ce que l’essence de la pierre demeure au
fond en consistance d’un sirop clair.

Voilà le moyen général de travailler sur les pierres de quelque qualité & vertu
qu’elles soient, & lorsque l’artiste aura fait quelque essence de cette nature, il
aura recours aux Auteurs qui ont traité de ces pierres en particulier & de leurs
vertus ; par-là il sera capable de les appliquer à leurs usages : on peut seulement
ajouter la dose générale de ces nobles remèdes, qui est depuis une ou deux
gouttes jusqu’à huit ou dix le matin à jeun, dans du bouillon, dans du vin, dans
quelque décoction ou dans, quelque eau distillée, qui soit spécifique à la
maladie & au remède : cela soit dit en passant touchant les pierres en général,
venons maintenant au détail des opérations que nous faisons servir d’exemple
en particulier.

§. 1. De l’émeraude & de sa préparation chimique.

L’émeraude est une pierre précieuse transparente, qui est très estimée pour sa
belle couleur verte, & qui est plus tendre & plus cassante que toutes les autres.
Les plus excellences émeraudes sont les orientales, tant parce que leur couleur
verte est plus chargée & plus agréable, que parce qu’elles ont plus de vertu. Les
moindres, sont celles qui viennent du Pérou & celles qui se trouvent en Europe.
Lorsque les fragments de l’émeraude ont été simplement calcinés par l’ignition
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 393

& par l’extinction, dans de l’eau de suc de buglosse, & qu’elle est ensuite
triturée en alcool sur le porphyre, avec la même eau & séchée ; on la peut
donner en bol avec de la conserve de fleur de souci, depuis quatre grains
jusqu’à, dix, contre toute sorte de flux de ventre & de flux de sang, mais
principalement contre la dysenterie, soit qu’elle provienne de l’érosion des
intestins, ou quelle ait sa cause dans quelque matière maligne : elle est aussi
capable de remédier aux morsures des bêtes venimeuses, à la peste, aux fièvres
pestilentielles & à toutes les autres fièvres malignes.

On attribue encore beaucoup d’autres vertus à l’émeraude entière & sans


préparation ; mais ce n’est que par l’application extérieure, comme de la pendre
au col contre le mal caduc, de la lier à la cuisse pour faciliter l’accouchement, de
l’appliquer sur le ventre pour empêcher l’avortement, de pouvoir arrêter le
saignement du nez en la tenant dans la bouche, aussi-bien que le flux de sang
du ventre, & celui des hémorroïdes, appliquée en teinture sur les reins. On dit
aussi qu’elle réjouit les sens intérieurs & les extérieurs, étant portée au doigt ;
qu’elle chasse la peur & les mauvaises visions, jusque-là qu’il y a des Auteurs
qui rapportent qu’elle se casse quelquefois, lorsque celui qui la porte, se livre
trop au plaisir vénérien. Nous avons bien voulu rapporter tout cela en
raccourci, pour faire connaître ce que l’expérience a pu faire remarquer
d’efficace dans les pierres précieuses, qui toutes ont en elles quelque portion
d’un soufre métallique très pur, qui leur communique des vertus beaucoup
plus étendues, que n’ont les animaux & les végétaux.

Or ce soufre n’est que la plus pure partie de la lumière condensée, qui fait une
éradiation continuelle de sa vertu, sans qu’elle diminue aucunement, à cause de
la vertu magnétique de la pierre, qui attire perpétuellement son semblable du
plus haut des Cieux. Comme l’exemple s’en voit encore au saphir oriental, qui
est miraculeux contre la peste ; en sorte que si le malade a plusieurs charbons
sur le corps, il n’y en aura pourtant pas un qui suppurera, ni qui sera escarre,
que celui à l’entour duquel on aura fait une circonscription avec le saphir en
touchant la peau, & si de plus, l’escarre ne passera jamais les bornes, qu’il
semble que la vertu de la pierre lui a prescrites.

Venons à la préparation chimique de l’émeraude, pour en tirer le sel, la teinture


& l’élixir ou l’essence.

§. 2. La préparation chimique de l’émeraude.

Prenez des fragments d’émeraudes les plus verts & les plus nets que vous les
pourrez recouvrer ; mettez-les en poudre dans un mortier d’acier, & passez-en

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 394

la poudre à travers d’un fin linge dans une boite, ce qu’on appelle cicotriner
dans les boutiques ; mais il vaut autant les triturer en poudre impalpable, qu’il
faut mettre dans un matras, & verser dessus de l’esprit volatil d’urine, qui ait
encore du phlegme en soi, afin d’en tirer la couleur ; cela étant suffisamment
coloré, il le faut retirer & en remettre d’autre, jusqu’à ce qu’il ne se colore plus ;
ensuite de quoi, il faut filtrer les teintures par le coton, & les mettre dans une
cucurbite, afin d’en retirer l’esprit jusqu’à consistance d’extrait, sur lequel il faut
verser de très bon esprit vin ; fermez le vaisseau de sa rencontre, lutez & faites
extraire, digérer & circuler à la vapeur du bain, jusqu’à ce que l’esprit soit teint
d’une haute couleur verte : il faut ensuite retirer la moitié ou les deux tiers de
l’esprit à une chaleur fort lente, & il restera un élixir ou uns essence
d’émeraude, qui est un souverain remède contre la dysenterie, & contre toutes
les autres espèces de flux de ventre, du flux rouge & blanc des femmes, du flux
hémorroïdal & contre les hémorragies.

Il n’est pas moins profitable contre toutes les affections du cerveau, & contre les
maladies du cœur & principalement contre la syncope, les faiblesses & la
palpitation, & même contre la mélancolie, la frénésie & les hébétations des
fonctions des esprits, lorsqu’elles sont arrivées à la suite de quelque grande &
périlleuse maladie. Car outre le soufre centrique & lumineux, d’où toutes ces
belles vertus dérivent, c’est que de plus il demeure dans cet élixir une certaine
portion du sel volatil de l’urine, qui se joint à ce soufre par le moyen de l’esprit
de vin, qui forment ensemble une essence douée de toutes les propriétés que
nous lui avons attribuées.

La dose est depuis deux gouttes jusqu’à dix, dans des liqueurs appropriées aux
maladies de la tête, à celles du cœur & à celles du ventre inférieur.

§. 3. Du cristal, & de sa préparation chimique.

Le cristal est une pierre transparente, qui ressemble proprement à de l’eau


congelée, & réduite en glace lucide & diaphane. Si bien que ce que les Grecs
appellent cristal, nous le nommerons congelé. Nous ne nous amuserons pas ici
à faire une longue dispute, pour prouver que le cristal n’est pas une simple eau
congelée, puisqu’il suffit de dire pour détruire la fausseté ce cette opinion, que
le cristal ne se fond pas ; mais qu’il se calcine en chaux & en sel, par la force de
l’esprit, duquel il a été coagulé d’une terre très pure & d’un peu d’eau, qui a
dissout la terre par la vertu du feu qu’elle charriait avec elle, & qui avait en soi
l’idée & le ferment pétrifiant. Nous ne parlerons pas aussi de sa figure
hexagone, que le dehors du cristal représente ; nous dirons seulement que la
figure circulaire est la plus parfaite de toutes, & que l’hexagone en approche
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 395

plus près que pas une autre ; & que comme le cristal est une des substances les
plus pures & les plus parfaites, c’est aussi pour cela qu’elle approche le plus de
la figure sphérique ou circulaire.

Le cristal se trouve en Portugal, en l’Ile de Chypre, en Allemagne, en Hongrie &


en Bohême. Le choix que l’artiste en doit faire, n’est pas malaisé, à cause de la
lucidité de la matière : il faut donc qu’il choisisse celui qui est le plus serré, le
plus pur & le plus transparent.

Pour le préparer un peu mieux qu’on ne fait communément, il faut le mettre en


poudre grossière, & le faire rougir dans un creuset au four à vent ; & lorsqu’il
est tout à fait ignifié, il le faut verser dans de l’eau de raves ou de racine
d’arrête-bœuf, qui soit rendue aigrelette avec un peu d’esprit de sel, &
continuer cette ignition & extinction jusqu’à trois ou quatre fois; il faut ensuite
le broyer sur le porphyre en poudre impalpable, avec la même eau qui a servi à
son extinction, & lorsqu’il sera desséché, il le faut garder pour ses usages, qui
sont les suivants.

Le cristal a la vertu astringente, c’est pourquoi il est bon contre le flux de ventre
& contre la dysenterie, contre la colique, contre le colera morbus, contre le flux
blanc & rouge des femmes, & contre les gonorrhées & les chaudes-pisses. Il
augmente le lait aux femmes, & chasse & dissout le tartre contre nature de
toutes les parties du corps : surtout il dissout & résout les tophes & les duretés
des membres des goûteux ; mais son principal usage est pour chasser les glaires
& le sable des reins & de la vessie, afin d’empêcher la coagulation de la pierre.

La dose en est depuis un demi-scrupule jusqu’à deux en bol, dans la conserve


du fruit de l’églantier, ou dans de l’eau de persil, si c’est pour les affections
néphrétiques, & ainsi dans d’autres conserves ou dans d’autres eaux, qui seront
appropriées par le Médecin prudent & expérimenté, selon les maladies
auxquelles il le voudra faire servir.

§. 4. La préparation chimique du cristal.

Avant que de venir à l’exacte & parfaite préparation de l’élixir & de l’essence
du cristal, il faut que nous fassions précéder une opération instantanée à l’égard
de l’autre, afin que l’artiste puisse être toujours prêt pour donner du
soulagement à ceux qui en auront besoin & selon l’ordre des Médecins. Pour cet
effet, il faut prendre égales parties des eaux de persil, d’ortie, de raves &
d’arrête-bœuf, & les accuer avec de l’esprit de vitriol, ou avec de l’huile de
soufre faite par la campane, il faut mettre ces eaux dans une bonne terrine

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 396

vernissée, & faire rougir dans un creuset au four à vent, autant d’onces de
cristal qu’il y aura de pintes de ces eaux ; il faut que le cristal soit seulement
battu grossièrement, & lorsqu’il sera bien ignifié, il faut l’éteindre dans les eaux
susdites, & recommencer ainsi dix ou douze fois, afin que les eaux attirent à
elles une bonne partie du sel du cristal : cela fait, il faut filtrer la liqueur qui
reste, & y ajouter deux onces de sucre candi blanc en poudre, pour chaque livre,
& ainsi vous aurez un remède tout prêt, pour en donner à ceux qui sont
persécutés des douleurs de la gravelle.

La dose est depuis une demi-once jusqu’à trois onces dans des bouillons, où
dans de la décoction des racines d’ononis & de la plante qu’on appelle Virga
aurea, qui soit faite dans des parties égales de vin blanc & d’eau. Remarquez
qu’il faut que le malade soit dans le demi-bain, lorsqu’il avalera le remède, &
qu’il air pris & rendu un lavement avec de la térébenthine, avant que d’y entrer.

§. 5. Pour faire le sel du cristal.

Il faut faire sécher ce qui reste de l’opération précédente, & le broyer en poudre
très subtile sur le porphyre, puis faites fluer dans un creuset autant pesant de
salpêtre très pur ; & lorsqu’il sera tout à fait en flux, vous y jetterez peu à peu la
poudre de cristal qui soit bien sèche, & les laisserez durant cinq heures ; cela
fait, il faut dissoudre ce qui reste dans le creuset avec de l’eau de pluie distillée,
pour en ôter le salpêtre qui reste ; puis dessécher la chaux lentement, & la
mettre dans un matras ; verser dessus de très bon vinaigre distillé, qui ait été
cohobé trois fois sur des orties brûlantes, & continuer de dissoudre jusqu’à ce
que le vinaigre ne tire plus rien ; alors il faut filtrer toutes les dissolutions & les
évaporer jusqu’à sec, & on aura au fond du vaisseau un sel grisâtre, que l’on
dissoudra de nouveau avec le même menstrue, filtrera & évaporera pour le
purifier. On le gardera sec comme un sel, ou on le fera résoudre à la cave en
liqueur, qui sera ce qu’on appelle improprement huile de cristal.

La dose du sel est depuis quatre grains jusqu’à seize, dans les liqueurs
appropriées & avec les précautions requises ; mais celle de la liqueur est un peu
plus forte, à cause de l’humidité que le sel a tirée à soi, qui la réduit en liqueur.
Il faut avoir recours à ce que nous avons dit des vertus du cristal préparé, pour
savoir celles du sel & de sa liqueur, avec cette remarque pourtant, qu’ils servent
principalement contre les maladies podagriques, & spécifiquement contre celles
des reins & de la vessie.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 397

§. 6. Comment il faut faire l’élixir ou l’essence de cristal.

Prenez du plus pur cristal de roche, mettez-le en poudre grossière, & en


emplissez un creuset que vous placerez au four à vent, & le ferez bien rougir ;
ayez une terrine vernissée qui soit à moitié pleine de très bon vinaigre distillé ;
éteignez le cristal rougi dans ce vinaigre, & réitérez cette ignition & extinction
jusqu’à sept fois ; ou ce qui est encore mieux, jusqu’à ce que le cristal s’en aille
de soi-même en chaux comme du sable. Alors il faut sécher cette chaux & la
mêler avec poids égal de fleur de soufre, & les calciner ensemble dans un
creuset, jusqu’à ce que tout le soufre soit consommé : il faut faire la même
calcination trois fois, puis mêler ce qui restera dans le creuset avec le double de
son poids de très fin salpêtre, qu’il faudra faire fluer dans un très bon & très fort
creuset, & les calciner ainsi ensemble l’espace de douze heures, mais ayez
attention au creuset, de crainte qu’il ne vienne à fendre ou à percer, afin d’en
substituer un autre aussitôt. C’est pourquoi il faudra en avoir un tout prêt &
tout recuit, qui soit chaud sous la grille du four à vent, pour qu’il soit prêt à être
mis au feu violent sans aucun risque.

Lorsque le temps est passé, & que la calcination est achevée, il faut broyer la
matière qui reste sur le porphyre, quatre onces à la fois, & y ajouter peu à peu
du très bon vinaigre distillé jusqu’à dix onces, & continuer ainsi, jusqu’à ce que
vous ayez une livre de matière broyée ; alors mettez le tout dans un matras
assez ample, & versez encore par-dessus huit livres de nouveau vinaigre
distillé, qui soit pur & fort, bouchez le vaisseau avec un matras de rencontre, de
la chaux vive & du blanc d’œuf battu, puis le mettez digérer au bain-marie
durant deux jours naturels à une chaleur modérée : ce temps expiré, on
trouvera le vinaigre coloré d’un rouge de sang ; cela étant fait, il faut ouvrir les
vaisseaux & filtrer la liqueur, la mettre dans une cucurbite au bain-marie, & en
retirer route l’humidité jusqu’à sec ; ensuite tirez la matière & la mettez sur une
table de verre à la cave, ou en quelque autre lieu humide, afin de la faire
résoudre en liqueur rouge, qu’il faudra recevoir dans une écuelle de verre, &
avoir soin de regarder souvent si les gouttes qui tombent, sont encore rouges
parce que ce sont les seules qui possèdent l’essence du cristal : car lorsqu’elles
changent de couleur, c’est un signe manifeste, que c’est le sel fixe du salpêtre
qui se résout, c’est pourquoi on gardera la première liqueur à part, sans se
soucier de la dernière.

Il faut laisser affaisser la liqueur rouge durant quelques jours, & retirer par
inclination le pur de l’impur, qu’il faut garder dans une forte fiole ; & lorsqu’on
s’en voudra servir, il en faut prendre une once, & la mêler avec une autre once

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 398

de bon vin blanc dans une fiole & les agiter ensemble, puis les laisser reposer
durant vingt-quatre heures, & il se fera encore une nouvelle défécation ; versez
ce qui sera clair & rouge sans le troubler, dans trois livres de vin blanc, auquel
cette liqueur se joindra fans aucune séparation d’impureté : il faut donner de ce
mélange tous les jours trois fois à ceux qui sont tourmentés de la pierre, de la
gravelle ou de la néphrétique, & à ceux aussi qui ont déjà quelque disposition
aux goûtes, & qui sentent quelque inhabilité dans les membres ; mais
principalement à ceux qui ont des tophes & des duretés, à cause du tartre qui
s’est coagulé vers les extrémités.

La prise ou la dose, est d’un verre de quatre ou cinq onces, la première doit être
prise le matin à jeun, la seconde à trois ou quatre heures après-midi, & la
troisième, lorsque le malade sera prêt de se mettre au lit. Il en faut continuer
l’usage durant le temps du mois philosophique, qui est de quarante jours pour
la guérison entière ; s’il arrivait durant cet intervalle que le ventre fût paresseux,
il ne se faut servit d’aucun purgatif, il suffira que le malade prenne
alternativement de deux jours en deux jours un simple lavement d’urine
nouvellement rendue, sans aucune addition, & l’autre jour un scrupule de la
liqueur du sel de tartre de Sennert, dans un bouillon de veau & de volaille, qui
soit altéré avec la racine de persil & avec celle de scorsonère. Mais si quelqu’un
veut prendre de ce vin essencifié seulement par précaution, un verre le matin à
jeun suffira durant quinze jours, deux fois par an, savoir huit jours avant les
deux Equinoxes de Mars & de Septembre, & en finir l’usage huit jours après ; &
ceux qui le feront, ne seront pas privés du succès de leur espérance.

§. 7. Du corail & de sa préparation chimique.

Nous mettons le corail & sa préparation au rang des pierres, tant à cause de
l’analogie de sa substance pierreuse, que parce que les opérations qui se font
sur le corail, ont beaucoup de rapport avec celles qui se font sur les pierres, soit
à raison du travail, soit aussi pour les menstrues que les artistes emploient pour
le dissoudre & l’extraire. Le travail que nous enseignerons sur le corail, servira
d’exemple pour les perles, pour toutes les pierres des animaux & pour les
coquillages : car ce serait repérer inutilement une même chose, puisque le
travail & les menstrues, qu’on emploiera sur le corail, servent aussi pour tous
ces autres corps.

Nous ne nous amuserons pas ici à faire de vaines disputes sur le sentiment des
anciens & des modernes sur la génération du corail, pour savoir s’il a été bois
ou d’une tige tendre, avant que d’être hors de l’eau de la mer, parce que cela ne
sert de rien à notre intention, il suffira seulement que nous disions à peu près ce
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 399

que c’est, que nous en donnions tes différences, & que nous en enseignions le
choix, mais principalement la belle façon de le réduire en bons remèdes.

Le corail n’est rien autre chose qu’un arbrisseau pierreux, qui se trouve attaché
à des pierres au fond de la mer. Il y a plusieurs différences de corail, tant à
cause de la diversité des couleurs, que pour le plus ou le moins de dureté. Mais
sans insister là-dessus, nous ne prétendons parler ici que du corail rouge, qui
soit serré, compact, sec & dur, haut en couleur, & qui soit pur & net, comme
celui qui a le plus de vertu, & qui possède en soi comme en raccourci, tout ce
que les autres sortes de corail peuvent avoir en elles d’efficace & de propriétés
essentielles.

Mais quelqu’un pourrait demander pourquoi le rouge est préféré à tous les
autres ? La réponse n’est pas difficile, puisque cette rougeur est un signe
extérieur de la vertu intérieure du soufre minéral, qui est un des principes du
corail, & qui est celui qui lui fournit ses principales vertus, parce qu’il est de la
nature solaire ; & c’est aussi ce qui fait que les artistes ont recherché de tout
temps avec une grande diligence, & beaucoup d’étude & de soin, le moyen de
tirer la teinture véritable du corail, parce que c’est un des principaux, remèdes
de la Médecine Chimique : car s’il y a quelqu’un qui pense être capable de
rendre les raisons de cette rougeur, par les premières & les secondes qualités
des choses, assurément il s’y trouvera trompé ; puisqu’on ne peut avoir recours
pour cela qu’à la volonté du Créateur, qui a orné les choses de telles couleurs
qu’il lui a plu, & qui les a si sagement placées dans leurs séminaires, que leur
archée intérieur on leur esprit archi-tectonique naturel & inné, ne peut
aucunement s’en déranger, ni les changer que par une erreur, ou par
l’inaptitude de la matière, qui sont ordinairement la cause des monstres, qu’on
attribue à grand tort à quelque erreur de la nature.

§. 8. La préparation chimique du corail.

Comme le corail est rempli de beaucoup de belles & nobles vertus, aussi les
artistes ont cherché de tout temps les moyens possibles de l’ouvrir avec une
grande diversité de menstrues, afin de tâcher de tirer du centre de ce mixte les
beaux remèdes que la nature y a placés. Je peux même dire qu’il n’y a point de
produit naturel, sur lequel on ait essayé tant de différentes liqueurs végétables
ou minérales ; & pour prouver cette vérité, je marquerai seulement les
principales, qui sont toutes les sortes de vinaigres distillés, les sucs de berberis,
de citron, de coings, d’oranges, l’esprit de rosée & celui du miel, l’esprit acide
de la térébenthine, la liqueur du bois de bouleau, les esprits des bois de gayac,
de buis, de genièvre, des sommités de l’aulne, du sorbier sauvage, ceux du
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 400

tartre, du sel, du vitriol & du soufre, l’eau tempérée ou l’esprit de vin accué de
ces sels, le propre esprit ardent des coraux, leur vinaigre ou leur esprit acide, &
enfin l’esprit & le phlegme de Saturne ; mais surtout, celui qui est le plus
agissant & le plus efficace, qui est l’esprit de Vénus, duquel nous avons déjà
parlé ailleurs, & donc nous donnerons la description dans la Section des
métaux.

J’ai voulu faire connaître ces différents menstrues, afin de faire mieux concevoir
combien de différentes opérations on a commencé & fini sur le corail ; &
qu’ainsi lorsque l’Apothicaire Chimique cherchera dans quelques-uns des
Auteurs qui en ont traité, & qu’il trouvera une si grande différence, il ne saura
auquel parti se ranger parmi tant de diversités : c’est pourquoi, pour lui servir
de guide, & le conduire comme par l’expérience que nous en avons faite, nous
donnerons des exemples pour bien faire les sels de corail & le faux magistère :
après quoi l’artiste fera le vrai magistère, qui doit être dissoluble : pour le
troisième, nous donnerons le moyen d’en extraire la teinture ; & pour le dernier,
comment il en fera le véritable sirop. Et afin qu’il ait une ample & véritable idée
des vertus du corail, & qu’il la puisse attribuer à l’un de ces quatre remèdes,
selon leur corporéité ou leur spiritualité, & selon leur dose, nous avons jugé
nécessaire de faite précédée les vertus générales & particulières, que les anciens
& les modernes ont attribuées au corail, qui sont telles.

Les vertus générales du corail sont d’être astringent, de rafraîchir & de


dessécher, de fortifier le cœur, le ventricule & le foie, & de purifier la masse du
sang. Ce qui fait qu’il est bon contre la peste, contre les venins & contre les
fièvres malignes. Il réjouit les sens intérieurs, aussi-bien que les extérieurs : il
arrête toutes sortes de flux du ventre, de la matrice & de la verge. Paracelse dit
que le corail, qui est haut en couleur & luisant, étant porté en amulette, garantit
de l’épouvante du sortilège, de l’enchantement, du poison, de l’épilepsie, de la
mélancolie, des insultes des dénions & de la foudre.

§. 9. Comment il faut bien faire le sel de corail.

Il faut que l’artiste prenne autant qu’il voudra de corail rouge bien choisi, qui
soit sec, dur & d’un rouge haut en couleur, qu’il le mette en poudre grossière au
mortier de bronze qui soit bien net, aussi-bien que le pilon, qu’il en mette
quatre onces dans un matras, & qu’il verse dessus peu à peu du vinaigre
distillé, qui soit très pur & très fort. J’ai dit peu à peu, parce que s’il en versait
trop à la fois, il se ferait aussitôt une ébullition subite, par l’action du dissolvant
sur le corps dissoluble, & par-là il perdrait une partie de sa dissolution : c’est
pourquoi il faut qu’il agisse avec prudence & avec patience, jusque ce que la
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 401

violence de l’action de l’esprit soit passée ; alors il peut continuer à verser tout à
la fois du vinaigre distillé sur le corail, jusqu’à l’éminence de quatre doigts : on
placera le matras aux cendres ou au sable, & on le remuera souvent, jusqu’à ce
que le vinaigre n’agisse plus, ou que le même vinaigre soit devenu tout à fait
insipide ; ce qui prouve évidemment, que toute son, acidité s’est perdue par
l’action qu’elle a faite sur la substance du corail. Il faut après cela retirer cet
esprit empreint & chargé du corail par inclination, & en remettre du nouveau
pour extraire & continuer ainsi à digérer, extraire & retirer, jusqu’à ce que toute
la substance dissoluble du corail soit enlevée. Filtrez ensuite toutes les
dissolutions à froid, parce que si on faisait la filtration, lorsque la dissolution est
encore chaude, la chaleur ferait pénétrer de petits corpuscules terrestres au
travers du filtre, qui empêcheraient la pureté & la dissolubilité du sel : il faut
mettre toutes les dissolutions filtrées dans une cucurbite au sable, & retirer
l’humidité à une chaleur modérée, jusqu’à ce qu’il se fasse un bord blanc autour
du vaisseau, alors il faut cesser le feu, parce que c’est un signe que la liqueur est
trop chargée ; il ne faut pas toucher au vaisseau, que tout ne soit refroidi, parce
que cela empêcherait que le sel ne fasse une espèce de cristallisation, qui le rend
de plus facile dissolution & plus agréable à la vue : il en faut séparer par
inclination la liqueur qui reste, afin de continuer l’évaporation dans une écuelle
jusqu’à sec ; mais ce dernier sel ne sera jamais si beau, ni si agréable que le
premier.

Mais on pourrait dire que l’évaporation du menstrue se ferait plus


promptement dans des écuelles ou dans une terrine, que dans une cucurbite
couverte de son chapiteau : je l’avoue, mais elle ne se ferait pas si nettement :
car il serait impossible que l’artiste pût empêcher que ce sel ne fut gâté par la
poudre du charbon, qu’il manie continuellement dans son laboratoire : or il faut
que l’Apothicaire Chimique s’étudie à la netteté : il y a pourtant encore une
autre raison philosophique, qui le doit obliger à retirer le menstrue dans une
cucurbite couverte de son chapiteau, qui est premièrement, qu’il connaîtra par ce
moyen que l’esprit du vinaigre est tout à fait changé, & que ce qui distille, est
insipide comme de l’eau de pluie : de plus, cette eau qu’il retirera, n’est pas
inutile, puisqu’elle est beaucoup meilleure que beaucoup d’autres eaux
distillées, pour en faire des juleps dans les fièvres ardentes : car il y a dans cette
eau un esprit imperceptible au goût, qui est très subtil, & qui est capable de
faire beaucoup de bien aux malades : secondement, le sel de corail en sera plus
beau & plus pur, il en sera même meilleur, parce que par cette lente distillation,
il se subtilise de plus en plus, ce qui fait qu’il en est plus capable de produire
son effet & sa vertu.

401
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 402

Il faut ici résoudre une difficulté importante, presque tous les Auteurs qui ont
traité de la pratique de la Chimie, veulent que le sel de corail, & tous les autres
qui ont été faits avec le vinaigre distillé, soient édulcorés par diverses
dissolutions & évaporations, avec de l’eau de pluie distillée, parce qu’ils
appréhendent, que l’acidité qui reste dans ces sels, ne soit nuisible aux malades.
Or il faut avouer qu’ils ont grand tort : car ce sel qu’il prétendent ôter, est
absolument nécessaire ; & je dis même que s’il se pouvait ôter par ce moyen
qu’ils enseignent, ce qui demeurerait, serait absolument inutile, pour ne point
dire nuisible. Car comme le vinaigre n’est rien autre chose qu’un vin fixé, par la
prédomination du sel tartareux acide sur l’esprit volatil sulfuré du vin, il faut
reconnaître que c’est uniquement un tartre liquide, qui est encore enveloppé de
beaucoup d’impuretés ; mais lorsque le vinaigre est distillé, ce tartre liquide est
plus épuré & plus subtilisé, & ne peut être mauvais de soi, non plus que la
crème de tartre, qu’à cause de son phlegme : or lorsque cet esprit a dissout le
corail, & que l’artiste attire ce phlegme, le tartre subtil du vin fixé s’arrête avec
le corps du corail & forme ce qu’on appelle sel de corail, qui n’a de vertu qu’à
cause de l’union de ce tartre volatilisé, qui est arrêté par le corail, parce que ç’est
ce sel qui charrie le corail, jusque dans les dernières digestions de notre corps, &
qui chasse par la transpiration sensible & insensible & par les urines, tout ce qui
est mauvais & contre nature dans la masse du sang. Mais pour une preuve plus
évidente, il faut que nous faisions comme toucher au doigt cette vérité, dans le
faux magistère de corail qui suit.

§. 10. Commun il faut faire le faux magistère de corail.

Pour faire ce magistère, il faut dissoudre le corail dans le vinaigre distillé, de la


même manière que nous l’avons dit pour le sel, & filtrer la dissolution, dont il
faut retirer les deux tiers du menstrue par la distillation, & lorsque les vaisseaux
sont refroidis, mettez la liqueur qui reste dans une écuelle de verre ou de
faïence, & versez dessus goutte à goutte du sel de tartre résout, qu’on appelle
improprement huile par défaillance ; & vous verrez qu’il se fera un caillé blanc,
qui n’est rien autre chose que la recorporification du corps terrestre & pierreux
du corail, qui se sépare de son dissolvant, qui est ce sel du vinaigre qui est acide
: or tous les sels lixiviaux qui sont faits par calcination, tuent les acides, ce qui
fait que les dissolvants quittent le corps qu’ils avaient dissout, & qu’ainsi ce
corps est recorporifié & précipité en bas, n’ayant plus ce sel subtil qui le rendait
visible dans la liqueur. Il faut ensuite verser ce qui surnage cette matière
blanche, & mettre de l’eau nette dessus, afin de l’édulcorer & continuer ainsi,
jusqu’à ce que l’eau en sorte insipide, comme on l’y aura versée : faites sécher
lentement ce corps blanc, & vous aurez ce qu’on prétend être le magistère de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 403

corail, & qui n’est néanmoins en effet qu’une terre fixe & astringente, qui vaut
beaucoup moins que le corail préparé, ou mis purement & simplement en
poudre subtile.

Mais à ceux qui diront que ce faux magistère est utile an flux de ventre, & qu’il
fortifie l’estomac relâché, & que par conséquent il ne doit pas être proscrit du
nombre des remèdes, nous répondons qu’il faut considérer la cause efficiente
des flux de ventre & du relâchement de l’estomac, qui est ordinairement une
sérosité âcre, acide & maligne, qui fait une colliquation mauvaise, non
seulement des aliments, mais aussi de la substance même des parties : or le
corail en poudre sera plus capable de remédier à cela que le prétendu
magistère, parce que cet acide contre nature agira dessus & le détruira, comme
on voit par expérience que le corail adoucit le vinaigre, & qu’ainsi la cause étant
ôtée, l’effet cédera. Mais il vaut beaucoup mieux se servir du sel de corail
partout où on aura besoin de remède, parce qu’outre qu’il corrigera cet acide
malin, c’est que de plus il évacuera par les sueurs & par les urines, les choses
qui ont été altérées & fondues, & par conséquent l’effet que le Médecin désire,
ne manquera, jamais de suivre.

Mais ce prétendu magistère ne peut aucunement servir en cette rencontre, parce


qu’il est fixe, & que le vinaigre distillé, ni même les esprits corrosifs n’agissent
aucunement dessus, ce qui fait connaître qu’il n’est pas capable de tuer, ni de
changer l’acide contre nature, qui cause les flux de ventre & le relâchement de
l’estomac, c’est pourquoi il est tout à fait inutile en Médecine.

On me dira peut-être qu’on re peut aussi précipiter avec l’esprit de vitriol, avec
son huile, avec celle de soufre, ou avec l’esprit de sel, & qu’il en sera meilleur ;
& c’est encore ce que nous nions, parce que s’il y avait quelque chose de bon à
espérer de ces magistères, ce serait de celui qu’on précipité avec la liqueur du
sel de tartre, plutôt que de celui qu’on précipiterait avec ces esprits, parce qu’il
serait encore beaucoup plus fixe que l’autre, & par conséquent moins capable
d’agir. Mais il ne faut point parler de cela davantage, puisque Paracelse dit au
sixième Livre des Archidoxes, qu’il faut que le magistère pénètre tout notre
corps presque en un instant, par la subtilité de ses parties : ce qui fait voir
manifestement, qu’il faut que ce soit toute autre chose que ces terres fixes, qui
ne sont capables d’aucune action & encore moins de pénétration, parce quelles
sont privées de tout sel & de tout esprit, de l’activité desquels dépendent toutes
les actions & toutes les puissances. C’en est assez sur ce sujet, il faut passer à la
vraie façon de faire un magistère qui ne démente pas son nom, c’est-à-dire, que
ce soit un maître remède, ou un remède de maître,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 404

§. 11. Comment il faut faire le magistère de corail.

Nous ne nous servirons pas en cette opération d’un simple vinaigre distillé, non
plus que du corps de quoique sel, pour ouvrir & pour pénétrer le corps du
corail, sans diminution de ses puissances & de ses facultés séminales : au
contraire, nous les conserverons & les augmenterons plutôt par le moyen d’un
esprit volatil, pénétrant, actif, & qui n’agit point comme les corrosifs, qui font
bien la dissolution des matières, mais qui en changent & qui en éteignent les
vertus. Ce sera de cet admirable esprit de Vénus, que nous prendrons pour faire
un vrai magistère pénétrant & dissoluble : car ce véritable vinaigre
philosophique réduira le corail, comme dans son premier être, ou en suc
spermatique, sans que néanmoins il altère en rien la bonté de son soufre
principal, parce qu’on retire ce noble dissolvant avec le même goût, la même
vertu & la même puissance dissolutive qu’il avait avant son action sur le corail,
& qu’il peut être encore employé à une pareille opération ou à quelque autre
que ce soit, ce qui n’est pas un des moindres mystères de la nature & de l’art,
dont nous avons l’obligation à cet admirable Médecin Allemand M. Zwelfer,
qui nous a découvert ce beau secret, & qui nous a de plus enseigné le moyen de
s’en servir.

Pour parvenir à bien faire le magistère, il faut choisir quatre onces du plus beau
corail rouge qui se pourra trouver, & le mettre en poudre. Vous l’introduirez
dans un ample matras y & verserez dessus peu à peu, crainte de l’ébullition
violente, vingt onces d’esprit de Vénus bien rectifié ; & lorsque toute l’action est
cessée, vous mettrez le matras en digestion au bain vaporeux l’espace d’un jour
naturel : ce temps expiré, filtrez toute la liqueur, & vous trouverez que tout le
corail est dissout, & que ce qui reste dans le filtre, n’est rien autre chose qu’une
terre grasse & limoneuse y qui sont les impuretés & les fèces du corail ; il faut
mettre ce qui est filtré dans une cucurbite au bain-marie, la couvrir de son
chapiteau, & retirer votre esprit à une chaleur tellement proportionnée, que les
gouttes se suivent l’une après l’autre, & continuer ainsi jusqu’à ce que la
matière demeure au fond du vaisseau, comme à demi séché ; il faut alors cesser
le feu, mettre l’esprit dans une fiole, car il est aussi bon qu’auparavant. Ensuite
il faut laver ce qui est resté dans le filtre, dans huit onces d’eau de scorsonère
d’Espagne, mêlée avec autant de la seconde eau de cannelle, car il y a encore
quelque chose du magistère qui se dissoudra dans ces eaux ; filtrez-les, & y
dissolvez aussi la substance qui est demeurée dans la cucurbite : si cette
quantité d’eau ne suffisait pas, vous en prendrez encore une demie livre, afin
d’achever la dissolution qu’il faut filtrer nettement, & mettre toutes les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 405

filtrations dans une cucurbite, que vous couvrirez & mettrez au bain-marie, &
retirerez toutes les eaux jusqu’à sec.

Ainsi vous aurez une eau cordiale & céphalique, qui sera excellente contre
l’épilepsie, & contre les convulsions des petits & des grands ; & vous aurez au
fond de votre vaisseau un vrai magistère, qui se dissout subitement dans la
bouche & dans toutes sortes de liqueurs, & qui a des vertus presque
innombrables. La dose en est depuis cinq grains jusqu’à vingt, dans des
bouillons, dans du vin, ou dans de l’eau qu’on en a retirée. C’est un des plus
souverains cordiaux, & un spécifique contre la mélancolie & contre la manie ;
c’est aussi un excellent anti-scorbutique, parce qu’il purifie toute la masse du
sang, par tous les émonctoires naturels, & presque insensiblement. Enfin c’est
un vrai préservatif contre les maladies malignes, parce qu’il fortifie si
merveilleusement le ventricule, qu’il en empêche le séminaire ; & comme la
vérole ne provient & n’a son siège que dans la corruption du sang, qui infecte
ensuite toutes les parties, à cause du venin que les sérosités charrient avec cet
aliment universel ; aussi n’y a-t-il rien qui la retarde & qui l’empêche mieux que
cet admirable magistère, parce qu’il corrige & qu’il évacue sensiblement ou
insensiblement tout ce qui fomente & entretient la corruption de la masse du
sang.

§. 12. De la teinture du corail.

Il n’y a rien de si commun dans la bouche des Artistes Chimiques & dans leurs
écrits, que la teinture de corail ; il n’y a pas un de ceux qui s’en sont mêlés, qui
ne se soit vanté d’en avoir le plus assuré procédé, & qui n’ait dit en avoir fait
des miracles : mais il y a une grande différence entre les paroles & les effets ; car
il est aisé de parler, mais très difficile de prouver cette vérité par les effets. Or
comme tous les Auteurs, & principalement Paracelse, attribuent des vertus
extraordinaires à ce remède, il est raisonnable de ne se point laisser surprendre
par ceux qui se vantent de la savoir faire, & qui disent néanmoins que cela leur
est particulier, & que c’est un secret qu’ils se réservent, sans vouloir s’ouvrir en
aucune manière sur la façon de l’extraction, & encore moins sur la matière dont
ils tirent le menstrue, dont ils se servent pour l’extraction de cette teinture.

Véritablement le doute de leur capacité n’est pas sans fondement, car ceux qui
se vantent de savoir faire cette teinture, ne savent pas quelquefois ce que c’est
que teinture, & ce que c’est que menstrue : or il faut que ceux qui s’en voudront
mêler, sachent que la plupart de ces teintures prétendues ne sont que des
dissolutions du corps du corail, s’il est entier & sans calcination préalable, ou
que ce n’est que l’exaltation & la rubification du menstrue, qu’on emploie sur
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 406

les coraux calcinés par une simple réverbération, ou avec l’addition de quelques
sels ; car les sels calcinés & réverbérés se communiquent aux liqueurs qu’on
emploie pour l’extraction, & ainsi exaltent & rougissent le sel volatil du
menstrue, ce qui trompe la plupart de ceux qui ont cru jusqu’ici avoir fait la
vraie teinture du corail ; mais la vérité se découvre par la précipitation ou par
l’évaporation, parce que par ces deux actions on découvre le sel ou le corps du
corail, qui était épars invisiblement dans le menstrue.

Or il faut que la teinture du corail soit exempte de toutes ces impositions, il faut
qu’elle soit pure & simple, sans être chargée d’aucun corps, parce que les
soufres internes des choses ont une grande éradiation de vertu, mais à peine
sont-ils compréhensibles par leur corporéité. Il faut de plus que les menstrues
premiers ou seconds qu’on emploie, ne puissent acquérir d’eux-mêmes aucune
couleur, quoiqu’on les tienne longtemps en digestion, sans aucune addition.
Lorsque l’artiste sera assuré de tout cela, & qu’il tirera par ce moyen de la
teinture du corail, il sera très assuré qu’elle sera vraie, & qu’elle aura les effets
que les Auteurs lui attribuent. Je n’en peux pas donner une description plus
philosophique & meilleure que celle qui suit.

§. 13. Procède véritable de la teinture du corail.

Pour arriver à la perfection d’un si noble médicament, il faut employer du


temps & des matières ; & de plus, il ne faut pas que ce soit un Apprenti en
Chimie qui se mêle d’en venir à bout du premier coup ; car il faut être capable
de distiller, de digérer, de cohober, de rectifier & d’extraire, & tout cela avec
jugement & proportion. C’est pourquoi nous commencerons par la préparation
des menstrues nécessaires pour la première & pour la seconde extraction ; & il
faut que l’artiste chimique considère bien ces deux menstrues, car ils ne sont
pas sans mystère.

§. 14. Le premier menstrue.

Prenez quatre livres de tartre de Montpellier, qui soit nettoyé & purifié, comme
nous l’avons dit en la préparation du tartre, qu’il faut mettre en poudre subtile,
& le mêlée exactement avec une livre de vitriol verdâtre, qui soit de la nature
martiale ; il faut mettre ce mélange dans un bon matras assez ample, & verser
dessus trois livres de phlegme de vitriol, qui soit empreint de son esprit sulfuré
volatil ; cela fait, il faut boucher le vaisseau avec un matras de rencontre, le luter
exactement, & le mettre en digestion à la vapeur du bain dans de la paille
coupée, l’espace de sept jours naturels à une chaleur moyenne. Après quoi il
faut avoir une cucurbite qui soit lutée jusqu’à moitié d’un bon lut, qui puisse

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 407

résister au feu, & qui soit bien séché, laquelle il faut accommoder au four de
réverbère, & laisser quatre registres aux coins du fourneau pour gouverner le
feu ; versez ce qui a été digéré dans cette cucurbite ; couvrez-la aussitôt de son
chapiteau, que vous luterez comme il faut, & y adapterez un récipient dont les
jointures soient aussi lutées ; donnez alors le feu par degrés doucement &
modérément, jusqu’à ce que les gouttes commencent à se suivre ; entretenez le
feu dans cette médiocrité, jusqu’à ce que les gouttes cessent tout à fait ; lorsque
cela est ainsi, augmentez le feu de plus en plus, jusqu’à ce que toutes les
vapeurs soient passées, & que le chapiteau s’éclaircisse de soi-même, cessez
alors le feu & laissez refroidir le tout. Séparez de la liqueur distillée l’huile de
tartre par la filtration, & rectifiez l’esprit aux cendres jusqu’à sec, & ainsi vous
aurez le premier menstrue pour extraire les coraux, sans aucune préalable
calcination.

Mais avant de passer plus avant, il faut que nous avertissions l’artiste, qu’il ne
perde pas ce qui reste au fond de la cucurbite après la première distillation : au
con-traire, il faut qu’il le dissolve dans de l’eau de pluie distillée, qu’il le filtre &
qu’il l’évapore lentement jusqu’à sec, & il aura un tartre vitriolé, qui n’est pas à
mépriser ; car c’est un grand désopilatif pour toutes les obstructions du bas
ventre. La dose est depuis six grains jusqu’à un scrupule, dans des bouillons,
dans du vin blanc pu dans quelque décoction de scolopendre, & des racines de
chicorée & de persil.

§. 15. Le second menstrue.

On appelle ordinairement ce menstrue Aqua temperata, l’eau tempérée, & aussi


l’esprit de sel doux ou dulcifié : car il se fait de parties égales d’esprit de vin
alcoolisé très pur, & d’esprit de sel très bien déflegmé, qu’il faut mêler peu à
peu ; puis les distiller ensemble & les faire passer par le bec de l’alambic aux
cendres quatre ou cinq fois ; ou ce qui est mieux, jusqu’à ce qu’ils soient
inséparablement joints & unis par la distillation réitérée. Alors vous aurez un
très bon remède préservatif & curatif de la peste & de toutes les maladies
contagieuses, parce qu’il empêche toute corruption, & qu’il conserve les parties
naturelles dans la vigueur & dans l’égalité nécessaire : c’est aussi le menstrue
qui servira pour recevoir en soi le soufre interne du corail, que le premier
menstrue cachait encore sous l’ombre du corps.

§. 16. Comment on fera la teinture an corail.

Prenez autant du plus beau & du plus rouge corail que vous pourrez recouvrer,
& le pulvérisez très subtilement ; vous le mettrez dans un matras, & verserez

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 408

dessus du premier menstrue environ une once ou deux à la fois; vous l’agiterez
subitement, puis recommencez de verser & d’agiter, jusqu’à ce que vous ayez
mis du menstrue sur la matière, jusqu’à l’éminence de quatre pouces; bouchez
le vaisseau de sa rencontre, & le mettez en digestion au bain vaporeux dans de
la paille hachée, durant l’espace de trois semaines à une chaleur un peu plus
que tiède, après quoi ouvrez les vaisseaux, retirez la teinture rouge par
inclination, & la gardez dans une fiole ; puis reversez du nouveau menstrue sur
le corps du corail qui reste, & continuez la digestion & l’extraction, jusqu’à ce
que le menstrue ne se colore plus : joignez alors toutes les teintures, & les filtrez
; mettez-les dans une cucurbite au sable, & en retirez la liqueur jusqu’à sec à
une chaleur modelée, & vous trouverez au fond du vaisseau une poudre rouge,
qui cache dans son centre le soufre interne du corail, qui est celui qui constitue
sa couleur & sa vertu.

Mettez cette poudre dans un vaisseau circulatoire, qu’on appelle un pélican ; &
versez dessus du second menstrue, qu’on appelle eau tempérée, jusqu’à la
hauteur de six doigts ; lutez exactement l’orifice supérieur du vaisseau, après
l’avoir bouché avec un bouchon de verre ; placez-le dans le bain, & le tenez en
digestion l’espace d’un mois philosophique, & ce menstrue doux & agréable
tirera lentement à soi ce soufre admirable, & se chargera d’une couleur très
agréable. Cela fait, il faut cesser le feu, ouvrir le vaisseau & filtrer la teinture,
pour en séparer la féculence qui se trouve au fond du pélican : mettez la
filtration dans une cucurbite, & en retirez les deux tiers ou la moitié du
menstrue, & gardez précieusement ce qui reste, comme un des principaux
remèdes de la boutique spagyrique.

Que l’artiste ne présume pas d’abréger le temps de quarante jours, quoiqu’il


voie que le menstrue soit coloré : car il faut que la circulation fasse l’extraction,
l’exaltation & l’union, ce qui ne se peut faire en moins de temps : il faut que
l’Apothicaire Chimique, qui désire réunir dans ses opérations, suive la nature,
qui ne travaille que lentement, & qu’il se souvienne de ce que dit notre grand
Maître Paracelse, que omnis praecipitatio à diobon, & qu’il aura toujours assez tôt
fait, lorsqu’il aura bien fait.

Nais avant de donner la dose & les vertus de cette teinture, il est bon de
prévenir les esprits, qu’elle n’est pas seulement bonne par opinion, mais qu’elle
l’est en effet. Pour cet effet, il faut faire une réflexion judicieuse sur la matière &
sur les menstrues. Il n’y a personne qui ne reconnaisse que le corail a beaucoup
de belles vertus, jusque-là que les anciens & les modernes ont reconnu tous
unanimement, que cette vertu résidait dans sa rougeur, & ont tous désiré de la

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pouvoir extraire, avec quelque liqueur qui fut, analogue à notre nature,. C’est
ici que cela se voit ; car ce que nous avons employé pour la distillation du
premier menstrue, est bon de soi, chacun à part : mais il s’en fait de plus une
union mystique & philosophique, par la distillation & par la digestion qui l’a
précédée ; si bien que le vitriol a été modéré & adouci par le tartre, par leur
action & réaction de l’un sur l’autre, & ainsi de ce mariage il en résulte un esprit
qui est ami de la nature, & qui n’a rien de corrosif, c’est pourquoi on ne doit
point appréhender qu’il ait altéré les principes séminaux du corail : au
contraire, il les a seulement dégagés du commerce de la matière qui les tenait
enfermés, & les a plutôt perfectionnés qu’il ne les a avilis. Pour ce qui est du
second menstrue, je crois qu’il n’y a personne qui ose rien dire à l’encontre,
puisque l’esprit de vin & celui de sel, sont deux vrais baumes conservatifs, non
seulement des corps vivants, mais aussi des corps morts, lorsqu’ils sont encore
séparés : mais qui n’admirera les admirables ressorts de la nature & de l’art, oui
sont capables de faire l’union du plus subtil & du plus volatile de tous les
esprits avec un des plus fixes, & d’en faire un esprit neutre, qui ne tient plus du
goût, ni d’aucune des qualités d’aucun des deux en particulier. D’où je conclus
que cette teinture ne peut être qu’un des plus excellents remèdes que la Chimie
puisse fournir.

Aussi a-t-elle cette prérogative d’être le premier & le principal de tous les
remèdes pour purifier la masse du sang de toutes les impuretés dont elle puisse
être attaquée, soit de lèpre, de vérole ou de scorbut, elle fortifie le cœur, réjouit
les sens, chasse la mélancolie, empêche le songes fâcheux, arrête les
hémorragies, apaise les douleurs internes, fortifie l’estomac, apaise les
irritations de la matrice, corrige les météorismes de la rate, ôte les obstructions
du foie, du mésentère & du pancréas, provoque & arrête les purgations
lunaires, purge & nettoie les reins & la vessie, & fortifie le cerveau & toutes les
fonctions du corps & de l’esprit : enfin je n’aurais jamais fait, si je rapportais
tout ce que tes anciens & les modernes disent à la louange de cette teinture.
Aussi faut-il avouer qu’on le peut légitimement promettre des merveilles de
tous les remèdes qui sont faits des esprits volatiles, animés de la force & de la
vertu des soufres internes des choses, & principalement de celles qui font de la
nature solaire, parce que ces nobles médicaments pénètrent comme la lumière
en un instant jusque dans nos dernières digestions, & impriment en passant
dans toutes les parties, le caractère & l’idée de leur vertu balsamique, ce qui est
cause qu’elles se déchargent de toutes les impuretés que le vice des digestions y
avoir laissées.

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Il faut se servit de cette teinture pour préservatif le matin & le soir dans du bon
vin ou dans de l’hydromel vineux, dans du bouillon ou dans quelque eau
appropriée au sujet pour lequel on s’en servira : sa dose est depuis une goutte
jusqu’à quatre. Et pour un remède curatif, il en faut faire prendre au malade
dans les maladies ordinaires ou dans les maladies chroniques, depuis une
goutte jusqu’à dix dans des menstrues analogues à leur mal, & cela durant le
temps de quarante jours, parce que cet espace est capable de renouveler tout le
corps dans les maladies les plus opiniâtres, & ainsi à proportion au-dessous de
ce terme selon l’exigence du mal : c’est pourquoi cela dépendra du jugement du
Médecin.

Mais comme tous ne sont pas capables de faire ce remède, & que notre nation
ne se peut donner la patience requise pour parvenir à la possession des
teintures & des arcanes ; j’ai jugé nécessaire d’enseigner ici la façon de faire un
sirop de corail, dont la préparation sera prompte & facile, qui pourra suppléer à
cette teinture ; mais ce sera de très loin, encore ne sais-je si les Apothicaires
voudront se donner la peine de faire les frais nécessaires à la confection de ce
sirop, quoiqu’à dire le vrai, ce serait la plus excellente pièce de leur cabinet :
j’espère pourtant que ceux qui seront curieux du bien de leur prochain & de
l’acquit de leur profession, s’adonneront à l’un ou à l’autre de ces bons
remèdes,

§. 17. Pour faire le vrai sirop de corail.

On se sert ordinairement de ce sirop pour fortifiée les facultés vitales & les
animales, & comme c’est son principal emploi, aussi en donnerons-nous une
description qui suivra par son contenu l’intention du Médecin. Cela n’empêche
pourtant pas qu’on ne puisse substituer quelque autre liqueur, lorsqu’on le
voudra particulariser & spécifier à quelque autre usage moins général, comme
l’eau de cannelle, le suc de grenades & celui de coings, le suc de mélisse & celui
de cochléaria, & ainsi de beaucoup d’autres, selon l’indication que prendra
l’Artiste. On pourra néanmoins se servir de celui-ci en la place de tous les
autres ; parce que comme il fortifie généralement la nature & ses fonctions ;
aussi est-il capable d’en corriger tous les vices particuliers.

Pour cet effet, prenez de l’écorce superficielle de citron & d’orange, de chacune
trois onces ; coupez-les fort menu & les mettez dans une cucurbite, versez
dessus une livre & demie de très bon vin d’Espagne ou de quelque autre vin
fort & généreux, mettez ensuite dans le bec de l’alambic un nouet de toile de
soie, dans lequel vous aurez mis deux drachmes de graine de kermès qui soit
bonne & récente, une drachme du meilleur safran & une demi-drachme de très
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 411

bon ambre gris en poudre & qui aura été exactement mêlé avec les deux autres
corps : couvrez la cucurbite de ce chapiteau, lutez-en les jointures très
exactement, aussi-bien que celles du récipient que vous y adapterez, placez le
vaisseau au sable, & y donnez le feu par degré & fort lentement, jusqu’à ce que
vous en ayez retiré environ douze on quinze onces d’esprit. Après cela prenez
doux onces de magistère dissoluble de corail & les dissolvez dans dix onces de
l’esprit que vous aurez distillé, & y ajoutez une livre de sucre très fin, qui soit
réduit en poudre impalpable, agitez le tout ensemble, puis le mettez dans un
vaisseau de rencontre qui soit bien luté, placez-le à la très lente chaleur du bain
vaporeux autant de temps qu’il en faudra pour faire la dissolution ; laissez
refroidir le vaisseau, & mettez le sirop dans une fiole qui soie bien bouchée, &
vous aurez un remède souverain contre toutes les faiblesses de l’estomac,
contre toutes les maladies de la rate, & surtout qui réjouit & qui recrée le cœur
& le cerveau. On peut avoir recours aux vertus que nous avons attribuées au
corail, à son sel, à son vrai magistère & à sa teinture, pour voir les beaux usages
auxquels on peut employer ce noble sirop : la dose en est depuis une drachme
jusqu’à une once, ou seul ou dans quelque liqueur convenable.

Nous ne donnerons pas d’autres exemples de travailler sur les perles que celles
que nous avons donnés de travaillée sur le corail : car pour peu que l’Artiste
soit éclairé, il ne manquera jamais de reconnaître la différence qu’il y aura pour
travailler sur cette précieuse matière, que s’il a affaire de quelque autre
préparation, il consultera ceux qui en ont écrit plus précisément.

§. 18. De la pierre judaïque & de sa préparation Chimique.

La pierre judaïque est de la forme & de la grosseur d’une olive, elle est tendre &
friable, elle a des raies en long qui sont également distantes les unes des autres,
comme si elles avaient été faites au tour, elle est de la couleur de blanc cendré.
On l’appelle pierre judaïque, parce qu’on la trouve en Judée, on en trouve aussi
en Silésie. Quelques-uns la veulent distinguer en mâle & femelle, & destinent la
femelle à la vessie & le mâle aux reins, mais tout cela n’est que pure chimère,
c’est pourquoi nous ne nous y amuserons pas, afin de passer à quelque chose de
plus utile, qui est la préparation qui servira d’exemple & de modèle pour celle
qui se fera sur la pierre de linx & sur celle des éponges.

Il faut donc prendre autant que vous voudrez de la pierre judaïque, & la mettre
en poudre grossière & la mêler avec son poids égal de soufre battu ; il faut
mettre le tout dans un pot de terre non vernissé ou dans un creuset, & le
calciner au feu de roue peu à peu, jusqu’à ce que le soufre s’enflamme & qu’il
soit tout à fait consommé ; après cela mettez la matière calcinée dans un matras,
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& versez dessus de l’esprit de vinaigre de miel, jusqu’à l’éminence de quatre


pouces, & faites digérer & dissoudre aux cendres & agitez souvent le vaisseau,
& lorsque le menstrue sera bien chargé, il faut le retirer par inclination & en
remettre de nouveau jusqu’à trois fois, afin de tirer le sel que la matière contient
; filtrez ensuite les dissolutions, mettez-les dans une cucurbite & les faites
évaporer lentement au sable jusqu’à sec, & ainsi vous aurez le sel de la pierre
judaïque, qu’il faudra purifier par plusieurs dissolutions, filtrations,
évaporations & coagulations, jusqu’à ce qu’il soit pur & net : mais notez que si
l’Artiste aiguise le menstrue, avec lequel il fera la purification, avec un peu
d’esprit de sel, qu’il en viendra bien plutôt à bout, & que même le sel en aura
plus de vertu & meilleur goût.

On peut garder ce sel à ses usages, on sec ou résout, & c’est la résolution qu’on
appelle improprement l’huile de la pierre judaïque : si on la donne sec dans des
bouillons, dans du vin blanc ou dans quelque eau ou quelque décoction
diurétique, la dose est depuis quatre grains jusqu’à douze ; & si on en donne la
liqueur résoute dans les mêmes menstrues, la dose en doit être double, à cause
de l’humidité que le sel a tiré.

La vertu du sel & de la liqueur est de remédier à la difficulté d’urine, qui


provient des obstructions causées par des matières tartareuses, mucilagineuses,
graveleuses & pierreuses qui se rencontrent aux reins, dans les uretères ou dans
la vessie. Ces remèdes chassent aussi le sable & le calcul de toutes les parties où
cela s’engendre ordinairement.

§. 19. Du talc & de sa préparation chimique.

Il y en a qui ne mettent point de différence entre la pierre spéculaire ou


resplendissante, que les anciens appelaient sélénite ou lunaire, & le talc mais ils
se trompent : car c’est une pierre qui est différence de l’autre par sa friabilité,
par la couleur verdâtre & par sa fixité. Il y a de deux sortes de talc, qui sont le
blanc & le coloré : le blanc est encore différent d’espèce : car il y a celui qui vient
de Venise ; qui est verdâtre & qui se lève par écailles, qu’on estime le meilleur &
le plus pur. Il y a de plus celui qui vient de Moscovie qui n’est pas si estimé que
celui de Venise, mais il ne laisse pas d’être bon, quoiqu’il semble être moins
pur. La seconde sorte de talc est le coloré, qui est le rouge, & le noir, dont
Paracelse fait mention dans la chronique de la Carinthie ; les Auteurs
Chimiques appellent quelquefois énigmatiquement le talc, l’étoile de la terre.

Nous donnerons un exemple des opérations qui se peuvent faire sur le talc qui
est coloré & sur celui qui ne l’est pas, afin qu’on ne puisse pas nous reprocher

412
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 413

que nous ayons négligé une pierre dont la préparation a tant tourmenté &
tourmente encore si violemment la cervelle de ceux qui se sont peinés pour en
tirer de l’huile, qui a toujours été l’idole des plus fameuses Courtisanes, à cause
du secours qu’elles prétendent en tirer pour l’entretien & pour l’augmentation
de leur beauté. Je suis pourtant plutôt de l’opinion de ceux qui croient que
l’huile de talc des anciens Philosophes est une opération qui se fait sur la Lune ;
ou même que c’est le grand œuvre au blanc, qui possède le plus haut éclat de
blancheur qui se puisse jamais voir, & qui doit infailliblement être capable de
faire ce qu’on espère de cette huile de talc, que l’on a tant vantée jusqu’ici.

La principale opération qui se fasse sur le talc, est la calcination ; car comme
cette pierre est extraordinairement fixe, ce doit être le but principal de l’Artiste
de l’ouvrir par cette première préparation. Or ceux qui ont tenu le talc de
Venise en morceaux assez massifs, six semaines entières dans un feu de
verrerie, sans aucun changement en son poids, en sa couleur, ni en sa friabilité,
sont capables d’étonner ceux qui mettent la main à l’œuvre, pour le réduire en
quelque matière onctueuse, pour en faire ce beau blanc que les Dames
recherchent avec tant de curiosité & avec tant de frais, & comme il n’y a pas un
de ceux qui se disent Chimistes, qui ne se vante d’avoir quelque secret là-
dessus, nous confesserons néanmoins ingénument que nous croyons que cette
matière est trop fixe pour en prétendre tirer quelque chose sans l’aide de
quelques sels, qui soient capables de pénétrer cette pierre : car je n’ai aucune
expérience ni aucun raisonnement qui me puisse persuader du contraire, après
avoir éprouvé la fixité invincible du vrai talc, lorsque j’en ai voulu faire la
calcination sans aucune addition. Mais lorsqu’on se servira de quelques sels ou
de quelques esprits, je ne nie point qu’on ne puisse en faire un bon cosmétique
qui détergera, qui nettoiera & qui blanchira la peau : mais c’est que le soufre de
cette pierre retient toujours avec soi une portion de la graisse du sel ou de
l’esprit salin qui sera recorporifié ; c’est pourquoi il faut se servir de ces choses
avec grande précaution & avec grand jugement, de crainte qu’on ne vienne à
user & à ulcérer la peau, au lieu de la rendre déliée, délicate & blanche.

§. 20. La préparation chimique du talc de Venise.

Prenez du vrai talc de Venise, qui soit pur, net & verdâtre, mettez-en une demie
livre en poudre très subtile dans un mortier de fer, qui soit presque rouge par le
moyen du feu, comme aussi le bout du pilon duquel on se servira, ou bien ce
qui serait mieux, il le faut limer subtilement en poudre avec une lime douce, il
faut mêler diligemment cette demie livre de talc en poudre avec une livre de sel
de tartre qui soit très blanc & très sec, il faut mettre ce mélange dans un creuset

413
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 414

au four à vent, & le calciner à feu du dernier degré, durant l’espace de douze ou
quinze heures, & lorsque ce temps sera passé, il faut mettre la masse en poudre
dans un mortier chaud, puis mettre la poudre à la cave dans une terrine de grès
ou de faïence, afin de faire résoudre le sel de tartre en liqueur, qui coulera dans
une écuelle par le bec de la terrine : après que tout le sel en est séparé, vous
dessécherez ce qui reste, & le mettrez avec quatre fois son poids de salpêtre très
pur, que vous mettrez dans un nouveau creuset, qui soit d’une bonne matière,
qui puisse bien soutenir la violence du feu, placez ce creuset au four à vent &
lui donnez le feu peu à peu, jusqu’à ce que vous veniez jusqu’au plus haut
degré de la violence du feu, & ainsi votre talc se fondra en une masse qui sera
blanche & comme transparente. Cette masse sera mise en lieu frais & humide, &
elle se résoudra avec le temps en une liqueur onctueuse & glutineuse. C’est de
cette liqueur dont on se servira pour ôter & pour effacer toutes les taches, les
âpretés & les excroissances de la peau du visage, de celle des épaules & du sein,
& encore de celle des bras & des mains ; mais il faut appliquer cette liqueur
discrètement avec un pinceau & fort superficiellement ; & surtout empêcher
qu’elle ne fasse pas un long séjour sur la partie, qu’il faudra laver aussitôt avec
de l’eau de lis blancs, avec celle de fleurs de fèves, ou avec celle de fleurs de
nénuphar, qu’il faut avoir blanchies avec quelques gouttes de teinture de
benjoin.

Mais lorsqu’on voudra se servir de cette liqueur onctueuse sans crainte d’aucun
danger, il en faut mettre une partie dans un matras & verser dessus de l’esprit
de vin alcoolisé, & les digérer ensemble à la chaleur du fumier ou à celle du
bain vaporeux, l’espace de trois semaines, puis en retirez l’esprit par distillation
au même bain, & en faites la cohobation jusqu’à vingt fois au moins, en y
ajoutant à chaque fois quatre onces de nouvel esprit de vin, ainsi vous tuerez
toute la corrosion qui était en cette liqueur, & vous aurez de quoi décrasser &
de quoi blanchir la peau plus avantageusement qu’avec quelque autre chose
que ce soit, pourvu que les mains & le visage ou les autres parties aient été bien
& dûment nettoyées avec quelque bonne pâte, avant que de faire aucune autre
application.

§. 21. Pour faire une crème de talc, moins difficile à préparer que la précédente.

Prenez autant que vous voudrez de talc en poudre très subtile, que vous
arroserez deux ou trois fois avec du très excellent vinaigre distillé dans une
écuelle de verre, & cela, jusqu’à ce qu’il soit réduit comme en bouillie, qu’il faut
agiter deux ou trois heures durant avec une spatule de verre ; augmentez le
vinaigre peu à peu, jusqu’à ce qu’il y en ait assez pour y faire nager le talc en

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 415

bouillant ; mettez cette écuelle au sable, & y donnez le feu par degrés, jusqu’à ce
que la matière bouille, alors il s’élèvera peu à peu une écume grasse au-dessus,
qu’il faut recueillir avec grand soin avec une écumoire, & continuer ainsi,
jusqu’à ce qu’il ne s’élève plus rien : il faut ensuite évaporer doucement
l’humidité superflue du vinaigre, & garder ce qui reste pour s’en servir comme
d’un des meilleurs cosmétiques du monde.

Si on s’en veut servir pour laver le visage ou les autres parties, il en faut
résoudre & mêler une partie avec du phlegme de l’esprit de sel, & aussitôt après
appliquer de la pommade faire avec la moelle des pieds de mouton, la nature
de baleine, la cire grenée & un peu de graisse de porc, qui soit bien lavée dans
cette pommade ; il y faut mêler de cette crème de talc & un peu de fleurs de
benjoin, & l’éclat, la netteté & la blancheur dureront plus de quinze jours.

§. 22. La préparation chimique du talc rouge.

Il ne suffit pas d’avoir enseigné quelque préparation sur le talc blanc, qui ne sert
que pour l’embellissement du dehors, il faut aussi que nous donnions le moyen
de faire un bon remède intérieur avec le talc rouge ; car comme cette pierre a
dans son centre un soufre minéral qui est de la nature solaire, aussi faut-il
travailler à son extraction par le moyen des sels qui sont capables d’ouvrir les
corps & de les pénétrer, pour y chercher la vertu qui s’y trouve resserrée &
comme emprisonnée. Pour cet effet, prenez quatre onces de talc rouge, qu’il
faut mettre en poudre subtile dans un mortier chaud, mêlez cette poudre avec
autant de sel de tartre préparé selon Sennert, ainsi que nous l’avons enseigné ci-
devant ; mettez ce mélange dans un creuset & le faites calciner au four à vent
l’espace de douze heures ; après quoi, pulvérisez ce qui se trouvera dans le
creuset dans un mortier chaud, mettez la matière pulvérisée dans un matras,
versez dessus de l’esprit de vin tartarisé jusqu’à l’éminence de quatre doigts,
digérez-les ensemble au bain vaporeux, jusqu’à ce que l’esprit ait acquis une
couleur très rouge, tirez-le par inclination a & en remettez du nouveau, en
continuant ainsi à digérer & extraire, jusqu’à ce que l’esprit ne se colore plus ;
filtrez ensuite toutes les teintures, & les mettez dans une cucurbite, afin d’en
retirer les trois quarts de l’esprit à la lente chaleur du bain, & ainsi vous aurez
une teinture qui sera chargée du soufre interne du talc rouge, qui est un remède
préservatif & curatif de la peste & de toutes les autres maladies malignes.

On donne cette teinture depuis trois gouttes jusqu’à douze, dans du vin ou
dans du bouillon pour préservatif ; si on la donne aux malades, on en peut
augmenter la dose de juste moitié, & la donner dans de l’eau de petite
centaurée, dans celle de scordium ou dans celle de racine de petasites : c’est un
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 416

souverain cordial, un céphalique & un stomachique admirable, qui ne laisse


aucune impureté du reste des digestions, mais il les chasse par insensible
transpiration, par les urines ou par les sueurs.

§. 23. De la chaux qui se fait des pierres, & de sa préparation chimique.

La préparation de la chaux vive, qui se fait par la calcination violente des


pierres ordinaires des carrières, ou par celle des cailloux, est si commune & si
connue, à cause de la nécessité qu’on a pour bâtir, qu’il serait inutile & superflu
d’en parler fort au long. Il suffit de dire en passant, qu’elle n’est guère employée
dans la pharmacie qu’après quelque autre préparation que la simple calcination
: car la chaux vive n’a point d’autre vertu pour l’extérieur que d’être d’une
nature ignée, caustique & corrosive : mais lorsqu’elle est préparée comme nous
l’enseignerons ci-après, elle devient capable de fournir des remèdes tout à fait
hors du commun, tant pour le dedans que pour le dehors.

§. 24. Comment il faut faire l’eau de la chaux vive & la chaux préparée.

Prenez quatre livres de bonne chaux vive qui soit bien calcinée & en morceaux
bien entiers, c’est-à-dire qui n’ait point été éventée, & qui soit sans aucune
impression de l’air & de l’eau, mettez-la dans un grand bassin d’étain & versez
dessus de l’eau de pluie ou de celle de rivière jusqu’à l’éminence d’un demi-
pied, laissez-la résoudre doucement & l’agitez de temps, en temps avec une
spatule de bois, & lorsque l’eau sera bien chargée & bien empreinte du sel de la
chaux, il faut la filtrée & la garder pour le besoin. Continuez ainsi avec de
nouvelle eau jusqu’à trois fois, qu’il faut filtrer & réserver séparément à leurs
usages. Mettez ensuite la chaux qui reste sur le filtre en trochisques, & la faites
sécher, c’est ce qu’on appelle dans les Boutiques la chaux préparée, qui a la
vertu de dessécher doucement sans aucune mordacité : c’est pourquoi elle est
fort bonne pour la guérison & la cicatrisation des ulcères malins &
principalement de ceux qui tiennent du venin vérolique ; elle est aussi très utile
pour guérir les brûlures, c’est pourquoi on la peut faire servir dans les
liniments, dans les onguents, dans les emplâtres & dans toutes les poudres
épulotiques & dessiccatives, qu’on emploie pour la cure des ulcères qui sont
d’une réunion difficile.

La première, la seconde & la troisième eau de chaux vive qu’on a réservées


chacune à part, peuvent être aussi employées chacune à part selon l’exigence
des cas : car ce sont les fondements des eaux contre la gangrène, & de celle
contre les maladies des yeux. On s’en peut très utilement servir sans aucune
addition, pour laver les ulcères putrides, sordides & rongeants, il dépendra du

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 417

jugement & de l’expérience du Chirurgien de se servir de la première, de la


seconde ou de la troisième, selon qu’il connaîtra la malignité de l’ulcère par les
signes qui lui paraîtront.

§. 25. Pour faire l’eau simple contre la gangrène & contre les accidents qui
l’accompagnent.

Il faut avouer que cette eau est un des meilleurs remèdes que possède
aujourd’hui la Chirurgie pour prévenir les funestes ravages que produit la
gangrené & ses suites; & comme ce remède est tout à fait nécessaire au public, il
ne le faut pas tenir davantage dans le silence, quoique cela n’agréera peut-être
pas à plusieurs qui l’ont tenu & qui le tiennent encore pour un très grand secret,
mais comme ce noble médicament n’a été connu que par le moyen: de la
Chimie, il est raisonnable que ce soit le traité de la même Chimie qui le
communique nettement & ingénument à tous les membres de la Chirurgie, qui
n’en sont point encore participants, afin qu’il soit employé charitablement pour
la santé & pour la guérison des pauvres malades : car c’est un grand don de
Dieu, qui ne coûte presque rien & qui se trouve partout, c’est pourquoi on en
doit être libéral dispensateur envers les pauvres qui en ont besoin.

Tout le secret ne consiste qu’à mêler beaucoup ou peu de mercure sublimé


corrosif dedans l’une des trois eaux de la chaux vive, selon qu’on voudra l’avoir
plus ou moins forte & violente, & ainsi la dose du mélange dépend du jugement
du Chirurgien qui s’en voudra servir pour prévenir les accidents de la
gangrène, ou pour l’arrêter & en empêcher le progrès, lorsqu’elle a déjà mortifié
quelque partie : car les esprits & le feu caché qui sont dans cette eau, raniment
la chaleur naturelle, rappellent les esprits évanouis & bannis par le
commencement de la mortification, & séparent par leur subtilité & par leur
prompte pénétration le mort du vif.

Mais en ces occurrences, il faut très diligemment observer de mêler dans cette
eau miraculeuse deux ou trois onces d’excellent esprit de vin qui soit privé de
tout phlegme, parce que cela sera à deux fins très considérables. La première,
afin de rendre cette eau plus pénétrante & plus active, lorsque la nécessité
presse & que le péril est éminent : & la seconde, afin que l’esprit de vin s’unisse
aux sels & aux esprits de la chaux vive & du sublimé corrosif, & qu’il les
tempère & les mortifie de telle sorte qu’ils ne puissent nuire aucunement aux
parties nerveuses, tendineuses & membraneuses, qui se trouvent nues &
découvertes dans l’action & après l’action du remède : or il n’y a que ceux qui
connaissent les actions & réactions des esprits & des sels les uns sur les autres
qui puissent rendre une raison pertinente des effets que produit ce remède
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 418

admirable après le mélange de l’eau de la chaux vive, du sublimé & de l’esprit


de vin. Or cette eau ainsi composée n’est pas seulement utile à ce que nous
avons dit ci-devant ; elle est aussi très bonne dans tous les coups de feu où il y a
fracas d’os, & où il y a grande chaleur & fort douloureuse, pourvu qu’on y
ajoute dans le commencement le suc d’une douzaine d’écrevisses de rivière
pilées toutes vives & arrosées d’un peu de phlegme d’alun.

Mais il y a encore une autre eau contre la gangrené, contre les ulcères & contre
les maladies des yeux, outre celle que nous avons enseignée, donc il faut que
nous donnions aussi la description en faveur des Chirurgiens & des malades,
quoiqu’elle soit tenue très secrète par ceux qui s’en servent tous les jours avec
succès. Après quoi, nous donnerons la façon de faire l’eau ophtalmique, & celle
de la distillation du vrai esprit de la chaux vive, qui n’est pas un des moindres
chefs d’œuvres de l’Art.

§. 26. L’admirable & véritable eau contre la gangrené.

Prenez vingt livres d’eau de pluie ou de rivière, mêlez-les dans un grand bassin
d’étain, & y jetez quatre livres de bonne chaux vive qui ne soit aucunement
altérée, & la laissez éteindre doucement par une ébullition lente sans aucune
agitation, & lorsqu’on apercevra que l’extinction est parachevée, & que le
bouillonnement & l’action sera cesse, il y faut ajouter deux onces d’arsenic en
poudre & une once de bon mastic bien choisi qui soit aussi réduit en poudre ;
agitez-le tout avec une spatule de bois, afin qu’il se mêle comme il faut, alors
laissez-le rasseoir jusqu’à ce que la matière soit bien assemblée au fond & que
l’eau qui surnage soit bien claire : cela étant ainsi il faut verser par inclination ce
qui se pourra tirer sans troubler le reste, & filtrer ce qui restera pour les joindre
ensemble dans une terrine de grès, afin d’y ajouter deux onces de mercure
sublimé corrosif en poudre, six onces de très bon esprit de vin sans aucun
phlegme & deux drachmes de bon esprit de vitriol : il faut mettre ce mélange,
lorsqu’il est encore trouble, dans des bouteilles & le réserver à ses usages.

Si on se sert de cette eau pour d’autres maladies que pour celles des yeux, il la
faut troubler, & rejoindre ce qui est au fond à ce qui fera clair, ainsi on s’en
servira contre la gangrené & ses accidents, pour la cure des vieux ulcères
humides chancreux, sinueux & malins ; contre toute sorte de chaleur étrangère
& douloureuse & contre toutes les inflammations externes, contre les
phlegmons, les érysipèles, les brûlures, & même contre toutes les douleurs
arthritiques qui sont chaudes, & enfin contre l’inflammation & la douleur des
plaies. Si on la juge trop violente, on la tempérera par l’addition d’une plus
grande quantité d’esprit de vin ou par celle du phlegme de vitriol ou de celui
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 419

d’alun. Mais si on s’en veut servit aux ophtalmies & aux ulcéruscules des coins
des yeux ou à ceux des paupières, on la pourra tempérer avec de l’eau du suc
de plantain ou avec celle de grande chélidoine, ou même encore avec le
phlegme d’alun : mais il faut surtout bien prendre garde que l’eau qu’on
emploiera pour les yeux, ait été bien filtrée, & qu’il n’y ait aucune portion de la
résidence qui se fait au bas de la bouteille. On applique ordinairement cette eau
avec des compresses, des plumaceaux de charpie ou de linge, & je puis assurer
que ceux qui s’en serviront, réussiront contre tous les maux que nous avons dit,
avec un succès admirable & comme inespéré.

§. 27. La façon de faire l’eau ophtalmique.

Prenez une partie de la première eau de la chaux vive, deux parties de la


seconde & trois parties de la troisième, mêlez-les ensemble & y faites dissoudre
une drachme de sel armoniac, pour chaque livre d’eau, mettez cette dissolution
dans une bassine de cuivre ou d’airain, & l’y laissez l’espace de douze ou
quinze heures, ou jusqu’à ce qu’elle soit teinte de la couleur du saphir oriental ;
alors il la faut filtrer exactement & la garder dans une bouteille au besoin. Cette
eau n’a presque point sa pareille, pour toutes les maladies des yeux, sans
s’enquérir de quelle cause elles aient tiré leur origine : car le sel de la chaux joint
avec le sel volatile de l’urine qui constitue la vertu du sel armoniac, tirent un vi-
triol subtil du cuivre & de l’airain, qui se trouvent unis inséparablement dans
l’eau & qui lui communiquent la vertu réfrigérante, mondificative &
dessiccative.

Je dirai bien davantage, c’est que ces trois sels ainsi unis sont capables d’amortir
& de détruire toute la malignité des sels âcres, corrosifs & mordicants, qui sont
mêlés dans la sérosité du sang, & qui sont la véritable cause occasionnelle non
seulement de la douleur, de l’inflammation & des ulcères des yeux, mais qui le
sont aussi des toutes les autres démangeaisons, de toutes les éruptions & de
tous les ulcères, qui se sont & qui se forment au dehors des parties du corps
humain : c’est pourquoi on peut & on doit se servir de cette eau non seulement
contre les maladies des yeux, mais aussi contre les démangeaisons, les grattelles
& les ulcères. Que si elle était trop chargée de ces sels, à l’égard des personnes
délicates, & pour la sensibilité & la délicatesse des parties » on pourra l’adoucir
& la tempérer par l’addition de l*eau d’euphraise, de celle de fenouil, de roses
ou de plantain.

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§. 28. Pour faire l’esprit ou le vrai magistère de la chaux vive.

Prenez autant qu’il vous plaira de la meilleure chaux vive qui se pourra trou-
ver, mettez-la en poudre très subtile & la broyez sur le porphyre jusqu’en
alcool, c’est-à-dire impalpable, puis la mettez dans une cucurbite & versez
dessus peu à peu du plus subtil & du plus pur alcool de vin autant que la chaux
en pourra boire : car il faut bien prendre garde de ne point noyer la chaux, mais
qu’il y ait seulement de cet esprit, autant qu’elle en peut tirer à soi sans être
humectée, ni que la liqueur paraisse aucunement au-dessus de la matière ;
couvrez la cucurbite de son chapiteau, lutez-en les jointures très exactement
avec une triple vessie humectée avec du blanc d’œuf, & poudrée de chaux vive,
joignez de même le récipient ; placez le vaisseau au bain-marie & retirez-en
l’esprit à une chaleur très lente jusqu’à sec, laissez refroidir les vaisseaux,
ouvrez les après, & reversez le même esprit sur la chaux, qui est au fond de la
cucurbite, & continuez de distiller & de cohober avec les mêmes précautions
jusqu’à dix fois, afin que par ces diverses imbibitions on augmente & on exalte
le feu interne dans lequel réside l’esprit, l’arcane ou le magistère de la chaux : &
afin que personne ne se trompe, il est absolument nécessaire d’observer toutes
les choses que nous avons dites, autrement on perdra le temps, les vaisseaux &
les matières.

Après que les dix cohobations seront achevées, il faut prendre la chaux qui est
dans le vaisseau & la broyer très subtilement, sèchement & sans relâche sur le
porphyre, & y ajouter la dixième partie de son poids de sel de tartre très pur &
très sec, & encore autant de la tête morte du tartre, qui reste après qu’on en a
tiré le sel par élixiviation : mais il faut que cette tête morte ait été nouvellement
séchée & chauffée avant que de la mêler avec les autres matières : lorsque le
mélange aura été prestement & exactement fait, il faut mettre le tout dans une
cornue qui soit bien lutée, & que la matière ne passe pas le tiers de la capacité
de la cornue ; placez cette cornue au fourneau de réverbère clos, & adaptez à
son col un récipient, qui ait un canal gros comme le doigt, & long de quatre
pouces vers le milieu de son canal qui reçoit la cornue, en sorte que le bout de la
cornue soit justement placé au-dessus de ce petit canal, afin que les gouttes de
phlegme qui tomberont, puissent entrer directement dans le petit récipient
qu’on appropriera à ce petit canal : mais notez qu il faut avoir mis deux ou trois
onces d’esprit devin alcoolisé & privé de tout phlegme dans le corps du grand
récipient avant que je le luter.

Lorsque les vaisseaux feront bien lutés les uns avec les autres, aussi exactement
qu’il se pourra, & que le lut sera bien sec, il faut commencer à donner le feu par

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 421

degrés, jusqu’à ce que le peu de phlegme qu’il y a soit sorti, & lorsque l’Artiste
apercevra qu’il ne tombe plus de gouttes, & qu’il verra paraître une vapeur
blanche qui sortira peu à peu du col de la cornue, & qui coulera comme une
petite nuée le long au haut du canal du grand récipient, ou elle est attirée par
l’esprit de vin qui est au fond du récipient comme par un aimant, alors il faut
augmenter & presser le feu vivement de plus en plus, jusqu’à ce que toutes les
vapeurs soient passées. Lorsque les vaisseaux seront refroidis, il faut les déluter
& les ouvrir, puis jeter le phlegme comme inutile & réserver l’esprit qui est dans
le grand récipient pour le rectifier, afin d’en séparer l’esprit de vin, si faire se
peut : mais s’ils sont tellement unis, qu’ils montent également ensemble, il faut
mettre cet esprit dans une écuelle de verre qui soit un peu épaisse & qui ait été
échauffée auparavant, puis y mettre le feu avec un peu de papier allumé,
l’esprit de vin se consumera & l’esprit de la chaux vive restera dans l’écuelle,
qu’il faut garder très soigneusement, comme un des plus merveilleux agents
que la nature & l’art aient pu fournir, ainsi que le dit très doctement Basile
Valentin, lorsqu’il parle de la chaux vive.

Cet esprit est le meilleur, le plus prompt & même le plus sur remède que l’on
puisse donner contre toutes les espèces de goûtes : car il résout & consume
insensiblement toutes les matières tartarées qui ont été coagulées en quelque
endroit du corps que ce soit, par la puissante vertu & par la pénétration que
produit le feu interne qu’il contient ; on en donne depuis une goutte jusqu’à
cinq dans trois doigts de vin chaud le matin à jeun, puis on en attend
doucement l’effet dans le lit, afin que si la nature détermine son action par les
urines ou par la lueur, le malade soit en état d’aider à la nature & au remède,
autrement il agit ordinairement par insensible transpiration.

On fait aussi avec cet admirable esprit un remède très efficace contre la pierre &
la gravelle, avec une partie de pierre d’écrevisses & deux parties de chaux de
cristal de roche, qu’il faut digérer & dissoudre dans six fois leur poids d’esprit
de chaux vive & les distiller & cohober tant de fois à la chaleur des cendres que
tout ou la plus grande partie soit passée en liqueur ; de laquelle il faudra
donner aussi dans un petit verre de vin chaud, depuis une goutte jusqu’à cinq
le matin à jeun, pour guérit radicalement tous ceux qui se trouveront être
atteints de ces maladies : car il nettoie tellement tous les passages des urines de
ce mauvais levain, qu’il ne s’y en peut plus faire dans la suite aucune
génération.

Cet esprit dissout & réduit en liqueur toutes les pierres de quelque dureté
qu’elles soient ; & tout au contraire, il fixe par l’action & par la vertu de son feu

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 422

les esprits les plus volatiles. Si bien que ceux qui s’en serviront pour remède ou
pour dissolvant s’étonneront de ce que la nature a caché de si hauts mystères,
dans un sujet si vil & si méprisable que la chaux vive ; ce qui a fait dire à
Paracelse par un acte de réflexion & de grande admiration, que tel jette &
chasse du pied une pierre ou un caillou, qui lui vaudrait mieux qu’une vache,
s’il connaissait ce que Dieu & la nature y ont logé de mystérieux.

ADDITIONS POUR LE TOME SECOND.

1. Liqueur d’Angélique des religieuse Anglaises.

Prenez de la lie du plus fort vin-blanc ou clairet que mettrez en un alambic


ordinaire. Vous y ajouterez suffisante quantité d’angélique, tige & racine que
vous broierez, avec un peu de baume ou menthe ; deux cuillerées de grains de
coriandre & une cuillerée d’anis vert, l’un & l’autre concassés. Distillez votre
eau que vous ferez passer sur un nouet de safran mis dans le bec de l’alambic ;
vous y mettrez un peu de sucre : mais ne distillez pas jusqu’à siccité. Cette eau
est éprouvée contre tous les maux d’estomac.

2. Eau de Mélisse.

Il faut prendre deux bonnes poignées de mélisse que vous ferez bouillir dans
six livres d’eau de fontaine ( ou plutôt de rivière ) jusqu’à ce que votre eau ait
une couleur ; ajoutez-y deux bonnes poignées de fleurs de roses rouges ; une
poignée de fleurs de romarin ; demi-once de cannelle concassée ; quatre onces
de sucre ou plus. Quand le sucre sera dissout, tirez du feu & le couvrez : filtrez-
le par la chausse, ajoutez-y de l’huile de vitriol jusqu’à une agréable acidité,
filtrez par le papier gris, & vous en ferrez à boire une ou deux cuillerées tous les
jours, & vous rétablirez votre estomac.

3. Esprit de roses ou de Mélisse par la fermentation avec le sucre.

Prenez de la cassonade ou sucre le plus commun une livre, que vous dissoudrez
dans six livres d’eau : versez la dissolution sur quatre livres de mélisse séchée
lentement à l’ombre, ou sur des roses quoique salées. Faites un peu chauffer &
refroidir l’infusion, de manière qu’elle ne soit qu’un peu tiède ; jetez-y quelques
cuillerées de levure de nouvelle bière ; faites fermenter en un lieu tempéré, &
elle commencera à fermenter. Au bout de trois ou quatre jours que la matière
aura fermenté, mettez-la en une cucurbite & la distillez jusqu’à ce que vous
voyiez des stries dans le chapiteau. Cessez la distillation, laissez-la reposer, &
rectifiez cet esprit sur de nouvelles plantes de même espèce, & vous aurez un
esprit de mélisse qui aura toute l’odeur de la plante. Rothe.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 423

4. Eau impériale de Montpellier.

Vous prendrez trois livres d’eau rose, cinq onces d’écorces de citron & orange
séchées à l’ombre ; quatre onces de chaque, savoir noix muscade avec girolle,
cannelle que mettrez en infusion dans votre eau rose pendant quinze jours :
graine de chardon bénit, & semence de lavande, quatre onces de chaque, roses
rouges, une livre cueillies de deux ou trois jours sommités de fleurs & tiges de
romarin deux pincées & une pincée de feuilles de laurier, avec deux pincées
d’hyssope, deux poignées de marjolaine & autant de mélisse, de roses
d’églantier ou sauvages & de lavande : faites infuser quelques jours avec six
livres de bon vin blanc, & distillez au bain-marie, & il en sortira une eau dont
vous vous servirez au besoin.

Elle purifie le mauvais air, conserve la santé, est un préservatif dans le temps &
les lieux pestiférés ; donne les règles exactement aux femmes, bonne pour les
maux de tête & d’estomac en s’en frottant, aussi bien que pour la diarrhée en
buvant environ deux cuillerées : fait mourir les vers des petits enfants, leur en
donnant une cuillerée ; excellente contre la paralysie en frottant les parties
affligées & en buvant.

Le marc de l’eau Impériale n’est pas moins souverain ; sur lequel vous mettrez
du vinaigre distillé que vous ferez digérer au soleil dix ou douze jours. Vous le
coulerez & conserverez pour le sentir contre le mauvais air, mal de tête, fièvres
& autres accidents, s’en frottant. Bon même pour l’estomac le mettant dessus.

5. Eau de Santé.

Vous! prendrez au mois de Mai des fleurs de sauge jeune, c’est-à-dire, les
petites cimes tendres qui commencent à boutonner; prenez de même de celles
de romarin trois poignées de chacune. Coupez-les fort menues & les mettez
infuser dans de fort vin blanc pendant trois jours sur cendres chaudes en une
bouteille assez grande & convenable à la quantité que vous en voudrez faire.
Après quoi, pressez bien le tout pour en tirer toute la substance, dont le marc
sera mis à part, & lavez en de bonne eau de vie autant que vous avez mis de
vin, & que ce soit en un vaisseau à part. Jetez le marc, mêlez vos deux infusions
& les mettez dans un alambic, où vous les ferez distillée. Après la distillation
ajourez-y autant d’eau de roses qu’avez mis d’eau de vie & du sucre candi
quatre onces par pinte ; distillez le tout au bain-marie jusqu’à sec.

Prenez deux cuillerées de cette eau le matin à jeun : elle purifie le sang de toute
humeur maligne & superflue, est bonne contre l’hydropisie, raffermit les nerfs

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 424

& tout mouvement, fortifie l’estomac & le cerveau, réveille les sens & les esprits,
chasse les fluxions, & son usage soutient & rappelle la santé.

6. Eau Cordiale.

Vous broierez les graines suivantes, galanga, gingembre, noix muscade, graine
de paradis, clous de girofle, anis, semence de caravaye, de chacun une dragme.
Prenez ensuite, sauge, menthe, roses rouges, thym, pellitoire, romarin,
pullegium, regale, montanum, camomille, scolopendre, lavande, œillets, de
chaque une poignée.

Faites infuser le tout dans quatre pintes de bon vin blanc l’espace de vingt-
quatre heures, en remuant de temps en temps. Distillez le tout dans un alambic
de verre, & recevez la première eau à part.

Cette eau fortifie les esprits, conserve la jeunesse, est bonne en diverses
maladies d’affaiblissement ou d’humeurs froides, pour la paralysie, apoplexie
& contraction des nerfs. Aide à la conception, apaise la goûte froide : soulage
dans la pierre gravelle, douleurs de reins & de dents ; elle se perfectionne, si on
la met au soleil tout l’été.

7. Eau impériale & céleste du grand Duc de Florence.

Turbith blanc & gommeux, 2 onces. Santal citrin, 2 onces, Mastic en larmes,
Clous de girofle, Galanga, Noix de muscades, Cannelle, Cubebes, de chacun
demi-once. Réduisez en poudre grossière & mêlez en une cucurbite de verre ou
de terre vernissée. Joignez 2 onces de bonne térébenthine, Miel blanc, 2 livres.
Esprit de vin du meilleur, 4 livres.

Bouchez bien le vaisseau, & laissez en digestion au bain-marie trois ou quatre


jours avec un vaisseau de rencontre ; puis distillez au même bain, d’abord il
sort une eau fort claire, & quand l’eau claire ne distille plus, mettez dans le
vaisseau demi once de casse nouvelle, autant de spica nardi, & portez votre
vaisseau au feu de cendres gradué, & il sortira une eau blanche que vous
conserverez à part. Mais à un feu plus fort vous tirerez une eau rougeâtre &
oléagineuse, qui sert à l’extérieur seulement pour bassiner les plaies, soulage
dans les hémorroïdes, apaise les douleurs de la goûte froide.

La première eau est très claire & très spiritueuse, & l’on en peut prendre une
demi-cuillerée dans de l’eau pure une heure avant le repas pour être préservé
d’indigestions, maux d’estomac ; cette eau purifie le sang, dissipe les vents,
guérit toute opilation du foie on de la rate, abat les fumées de la matrice, apaise

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 425

les fluxions de cerveau & la goûte qui vient de la pituite a rappelle les esprits
dans les syncopes.

L’eau seconde s’applique extérieurement aussi bien que la troisième & pour les
mêmes usages. Mais cette eau seconde mêlée avec la première la rend encore
plus efficace, surtout si on y ajoute du sel de corail & de perles, de chacun une
demi-once & une once de cristal de tartre.

8. Quinquina.

Cette écorce de l’arbre quinquina, qui nous vient du Pérou, est un fébrifuge
assez sûr, duquel on se sert contre les fièvres intermittentes depuis environ 60
ans. Mais on a bien perfectionné la manière de le prendre : on l’a pris d’abord
en substance mis en poudre, après néanmoins que le malade a été bien &
suffisamment purgé : on l’a pris ensuite en tisane, puis en extrait ; on a même
introduit de le donner en lavement ; on le mêle aussi avec des purgatifs, avec
lesquels il fait assez bien.

Un usage plus moderne est de le donner en teinture faite avec eau de vie ou
esprit de vin, dont on met depuis douze jusqu’à trente-six gouttes dans une
liqueur appropriée, comme eau de petite centaurée, d’absinthe, de baie de
genièvre ou même dans du vin. On peut faire même un rossolis fébrifuge, avec
de l’infusion de coriandre & de cannelle, où l’on fait dissoudre du sucre : c’est
ce qu’on pratique pour satisfaire les différents goûts & s’accommoder à la
répugnance des malades.

La teinture se doit faire avec de l’eau de vie, ou de l’esprit de vin en un matras


bien fermé & placé sur les cendres chaudes. Cette infusion étant tirée au clair
peut se réitérer avec la même poudre de quinquina, tant qu’il donnera teinture.
Après quoi, on pourra faire l’extrait de cette même poudre avec de l’eau de noix
distillée, qu’il faudra filtrer & mêler, si l’on veut, avec la teinture.

Mais depuis quelques années M. le Comte de la Garraye Gentilhomme de


Bretagne, a trouvé moyen de tirer le sel essentiel de quinquina par la trituration
faite avec de l’eau chaude ; il prend donc une demie livre de bon quinquina en
poudre impalpable, qu’il triture ou broie avec trois pots d’eau pendant un jour
entier. Il filtre cette liqueur, qu’il laisse encore reposer pendant une nuit pour
l’avoir plus claire ; après l’avoir vidée on la met fur des assiettes de faïence pour
faire évaporer à un feu extrêmement doux ; l’évaporation étant à moitié faite,
s’il reste encore quelque sédiment, on verse par inclination pour avoir le sel
plus clarifié : on continue à faire évaporer, tant que l’on ait des cristaux très

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 426

clairs & très purs ; on le purifie même de nouveau si l’on veut, en le faisant
fondre, filtrer & évaporer pour l’avoir plus beau & plus parfait.

Une demie livre de bon quinquina donne six gros de sel très pur, on peut en
prendre deux gros chaque jour, dissout dans une pinte d’eau ou de tisane faite
avec chiendent & réglisse. On purge avant de prendre le sel de quinquina ; on
peut aussi adoucir cette tisane avec un peu de sirop capillaire. La dose pour les
enfants est de quinze à vingt cinq grains, pour les enfants qui ont depuis 6.
jusqu’à 12 ans, & ainsi en augmentant à proportion de l’âge. Le tout suivant
l’ordonnance du Médecin.

9. Extrait fébrifuge & cordial de quinquina.

Faites bouillir pendant une heure, une livre de bon quinquina, subtilement
pulvérisé dans une grande terrine vernissée, avec huit pinces d’eau de rivière,
pesant seize livres ; exprimez après le tout fortement à travers une toile. Gardez
votre expression à part ; faites ensuite bouillir le marc avec six pintes de bon vin
rouge pendant une demi-heure. Faites-en une nouvelle expression, que vous
mêlerez avec la première, faisant bouillir de nouveau le marc avec six nouvelles
pintes de vin rouge pendant demie heure, & en faisant une nouvelle expression,
que vous ajouterez aux deux premières. Vous goûterez ensuite le marc, & en cas
que vous y reconnaissiez encore de l’amertume, il en faudra faire une nouvelle
coction, & une nouvelle expression comme ci-devant. Faites évaporer ensuite
vos colatures, par le moyen d’un bon feu que vous diminuerez à mesure que la
liqueur s’évaporera, vous y ajouterez, lorsqu’il n’en restera environ que deux
pintes, quatre onces de sirop de kermès, diminuant alors le feu, & ayant le soin
de remuer la liqueur jusqu’à ce qu’elle ait acquis la consistance de sirop épais,
afin d’éviter par-là que la partie résineuse du quinquina ne se rôtisse ; ce qui
arriverait immanquablement, s’il était trop solide, & ce qui priverait le malade
des bons effets qu’il en doit attendre. Laissez refroidir à demi votre extrait un
peu liquide, & le gardez dans un pot de faïence bien bouché.

La dose ordinaire de cet extrait est depuis un demi gros jusqu’à un gros ; &
dans les occasions pressantes, où il est besoin de réprimer promptement la
violence de la fièvre, on peut en donner jusqu’à deux gros, & ajouter à chaque
prise de la confection d’alkermès, de la poudre de vipère de chacun dix grains,
& du bézoard oriental cinq grains, sans néanmoins appréhender que la quantité
surcharge l’estomac, ou y cause des désordres, comme il arrive fort souvent
dans l’usage du quinquina pris en substance. On continue l’usage de cet extrait
jusqu’à ce que la fièvre ait cessé, & même quelques jours par delà, si on le juge à
propos. Meth. d’Helvet.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 427

10. Du vin & des remèdes, qu’on en tire en plusieurs manières.

Le vin est une liqueur nécessaire à toute l’humanité & principalement à toute la
chrétienté, laquelle en est nourrie, & de tout temps le vin a été en grande
réputation entre les peuples. L’on y trouve de grands remèdes, comme bains,
étuves, décoctions, & choses semblables. Du vin on en tire la quintessence qui
est un remède excellent ; car étant bien circulée, elle devient céleste. On peut
faire beaucoup de remèdes avec ladite quintessence, car elle apaise toutes les
douleurs, & résout presque toutes sortes de maladies, mêmement quand elle est
accompagnée en la manière qui s’en suit, il savoir.

De ladite quintessence quatre parts. D’huile de soufre & de vitriol, de chacun


une part. Julep violât, soixante parts mêlées ensemble.

Cette composition sera de telle vertu, qu’en donnant une dragme par la bouche
à un moribond, il le fera revenir à soi, parce qu’il fortifie l’estomac, fait venir
l’appétit, guérit toutes sortes de fièvres & conserve en jeunesse tant les hommes
que les femmes, ce que j’ai fait & vu faire assez souvent. Fioraventi.

11. Manière de faire la Quintessence végétale de très-grande vertu, de Fioraventi.

La quintessence végétable est une essence de grande vertu. C’est une substance
tirée des quatre éléments sans corruption de ces éléments ; elle se fait en cette
manière.

Il faut avoir du vin le plus puissant qu’on puisse trouver, crû en lieu montueux
ou bons coteaux, qui soit bien mûr, & le mettre en une cucurbite avec son
alambic & récipient, & en distiller l’eau de vie, ayant attention de tenir
ordinairement des linges mouillés en eau froide sur la chape de l’alambic, & les
changer souvent. C’est le moyen pour faire que l’eau monte avec sa
quintessence &ne se perde point. Il faudra continuer cette distillation, tant que
l’eau qui en sortira prendra feu & brûlera : car si l’eau ne prenait plus feu, il
faudrait cesser la distillation. L’eau qui fera distillée se rectifiera par trois fois
dans une cucurbite couverte de son alambic au bain-marie, laissant à chaque
fois bonne quantité de flegme au fond de la cucurbite, alors vous aurez votre
eau bien préparée pour faire la quintessence : laquelle se fait ainsi.

Mettez ladite eau de vie dans un fort matras de verre, & l’enterrez dans le
fumier chaud de cheval ; vous couvrirez votre matras d’un vaisseau de
rencontre, bouchez bien le tout ; il faut que le matras soit de manière enterré,
que le col & le vaisseau de toute la petite rencontre soient à découvert. Laissez
circuler le tout, jusqu’à ce que venant à découvrir votre matras, vous trouviez
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 428

les fèces de couleurs blanches précipitées en bas & séparées de la quintessence,


qui sera de couleur céleste, & d’odeur très agréable Et quand vous trouverez
tels signes, alors vous pourrez séparer votre quintessence de ses fèces, & la
garder dans un vaisseau de verre bien bouché, car avec cette quintessence on
pourra faire des choses admirables. On peut encore tirer la quintessence du
miel de la même manière. La quintessence du miel est une chose admirable, &
je ne craindrais pas d’en faire trop d’éloges. Ces quintessences se peuvent
donner ou seules, ou avec d’autres médecines & sirops au poids de vingt grains
& moins, selon la grandeur de la maladie. C’est un médicament simple qui aide
dans toutes maladies, & ne nuit à aucune. J’ai fait sur cela une infinité
d’expériences, qui m’ont fait admirer de tout le monde.

12. Méthode d’un bon vinaigrier pour faire de fort vinaigre.

Comme on a besoin à tout moment pour les opérations chimiques du vinaigre


de vin, en voici la préparation la plus certaine. Prenez une livre de bon levain
de seigle que vous manierez tant qu’il soit bien dissout en fine bouillie dans un
chaudron avec une pinte de fort vinaigre que vous aurez fait chauffer
auparavant dans le même chaudron à y pouvoir tenir la main, pour le pouvoir
manier & détromper ; puis remettes ce chaudron sur le feu, & remuez cette
composition avec un bâton de coudrier, comme si vous vouliez faire une
bouillie qui s’épaissit bientôt, puis versez-y deux pintes de vin, mesure de Paris,
& continuez à remuer jusqu’à ce que la matière s’élève comme fait le lait sur le
feu, en prenant bien garde qu’elle ne surmonte par-dessus le chaudron, car elle
s’enflammerait comme l’eau-de-vie, & mettrait le feu à la cuisine ; puis ajoutez-
y pareille mesure de même vin, ou poiré ou cidre, suivant le pays, & remuez
sans cesse, faisant comme il est dit, par quatre imbibitions, c’est-à-dire en remet-
tant quatre fois en tout, deux pintes de vin ou d’autre liqueur ; & lorsque votre
composé sera monté bord à bord de votre chaudron à la quatrième fois,
descendez-le promptement de dessus le feu, le mettant en belle place & y jetez
aussitôt pareille quantité de vin en remuant pour bien mêler le tout que vous
passerez tiède à travers un linge de lessive blanc & net, puis vous l’entonnerez
sur une vingtaine de pintes de vin, cidre on poiré, lequel est plus fort & plus
vineux que le cidre qui est plus gras & moins spiritueux, après cela remuez
votre tonneau, & achevez de l’emplir à demi-pied près du bondon, & le laissez
travailler pendant trois ou quatre jours, puis tirez-en deux ou trois pintes que
vous reverserez par le bondon, ce qu’il faut faire sept fois de deux jours en deux
jours ; puis huit jours après tirez-en une grosse bouteille pour votre usage, car il
est fait. Versez sur le restant pareille quantité de vin, si vous voulez, parce que
le levain étant fait, il est capable de fermenter telle quantité que vous voudrez

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 429

lui en donner de la même liqueur,

Ce vinaigre travaille bien mieux sous les tuiles ou ardoises en été, ou bien étant
placé dans un lieu où l’on fait du feu, qui échauffe l’air, en chantier assez haut
de terre dont la fraîcheur ne raccommode point ; ainsi il se perfectionnera
mieux, plus le lieu est chaud & sec ; souvenez-vous de faire un bon trou au haut
de la futaille du côté où il y a plus d’air & de chaleur.

Après cela vous ferez des bouteilles de vinaigre à l’ail, rosat, d’œillet, à
l’estragon, au sureau, &c. Il faut pour cela sécher doucement toutes ces choses
dans un sac de papier, que l’on exposera au plancher ou au soleil pour les
déflegmer, afin de ne pas ôter la force du vinaigre. Quinze jours après avoir fait
le susdit vinaigre, je confis de fore gros cornichons avec barons de pourpier,
estragon & passe-pierre, dans un grand pot de grès, dans lequel ce vinaigre fit
son devoir en moins de quinze jours.

Pour le colorer aussi rouge que l’on voudra, il ne faut que des bayes de sureau
en maturité que l’on met dans un four à la sortie du pain pour les déflegmer ;
puis les mettre dans une cruche ou grande bouteille, & y verser dudit vinaigre,
qui en tirera une très belle teinture.

Ce secret du Vinaigre m’a été enseigné sous la foi du silence par un des plus
habiles vinaigriers du Royaume, lequel par sa mort m’a laissé la liberté d’en
disposer comme je fais. Le Crom.

13. Laudanum liquide de Sydhenam.

Coupez de l’opium en parties minces, deux onces. Safran, une once. Cannelle,
une dragme. Girofle, une dragée. Le tout étant bien mêlé, vous le mettrez en un
matras sur lequel vous verserez une livre de vin d’Espagne. Faites digérer la
matière au bain-marie pendant deux ou trois jours, le vin se colorera ; vous le
décanterez & filtrerez. C’est le laudanum liquide. C’est un calmant qu’il faut
donner selon l’ordre du Médecin. Senac.

14. Autre Laudanum ou eau somnifère.

Vous prendrez de bon opium, & ail mondé, deux onces de chaque. Semence de
jusquiame & de pavot noir, une once de chaque. Incorporez le tout avec eau de
laitue en forme de pâte, que vous distillerez aux cendres selon l’art. Il faut
tremper un linge dans cette eau, & en frotter les narines & les tempes, si l’on
dormait trop, il faut les frotter de vinaigre. Remède éprouvé par le Médecin
Joseph Quinti, Vénitien.

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15. Huile de Briques ou de Tuiles.

Cette huile excellence se fait avec des briques ou tuiles nouvellement cuites, qui
n’aient pas été mouillées ou imbibées d’eau depuis qu’elles sont faites. Prenez-
en une quantité suffisante que vous concasserez en morceaux gros à peu près
comme des noisettes ou un peu moins. Faites les rougir en un creuset, & les
jetez dans une quantité suffisante d’huile d’olive la plus vieille & la plus claire
que pourrez trouver. Que votre huile soit mise en un vaisseau de terre verni, &
comme le feu y prend en y versant la brique ou l’huile rouge de feu, couvrez-la
aussitôt pour l’éteindre : laissez les reposer ainsi huit ou dix jours ; après quoi
vous les mettrez dans une cucurbite que vous couvrirez de fa chape à bec, ou
vous appliquerez un récipient ; distillez à petit feu d’abord, puis plus fort sur la
fin.

On rectifie cette huile en prenant de nouvelles & pareilles tuiles ou briques que
vous mettrez en poudre & ferez pareillement rougir, & le jetterez sur votre
même huile, & distillerez derechef à feu de cendres on de sable un peu fort ; on
peut même réitérer cette distillation jusqu’à quatre fois ; on connaît que cette
huile est bien faite, lorsqu’on y jetant une goutte d’huile d’olive, celle-ci se
précipite au fond comme plus pesante. Et le même volume d’huile de briques
est beaucoup moins pesant que celui d’huile commune. Elle a une odeur très
forte & est de couleur rougeâtre : une seule goutte mise sur la main s’étend &
s’évanouit aussitôt, tant elle est volatile. Un fer frotté de cette huile & approché
du feu, s’enflamme sur-le-champ. Ne délutez les vaisseaux que quand tout sera
refroidi, & la conservez précieusement en une bouteille bien bouchée avec de la
cire.

On rapporte beaucoup de vertus de cette huile pour les maladies froides, tant
intérieures qu’extérieures. 1°. On peut en frotter les membres refroidis par
quelque accident que ce soit, si on les frotte de ladite huile. 2°. Guérit les plaies,
si l’on y fait bouillir en matras bien fermé quelque simple ou herbe convenable
à la plaie. 3°. Elle réunit & ferme les crevasses des pieds & des mains, produites
par le froid ou la gelée. 4°. Elle fortifie les nerfs froissés & travaillés par la
goutte ou autre cause. 5°. Arrête le tremblement de la tête & des mains. 6°.
Apaise les goûtes des pieds & jointures ; les douleurs & contractions du col. 7°.
Bue de temps en temps & appliquée par friction, elle rompt & diminue le
gravier des reins & de la vessie. 8°. Employée intérieurement & extérieurement,
elle dessèche les ulcères de la vessie, ce qui se connaît par une humeur
mordicante qui sort avec l’urine. 9°. Remédie à la difficulté & aux rétentions
d’urine. 10°. Remédie aux incommodités d’oreilles provenant de catarrhes ou

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 431

causes froides, en y mettant un peu de coton imbibé de cette huile. 1l°. Apaise
les grandes tranchées du ventre. 12°. Même les douleurs de la matrice à tout
âge, de la goûte sciatique, des reins & de l’épine du dos, en y ajoutant
cependant les fleurs, herbes & racines convenables, comme sauge, pouliot,
absinthe, serpolet, origan, bétoine, hyssope & dictame. 13°. Soulage beaucoup
dans les douleurs des abcès, mûrit ceux qui ne le sont pas encore, & fait percer
ceux qui sont mûrs ; & pour les dissiper & guérir, mettez dans quelques gouttes
de cette huile racine d’ivraie, le jaune d’un œuf & un oignon blanc, ces trois
derniers cuits sous la cendre, & du tout faites un onguent pour appliquée sur
l’abcès. 14°. Amollit la dureté de la rate causée par un trop grand froid,
l’humecte & réchauffe doucement. 15°. Soulage dans l’épilepsie ou mal caduc
en frottant les narines du malade. 16°. Remédie aux obstructions du cerveau &
du nez provenant de cause froide, en prenant quelques gouttes intérieurement
& frottant les parties affectées. 17°. Sert beaucoup pour fortifier la mémoire, s’en
frottant le derrière de la tête. 18°. Apaise les douleurs des dents, en appliquant
quelques gouttes sur les gencives. 19°. Réchauffe la matrice refroidie, &
provoque les mois trop tôt retenus, en prenant quelques gouttes, ou s’en
frottant intérieurement ou extérieurement la matrice. 20°. Fait sortir du ventre
de la mère l’enfant mort, en ouvrant les orifices des conduits. 21°. Résout le
sang caillé occasionné par quelques coups. 22°. Dessèche les mauvaises
humidités des femmes stériles. 23°. Apaise la toux froide. 24°. Décharge la
plénitude des poumons en prenant intérieurement quelques gouttes, & s’en
frottant la poitrine. 25°. Est bonne pour la toux sèche ou poitrine embarrassée.
26°. Dissout les flegmes & viscosités de la poitrine & ouvre les conduits des
poumons. 27°. Dessèche les yeux larmoyants, s’en frottant les paupières. 28°.
Résout les enflures des yeux, apaise leur douleur, en dissipe l’enflure surtout
celle qui vient d’abondance de sang. 29°. Souveraine contre les morsures des
scorpions, araignées, guêpes, mouches à miel & serpents ; frottant seulement
l’endroit offensé. 30°. Spécifique contre les syncopes, défaillances & maux
d’estomac, en prenant quelques gouttes dans du vin. 31°. Sert très utilement
pour la pêche du poisson de rivière, en oignant de cette huile les filets &
hameçons avant que de pêcher ; l’odeur attire à soi le poisson. 32°. Utile à ceux
qui ont pris de l’opium ou de la jusquiame. 33°. Apaise la douleur du
mésentère, en le frottant autant qu’on peut le faire. 34°. Fait mourir les vers, ou
bue ou s’en frottant l’estomac. 35°. Arrête le crachement & flux de sang. 36°.
Résout le sang caillé par blessure à la tête, & prévient les abcès, frottant la partie
offensée. 37°. Consolide les ruptures & hernies, mêlée avec jus d’absinthe. 38°.
Excellente contre la teigne dure & séché de la tête par la friction, comme pour
les fistules. 39°. Prise intérieurement avec jus ou décoction de saxifrage, de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 432

semence de milium solis, ou gremil on herbe perlée, semence, de persil, fenouil,


sang de bouc, rompt la pierre des reins & de la vessie. 40°. Remédie à stérilité,
en la faisant bouillir avec poivre long, graine de paradis, piretre, de chacun une
dragme, & de castorium demie dragme, s’en frottant où il est nécessaire. 41°.
Une chandelle ou bougie, dont la mèche est trempée dans cette huile brûlera
même dans l’eau, & ne pourra s’éteindre ni au vent ni à la pluie.

16. Emplâtre singulier pour l’estomac.

Storax, une once, que vous pilerez seul. Aloès succotrin, une once, pilé & broyé
en poudre fine.

Faites bouillir ensemble en un demi-septier d’eau rose, & remuez pour les
mieux incorporer. Quand l’eau rose est consommée, laissez refroidir : puis y
mettez du miel rosat pour en faire une pâte, que vous étendrez sur un morceau
de cuir suffisamment large pour être mis sur l’estomac ; cette pâte est très
odoriférante & incorruptible. Elle fortifie extrêmement l’estomac, dissipe les
flegmes & la pituite, conserve la chaleur naturelle & non la superflue. Ce
remède a sauvé la vie à plusieurs personnes qui étaient mourantes a rendu à
quelques-unes même l’usage de la parole.

17. Préparation de l’eau de Goudron.

1. Versez quatre pintes d’eau froide sut deux pintes de goudron liquide, remuez
& mêlez bien le tout ensemble avec une cuillère de bois ou un bâton plat,
durant l’espace de cinq à six minutes ; après quoi laissez reposer le vaisseau
exactement bouché pendant trois jours & crois nuits, afin que le goudron ait
tout le loisir de se précipiter au fond. Ensuite l’ayant écumé avec soin, versez ce
qu’il y a de clair, & le tenez dans des bouteilles bien bouchées pour votre usage.
Par cette méthode vous aurez une liqueur plus forte que celle qu’on donne
ordinairement. Elle n’aura rien de dégoûtant, pourvu qu’on l’écume avec soin.
C’est-là en général la bonne règle ; mais comme les estomacs & les
tempéraments varient, elle admet quelque modification, en mettant moins
d’eau & remuant davantage, on rend la liqueur plus forte. Ce sera le contraire,
si l’on remue moins, & que l’on augmente la quantité d’eau. (*)

( * ) Notez que chaque gallon ou mesure de quatre pintes, qu’on ajoute dans le
même vaisseau, demande cinq ou six minutes de plus qu’on doit employer à
remuer l’eau ; en sorte que deux gallons d’eau sur quatre pintes de goudron
exigent d’être remuées pendant dix a douze minutes.

2. Le goudron dont on s’est servi de la sorte, si on l’emploie une seconde fois,


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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 433

n’a plus la même vertu ; mais il n’en est pas moins propre aux usages
ordinaires. Donner ici du goudron qui aura déjà servi pour du goudron frais, ce
serait une fraude très préjudiciable. Pour la prévenir, il n’y a qu’à prendre garde
que le premier est d’un brun plus clair que l’autre. Le seul dont on doit faire
usage, est celui des colonies Anglaises, du Nord de l’Amérique & celui de
Norvège ; ce dernier est moins épais, & se mêle plus aisément avec l’eau, & il
parait avoir plus d’esprit. Si l’on se sert du premier, comme je sais qu’on l’a fait
avec succès, la liqueur demande d’être plus longtemps remuée.

3. La bonne eau de goudron n’est pas plus pâle que le vin blanc de France, ni
d’une couleur plus foncée que celui d’Espagne, & elle est toute aussi claire. Si
vous n’y apercevez pas sensiblement en la buvant une certaine force, vous
pouvez conclure qu’elle ne vaut rien. Si vous la voulez avoir bonne, faites-la
préparer sous vos yeux. Ceux qui commencent par la prendre faible, & en petite
quantité, parviendront en s’y accoutumant, à en prendre davantage, & à la
boire plus forte. Selon la saison ou le goût du malade, il la peut boire froide ou
chaude. Dans les coliques, je crois que cette dernière manière vaut le mieux. Si à
la prendre chaude, elle dégoûte, essayez de la boire froide, & au contraire :
supposé qu’à quelques personnes délicates, elle cause d’abord un peu de mal à
l’estomac, ou des nausées, on peut en réduire la dose & la qualité : en général
ces légers inconvénients peuvent être ou prévenus, ou surmontés sans
beaucoup de peine. L’usage de ce remède n’assujettit à aucune précaution
gênante, soit pour l’air ou pour l’exercice, on la manière de se vêtir, ou le
régime : on peut également en user dans tous les temps de l’année.

4. Par rapport à la dose dans les maladies chroniques ordinaires, une pinte
d’eau de goudron par jour peut suffire prise à jeun, a deux ou à quatre reprises ;
c est à savoir soir & matin, deux heures après le déjeuner & après le dîner ; ceux
qui ont l’estomac meilleur, en prendront davantage. En général les altératifs
pris en petite dose & souvent, se mêlent mieux avec le sang. Chacun doit
consulter sa propre expérience pour savoir en quelle quantité, & dans quel
degré de force son estomac peu supporter ce remède. Mais ceux qui sont
travaillés de maladies considérables & invétérées, doivent le prendre en plus
forte dose, au moins deux pintes en vingt quatre heures, en quatre, six ou huit
fois ; suivant que cela s’accordera le mieux aux circonstances & à la nature du
mal. Tous les buveurs de cette classe doivent s’armer de patience & de
persévérance dans l’usage de ce remède, comme dans celui de tous les autres,
qui bien qu’infaillibles & sûrs, ne peuvent par la nature même des choses
opérer que lentement la cure des maladies chroniques invétérées. Dans les ma-
ladies aiguës, comme dans les fièvres de toute espèce, on doit boire l’eau de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 434

goudron en se tenant chaudement au lit, & la boire en grande quantité ; la fièvre


disposant toujours le malade à boire, & jusqu’à une pinte par heure ; ce que j’ai
vu produire des cures surprenantes. Mais cette eau à un effet si prompt, &
ranime si bien les malades, qu’ils se croient souvent guéris avant que la fièvre
les ait tout à fait quittés. Ils doivent donc n’être pas trop impatiens de quitter le
lit, ni se remettre trop-tôt à leurs affaires & à leur manière de vivre accoutumée.

5. Bien des gens pourront croire qu’un altérant tel que je le propose, qui n’agit
qu’avec lenteur dans les maladies chroniques, n’est nullement propre dans les
fièvres & les maladies aiguës, qui requièrent un soulagement prompt : mais
j’ose assurer que ce même remède qui en qualité d’altérant, n’agit qu’avec
lenteur dans les maladies chroniques ; je l’ai toujours trouvé, en le prenant
copieusement, d’une efficace très prompte dans les maladies aiguës &
inflammatoires. On regardera sans doute comme une témérité de l’avoir essayé
dans les fièvres & les pleurésies les plus dangereuses, sans y joindre la saignée,
qui, selon la pratique ordinaire, passe pour indispensable. Là-dessus je puis
dire qu’il m’est tombé entre les mains des malades qui refusaient absolument la
saignée, ce qui m’a obligé d’essayer de les guérir par le seul usage de l’eau de
goudron, & que cela m’a toujours réussi. Elle se trouve donc être à la fois un
altérant qui opère insensiblement, & un prompt fébrifuge. Si le Lecteur est
surpris de ce que j’avance, j’avoue que je ne le suis pas moins. Mais la vérité, de
quelque part qu’elle vienne, doit être favorablement reçue.

6. Je ne prétends point faire ici valoir l’autorité. Je compte la mienne pour rien.
C’est la raison que je réclame, bien commun, auquel tous les hommes en
naissant ont un droit égal. Chacun est maître d’imaginer mes motifs tels qu’il
lui plaira. Mais il eût été certainement d’un très mal honnête homme, dans le
cas où je me suis trouvé, c’est-à-dire, après s’être convaincu pleinement par une
longue expérience des vertus & de l’innocence du remède en question, de n’en
pas user comme j’ai fait tous les hommes font, je ne dirai pas simplement
autorisés, mais obligés de concourir à l’utilité commune. C’est dans cette vue
que je publie ce qu’en conscience je ne pouvais tenir caché.

7. Comme la prise du matin est celle qui répugne aux estomacs faibles, ceux qui
sont dans le cas, peuvent en diminuer la dose, ou même l’omettre au
commencement, ou plutôt la remettre jusqu’après le déjeuner, & prendre une
plus forte dose le soir. L’intervalle après le repas n’a pas besoin d’être plus long
que d’une heure pour les estomacs ordinaires, lorsque la liqueur est bien
clarifiée & écumée. L’huile qui flotte à la superficie, & qu’on a eu soin d’enlever,
doit être mise en réserve pour servir aux ulcères & aux maux extérieurs. Vu la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 435

grande variété des cas & des tempéraments, il est bon qu’il y ait différentes
manières de préparer & de prendre l’eau de goudron. L’expérience fera choisir
celle qui conviendra le mieux. C’est à celles qu’on aura occasion de tenter à
l’avenir, de déterminer s’il faut mettre quelque différence entre le vieux
goudron & le nouveau, aussi-bien qu’entre la différence des arbres qui le
produisent, ou les endroits du monde où on le recueille.

8. J’ai fait une seconde sorte d’eau de goudron pour s’en servir extérieurement
en lotion, pour la grattelle, la gale, les ulcères, les écrouelles, la lèpre & d’autres
maux de cette nature ; j’en ai vu de très grands succès, & le recommande à
l’expérience des autres. Pour les maux invétérés de cet ordre, il en faut boire
deux, pintes toutes les vingt-quatre heures, en quatre, six on huit verres ; après
l’avoir fait au moins durant quinze jours, il faut appliquer cette eau chaude
extérieurement, en faire des fomentations & des bains à diverses fois dans les
vingt-quatre heures pour guérir & sécher les ulcères, en continuant toujours la
boisson. Cette eau pour l’usage extérieur, se fait de la manière suivante. Versez
quatre pintes d’eau bouillante sur deux de goudron, remuez, battez bien fort le
tout ensemble avec un bâton ou cuillère, durant un bon quart d’heure ; laissez-
le reposer pendant six heures, puis versez-le & le gardez exactement couvert
pour l’usage. On peut faire cette eau plus faible ou plus forte suivant le besoin.

9. Ce que je viens d’observer touchant les lotions, me fait penser que dans les
maladies obstinées de la peau, dans la lèpre, dans une faiblesse de membres, il
serait bon d’essayer un bain d’eau de goudron, mettant dix gallons d’eau
bouillante sur un de goudron, & remuant les ingrédients une bonne demi-
heure, laissant reposer le vaisseau huit ou dix heures avant que d’en tirer l’eau,
& prenant ensuite ce bain un peu plus que tiède. L’expérience se peut faire sur
différences proportions de goudron & d’eau. Il peut se présenter à Dublin
beaucoup d’occasions d’en faire l’épreuve, qui ne se rencontrent pas dans les
provinces.

10. Mes expériences ayant roulé sur une grande diversité de cas & de
personnes, je ne sais nul doute que les vertus de l’eau de goudron ne se
manifestent bientôt plus pleinement ; puisque cette eau est déjà devenue d’un
usage fort général, quoiqu’elle ait rencontré dans son chemin ces oppositions
qu’éprouve ordinairement toute nouveauté. La grande objection que je vois
faire à ce remède, c’est qu’il promet trop. Quoi ! se disent ses adversaires,
prétendez-vous nous donner une panacée ? chose absurde, chimérique,
contraire à l’opinion, à l’expérience de tout le genre humain. Hé bien, pour
parler net, & répondre en forme à cette question, j’avouerai franchement que je

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 436

soupçonne l’eau de goudron d’être une panacée. Je puis me tromper, mais cela
vaut bien la peine qu’on en vienne à l’épreuve. Dans l’espérance d’obtenir pour
le genre humain un si précieux avantage, j’essuierai volontiers les railleries
qu’excite la proposition due j’en fais. Et comme cet ancien Philosophe, qui du
haut des toits criait à ses concitoyens : songez à bien élever vos enfants ; je
voudrais me pouvoir placer assez haut, & avoir la voix assez forte pour crier à
tous les infirmes qu’il y a sur la terre, buvez de l’eau de goudron.

11. Après avoir ainsi de bonne foi avoué la dette, je dois ajouter que par
panacée, l’on n’entend pas une médecine qui guérisse tous les malades sans
exception, ce qui ne s’accorde point avec notre condition mortelle ici bas ; mais
une médecine qui guérisse ou soulage tontes les différentes espèces de
maladies. Et je vous prie, s’il est vrai que Dieu nous ait accordé un si grand
bien, s’il est vrai qu’il ait voulu qu’un remède dont la matière est si abondante
& si commune par tout, ait en même temps une efficace si universelle pour
adoucir les misères de la vie humaine, faudra-t-il que les hommes n’osent s’en
servir, de crainte qu’on ne se moque d’eux, lors surtout qu’ils ne courent aucun
risque à en faire l’essai. Or je puis affirmer avec vérité ne lui avoir jamais vu
produire d’autres mauvais effets, que d’exciter quelques nausées ; ce que même
on n’aura pas lieu d’appréhender, pourvu que la liqueur soit tirée au clair,
écumée & mise en bouteilles.

12. J’avoue que je n’ai point eu occasion d’appliquer ce remède à toutes les
maladies, & je ne prétends nullement démontrer à priori que l’eau de goudron
est une panacée. Cependant il ne me manque pas, ce me semble, de raisons
probables qui, jointes à tout ce que j’ai pu observer de faits, fortifient chez moi
cette conjecture.

13. Je savais qu’on se servait de goudron pour préserver le bétail de la


contagion ; & l’on peut croire que c’est là ce qui a donné naissance à la pratique
de boire de l’eau goudronnée, en qualité de préservatif contre la petite vérole.
Mais comme celle dont on se servait pour cet usage était composée d’un
mélange de goudron & d’eau par portions égales, c’était une potion fort
dégoûtante. Outre cela, comme pour chaque verre qu’on en tirait, on y remettait
un verre d’eau pure, réitérant cela pendant plusieurs jours, sans substituer de
nouveau goudron, il en résultait que l’eau n’était point également imprégnée de
son esprit volatile, quoique également remplie de ses particules grossières.

14. Ayant donc trouvé que cette potion dégoûtante était très bonne contre la
petite vérole, pour tous ceux qui pouvaient gagner sur eux d’en faire usage, je
commençai de faire attention à la nature du goudron. Je fis réflexion que c’est
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un baume qui découle du tronc âgé de ces espèces d’arbres qui conservent une
éternelle verdure, qu’il résiste à la putréfaction, qu’il a les vertus de la
térébenthine, que l’on sait en médecine être efficaces & en grand nombre : mais
j’observai en même temps, combien les térébenthines ou les baumes sont
difficiles à prendre. Je considérai donc distinctement les diverses parties dont le
baume est constitué, quelles sont au contraire celles qu’on doit regarder comme
une matrice visqueuse qui reçoit, arrête & retient les particules les plus volatiles
& les plus actives. J’en conclus alors, que si ces derniers pouvaient une fois se
séparer & se dégager des parties les plus grossières, & venir à imprégner une
liqueur claire qu’on pût boire sans peine, une telle liqueur pourrait être un
remède de grande efficace & d’un usage général. Je considérai que la nature est
le meilleur Chimiste du monde pour préparer les remèdes, & que l’odeur
agréable & la force senteur du goudron, y décèle des qualités & des vertus très
actives.

15. J’ai depuis longtemps dans l’esprit une idée conforme aux sentiments de
beaucoup d’anciens Philosophes ; c’est que le feu peut être regardé comme
l’esprit animal de ce monde visible. Et il me paraît qua l’attraction & la sécrétion
de ce feu dans les divers pores, tubes & conduits des végétaux, est ce qui
communique à chacune de leurs espèces, les vertus qui leur sont propres ; que
ce feu ou cette lumière est la cause immédiate, c’est-à-dire, instrumentale &
physique, du sentiment & du mouvement, & en conséquence de la vie & de la
santé des animaux. Et c’est par ce feu ou lumière solaire, que Phœbus dans
l’ancienne mythologie fut regardé comme le Dieu de la médecine. Comme cette
lumière s’introduit doucement, & se fixe dans le suc visqueux des vieux pins &
des sapins ; aussi quand on le dégage en partie, & qu’on change son véhicule
visqueux, dans un autre plus volatile, qui se mêle avec l’eau, & introduit
abondamment par ce moyen & sans aucun danger cet esprit igné on lumineux
dans toute l’habitude du corps, on rend un service infini à la médecine, service
qui s’étend à tous les cas, d’autant que toutes les maladies ne sont réellement
qu’un combat entre le principe de la vie & le miasme ou impureté particulière,
levain morbifique ou fomes morbi, & que rien ne fortifie tant la nature, & ne lui
prête plus de secours, qu’un cordial qui n’échauffe point.

16. La lumière du soleil étant attirée en grande quantité, durant l’espace d’un
grand nombre d’années successives, & se trouvant retenue dans le suc de
quelques vieux arbres, se loge dans une huile si déliée & si volatile, qu’elle se
mêle très bien avec l’eau, traverse légèrement les premières voies, & pénètre
dans toutes les parties, & jusque dans les plus petits vaisseaux capillaires,
lorsqu’on l’a une fois dépouillée de la résine grossière, qui n’était propre qu’à

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 438

soulever le cœur. Supposé qu’instruit des vertus médicinales de la térébenthine


en tant de différentes maladies, pour lesquelles des Médecins anciens &
modernes la vantent, on vienne ensuite à penser aux dégoûts, aux nausées qui
sont inséparables de ce remède, & qui empêchent qu’il ne produise sur le corps
humain tout son effet ; si dis-je, on réfléchit sur tout cela, il sera bien naturel
d’en conclure, que pourvu qu’on parvienne à écarter cet obstacle, on pourra
réussir à la cure d’un très grand nombre de maladies.

17. La grande difficulté était jusqu’ici de savoir comment séparer les particules
actives d’avec la substance pesante & visqueuse qui les attire & les retient, & de
ménager si bien les choses, que ce qui doit servir de véhicule à l’esprit, ne fût
pas d’un côté assez volatile pour s’échapper, ni de l’autre, assez épais pour
causer de la répugnance. C’est ce que j’ai trouvé le moyen d’exécuter par la voie
la plus simple & la plus aisée, qui donne une liqueur qu’on boit sans peine,
aussi claire & aussi fine que le meilleur vin blanc ; cordiale, stomacale, qu’il faut
garder en bouteilles, puisqu’elle est sensiblement remplie d’esprit, quoiqu’ils ne
soient pas fermentés.

18. Après avoir essayé diverses expériences sur la quantité d’eau, sur le temps
qu’il faut mettre à la remuer & à la laisser reposer, afin qu’elle s’imprègne
mieux de l’esprit du goudron, & se clarifie ensuite ; je me suis enfin fixé à la
recette mentionnée ci-dessus, comme étant la plus propre à faire que cette
salutaire liqueur soit bien imprégnée, que les estomacs ordinaires la puissent
supporter, & qu’elle puisse être bue avec plaisir par un grand nombre de gens.
Là les particules les plus médicinales & les plus actives, c’est-à-dire les premiers
sels, & l’huile volatile du baume étant débarrassée, & séparée de l’huile
grossière & de la résine visqueuse, forment par leur mutuelle combinaison un
savon végétal, fin & balsamique, qui, non seulement peut s’introduire dans
l’estomac & dans les premières voies, mais qui s’insinue aussi jusque dans les
plus petits vaisseaux capillaires, & pénètre sans obstacle toute l’économie
animale ; & cela dans la mesure & la juste proportion que requiert chaque
maladie, & chaque constitution particulière.

19. Les considérations générales que je viens d’indiquer, m’ont conduit à faire
des expériences sur quantité de maux de différence nature, auxquelles je
n’aurais jamais pensé sans cela ; & le succès a répondu a mon attente. Des
principes philosophiques m’ont conduit à faire des épreuves sûres, & c’est sur
ces épreuves que j’ai fondé l’opinion que j’ai des vertus de l’eau de goudron.
Ces vertus rétablissent sur des expériences & sur des faits, sans dépendre
d’aucunes théories, ou d’aucune chaîne des principes spéculatifs. Ces théories

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néanmoins, comme j’ai déjà dit, ont étendu mes vues à l’égard de ce remède ;
elles m’ont conduit à faire une plus grande variété d’essais, & m’ont fait naître
le soupçon, & m’y ont confirmé, que ce pourrait bien être une panacée. Je me
suis un peu étendu sur ces détails, dans l’espérance que tous ceux qui viendront
à les peser & à les examiner de bonne foi, ne regarderont point la haute estime,
que j’ai conçue de ce remède, comme l’effet d’uns vaine précaution, ou d’une
aveugle témérité d’empirique, mais plutôt d’une recherche libre, dégagée de
préjugés, & fondée sur tout ce que la raison, le discernement & l’expérience
m’ont pu fournir de lumière. On crie beaucoup à la vérité contre l’injustice du
siècle, mais quoiqu’il en soit, il y a lien d’espérer que les pilules & les gouttes
des charlatans ne feront pas condamner l’eau de goudron, qui a des épreuves
sûres sans aucun inconvénient.

20. Ceux qui ont uniquement à cœur l’avantage du genre humain, donneront
un libre cours à ce remède. Si quelqu’un agir par d’autres motifs, le public le
regardera de mauvais oeil, & se tiendra sur ses gardes. Pour rendre à l’eau de
goudron & à ceux qui en boivent, la justice qui leur est due, il faut faire grande
attention au degré de vigueur, & à l’état particulier de chaque malade : les
maladies graves & invétérées ne doivent point se traiter comme les maux
ordinaires. J’en ai guéri une terrible ; la gangrène dans le sang qui s’était
manifestée au dehors par divers ulcères, & qui menaçait d’une prompte mort,
j’en suis venu à bout en obligeant le malade à ne boire d’aucune autre liqueur
que celle-là, & plusieurs semaines de suite, & à en boire autant & si souvent que
son estomac le pouvait su-porter. Le sens commun suffit pour indiquer dans
d’autres cas la conduire qu’il convient de prendre relativement aux
circonstances. Mais on doit s’en remettre là-dessus aux lumières & à la
discrétion, tant de ceux qui donnent les remèdes, que de ceux qui les prennent.

21. Après tout ce qu’on en peut dire, il faut certainement avouer que l’idée de
panacée a quelque chose d’étrange. Ce mot seul choque l’oreille de beaucoup de
gens, & révolte la plupart des esprits accoutumés à ranger la médecine
universelle au même rang que la pierre philosophale, & là quadrature du cercle.
Leur principale raison, ce me semble, si ce n’est même la seule, consiste en ce
qu’il leur paraît incroyable qu’une même chose produise des effets contraires ;
ce qui doit arriver pour guérir des maladies opposées. Cependant il n’y a rien
en cela que l’expérience ne vérifie tous les jours. Le lait, par exemple, resserre
les uns, & lâche les autres. Ceci regarde la possibilité d’une panacée en général.
Pour ce qui est en particulier de l’eau de goudron, je ne dis pas que ce soir une
panacée, seulement je la soupçonne de l’être. Le temps & l’expérience nous
apprendront ce qu’il en faut croire.

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22. Mais je suis très sincèrement persuadé, après ce que j’ai déjà vu par moi-
même, que l’eau de goudron peut se boire en toute sûreté & avec succès, pour
la cure ou le soulagement d’un grand nombre de maladies, comme des ulcères,
de la galle, de la teigne, de la lèpre, des maladies secrètes & de toutes celles qui
ont leur source dans la corruption du sang ; de toutes les espèces de scorbut,
des maux de poumon, d’estomac, & d’entrailles, de douleurs de rhumatisme,
de goûte & de néphrétique, des migraines, maux de tête invétérés, pleurésies,
péri-pneumonies, érésipèles, petite vérole & fièvres de toutes les sortes,
coliques, maux de nerfs, hydropisies, maux de langueur & autres maladies.

Non seulement cette eau salutaire a le don de guérir, elle a celui d’entretenir la
santé. C’est un préservatif contre l’infection, & jusqu’à certain point contre la
vieillesse, en tant qu’elle redonne de nouveaux esprits, & qu’elle ranime le sang.
La nature & l’analogie des choses, aussi-bien que les succès étonnants dans les
fièvres de toutes les sortes, me portent même à croire que l’eau de goudron doit
être très efficace contre la contagion, soit comme antidote, soit comme remède.

* Observez que dans les fièvres intermittentes ou la doit boire chaude &
souvent, à petits verres, durant & après l’accès, & la continuer l’espace de
plusieurs jours, pour prévenir le retour.

23. Mais j’appréhende fort qu’aucune médecine ne soit capable d’arrêter les
ravages de cette horrible peste des eaux distillées ; la chaleur de l’alambic
communiquant aux esprits qui s’y distillent, une qualité caustique &
coagulante, quelque puissent être les ingrédients, & la base de ces sortes d’eaux,
elles agissent comme un poison lent, pour dessécher les parties nobles, & pour
détruire à la fois la force & la santé du corps avec celle de l’âme. J’apprends que
cette peste du genre humain se répand de plus en plus dans ce pays (il parle ici
de l’Irlande), qui n’est déjà que trop clair-semé d’habitants.

OBSERVATION.

La préparation précédente me donne lieu de rapporter ici ce que j’ai lu dans le


fameux Leonardo Fioraventi au Livre 4. du tésoro della vita hnmana, cap. 32. où il
dit en Italien ce que je rapporte ici en Français. « Le pin est un arbre
incorruptible par lui-même, & sa gomme a de grandes vertus ; ce qui paraît,
parce qu’elle conserve en leur entier les corps que l’on y met. Etant bien
préparée, elle est très utile contre diverses infirmités du corps humain, pourvu
qu’on sache en faire usage ; surtout pour les vents de l’estomac, & autres
douleurs ; mais surtout extérieurement pour les plaies. » Quoique ce Médecin
n’ait point marqué la préparation de ce végétal, on voit néanmoins qu’il en

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connaissait il y a 100 ans les vertus, sinon telles, du moins à peu près pareilles à
celles que nous venons de marquer.

18. Huile de térébenthine & huile dessicative & pénétrante.

Prenez de la térébenthine pure & claire une livre & demie, cire jaune de bonne
odeur une livre, noix muscade, clous de girofles de chacun une once, cendres
communes six onces, mettez les dans une retorte bien lutée, & distillez à petit
feu. Versez la distillation dans la cucurbite, couverte de son chapiteau & garnie
de son récipient : jetez dans cette liqueur distillée poudre de brique quatre once,
distillez derechef & aurez une huile de couleur de rubis, qui est admirable aux
plaies des nerfs, catarrhes froids, aux toux, si l’on en frotte la poitrine &
plusieurs autres infirmités. Fallop Médecin, en ses remèdes.

Fin du Tome II.

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COUR DE CHYMIE
POUR
SERVIR D’INTRODUCTION
à cette Science.
PAR

NICOLAS LEFEVRE

Professeur Royal en Chimie, & Membre de la Société Royale de Londres.

CINQUIEME EDITION,

Revue, corrige & augmentée d’un grand nombre d’Opérations, & enrichie de Figures,

PAR M. DU MONSTIER, Apothicaire de la Marine & des Vaisseaux du Roi ; Membre de la


Société Royale de Londres & de celle de Berlin.

TOME TROISIEME.

A PARIS.

Chez JEAN-NOËL LELOUP, Quay des Augustins, à la descente du Pont Saint Michel, à
Saint Jean Chrysostome.

M. DCC. L I.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 443

TABLE DES MATIERES.

SECTION TROISIEME.

Des Métaux, p 9.
§. 1. Division des Métaux, p 10.
§. 2. De l’or & de sa préparation Chimique, p 13.
§. 3. Purification de l’or, p 14.
§. 4. Pour faire le ciment commun ou vulgaire, p 16.
§. 5. Pour faire le cément royal, auquel il n’y a que l’or qui résiste, p 17.
§. 6. De la calcination de l’or afin de l’ouvrir, p 17.
§. 7. L’amalgamation de l’or & du mercure, p 18.
§. 8. La cémentation calcinatoire de l’or, p 18.
§. 9. La réverbération de l’or, p 19.
§. 10. Pour faire le crocus & la teinture de for de Zwelpher, p 20.
§. 11. Pour faire le crocus de l’or, p 22.
§. 12. Poudre cordiale diaphorétique solaire, p 22.
§. 13. Pour faire la sublimation du sol, p 23.
§. 14. Autre sublimation de l’or par la fulmination, p 25.
§. 15. De l’Argent et de sa préparation chimique, p 27.
§. 16. La première préparation de la teinture de la Lune, p 29.
§. 17. La seconde préparation de la teinture de la Lune, p 30.
§. 18. La troisième préparation de la teinture de la Lune, p 31.
§. 19. Du fer & de sa préparation chimique, p 32.
§. 20. Comment on purge & resserre le fer pour en faire l’acier, p 33.
§. 21. Pour faire le crocus de Mars astringent, p 33.
§. 22. Comment il faut faire le crocus de Mars apéritif, p 35.
§. 23. Comment il faut faire le vitriol de Mars, p 37.
§. 24. Pour faire l’extrait ou le sirop de Mars, p 38.
§. 25. Pour faire le sel de Mars, p 40.
§. 26. Pour faire la teinture astringente du Mars, p 41.
§. 27. Pour faire la teinture apéritive du Mars, p 41.
§. 28. Comment on fera les cristaux rouges du Mars, p .
§. 29. Du Cuivre & de sa préparations chimique, p 42.
§. 30. La préparation du Verdet, p 45.
§. 31. Pour faire le vitriol volatil de Vénus, p 46.
§. 32. La dissolution de l’esprit de Vénus, p 48.
§. 33. Pour faire le vitriol de Vénus, son soufre narcotique & son crocus, p 50.
§. 34. La préparation du soufre narcotique du vitriol de Vénus, p 52.

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§. 35. La teinture du soufre du vitriol de Vénus, p 53.


§. 36. Pour faire le crocus du vitriol de Vénus, p 54.
§. 37. Du Plomb & de sa préparation chimique, p 55.
§. 38. Les préparations générales pour ouvrir le Plomb, p 56.
§. 39. Pour faire le sucre ou le sel de Saturne, p 57.
§. 40. L’usage de la liqueur de Saturne, & la façon d’en faire le faux magistère, &
la crème, le beurre ou le nutritum, p 59.
§. 41. Pour faire le vrai magistère de Saturne, p 60.
§. 42. Pour faire le baume de Saturne, p 61.
§. 43. Pour faire l’esprit, l’huile jaune & l’huile rouge du sel de Saturne, p 61.
§. 44. De l’étain & de sa préparation chimique, p 62.
§. 45. La distillation de l’Etain, d’où sortent beaucoup de beaux remèdes contre
les maux intérieurs & extérieurs, p 63.

SECTION QUATRIEME.

Des demi-Métaux & moyens Minéraux, qui sont ceux qui approchent le plus
des Métaux, p 66.
§. 1. Du vif-argent ou mercure, & de sa réparation chimique, p 66.
§. 2. La purification du Mercure, p 68.
§. 3. La revivification du cinabre en mercure contant, p 68.
§. 4. La calcination & la précipitation du Mercure, p 69.
§. 5. Pour faire le précipité du mercure sans addition, p 69.
§. 6. Pour faire le précipité solaire ou lunaire, p 70.
§. 7. Pour faire un précipité fixe qui est très excellent, p 71.
§. 8. Pour faire le précipité qu’on appelle l’arcane corallin, p 72.
§. 9. La sublimation du Mercure, p 73.
§. 10. Pour faire le sublimé corrosif, p 73.
§. 11. Pour faire le sublimé doux, p 74.
§. 12. Pour faire la sublimation du Cinabre ou Vermillon, p 76.
§. 13. Pour faire les fleurs argentées & perlées du Mercure, p 77.
§. 14. La distillation du Mercure, p 78.
§. 15. La distillation de l’esprit du Mercure sans addition, p 78.
§. 16. Pour faire l’esprit blanc & diaphorétique du Mercure, p 79.
§. 17. Pour faire l’esprit rouge & diaphorétique du Mercure, p 80.
§. 18. Pour faire une huile douce du Mercure, p 83.
§. 19. Pour faire l’astre du Mercure, p 84.
§. 20. Pour faire le sel du Mercure, p 85.
§. 21. Teinture du Mercure, qu’on appelle son soufre, p 85.
§. 22. De l’antimoine et de sa préparation chimique, p 87.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 445

§. 23. Les préparations générales de l’antimoine, p 90.


§. 24. Comment il faut faire le verre d’antimoine par la calcination simple, p 91.
§. 25. Pour faire le crocus ou le safran d’Antimoine, qu’on appelle le Crocus des
métaux, p 93.
Le premier crocus metallorum, p 93.
Le second crocus metallorum, qu’on croit être celui de Rullandus, p 94.
Le troisième crocus metallorum, p 95.
§. 26. Comment il faut faire l’antimoine diaphorétique, p 97.
§. 27. Du Régule d’antimoine, p 100.
§. 28. Comment il faut bien faire le régule d’antimoine, p 101.
§. 29. La calcination solaire de l’Antimoine, p 103.
§. 30. De la calcination humide de l’Antimoine, p 105.
Le premier précipité de l’antimoine, p 105.
Le second précipité de l’Antimoine, p 106.
§. 31. La sublimation de l’Antimoine, p 107.
§. 32. Comment il faut faire les fleurs d’Antimoine, p 107.
§. 33. Les fleurs du régule d’antimoine, p 108.
§. 34. La correction des fleurs d’Antimoine, p 108.
§. 35. Comment il faut faire l’esprit de vin aromatisé, p 109.
§. 36. La distillation de l’antimoine, qui fournit le vinaigre ou l’esprit acide,
l’huile et l’esprit de l’antimoine, p 110.
La distillation du vinaigre d’antimoine, p 110.
La distillation de l’huile ou du baume de l’antimoine, p 111.
§. 37. Les pilules contre les fièvres, p 111.
§. 38. La distillation du beurre ou de l’huile glaciale de l’antimoine, p 112.
§. 39. Comment il faut faire la poudre émétique, p 114.
§. 40. Comment il faut faire le bézoard minéral, p 115.
§. 41. Comment il faut faire l’eau ou l’esprit d’antimoine composé, p 117.
§. 42. La liquation ou la résolution de l’antimoine, p 118.
§. 43. L’extraction de l’antimoine, p 118.
§. 44. Description de la lessive forte pour l’extraction du soufre de l’Antimoine,
p 118.
§. 45. Comment il faut extraire le soufre de l’antimoine, p 119.
§. 46. La panacée du vrai soufre de l’antimoine, p 119.
§. 47. Des teintures de l’antimoine, p 120.
§. 48. La première teinture de l’antimoine, p 120.
§. 49. La seconde teinture de l’antimoine, p 122.
§. 50. L’infusion de l’antimoine, p 123.
§. 51. La correction du verre d’antimoine, ou la poudre émétique corrigée, p

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 446

124.
§. 52. Le vrai sirop de l’antimoine, p 124.
§. 53. Le vrai tartre émétique purgatif, p 125.
§. 54. L’eau ophtalmique antimoniale, p 125.
§. 55. La salification de l’antimoine, p 126.
§. 56. La seconde façon de faire le sel de l’antimoine, p 126.
§. 57. Du bismuth, que quelques-uns appellent l’antimoine blanc, p 127.
§. 58. Le magistère de l’étain de glace, p 128.
§. 59. La distillation du bismuth, pour en tirer les fleurs, l’huile ou la liqueur &
le sel, p 128.

SECTION CINQUIEME.

Des sels, p 129.


§. 1. Du sel commun & de sa préparation chimique, p 130.
§. 2. La Purification du sel commun, p 130.
§. 3. La calcination du sel commun, p 131.
§. 4. La distillation du sel commun, p 132.
§. 5. Comment il faut bien faire l’esprit de sel, p 133.
§. 6. L’esprit de sel essentiel & stomachique, p 135.
§. 7. Comment il faut faire les cristaux doux du sel commun, ou l’esprit de sel
coagulé, p 136.
§. 8. Du nitre ou du salpêtre, & de sa préparation chimique, p 137.
§. 9. La purification du nitre, p 139.
§. 10. La calcination du nitre, pour faire le cristal minéral, p 140.
§. 11. La fixation du nitre, p 141.
§. 12. Pour faire la terre feuillée dissoluble du nitre fixé, p 142.
§. 13. La distillation du nitre pour faire l’esprit de nitre, p 143.
§. 14. L’esprit de nitre circulé pour la Médecine, p 144.
§. 15. Comment il faut faire une bonne eau forte, p 145.
§. 16. Le nitre vitriolé, autrement l’arcane, eu la panacée double, p 145.
§. 17. Comment il faut régaliser l’eau forte, p 146.
§. 18. Comment il faut faire la vraie eau régale, p 147.
§. 19. De l’alun & de sa préparation chimique, p 147.
§. 20. La purification de l’alun, p 148.
§. 21. La calcination ou l’ustion de l’alun, p 149.
§. 22. La distillation de l’alun, p 149.
§. 23. Comment il faut faire passer l’alun en un magistère liquide, p 150.
§. 24. Comment il faut faire le sucre de l’alun, p 150.
§. 25. La salification de l’alun, p 151.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 447

§. 26. L’extraction de l’alun, p 151.


§. 27. Du sel armoniac & de sa préparation chimique, p 152.
§. 28.La purification & la cristallisation du sel armoniac, p 153.
§. 29. La sublimation des fleurs du sel armoniac, p 153.
§. 30. La calcination ou la fixation du sel armoniac, p 155.
§. 31. La distillation du sel armoniac, p 156.
§. 32. Pour faire l’esprit & le sel volatile urineux du sel armoniac, p 157.
§. 33. Comment on doit tirer l’esprit du sel armoniac, p 158.
§. 34. La liquation du sel armoniac, p 158.
§. 35. Du vitriol & de sa préparation chimique, p 159.
§. 36. La purification du vitriol, & la façon de faire le gilla, p 161.
§. 37. La calcination du vitriol, p 162.
§. 38. La calcination philosophique du vitriol, p 162.
§. 39. La distillation du vitriol, p 163.
§. 40. Pour faire la rosée du vitriol, p 163.
§. 41. Pour tirer l’eau aigrelette du vitriol, p 163.
§. 42. Pour faire l’esprit acide & l’huile corrosive du vitriol, p 164.
§. 43. Pour faire l’huile ou l’esprit doux du vitriol, p 166.
§. 44. L’esprit du vitriol tartarisé, p 167.
§. 45. La précipitation du vitriol, p 169.
§. 46. Pour faire la terre métallique ou l’ocre du vitriol, p 169.
§. 47. Pour faire le soufre doux du vitriol, p 169.
§. 48. Pour faire le soufre purgatif du vitriol, p 169.
§. 49. Pour faire le soufre fixe & le soufre volatile du vitriol, p 170.
§. 50. La sublimation du vitriol, p 171.
§. 51. La salification du vitriol, p 172.
§. 52. L’extraction du vitriol, p 173.
§. 53. Sa teinture ou l’essence du soufre du vitriol, p 173.
§. 54. La teinture du soufre fixe du vitriol, p 174.

SECTION SIXIEME ET DERNIERE.

Des minéraux sulfurés ou des soufres, p 175.


§. 1. De l’arsenic, & de sa préparation chimique, p 176.
§. 2. La sublimation de l’arsenic, pour faire l’arsenic dulcifié, p 177.
§. 3. Pour faire les rubis diaphorétiques de l’arsenic, p 177.
§. 4. La fixation de l’arsenic, p 178.
§. 5. Pour faire l’arsenic fixe sudorifique, p 179.
§. 6. La liquation ou la résolution de l’arsenic, p 179.
§. 7. Du soufre & de sa préparation chimique, p 179.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 448

§. 8. La sublimation pour faire les fleurs du soufre, p 181.


§. 9. La précipitation pour faire le lait, la crème, le beurre ou le magistère du
soufre, p 182.
§. 10. Le moyen infaillible de bien faire le lait de soufre, p 184.
§. 11. La distillation du soufre, p 184.
§. 12. Première manière de faire l’esprit de soufre, p 185.
§. 13. Seconde manière de faire l’esprit de soufre, p 186.
§. 14. Comment il faut distiller la vraie huile du soufre, p 188.
§. 15. Comment on fera l’huile puante du soufre, p 190.
§. 16. L’infusion & l’extraction. Comment il faut faire les baumes & les teintures
du soufre, p 191.
§. 17. Le baume de soufre simple, p 191.
§. 18. Le baume de soufre composé, p 192.
§. 19. Le baume du soufre vulnéraire, p 192.
§. 20. La première teinture du soufre, p 193.
§. 21. La seconde teinture de soufre, p 194.
§. 22. La troisième teinture de soufre, p 194.
§. 23. La salification pour faire le sel du soufre, p 195.
§. 24. Des bitumes, p 195.
§. 25. Du succin ou karabé, p 196.
§. 26. Comment il faut faire la teinture ou l’essence de succin, p 197.
§. 27. Comment il faut faire le magistère de l’ambre ou du karabé, p 198.
§. 28. Comment il faut faire la distillation du succin, p 199.
§. 29. Comment il faut séparer l’esprit de succin, p 199.
§. 30. Comment il faut séparer & rectifier le sel volatil du succin, p 200.
§. 31. Comment il faut bien faire la rectification de l’huile de succin, p 201.
§. 32. De l’ambre gris & de sa préparation chimique, p 202.
§. 33. Première essence de l’ambre gris, p 203.
§. 34. Seconde essence de l’ambre gris, p 203.

ADDITION POUR LE TOME TROISIEME.

1. Remède centre la rage, p 205.


2. Autre remède pour la rage, p 206.
3. Autre remède contre la rage, ou morsure d’homme ou de chien enragé, p 206.
4. Autre remède contre la morsure d’un chien enragé, p 206.
5. Spécifique contre les fièvres tierces & double-tierces, p 207.
6. Autre remède contre la fièvre tierce ou double tierce, p 207.
7. Spécifiques contre les fièvres quartes & double-quartes, p 207.
8. Quinquina prépare par l’eau de vie, p 208.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 449

9. Préparation de plusieurs eaux minérales artificielles, dont les propriétés ont


les mêmes effets que les naturelles, p 208.
10. Eaux minérales artificielles semblable à celles des sources & des fontaines de
Bourbon-l’Archambault, de Nerry, de Vic-le-Comte, de Vichy, du Mont-d’Or,
&, p 210.
11. Eau minérale artificielle aigrette & rafraîchissante, p 210.
12. Eau minérale artificielle aigrette & désopilative, p 211.
13. Emplâtre pour les hernies, ou descentes de boyaux, de Glaser, p 211.
14. Remède sympathique pour les Hernies, p 212.
15. De la fièvre continue, p 212.
THERIAQUE, p 214.
PROPRIETES, p 214.
USAGE, p 215.
Observation par rapport aux Bestiaux, p 216.
17. Eau minérale céphalique, & purgative tout ensemble, tirée de Christophe
Glaser, p 216.
18. Or végétable ou arbre soleil, p 218.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 450

TRAITE

DE CHYMIE EN FORME D’ABREGE.

SECTION TROISIEME.

Des Métaux.

Les métaux sont des corps durs ductiles & malléables, qui proviennent d’un suc
salin & mercuriel, qui a été coagulé dans la terre par la force de la propre chaleur de
son soufre. Or comme nous avons déjà dit que toutes les choses prenaient leur
origine de la lumière, qui par son éjaculation & son éradiation imprimait l’idée & le
caractère de sa vertu dans l’eau comme dans une matrice générale & commode, pour
la rendre ensuite capable de fournir de matière & de forme, de corps & d’esprit, de
sel, de soufre & de mercure à toutes les générations physiques. Aussi nous pouvons
faire à prêtent comprendre plus énergiquement & plus particulièrement la
génération des métaux. Nous dirons donc que l’eau étant une fois empreinte de la
lumière, de l’esprit & du sel qui fluent d’une même source, le soufre interne
travaille aussitôt à cuire, à digérer & à mûrir les choses qu’il a commencées, soit
animales, soit végétables, soit minérales. Or l’eau qui se trouve, fournie de ce
principe fermentant & génératif, qui est encore indiffèrent à être fait toutes choses,
est charriée & poussée dans toutes les matrices générales & particulières, qui la
déterminent & la modifient selon l’idée & le caractère de leur destination naturelle
dans la création.

Et comme Dieu a une fois créé tous les êtres, aussi leur a-t-il donné la suite & le moyen de se
perpétuer & de se conserver, qui est ce que nous appelons nature. Or dès que l’eau est reçue
dans une matrice métallique ou dans un lieu propre & destiné par la nature à la génération des
Métaux, l’esprit tel qui est dans l’eau, qui était encore indiffèrent & général, reçoit l’impression,
le caractère & l’idée vitriolique qui est sa première détermination à la nature métallique. Alors
le soufre interne de ce vitriol embryoné travaille sans aucune interruption à la digestion, à la
maturation, à la cuisson & à la coagulation de l’eau qu’il a engrossée ; de manière que le
premier principe visible des Métaux est, un vitriol, qui est plus ou moins pur, & plus ou moins
mêlé des semences métalliques, selon que la matrice, l’eau & le sel auront été purs ou mêles.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 451

Ainsi l’archée qui dirige les productions métalliques, les conduit & les guide doucement & par
une gradation tout à fait admirable & surprenante, jusqu’au point de leur destination naturelle :
car il altère &change le vitriol en souffre de la nature métallique, c’est ce qui se prouve par
l’examen des marcassites, qui paraissent déjà comme métalliques par leur poids, par leur dureté
& par leur couleur, & qui ne sont néanmoins encore en elles-mêmes qu’un vitriol changé &
modifié par les actions du feu de son soufre, ce qui se prouve par leur anatomie qui se fait par le
moyen de l’air & du feu, par l’aide duquel l’Artiste les décuit & les ramène à leur première
matière visible, qui n’est que du soufre & du vitriol.

Ces marcassites ne laissent pas néanmoins de contenir des métaux embryonnés, ce qui se
prouve par la digestion & par la maturation qu’on en fait avec l’aide du feu des Sels & des
esprits, après quoi on en tire des métaux de diverse nature, & ainsi illud quod erat occultum, fit
manifestum ; si bien qu’on peut plausiblement & légitimement appeler les marcassites, les
rudiments & les semences imparfaites des métaux. Ceci me fait dire qu’il serait à souhaiter
qu’on pût recouvrer de pures, vraies & légitimes marcassites de tous les métaux en particulier,
afin que l’Artiste chimique pût les ouvrir & les anatomiser avec beaucoup plus de facilité, avant
que la nature les ait poussées jusqu’au dernier point de leur perfection, qui est leur coagulation,
leur endurcissement & leur fixation : cela sauverait beaucoup de peines & de frais, parce qu’on
ne serait pas obligé de faire la réincrudation des corps métalliques, afin de chercher jusque dans
le centre de leurs principes secondaires, la vertu que Dieu & la nature y ont placée.

Voilà ce que nous avons jugé nécessaire de dire pour servir de préliminaire à la description de
chaque métal en particulier, & des opérations que nous enseignerons sur chacun d’eux, qui
serviront de guide & de modèle aux Artistes, pour philosopher & pour travaillée plus
exactement sur la famille des métaux.

§. 1. Division des Métaux.

On divise avec raison les métaux en trois classes, tant à cause de la conformité & de la disparité
de leur dureté, qu’à cause de la ressemblance qu’il y a dans leurs préparations. La première
classe contient les métaux les plus nobles, qui sont l’or & l’argent, ou le Soleil & la Lune, à cause
de la grande correspondance qu’il y a entre ces deux puissants luminaires & ces deux nobles
métaux. Car ce que sont le Soleil & la Lune dans le Ciel, ce que sont le cœur & le cerveau dans
les animaux, tels sont aussi l’or & l’argent parmi les minéraux & les métaux.

La seconde classe contient les deux métaux les moins nobles & les plus durs, qui sont le cuivre &
le fer, ou Vénus & Mars, à cause de l’analogie qu’il y a, dit-on, entre ces deux planètes & ces
deux métaux, & aussi par l’amitié qu’il y a de ces deux astres l’un envers l’autre. Vénus préside
sur les parties destinées à la génération & à toutes les fonctions des reins & de la vessie ; & Mars
influe ses astérismes sur le foie & sur la vésicule du fiel, sur la rate & sur les parties adjacentes
du ventricule.

451
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 452

La troisième classe contient les deux autres métaux moins nobles, mais les plus doux & les
moins durs, qui sont le plomb & l’étain, ou Saturne & Jupiter, à cause de la ressemblance que l’on
prétend trouver entre ces astres & ces deux métaux qui président à la rate du peut monde & à la
matrice. Nous parlerons plus amplement de tout cela, lorsque nous traiterons de chacun d’eux
en particulier. Il est seulement nécessaire de joindre ici en général toutes les opérations qui se
font ordinairement sur les métaux pour les rendre utiles à la Médecine.

La première préparation que l’Artiste est obligé d’entreprendre sur le corps des métaux, est leur
purification. La seconde est leur calcination, qui se fait de cinq façons ; la première est celle qu’on
appelle immersive, qui se fait par les menstrues, ou dissolvants appropriés. La seconde est celle
qu’on appelle vaporeuse ou illinitive, qui est lorsqu’on se contente de la vapeur ou de l’illinition
ou aspersion du dissolvant. La troisième est celle qu’on appelle ; amalgamatoire, qui se fait par
le mélange du métal avec le vif argent ou le mercure. La quatrième est celle qu’on appelle
cémentatoire, qui se fait lorsqu’on met les métaux dans un creuset lit sur lit avec des matières
salines & sulfurées, ou pour corriger leur défaut, ou pour les resserrer ou les ouvrir. La
cinquième est celle qu’on appelle reverbératoire, qui se fait par le feu de flamme, jusqu’à ce que
le métal soit réduit en une chaux capable de servir aux intentions de l'Artiste.

La troisième préparation des métaux est l’extraction, on pour mieux dire, la


maturation ou l’exaltation de ce qu’il y à de plus pur, de plus cuit & de meilleur
dans le soufre interne des métaux d’où proviennent les teintures. La quatrième
est la volatilisation, qui n’eu autre chose que de changer tellement la nature
métallique, que l’Artiste soit capable de les subtiliser de telle sorte, qu’il les
fasse voler, c’est-à-dire, qu’il les fasse passer en esprit où en huile, qui soient
irréductibles en corps de métal, ce qui n’est pas la moindre des opérations de la
chimie. La cinquième est la sublimation, par laquelle les métaux sont météorisés
& réduits en vapeurs qui s’attachent en fleurs dans les vaisseaux qui les
reçoivent : il y en a qui croient que ce travail est capable d’améliorer &de mûrir
les métaux ignobles, & cela n’est pas sans fondement. La sixième est la
salification des métaux qui est la réduction des corps métalliques en sel, ce qui
néanmoins n’est pas si facile que beaucoup d’Artistes se le sont imaginés. Il y en
a qui croient avoir assez fait, s’ils ont dissout les métaux avec quelque menstrue
salin, pour les coaguler & cristalliser en une substance dissoluble, qui n’est
proprement que le vitriol des métaux qui s’est joint à la substance saline de
l’esprit donc on s’est servi pour leur dissolution, & qui s’est corporifié avec la
chaux du métal. Il y a pour la septième préparation la mercurification des
métaux, ou la prétendue réduction de ces corps solides en un vif-argent ou en
mercure coulant, pareil au vulgaire. Ce qui est encore à mon avis un abus entre
les Artistes qui ne s’est glissé parmi eux, que pour n’avoir point entendu les
Auteurs comme il faut : car ils prétendent que lorsque les anciens ont dit qu’il

452
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 453

fallait réduire les corps des métaux en sel, en soufre & en mercure, qu’on devait
les réduire par conséquent en argent-vif coulant ; mais les anciens Philosophes
n’ont entendu, selon mon sens, par la réduction des corps en mercure, sinon de
les rapprocher de leur universalité, c’est-à-dire, de les réduire en un esprit qui
approchât de la nature des sels volatiles sulfurés, qui sont les dernières
enveloppes de l’esprit invisible de soi & de la lumière coagulée. Car comme le
sel volatile des semences végétables contient en soi le principe séminal & toute
la vertu de la plante, ainsi le mercure ou le vrai esprit des corps métalliques
contient en loi le sperme de ce corps, son ingrès & si sa teinture, & par
conséquent tout ce qu’il a possédé de vertu, de puissance & d’activité depuis le
premier moment de sa coagulation jusqu’au vrai de sa fixation. C’est pourquoi
le vrai but de l’Artiste doit être de tâcher par son étude & son travail de réduire
le roi des métaux jusqu’à cette sublimité de perfection, afin de l’appliquer
ensuite à la cure des plus opiniâtres maladies. Mais il faut qu’il rejette bien loin
ces prétendus chercheurs de mercure coulant, parce qu’outre que cette
recherche est impossible & inutile, de plus elle consume le temps & le bien de
ceux qui s’y amusent, & leur fait perdre l’occasion de découvrir beaucoup
d’autres choses utiles à eux en particulier, à leur prochain & à la société civile. [
Cependant on verra dam les additions que cette mercurification des métaux est très
réelle. ]

DE L’OR

§. 2. De l’or & de sa préparation Chimique.

L’or est le plus noble, le plus solide & le plus fixe de cous les métaux ; il est de
couleur jaune, compact & d’une union presque indivisible en sa substance ; ce
qui fait connaître qu’il est composé d’un sel, d’un soufre & d’un mercure, qui
sont parvenus au plus haut point de digestion, ce qui fait que tous ses principes
sont très fixes & très unis. Les Chimistes lui donnent le nom de soleil, & le
dépeignent par le caractère & par l’hiéroglyphe qu’on donne au soleil ; parce
que, selon eux, il a de la sympathie & de la correspondance, tant avec le soleil
du macrocosme ou grand monde, qu’avec celui du microcosme, qui est le cœur
; aussi lui attribuent-ils la vertu de guérir toutes les maladies du cœur, & d’en
écarter toutes les faiblesses & tous les vices. Finalement ils le croient le vrai &
légitime restaurateur des facultés du baume & de la chaleur naturelle, & le
souverain remède contre les défauts & le manquement des esprits & de
l’humide radical.

Mais il y a de l’abus dans la pharmacie, que les Arabes ont introduit, qui est de
mêler de l’or en feuille dans les confections & dans les poudres cordiales,
453
NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 454

comme si la chaleur digestive de l’estomac & l’humidité du chile imparfait,


étaient capables d’altérer en aucune façon la solidité de ce noble métal : car
outre que rien de pareil à l’eau régale ne se rencontre dans le ventricule pour
dissoudre l’or, c’est que si cela se faisait par quelque mauvaise fermentation de
quelque superfluité des aliments, il en naîtrait des douleurs mortelles, & il se
ferait des ulcérations & des colliquations tellement contre nature, qu’elles
produiraient infailliblement la perte & la ruine du sujet qui les souffrirait, plutôt
que l’amélioration & la restauration prétendue de toutes les facultés vitales &
animales.

On objectera peut-être, que quand même l’or ne se dissoudrait pas dans le ven-
tricule, il ne laisserait pas de faire beaucoup de bien par les éradiations & les
écoulements de vertu qu’il envoie au cœur, à cause de leur mutuelle sympathie.
A quoi je répons, qu’il sera donc amplement nécessaire de le porter
extérieurement sur soi, & même en plus grande quantité qu’on n’en avale ; &
ainsi il apporterait beaucoup plus d’utilité, que s’il était pris au-dedans en petite
quantité : de plus, il ne s’en ferait aucune perte. Ce qui fait conclure que si l’or
n’est préparé & ouvert de- manière, que notre chaleur digestive soit capable de
s’en approprier la vertu avec l’aide des sels volatils sulfurés, qui sont mêlés
dans les aliments ou secs ou humides. Ou même il faut que l’art ait déjà
tellement réduit ce métal en médecin, par le moyen des sels & des esprits
analogues aux aliments & qui ne soient point corrosifs ; alors il est capable
d’être conduit & poussé par le directeur des fonctions naturelles jusque dans
nos dernières digestions, afin de corriger tous les défauts qu’il y rencontrera, &
de purifier par l’impression de sa vertu cordiale & solaire, toute la masse du
sang vénal & artériel ; autrement il n’en faut espérer aucun bien, au contraire, il
en faut plutôt attendre quelque mauvais effet, parce qu’il ne peut rien, produire
que de mauvais, s’il a été préparé avec des sels ou avec des esprits corrosifs : au
lieu que s’il n’est pas dissout ni ouvert, il n’est capable d’aucune vertu.

Ceux qui veulent faire choix de l’or pour les préparations Chimiques, doivent
prendre de celui qui est le plus pur & le moins allier : car de faire de la
différence entre celui des Indes, celui d’Arabie, celui de Hongrie & celui de
Bohême ou d’Allemagne, cela n’est aucunement nécessaire, puisqu’on le peut
mettre au plus haut point de bonté & de pureté par les purifications qu’on a
coutume de faire sur ce métal, qui sont les suivantes.

§. 3. Purification de l’or.

Il y a premièrement la purification de l’or qui se fait pour en ôter les ordures,


qui sont à la superficie. Secondement, il y a celle qui se fait pour en ôter quelque
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 455

portion d’un ou de plusieurs métaux imparfaits, qui ont été mêlés ou dans les
monnaies ou par les Orfèvres, ou finalement-dû mélange de son origine.

Pour la première purification, il faut laver l’or dans de la lessive crue, ou dans
de l’eau qui soit empreinte de tartre & de sel commun, qu’on appelle-le
bouillitoire, ou bien encore le taire bouillir & le laver dans de l’eau forte qui soit
faible de soi-même, ou qui soit mêlée du phlegme de l’alun ou de celui du
salpêtre ou du vitriol, ces trois lotions suffisent à cette première intention.

Mais lorsque l’or est mêlé de quelque portion des métaux imparfaits, on ne peut en faire la
séparation que par la division d’un des métaux d’avec l’autre, où l’on ne peut arriver que par la
dissolution qu’on appelle la calcination immersive, ou par la destruction du métal imparfait,
comme quand on fait passer l’or par l’antimoine ou par le plomb : ou lorsqu’on en fait la
cémentation avec des matières capables de ronger & de détruire les métaux imparfaits qui sont
mêlés avec l’or.

Pour la dissolution, qui est la calcination immersive, elle se fait avec deux, trois ou quatre
parties d’eau régale, de laquelle nous enseignerons la préparation, lorsque nous traiterons des
sels : car l’eau régale dissoudra l’or seulement, & les autres métaux demeurent au fond du
vaisseau, & principalement il l’argent prédomine, parce que l’eau régale ne touche aucunement
à l’argent : lorsque la dissolution est faire, il la faut filtrer ou la verser doucement par
inclination, puis la précipiter avec de l’huile de tarire par défaillance ou avec de l’esprit de sel
armoniac volatile, ou avec celui d’urine, ou bien encore en y jetant de l’argent-vif qui rassemble
à soi l’or qui était diffus dans la solution, ou même par l’évaporation de la liqueur dissolvante :
enfin de quelque façon qu’on ait réduit l’or en chaux, il n’y aura plus après cela qu’à le fondre
dans un creuset avec un peu de borax, & le jeter en lingot, & on aura de l’or qui sera très pur.

Que si vous voulez mettre l’or simplement à la coupelle avec le plomb pour en
séparer les métaux hétérogènes, il faudra faire cela sur une cendrée avec trois
ou quatre parties de plomb, qu’il faut chasser à force de feu & de soufflets, ainsi
que nous en parlerons plus amplement, lorsque nous traiterons de la
purification de l’argent. Mais comme la coupelle n’ôte pas entièrement le
soupçon, qu’il n’y ait encore quelque petite portion d’argent fin, qui soit
intimement mêlée avec l’or ; les Artistes n’ont pas trouvé de moyen qui fut
meilleur pour le rendre très-pur que de le passer à l’antimoine, à cause que le
soufre de ce minéral ronge & détruit absolument, non seulement tous les
métaux imparfaits qui pourraient être mêlés avec l’or, mais à détruit même
totalement l’argent le plus fin en quelque petite quantité qu’il y puisse être,
pourvu néanmoins qu’on réitère cette purification jusqu’à trois fois. Après quoi,
on peut dire que l’or est très pur, & qu’il ne saurait-y en avoir de plus fin : ce
qui se fait ainsi.
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 456

Prenez autant qu’il vous plaira d’or & y ajoutez quatre, cinq ou six parties d’antimoine cru y
mettez-les ensemble dans un bon creuset &, les faites fondre dans le four à vent, & lorsque le
tout sera en flux, jetez-y environ une once de salpêtre qui soit pur & sec, mêlé avec deux ou
trois drachmes de limaille de fer, & quand ce mélange sera bien en fonte & qu’il sera, comme on
dit, d’œil de perdrix, il faut jeter la matière dans le cornet au régule, qui soit chaud & qui ait été
graissé avec un morceau de cire jusqu’au fond & puis frapper avec un marteau sur le bord, du
corner jusqu’à ce qu’il se soit fait une croûte au-dessus de la matière, ce qui aide beaucoup à
faire descendre le régule au bas & à le séparer des fèces on des scories ; séparez le régule des
scories, après qu’il sera refroidi, puis broyez les scories, & les mêlez encore une fois avec deux
parties d’antimoine cru en poudre, & les faites fondre comme auparavant : vous jetterez encore
sur la fin de la fonte un peu de salpêtre & de limaille de fer, afin de séparer le reste du régule de
ces scories qui pourraient avoir retenu quelque partie de l’or en soi ; on pourra même réitérer
cette opération jusqu’à la troisième fois, afin qu’il n’y reste aucune portion de régule, & qu’on
soit assuré qu il n’y sera rien resté de l’or.

Alors mettez votre régule solaire en poudre grossière dans un bon creuset que
vous placerez au four à vent, & lui donnerez le feu dessous, à côte & par-
dessus, afin de faire fumer l’antimoine ; on peut y ajouter aussi l’aide des
soufflets, afin d’avoir plutôt fait, & ainsi donner le feu & continuer de souffler,
jusqu’à ce que toute la substance de l’antimoine soit exhalée en vapeurs, & que
l’or soit pur & net au fond du creuset, qu’il faut après cela jeter en lingot, il faut
répéter cela jusqu’à trois fois pour l’avoir très pur. Ceux qui ne voudront pas se
donner tant de travail, pourront se servir du régule d’antimoine tout fait pour
purifier leur or : mais la première façon vaut mieux, parce que le régule est déjà
dépouillé de la plus grande partie de son soufre externe, qui est celui qui sert le
plus à la corrosion des métaux imparfaits, qui sont mêlés avec l’or.

Il reste la troisième manière de purifier l’or, qui est la cémentation qui se fait en mettant l’or
forgé en lames d’une épaisseur convenable, qu’il faut placer lit sur lit ou f. f. f. dans un creuset
ou dans un pot de terre non vernissé, qui soit de grandeur convenable, avec du cément vulgaire
ou commun, ou avec du cément royal, & lorsque cela est ainsi préparé, il faut donnée le feu de
roue peu à peu trois ou quatre heures durant, puis l’augmenter de plus en plus durant encore
l’espace de six heures, en sorte que le pot ou le creuset rougissent sur la fin de l’opération du
feu. Ainsi on trouve les lames de l’or qui sont purgées de ce qu’elles pouvaient avoir en elles de
métal imparfait, parce que la matière du ciment a détruit, brûlé & calciné le métal ; il faut broyer
la masse & laver les lames pour les purifier après par la fonte avec un peu de salpêtre & de
borax, ou avec un peu de sublimé corrosif.

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§. 4. Pour faire le ciment commun ou vulgaire.

Prenez quatre onces de la farine de briques & deux onces de sel desséché & deux drachmes de
salpêtre, qui soit sec & pur & autant de verdet ou vert de gris. Il faut mettre le tout en poudre
chacun à part, puis les mêler ensemble pour en faire la cémentation ordinaire. Mais observez
qu’il faut toujours commencer par la poudre du ciment à faire le premier lit, & puis mettre du
métal & continuer ainsi jusqu’à ce que le pot, la boite ou le creuset soient pleins, & finir aussi
par le cément, puis couvrez le vaisseau d’un couvercle, qui soit bien approprié ; qu’on doit luter
d’un bon lut, qui ne fende pas & qui soit bien séché avant que de mettre le vaisseau sur le feu.

§. 5. Pour faire le cément royal, auquel il n’y a que l’or qui résiste.

Prenez quatre onces de farine de briques, du sel armoniac, du sel gemme & du
sel commun desséché, de chacun une once ; mêlez-les ensemble, lorsqu’ils
seront en poudre & en faites une pâte avec de l’urine, dont vous ferez la
cémentation en la mettant lit sur lit, avec le métal en lames.

Il y a encore beaucoup d’autres sortes de céments, qui sont plus on moins


corrodant, il y en a aussi qui sont simplement resserrants & fixatifs : mais
comme ils ne sont pas de notre sujet, & qu’ils n’ont aucune relation à la
préparation de l’or pour la médecine, c’est ce qui fait que nous ne les mentons
pas, laissant à la curiosité de ceux qui en auront besoin de les chercher chez
ceux qui traitent à fond de la métallurgie.

§. 6. De la calcination de l’or afin de l’ouvrir.

Il ne suffit pas à l’Artiste d’avoir purifié l’or & de l’avoir séparé de toute
hétérogénéité, parce que l’or étant un corps solide, compact serré & fixe, il faut
l’ouvrit, afin que ce qu’on emploiera pour le dissoudre & pour l’extraire soit
capable de faire ce qu’on désire. C’est ce qui ne se peut faire que par la
calcination amalgamatoire, la cémentatoire & la dissolutive, qui le préparent &
le réduisent en poudre & en chaux, pour être mise en suite à la calcination
réverbératoire. Nous en traiterons le plus distinctement que faire se pourra, afin
d’instruire l’Artiste avec moins de confusion.

La calcination qui se fait par l’amalgamation de l’or avec le mercure ou l’argent


vif, n’est point suspecte d’aucune corrosion violente, qui puisse imprimer ou
laisser à l’or quelque espèce de corrosion cachée, comme on l’appréhende de
tous les sels & de tous les esprits corrosifs. Il faut avouer néanmoins, que les
esprits ni les sels ne sont pas capables d’imprimer aucune mauvaise qualité à
l’or, & ne peuvent lui ôter le caractère de corps métallique, si ce ne sont des
esprits ou des sels extraordinaires, & dont la connaissance n’est pas encore
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 458

venue jusqu’aux Auteurs qui nous en ont laisse quelque chose par écrit, ou s’ils
en ont dit quelque chose, ça été avec des énigmes très embarrassées, qui font
voir ou qu’ils n’ont pas voulu être entendus, ou qu’ils ne se sont peut-être pas
entendus eux-mêmes : car il n’y a pas un Artiste qui ne sache que l’eau & le feu
peuvent ôter à la chaux de l’or les impressions des sels & des esprits corrosifs,
ou par la lotion ou par la réverbération. C’est pourquoi cela doit ôter tout sujet
de crainte à ceux qui en feraient quelque scrupule, parce que tout ce que les
Artistes ont fait par le passé & font encore à présent, ne tend à autre dessein
qu’à ouvrir l’or & à le rendre capable d’être dissous & extrait sans aucun
corrosif. Nous donnerons dans ce qui suivra ce qui est venu de plus sûr à notre
connaissance par l’étude & par le travail, & nous laiderons le reste à la
recherche de ceux qui voudront pousser plus loin.

§. 7. L’amalgamation de l’or & du mercure.

Il faut faire battre de l’or qui aura passé trois fois par l’antimoine en lames très
déliées, que vous couperez menu avec des cisoires ou des ciseaux. Vous mettrez
une pâme d’or dans un petit creuset pour le faire rougir, & mettrez en même
céans six parties de mercure cru dans un autre creuset que vous placerez aussi
au feu, jusqu’à ce qu’il commence à fumer ; alors il le faut verser dessus l’or qui
est chaud, & agiter & remuer les deux madères ensemble avec un petit morceau
de bois, & lorsque le tout est bien uni, vous le jetterez dans une écuelle qui soit
à demi pleine d’eau, cela fait, jetez cette première eau & en remettez de la
nouvelle sur l’amalgame & le maniez dedans & le lavez, afin d’en séparer toute
la fuliginosité & toute la noirceur : continuez ainsi jusqu’à ce que l’eau en sorte
aussi nette qu’on l’y aura versée. Cela étant fait, mettez cet amalgame qui est
maniable & comme onctueux dans une petite cornue, au col de laquelle on
adaptera un récipient avec de l’eau, placez la cornue entre quatre briques & lui
donnez le feu à nu par degrés, jusqu’à ce que tout le mercure soit passé dans le
récipient, & que l’or demeure pur & ouvert au fond de la cornue ; mais cela ne
se peut faire ni à la première ni à la seconde fois : au contraire, il faut réitérer
l’amalgamation & la distillation jusqu’à vingt ou trente fois, ou même jusqu’à ce
que l’or se trouve ouvert, spongieux & capable d’être réduit en poudre de soi-
même.

Or comme cela est d’un très long travail & fort ennuyeux, les Artistes ont inventé le moyen de
pouvoir discontinuer les parties de l’or après l’amalgamation en moins de temps & avec
beaucoup plus de progrès, ce qui se fait par la cémentation avec le sel commun desséché ou
avec le soufre en poudre : car comme on broie l’amalgame avec le double de son poids de sel ou
de soufre, cela discontinue & désunit ses parties en des particules ou en des atomes si petits,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 459

que cela est cause que le feu & les matières le calcinent beaucoup plus facilement. Ainsi on le
réduit beaucoup plutôt en poudre subtile & bien ouverte » qui est ensuite capable d’être réver-
bérée, & poussée par la seule action du feu jusqu’au point de raréfaction & de spongiosité
requise, cela se fait ainsi.

§. 8. La cémentation calcinatoire de l’or.

Quoique nous ayons parlé ci-devant de la cémentation de l’or, l’Artiste se


souviendra que ce n’a été que pour enseigner à l’éprouver & à le purifier : mais
ce que nous allons enseigner, est nécessaire pour le calciner & l’ouvrir, comme
nous l’avons déjà dit. L’Artiste y procédera de la sorte ; il prendra de
l’amalgame, lorsqu’il aura été bien lavé & bien séché avec un linge net, en sorte
qu’il n’y ait plus aucune humidité, & le pressera autant qu’il pourra au travers
d’un morceau de chamois, afin d’en séparer le mercure superflu, il pèsera
ensuite le reste & le broiera sur le porphyre avec le double de son poids de
soufre vif en poudre, & cela jusqu’à ce que l’amalgame & le soufre soient
tellement unis & confondus, qu’on n’y puisse rien apercevoir de distinct. Alors
il faut mettre cette poudre dans un creuset un peu grand, afin de ne rien perdre
de l’or par le pétillement du soufre, il faut aussi couvrir le creuset avec un
couvercle qui soit juste & qui ait un trou au haut, gros comme le tuyau d’une
plume à écrire : vous luterez le couvercle & mettrez le creuset au feu de roue
peu à peu, jusqu’à ce qu’il commence à rougir & que le soufre s’enflamme &
s’évapore par le trou du couvercle. Cela étant achevé, ce qui se connaîtra par la
cessation de la flamme, il faut tirer le creuset du feu & l’ouvrir ; on y trouvera
l’or haut, élevé & tellement discontinué qu’il semblera que ce soit une éponge :
après quoi, broyez-le avec le triple de son poids de sel commun bien desséché,
ou le mettez simplement lit sur lit dans un creuset qu’il faut couvrir d’un
couvercle sans trou & le luter, puis le mettre au feu de roue & lui donner le feu
jusqu’à faire rougir le creuset. Alors faites cesser le feu & laissez refroidir le
creuset, puis l’ouvrez & broyez la matière qu’il contient dans un mortier de
marbre afin de dissoudre le sel, & on aura l’or en chaux ou en poudre qui sera
déjà assez subtile. Il faut continuer cette amalgamation & les deux cémentations
avec le soufre & avec le sel jusqu’à sept fois chacune, qui sont en tout vingt &
une opérations, & ainsi on aura une poudre ou une chaux d’or, qui sera capable
d’être exposée à la réverbération, comme nous l’allons enseigner.

§. 9. La réverbération de l’or.

Prenez la chaux de l’or préparé, comme nous l’avons dit ci-devant, & la mettez sur une tuile
plate ou sur un carreau capable de bien souffrir le feu, couvrez l’or d’une moufle, qui est un
instrument dont les Orfèvres se servent pour parfondre les ouvrages qu’ils chargent d’émail,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 460

couvrez la moufle de bon charbon, qui soit bien sonnant & bien sec, de tous les côtés hormis par
le devant, où il faut simplement avoir une petite platine de fer, afin de l’ôter quand on voudra
remuer l’or avec une petite verge de fer, qui soit nette & polie, il faut allumer le feu & le
continuer ainsi jusqu’à ce que la chaux de l’or soit extrêmement subtilisée & ouverte, & qu’elle
soit exaltée en couleur d’un rouge pourpre : alors on pourra dire qu’on aura une vraie chaux
d’or, qui sera capable d’être extraite & d’être dissoute, lorsqu’on aura acquis la vraie
connaissance des menstrues doux & bénins, qui ont quelque analogie & quelque sympathie
avec nos esprits naturels & avec notre humide radical : car jusqu’à ce qu’on soit parvenu à cette
véritable dissolution & extraction radicale du sol, je ne donne aucune croyance à tous les
prétendus remèdes qu’on tire de l’or par quelque autre voie, qu’on appelle ordinairement or
potable, teinture d’or, &c. parce que je n’en ai pas encore vu, dont la liqueur ou la substance
n’aie été réductible en corps de métal, ce qui eu absolument contraire aux sentiments des
Anciens, qui ont traité de cette madère ; ce n’est pas que je nie la possibilité de l’extraction & de
la dissolution du sol : mais j’aime mieux me servir d’autres remèdes cordiaux & corroborants,
jusqu’à ce que j’aie été persuadé de la vérité par ma propre expérience, ou par la
communication de quelque autre qui aura été plus heureux & plus expérimenté que moi, ou par
sa propre étude, ou par l’instruction de quelque ami.

Mais comme il y a quelques préparations, qui sont belles & curieuses pour la dissolution, pour
la précipitation & pour l’extraction de l’or, qui sont capables de bien instruire l’Artiste, &
d’élever son esprit à l’étude & à la recherche de quelque chose de meilleur, & que ces
préparations entrent dans quelques remèdes fort recommandables, j’ai cru nécessaire d’en don-
ner ici le procédé, aussi bien que celui d’une sublimation du sol que quelques-uns admirent, &
dont on prétend faire une bonne teinture. Cependant après des Artistes très habiles, nous donnons
diverses préparations d’or potable, qui ne sont point a mépriser.

§. 10. Pour faire le crocus & la teinture de for de Zwelpher.

Prenez une demi-once d’or passé par l’antimoine, & le faites battre en lames ou en feuilles très
déliées ; mettez-les dans une cucurbite de verre avec dix onces de très-bon salpêtre bien affiné,
huit onces d’alun de roche & cinq onces de sel commun très pur, versez là-dessus quatre ou
cinq livres d’eau de pluie distillée, placez la cucurbite au sable, & lui donnez le feu pour la faire
bouillir, continuez ainsi jusqu’à ce que tout l’or soit dissout, ce qui se remarquera à la couleur
de l’eau qui se charge d’un beau jaune. Ainsi lorsqu’on ne verra plus de substance dissoluble au
fonds de la cucurbite, il faut continuer le feu un peu plus lentement & évaporer l’eau jusqu’à
sec, & il restera au fond une masse colorée, qui contient en soi le sol qui est dissout & diffus par
toute la substance des sels. Prenez la moitié de cette masse, mettez-la en poudre, que vous
introduirez dans un marras, & verserez dessus de l’esprit de vin alcoolisé jusqu’à l’éminence de
trois doigts, mettez un matras de rencontre dans le col de celui qui contient les matières, & le
placez aux cendres, donnez-lui le feu de digestion & d’extraction, & en peu de temps l’esprit se

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 461

chargera d’une couleur jaune très agréable ; lorsque cet esprit aura été en direction durant trois
jours, il le faut filtrer & en remettre d’autre à la même éminence, & continuer la digestion
jusqu’à la même couleur du premier esprit qu’on a retiré, & continuer ainsi de digérer &
d’extraire jusqu’à trois ou quatre fois, ou jusqu’à ce que l’esprit ne se colore plus. Cela étant fait,
il faut joindre ensemble toutes vos teintures filtrées, que vous mettrez dans une cucurbite bien
nette & bien sèche, qu’on placera au bain-marie, afin d’en retirer par la distillation à chaleur
lente les trois quarts de l’esprit, & on aura au fond une teinture jaune qui aura en soi la
meilleure partie de l’or, qui a été extrait & dissout par les sels & dans les sels. Cet or est
tellement ouvert & uni à cet esprit, qu’il ne s’en sépare point que pour se coaguler en un sel
jaunâtre, lorsque l’esprit en est trop chargé : car cette coagulation n’empêche pas qu’il ne soit
toujours coloré, & qu’il n’ait une amertume & une acerbité, qui témoigne que l’or a été
décorporifié jusqu’à le réduire en quelque chose qui est analogue à son principe vitriolique,
puisqu’il en conserve la saveur.

Je ne nie pas néanmoins qu’on ne puisse recorporifier cet or en quelque façon : mais je nie qu’on
le puisse recorporifier tout ; & puisque l’esprit de vin très pur a été capable de l’extraire hors
des sels, qui l’avaient dissout par le seul moyen de l’eau de pluie, il faut nécessairement qu’une
partie de cet or ait été changée de celle façon qu’il ait été comme remis au chemin de sa
première matière. C’est pourquoi je ne rejette pas tout à fait l’usage intérieur de cette teinture
d’or, quoiqu’elle n’ait pourtant pas encore toute la perfection que doit avoir la vraie teinture de
l’or ou le vrai or potable ; car comme j’en suis convaincu par l’expérience de plusieurs de mes
amis & par la mienne en particulier, je ne puis aller au contraire, vu même que nous nous
servons tous les jours des dissolutions & des sels des autres métaux avec un très heureux
succès, quoiqu’ils soient encore réductibles en corps de métal, comme cela se voie aux remèdes
que l’on tire du mars & du saturne, qui ont aussi en eux la saveur vitriolique douce ou austère,
selon la nature de chacun d’eux, comme l’or a aussi son amertume.

Cependant la saveur des préparations qui se font sur le mars & sur le saturne, nous sont
d’ordinaire des signes évidents de leur vertu par lestions effets que nous en espérons. Ce qui
fait que je ne répugne pas a l’usage de cette teinture, pourvu qu’on la donne en temps
convenable dans un menstrue approprié, & qu’on observe une dose qui soit exacte selon l’âge,
les forces & l’exigence de la maladie. La dose sera depuis une demie goutte jusqu’à trois &
quatre gouttes, dans du vin, dans des bouillons ou dans les eaux de racine de scorzonere, dans
celle de tête de cerf, ou dans celle de mélisse : les maladies où l’on en peut donner, sont toutes
celles qui ont quelque venin ou quelque malignité compliquée, & toutes celles où les forces &
les esprits défaillent : il faut que le malade soit couvert après l’avoir pris, & qu’il attende le plus
doucement & le plus patiemment qu’il pourra, l’effet du remède, qui arrive ordinairement par
les sueurs, & quelquefois par les urines & par les selles : car comme ce remède fortifie toutes les
fonctions naturelles, aussi chasse-t-il tout ce qu’il trouve de mauvais ou d’hétérogène dans le
corps, par les émonctoires que la nature a fournis, lorsqu’ils sont trop matériels, & qu’ils ne

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 462

peuvent pas pénétrer du centre à la circonférence, par la transpiration sensible ou par


l’insensible.

§. 11. Pour faire le crocus de l’or.

Prenez le reste de la masse qui vous est restée après l’évaporation de la


dissolution de l’or avec les sels ci-dessus, & la faites dissoudre à une chaleur
lente avec autant d’eau de pluie distillée qu’il en faudra pour la dissoudre,
filtrez la dissolution par le papier, & en faites la précipitation avec une quantité
suffisante d’huile de tartre par défaillance, qu’on versera goutte à goutte,
jusqu’à ce que l’or soit précipité au fond : il le faut laisser affaisser & rasseoir,
puis il faut séparer la liqueur qui surnage, par inclination & édulcorer le crocus
de l’or avec de l’eau de pluie distillée, puis le sécher bien lentement. On doit
aussi précipiter de nouveau la liqueur qu’on a séparée de dessus le crocus avec
de l’esprit d’urine, afin que s’il y restait encore quelque portion d’or, qu’on la
retirât. Apres quoi, il faut pareillement édulcorer ce qui aura été précipité & le
dessécher, afin de le joindre au premier crocus, & de les réverbérer durant
l’espace d’un quart d’heure dans un creuset à une chaleur médiocre ; & ainsi on
aura un safran ou un crocus de sol qui sera très ouvert, & qui sera d’une belle
couleur de pourpre violet, qui est un très bon sudorifique & un cordial qui n’est
pas à mépriser. La dose en est depuis un demi grain jusqu’à cinq & six grains
dans quelque conserve, ou dans quelque gelée cordiale. On en peut aussi faire
une poudre confortarive & diaphorétique a qui est excellente.

§. 12. Poudre cordiale diaphorétique solaire.

Prenez du crocus de sol une drachme, de très bon safran deux scrupules, du bézoard minéral
quatre scrupules, de la chair de vipères trois drachmes, du magistère dissoluble de perles & de
celui de corail, de chacun deux drachmes, de l’ambre gris allié avec un peu d’huile de cannelle
& avec un peu de celle de l’écorce extérieure de citron, puis broyez avec une drachme de sucre
un scrupule de musc de Levant dissout avec l’esprit de roses dix grains. Il faut triturer chacune
de ces choses à part, puis les mêler ensemble & les garder dans une boite d’argent, qui se ferme
à vis, ou dans une fiole de verre qui soit bien bouchée, afin de s’en servir comme d’un souverain
cordial & d’un sudorifique admirable, dont la dose est depuis six grains jusqu’à vingt-quatre
dans des conserves dans des gelées, dans des eaux cordiales ; dans du vin, ou finalement dans
du bouillon, selon qu’il conviendra le mieux a la maladie & à l’agrément du malade. C’est un
remède sans égal dans toutes les maladies pestilentielles, dans les fièvres malignes, dans la
rougeole & dans la petite vérole : & outre cela il est généralement bon par tout où il est besoin
de fortifier.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 463

§. 13. Pour faire la sublimation du sol.

Pour parvenir à bien faire cette opération, il faut avoir de la bonne eau régale, ainsi que nous
enseignerons de la faire, lorsque nous parlerons du salpêtre. Il en faut prendre trois onces dans
un matras qui soit assez ample, faites dissoudre une demi-once d’or en lames ou en feuilles
déliées, qui ait passé à l’antimoine & qui soit découpé fort menu. Placez ce matras au feu de
cendres, afin de faire la dissolution de l’or, & lorsqu’elle sera achevée, versez la dissolution dans
une petite cornue & la placez au sable, adaptez-y un récipient, & en retirez doucement environ
la cinquième partie ou même le quart du menstrue. Puis faites cesser le feu & reversez sur ce
qui reste au fond de la cornue, trois onces de nouvelle eau régale, & retirez de nouveau par la
distillation au sable partie du dissolvant, & continuez ainsi avec de la nouvelle eau régale,
jusqu’à quatre fois. Mais à la quatrième, il faut que le cul de la cornue soit si proche du cul du
vaisseau qui contiendra le sable, qu’il n’y ait que la moitié d’un travers de doigt de sable entre
deux, pour donner meilleur feu sur la fin de l’opération, afin de faire la sublimation d’une
portion du sol avec le sel armoniac de l’eau régale. Lorsque tout le menstrue liquide est passé, la
violence du feu que l’Artiste donne sur la fin élève les sels de l’eau régale, que l’or avait arrêtés
& recorporifiés avec soi an fond de la cornue, qui se subliment au col d’icelle & qui enlèvent
avec eux la portion de l’or qui était la plus ouverte.

Quelques-uns prennent cette sublimation pour le soufre ou pour l’âme de l’or, ce qui il est
pourtant pas, parce qu’on le peut encore remettre en corps de métal, mais non pas tout : c’est
pourquoi, il y a aussi quelque vertu à prétendre de la teinture de ces cristaux ou de ces fleurs
rouges, comme safran qui se trouve au haut de la cornue & dans son col, si l’Artiste a bien
observé ce qui est nécessaire à cette opération, qui est très curieuse, & très belle à voir. Or le sel
armoniac qui se sublime dans cette préparation, est d’une nature volatile sulfurée, & enlevé par
conséquent avec soi la plus subtile partie du soufre de ce qui se remarque par la haute couleur
de la sublimation & par la portion de l’or, qui se le retrouve pas.

Il faut prendre tout ce qui a été sublimé & le mettre dans un petit matras, &
verser dessus de l’esprit de vin tartarisé jusqu’à l’éminence d’un pouce : cet
esprit se chargera aussitôt d’une belle couleur jaune, ensuite mettez le matras
bouché avec un autre matras de rencontre au bain vaporeux en digestion, afin
qu’il achève d’extraire la plus pure portion de ce qui a été sublimé, ce qui se fait
en trois jours naturels, il faut filtrer cette teinture & la garder au besoin. Pour ce
qui est du corps qui est demeuré au fond du matras ou dans le filtre, il faut le
rejoindre à l’or, qui est demeuré dans la cornue après la sublimation, & les
fondre & assembler dans un creuset avec un peu de sel de tartre ou de borax,
alors on pourra juger par le poids, de la diminution de l’or, qu’il faut conserver
à d’autres usages à cause de sa pureté.

Pour la teinture on peut la mettre légitimement en pratique dans la Médecine,


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parce qu’elle n’a rien en soit qui ne soit recevable : car si on considère de près ce
qui est monté en la sublimation, on connaîtra que ce n’est que la plus pure
partie du sel armoniac, qui était entré en la composition de l’eau régale, qui est
en soi un sel volatile sulfuré, ami de la nature, qui est diurétique, désopilatif &
sudorifique, & qui de plus est animé & chargé du soufre solaire qu’il a enlevé
avec foi. De plus, le menstrue qui sert à la dissolution & à l’extraction, est un
vrai baume conservatif & le plus subtil de tous les esprits, qui est capable de
faire agir & de faire pénétrer les deux autres substances, jusque dans nos
dernières digestions pour en corriger tous les défauts, & pour chasser de
l’habitude du corps ce qu’il y a d’impur & de superflu, qui sont ordinairement
les causes occasionnelles de nos maladies. C’est pourquoi on en peut donner
depuis une goutte jusqu’à six dans toutes les maladies malignes, &
principalement en celles qui requièrent un prompt secours par la transpiration
insensible, parles sueurs & par les urines.

C’est un remède très particulier dans la lèpre, dans la vérole & dans le scorbut, & toutes ses
dépendances. Il réjouit le cœur & en chasse toutes les faiblesses. Que si on veut se servir de ce
médicament pour prévenir les maladies, lorsqu’on se sent lourd & pesant, que l’on a des
démangeaisons, de la plénitude, & des lassitudes spontanées, on en peut prendre une dose qui
réponde à l’âge, au sexe & à la force de la personne, dans du bouillon, dans du vin chaud on
dans quelque eau cordiale ; puis se faire bien couvrir & attendre doucement la sueur, qui ne
manquera pas de venir. Ou si on ne se peut contenir, cette teinture ne manquera pas aussi de
chasser les sérosités superflues par les urines : car il n’y a que cette superfluité & cette
surabondance de sérosités qui gonflent les veines & les artères, d’où viennent les picotements
aux bouts des doigts & les douleurs de la tête & des autres membres inférieurs, parce qu’elles
irritent & causent une grande tension aux parties membraneuses & nerveuses.

§. 14. Autre sublimation de l’or par la fulmination.

Nous n’avons pas trouvé jusqu’ici de meilleure manière d’ouvrir l’or, pour en
tirer la teinture, que celle qui suit. Prenez une demi-once d’or passé par
l’antimoine, faites-le battre en lames fort minces, coupez-le en lames fort
menues, qu’il faut recuire dans un creuset, puis les mettre dans un matras, &
versez dessus trois onces & demie d’eau régale, faite avec de l’eau forte, de
deux parties de vitriol & une partie de salpêtre : puis mettez dans une livre de
cette eau forte six onces de sel armoniac pur & net réduit en poudre. Agitez
plusieurs fois le tout, afin que l’eau forte se charge suffisamment du sel
armoniac, mettez le vaisseau sur les cendres à chaleur lente, jusqu’à ce que tout
l’or soit dissout ; cela sait, ajoutez à votre dissolution une demi-once d’eau de
pluie distillée, afin d’affaiblir le dissolvant & que la précipitation se fasse mieux.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 465

Mettez votre dissolution solaire dans une grande écuelle de faïence, versez
dessus peu a peu de l’huile de tartre par défaillance, jusqu’à ce que l’or soit
précipité en un limon jaune, & que l’eau devienne claire ; séparez-la doucement
par inclination, & versez dessus goutte à goûte de l’esprit volatil d’urine, afin
d’achever de précipiter le peu d’or qui pourrait être resté de la première action
avec la liqueur du sel de tartre. Joignez ce qui a été différemment précipité & le
lavez, jusqu’à ce que l’eau qui surnage, soit insipide. Alors retirez l’eau, &
séchez très lentement ce qu’on appelle ordinairement or pétillant, ou or
fulminant.

Placez ensuite dans un petit fourneau une cucurbite d’argent haute d’un pied de Roi qui font
douze pouces, jusqu’à la moitié, garnissez tout le circuit de lut, afin de retenir le feu ; il faut que
la cucurbite ait un canal rond & vide qui soit aussi d’argent, de deux pouces & demi de long, &
d’un pouce de diamètre qui soit soudé dans son corps à la hauteur de neuf pouces, que le canal
soit un pouce & demi en dedans & un pouce en dehors. Il faut encore avoir deux petites
lanternes d’argent proportionnées au diamètre intérieur du canal, qu’elles y entrent juste de la
longueur de deux pouces jusqu’au manche, qui doit être garni d’argent, & qu’il ferme
exactement le pouce du canal qui sort en dehors. Nous avons donné le nom de lanterne à cet
instrument, à cause qu’il doit être fait comme les lanternes, avec lesquelles on charge le canon,
& qui doit avoir la longueur du canal qui entre dans la cucurbite.

Cela étant ainsi, il faut mettre le feu au fourneau & chauffer la cucurbite, qu’il
faut couvrir d’un chapiteau de verre blanc, & lorsqu’on ne pourra plus endurer
la chaleur de la cucurbite en la touchant de la main, il faut mettre dans une des
lanternes environ une demi-drachme de l’or pétillant qui soit bien sec, &
introduire cette lanterne dans le canal, jusqu’à ce que le tout joigne juste pour
bien fermer ; puis frapper doucement sur le derrière de la lanterne avec quelque
chose de dur, & ne faire tomber à la fois qu’environ un, deux ou trois grains de
la poudre fulminante, qui pétera d’abord, si le fond de la cucurbite est assez
chaud ; si elle ne pète pas, il faut augmenter un peu le feu & faire l’épreuve
jusqu’à ce qu’on entende le bruit de l’escopèterie philosophique. Surtout prenez
garde de ne pas faire tomber trop de poudre à la fois, autrement la violence du
coup enlèverait & casserait le chapiteau, & craquerait le fond de la cucurbite.

Il faut avouer que cette opération est agréable & fort divertissante, pourvu qu’elle soit bien
conduite ; car à mesure que le bruit de la fulmination se fait, il s’élève des vapeurs brunes &
pourprées, qui montent dans le chapiteau, qui l’obscurcissent & enfin s’attachent en poudre
impalpable dans sa capacité & aux parois internes de la cucurbite, il se forme même quelque
liqueur, mais en petite quantité, qui se condense & coule par le bec du chapiteau dans le
récipient ; ce qui n’est autre chose que le plus pur & le plus fixe du sel de tartre, que l’or avait

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retenu à soi, nonobstant toutes les lotions précédentes, & c’est là proprement ce qui cause la
fulmination, les goûtes qui coulent sont bleues comme l’azur, à cause qu’elles ont tiré la teinture
de l’argent étant en vapeur. Il faut substituer une lanterne chargée, aussitôt que l’antre est vide,
& entretenir le feu égal, jusqu’à ce qu’on ait fulminé & sublimé tout son or. Et lorsque les
vaisseaux sont refroidis, il faut retirer les fleurs ou la poudre solaire avec une plume autant
qu’un pourra, tant du chapiteau que de la cucurbite ; que s’il y en reste, qui soit attachée, il la
fasse délaver avec de l’eau nette, puis filtrer l’eau, & la poudre demeurera dans le papier, qu’il
faudra sécher lentement & la joindre à l’autre : c’est un or très ouvert, dont ou peut tirer la
teinture avec plusieurs menstrues volatiles, desquels nous avons fait mention en plusieurs
endroits de ce Livre.

Il y en a qui donnent de cet or depuis deux grains jusqu’à dix, dans quelque
conserve, ou dans quelque confection cordiale, dans les maladies malignes, &
font boire par-dessus des eaux sudorifiques simples & composées, ils assurent
qu’il produit la sueur avec succès ; pour moi j’aime mieux la teinture, à cause
qu’elle est plus efficace & plus analogue à notre nature.

DE L’ARGENT.

§. 15. De l’Argent et de sa préparation chimique.

L’argent est le second métal en noblesse, mais il est moins fixe que l’or, parce
que son vitriol principiel n’est pas digéré ni cuit jusqu’à la parfaite union &
fixation avec son souffre, ce qui est cause qu’il est dissout plus facilement que
l’or par les menstrues nitreux, vitrioliques & alumineux, par rapport à ce reste
de vitriol indigeste qui est en lui. Les Chimistes le nomment Lune ou cerveau,
parce qu’il a, dit-on, de la sympathie avec la Lune céleste & avec le cerveau
humain : c’est pourquoi on dédie les remèdes qu’on en tire, à fortifier la tête &
les esprits animaux, si bien qu’on dit que c’est un spécifique pour la cure des
principales affections du chef, comme sont l’apoplexie, l’épilepsie, la manie &
les autres maladies qui tirent à ce qu’on prétend leur origine du cerveau.

Le choix de l’argent n’est pas important pour le travail chimique, parce qu’il s’en trouve très-
peu qui soit pur dès son origine, ce qui fait qu’on a même besoin de la Chimie pour en séparer
les impuretés ou l’alliage. Il n’est pas assez pur, ni chez les Orfèvres, ni chez les Monnayeurs :
car pour ce qui concerne le nettoiement de l’argent de ses impuretés extérieures, il ne faut que le
faire bouillir dans de l’eau qui soit empreinte de tartre & de sel commun, après qu’il aura été
rougi au feu, puis le jeter dans l’urine & dans de l’eau, & il sera très pur à l’extérieur ; mais
lorsqu’il en faut séparer l’alliage & le remède, on doit avoir recours à la dissolution, qui est la
calcination immersive & à la fonte par la coupelle avec le plomb, qui ne servent l’une & l’autre
que pour la purification de l’argent, avant de le soumettre aux autres calcinations. Ces

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purifications doivent précéder les préparations de ce métal, pour le mettre en état d’être
dissous, afin d’en faire la teinture. Les trois principales sont, la calcination immersive,
l’amalgamatoire & la cémentatoire : car on va rarement jusqu’à la calcination réverbératoire, à
cause que l’argent étant moins fixe que l’or, n’a pas besoin d’une longue & puissante action du
feu pour être suffisamment ouvert.

Pour la première séparation des impuretés & des métaux qui sont dans l’argent, il faut le
dissoudre dans trois ou quatre parties d’eau forte, qui soit faite avec le vitriol & le Salpêtre, ainsi
que nous l’enseignerons ci-après ; puis précipiter l’argent en chaux ou en poudre avec de l’eau
salée, c’est-à-dire avec de l’eau dans laquelle on aura dissout du sel commun, autant que l’eau
est capable d’en porter, qui est ce qu’on appelle aussi chez les Artistes, de l’eau marine, ou bien
il faut mettre des lames de cuivre rouge dans la dissolution de l’argent, & affaiblir l’eau forte
avec de l’eau commune, & le cuivre attirera & assemblera autour de soi, tout l’argent en forme
d’une poudre blanche : mais de quelque façon que l’on ait fait cette précipitation de l’argent, il
faut ensuite édulcorer la poudre ou la chaux par diverses lotions avec de l’eau simple, puis la
sécher.

Mais comme cette chaux n’est pas encore exempte de tout mélange, il est nécessaire de la mettre
à la coupelle avec trois ou quatre fois autant de plomb, & le chasser sur la cendrée qui sera
couverte d’une pièce de bois qui soit sèche & proportionnée à la coupelle & avec du charbon
arrangé comme il faut, à force de feu & de soufflets, jusqu’à ce que le plomb ait emporté avec
soi en vapeurs, ou entraîné dans la cendrée les impuretés & le mélange métallique hétérogène
de l’argent, ou que le même plomb soit au-dessus converti en une écume ou en un excrément
du plomb calciné, qui est ce qu’on appelle litharge, qui est plus ou moins rouge, selon qu’elle a
plus ou moins souffert la chaleur du feu. Ce qui est de plus remarquable dans cette opération,
est que lorsque l’argent est une fois affiné & qu’il est pur, il se durcit dans le milieu du feu le
plus violent, quoiqu’on peut auparavant il fut coulant & fluant comme de l’eau, lorsque le
plomb y dominait encore, & qu’il y avait quelque reste d’impureté.

L’argent qui est ainsi resté sur la coupelle, est très pur, & ne peut être soupçonné d’aucun
mauvais mélange, c’est celui qu’on appelle de l’argent très fin ou de coupelle ; il faut donc en
prendre autant qu’on voudra le faire mettre en lamines déliées ou en limaille subtile, puis le
mettre dans un matras & verser dessus trois fois son poids de bonne eau forte, ou ce qui serait
encore mieux trois fois autant de bon esprit de nitre. Le marras doit être mis en digestion aux
cendres ou au sable, afin d’accélérer la dissolution, & lorsqu’elle est achevée, versez-la par
inclination dans une petite cucurbite, afin de séparer ce qui pourrait être d’impur au fond du
matras. Il faut après cela retirer la moitié du menstrue aux cendres, puis laisser refroidir le
vaisseau, & le lendemain on trouvera l’argent réduit en cristaux, qu’on appelle vitriol d’argent,
selon quelques-uns. On les doit dessécher lentement & les garder dans une fiole bien bouchée,
pour en donner à ceux qui sont affligés de quelque maladie céphalique pour les purger, on en

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donne depuis deux grains jusqu’à dix, dans des bouillons ou dans quelque décoction apéritive
& céphalique, ils purgent fort doucement, & déchargent puissamment la tête de ce qui lui nuit.

Il faut ensuite précipiter la liqueur qui surnageait les cristaux avec de l’eau salée, afin de faire la
chaux de la Lune ou de l’argent, qu’il faudra édulcorer & sécher, pour en faire les préparations
qui suivront, c’est ce qu’on appelle chez les Auteurs, de l’argent calciné ou de la chaux de Lune.
Nous donnerons trois exemples de l’extraction de la teinture de l’argent qu’on appelle de la
Lune ou de l’argent potable, afin de faire mieux comprendre aux Artistes la manière de
travailler, parce que les menstrues sont différents aussi bien que la façon d’opérer.

§. 16. La première préparation de la teinture de la Lune.

Pour parvenir à la perfection de cette teinture, il faut premièrement préparer un menstrue pour
son extraction, qui se fera comme nous l’allons enseigner. Pour cet effet, il faut prendre une
partie de sel armoniac très pur & deux parties de minium, c’est le plomb calciné, & réverbéré en
rougeur, que vous mêlerez ensemble, & le mettrez dans une retorte que l’Artiste placera au
sable ; & après avoir adapté & luté exactement le récipient, il donnera le feu par degrés, qu’il
faudra continuer jusqu’à ce que les gouttes & les vapeurs soient passées. Mais ayez soin que le
col de la cornue soit large de plus d’un bon pouce de diamètre, afin que s’il se faisait quelque
sublimation, la matière puisse entrer dans le récipient, & qu’elle ne bouche pas le col de la
cornue, ce qui la ferait casser. Les vaisseaux étant refroidis, il faut verser ce qui sera distillé dans
une cucurbite, & rectifier cet esprit aux cendres, afin qu’il soit plus pur.

Après cela, prenez une partie de chaux de Lune, qui soit faite avec l’esprit de nitre, précipitée
avec l’eau salée, édulcorée & séchée, mettez-la dans un vaisseau de rencontre, é versez dessus
six parties de l’esprit susdit, & le mettez digérer au bain vaporeux à une chaleur lente, & vous
verrez que cet esprit le chargera dans peu de temps d’une belle couleur bleue : lorsqu’il fera
haut en couleur, il faut le verser pat inclination & en remettre d’autre, & continuée ainsi jusqu’à
ce que le menstrue ne se teigne plus : alors joignez toutes les teintures & les filtrez, puis retirez
le menstrue au bain-marie jusqu’à sec, & vous aurez au fond du vaisseaux une poudre qui
sentira l’urine, sur laquelle il faut verser de l’eau de pluie distillée jusqu’à la hauteur de trois
doigts, & la retirer par distillation, & continuer ainsi avec de nouvelle eau de pluie distillée,
jusqu’à ce que la poudre de la Lune ait perdu tout à fait cette mauvaise odeur & le mauvais
goût d’urine que l’esprit du sel armoniac y avait imprimé. Et lorsque la poudre sera en cet état,
& qu’elle sera bien sèche, il la faut mettre dans un vaisseau circulatoire, & verser dessus de
l’esprit de vin très alcoolisé à la hauteur de trois pouces, puis boucher le vaisseau très
exactement, & le faites circuler à la très lente chaleur du bain vaporeux, jusqu’à ce qu’il soit
d’une couleur bleue qui soit fort haute en couleur ; cessez alors le feu, filtrez la teinture & en
retirez au bain la moitié du menstrue ; gardez le reste précieusement : car c’est la vraie essence
de l’argent, qui est très excellente contre toutes les affections du cerveau, & particulièrement
contre la manie, la folie, l’apoplexie, l’épilepsie 8c la paralysie, si on en donne depuis une goutte

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jusqu’à six, sept & huit dans des liqueurs convenables, comme dans l’esprit des cerises noires,
ou dans celui qui est fait des grains de sureau.

§. 17. La seconde préparation de la teinture de la Lune.

Le procédé de cette teinture est de beaucoup plus philosophique que le précédent : c’est
pourquoi il faut que l’Artiste le fasse avec attache & avec jugement, & comme nous avons parlé
ci-devant de la calcination cémentatoire de la Lune, aussi avons-nous réservé d’en enseigner la
meilleure manière pour cette opération, comme nous réservons l’amalgamatoire pour celle qui
suivra.

Prenez de l’argent de coupelle, faites-le battre en lamines déliées, & les mettez dans un creuset
ou dans une boite à cémenter, lit sur lit, ou f. f. f. avec du tartre vitriolé qui soit bien sec, & qui
ait été préparé avec du sel de tartre très-pur & de l’huile de vitriol bien rectifiée, il faut
commencer la stratification par le sel & la finir de même, lutez ensuite le creuset ou la boite &
laissez sécher le lut, puis placez le vaisseau au feu de roue, que vous commencerez lentement &
le continuerez ainsi durant l’espace de quatre heures, après quoi, augmentez-le fortement
quatre autres heures, ce temps passé, laissez refroidir le creuset, puis l’ouvrez pour en retirer
l’argent qui le trouvera calciné & rompant de couleur verte : il faut le mettre en poudre, & s’il y
en encore qui ne soit pas assez calciné, il faut réitérer la cémentation avec de nouveau sel, &
joindre le tout ensemble.

Il faut mettre cette poudre verte dans une cucurbite, & verser dessus du très bon vinaigre
distillé jusqu’à l’éminence de quatre doigts, puis mettre le vaisseau aux cendres à une chaleur
médiocre, & le laisser ainsi huit ou dix jours à cette chaleur continuelle, afin qu’il dissolve &
qu’il fasse l’extraction de la Lune, & lorsque l’esprit du vinaigre sera chargé d’un beau vert
d’émeraude, il le faut séparer & y en remettre du nouveau, jusqu’à ce que cet esprit ne se charge
plus de la couleur verte : alors il faut joindre toutes les teintures ensemble & les filtrer. Il reste
au fond du vaisseau un limon jaunâtre, qui est le reste de l’argent, ou sa terre privée de son
soufre.

Mettez toutes les extractions filtrées dans une cucurbite au bain-marie, & en retirez le menstrue
par la distillation à une chaleur graduée jusqu’en consistance d’un sirop bien épais, sur lequel il
faut verser de l’esprit de vin qui a été rectifié deux fois sur le sel de tartre à la hauteur de quatre
doigts, couvrez la cucurbite de sa rencontre, & mettez circuler les matières au bain vaporeux
dans la sciure de bois à une chaleur de digestion proportionnée à celle de l’estomac humain,
durant l’espace de quarante jours naturels, qui est le mois philosophique. Après cela tirez le
vaisseau, & s’il s’est fait quelque défécation au fond, séparez l’impur par inclination, ou filtrez
l’esprit de vin qui est chargé du soufre, central de la Lune, & qui est d’une couleur verte très
agréable : mettez la filtration dans une cucurbite au bain, & en retirez les deux tiers on les trois
quarts de l’esprit, & il restera le vrai élixir de la Lune en liqueur verte, qu’il faut garder dans

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une fiole bien bouchée à ses usages. Ils sont semblables & même plus excellents & plus étendus
que ceux de l’essence précédente; car c’est un rare remède pour faire évacuer insensiblement
l’enflure des hydropiques ; la dose est depuis une goutte jusqu’à huit, dans des bouillons, dans
des eaux céphaliques & apéritives, ou même dans de bon vin blanc.

§. 18. La troisième préparation de la teinture de la Lune.

Nous avons réservé à cette troisième teinture, de parler de la calcination amalgamatoire de


l’argent, pour ne pas faire de redites inutiles, & afin que l’Artiste puisse mieux concevoir tout
d’une suite le travail de ce dernier procédé sur la Lune. Il faut prendre de l’argent très fin réduit
en feuilles, vous le mettrez dans un creuset, & le ferez chauffer entre les charbons ardents assez
médiocrement, & vous aurez en même temps autant de mercure coulant que l’argent pèse, ( ou
plutôt trois ou quatre fois son poids ) dans un autre creuset, & le mettre aussi chauffer jusqu’à
ce qu’il commence à fumer, alors il faut joindre les deux ensemble & les agiter avec un bâton
jusqu’à ce qu’ils soient réduits en un amalgame bien uni & comme onctueux. Ajourez le quart
d’autant qu’il pèsera, de sel commun desséché, puis le remettrez dans le creuset, qu’il faut
placer au feu de roue, & lui donner le feu par degrés, en l’augmentant peu à peu jusqu’à ce que
tout le mercure soit exhalé. Lorsque le creuset sera refroidi, broyez ce que vous y trouverez
dans un mortier de marbre, & le lavez avec de l’eau de pluie distillée, afin d’en séparer le sel,
puis faites sécher la chaux qui reste après la lotion, pesez-la & la mettez dans un matras dans
lequel vous verserez trois fois autant d’esprit de nitre, & les digérez ensemble au sable jusqu’à
l’entière dissolution. Cela fait, il faut verser la liqueur dans une petite cucurbite, & en retirer le
menstrue aux cendres jusqu’à sec, puis versez de l’eau de pluie distillée sur ce qui reste, retirez-
la par distillation, & réitérez ainsi avec de nouvelle eau jusqu’à ce que la chaux de la Lune ait
tout à fait perdu l’acrimonie qu’elle avait retenue de son dissolvant.

Lorsque cela est fait, & que cette chaux est bien sèche, il faut la mettre dans un matras & verser
dessus de l’esprit de Vénus jusqu’à la hauteur de quatre doigts, & le mettre digérer & extraire
aux cendres à une chaleur lente. Notez qu’il faut que le matras soit bouché avec un autre matras
de rencontre, & qu’il soit luté à cause de la subtilité de l’esprit : il faut qu’il demeure ainsi en
digestion l’espace de quinze jours sans discontinuer la chaleur, puis filtrez la teinture qui sera
bleue, continuez la digestion & l’extraction jusqu’à ce que le menstrue ne se colore plus, &
lorsque toutes les teintures sont achevées & filtrées, il les faut mettre au bain-marie dans une
cucurbite, afin de retirer le menstrue jusqu’à la consistance d’un sirop épais, après quoi il faut
verser sur ce sirop de l’esprit de vin accué de la sixième partie de son poids de sel volatil
d’urine, & mettre une rencontre sur la cucurbite & la luter très exactement ; puis la placez au
bain vaporeux ; & lui donnez une chaleur fort douce durant l’espace de trois semaines, &
l’esprit se teindra d’une couleur bleue très agréable par l’extraction qui se fera du soufre
centrique de la Lune.

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Cela fait, il faut filtrer la teinture, s’il y a quelque impureté qui se soit séparée, il en faut retirer
les deux tiers du menstrue au bain-marie à une très lente chaleur, & il restera une vraie essence
antiépileptique & le vrai spécifique contre toutes les maladies du cerveau que nous avons déjà
énoncées : la dose en est depuis une goutte jusqu’à huit & dix, dans l’eau de fleur de tilleul ou
dans une émulsion faite avec cette eau & la semence de peone ou dans quelque autre véhicule
approprié à la maladie & au goût du malade.

DU FER.

§. 19. Du fer & de sa préparation chimique.

Le fer est l’un des deux métaux de la seconde classe, qui est celle des moins nobles & des plus
durs. Il est composé d’un mercure & d’un soufre qui sont les moins fusibles & les plus cru, ou
encore si on veut, le fer est composé d’un mercure, d’un soufre & d’un sel qui sont mêlés de
beaucoup de parties terrestres & très crues ; en un mot il n’y a point de métal qui abonde tant en
vitriol que le fer ou le mars qui est ainsi nommé, à cause de l’analogie qu’il a avec est autre,
comme nous l’avons déjà dit ci-dessus.

Le mars est un des métaux qui fournit le plus de remèdes à la boutique de l’Artiste chimique, &
l’un de ceux qui produisent les meilleurs effets & les plus pathétiques. Nous enseignerons ici la
façon de faire ceux qui sont les plus utiles à la santé des pauvres malades, & les plus nécessaires
à l’instruction de l’Artiste. Comme sont premièrement la perfectibilité gradatoire qui purifie le
fer de toutes impuretés, & qui le change en ce que nous appelions acier, qui n’est à proprement
parler, qu’un fer bien resserré & bien épuré. Secondement nous le calcinerons pour en faire le
crocus de mars astringent & celui qui est apéritif. Troisièmement nous le dissoudrons pour en
faire le vitriol, le sirop & le sel. En quatrième lieu nous en ferons l’extraction, qui fournira la
teinture astringente & la teinture apéritive. Et pour le cinquième & dernier, nous donnerons la
façon de faire les cristaux de Mars, qui seront empreints de l’âme interne de l’acier : ce qui se
verra par la couleur rouge de son soufre, dont ces cristaux seront doués.

§. 20. Comment on purge & resserre le fer pour en faire l’acier.

Prenez des verges de fer battu de la grosseur du maître doigt, & les stratifiez dans un vaisseau
propre avec une poudre grossière, faire avec une partie de charbon de saule ou de celui de
hêtre, & deux parties de cornes de bœuf râpées, il faut luter les jointures de la couverture du
vaisseau, & le mettre dans un four à vent qui soit bâti exprès, & lui donner le feu de charbon de
tous les cotés durant l’espace de cinq ou six heures, & lorsque le tout sera refroidi, on trouvera
le fer plus pur, plus resserré & plus compacte à cause que le sel volatile & l’huile de la corne de
bœuf a pénétré les verges de fer & les a beaucoup corrigées & adoucies ; de sorte qu’il en est
moins poreux & moins terrestre, il en est aussi plus ductile & plus malléable avant la trempe, &
en est beaucoup plus dur & plus tranchant, après qu’il a été trempé ; mais comme cela n’est pas

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 472

de notre sujet, nous nous contenterons de dire, que puisque l’acier est plus pur & mieux corrigé
que le simple fer, que c’est aussi par conséquent l’acier qui doit être pris par l’Artiste pour le
travail des opérations Chymiques.

Ceux qui se serviront de limaille, prendront de celle que font les Maîtres qui font les aiguilles,
s’ils sont en lieu pour cela, sinon ils prendront du plus pur & du meilleur acier qu’ils pourront
& le feront mettre en limaille subtile. Nous n’avons mis ici cette opération que pour faire
comprendre de plus en plus à l’Artiste que les sels volatiles servent toujours à améliorer les su-
jets sur lesquels on les emploie, afin qu’il les estime d’autant plus, & qu’il y mette la principale
confiance qu’il puisse avoir en pas un autre remède.

§. 21. Pour faire le crocus de Mars astringent.

Nous donnerons deux moyens de faire le crocus, l’un par la réverbération pour l’intérieur, &
l’autre par la dissolution pour l’extérieur. Pour le premier, il faut prendre parties égales de
limaille d’acier & de sel commun & les broyer sur le marbre ensemble jusqu’à ce qu’ils soient
bien mêlés, étendez ce mélange sur une tuile qui ait un rebord, & la placez au réverbère & y
donnez le feu de flamme qui lèche la matière par-dessus durant l’espace de trente heures : cela
passé, il faut laver la matière réverbérée avec de l’eau de pluie distillée & la sécher, pour la
remettre encore au réverbère, afin de la subtiliser & de l’ouvrit de plus en plus, & tant que la
limaille soit changée en une poudre légère & rouge qui est astringente, qui est ce qu’on appelle
du crocus ou du safran de Mars, à cause que les Chimistes ont donné ce nom aux préparations
des métaux & des minéraux qui sont réduits en une poudre rouge par la dissolution ou par la
réverbération.

Lorsque ce crocus a été bien ouvert par l’action du feu, il le faut broyer sur le porphyre avec de
l’eau de suc de plantin ou d’alchimille, jusqu’à ce qu’il soit réduit en alcool, puis le mettre en
petits trochisques sur le papier, afin de le sécher nettement & de le garder à ses usages. On
emploie ce crocus de Mars intérieurement, quand on a besoin d’un remède astringent &
dessiccatif : comme dans la dysenterie, lienterie, chaude pisse, gonorrhée & dans le crachement
de sang : la dose est depuis quatre grains jusqu’à une demi-drachme dans de la conserve de
roses en bol, ou avec de la racine confite de grande consoulde ou dans de la décoction de
plantin, de virga aurea, ou d’alchimille, avec un peu de sirop de roses sèches ou avec un peu de
celui de berberis.

Pour le second crocus de Mars astringent, qu’on emploie extérieurement, il se fait avec toute
sorte de liqueur corrosive ou acide, comme avec l’eau forte vulgaire, l’esprit de nitre, de sel, de
vitriol, d’alun & de sel armoniac ; nous ne nous servirons pour notre exemple que de l’eau forte
faite de parties égales de vitriol & d’alun, pour y dissoudre la limaille d’acier. Il faudra donc
prendre quatre onces de cette limaille, & la verser par demi-drachmes dans une livre de cette
eau forte : car si on versait le menstrue sur la limaille, il se ferait une ébullition & une si subite

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caléfaction de la matière & du vaisseau, que l’une se perdrait, ou l’autre se casserait, si aussi on
mettait trop de limaille à la fois dans le menstrue cela pousserait des vapeurs soudaines &
mauvaises, qui causeraient la suffocation de poitrine à l’Artiste : c’est pourquoi il faut que le
menstrue soit dans une cucurbite un peu haute, afin qu’il ne se perde rien par l’ébullition qui se
ne peut empêcher par aucun autre moyen, que par le peu de limaille qu’on y met à la fois :
lorsque l’Artiste aura achevé de mettre les quatre onces de limaille, il peut y en ajouter autant
qu’il voudra, si le menstrue n’est pas tout à fait absorbé, car il faut y en mettre jusqu’à ce que la
limaille ait réduit le menstrue en une pâte de médiocre consistance, qu’il faut mettre dans un
matras qui ait le col un peu large, que l’Artiste placera sur une culotte de terre ou sur un
morceau de brique avec un peu de lut, au feu de roue, & donnera le feu peu à peu, pour faire
exhaler le menstrue : il faut ensuite augmenter le feu jusqu’à ce que le matras rougisse de tous
les côtés, & après qu’il sera refroidi, on y trouvera un crocus de Mars astringent, qui sera d’un
rouge fort haut en couleur, qui est très-bon pour l’extérieur, pour dessécher les plaies & les
ulcères & pour arrêter les hémorragies : c’est toujours de ce crocus qu’il faut mettre dans les
emplâtres, dans les onguents & dans les liniments.

Nous avons pourtant encore ceci à dire de plus, que si l’Artiste ne met qu’une once de limaille
d’acier sur six onces d’eau forte, & qu’il en fasse l’évaporation au sable dans un matras jusqu’à
sec, il aura un crocus qui sera résoluble à la cave ou en quelque autre lieu humide & frais, en
une liqueur rouge, qui est un souverain remède pour mondifier les ulcères baveux & rongeants,
comme aussi ceux qui ont des bords calleux & qui ont des superfluités d’une chair spongieuse
& mauvaise ; car il consomme tout ce qui est contre nature, par l’action des esprits des sels qui
sont résous, & rend l’ulcère capable de cicatrisation, qu’il procure par la faculté astringente qu’il
a de Sa terre vitriolique.

§. 22. Comment il faut faire le crocus de Mars apéritif.

Il faut que nous donnions deux manières de faire ce crocus de Mars apéritif, comme nous en
avons donné deux de faire le crocus astringent. Pour la première façon de le faire, vous
prendrez une livre de limaille d’aiguilles qui soit bien nette, & la mettrez dans une terrine de
grès qui soit plate, puis il la faut humecter peu à peu avec de l’eau de rosée, si cela se fait en
Mai, ou avec de l’eau de l’équinoxe de Mars, jusqu’à ce que la limaille commence à se grumeler,
& ne point passer outre, de peur de la noyer ; car lorsqu’elle est seulement humectée en une
forme de pâte ou en grumeaux, elle se fermente & s’échauffe de soi-même avec l’eau, comme on
le remarque par le tact & par l’odorat : car il y a un certain esprit salin qui est caché dans ces
eaux qui pénètre le Mars & qui le dissout insensiblement : c’est pourquoi il le faut faire sécher
aussitôt au soleil, & lorsqu’il est sec, on le broiera sur le marbre, & on l’humectera derechef sans
le noyer, & en moins de trois ou de quatre jours toute la limaille sera convertie en une poudre
noire, qui commencera à changer en violet à sa surface, & qui témoignera par un petit goût âcre
ou vitriolique, que l’eau commence à faire la réincrudation du métal en ses principes séminaux,

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qui sont le soufre & le vitriol ; car lorsque l’on y mêle l’eau, il donne une odeur de soufre, & le
vitriol se manifeste au goût.

Notez qu’il faut broyer le Mars sur le marbre toutes les fois qu’il a été desséché :
si l’Artiste est vigilant, il peut faire trois exsiccations par jour, & avoir achevé
l’opération en trois semaines ; sinon il faudra pour le moins un mois ou six
semaines, avant qu’il puisse avoir réduit le corps de ce métal en une poudre
impalpable qui est colorée d’un brun violet, que l’Artiste mettra dans un
chaudron de fer cru, qu’il posera sur le feu ouvert & le réverbérera ainsi,
jusqu’à ce qu’il rougisse dans le chaudron en l’agitant toujours avec une spatule
de fer, & dès qu’il commence à rougir, il le faut ôter, & l’on aura le crocus de
Mars apéritif réverbéré en une belle couleur rouge brune. Mais il est beaucoup
plus expédient de ne le point réverbérer, parce que cette chaleur est capable de
faire exhaler le vitriol qui a commencé de se former dans le crocus, & c’est
néanmoins ce sel vitriolique qui constitue sa vertu apéritive.

La dose de ce crocus est depuis trois grains jusqu’à vingt & trente grains, pourvu qu’on le
donne par degrés & qu’on y accoutume l’estomac peu à peu ; on le donne dans des opiacés ou
dans des conserves, ou mêlé parmi des poudres aromatiques, il faut que ce soit à jeun, trois ou
quatre heures avant aucun repas, & que le malade se promène doucement & lentement dans
quelque lieu égal & agréable, après la promenade il pourra prendre un bouillon de veau & de
volaille qui soit altéré avec les racines de persil & celles de scorsonère d’Espagne. Les maladies
chroniques, la cachexie, la leucophlegmatie & toutes les autres maladies qui proviennent des
obstructions de la rate, du foie, du mésantère & du pancréas, ont besoin de ce remède ; mais il y
en a d’autres qui se tirent du Mars qui sont beaucoup plus prompts & plus efficaces, comme
nous l’enseignerons ci-après.

La seconde façon de faire le crocus de Mars apéritif, est qu’il faut prendre une barre de bon
acier & le faire chauffer à la forge d’un Maréchal ou à celle d’un Serrurier, jusqu’à ce qu’il soit
rouge & étincelant de tous les cotés, qui est ce qu’ils appellent chaud à souder, qui est une
espèce de demi-fonte, & lorsqu’il est réduit en cet état, il faut avoir une terrine pleine d’eau, &
tenir la bille d’acier au-dessus de la terrine, & appliquer fortement contre l’acier un grand
magdaleon de soufre, qui fondra l’acier & le fera tomber goutte à goutte en grenaille dans l’eau
qui est au-dessous, il faut continuer ainsi jusqu’à ce que vous ayez suffisamment de cet acier en
grenaille, qu’il faut séparer du soufre qui a filé dans l’eau & le broyer au mortier de fer en
poudre qu’on passera par le tamis de soie, & après le préparer sur le porphyre ou sur une
écaille de mer avec quelque eau apéritive, jusqu’à ce qu’il soit réduit en alcool, dont on formera
la moitié en trochisques pour les sécher & garder : c’est ce qu’on appelle, acier préparé. Il faut
prendre l’autre partie & le réverbérer dans le chaudron de fer cru, comme nous l’avons dit ci-
devant, jusqu’à ce qu’il soit devenu de couleur rouge pourpre, sans qu’il faille avoir peur de

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consommer sa faculté vitriolique : au contraire on l’ouvrira de plus en plus, à cause que ce


crocus a été préparé d’une autre façon que le précédent. La dose est pareille à l’autre avec les
mêmes précautions & pour la cure des mêmes maladies, il y en a même qui le préfèrent au
précédent, mais je ne suis pas e ce sentiment.

§. 23. Comment il faut faire le vitriol de Mars.

Prenez de la limaille d’aiguilles qui soit bien nette, mettez-la dans une cucurbite
de verre, & versez dessus peu à peu du bon esprit acide de vitriol, qui ne soit
pas tout à fait déphlegmé, jusqu’à ce que la limaille en soit bien imbue, agitez
cela comme il faut avec une spatule de fer, sans néanmoins casser la cucurbite,
puis versez dessus aussitôt de l’eau de pluie distillée, ou de celle de l’équinoxe
sans avoir été distillée, qui soit presque bouillante, jusqu’à l’éminence de quatre
bons doigts, placez la cucurbite au sable qui soit déjà échauffée, & l’y laissez en
digestion & en dissolution durant douze heures : cela passé, filtrez chaudement
la liqueur & la mettez évaporer lentement, jusqu’à la moitié à la vapeur du bain
bouillant, puis la mettez cristalliser en un lieu froid, & vous trouverez le
lendemain que le vitriol de Mars sera formé au fond & au tour du vaisseau en
cristaux beaux & verts, qu’il faut mettre entre deux papiers, & les sécher à une
chaleur fort lente : si on en veut avoir davantage, il faut poursuivre le même
travail sur la limaille qui est restée avec l’esprit du vitriol, puis avec l’eau
chaude, filtrer, évaporer & cristalliser, jusqu’à ce que tout la corps du métal soit
passé en vitriol ou en une terre qui demeure en petite quantité, si la limaille
était pure : mais la quantité du vitriol surpasse de beaucoup le poids de la
Limaille, il va même quelquefois jusqu’au triple, ce qui doit faire remarquer à
l’Artiste que ce n’est qui la recorporification de l’esprit de vitriol, qui a repris
son idée & ton caractère vitriolique par le moyen du Mars, comme dans un
corps qui a été autrefois vitriol : mais il faut pourtant avouer que ce vitriol est
beaucoup plus excellent que le vitriol commun, dont on avait distillé l’esprit
qu’on a employé : car les esprits recorporifiés ont une grande sphère d’activité
& agissent beaucoup plus puissamment, que les matières purement &
simplement naturelles.

Ce vitriol a plus d’efficace, & agit avec beaucoup plus de vitesse que le crocus
apéritif, dans toutes les maladies que nous avons énoncées ci-devant : mais la
dose en est beaucoup moindre : car on commence à en donner par degrés
depuis un grain jusqu’à huit, dix & douze grains, ou en bol, dans quelque
conserve ou dans des bouillons ; mais il faut remarquer que l’usage des
remèdes qui sont tirés du Mars, doivent être continués longtemps, & toujours
en les augmentant d’un grain ou deux, jusqu’à ce qu’à la fin ils commencent à

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dire soulever l’estomac & à causer quelque nausée, alors il faut rétrograder de
deux grains ou même d’un peu davantage, à cause que c’est un signe que la
nature est au vrai point de faire agir le remède sans beaucoup de violence, si on
ne l’augmente pas ; il faut encore remarquer, qu’il faut être soigneux de purger
de quatre en quatre jours ceux qui se servent du Mars, si le remède ne tient pas
le ventre libre, & de leur ouvrir aussi le ventre tous les deux jours, avec un
lavement qui soit simple, & qui ne reçoive autre chose que de l’urine
nouvellement rendue : car comme le mars a son vitriol qui désopile & qui
ouvre, aussi a-t-il sa terre qui constipe & qui dessèche. C’est pourquoi, il faudra
faire infuser tous les quatre ou cinq jours deux drachmes de senné avec un
scrupule de tartre vitriolé dans un bouillon de veau & de volaille, afin de
balayer, & d’entraîner hors du corps les matières, que le remède aura rendues
capables d’être évacuées.

Ceux qui voudront faire un crocus de Mars très-beau & très-utile, calcineront quatre onces de ce
vitriol de Mars dans un creuset à feu ouvert, jusqu’à ce qu’il soit converti en une poudre belle,
subtile &’ rouge, qui n’a point de dégoût, & qui peut être donnée aux plus délicats, en bol, en
tablettes ou en opiate, depuis cinq grains jusqu’a trente, avec les mêmes observations & les
mêmes précautions que ci-devant.

§. 24. Pour faire l’extrait ou le sirop de Mars.

Prenez une demie livre de limaille d’aiguilles, qui soit pure & nette, mêlez-la avec deux livres
de bon tartre blanc de Montpellier qui ait été mis en poudre très subtile, puis mettez une
marmite ou un chaudron de fer cru au feu qui contienne un sceau d’eau, mettez-y de l’eau
jusqu’au tiers, mais que ce soit de l’eau de rosée, de celle de l’équinoxe de Mars ou de l’eau de
pluie distillée ; faites-la bouillir, & lorsqu’elle sera en cet état, versez-y peu à peu le Mars & le
tartre qui sont mêlés, n’en mettez pas plus d’une once à la fois, à cause de l’ébullition & du
gonflement qui se fait, lorsque la dissolution de la matière commence. Le tout étant dans le
vaisseau, il faut remuer continuellement au fond avec une cuillère de fer, afin d’élever dans le
bouillon ce qui s’affaisse au bas, & ainsi d’en faciliter & hâter la dissolution ; il faut aussi avoir
auprès du même feu, de l’eau semblable à celle qui fait la dissolution dans un cocquemart, afin
de la remettre toute chaude en la place de celle qui s’évapore par l’action du feu, qu’il faut
rétablir au même point de temps à autre, de peur que le tartre ne se coagule trop, faute de
liqueur, & qu’il ne se brûle au fond ou à l’entour du vaisseau, & encore afin que le menstrue soit
en suffisante quantité pour bien dissoudre le tartre, qui par l’action de son acide, agit sur le
mars & le dissout ; il faut continuer le feu en agitant sans cesse, & en remettant de la nouvelle
eau chaude, jusqu’à ce que l’Artiste voit que la liqueur que contient la marmite ou le chaudron
sera changée tout à fait, & qu’elle sera devenue épaisse & de la couleur d’un gris blanchâtre, qui
fait au-dessus des veines brunes & noirâtres, & si de plus, la matière acquiert une odeur comme

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 477

du soufre de Mars, qui est peu agréable & cause des nausées : mais le dernier signe & le plus
concluant de la fin de l’opération & de la dissolution du mars, est le goût ; car il faut en filtrer
un peu, lorsque les premiers signes apparaissent, & si la liqueur est rouge brune & qu’elle ait le
goût d’encre & vitriolique entre acide & amer, il faut alors remplir le vaisseau tout à fait, avec
de l’eau bouillante, & en faire la filtration chaudement, que vous mettrez, à mesure qu’elle sera
filtrée, dans un autre vaisseau de fer & la faire évaporer lentement uns bouillir, & continuer
ainsi de filtrer & d’évaporer jusqu’à ce que le tout soit réduit en consistance d’un sirop ou d’un
demi extrait, ce qui se connaîtra, lorsqu’il se fera une pellicule au-dessus de ce que l’Artiste fait
évaporer. Il faut retirer le vaisseau du feu, & la matière étant refroidie, vous la mettrez dans un
pot de terre de faïence pour vous en servir au besoin.

Nous n’aurons pas beaucoup de peine à persuader aux moins expérimentés, que cet extrait ou
ce sirop est un des plus excellents remèdes que la Chimie fournisse ; car tous savent que le
tartre est ami de notre nature, & que ce sel est de soi-même un grand apéritif & un grand
désopilatif, il n’y en a guère aussi qui ne connaissent que les Médecins se sont servis de tout
temps de l’acier préparé, ou de son crocus pour ouvrir tes obstructions & pour la guérison des
maladies chroniques & opiniâtres, qui ont leur siége vers la région qui contient le ventricule, le
foie, la raye & les autres parties adjacentes.

Mais je puis dire très sincèrement que tout ce que nous avons dit ci-devant, doit céder à cet
extrait martial : car lorsque le tartre est une fois uni intimement au mars, & que l’un l’autre ont
agi & réagi de telle façon que l’un a perdu son grand acide, & l’autre sa corporéité métallique,
comme cela se fait en cette opération, il en résulte un tiers qui a toute la puissance nécessaire
pour agir suivant l’intention du Médecin, Cito, tuto, & jucunde : car cet admirable remède ne
pourra jamais nuire & fera toujours du bien, comme nous en avons l’expérience par la cure de
plusieurs grandes & fâcheuses maladies, qui ont été guéries par la due administration de ce
noble médicament, qui se donne très heureusement & avec un succès surprenant & comme
inconcevable, dans le commencement des enflures des hydropiques, contre les tumeurs
schireuses de la rate, contre toutes les obstructions des parties : du ventre inférieur, contre les
maux des reins & de la vessie, contre les mauvaises fermentations de l’estomac, contre les vers
des jeunes & des vieux, dont il efface & détruit le séminaire radicalement, contre les fièvres
intermittentes & principalement celles qu’on appelle fièvres de l’estomac, & généralement
contre toutes les coagulations des matières tartareuses en quelque partie du corps qu’elles aient
leur siége. La dose est depuis cinq gouttes jusqu’à soixante, dans du bouillon, dans des
décoctions apéritives, ou dans des eaux spécifiques contre la maladie qui domine le plus
évidemment.

§. 25. Pour faire le sel de Mars.

Prenez une demie livre de limaille d’aiguilles bien subtile & bien nette, & la mettez dans une
terrine de grès, arrosez-la de très-bon vinaigre distillé jusqu’à ce qu’elle soit réduite en pâte,

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qu’il faut ensuite faire sécher à la vapeur bouillante du bain-marie, & lorsqu’elle sera sèche, il
faut la broyer sur le marbre, puis l’humecter derechef avec du même vinaigre, puis dessécher,
broyer & humecter tant de fois de suite qu’on commence à connaître par le goût un sel douçâtre
qui domine dans le corps du mars : alors il faut mettre la poudre dans une cucurbite & verser
dessus du phlegme de vinaigre jusqu’a l’éminence d’un demi pied, & placer la cucurbite au
sable & faire bouillir la liqueur, afin de mieux faire l’extraction du sel de Mars : mais il faut
substituer toujours du nouveau phlegme de vinaigre tout chaud à celui qui s’exhale en
bouillant.

Lorsqu’on connaît que le menstrue est suffisamment chargé, il faut en faire la filtration à froid,
afin qu’elle soit plus pure : mettez la liqueur filtrée au bain-marie ; & en retirez les deux tiers ou
les trois, quarts à la chaleur du bain-marie, puis mettez la cucurbite en lieu froid, afin de faire
cristalliser le sel ; il faut séparer la liqueur qui surnage les cristaux & évaporer encore &
cristalliser, & continuer ainsi jusqu’à ce qui ne se forme plus de cristaux, il les faut sécher tous,
& lorsqu’ils seront secs, on les mettra en un y vaisseau de rencontre, & l’on versera dessus de
l’alcool de vin jusqu’à la hauteur de trois doigts. Bouchez & lutez la rencontre, & les mettez
digérer ensemble à la lente chaleur du bain vaporeux durant le temps de sept jours naturels.
Cela étant passé, il faut déboucher la rencontre & mettre un chapiteau, afin de retirer l’esprit I
de vin à la même chaleur, & on aura au fond du vaisseau un sel de Mars qui sera très agréable,
& qui n’a guères de pareil pour ôter les obstructions & principalement pour les personnes
faibles & délicates. Il est généralement bon contre toutes les maladies mélancoliques & contre
celles des reins & de la vessie ; mais il et particulièrement dédié au secours des pauvres
hydropiques, aussi bien qu’aux obstructions de la matrice. La dose est depuis quatre grains
jusqu’à vingt dans du bouillon ou dans des décoctions ou des eaux appropriées selon la
maladie.

§. 26. Pour faire la teinture astringente du Mars.

Prenez quatre onces de limaille d’aiguilles qui soit très pure & très nette, mettez-la ans une
cucurbite de verre, & versez dessus de l’esprit de vénus tant qu’elle en soit humectée & qu’elle
commence à s’assembler, couvrez la cucurbite de son chapiteau & lui donnez la chaleur lente
aux cendres jusqu’à sécheresse, cohobez ce que vous en avez retiré, s’il a du goût, sinon
humectez derechef le mars avec de l’esprit de vénus nouveau & desséché comme auparavant, &
continuez ainsi trois fois, ou jusqu’à ce que le mars toit changé en un crocus subtil & rouge.
Lorsque cela est ainsi, il faut broyer ce crocus sur le porphyre & le remettre dans la cucurbite, &
verser dessus du même esprit de vénus jusqu’à l’éminence de quatre doigts ; puis bouchez avec
la rencontre & mettez extraire au bain-marie, jusqu’à ce que l’esprit soit devenu très rouge,
séparez la teinture & y remettez du nouveau menstrue, & continuez ainsi tant qu’il se chargera
de couleur ; cela fait joignez toutes ces teintures & les filtrez, retirez l’esprit de vénus au bain
jusqu’à la consistance d’un sirop épais, sur lequel il faut verser | de l’esprit de vin jusqu’à la

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hauteur de trois doigts, qu’il faut digérer à la vapeur du bain & laisser extraire, puis filtrer &
extraire avec le même menstrue jusqu’a ce que vous ayez tout extrait, filtrez les teintures & en
retirez les trois quarts de la liqueur, & il vous restera une teinture de mars astringente, qui n’est
pas un petit secret dans la médecine & qui est digne du cabinet d’un Artiste curieux.

Cette teinture se donne par gouttes » depuis quatre Jusqu’à quinze & vingt dans de la décoction
de plantain ou dans de l’eau de son suc : on la peut aussi donner dans de l’eau aigrie avec le suc
de grenade. Elle a la vertu d’arrêter toutes sortes de flux de ventre immodérés, de corriger &
apaiser les sueurs & les irritations du pylore, elle guérit la dysenterie & la lientérie, aussi bien
que le flux rouge & blanc des femmes & le flux hémorroïdale ; enfin elle dessèche la gonorrhée
& la chaude pisse, & étanche toutes les hémorragies.

§. 27. Pour faire la teinture apéritive du Mars.

Prenez deux onces de vitriol de mars, fait comme nous l’avons enseigné ci-devant, mettez-le en
poudre & le mêlez avec son poids égal de sel de tartre de Sennert, qui soit aussi réduit en
poudre dans un mortier de marbre, & vous serez tout étonné que ce sel admirable tirera en un
moment l’âme ou le soufre du mars du centre de son vitriol, car quoique ce sel soit blanc & le
vitriol aussi, la surprise est agréable de voir prédominer en un instant une rougeur plus haute
que celle du safran : il faut agiter cette masse qui se réduit bientôt en bouillie, & l’exposer à l’air
humide, afin que le tout se refonde en liqueur, qui est déjà de soi un remède apéritif &
désopilatif, qu’on peut donner contre toutes sortes d’obstructions & contre la coagulation du
tartre microcosmique, depuis six gouttes jusqu’à quinze dans des bouillons, ou dans des
décoctions apéritives.

Mais cela est encore trop grossier, il faut faire voir que la Chimie est capable de pousser les
choses jusqu’au dernier point de leur perfection & au dernier degré de leur subtilité. Pour cet
effet, il faut peser la matière rouge, lorsqu’elle a été mêlée dans le mortier de marbre & marquer
son poids. Vous là pèserez après sa résolution à l’air, afin d’en retirer par la distillation au bain-
marie le poids de l’humidité qu’elle aura attiré de l’air, pour verser dessus autant d’esprit de
vénus que cette humidité pèse, digérez-les ensemble au bain vaporeux dans une rencontre
durant vingt-quatre heures, cela passé, il faut retirer l’esprit avec le chapiteau jusqu’en
consistance d’un sirop épais, sur lequel il faut verser de l’esprit de vin tartarisé jusqu’à
l’éminence de quatre doigts & fermer la rencontre, puis digérer durant trois jours naturels, au
bouc desquels il faut filtrer la teinture à froid, & en retirer la moitié ou les deux tiers du
menstrue au bain à lente chaleur, & ainsi vous aurez le plus noble remède que la nature & l’art
puisse jamais fournir, amant & plus pour sa vertu, que pour son agrément au goût des malades.

Cette noble teinture consomme & résout tout le tartre du corps humain qui causait les
obstructions en quelque partie qu’il soit coagulé : c’est pourquoi on le peut donner sûrement
dans toutes les maladies, où il est nécessaire d’ouvrir & de chasser ce qu’il y a de superflu. Mais

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ce qu’il y a de plus admirable, est qu’il n’est pas pesant à l’estomac, comme sont ordinairement
tous les autres remèdes qui se tirent du mars : au contraire, il fortifie le ventricule & le purifie
des glaires & des viscosités qui ôtent ordinairement l’appétit. C’est de plus un grand
antiscorbutique, parce qu’il dégorge la rate, & qu’il purifie la masse du sang de ces impuretés
grossières & terrestres qui causent tous les accidents de cette mauvaise maladie. La dose est
depuis cinq gouttes jusqu’à vingt & trente dans les liqueurs appropriées que nous avons déjà
tant de fois répétées.

§. 28. Comment on fera les cristaux rouges du Mars.

Faites premièrement une bonne eau forte avec partie égale de vitriol & de salpêtre, dont nous
donnerons la description aux chapitres des sels. Prenez-en une livre, & dissolvez dedans quatre
onces de salpêtre très-pur & bien sec : après quoi, mettez six onces d’acier en morceaux entiers,
gros comme le doigt & longs de deux pouces, au fond d’une cucurbite qui soit placée aux
cendres, versez l’eau forte dessus & la laissez agir : mais notez qu’il faut que la cucurbite soit
grande, & ce n’est pas sans raison que nous avons dit qu’il fallait mettre de l’acier entier & non
pas de la limaille, la raison est, que le vaisseau s’échaufferait trop soudainement, & qu’il se
ferait une ébullition trop subite, quelque précaution que l’Artiste pût prendre. Mais lorsqu’il est
en corps, le dissolvant ne le peut pénétrer, & ne peut agir dessus que doucement & par mesure.
Nous changeons ainsi les manières d’agir, afin de munir le jugement de l’Artiste contre les
accidents qui arrivent dans le travail : il faut donner une chaleur lente aux cendres pour hâter la
dissolution, & lorsque toute l’action du dissolvant sera passée, il faut verser dans la cucurbite
deux livres & demie de bon vinaigre distillé qui soit chaud : mais il le faut verser peu à peu, &
agiter doucement ce qui est au tond de la cucurbite : mais si par hasard il y était resté quelque
petit morceau d’acier au bas, il le faut ôter avant que du verser le vinaigre ; il faut ensuite
digérer cette solution trois jours entiers au bain-marie, & elle deviendra très-rouge, après cela il
la faut filtrer au travers du papier, & la faire évaporer au bain-marie, pour en retirer les deux
tiers du menstrue pat la distillation au bain, puis mettez la cucurbite en un lieu froid, & il se
formera des cristaux rouges qui participent encore de quelque impureté, mettez-les à part, &
achevez d’évaporer le reste de la liqueur, pour en tirer ce qui se peut cristalliser : joignez tous
les cristaux ensemble & les dissolvez dans une quantité suffisante de vinaigre distillé, filtrez la
solution & en retirez la moitié du menstrue à la lente chaleur du bain-marie, puis faites
cristalliser au froid, continuez ainsi de dissoudre, filtrer, distiller, & cristalliser jusqu’à ce que les
cristaux soient beaux, rouges & transparents, & qu’il ne se fasse plus aucun sédiment ni aucune
séparation d’impureté an fond du vaisseau où se fait la cristallisation. Séchez les cristaux à une
chaleur lente entre deux papiers, & les mettez dans une fiole pour les garder à leurs usages.

Ce sel est un apéritif très subtil & très agréable, qui se donne dans des bouillons ou dans des
apozèmes, ou même qui peut être donné comme un vrai tartre martial, sans qu’il y ait rien à
craindre, quoique l’eau forte ait servi de dissolvant : car il faut que l’on sache que toute la

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corrosion des esprits de l’eau force s’est émoussée & tuée par son action sur le mars, comme
cela se peut connaître par le goût agréable des cristaux qui en résultent. La dose est depuis six
grains jusqu’à vingt & trente grains. Que si l’Artiste eu curieux, il peut prendre deux onces de
cristaux & autant de très beau sel armoniac, & les broyer & mêler ensemble, puis les mettre
dans un matras qui soit luté, qu’il faut placer an sable proche de la platine de fer d’un travers de
doigt, & donner le feu par degrés, jusqu’à le donner si fort que le sel armoniac se sublime, &
qu’il enlève avec soi le soufre du mars ; ainsi il aura des fleurs de mars, qui seront très rouges &
très efficaces pour servir d’un bon sudorifique & diurétique contre les fièvres intermittentes, &
principalement contre la fièvre tierce & contre la quarte. Que s’il a fait cette sublimation en
quantité, il peut dissoudre une partie de ces fleurs de mars dans de l’eau chaude, afin d’en
séparer le sel par édulcoration & lotion, & il aura le vrai soufre de mars en sa pureté, dont il
pourra se servir de diaphorétique. La dose des fleurs est depuis deux grains jusqu’à douze, &
celle du soufre depuis un grain jusqu’à six en bol, ou dans des liqueurs convenables.

DU CUIVRE.

§. 29. Du Cuivre & de sa préparations chimique.

Le cuivre est l’autre métal moins noble & dur de la seconde classe, il est composé, selon
Paracelse, d’un soufre pourpré, d’un sel rouge & d’un mercure jaune. Mais ce que nous avons
dit du fer, nous pouvons le dire du cuivre, qu’il a beaucoup de vitriol en soi, & qu’il a moins de
terre que le fer, & moins d’impureté par conséquent. On l’appelle Vénus entre les Chimistes, à
cause qu’il reçoit, dit-on, les influences de cet astre, & qu’il a de la relation avec les parties qui
sont destinées à la génération.

Les vertus générales du cuivre, sont de fortifier les parties spermatiques & génératives, tant au
mâle qu’à la femelle ; jusque là que les anciens & Hippocrate même & ses successeurs après lui,
en ont fait grande estime, & s’en sont servis fréquemment, quoique ç’ait été très grossièrement,
parce qu’ils n’étaient pas éclairés des lumières de la Chimie, qui tire des remèdes admirables de
ce métal, & particulièrement cet esprit merveilleux de vénus, duquel nous avons tant parlé ci-
devant, & auquel nous sommes enfin parvenus.

Nous pourrions bien mettre ici toutes les manières de calciner le cuivre, ou par la dissolution,
ou par l’illination, ou par la cémentation, mais comme toutes ces opérations regardent plutôt la
métallique que la médecine, nous ne nous y arrêtons pas, afin de suivre incessamment
l’intention que nous avons de découvrir les beaux remèdes que les métaux nous fournissent.
Nous parlerons donc premièrement de la préparation du verdet ou du vert-de-gris, qui est plus
philosophique & plus mystérieuse qu’on ne se l’imagine, quoique cette opération soit
commune, & qu’il n’y ait que les femmes & les filles qui la fassent à Montpellier.

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§. 30. La préparation du Verdet.

Le verdet n’est, à proprement parler, que la volatilisation du cuivre en vitriol


fort subtil par le moyen du tartre qui est contenu dans le marc de l’expression
du vin. Mais on ne saurait faire cette opération par tout où il croît du vin, c’est
pourquoi il faut que l’Artiste chimique philosophe là-dessus, & qu’il en
recherche la cause dans les matières qui produisent le verdet, qui sont le cuivre
& le marc du raisin. Or tout raisin a son marc après l’expression, & néanmoins
toute expression de raisin n’est pas capable de réduire le cuivre en vert de gris
ou en verdet, comme est celui qui vient de Montpellier, & par conséquent il faut
qu’il y ait quelque chose dans le raisin de Montpellier & des environs, qui soit
capable de ronger ou d’extraire plutôt le vitriol du cuivre sans corrosion : ce qui
ne se peut faire que par le moyen d’un tartre subtil & actif, qui pénètre le cuivre
& le change en verdet, & ce tartre est encore imperceptible dans le marc des
raisins. Mais lorsque l’on a stratifié le cuivre avec cette expression, & qu’on l’a
mis en lieu propre, le feu intérieur & l’esprit fermentatif de ce marc de raisins,
excite une chaleur qui le réduit de puissance en acte, & qui volatilise le tartre
contenu dans ce marc, & le change en un esprit subtil qui n’est pas tout à fait
vineux. Néanmoins il n’est pas encore vinaigre ; il possède les qualités volatiles
sulfurées, & ne laisse pourtant pas d’avoir en soi un esprit salin mercuriel &
acide, qui agit sur le cuivre, & qui le change en une substance que nous
appelons vert-de-gris ou verdet, qui est la base & le fondement de notre esprit
de vénus.

Or ce n’est pas sans raison que nous avons fait ce discours sur le verdet, qui se fait avec
l’expression du vin des environs de Montpellier, car il est tout à fait différent de celui qui se fait
par le vinaigre & le cuivre enfermés dans des barils. Nous savons que le vin de Languedoc & de
Provence, & principalement celui des environs de Montpellier, fournit une grande abondance
de tartre qui est très pur & très-excellent, tant pour en faire des remèdes, que pour le travail de
la Chimie : or ce n’est que le plus subtil de ce qui est destiné à être fait tartre qui se volatilise, &
qui agit sur le cuivre sans une corrosion violente. Cela se fait par une espèce de dissolution
amiable : mais le vinaigre agit plus violemment, & ne se joint pas ni ne s’unit pas à la substance
du cuivre comme fait cet esprit moyen, ce que prouvera très évidemment l’extraction que nous
enseignerons, sa cristallisation & sa distillation, ce que seront aussi les discours que nous y
joindrons pour une ample instruction des Artistes curieux.

§. 31. Pour faire le vitriol volatil de Vénus.

Nous avons fait voir ci-dessus que le verdet n’est rien autre chose qu’un cuivre
qui à été ouvert, dissout & comme volatilisé par le moyen de l’esprit fermentatif
tartareux des restes de l’expression du vin, & nous avons dit ailleurs, lorsque
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nous avons parlé du vinaigre & de sa distillation, que son esprit n’était aussi
qu’une espèce de tartre rendu subtil, spirituel &volatilisé. Cela posé, nous
n’aurons pas beaucoup de peine à faire comprendre aux Artistes que
l’extraction du verdet que nous allons enseigner, ne soit une suite pour pousser
cet agent & ce patient jusqu’à la volatilisation la plus subtile, afin qu’après avoir
converti le verdet en un vitriol clair, bleu & subtil & comme déjà tout volatile,
nous puissions ensuite le faire passer par la distillation en un esprit le plus
subtil & le plus admirable qui ait jamais été employé, soit en la médecine pour
la cure des maladies, soit en la Chimie, pour servir de dissolvant & de moyen
unissant pour faire l’union & la conjonction de plusieurs sujets qui semblent
tout à fait hétérogènes & incapables de pouvoir être unis ensemble, sans ce
merveilleux esprit qui provient du vitriol volatile du verdet qui le fait ainsi.

Prenez quatre livres de bon verdet de Montpellier, mettez-le en poudre subtile,


que vous mettrez dans une cucurbite de verre, & verserez dessus du très bon
vinaigre distillé, jusqu’à l’éminence de six pouces ; agitez la matière souvent
avec une spatule de bois, après avoir placé la cucurbite au sable, & lorsque le
menstrue sera chargé d’un vert haut en couleur, retirez la liqueur qui surnage la
matière par inclination, & y remettez du nouveau vinaigre que vous digérerez
& agiterez comme auparavant, & retirerez après qu’il sera bien chargé de
couleur : vous continuerez ainsi quatre fois, & si le menstrue n’est pas fort
chargé la quatrième, vous ferez bouillir le tout dans un chaudron de cuivre
rouge, jusqu’à ce qu’il ait extrait & dissout ce qu’il pourra tirer du reste du
verdet. Enfin vous continuerez ainsi avec de nouveau vinaigre distillé, jusqu’à
ce que vous ayez dissout tout le verdet, duquel il ne restera pas plus de quatre
ou cinq onces de matière terrestre & féculente, qui n’a aucune qualité
métallique en soi : il est vrai qu’on y trouve quelques petits morceaux de lames
de cuivre, qui sont restés parmi le verdet, par la négligence de ceux qui radent
la substance qui a été dissoute par la fermentation, mais tout le reste n’est que
pure terre.

Il faut mêler & assembler toutes les teintures & les filtrer à froid par le papier, &
mettre évaporer la filtration dans une terrine de grès à la vapeur du bain-marie
à une chaleur lente : il faut ensuite digérer encore ce qui sera resté après la
filtration dans de nouveau vinaigre distillé, le filtrer & le joindre à l’autre
teinture, & continuer ainsi jusqu’à ce que tout soit passé par le filtre à froid en
une liqueur claire & transparente comme l’émeraude. Et lorsque vous verrez
que la teinture qu’on évapore commencera à faire une petite pellicule au-
dessus, il faut mettre la terrine en lieu froid, & l’y laisser reposer jusqu’au
lendemain, & vous trouverez au fond & aux parois du vaisseau des cristaux

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d’un beau vitriol bleu, qu’il faut mettre entre deux papiers & les faire sécher à
une chaleur très lente & très modérée : car le soleil est même capable de
dépouiller ce vitriol de son meilleur esprit, tant il est volatile : c’est pourquoi il
faut que l’Artiste y prenne garde, s’il ne veut devenir sage & prudent à ses
dépens. Il faut continuer l’évaporation, la cristallisation & l’exsiccation, jusqu’à
ce que toute la teinture soit passée en vitriol cristallisé.

Si les derniers cristaux, ou même les premiers n’étaient pas assez beaux, bleus &
transparents, il faut les dissoudre derechef dans de nouveau vinaigre distillé, &
qu’il n’y en ait que la quantité qu’il en faudra pour les dissoudre à froid : il faut
laisser reposer la dissolution durant vingt-quatre heures, afin que s’il y a
quelques atomes de matière féculente qui soient séparés & formés durant la
première évaporation, qu’il s’en fasse la résidence. On retirera la teinture claire
très doucement par inclination sans troubler le fond, & lorsqu’on en
approchera, on filtrera le reste par le papier : que s’il y a quelque substance
considérable dans le filtre, on la dissoudra dans du nouveau vinaigre distillé,
on en filtrera la teinture qu’on joindra avec le reste, qu’il faut faire évaporer à
moitié aussi lentement que faire se pourra, puis mettre cristalliser, & on
trouvera les cristaux en leur perfection, qu’il faut faire sécher avec les
précautions, que nous avons dites, & achevée le reste de même.

Après que tout sera séché, on trouvera autant de vitriol qu’on aura dissout de
verdet ; si l’Artiste a été exact, on en doit même trouver davantage : car toute la
substance acide, saline & tartareuse du vinaigre, s’est jointe au vitriol & a même
causé sa cristallisation, & toute la vapeur qui s’exhale, a bien quelque odeur de
vinaigre, mais elle n’a non plus de goût que de l’eau de pluie, lorsqu’on la reçoit
dans un récipient par le bec de l’alambic. Si bien que ceux qui voudront encore
mieux réussir, sont obligés de continuer la dissolution de leurs cristaux dans de
nouveau vinaigre distillé, jusqu’à ce qu’ils puissent connaître par l’épreuve
qu’ils en feront par la distillation au bain-marie ou tout au plus aux cendres, si
le vinaigre monte encore insipide : car si cela est ainsi, il faut continuer la
dissolution, la filtration, l’évaporation & la cristallisation, jusqu’à ce que le
vinaigre en sorte avec la même acidité qu’on l’y aura versé.

Cela étant ainsi, on sera parvenu au vrai point de la perfection requise à ce noble vitriol, qu’il
faut sécher très lentement entre deux papiers pour en faire l’esprit, comme nous l’allons
enseigner, après qu’on l’aura digéré trois diverses fois avec de très bon esprit de vin alcoolisé,
qu’il surnage de trois doigts dans un vaisseau de rencontre durant vingt-quatre heures, & qu’on
aura retiré cet esprit toutes les fois au bain-marie, afin de l’ouvrir de plus en plus, pour lui faire

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acquérir les perfections & les vertus qui paraissent dans l’esprit qu’on en tire, ainsi qu’on va le
voir.

§. 32. La dissolution de l’esprit de Vénus.

C’est en cette opération où l’Artiste chimique a besoin de toute sa patience & de son jugement,
s’il veut réunir en la distillation présente, qui lui doit servir de règle & de modèle pour toutes
les autres qu’il entreprendra, à cause de l’extrême volatilité de la matière dont il s’agit. Il faut
donc qu’il prenne son vitriol, lorsqu’il sera bien sec, & qu’il le réduise en poudre dans un
mortier de marbre, qu’il le mette dans une cornue qui ait le col long & large d’embouchure :
lorsque toute la madère sera dedans, il aura le soin de bien nettoyer le haut de la cornue & le col
entier avec une plume liée à un bâton, afin qu’il ne vienne pas à croire que la verdeur qu’il verra
paraître aux gouttes qui distilleront, aient été colorées par la poudre du vitriol qui pourrait y
être restée en la versant dans la cornue. Après cela, il placera sa cornue au fourneau du
réverbère clos, & y laissera quatre registres aux coins de la couverture du fourneau & un autre
au milieu, afin de pouvoir gouverner le feu plus modérément ; c’est pourquoi il faut que ces
registres soient fournis de bouchons qui ferment juste.

Ensuite il adaptera un ample ballon ou récipient de verre bien net & bien sec au col de la
cornue, & il mettra de la vessie mouillée entre le col de la cornue & celui du récipient, afin d’en
fermer mieux les jointures, & il luttera de plus ces mêmes jointures avec de la chaux vive & du
blanc d’œuf, comme nous l’avons répété tant de fois, & lorsque le lut sera sec, il commencera à
donner le feu avec jugement, & lentement, & ne se hâtera nullement ; au contraire il attendra
avec une patience exemplaire, que la matière pousse peu à peu ses vapeurs qui se condenseront
dans le col de la cornue & tomberont par gouttes limpides & claires dans le récipient, car il faut
que le bec de la retorte avance pour le moins de quatre doigts jusque dans le corps du récipient,
afin qu’il puisse distinguer la diversité des couleurs des gouttes qui tomberont moins pour
contenter sa curiosité, quoiqu’il y ait du plaisir, qu’afin aussi que cela lui serve de règle pour le
régime du feu, qui est de la plus grande importance dans cette opération, parce que pour peu
qu’il augmente le feu sans nécessité, cela est capable de faire tout perdre & de rompre les
vaisseaux. Ce qui le doit obliger d’avoir l’œil attentif, afin de ne rien faire qui lui puisse
préjudicier, ce qu’il doit aussi observer régulièrement dans toutes les autres distillations des
sels, dont il prétendra tirer des esprits.

Nous avons voulu dépeindre ce travail avec toute la ponctualité imaginable, afin que quand
l’Artiste viendra à manquer par sa précipitation, il ne puisse pas nous en imputer la faute. Il
continuera ce même régime tant que les gouttes claires tomberont, & ne pressera aucunement le
feu : car les gouttes tomberont assez vite, si on compte lentement jusqu’à six entre le temps
d’une goutte à l’autre. Mais lorsque les gouttes deviendront vertes, & que les vapeurs blanches
commenceront à paraître dans le récipient qui se condenseront en esprit & en une liqueur
subtile qui formera des stries & des veines sinueuses tout à l’entour dudit récipient, ( ce qui

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témoigne que l’esprit volatile commence à se manifester en abondance, & qu’il faut aller
doucement & ne rien précipiter, ) alors le récipient s’échauffe par la chaleur de la vapeur & par
l’affluence des esprits. Les gouttes claires durent environ quatre ou cinq heures, les verres & les
premières vapeurs volatiles autant. Lorsque cela est passé, il faut commencer à pousser le feu, &
le récipient s’emplira tout à fait de vapeurs très blanches, ce qui durera en augmentant toujours
le feu de plus en plus encore environ cinq ou six heures, & sur la fin il en sortira par l’extrême
action du feu des gouttes jaunes qui se convertiront peu à peu en rougeur, ce qui témoigne
nettement la fin de l’opération, qui dure ordinairement de douze à quinze heures, selon le plus
ou le moins de la matière qu’il y a dans la cornue.

Lorsque les vaisseaux seront refroidis, il faut déluter le récipient d’avec la cornue, & verser
l’esprit qui sera jaunâtre & qui sentira le soufre très fort dans une cucurbite, que l’Artiste
placera au bain, & lutera dessus un chapiteau avec exactitude, comme aussi le matras qu’il
appliquera au bec de l’alambic ; il donnera le feu proportionnément à la volatilité de la matière,
car cet esprit monte aussi facilement que l’esprit de vin ; mais il faut pousser un peu le feu
davantage sur la fin, & le tout montera jusqu’à Sec en un esprit volatile, subtil & non corrosif,
mais igné, subtil & pénétrant, qui possède plus de vertus en soi qu’on ne le peut exprimer, soit
pour s’en servir simplement de remède, soit aussi qu’on l’emploie à la préparation d’autres
médicaments, parce que ce noble esprit ouvre & dissout les corps, sans les corroder ni sans
altérer leurs puissances séminales. Et ce qui est tout à fait surprenant & merveilleux, c’est que
cet esprit admirable a la même vertu en médecine & la même puissance dissolvante, après qu’il
a servi à la dissolution & à la préparation de beaucoup de matières différentes, soit pierres, soit
métaux. Nous ne voulons pourtant pas assurer que cet esprit demeure inaltérable : mais nous
pouvons dire que notre expérience ne nous a pas encore poussé jusqu’à lui avoir vu perdre sa
puissance active : au contraire, après l’avoir retiré par la distillation, il a toujours agit par nos
mains avec la même vigueur qu’il avait fait auparavant ou sur de la même matière ou sur
quelque autre, comme l’éprouveront très certainement ceux qui l’emploieront à leurs
opérations.

C’est un remède souverain contre l’épilepsie de quelque espèce qu’elle soit,


contre l’apoplexie, contre toutes les irritations de la matrice, contre toutes les
maladies mélancoliques & hypocondriaques, contre les maux de tête, qui sont
invétérés, & contre les maladies scorbutiques ; on le donne depuis une goutte
jusqu’à dix dans des liqueurs appropriées : mais la dose la plus judicieuse est
dans toutes les liqueurs jusqu’à une agréable acidité. Nous ne pouvons nous
empêcher de rapporter ici les paroles de Zwelfer Médecin de sa Majesté
Impériale, dans l’appendice, ou il nous a découvert ce trésor ; il achève les
louanges qu’il donne à cet esprit par ces mors ; & ut summatim dicam, tanquam
expertus in multis affectibus, qui Herculea etiam remedia rident & contemnunt, ad
hunc spitum tanquam asylum, si quis accurrerit, medicamentum reperiet, quovis pretio

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redimendum. Hoc fruere, lector amice, secreto, & favore mei pro fideli communicatione
benevola persevera. Voilà ce qu’en dit en peu de mots cet expert & savant
Médecin : c’est pourquoi j’insiste encore après lui, & conseille aux Médecins &
aux Artistes de ne point négliger la pratique du remède & du dissolvant, qui ne
sont qu’une seule & même chose.

Or quoique nous ayons enseigné le plus sublime remède qui se puisse tirer du cuivre, il est
nécessaire néanmoins d’apprendre le travail de quelques préparations qui sont utiles en la
médecine & en la chirurgie, afin que si l’Apothicaire chimique les trouve dans quelque Auteur,
il les puisse faire, & que le Médecin les puisse employer au salut des malades, lorsqu’il le jugera
à propos.

§. 33. Pour faire le vitriol de Vénus, son soufre narcotique & son crocus.

Entre les préparations qui se font sur le cuivre, il n’y en a point qui comprenne tant de travail
pour la manière d’opérer, ni tant de remèdes utiles tout à la fois, que celle que nous allons
enseigner : c’est pourquoi nous l’avons choisie, afin de mieux informer l’Artiste de ce qu’il peut
faire sur les métaux, pour les réduire en leurs principes par une gradation d’opérations : car
comme nous avons dit que les métaux ont été vitriol, aussi ont-ils été soufre avant que d’être
tout à fait coagulés & durcis en corps métallique : ce qui fait qu’il faut que l’art se serve du
soufre qui tient le milieu pour décorporifier les métaux, afin de les pouvoir réduire en vitriol, ce
qui se pratique ainsi.

Prenez du cuivre en platine, faites-le couper en morceaux, qui se puissent


agencer & stratifier dans un grand creuset avec du soufre en poudre, il faut
commencer par un lit de soufre, & puis mettre du cuivre & continuer ainsi lit
sur lit ou f. f. f. & finir par le soufre. Lorsque le creuset sera plein, qu’il faut
couvrir d’un couvercle qui soit percé au milieu de la grosseur d’un tuyau de
plume à écrire, il faut luter le tour du creuset & du couvercle d’un bon lut qui
ne fende pas & le laisser sécher lentement : lorsqu’il sera bien sec, il le faut
placer an feu de roue, & lui donner le feu peu à peu durant une heure, afin que
le soufre se fonde doucement & pénètre les lamines du cuivre avant qu’il
s’enflamme, parce qu’il le calcinera beaucoup mieux de cette façon.

Après une heure de temps, il faut approcher le feu plus près du creuset & l’augmenter de degré
en degré, jusqu’à ce que le soufre s’enflamme & qu’il commence à sortir en une flamme
pyramidale par le trou du couvercle ; il faut alors approcher le feu tout à fait, & le faire monter
jusqu’au haut du creuset sans y en remettre davantage, car cela serait inutile, à cause que la
flamme du soufre venant à cesser, l’opération qui est la première calcination, est achevée, c’est
pourquoi il n’y a plus rien à faire qu’à laisser refroidir le creuset pour en tirer le cuivre qui est
renflé & cassant comme du verre, & qui est rouge lorsqu’il est en poudre : ceux qui voudront

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faire un crocus de vénus grossier prendront ce cuivre calciné, qu’on appelle Æs ustum dans les
boutiques, le mettront en poudre & le feront réverbérer durant trois fois vingt-quatre heures, &
ils auront une poudre rouge qui sera fort ouverte, & qui sera bonne pour entrer dans les
onguents & dans les emplâtres : car nous enseignerons ci-après la vraie façon de faire le crocus
de vénus. Mais il y une remarque à faire, qui ne doit pas être oubliée ni négligée, qui est qu’il
faut faire rougir trois fois les lamines de cuivre dans un creuset au four à vent, & les éteindre
dans de l’urine autant de fois, parce que cela les ouvre & les prépare à la calcination, en sorte
que tout le reste de l’opération en est beaucoup plus facile.

Prenez ensuite le cuivre calciné & le mettez en poudre, & y ajoutez pour chaque livre une once
& demie ou deux onces de soufre pulvérisé, qu’il faut exactement mêler, puis accommoder un
pot de terre non vernissé sur le dessus d’un fourneau, en sorte qu’il soit ferme & stable, & qu’il
puisse être échauffé par-dessus avec modération & augmentation du feu : il y faut mettre la
poudre & donner le feu par degrés & remuer continuellement avec un racloir de cuivre ou de
fer, afin que la poudre ne s’attache point au pot, & bien prendre garde de faire consommer tout
le soufre : que s’il arrive que la matière se mette en grumeaux, il faut cesser le feu & la broyer
après qu’elle sera refroidie, puis y mêlée encore le même poids de soufre, & continuer ainsi
cette calcination sept fois de suite, ou ce qui sera encore meilleur, autant qu’il sera nécessaire,
jusqu’à ce que l’Artiste reconnaisse par son goût, que la poudre du cuivre calciné est tout à fait
vitriolique, & que lorsqu’on en a fait l’essai avec de l’eau de pluie distillée, cette eau se charge
de la couleur & du goût du vitriol.

Cela étant ainsi, il faut mettre toute la poudre dans une terrine de grès, & verser de l’eau de
pluie distillée bouillante dessus peu à peu, & l’agiter sur-le-champ & longtemps avant que de la
mettre en digestion au sable pour en extraire tout le vitriol, autrement la poudre se durcirait &
se grumellerait, en sorte qu’on ne pourrait pas la mêler avec l’eau & l’extraction, ou la
dissolution du vitriol ne se ferait pas, & ainsi ce serait à recommencer. Lorsque l’eau est teinte
d’une belle couleur bleue, il faut la filtrer & l’évaporer jusqu’à pellicule ; puis il faut mettre le
vaisseau en lieu froid & le laisser là jusqu’à ce que les cristaux de vénus se soient formés.
Séparez la liqueur qui surnage& l’évaporez encore, & continuez ainsi à cristalliser, jusqu’à ce
qu’il ne se forme plus de cristaux ; faites sécher lentement ceux que vous aurez, & les gardez
pour les préparations qui suivent.

On peur néanmoins employer ce vitriol en petite dose contre les vices de l’estomac & du
cerveau, il tue les vers & fortifie le cerveau contre les convulsions & contre les insultes des
épilepsies naissantes, il est aussi spécifique pour nettoyer la matrice : il y en a qui font un grand
secret d’en dissoudre un peu dans de l’eau contre l’ardeur & l’intempérance des parties
spermatiques & des autres parties voisines, & de s’en servir pour en faire injection, &
véritablement ils ont raison, mais ils ne doivent pas priver le Public ni la Médecine & la
Chirurgie de ce remède, qui produit de beaux effets, à cause que ce vitriol possède en soi une

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bonne portion de ce soufre de vénus, qui est capable d’apaiser les irritations des parties, & que
son sel est un grand & puissant détersif & réfrigératif.

La dose pour l’intérieur, est depuis trois grains jusqu’à quinze, & pour
l’injection il en faut mettre le poids d’une drachme dans une livre d’eau de
plantin mêlée avec un peu de suc clarifié de joubarbe ou de grand
sempervivuro.

§. 34. La préparation du soufre narcotique du vitriol de Vénus.

Prenez une demie, livre de vitriol de venus & quatre onces de limaille d’acier
qui soit très pure, mêlez-les ensemble par une longue trituration dans un
mortier de fer ; mettez la poudre dans un matras qui soit bien égal de verre &
qui soit fort, humectez cette matière peu à peu avec de très bon vinaigre distillé,
jusqu’à ce que toute la masse en soit bien imbue, sans néanmoins que
l’humidité surnage, il faut que le matras ait le col un peu large, à cause qu’il se
doit faire évaporation de l’humidité.

Placez le matras au sable, & ne laissez qu’un demi doigt de sable entre la platine de fer & le cul
du vaisseau, donnez le feu & faites exhaler lentement le menstrue, puis augmentez le feu, en
sorte que le cul du matras rougisse, si faire se peut : cessez alors le feu & laissez refroidir le
vaisseau qu’il faut casser & en retirer la masse qui sera d’un rouge brun, il la faut mettre en
poudre subtile & la verser dans un matras plus ample, & jeter dessus du bon vinaigre distillé
peu à peu en agitant toujours la matière, jusqu’à ce qu’il surnage de quatre doigts, il faut le
mettre en digestion & en extraction au sable & le remuer souvent, & il deviendra beau & rouge :
lorsqu’il est bien teint séparez-le, & y en remettez d’autre, & continuez ainsi jusqu’à ce qu’il ne
se colore plus, alors filtrez toutes les teintures, & tes évaporez lentement à la vapeur du bain
jusqu’à la réduction d’un tiers, qu’il faut précipiter avec de l’huile de tartre par défaillance,
jusqu’à ce que tout le soufre en soit séparé : car le sel de tartre attire à soi, & se joint dans la
liqueur avec le sel du vitriol, & le soufre n’étant plus mêlé avec son sel, se précipite & se sépare
de l’humidité & tombe au fonds du vaisseau, laissez rasseoir le souffre & retirez par inclination
ce qui surnagera, & versez sur le soufre de l’eau de pluie distillée qui soit tiède afin de
l’édulcorer, & continuez ainsi jusqu’à ce que l’eau en sorte insipide ; après cela il faut sécher ce
soufre très lentement & le garder dans une fiole pour le besoin.

On peut donner de ce souffre en bol ou en dissolution dans quelque eau


hystérique ou antiépileptique, depuis un grain jusqu’à six contre toutes les
passions de l’utérus & contre l’épilepsie sympathique & idiopathique. C’est ce
soufre qui entre dans le laudanum sans opium du célèbre Hanmanus. Mais la
teinture de ce soufre est tout autrement efficace que lorsqu’il est en corps, elle se
fait ainsi.
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§. 35. La teinture du soufre du vitriol de Vénus.

Prenez une once de soufre du vitriol de vénus, broyez-le & le mettez dans un
matras & versez dessus de l’esprit volatile de Vénus jusqu’à la hauteur de
quatre doigts ; fermez le matras de sa rencontre & le mettez digérer au bain-
marie à une chaleur lente, jusqu’à ce qu’il soit bien chargé de la teinture de ce
soufre, séparez la teinture & continuez l’extraction jusqu’à ce que cet esprit ne
se colore plus ; filtrez le tout & en retirez le menstrue jusqu’à la consistance
d’un extrait liquide, sur lequel vous verserez de l’esprit de graines de sureau
alcoolisé, la hauteur de trois pouces, couvrez & lutez le vaisseau, de rencontre
ou le pélican, placez-le à la lente chaleur du bain vaporeux & l’y laissez circuler,
digérer & extraire sept jours durant sans interruption de la chaleur, & toute la
teinture de ce soufre sera communiquée à cet esprit, qui est déjà de soi un
spécifique hystérique. Il faut filtrer cette essence à froid & en retirer au bain la
moitié du menstrue, ainsi on aura le vrai soufre de vénus volatilisé, qui est
propre contre les maladies du cerveau & contre celles de la matrice. La dose est
depuis une goutte jusqu’à huit, dix, & douze, dans des bouillons ou dans des
liqueurs ; appropriées.

§. 36. Pour faire le crocus du vitriol de Vénus.

Prenez une livre de ce vitriol, mettez-le dans une cornue que vous placerez au réverbère clos, &
lui adapterez un ample récipient, que vous luterez exactement, donnez le feu par degrés & le
continuez durant quarante-huit heures avec le charbon : mais il faut après cela se servir de bois
qui soit bien sec, afin de donner le dernier degré du feu de flamme douze heures entières. Et
ainsi vous serez assuré d’avoir tiré le phlegme, l’esprit volatile, l’esprit acide & l’esprit corrosif
ou l’huile improprement dite, du vitriol de vénus, & que vous aurez au fond de la cornue un
crocus astringent, léger & subtil, que quelques-uns appellent la tête morte de ce vitriol. Or il y
en a qui prescrivent de mettre ce vitriol dans un creuset, afin de le calciner & de le réduire en
crocus ; mais je ne suis pas de leur sentiment & ne puis souffrir que l’Artiste perde ce qu’il y a
de bon & de virtuel dans les matières, sur lesquelles il travaille : car si la calcination se fait dans
un creuset, il faut de nécessité, que tout ce qui se trouve condense dans le récipient après la
distillation, s’exhale & se perde inutilement : or il ne faut pas que cela soit, puisque le crocus qui
se trouve dans la cornue n’est pas moins bon : mais au contraire, il est plus net & meilleur que
celui qui se fait dans le creuset. Si on rectifie toute la liqueur qui a été distillée aux cendres ou au
sable jusqu’à sec sans aucune distinction, c’est un esprit spécifique contre les maladies
céphaliques & utérines, si on en mêle dans des juleps ou dans des apozémes jusqu’à une
agréable acidité, ou qu’on en mette aussi dans la boisson ordinaire des malades.

Pour ce qui est du crocus, c’est un remède infaillible pour étancher le sang &
pour dessécher & cicatriser les ulcères & les plaies. C’est de plus un spécifique
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intérieur en opiate & extérieur en injection, pour la cure des gonorrhées & pour
celle des chaudes pisses. C’est aussi un remède excellent contre les flux de
ventre immodérés, contre la dysenterie, la lientérie, & contre le crachement de
sang, si on en donne depuis quatre grains jusqu’à quinze ou vingt dans de la
conserve de roses, pourvu qu’on ait purgé si malade avant que d’en user avec
une bonne teinture de rhubarbe faite avec de l’eau de suc de chicorée.

C’est aussi de ce vitriol que se fait la vraie poudre de sympathie, qui est capable
de guérir beaucoup de plaies sans y mettre d’autre appareil qu’une simple
compresse qui soit trempée dans de l’eau commune, pourvu qu’on ait du sang
ou du pus de la plaie, & qu’on mette le linge qui l’aura reçu dans une boite qui
ferme juste, où il y ait de ce vitriol doucement à l’air chaud, ou dans un lieu qui
soit capable de le priver insensiblement de son phlegme & de le faire réduite en
poudre de soi-même : il arrête aussi toutes les hémorragies, si on fait les mêmes
observations que nous avons remarquées pour les plaies.

Il y a aussi des Auteurs qui croient qu’on peut sublimer ce vitriol avec du sel armoniac pour le
réduire en mercure coulant, & qui veulent cuire & précipiter ce mercure sans addition, pour en
faire un remède spécifique & tout à fait extraordinaire contre fa vérole & contre toutes les
dépendances. Ceux qui voudront en faire les essais, en trouveront les procédés chez les Auteurs
qui en ont traité, il suffit que nous ayons insinué la manière de bien travailler sur le cuivre, étant
assurés que celui qui pourra faire ce que nous avons enseigné, ne manquera jamais à faire les
autres opérations qu’il entreprendra sur ce métal.

DU PLOMB.

§. 37. Du Plomb & de sa préparation chimique.

Nous arrivons enfin à la troisième & dernière classe des métaux, qui contient ceux qui sont les
moins nobles & les moins durs, qui sont le plomb ou Saturne & l’étain ou Jupiter. Nous
parlerons d’abord du plomb, parce que toutes les opérations qui se font sur le plomb, peuvent
servir de règle pour celles qui doivent se faire sur l’étain ; car on se sert du même menstrue &
de la même façon de travailler.

Le plomb est le plus vil & le plus abject de tous les métaux, il est composé d’un soufre indigeste,
d’un sel alumineux plus que vitriolique, & d’un mercure qui approche fort de la nature de
l’antimoine. On l’appelle saturne, à cause du rapport qu’il a, dit-on, avec cette planète céleste,
aussi bien qu’avec la rate, qu’on appelle le saturne du microcosme ou du petit monde, à laquelle
il est consacré. Le plomb est généralement réfrigérant, astringent, incrassant, &c. Il incarne les
plaies & les ulcères & les cicatrise ; il rabat le caquet de ceux qui sont trop amoureux, il apaise
les douleurs & la chaleur des ulcères & résout les tumeurs qui sont occasionnées par les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 492

sérosités qui sont retenues entre le cuir & la chair. Mais tout cela n’est rient en comparaison des
vertus qu’il acquiert, lorsqu’il est bien & artistement ouvert & préparé par le moyen des
opérations de la Chimie, comme nous le ferons voir dans la suite.

§. 38. Les préparations générales pour ouvrir le Plomb.

Comme nous avons toujours commencé par la purification des mixtes sur
lesquels nous avons voulu travailler, aussi faut-il que nous fassions plus
particulièrement la purgation dit plomb, puisque c’est le plus grossier & le plus
impur des métaux : c’est pourquoi il faut que les Artistes qui voudront
l’employer en leurs opérations, le fassent fondre auparavant dans un pot de fer,
lorsqu’il sera bien fondu, il faut jeter dessus, de temps en temps de petits
morceaux de cire, qui se consumeront peu à peu, & lorsqu’ils verront que le
plomb a un bel œil & bien clair au-dessous de la pellicule superficielle qu’ils
ôteront, ils le jetteront dans de l’eau nette, & s’en serviront après à ce qu’ils
voudront.

Or il faut réduire ce plomb ainsi purifié en chaux, si on en veut extraire la vertu


: car quoique ce métal soit mou & de facile fusion, cependant il le faut calciner
afin de l’ouvrir, pour hâter non seulement l’opération des menstrues qu’on
emploiera, mais aussi afin que ce qu’on en tirera ait beaucoup plus d’efficacité
& de vertu. Cette calcination se fait de diverses façons : car il y a l’incinératoire
qui réduit le plomb en cendres grisâtres, qui se fait en agitant du plomb fondu
dans un pot de terre qui a été rougi au feu. Il y a de plus la calcination
réverbératoire, qui est lorsqu’on réverbère cette première chaux dans un
réverbère au feu de flamme, en sorte néanmoins qu’elle ne fonde pas, & lorsque
la chaux a changé de couleur & qu’elle est jaune, c’est de quoi les Peintres se
servent & qu’ils appellent du massicot ; mais si elle passe jusqu’à la couleur du
rouge orangé c’est ce qu’on appelle du minium dans les boutiques. La troisième
calcination, est celle qui se fait en la purification de l’or & de l’argent par la
coupelle, où le plomb qui ne s’envole point en vapeurs, est calciné & changé
comme en une écume jaune, rouge ou blanche, qu’on appelle litharge. La
quatrième est la calcination cémentatoire, qui se fait en calcinant le plomb en
tables coupé par morceaux, avec du soufre en le stratifiant & le calcinant après,
comme nous l’avons enseigné du cuivre, & lorsque ce plomb calciné est lavé,
séché & réduit en poudre, c’est ce qu’on appelle dans les boutiques plombum
ustum ou du plomb brûlé ou calciné. La cinquième & dernière calcination du
plomb, est celle qu’on appelle calcination vaporeuse, qui se fait en suspendant
les lamines de plomb du dessus d’un esprit ou d’une liqueur acide, dont la
vapeur calcine le plomb peu à peu & le réduit en ce qu’on appelle blanc de

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plomb ou céruse.

L’Artiste doit choisir celle qui lui plaira de ces chaux de plomb, pour en faire les remèdes qui
suivront : mais il ne doit pas hésiter à prendre celles qui sont les plus ouvertes par l’action du
feu, comme sont le minium & la litharge, & il parviendra beaucoup mieux à son but. Nous
enseignerons premièrement à bien faire la liqueur & le sel de Saturne, qu’on appelle aussi son
sucre, à cause de sa douceur alumineuse, comme aussi le faux & le vrai magistère : la crème, le
beurre ou le nutritum de saturne : le baume de saturne, l’esprit, l’huile jaune & l’huile rouge de
saturne, dont il faut que nous donnions tous les procédés les uns après les autres.

§. 39. Pour faire le sucre ou le sel de Saturne.

Prenez une demie livre de minium & autant de litharge, mettez-les en poudre subtile, & les
mettez dans une cucurbite de grès ou de verre, & versez dessus du très bon vinaigre distillé
jusqu’à l’éminence de quatre ou cinq pouces, placez la cucurbite au sable, ordonnez le feu
jusqu’à faire bouillir le vinaigre ; mais notez qu’il faut agiter continuellement la matière avec
une spatule de bois : aussitôt que vous y aurez mis le vinaigre, ou autrement elle s’affaissera
trop subitement au fond du vaisseau, & s’y formera en une masse pierreuse & compacte, qui ne
se pourra plus délayer & qui bouchera les pores du fond du vaisseau, ce qui sera cause qu’il se
cassera par l’action de la chaleur qui trouvera le passage fermé. Il faut faire bouillir ces chaux de
saturne huit ou dix heures durant, & y substituer toujours du nouveau vinaigre distillé qui soit
chaud, à mesure que le premier s’évaporera.

Au bout de ce temps il faut filtrer toute la dissolution & toute la matière chaudement, & mettre
à part le quart de la liqueur filtrée, qui est ce qu’on appelle la liqueur de saturne. Mais il faut
verser le reste dans un bassin d’étain qui soit net, & le mettre en lieu froid ou frais durant vingt-
quatre heures, & on trouvera que toute cette liqueur est presque toute changée en un sel blanc
cristallin, qui d’abord est doux, puis vitriolique sur la fin : séparez la liqueur superflue par
inclination, & l’évaporez à moitié, puis la mettez aussi dans l’étain, & continuez ainsi jusqu’à ce
que la liqueur ne se veuille plus cristalliser : il faut mêler ce qui reste avec la liqueur, qu’on a
déjà réservée si elle est nette, sinon il la faut couler à travers un linge, & les mêler & digérer
ensemble afin de les mieux unir. Faites ensuite sécher le sel de saturne entre deux papiers à une
chaleur tempérée & le gardez au besoin.

Si on demande la raison pourquoi nous faisons mettre la dissolution du plomb dans un bassin
d’étain, nous répondons que c’est à cause que l’étain a en soi un esprit aigre & coagulatif, qui
fait que tout ce qui est cristallisable dans cette liqueur se fige & se corporifie mieux & plus vite
que dans pas un autre vaisseau, comme l’expérience le fera voir à ceux qui l’éprouveront.

C’est une chose étrange que tous les Auteurs anciens & même la plupart des
modernes, se soient si fort contredits sur la vertu de ce sel de saturne : car ils

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veulent que ce sel soi froid, lorsqu’il est pris en dedans & qu’il empêche l’acte
vénérien ; & néanmoins ils attribuent à l’esprit qui se tire de ce sel par la
distillation, une vertu active, subtile & pénétrante, qui chasse par les sueurs la
malignité des maladies pestilentielles & venimeuses : ils disent de plus, que
c’est un spécifique contre la vérole, ce qui ne se peut nullement accorder : mais
tout cet abus & cet embarra ne procède que de ce que les anciens ont tous
unanimement dit que le plomb était fort terrestre, & par conséquent froid, de
plus, on emploie du vinaigre pour sa préparation, qui est froid aussi selon eux :
mais les anciens & les modernes devraient avoir conçu que le plomb est un
métal qui a beaucoup de soufre, & qu’on l’appelle aurum leprosum, l’or lépreux,
& que quoiqu’il ait beaucoup d’immaturité & de terrestréité, cependant il a
toujours en soi, quelque mauvais qu’il soit, quelque portion des deux plus
nobles métaux, qui ont mêlés indivisiblement parmi la matière chaotique &
indigeste du plomb, ce qui lui donne & lui communique beaucoup de vertu : il
faut aussi considérer que le feu externe qu’on emploie pour la calcination du
saturne, excite puissamment son feu interne, qui cuit & qui digère tontes les
immaturités prétendues, qui chasse ce qu’il y a d’impur, & qui exalte &
perfectionne de plus en plus les semences du pur qui s’y trouvent enfermées.

Ce qui fait que je puis dire hautement ; que le sel de saturne est un très bon
médicament contre toutes les fièvres, ou continues, ou intermittentes ; c’est
aussi un spécifique contre les maladies de la rate, & contre tous les théorisines
qu’elle engendre : on le peut aussi donner contre les maladies de la poitrine, si
on le dissout dans l’eau du suc de scabieuse avec on poids égal de nitre purifié,
les cristaux qui en proviennent, sont très recommandables contre l’asthme.

La dose du sel de saturne est depuis deux grains jusqu’à vingt dans des liqueurs appropriées,
ou en bol dans quelque conserve, ou dans quelque gelée. La dose du sel de saturne nitreux, est
depuis quatre crains jusqu’à une demi-drachme. Mais si le sel de plomb est si efficace pour les
maladies du dedans, il ne l’est pas moins pour celles du dehors : car on ne peut assez estimer
cette admirable mumie métallique, ce baume & ce sel doux qui tue tous les sels corrosifs, âcres
& mordicants, qui causent les douleurs des plaies & des ulcères qui en excitent la douleur &
l’inflammation, & de qui découlent tous les autres accidents. Il résout & amollit les tumeurs
dures & squirreuses, il efface la couleur mauvaise des contusions & empêche que le sang
extravasé ne se corrompe & ne vienne à suppuration. C’est un remède sans pareil pour ôter la
démangeaison & les inflammations des yeux. On le mêle pour tous les beaux effets qu’on en
espère, dans les onguents, dans les liniments, dans les emplâtres & dans lu collyres.

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§. 40. L’usage de la liqueur de Saturne, & la façon d’en faire le faux magistère, & la
crème, le beurre ou le nutritum.

Nous avons dit ci-dessus, que l’Artiste devait mettre à part une portion de la dissolution de la
chaux du plomb, afin de l’employer à divers usages, qui sont très considérables ; car on peut se
servir de cette liqueur en la mêlant avec de l’eau commune pour en faire un exicrat saturnien,
qui a des vertus merveilleuses. pour résoudre, pour dessécher, pour tempérer & pour rafraîchir
toutes les parties externes qui souffrent ; si on trempe des compresses dans cet oxicrat, & qu’on
en enveloppe les membres après qu’ils ont été pensés & accommodés par le Chirurgien. Cela
empêche toutes les inflammations & résout toutes les enflures, si bien que je conseille au
Chirurgien qui sera curieux du bien de ses blessés & de sa réputation, de n’être jamais sans cette
liqueur.

Que si on met de cette liqueur dans une écuelle, & qu’on verse dessus de l’huile de tartre par
défaillance, il se fera aussitôt une précipitation de sel de Saturne en une poudre très blanche,
qui est ce qu’on appelle improprement le magistère de saturne, & qui n’est, à proprement
parler, qu’une céruse fort subtile : car lorsque le sel du vinaigre qui est acide & qui tient le
plomb en dissolution, vient à perdre cette acidité, où est sa force dissolutive par l’action du sel
de tartre, qui est lixivial, il faut que le plomb tombe de toute nécessité, parce qu’il n’a plus rien
qui le soutienne. Il faut laver ce précipité dans de l’eau commune jusqu’à ce qu’il soit doux, puis
le laver la dernière fois avec de la bonne eau de roses & le sécher lentement : c’est un beau blanc
pour les pommades, on s’en peut aussi servir dans des onguents & dans les collyres, car c’est un
très bon dessiccatif qui agit doucement.

Pour faire la crème, le beurre ou le nutritum de saturne, il faut simplement broyer dans un
mortier de bronze, de la liqueur de sature avec de l’huile d’olive, ou avec de l’huile rosat, en
mettant un peu de chacune de ces substances l’une après l’autre, & les agitée subitement &
fortement ensemble, jusqu’à ce que le tout s’unisse & forme une substance pareille a de la crème
ou à du beurre, qu’on appelle nutritum dans les boutiques. Si on s’est servi de l’huile d’olive, ce
liniment sera très blanc, mais si on a pris de l’huile rosat, il sera jaune, à cause que l’acide a
ressuscité en quelque façon la couleur de la rose, qui était cachée & ensevelie sous la verdeur de
l’huile.

C’est un souverain remède contre les écorchures, les démangeaisons, la grattelle, les
inflammations des phlegmons & des érésipèles ; car outre qu’il dessèche puissamment, c’est
que de plus il mortifie le mauvais ferment qui est dans la partie, qui en cause toutes les
irritations & tous les accidents ; il fait des merveilles contre les brûlures, & pour apaiser les-
douleurs des gouttes chaudes, sans qu’on puisse avoir sujet d’appréhender que cela renvoie au-
dedans par la prétendue frigidité qu’on lui attribue, au contraire il s’en faut servir avec
assurance, car tous les remèdes qui viennent du plomb, agissent par la subtilité de leurs parties
& en résoudent tout ce qui est superflu, comme ils tuent & mortifient toute l’acidité &

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l’acrimonie maligne & contre nature, qui cause la tension, l’inflammation & la douleur des
parties.

§. 41. Pour faire le vrai magistère de Saturne.

Prenez deux onces de céruse, mettez-la en poudre subtile & la jetez dans un matras, versez
dessus six onces d’esprit de vénus peu à peu & les agitez ensemble, afin que l’esprit aille
jusqu’au fond, placez le matras au bain-marie, & l’y tenez chaudement en digestion durant
douze heures, après cela filtrez chaudement la dissolution, & laissez reposer au froid la
filtration durant une nuit & vous la trouverez prise & coagulée en cristaux blancs : il faut
séparer la liqueur superflue & en retirer l’esprit au bain par la distillation jusqu’à sec, & vous
aurez au fond du vaisseau le magistère de saturne dissoluble dans toutes les liqueurs, qui est
pareil en vertu au premier qui est en cristaux, qu’il faut faire sécher à une chaleur lente entre
deux papiers.

On peut donner de ce magistère dans toutes les maladies, auxquelles nous avons dit que le sel
de saturne était bon & convenable, & l’on y rencontrera des effets beaucoup meilleurs & plus
prompts que ceux que nous avons attribué au sel de saturne, qui a été fait avec le vinaigre :
mais la dose n’en est pas si simple, car il ne faut donner de ce magistère que depuis deux grains
jusqu’à douze. Notez que l’esprit de vénus dont on s’est servi & qu’on a retiré par la distillation,
est encore bon à la même opération & à toute autre à laquelle on le voudrait employer, car il ne
perd pas son action, ni rien de sa vertu pour la médecine, ni de sa puissance pour la dissolution
ou pour l’extraction des teintures.

§. 42. Pour faire le baume de Saturne.

Prenez deux onces de bon sel de saturne qui soit en cristaux subtils & légers, mettez-les en
poudre que vous jetterez dans un matras, & verserez dessus quatre onces d’huile éthérée de
térébenthine, qu’on appelle ordinairement essence, qui soit distillée comme nous l’avons
enseigné, & non pas de cette mauvaise huile de goudron que l’on vend chez les Epiciers : faites
digérer ces deux matières aux cendres à une chaleur modérée, & les agitez cinq ou six fois par
jour, jusqu’à ce que l’huile soit chargée d’une belle couleur rouge, alors ajoutez-y une demi-
once de camphre & les laissez encore en digestion ensemble durant vingt-quatre heures, ou
jusqu’à ce que le camphre soit dissout & bien uni a cet excellent baume, qu’il faut filtrer dans un
entonnoir de verre au travers d’un peu de coton & le garder dans une fiole pour s’en servir. Ce
baume a de très-grandes vertus, ce qui le rend digne du cabinet des Artistes Chimiques & de la
pratique des plus habiles Chirurgiens, car il guérit les ulcères les plus invétérés, dissout &
résout toutes les tumeurs, il ranime & réhabilite les membres atrophiés, guérit les plaies
récentes & en empêche les accidents, il fait des merveilles-dans les fistules, au cancer naissant &
à la morphée : enfin c’est un des bons & un des excellents remèdes dont se servent les plus
habiles Médecins & Chirurgiens Allemands.

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§. 43. Pour faire l’esprit, l’huile jaune & l’huile rouge du sel de Saturne.

Prenez une livre de sel de Saturne qui soit bien cristallin & bien subtil, dissolvez-le sept fois de
suite avec du plus excellent vinaigre distillé, & l’évaporez aussi autant de fois, après la septième
évaporation, mettez-le résoudre durant les jours caniculaires dans une cave bien fraîche en
liqueur ; mettez cette liqueur dans une cornue, qui soit posée au fourneau de réverbère sur une
capsule de terre, & qu’il y ait un bon pouce de sable ou de cendres sur le couvercle avant que
d’y poser la cornue : adaptez à son col un très ample récipient, donc vous luterez les jointures
avec toute l’exactitude imaginable. Lorsque le lut sera bien desséché, il faut donner le feu avec
les mêmes précautions & le même régime que nous avons prescrit pour la distillation de l’esprit
de vénus ; & lorsque l’Artiste verra qu’il tombera des gouttes pesantes & rouges, & que le
récipient s’éclaircira soi-même, il cessera le feu : il faut ordinairement vingt ou vingt-quatre
heures pour-cette opération. Ce qui se trouve dans le récipient après la distillation, contient
quatre liqueurs, à savoir un esprit volatile & subtil, une huile jaune, un phlegme & une huile
rouge, il en faut faire la rectification & la séparation dans une retorte de verre qui soi bien nette,
au bain-marie ou aux cendres, il faut changer de récipient pour en faire la séparation suivant les
marques qui suivent.

L’esprit éthéré & volatile passe au travers du col de la cornue sans y former aucune veine ;
l’huile jaune suit après, qui forme des veines obliques & sinueuses, c’est pourquoi il faut
changer de récipient dès que ce signe paraît. Le phlegme suit l’huile jaune qui forme des veines
droites, & l’huile rouge & lente demeure au fond de la retorte.

L’esprit volatile de saturne est un sudorifique admirable, c’est pourquoi il est excellent contre la
peste, contre la manie, la paralysie, l’épilepsie, & les restes d’apoplexie simple qui affligent le
corps ou l’esprit, & quelquefois tous les deux ensemble, comme aussi dans les fièvres malignes
& ardentes, & dans la vérole : La dose est depuis quatre goûtes jusqu’à vingt dans des
décoctions ou des eaux convenables aux maladies.

Il faut digérer l’huile jaune sur de la chaux d’or qui soit bien ouverte, ou sur du crocus du sol à
la chaleur lente du bain vaporeux dans un vaisseau circulatoire, qui soit scellé hermétiquement,
& elle deviendra rouge comme du sang. C’est un grand arcane contre toutes les maladies du
cœur & du cerveau, si on en donne depuis une demie goutte jusqu’à quatre, dans de l’esprit de
muguet ou dans du bon vin d’Espagne.

L’huile rouge est un baume miraculeux, s’il est circulé avec parties égales d’huile de camphre &
de d’esprit de vin tartarisé durant quinze jours, au bout desquels, il faut retirer l’esprit de vin à
la lente chaleur du bain, & il reste une essence balsamique, qui guérie les plaies simples d’un
jour à l’autre, si on les en frotte seulement avec une plume fort légèrement. On le peut employer
à la guérison de tous les maux, auxquels nous avons dit que le baume de saturne était propre ;
car c’est le véritable baume &la mumie chargée du soufre de saturne.

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L’ETAIN.

§. 44. De l’étain & de sa préparation chimique.

L’étain est le second métal de la dernière classe, il est un des moins nobles, quoiqu’il ait
beaucoup de bonnes choses en soi pour la médecine & pour la métallique. C’est un métal qui est
mou, blanc, qui a une lueur mêlée de quelque obscurité noirâtre, qui est composé d’un mercure
qui est plus pur que celui des métaux durs, mais qui est plus mou & plus volatile : il est
pourtant plus fixe que celui de plomb, & d’un soufre blanc, indigeste & non mûr, ce métal a
très-peu de sel, qui est ordinairement le moyen d’union entre le mercure & le soufre, ce qui est
cause de sa porosité & de son aigreur. Les Philosophes hermétiques l’appellent Jupiter, à cause
de la relation qu’ils lui donnent avec cet astre qu’on appelle Jupiter dans le grand monde, & de
la sympathie virtuelle qu’il a par les remèdes qu’on en tire avec le foie & la matrice, auxquels il
est particulièrement dédié.

Il n’est pas nécessaire que nous répétions inutilement ici les procèdes de faire le sel, le faux & le
vrai magistère de Jupiter, puisqu’ils sont semblables à ceux que nous avons enseignés sur le
saturne, nous avons seulement à faire remarquer à l’Artiste, qu’il faut faire réverbérer la chaux
d’étain, qu’il achètera des potiers d’étain, durant deux jours pour l’ouvrir comme il faut,
autrement il n’en tirera presque rien.

Le sel & le vrai magistère sont des remèdes spécifiques & très excellent contre les suffocations
de la matrice, qu’il apaise par une espèce de miracle, soit qu’on le fasse prendre intérieurement
ou qu’on l’applique en dehors. Ce sont aussi des topiques admirables pour la cure des ulcères
puants, sinueux, fistuleux & chancreux, & contre les estiomenes. La dose pour l’intérieur est
depuis un grain jusqu’à six en bol, dans quelque conserve de mélisse ou de fleurs de pouillot
royal, dans l’esprit de grains de sureau, ou dans celui de karabé. Mais que l’Artiste prenne bien
garde à purger celles qui en auront pris avec quelque remède qui n’irrite point la matrice,
autrement c’est à recommencer. C’est pourquoi il aura beaucoup d’égard à ne point effaroucher
ce dangereux animal, lorsqu’il est une fois apaisé & assoupi par l’éradication de la vertu des
soufres métalliques ou minéraux : & comme il reconnaît que la vertu anodine vient de cette
famille, il faut aussi qu’il se serve des remèdes purgatifs, diurétiques & sudorifiques qu’elle
fournit si abondamment, qui n’ont aucune odeur ni aucune saveur, qui puissent irriter de
nouveau.

§. 45. La distillation de l’Etain, d’où sortent beaucoup de beaux remèdes contre les
maux intérieurs & extérieurs.

Nous sommes obligés de donner ici une opération sur le Jupiter, qui contient beaucoup de bons
remèdes, & de très-belles observations, soit sur le travail, soit sur les matières qui sont

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 499

employées, & qui serviront d’instructions à l’Artiste pour pénétrer plus avant dans la
connaissance de beaucoup d’autres choses.

Prenez donc quatre onces de limaille d’étain qui soit fort déliée, mêlez-la dans un mortier de
marbre avec douze onces de mercure sublimé corrosif : mettez cette poudre dans une cornue
qui ait le col fort ample, la placez au sable, qu’il n’y ait qu’un demi-pouce d’intervalle entre la
platine & le cul de la retorte, donnez-y le feu & vous en retirerez premièrement un esprit qui
fume continuellement. Il en sortira ensuite un beurre ou une espèce d’huile glaciale corrosive, &
en troisième lieu le mercure le revivifiera en abondance, à cause qu’il n’est plus arrêté ni
coagulé par les esprits des sels qui l’ont abandonné pour agir sur le corps de l’étain. Cela étant
fait, il faut augmenter le feu par en bas & donner celui de suppression, & toute la substance de
l’étain montera dans le col de la cornue, en la forme d’une gomme grise & qui sera fort dure, si
bien qu’il ne restera dans le fond que très-peu de fèces rouges. Il faut pulvériser aussitôt cette
gomme, autrement elle s’humecterait à l’air subitement, & en mettre la poudre à la cave sur une
platine de fer blanc qui ait un rebord & un bec, afin que lorsque l’humidité & la fraîcheur de la
cave la résoudront en une huile jaune, elle soit reçue dans une écuelle de verre ou de grès,
qu’on mettra au-dessous du bec de la platine pour servir de récipient.

Cette huile est un médicament admirable en chirurgie, poux manger les chairs baveuses & les
bords calleux des ulcères malins : mais il faut que le Chirurgien manie cette huile avec dextérité
& avec jugement : car il ne la faut appliquer qu’avec un pinceau bien légèrement, à cause de la
subtilité de sa pénétration : elle n’est pointant pas si corrosive que le beurre qui en est sorti
après l’esprit, qui est un vrai caustique, duquel il se faut aussi servir avec discrétion, lorsqu’on
l’appliquera pour arrêter le cours de quelque dangereuse mortification, & pour faire des
cautères sur-le-champ, comme aussi pour hâter l’exfoliation des os & la séparation des parties
cariées & les exostoses que le nodus de la vérole ont causés.

Mais on peut faire un excellent diaphorétique jovial de cette huile ou de ce beurre, en le


dissolvant avec de l’eau de pluie distillée : car à mesure que l’Artiste fera l’agitation, & que l’eau
résoudra les sels du sublimé corrosif qui tenaient l’étain en dissolution, aussitôt l’étain tombera
& se précipitera en poudre blanche au fond du vaisseau, qu’il faut édulcorer & sécher, & ce sera
un diaphorétique qui n’est point méprisable, qui se peut donner depuis deux grains jusqu’à
huit dans des conserves ou dans des confections, ou même dans des eaux appropriées ou dans
des esprits, à ceux qui sont incommodés de sérosités superflues, & principalement dans les
accidents de la vérole ; mais particulièrement aux femmes qui ont la matrice relâchée & trop
humide.

Et comme nous avons dit souvent, que l’Artiste chimique ne doit perdre aucune des choses
qu’il prépare, mais au contraire, il faut qu’il les connaisse à fond autant qu’il pourra, afin de les
employer utilement selon la vertu qu’elles possèdent ; c’est pourquoi il est obligé de prendre ce
qui est resté dans la cornue après la distillation qui est rouge, & le joindre avec ce qui reste

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après la résolution de la gomme à la cave sur la plaque de fer blanc, qui ne sont rien que le souf-
re & le sel du mercure & de l’étain, dont il fera la séparation par le moyen de l’eau de pluie
distillée, qui dissoudra le sel, & le soufre s’en ira en bas ; on en doit séparer la liqueur, qu’il faut
filtrer & évaporer en sel, puis la dissoudre de nouveau, la filtrer & coaguler jusqu’à ce que le sel
soit clair, beau & vert comme l’émeraude. Pour le soufre il le faut édulcorer & sécher lentement,
& le réserver à ses usages.

Le sel est diurétique & apéritif, on le donne depuis un grain jusqu’à quatre dans des bouillons
ou dans du vin blanc, pour nettoyer la matrice & les parties, qui ont quelque relation avec elle.
Le soufre est un bon sudorifique & anodin, la dose en est depuis un demi-grain jusqu’à trois
grains dans des émulsions faites avec les semences de citron, de chardon-bénit & de pavot
blanc, avec les eaux cordiales, c’est un remède spécifique pour les femmes qui sont tourmentées
des maux de la matrice. L’esprit qui fume toujours, qui a été tiré le premier, est aussi un étrange
compagnon : car outre qu’il ne peut être contenu dans aucun vaisseau, sans qu’il exhale
continuellement des vapeurs blanches sans diminution sensible de son poids ni de sa vertu ;
c’est qu’il est tellement subtil & tellement actif & pénétrant, qu’il arrête & qu’il remédie même,
non seulement à la gangrène & à l’estiomene, si on en frotte seulement les parties offensées,
mais il peut encore empêcher le progrès à la sphacèle ; ou il est même au-dessus de l’eau de
chaux que nous avons enseignée.

Outre tout ce que nous venons de dire, il y a encore une belle préparation à faire avec cet esprit,
qui est de prendre autant qu’on voudra de cet esprit fumant & le mettre dans un matras qui ait
le col large, puis verser dessus peu à peu à diverses fois de la teinture du sel de tartre, aussitôt il
s’élèvera une fermentation avec des ampoules, qui crèveront avec bruit & produiront de la
fumée, il faut continuer à verser de cette teinture jusqu’à ce que le bruit & les ampoules cessent :
placez ensuite le vaisseau aux cendres chaudes, & la matière se convertira en un coagulé noir
comme de la poix, auquel il faut donner le feu de sublimation, & il s’élèvera des cristaux blancs
qui se fondent comme de la cire, qui guérissent les ulcères scrophuleux & chancreux, aussi bien
que les véroliques, parce qu’ils cautérisent presque sans douleur jusqu’au fond & causent la
séparation d’un escarre, qui laisse un ulcère sans malignité, qu’on achève de remplir avec le
baume de soufre & avec l’emplâtre diasulphuris de Ruland. Avec cela nous finissons les métaux
pour passer aux minéraux qui sont le plus approchons des métaux.

SECTION QUATRIEME.

Des demi-Métaux & moyens Minéraux, qui sont ceux qui approchent le plus des
Métaux.

Nous faisons suivre dans cette section les choses qui ont le plus de proximité &
le plus de correspondance avec les métaux, que quelques-uns appellent les
demi-métaux, les moyens minéraux & quelquefois aussi marcassites, mais ce

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 501

dernier nom ne peut convenir qu’à l’antimoine & non pas au vif-argent : or ce
sont le vif-argent & l’antimoine qui sont la matière de cette section : car nous ne
parlerons pas du cinabre minéral à part puisque nous en dirons un mot, lorsque
nous parlerons ci-après du cinabre ou du vermillon artificiel, qui est une
sublimation du mercure & du soufre.

DU MERCURE

§. 1. Du vif-argent ou mercure, & de sa réparation chimique.

Le mercure est une liqueur minérale ou métallique qui est volatile, qui s’attache
avidement aux métaux & surtout a l’or. L’argent-vif ou le mercure se trouve
quelquefois tout coulant & pur dans les mines, mais cela est rare, parce qu’on le
tire ordinairement par la revivification, qu’on fait d’une terre minérale, qu’on
appelle ordinairement cinabre. Le choix est recommandable en cette matière,
parce qu’elle n’est pas également bonne ; mais elle est plus ou moins utile &
bonne au travail de la Chimie : car le mercure peut tenir quelque chose de
l’impureté de sa matrice, qui est le lieu de son origine, ou à raison des ordures,
des terrestréités & des autres immondices qui le gâtent, ou enfin pour quelque
mélange impur, & quelque amalgamation & sophistication des Marchands qui
le débitent.

Pour ce qui est du choix qu’on en doit faire à raison de son origine, il faut toujours prendre de
celui qui est proche des mines des métaux les plus purs & les plus nobles, & principalement de
celles de l’or & de l’argent. C’est pourquoi on préfère toujours celui d’Espagne & celui qui vient
du Royaume d’Hongrie. Les matières qui altèrent le mercure naturellement, sont l’arsenic,
l’antimoine, le plomb & la cadmie : mais il y a de plus une sophistication artificielle, qu’il est
bien difficile de discerner ni à la vue ni au poids : car on le mêle de quelque portion de plomb &
de bismuth, de telle manière que le tout passe au travers du cuir sans y rien laisser. Mais il y a
deux épreuves qui peuvent découvrir cette fraude : la première est la distillation par la cornue :
car s’il ne demeure aucune impureté dans le fond, c’est un signe que le vif-argent est pur : la se-
conde est lorsqu’on le fait évaporer dans une cuillère d’argent au feu nu : car si le mercure ne
laisse qu’une tache jaune ou blanchâtre, c’est un signe de sa pureté : mais s’il laisse une tache
brune, noire ou obscure, c’est un signe de son impureté & de la sophistication. Il y a néanmoins
encore d’autres façons de le dépurer entièrement : & nous les mettons au nombre des
préparations du mercure.

Les vertus générales du mercure ne se peuvent bien décrire, à cause qu’elles


n’ont pas encore été éprouvées : car on peut dire véritablement que personne ne
les a jamais connues à fond : on doit néanmoins assurer que le mercure est un
vrai mondificatif intérieur de toute la masse du sang, & qu’il en chasse tout ce

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 502

que la dépravation des digestions, & tout ce que la mauvaise fermentation peut
y avoir mêlé de mauvais, & particulièrement il nettoie le corps du venin
vérolique ; il tue & chasse les vers, accélère & avance l’accouchement difficile :
mais pour l’extérieur, il guérit toute sorte de galle & de grattelle, tue & chasse
toute sorte de vermine, & résout les duretés & les tumeurs. Si on le pend au col,
il préserve de la peste, & il y en a même qui disent qu’il est capable d’empêcher
les enchantements & les sortilèges. Enfin on peut dire avec beaucoup de raisons
qu’il n’y a rien sous le soleil, excepté l’antimoine, qui ait tant de vertu, ni qui
fournisse tant de différents remèdes contre les maladies : car il nous donne le
vomitif, le purgatif, le diaphorétique & le lénitif, comme cela paraîtra, lorsque
nous donnerons les diverses descriptions & les divers procédés par le moyen
desquels on le prépare.

Mais il faut avertir l’Artiste que le vif-argent est appellé mercure, à cause de la
correspondance que ce demi-métal peut avoir avec cet astre, & que comme
Mercure est un astre inconstant & changeant, qui est bon avec les bons, &
mauvais avec les mauvais, de même notre minéral se fait tout en tous, chaud
avec les chauds, froid avec les froids & ainsi des autres. Quelques-uns le font
présider aux poumons, & d’autres au ventre inférieur aussi bien qu’à celui du
milieu : mais je tiens une opinion plus universelle, & dis que le mercure agit
universellement sur tout le corps humain, & qu’il en chasse généralement tous
les maux de quelque nature qu’ils soient ; puisque nous voyons que les remèdes
tirés du mercure, guérissent la lèpre & la vérole qui sont des maladies de toute
la substance. Je laisse néanmoins le jugement libre à ceux qui ne seront pas de
mon sentiment.

Les préparations générales qui se font sur le mercure, sont, la purification, la


calcination, & la précipitation, la sublimation, la distillation, l’extraction, la liquation,
la résolution en liqueur & la salification. Il faut que nous donnions quelques
exemples du travail que toutes ces opérations générales demandent, afin
qu’elles servent de modelé & d’instruction à l’Artiste, pour entrer par ce moyen
dans l’ample moisson des remèdes que le mercure fournit à ceux qui en font
l’anatomie. Car comme c’est un Prothée, qui reçoit & qui prend toutes forces de
formes & toutes sortes de couleurs, ce ne serait jamais fait si nous voulions
rapporter ce que la lecture, le travail & les observations de la pratique nous ont
fait acquérir de lumière là dessus.

§. 2. La purification du Mercure.

Nous ne nous amuserons pas ici à faire une longue description de toutes les
lotions & de toutes les frictions & agitations, avec lesquelles il y en a qui ont
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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 503

prétendu purifier le mercure de ses impuretés naturelles ou de la sophistication


qu’on peut y avoir faite, parce que ce ne sont pas les vrais moyens de le priver
de tout ce qu’il y a de mauvais, il suffira seulement que nous enseignions le
moyen de le revivifier & de le tirer hors du cinabre artificiel par le moyen de la
limaille de fer puisque c’est le plus sûr moyen d’avoir du mercure bien pur &
bien net, pour s’en servir ensuite à toutes les préparations que l’Artiste voudra
entreprendre. Nous ne laisserons pas de donner dans les additions quelque autre
purification du mercure.

§. 3. La revivification du cinabre en mercure contant.

Prenez une livre de vermillon ou de cinabre artificiel, qui n’est rien autre chose que la
sublimation du vif argent avec le soufre, broyez-le dans un mortier de marbre avec un pilon de
bois ou de verre, & le mêlez avec son poids égal de limaille de fer, mettez ce mélange dans une
petite cornue, en sorte qu’elle en soit remplie à un pouce près de son haut, mettez la cornue sur
un morceau de brique avec un peu de lut dessous, & adaptez à son col un récipient qui soit à
moitié plein d’eau : lutez-le & faites un rond de briques autour du corps de la cornue à quatre
doigts de distance, remplissez l’espace vide de charbons noirs deux pouces de haut, puis y en
mettez qui soient à demi allumez en quatre endroits également distants, & achevés de couvrir la
cornue de charbons noirs jusqu’au haut ; laissez allumer le feu lentement, afin d’échauffer la
retorte peu à peu, & tout votre cinabre’ passera en mercure coulant, en vapeurs ou en corps
dans le récipient, honnis le soufre qui s’était sublimé avec lui, lorsqu’on a fait le cinabre. Ce
soufre se joint au fer qui reste demi calciné & à demi ouvert dans la cornue & qui est propre
pour en faire le crocus apéritif ou astringent, afin de ne rien perdre. Il faut après cela déluter le
récipient, jeter l’eau & sécher le mercure en le passant souvent dans du linge blanc & sec, puis il
le faut passer deux ou trois fois par le chamois, & le mettre dans une fiole pour s’en servir aux
opérations chimiques comme d’un mercure bien net & bien pur. Car outre qu’il a déjà été
purifié par la première opération qui est la sublimation avec le soufre, que nous enseignerons
ci-après, c’est que par le moyen de cette revivification il se nettoie & se purifie encore beaucoup
mieux, parce que le fer, en retenant avidement le soufre avec soi, retient aussi ce que le soufre
pourrait avoir élevé d’impur dans la sublimation précédente.

§. 4. La calcination & la précipitation du Mercure.

Quoiqu’on appelle ordinairement la calcination du mercure une précipitation, c’est néanmoins


très improprement ; car on ne peut dire qu’une chose est précipitée que quand elle a été
dissoute & qu’on l’a recorporifiée par l’infusion ou l’injection de quelque sel ou de quelque
esprit, & alors le dissolvant quitte ce qu’il avait dissout, qui tombe & qui se précipite au fond du
vaisseau : mais comme l’usage a prévalu & qu’on appelle le mercure cuit, digéré & calciné, un
précipité ; nous nous servirons de cette appellation qui se trouve dans tous les Auteurs. Cette
précipitation se fait du mercure seul ou avec l’addition de l’un de deux luminaires, ou avec tous

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 504

les deux ensemble, qui sont le soleil & la lune ou l’or & l’argent, nous en donnerons l’exemple,
aussi bien que de quelques autres précipités qui se font après la dissolution dans quelque
menstrue.

§. 5. Pour faire le précipité du mercure sans addition.

Prenez un enfer qui soit plat & large par le bas, jetez dedans deux, trois ou quatre onces de
mercure, purifié comme il est enseigné ci-dessus, bouchez le haut de l’enfer avec un simple
papier, & le placez au sable bien également dans son équilibre, en sorte que le mercure soit
également étendu sur toute la surface du fond du vaisseau, & qu’il ne soit pas plus épais en un
endroit qu’en l’autre, afin que le feu puisse agir également sur toute la substance du mercure en
même temps. Il faut commencer lentement le feu & le continuer de degré en degré, jusqu’à ce
que tout le mercure soit changé, calcine ou précipité en une poudre qui soit rouge comme le
cinabre minéral, & qui est belle & étincelante à voir. Il la faut digérer durant trois semaines avec
de l’alcool vin, & ensuite l’enflammer sept fois dessus, ce qui achèvera de le cuire & de le fixer.

C’est un remède mercuriel universel contre toutes les fièvres : mais surtout c’est un vrai
spécifique contre la vérole qu’il guérit radicalement. Si on en donne au malade jusqu’à sept fois,
pour le faire suer : car ce médicament est un sudorifique infaillible, il tue aussi les vers de
l’estomac & ceux qui s’engendrent dans les intestins, La dose en est depuis deux grains jusqu’à
huit dans quelque conserve, dans quelque confection ou dans quelque extrait cordial : il faut
que le malade soit au lit lorsqu’il le prendra, qu’il se fasse couvrir & qu’il attende la sueur
patiemment, qui ne manquera pas de venir & d’apporter le soulagement qu’on espère.

Mais il faut que l’Artiste ne se lasse pas en cette opération, car elle est de longue haleine, il faut
de plus qu’il gouverne le feu avec jugement & avec règle, autrement ce sera toujours à
recommencer, à cause que les vaisseaux se cassent si, le feu n’est réglé comme il faut. Cette
opération est lente & ennuyeuse à cause de sa longueur : car elle ne se peut achevée en moins
de six semaines, de deux, de trois ou de quatre mois, selon que l’Artiste aura le soin de bien ou
mal préparer son mercure & de bien & assidûment réglée & gouverner le feu.

§. 6. Pour faire le précipité solaire ou lunaire.

Il n’est pas besoin que nous répétions ici la façon du vaisseau : nous ferons seulement
remarquer que l’Artiste peut faire cette opération, comme la précédente dans un simple matras,
sans employer un enfer : car comme ces vaisseaux sont rares, il semblerait que ce serait rendre
le travail impossible : mais il faut pourtant que le matras ait le dessous plat & uni, & qu’on lui
bouche l’entrée avec une simple cheville de bois que l’Artiste puisse ôter facilement : afin de
faire retomber le mercure qui se sera sublimé en corps jusque dans le col du vaisseau.

Nous n’avons à mettre ici que les doses des métaux qu’on voudra joindre au vif argent, afin de
lui communiquer quelque autre vertu, que celle qu’il a déjà de soi : car comme nous avons dit,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 505

on peut ajouter de l’or ou de l’argent ou de tous les deux ensemble. Si c’est de l’or tout seul, il
faut amalgamer une partie d’or qui aura été passé trois fois à l’antimoine avec huit parties de
mercure purifié, & mettre cet amalgame dans le vaisseau & le cuire comme il a été enseigné ci-
devant. Si c’est de l’argent tout seul, on en peut mettre deux parties sur huit : mais il faut que ce
soit de l’argent très fin de coupelle qui soit en feuilles ou en chaux bien subtile, afin de le
pouvoir mieux amalgamer avec le mercure & le cuire ensuite dans le vaisseau comme il a été
dit. Que si l’Artiste a l’intention de communiquer au mercure les propriétés des deux
luminaires, il amalgamera une partie d’or & deux parties d’argent qui auront été fondues avec
six parties de régule d’antimoine très pur & très net, qu’il amalgamera avec douze parties de
mercure purifié, qu’il fera cuire selon l’art.

Le précipité solaire se donne depuis un grain jusqu’à six dans les mêmes choses que nous avons
dites & pour les mêmes maladies, sinon qu’il a encore cela de plus qu’il est spécifié pour
fortifier le cœur & pour en chasser toutes les faiblesses & toutes les incommodités. Le précipité
lunaire est aussi spécifié & destiné aux maladies de la tête, outre les vertus générales qu’il a de
soi. Mais ni l’un ni l’autre n’égalent point en force, ni en vertu le dernier, qui reçoit en son
mélange l’or, l’argent, l’antimoine & le mercure : car c’est un remède universel & une vraie
panacée : si bien qu’un des plus savants & des plus renommés des Auteurs Chimiques ne feint
point de lui donner le nom, d’or des Médecins, & l’appelle aussi la consolation des malades.

La dose du précipité lunaire est depuis trois grains jusqu’à dix. Et celle du précipité général &
universel, est depuis un grain jusqu’à douze. Ceux même qui voudront s’en servir pour
prévenir les maladies, lorsqu’ils se sentiront chargés de sérosités impures qui proviennent de la
superfluité des digestions, en prendront quatre grains à jeun, & se feront bien couvrir afin de
suer. Que s’ils se sentaient faibles durant la sueur, ils se feront donner un bon bouillon ou du
biscuit trempé dans du vin, puis ils se feront bien essuyer, ensuite ils garderont la chambre pour
ce jour là, & ils se trouveront changés & tellement soulagés, qu’il leur semblera être plus léger
de la juste moitié.

Voilà ce que nous avions à dire sur ces précipités sans addition des sels ni d’esprits : mais
comme ces premiers précipités sont longs à préparer, & que tous les Artistes ne sont pas styles à
ces hautes opérations, il est nécessaire que nous donnions la description de quelques autres
précipités du mercure qui se peuvent faire en moins de temps, & qui ne manquent jamais il est
vrai qu’ils n’auront pas une verni si ample ni si étendue ; ils pourront néanmoins être substitués
en quelque façon aux précédents, pourvu que la dose en soit plus circonspecte, & que l’usage en
soit redoublé & réitéré plus souvent.

§. 7. Pour faire un précipité fixe qui est très excellent.

Prenez trois onces de mercure purifié, deux onces de soufre jaune & une once & demie de sel
armoniac qui soit très pur, mêlez & broyez-le tout dans un mortier de marbre tant & si

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 506

longtemps, qu’il ne paraisse plus rien du mercure en le frottant sur la paume de la main, mettez
ce mélange dans une fiole ou dans un matras au sable & lui donnez le feu pour sublimer ; la
sublimation étant achevée, il faut casser le vaisseau & séparer nettement ce qui sera sublimé,
puis le triturer derechef & le bien mêler avec ce qui sera demeuré au fond du vaisseau,
recommencer ensuite la sublimation & réitérer ainsi quatre fois ; mais à la quatrième il faut
donner bon feu sur la fin, jusqu’à ce que le cul du matras ou de la fiole rougisse : c’est pourquoi
il faut que l’Artiste laisse moins de sable au-dessous que les autres fois. Le tout étant refroidi, il
gardera ce qui sera au fond du vaisseau & le conservera comme un très bon médicament, qui
est capable de chasser du corps sain ou malade, par la transpiration insensible ou sensible, tout
ce qui peut nuire : on le donne depuis quatre grains jusqu’à vingt, dans de la thériaque ou dans
de l’extrait des grains ou bayes de genièvres.

§. 8. Pour faire le précipité qu’on appelle l’arcane corallin.

Prenez trois onces de mercure purifié, mettez-le dans un matras & versez dessus quatre onces &
demie d’esprit de nitre, faites-le dissoudre à la lente chaleur des cendres, & lorsque tout le
mercure sera dissout, il faut mettre le vaisseau au sable sous une cheminée : mais il faut que le
col du matras ait été coupé & qu’il soit court, afin de faciliter l’évaporation de l’esprit, il faut
donner le feu graduellement jusqu’à ce que le mercure soit sec, alors il faut cesser le feu &
laisser refroidir le matras, s’il est rompu ou cassé, il faut retirer la masse & la broyer dans un
mortier de marbre, puis verser la poudre dans un nouveau matras : mais si celui duquel on s’est
servi est encore entier, on peut s’en servir pour y continuer l’opération ; car il n’y a qu’à verser
encore autant d’esprit de nitre qu’auparavant dedans l’un des deux vaisseaux & le mettre
digérer aux cendres, jusqu’à ce que la poudre ou la masse soit dissoute, puis le remettre au
sable & faire évaporer l’esprit de nitre jusqu’à sec. Cela étant fait il faut recommencer encore
pou la troisième fois avec autant d’esprit de nitre, & placer le vaisseau au sable après la
dissolution, & lorsque l’Artiste connaîtra que tout l’esprit sera évaporé, il doit pousser le feu, &
le continuer jusqu’à ce que le mercure soit changé en une poudre rouge : mais s’il en veut être
mieux assuré, il prendra la masse qui se trouve dans le matras après l’évaporation de l’esprit de
nitre & la broiera dans un mortier de marbre, il mettra la poudre dans un creuset qu’il fera
rougir peu à peu dans le feu nu, & lorsqu’elle sera devenue d’un beau rouge couleur de corail,
& qu’elle sera insipide, alors il tirera le creuset du feu & laissera refroidir la poudre, qu’il mettra
après dans le mortier de marbre & l’humectera d’esprit de vin alcoolisé jusqu’à ce qu’il surnage
d’un demi-doigt : il y faut mettre le feu & le faire exhaler jusqu’à sec, ce qu’il faut continuer
jusqu’à sept fois, & alors on est sûr d’avoir un précipité purgatif, qui est capable de beaucoup
de bons effets & qui n’a nulle corrosion.

La dose est depuis deux grains jusqu’à dix, dans des extraits purgatifs, ou dedans un peu de la
masse des pilules angéliques. C’est un vrai arcane contre la vérole & toutes ses dépendances :
car il purge également & universellement tout ce qui est nuisible & superflu ; c’est pourquoi il

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 507

est bon contre l’hydropisie, contre la goutte, contre les venins, contre la peste, contre les fièvres
& pour résoudre les catarrhes. Pour l’extérieur il n’y en a guère de pareil pour la cure des
ulcères malins & corrosifs, & principalement pour celle des ulcères qui proviennent du venin
vérolique : il est aussi excellent contre la galle, contre la grattelle & contre toutes les éruptions
du cuir, si on en mêle une demi-drachme ou deux scrupules parmi de la pommade, & qu’on en
frotte les pouls du bas & du haut deux ou trois fois seulement.

Nous ne nous amuserons pas ici à décrire les précipités blancs, rouges, incarnats, jaunes, verts
& de beaucoup d’autres couleurs qui se font avec l’esprit de nitre, l’eau régale, l’eau forte,
l’esprit de sel & avec des autres dissolvants, & qu’on précipite avec l’eau de sel ou l’eau marine,
avec l’esprit d’urine, avec l’urine, avec la teinture de l’émeri & avec beaucoup d’autres choses,
parce que cela ne requiert pas grand artifice ni beaucoup d’observations ; c’est pourquoi nous
renvoyons l’Artiste à l’expérience qu’il aura déjà acquise ou à la simple lecture des Auteurs, qui
ont amplement traité du mercure, il nous suffit d’avoir enseigné ce qu’il y a de plus beau, &
digne de faire les meilleurs précipités.

§. 9. La sublimation du Mercure.

Ce mot de sublimation peut être prit généralement pour toutes sortes de distillations, puisqu’il
ne signifie autre chose que l’élévation des vapeurs & des exhalaisons des matières en haut :
mais on le prend ici en un sens plus resserré ; car il ne veut dire autre chose que l’élévation du
corps du mercure en vapeurs ou en exhalaisons qui se condensent & s’épaississent en un corps
dur & serré en haut & aux parois des vaisseaux, dans lesquels on met le mercure après avoir été
dissout, mêlé ou comme uni avec des sels, avec des esprits ou avec du soufre. Nous donnerons
des exemples de ce travail, afin que l’Artiste puisse le pratiquer ponctuellement & avec
connaissance selon toutes les observations requises.

§. 10. Pour faire le sublimé corrosif.

Prenez une demi-livre de mercure purifié, faites-le dissoudre dans un matras avec douze onces
d’eau forte qui soit bonne, mettez le matras au sable & faites évaporer l’eau forte doucement
jusqu’à sec, cessez alors le feu & cassez le vaisseau après qu’il sera refroidi, pesez la masse & la
broyez au mortier de marbre avec autant pesant de vitriol calciné à blanc & autant de sel
desséché, mettez ce mélange dans une cucurbite, dans un matras ou entre deux pots de terre, &
vous placerez votre vaisseau, au sable proche de la platine. Si c’est une cucurbite & qu’elle soit
basse, couvrez-la de son chapiteau, si c’est un marras, il le faut boucher avec du papier simple-
ment, & si ce sont deux pots de terre, que celui qui sera le cul en haut sur l’autre, ait un trou au
milieu, pour évaporer l’humidité des sels, & lorsque le trou pousse des vapeurs sèches &
blanches, il le faut aussi boucher avec du papier : donnez le feu de sublimation par degrés,
jusqu’à ce que toute la substance du mercure soit montée, qui se coagule en une matière

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 508

cristalline au haut des vaisseaux, & qui contient en soi beaucoup des esprits corrosifs des sels
qu’on a employés.

Si on veut avoir un sublimé très-pur & corrosif, il faut broyer ce qui sera sublimé avec encore
douze onces de sel desséché & quatre onces de vitriol calcine à rougeur, & le sublimée pour la
seconde fois, & continuer la troisième avec autant de sel desséché sans addition de vitriol, &
pour la dernière fois il le faut encore broyer seul & le sublimer au sable dans une fiole ou dans
un matras. Ainsi on aura un mercure sublimé corrosif, qui sera très pur & propre par
conséquent pour faire non seulement le mercure sublimé doux, mais qui peut aussi servir à
beaucoup d’autres belles préparations Chimiques. Or il faut que l’Artiste ait le soin de faire lui-
même le sublimé corrosif qu’il emploiera, & qu’il ne se fie pas à celui qui se vend chez les
droguistes, qui est encore trop impur, & qui même est quelquefois mêlé de substances
arsenicales, à cause qu’elles coûtent peu au lieu où se font ces sortes de sublimé en gros : mais il
y a pourtant des marques pour le connaître, qui sont une odeur puante d’arsenic, qui s’attache
fortement aux doigts pour l’avoir simplement touché, & de plus il y a encore la revivification ;
mais on a aussitôt fait d’en faire foi-même pour être tout à fait hors de soupçon ; c’est pourquoi
je conseille à l’Artiste de ne s’y point fier absolument,

§. 11. Pour faire le sublimé doux.

Avant que de donner la manière de travailler cette opération, il faut que nous fassions concevoir
autant que nous le pourrons, comment l’adoucissement du corrosif se fait, afin que l’Artiste
puisse mieux raisonner sur son travail, & qu’ainsi il ne fasse aucune faute, dont il ne se puisse
rendre raison à soi-même & aux autres. Pour cet effet, il faut qu’il considère que ce qui a rendu
le mercure corrosif, qui ne l’est pas de soi, ce sont les esprits au sel, du vitriol & du nitre, qu’il a
employés pour mortifier & pour sublimer le mercure. Or aussi longtemps que ces esprits
demeureront joints au mercure, ils sont en puissance d’agir à cause de leur acrimonie ; mais si
on leur donne quelque chose à ronger, qui les absorbe & les énerve, ils perdent alors cette
activité qu’ils avaient, & laissent le mercure insipide, comme il l’était avant que ces esprits y
eussent été joints. Cela paraît évidemment par la revivification du sublimé corrosif, par le
moyen de la chaux vive & du sel de tartre : car ces sels qui sont des alcalis, tuent & changent la
nature des autres sels qui sont acides, âcres & corrosifs, ainsi ces esprits ne pouvant plus retenir
le mercure, il est élevé par l’action du feu, & tombe en sa première nature d’argent-vif coulant &
insipide dans le récipient.

Mais cela se fait d’une autre façon dans la sublimation : car l’acrimonie de ces sels spiritualisés
& recorporifiés avec le mercure, achèvent une partie de la sphère de leur activité sur le mercure
vif, qu’on ajoute au sublimé corrosif car ils agissent dessus pour le mortifier & pour l’éteindre,
& en le mortifiant ils se mortifient eux-mêmes, & s’il en reste encore quelque partie, le feu
achève de la chasser par son action durant les trois sublimations qu’on pratique ordinairement
pour achever de l’adoucir, ce qui se fait ainsi.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 509

Prenez douce onces de sublimé corrosif, broyez-le dans un mortier de marbre, & lorsqu’il sera
en poudre, ajoutez-y peu à peu huit onces de mercure purifié, agitez & triturez le tout
ensemble, jusqu’à ce que le mercure soit mortifié & éteint, de manière qu’il n’en paraisse aucun
atome de vif, mettez la poudre dans une fiole ou dans un matras au sable, qu’il n’y ait qu’un
pouce de sable sous le vaisseau, donnez le feu par degrés huit ou dix heures durant, ou jusqu’à
ce que l’Artiste voit que le mercure est tout à fait monté & sublimé au haut du vaisseau, alors il
faut cesser le feu & laisser refroidir le vaisseau, qu’on doit casser étant froid, & en séparée le
mercure qui sera sublimé en une substance compacte, serrée & cristalline, qui a déjà presque
perdu toute sa faculté corrosive, pour les raisons dites ci-devant. Broyez-le derechef & le
sublimez pour la seconde fois ; & continuez ainsi une troisième fois ; alors vous aurez ce qu’on
appelle mercure doux, sublimé doux, l’aigle douce & mitigée & le dragon apprivoisé, qui est ce
célèbre panchymagogue de Quercetanus ; enfin c’est un remède qui est si connu, qu’il n’est pas
nécessaire de dire qu’il est bon contre toutes les maladies vénériennes, on le donne même aux
petits enfants pour tuer les vers.

La dose est depuis quatre grains jusqu’à une demi-drachme, sans aucune, crainte de salivation
qu’il provoque assez facilement ; mais si on le mêle avec des purgatifs, comme les électuaires,
les gelées ou les extraits, & qu’on fasse prendre aussitôt au malade un bouillon clair, ou un
verre de tisane aussitôt après l’avoir avalé, on ne doit plus appréhender que cet accident arrive.
Mais il faut que l’Artiste remarque, qu’il ne faut jamais broyer le mercure ni même aucune de
ses préparations dans des mortiers de métal ni avec des pilons de métal, parce qu’il s’allie fa-
cilement avec les métaux. Il ne faut pas aussi faire mâcher les optâtes ou les électuaires où il y
aura du mercure ; mais ils faut les faire avaler en bol avec du pain à chanter ou dans quelque
conserve ou confiture, afin qu’il n’en reste point dans la bouche ou dans la gorge, parce que
c’est là ce qui occasionne la salivation : c’est aussi pour la même raison qu’il ne faut pas
dissoudre ni mêler les remèdes mercuriels dans des liqueurs pour les faire boire aux malades, à
cause qu’ils demeurent ordinairement au fond du vaisseau par leur pesanteur, ou bien leur
substance s’arrête & s’attache dans la bouche, dans la gorge, ou le long de l’œsophage, & ainsi
cause la salivation.

§. 12. Pour faire la sublimation du Cinabre ou Vermillon.

Nous avons dit ci-devant que nous dirions un mot en cet endroit du cinabre minéral : & afin
que l’Artiste ait l’esprit satisfait là-dessus, il faut qu’il sache que ce cinabre minéral n’est autre
chose que le mercure qui a été élevé & sublimé dans les mines par la chaleur interne de la terre,
qui a fait monter avec lui une portion du soufre minéral embryonné qui dominait dans cette
même mine : or selon la pureté de la terre, de la pierre, du sable ou du lieu où ce mercure & ce
soufre sont élevés & coagulés en cinabre, ce mixte en est aussi plus ou moins pur, comme on le
prouve par le cinabre minéral de Carinthie qui est beaucoup plus pur, & qui a beaucoup plus de
vif-argent en soi que celui d’Hongrie, qui a beaucoup plus de terre, de pierre & de sable que de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 510

mercure & de soufre. Or le mercure qui se tire de ce cinabre, n’est pas plus pur que celui qu’on
tirera du cinabre artificiel, si ce n’est à raison de ce qu’il provient des lieux qui abondent en
mines or : mais si l’Artiste n’en peut pas avoir, il ne doit pas s’y arrêter, pourvu qu’il ait le soin
de le bien purifier : or la première purification se fait par la sublimation avec le soufre commun.
Ce qui le fait ainsi.

Prenez une demie livre de soufre, faites-te fondre à un feu modéré dans une terrine de terre qui
soit vernissée, & lorsqu’il sera tout à fait fondu, faites passer dix onces de vif-argent ordinaire à
travers d’un morceau de chamois, afin d’en discontinuer les parties & que cela fasse comme une
pluie fort subtile, qu’il faut mêler subitement avec un pilon de bois dans le soufre fondu, &
continuer la pluie du mercure & l’agitation jusqu’à ce que tout le mercure ait été englouti par le
soufre. Tout étant refroidi, ce sera une masse noire, qu’il faut broyer & mettre en poudre entre
deux pots de terre, qui soient lutés exactement bouche contre bouche, & que celui d’en haut ait
un trou gros comme un tuyau de plume au milieu. Placez ce pot au feu de roue sur deux petites
barres de fer, afin de pouvoir lui donner le feu par-dessous, qu’il faut commencer par degrés &
boucher légèrement le trou du pot d’en haut avec du papier, & lorsque l’Artiste verra que la
vapeur ou l’exhalaison qui s’attache au papier, commence à changer de jaune en rouge, alors il
bouchera le trou plus exactement, & donnera bon feu durant trois ou quatre heures que l’opé-
ration finit. On laissera refroidir les vaisseaux, & on trouvera dans le pot le mercure sublimé en
une masse rouge & luisante, qui est ce qu’on appelle le cinabre artificiel, qui peut servit à
donner le parfum pour provoquer le flux de bouche, car son usage n’est pas propre à l’intérieur,
mais nous l’avons décrit pour faire mieux comprendre à l’Artiste l’action de la sublimation, qui
se fait dans la terre, & pour lui apprendre le travail avec le soufre, aussi bien que celui qui se fait
avec les sels.

§. 13. Pour faire les fleurs argentées & perlées du Mercure.

Quoique cette opération soit longue & laborieuse, elle mérite cependant d’être
enseignée, non seulement à cause de la vertu de ces fleurs mercurielles, mais aussi
pour en donner le procédé, qui est capable de bien instruire l’Artiste & de le con-
duire à la patience qu’il doit avoir pour la préparation des arcanes, qui se tirent du
mercure, & que Paracelse recommande si souvent.

Pour venir à bout de cette opération, il faut premièrement prendre une livre de sel commun &
autant de salpêtre, qu’il faut mettre en poudre & les mêler avec six livres de bol commun aussi
en poudre, ajoutez l’eau commune peu à peu à ce mélange, afin de le pister en une masse, qui
soit de la consistance propre, pour en former des boulettes, qu’il faut faire bien sécher au soleil
ou sur un four où l’on cuit du pain tous les jours. Après cela tirez une eau régale ; comme nous
enseignerons an chapitre des sels. Il faut dissoudre dix onces de mercure bien purifié dans une
livre de cette eau régale, puis en tirer les deux tiers ou les trois quarts du menstrue aux cendres,
& lorsque le vaisseau sera refroidi, on ôtera le chapiteau & l’on trouvera le mercure changé en

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 511

cristaux au fond de la cucurbite, qu’il faut séparer de la liqueur & les édulcorer, puis les mettre
dans un vaisseau de rencontre & verser dessus de l’esprit de vin tartarisé jusqu’à l’éminence de
trois doigts ; il faut luter le vaisseau très exactement & le mettre en putréfaction au bain-marie
durant l’espace de quarante jours, qui est le mois philosophique.

Lorsque ce temps est expiré, versez tout se qui est dans le vaisseau en une cornue, qu’il faut
placer au sable, & en retirez l’esprit de vin à une chaleur fort lente, & lorsqu’il sera tout passé, il
faut augmenter le feu durant quatre ou cinq heures, & une partie du mercure se sublimera, &
l’autre partie demeurera au fond de la cornue en un précipité rouge : vous casserez le vaisseau,
& joindrez ces deux substances ensemble en les broyant dans un mortier de marbre, & en
mettrez la poudre dans un matras, fixe laquelle il faut verser de très bon vinaigre distillé jusqu’à
l’éminence de deux doigts ; vous mettrez ce matras en digestion au bain-marie ou même aux
cendres ou au sable, & donnerez le feu par degrés durant vingt-quatre heures, ou jusqu’à ce que
la substance de ce sublimé & de ce précipité soit dissoute, qu’il faut filtrer chaudement dans un
vaisseau de verre qui soit bien net, & aussitôt le menstrue s’éclaircira & la substance mercurielle
se coagulera en fleurs qui seront semblables à de la soie plate, blanche & éclatante, ou à du
coton & à des flocons de neige, de couleur d’un bel argent brillant & bruni. Séparez ces fleurs
avec une cuillère de verre, & les mettez sécher sur du papier à filtrer, qui soit en quatre doubles,
sans les presser, afin de les sécher sans qu’elles perdent leur éclat. Continuez la même
dissolution, avec de nouveau vinaigre & la matière qui sera restée, puis la filtrez & la faites
coaguler, jusqu’à ce qu’elle soit toute passée en fleurs.

C’est un très bon remède purgatif, contre tontes les maladies vénériennes, contre les vers, contre
les fièvres intermittentes, la lèpre & toutes sortes de galle & de grattelle : la dose est depuis deux
grains jusqu’à huit, il faut le réduire en pilules avec de l’extrait de réglisse, pour le faire avaler
aux malades, & leur faire boire par-dessus quelque verre d’une décoction qui soit appropriée à
la maladie, ou leur faire prendre aussitôt un bouillon par-dessus.

§. 14. La distillation du Mercure.

Presque tous les Auteurs mettent la distillation du beurre d’antimoine au rang de la distillation
du mercure, mais ils ont tort car quoique le sublimé corrosif serve à cette distillation, on sait que
le beurre qui en sort, n’est rien autre chose qu’un antimoine dissout & épuré par le moyen des
esprits salins, qui avaient coagulé le mercure en sublimé, mais ce qui prouve invinciblement
cette vérité, c’est que lorsque le beurre d’antimoine est privé de ses esprits salins par l’effusion
de l’eau, il se précipite en une poudre qu’on remet facilement en régule par la fonte avec un peu
de tartre, & qu’aussi le sublimé se remet en mercure coulant, si on fait le beurre avec du régule :
ou il se sublime en cinabre, si c’est avec de l’antimoine cru, à cause qu’il a encore son soufre
extérieur & grossier. Mais ici nous voulons traiter simplement de la distillation du vif-argent
sans avoir été préparé, ou après qu’il a été préparé, pour en tirer beaucoup d’excellents
remèdes, qui servent à la cure des maladies les plus opiniâtres & les plus enracinées.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 512

§. 15. La distillation de l’esprit du Mercure sans addition.

Cette opération est plus difficile que celles qui suivent, parce qu’en celle-ci les parties du vif-
argent ne sont ni discontinuées, ni ouvertes par l’assemblage & par l’addition des sels ou des
esprits, & de plus, il n’a encore reçu aucune impression de leurs mélanges ; ce qui fait que
plusieurs estiment cet esprit simple beaucoup plus que les suivants, & croient qu’il a plus de
vertu & plus d’efficace. Il se fait ainsi.

Premièrement ayez un fourneau, sur lequel il faut ajuster un creuset, en sorte qu’il soit un demi-
pied au-dessus de la grille du fourneau, lutez au-dessus de ce creuset une cucurbite de grès
haute d’un pied & demi, qui soit percée haut & bas également, en bas pour recevoir le bord du
creuset en dedans, & en haut afin de placer dessus un grand chapiteau de verre : il faut aussi
qu’il y ait une petite ouverture carrée deux ponces au-dessus du bord qui reçoit le creuset, qui
ait un bouchon qui ferme juste, afin de pouvoir jeter le mercure dans le creuset. Lutez très-
exactement les jointures du creuset & du bas de la cucurbite avec un bon lut qui ne fende pas, &
la jointure du chapiteau avec de la vessie & du blanc d’œuf. Après quoi donnez le feu peu à peu
pour commencer à échauffer les vaisseaux & l’augmenter toujours jusqu’à ce que le cul du
creuset soit rouge : cela étant, il faut avoir auprès de soi du mercure purifié & en verser environ
deux drachmes à la fois dans le creuset par l’ouverture carrée de la cucurbite, qu’il faut boucher
aussitôt, & le mercure passera dans le chapiteau en vapeurs, qui se réduiront partie en corps de
mercure coulant, & partie en une liqueur claire qui sera en petite quantité, il faut continuer ainsi
à verser & mettre du mercure, jusqu’à ce que vous ayez assez de cet esprit pour votre usage.
Notez qu’on peu ôter le récipient & en substituer un autre en la place, afin d’en retirer la liqueur
distillée & d’en séparer le vif-argent, pour continuer la distillation avec ce mercure qui est aussi
bon que d’autre qui il aura, pas été employé.

Il faut rectifier cet esprit au bain-marie ou aux cendres & le garder an besoin, c’est un furet qui
pénètre tout le corps, & qui en chasse toutes les impuretés par la transpiration sensible ou par
l’insensible & principalement par les sueurs. On en peut aussi laver les ulcères malins &
sordides & particulièrement ceux qui proviennent du venin vérolique. Nous en ferons encore
une application plus particulière, lorsque nous aurons donné la description des deux esprits
suivants.

§. 16. Pour faire l’esprit blanc & diaphorétique du Mercure.

Il y en a qui donnent le nom d’huile à ces préparations, mais c’est improprement, parce qu’on
ne peut légitimement appeler huile que ce qui est gras & inflammable, & non ce qui est aqueux :
c’est pourquoi nous avons mieux aimé retenir le nom d’esprit, comme celui qui exprime le
mieux la nature de la chose. Cet esprit se fait donc ainsi.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 513

Prenez une livre de sublimé corrosif préparé comme nous l’avons enseigné ci-dessus, mettez-le
en poudre très subtile sur le marbre, puis le mêlez avec trois fois autant d’argile rouge, & pistez-
le tout avec un peu d’eau de pluie distillée en une masse, dont on puisse former des boulettes
qui puissent entrer dans le col d’une cornue de verre, faites-les entièrement sécher à l’ombre,
puis les mettez dans la retorte, que vous placerez au sable & lui adapterez un ample récipient
qui soit bien luté. Mais notez qu’il tant que le col de la cornue soit large de plus d’un pouce de
diamètre à son entrée, tant pour faciliter l’entrée des boulettes, que pour mieux faire réussir
l’opération, qui court hasard de manquer, si la sublimation venait à boucher le col de la cornue,
avant que toutes les vapeurs aqueuses soient sorties, ce qui ferait casser la retorte & peut-être le
récipient.

Lorsque le lut sera bien sec, donnez le feu par degrés durant deux ou trois heures, & il en sortira
un esprit excellent, qu’il faut mettre à part ; s’il s’est sublimé du mercure, il faut de nouveau le
mêler & pister avec de la nouvelle argile & procéder comme auparavant, jusqu’à ce que vous
ayez réduit tout le sublimé en esprit, qu’il faut mêler, puis le rectifier & le garder au besoin dans
une fiole très bien fermée : nous en donnerons les vertus & la dose avec celui qui suit.

§. 17. Pour faire l’esprit rouge & diaphorétique du Mercure.

Comme cet esprit est de plus grand travail que le précédent, aussi a-t-il beaucoup plus de vertu,
& je dis même que s’il y avait quelque crainte de se servir de ces remèdes, qu’il y en aurait
néanmoins beaucoup à rabattre en l’usage de celui dont nous allons enseigner la pratique, parce
que le mars ou le fer, donc on se sert mortifie beaucoup l’acrimonie des esprits du sublimé :
mais il ne doit y avoir aucun doute pour l’usage de ces bons médicaments, qui sont corrigés par
le feu & qui se donnent en si petite dose, à cause de la subtilité de leur pénétration, que
personne n’en doit aucunement appréhender les effets, qui ne peuvent être que profitables &
louables. Il se fait ainsi.

Prenez une livre de bon sublimé corrosif, & autant de limaille d’aiguilles qui soit pure, nette &
subtile, broyez le sublimé très subtilement & y ajoutez la limaille, mettez-en le mélange à la cave
ou en quelque autre lieu frais sur une table de verre qui ait un rebord & un bec, sous lequel il
faut mettre une écuelle pour recevoir une liqueur jaune qui vient de la résolution de ces deux
substances, que vous garderez soigneusement, & lorsque la résolution sera achevée, prenez le
reste & le mettez dans une cucurbite de verre, versez dessus de l’eau de pluie distillée, jusqu’à
ce qu’elle surnage d’un demi-pied pour en tirer le sel, digérez cela aux cendres, & agitez
souvent les matières : au bout de trois jours filtrez la dissolution & l’évaporez en sel, qu’il faut
redissoudre, filtrer, évaporer & cristalliser, jusqu’à ce qu’il soit bien pur ; faites-le sécher & le
mettez en poudre, qu’il faut mêler avec la liqueur jaune que vous avez gardée, & elle deviendra
rouge comme du safran, versez le tout dans une basse cucurbite de verre, sur laquelle vous
ajusterez un chapiteau qui ait un bec court & gros, auquel vous adapterez on récipient
proportionné, lutez les jointures & faites la distillation au sable en donnant le feu par degrés, il

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 514

en soutira premièrement un phlegme, & lorsque l’Artiste verra que des vapeurs jaunes
commenceront à paraître, il changera de récipient & augmentera le feu, & cette vapeur jaune se
condensera en une liqueur rouge, qui tombera en partie dans le récipient, & le reste qui sera
trop épais, s’attachera dans le corps du chapiteau & dans son bec.

Cela étant fait, laissez refroidir les vaisseaux & ôtez le chapiteau, afin de pouvoir laver avec le
phlegme qui est sorti le premier, les parois & le bord de la cucurbite, où il le sera attaché
quelque chose de cette substance rouge, qu’il faut reverser sur lu tête morte qui est au fond de
la cucurbite, si elle n’est pas cassée, sinon il en faudra prendre une autre : mais il faut laisser ce
qui est dans le chapiteau & dans son bec, parce que lorsqu’on aura luté & commencé le feu pour
réitérer la distillation, dès que l’alambic sera échauffé, & que les vapeurs commenceront à
l’élever, ce qui est dans le chapiteau se résoudra en liqueur & coulera dans le récipient. Aussitôt
que toute la liqueur rouge est montée & passée, il faut changer de récipient, afin de recevoir le
phlegme, ensuite duquel il montera encore de la liqueur rouge, qu’il faut recevoir à part & la
joindre à l’autre, il faut réitérer ces distillations & cohobations jusqu’à ce qu’il ne monte plus
rien de rouge.

Il faut mettre toute la liqueur rouge dans un vaisseau de rencontre & verser dessus de l’alcool
de vin jusqu’à l’éminence de trois doigts & les digérer & circuler ensemble au bain vaporeux
durant trois semaines ; après quoi il faut ôter l’alambic aveugle & en remettre un à bec, & retirer
l’esprit de vin à la chaleur très lente du bain-marie, & garder l’esprit rouge qui restera dans une
forte fiole bien bouchée comme un des meilleurs remèdes du mercure.

L’un & l’autre de ces esprits sont de très grand & de très louable usage dans la Médecine : mais
celui qui est rouge est beaucoup plus recommandable que pas un des autres. Tous poussent
également par les sueurs tout ce qui nuit au corps & qui empêche l’économie de la vie & de la
santé : ils remédient même à plusieurs maladies, qui n’ont pu céder à beaucoup d’autres
remèdes. On peut dire avec vérité que ces esprits, & principalement le rouge y sont les vrais
spécifiques contre les véroles invétérées, ce qui se connaîtra par leur usage : car les pustules
s’évanouissent & tombent d’elles-mêmes ; les nodus & les duretés diminuent insensiblement :
les douleurs nocturnes cessent, & les ulcères puants & ouverts se mondifient & se consolident,
sans que l’on se serve d’aucun remède extérieur.

La dose est depuis une goutte, jusqu’à quatre au plus, dans de l’eau thériacale, dans de l’esprit
thériacal camphré, dans de l’esprit de vie de Paracelse, dans de l’esprit de gayac, dans de
l’esprit Diatrion ou mixtur a simplex du même Paracelse, ou même dans de la teinture île
sassafras & de squine qui soit faite avec le vin j blanc.

Je sais que la plus grande partie de ceux qui liront ceci, auront un tout aune sentiment que le
mien, & croiront que j’expose des impossibilités ; ils diront que je suis la piste de tous les autres,
à cause des vertus que j’attribue aux préparations du mercure qui est passé en esprit, ce qui ne

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 515

m’étonne pas, parce que ceux qui en jugeront de la sorte, ne connaissent pas l’action subtile &
fermentative du mercure & de ses remèdes. Quel changement ne fait-il pas au corps humain,
lorsqu’il est simplement employé en frictions, en parfum & en emplâtres ? Que ne fait-il point
par le moyen des bains ? Quels étranges effets ne produit-il pas en pilules, & tout cela lorsqu’il
est seulement en corps, ou qu’il est simplement altéré par le moyen des sels & des esprits. Ainsi
que n’en doit-on pas espérer, lorsqu’il est perfectionné, & qu’il est passé en une substance
spiritueuse liquide qui se mêle avec les liqueurs potables : car alors il est capable d’être volatilité
par la chaleur naturelle & poussé du centre à la circonférence, & ainsi il pénètre toutes les
parties & entraîne avec soi par la sueur tout ce qu’il rencontre d’impur & de mauvais, soit que
ce soit une matière corrompue ou que ce soit simplement la superfluité des digestions.

Mais afin de fermer la bouche aux médisants & aux incrédules, je suis obligé de rapporter
l’histoire d’une personne de condition qui a un emploi considérable & qui est encore en vie, qui
a été aveugle confirmé, & qui a été guéri par un remède mercuriel, qui était encore en poudre, &
qui n’était pas poussé jusqu’en esprit. Ce qu’il y a de plus considérable dans cette cure, c’est
qu’on lui souffla simplement un grain & demi de ce mercure préparé dans chacune des narines
avec un tuyau de plume ; ce qui produisit en peu de temps des effets tout à fait surprenants :
car la tête lui enfla extraordinairement, puis il cracha, bava, pleura, moucha, éternua, vomit,
pissa, fut copieusement à la selle & sua de même ; & cela en moins de huit heures de temps ;
après quoi les accidents cédèrent & relâchèrent peu à peu. Mais ce qui est de plus merveilleux,
c’est que dès le lendemain il commença de voir, mais très confusément, & de jour en jour il
parvint à distinguer les objets, & fut enfin entièrement guéri, & eut une vue la meilleure & la
plus assurée qu’homme puisse avoir, & ensuite il a rendu des services très importants à la
France. La même personne qui le traita, guérissait aussi les véroles les plus perdus avec le
même remède, en la même quantité & en le soufflant dans le nez. Où est, je vous prie, le
médicament qui puisse produite un effet pareil, ni même qui en approche de bien loin ?

Ce que je rapporte est si véritable que j’en pourrais produire des témoins dignes de foi en très
bon nombre. C’est pourquoi je crois que personne ne trouvera plus étrange que j aie attribué
aux préparations précédentes des effets qui sont beaucoup au-dessous de ce que nous avons
rapporté. C’est pourquoi je suis contraint de dire avec une profonde admiration de la
souveraine sagesse, & du mépris de l’ignorance humaine, que l’âge de l’homme est trop court,
pour pouvoir anatomiser le mercure, pour en tirer tous les beaux remèdes que Dieu & la nature
ont logé dans ce mixte hétéroclite & neutre, qui n’a rien qui lui soit pareil, ni qui approche de
son essence, dans tous les autres êtres sublunaires.

§. 18. Pour faire une huile douce du Mercure.

Nous avons encore deux distillations du mercure à décrire, à cause que les procédés en sont
différents des autres, & que les menstrues en sont aussi différents, afin que l’Artiste soit mieux
instruit & qu’il puisse mieux concevoir tout ce que les plus experts & les plus savants des

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 516

Anciens, nous ont laissé dans leurs œuvres pour la préparation des grands arcanes. La première
se fait ainsi.

Il faut prendre autant qu’on voudra de sublimé corrosif, qui ait été fait avec le sel, le vitriol & le
salpêtre, & qui ait été sublimé trois fois avec du nouveau vitriol & du sel qui ait été en flux ou
en fonte, & prenant toutes les fois moitié de la tête morte qui reste après la sublimation & moitié
de nouvelle matière. Mettez ce sublimé en poudre subtile, & versez dessus du très bon vinaigre
distillé jusqu’à l’éminence de trois doigts, digérez-les ensemble, & les faites dissoudre ; séparez
ce qui sera dissout, & y remettez du nouveau vinaigre, & continuez ainsi jusqu’à ce que tout le
sublimé soit dissout, mettez toutes ces dissolutions dans une cucurbite, & en retirez le menstrue
au sable à un feu bien gradué jusqu’à sec.

Tirez la matière & la mettez dans un vaisseau de rencontre, & versez dessus de l’esprit de vin
très alcoolisé, fermez la rencontre & la lutez exactement, & la faites digérer au bain vaporeux
l’espace de trois semaines, ou jusqu’à ce que la matière s’ouvre & qu’elle devienne lente &
visqueuse ; retirez alors l’esprit de vin à une chaleur proportionnée à sa nature : puis mettez le
vaisseaux au sable & distillez au plus haut degré de feu que vous puissiez donner, & il en
sortira une liqueur qui sera blanche comme du lait, cohobez ce qui est sorti sur la matière qui
est restée au fond, & réitérez la distillation, & vous aurez une huile douce, qui sent bon, & qui
ne participe d’aucune faculté corrosive.

Ceux qui connaissent l’action & la réaction des sels & des esprits, ne trouveront pas ce
changement de corrosif en doux impossible : car ces mélanges, ces actions, ces digestions, ces
dissolutions & ces distillations produisent des êtres nouveaux que l’Artiste n’eût jamais espéré,
comme le dit très bien le profond Philosophe & Médecin Helmont. Distillatio parit novum ens.

Cette huile ou cette liqueur guérit tous les ulcères internes & chasse toutes les impuretés qui
causent les maladies par les sueurs ; surtout c’est un spécifique admirable contre les ulcères de
la gorge, contre ceux des reins & contre ceux de la vessie. La dose est depuis une goutte jusqu’à
trois dans quelque liqueur appropriée. Mais si l’Artiste veut achever un vrai magistère ou un
élixir de mercure, il faut qu’il fasse digérer de la chaux d’or qui soit bien ouverte dans cette
huile durant six semaines entières dans un vaisseau circulatoire, & il aura un remède sans prix,
qui sera beaucoup exalté en vertu, & dont la dose ne passe pas depuis un demi-grain jusqu’à
deux tout au plus.

§. 19. Pour faire l’astre du Mercure.

Prenez une demie livre de mercure vif, qui ait été sublimé sept fois avec le sel, le salpêtre & le
vitriol, & qui ait été revivifié autant de fois avec la chaux vive, mettez-le dans une cucurbite &
versez dessus douze onces de très bon esprit de nitre : couvrez la cucurbite de sa rencontre, &
les mettez dissoudre à la lente chaleur des cendres, s’il en est besoin, sinon placez la cucurbite

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 517

au sable après l’entière dissolution du mercure & en retirez l’esprit jusqu’à sec : après cela
pulvérisez bien la masse qui reste dans un mortier marbre ; mettez la poudre dans une nouvelle
cucurbite, versez dessus de très bon vinaigre jusqu’à l’éminence de quatre pouces ; couvrez la
cucurbite de sa rencontre & la mettez au sable, faites digérer & bouillir les matières ensemble,
durant vingt-quatre heures ; après quoi ôtez la rencontre & mettez on chapiteau, retirez le
vinaigre jusqu’à sec, réitérez cela trois fois. Mettez la masse en poudre, & distillez sept fois de
l’eau de pluie distillée dessus, ou jusqu’à ce que la masse ne sente plus aucunement le vinaigre ;
alors il la faut mettre en pondre & la faire digérer pour la dernière fois dans un vaisseau de
rencontre avec son poids égal de véritable alcool de vin ; il faut couvrir la rencontre & la bien
luter, puis la placer au bain vaporeux dans de la paille coupée, & la faire digérer durant six
semaines à une chaleur égale & continuelle.

Cela passé, versez le tout dans une cornue & les distillez aux cendres mêlées de sable à une
chaleur graduée, jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien par l’augmentation du feu. Ouvrez les
vaisseaux après qu’ils seront refroidis, & versez ce qui sera dans le récipient dans une cucurbite,
retirez-en l’esprit de vin à la lente chaleur du bain-marie, & vous aurez au fond du vaisseau une
huile ou une liqueur, qui est précieuse & qui sent bon, qui est ce qu’on appelle l’astre du
mercure, qui ne se donne aux malades que depuis une demie goutte jusqu’à trois dans des
liqueurs appropriées. Nous en dirons les vertus après que nous aurons enseigné l’extraction du
sel du mercure, à cause qu’il a les mêmes propriétés & la même efficace.

§. 20. Pour faire le sel du Mercure.

Prenez ce qui est resté après la distillation de l’astre du mercure, mettez-le dans un vaisseau de
rencontre & versez dessus l’astre du mercure, faites-les digérer ensemble aux cendres à une
chaleur modérée durant huit jours ; au bout de ce temps, séparez l’extraction par inclination,
afin qu’il n’y ait rien d’impur, versez dessus une bonne quantité d’esprit de vin très subtil,
circulez-les ensemble durant quinze jours dans un vaisseau, qui soit bien bouché, après cela
retirez l’esprit de vin au bain-marie ; puis faites monter l’huile aux cendres, & vous aurez le
précieux sel du mercure au fond du vaisseau, gardez ces deux excellents remèdes à leurs
usages.

L’un & l’autre sont un remède très secret & très spécifique pour mondifier & rectifier toute la
masse du sang : c’est pourquoi ils sont merveilleux pour la cure de la lèpre & de la vérole. Ils
guérissent aussi toutes sortes d’ulcères, quelque malins & invétérés qu’ils soient, & emportent &
nettoient très facilement toutes sortes de teignes, de galle & de grattelle ; la dose du sel est
pareille à celle de la liqueur. Ils agissent par la transpiration & pat les sueurs.

Nous ne parlerons pas de la liquation ou de la résolution du mercure, quoique nous en ayons


promis ci-devant un exemple, parce que cette opération se rapporte aux deux dernières

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 518

distillations que nous avons décrites : c’est pourquoi il ne nous reste plus que l’extraction pour
avoir le soufre du mercure : puisque nous avons montré comment il en faut faire le sel.

§. 21. Teinture du Mercure, qu’on appelle son soufre.

Prenez une partie de ce précipité rouge qui ait été fait avec l’esprit de nitre, broyez-le dans un
mortier de marbre avec deux parties de sel desséché & trois parties de vitriol desséché à
blancheur ; mettez ce mélange dans un matras, & en faites la sublimation au sable à feu violent
sur la fin. Mettez ce sublimé dans une rencontre & versez dessus de bon vinaigre distillé,
jusqu’à ce qu’il surnage de quatre doigts, couvrez la rencontre & la mettez digérer aux cendres
durant trois semaines, & le vinaigre se chargera d’une couleur jaune ; il le faut retirer par
inclination & en mettre de l’autre, & continuer ainsi l’extraction par la digestion avec de
nouveau menstrue, jusqu’à ce qu’il ne se colore plus. Filtrez toutes les teintures & les versez
dans une cucurbite, que vous placerez au sable, & vous en retirerez par la distillation toute la
liqueur jusqu’à sec, & vous trouverez au fond de la cucurbite le soufre du mercure en une
poudre rouge, qu’il faut mettre dans une fiole de verre & le garder à ses usages.

Paracelse donne de grands éloges à ce soufre, & lui attribue la vertu de guérir la goûte,
l’épilepsie & la maladie vénérienne radicalement & sans aucune crainte de récidive, ses effets
sensibles sont les urines & les sueurs, autrement il agit par une transpiration naturelle, douce &
insensible. La dote est depuis un grain jusqu’à, trois, dans quelque conserve ou dans quelque
confection cordiale, ou même dans l’extrait de genèvre.

Quoique nous ayons averti les Artistes dans la théorie de ce Traité, de ne se point servir des
remèdes Chimiques, qu’ils ne les aient préparés eux-mêmes, ou qu’ils ne connaissent bien
l’expérience, la science & la conscience de ceux de qui ils les prendront. Cependant nous nous
sentons encore obligés d’en dire ici quelque chose ; principalement à cause des pernicieux
accidents que nous avons vu arriver à plusieurs personnes de toutes les conditions, pour avoir
été traitées avec des remèdes tirés du mercure qui n’étaient pas bien prépares : c’est pourquoi il
vaut beaucoup mieux se passer de leur administration & de leur usage, que d’avoir sujet de s’en
repentir toute sa vie, ou en sa personne, ou en celle de ceux qu’on a fait souffrir par un mauvais
& dangereux remède. Ce qui est cause que je conseille à ceux qui ne sont pas encore assez
instruits dans la théorie & la pratique de la Chimie, de ne point entrer dans la préparation des
grands remèdes, qui se tirent du mercure, qu’ils n’aient acquis une suffisante connaissance des
matières qu’ils emploieront, & une assez longue & assez heureuse expérience des remèdes
qu’ils auront faits : puisque le grand Hippocrate recommande, que l’expérience se fasse sur un
sujet vil, lorsqu’il s’agit d’une racine ou d’une plante ; à combien plus forte raison doit-on être
réservé, lorsqu’on veut se servir des remèdes qui sont tirés des minéraux & des métaux, &
qu’on n’a pas encore l’entière connaissance de leur vertu & de leur activité ? Il faut donc aller ici
à tâtons & sonder le gué, afin qu’on ne fasse pas naufrage de sa réputation & du salut du
malade. Car quoique les procédés semblent ingénus & faciles à pratiquer, cependant le mauvais

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choix des matières, l’action du feu, le manque de vaisseaux, quelque inadvertance, quelque
négligence ou l’impatience de l’Artiste, qui est assez ordinaire à notre nation, changent la
nature des choses, & leur impriment d’autres facultés, que celles que nous en, avec conscience,
& avec une très longue patience, si on veut parvenir à la possession des grands remèdes que
fournissent à la Médecine le mercure & l’antimoine, duquel nous allons parler.

DE L’ANTIMOINE.

§. 22. De l’antimoine et de sa préparation chimique.

Comme l’antimoine est la pierre d’achoppement de plusieurs pour ceux qui font profession de
la Médecine, et que ceux qui ne le connaissent pas, le veulent faire passer pour la vaine idole
des Chimistes et de la Chimie, il faut aussi que nous tâchions de tout notre possible de faire
voir, que si les Artistes font cas de l’antimoine, que c’est avec une juste raison, puisque c’est par
la connaissance exacte qu’ils en ont, et qu’ils ne se sont pas contentés de son écorce, comme
ceux qui le blâment ; mais ils l’ont ouvert et l’ont anatomisé, afin d’en tirer les admirables
remèdes, dont on voit tant de beaux effets tous les jours, à la louange de la Chimie, et au mépris
de ceux qui font profession publique de crier contre et de déchirer par leurs invectives et par
leurs calomnies ridicules, ceux qui s’en servent tous les jours avec science, avec connaissance,
avec méthode et par conséquent avec succès.

Mais pour mieux éclaircir cette vérité il faut que nous découvrions en peu de mots ce que c’est
que l’antimoine et de quoi il est composé, afin de faire comprendre aux moins entendus, que
ceux qui l’ont en horreur, ne le condamnent que faute de le connaître, non plus que ses
préparations dont nous parlerons dans la suite.

L’antimoine n’est autre chose qu’une marcassite ou un moyen minéral, destiné par la nature au
genre métallique, mais qui est demeuré en chemin, parce qu’il n’avait pas en soi les dispositions
nécessaires pour parvenir jusqu’à cette perfection, ou même parce qu’on l’a prématurément
arraché de sa matrice, comme un fruit qui n’est pas mûr, que l’on détache de son arbre ; ou
enfin à cause de l’impureté terrestre de son mélange, et de la disproportion et de l’indigestion
de ses principes.

Mais pour faire mieux comprendre ce que nous venons de dire ; il faut que l’Artiste sache que
l’antimoine est composé premièrement d’un soufre minéral, qui est en partie très pur et de la
nature de celui de l’or ; qui a son fondement dans sa rougeur et qui est fixe, et c’est dans le
centre de ce soufre solaire que résident les merveilles de l’antimoine ; et l’autre partie de ce
soufre est impur, inflammable et volatile, comme le soufre commun, et c’est à ce soufre qu’on
attribue ordinairement la violence de ses opérations, lorsqu’il n’est pas suffisamment corrigé ou
qu’il n’est pas bien séparé. Secondement ce minéral est fait d’un mercure métallique abondant,
qui est néanmoins indigeste et fuligineux, mais qui est pourtant plus cuit et plus coagulé que le

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vif argent commun, à cause qu’il participe de la nature saturnienne. Enfin la troisième partie qui
constitue notre antimoine, est une substance : crasse et terrestre et qu’il tient de sa matrice, qui
contient fort peu de sel sensible, quoique le sel l’ait produit le premier : mais il a changé de
nature ; à cause des diverses altérations et des divers changements qui se sont faits par la cuire
et par la digestion de son feu centrique.

On voit donc par la description que nous venons de donner de l’antimoine et de ces parties
constituantes, que c’est l’assemblage d’un vitriol, d’un soufre et d’un mercure de la nature du
plomb, et que par conséquent il ne peut être condamnable en soi, puisqu’on se sert tous les
jours de ces trois choses séparément dans la Médecine, ou crues et naturelles ou préparées ;
pourquoi donc ne se serviront-on pas aussi de l’antimoine cru et du préparé ?

Mais on m’objectera que les plus célèbres Auteurs qui ont traité de l’antimoine, le nomment un
poison, et disent qu’il participe de quelque mélange d’arsenic et de réalgar : à quoi nous
répondons, que le plomb, le mercure et le soufre participent aussi de ce même mélange, et
néanmoins on ne les bannit pas du commerce de la Médecine : puisqu’on se sert même de
l’arsenic et du réalgar, lorsqu’on a corrigé la malignité de leur soufre et de leur sel par le moyen
du feu et des esprits qui en sont capables, en sorte qu’on en peut donner intérieurement, et
qu’ils fournissent les plus excellents remèdes topiques contre tous les ulcères malins.

Mais il en va tout autrement de l’antimoine, qui se donne tous les jours tout cru par la bouche
sans aucun accident et même aux enfants à la mamelle : et que de plus on le met bouillir
jusqu’au poids d’une demie livre dans les décoctions contre la vérole, et qu’on le met de même
en infusion à froid dans de l’eau pour ouvrir le ventre et pour ôter les obstructions des viscères.
Que l’Artiste sache donc que lorsque les anciens ou les modernes, qui ont traité de l’antimoine,
ont dit qu’il était un poison, que ce n’a été que par la comparaison qu’il y a des simples
préparations de l’antimoine, qui ne sont pas encore assez corrigées, et qui purgent et font vomir
avec grande violence, avec celles qu’ils décrivent, qui n’ont aucun mauvais effet, mais qui
fortifient ; seulement la nature et l’aident à chasser insensiblement ce qui lui est nuisible. C’est
pourquoi fermons ce petit avant-propos de l’antimoine par les paroles de Monsieur Zwelfer,
qu’il met dans l’appendice qu’il a ajouté aux savantes remarques qu’il fait sur la Pharmacopée
d’Ausbourg, à la louange de ce noble minéral et contre les ignorants qui le méprisent. «
Puisque l’antimoine est si fort décrié par les ennemis de la belle chimie et par les ignorants, qu’à
peine un praticien ose en prononcé le mot sans ce voir exposé à être rayé du nombre des
médecins, et a être traité d’empoisonneur, un jugement si désavantageux à l’antimoine, ne
saurait sortir que d’un jugement peu solide et d’une cervelle mal timbrée. Il n’y en a point qui
ose risquer d’en parler plus désavantageusement, que ceux qui manquent de lumières et de
connaissance. Ainsi sans m’étonner de ces criailleries, je continue toujours dans les mêmes
sentiments et j’ose assurer que l’antimoine est une des principales colonnes de toute la
Médecine. C’est une espèce de prothée tant pour la diversité de ses préparations, que pour la

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multitude des médicaments salutaires qu’on en tire, soit alexitères, antivénériens,


diaphorétiques et purgatifs, soit qu’on en fasse un émétique doux, fort pour purifier la masse
du sang, et même pour les plaies tant intérieures qu’extérieures, aussi bien que pour la poitrine,
enfin pour en tirer une panacée universelle. On ne trouve pas même dans les végétaux un
émétique qui se puisse donc avec moins de danger que l’antimoine artistement préparé : car il
ne cause aucune colique nulle convulsion, point de superpurgation, pas même de colliquation
extraordinaire des humeurs, quand il arriverait qu’on bût de l’eau froide par-dessus. »

Nous croyons qu’il serait superflu d’en dire davantage : c’est pourquoi il faut passer au choix
de l’antimoine, et aux diverses dénominations que lui ont données ceux qui en ont voulu cacher
la préparation et les mystères, afin que cela serve à l’Artiste pour l’intelligence de leurs énigmes
et pour l’explication de leurs hiéroglyphes.

Les Philosophes chimiques nous dépeignent ce minéra1 avec un caractère qui représente le
monde avec la croix au-dessus, pour signifier que comme le magistère de la croix purifie et
fauve l’âme de toutes ses souillures spirituelles, aussi l’antimoine et ses remèdes bien et dûment
préparés, purifient et délivrent le corps de toutes les impuretés, qui causent et qui entretiennent
les maladies qui l’affligent. Ils le nomment de plusieurs noms énigmatiques, comme le loup, à
cause qu’il consomme et dévore tous les métaux, à l’exception de l’or ; d’autres l’ont nommé
Prothée, parce qu’il reçoit toutes fortes de formes, et qu’il se revêt de toutes les couleurs par le
moyen de Vulcain qui est le feu d’autres l’appellent la racine des métaux, tant à cause qu’on en
trouve proche de leurs minières, que parce qu’il y en a qui croient qu’il est la racine et le
principe des métaux : c’est selon d’autres le plomb sacré, celui des Philosophes et des Sages, à
cause qu’il a quelque rapport à la nature de Saturne, qui dévorait, dit-on, ses enfants comme il
dévore les métaux ; et comme il y en a qui le prennent pour le sujet du grand œuvre des
Philosophes et de leur quintessence, Basile Valentin l’appelle le lion oriental, Paracelse le
nomme le lion rouge, et Glauber nous le décrit comme le premier être de l’or.

Tous les Auteurs sont d’accord qu’il faut choisir l’antimoine de Hongrie ou celui de
Transylvanie, pour en faire les plus belles et les lus hautes opérations ; parce qu’il est le plus
pur, et qu’il participe d’avantage de la nature solaire, et qu’ainsi son soufre interne en est
beaucoup plus exalté. On en trouve néanmoins en beaucoup d’autres endroits, et
particulièrement en Allemagne, et notre France en possède aussi qui n’est point à mépriser. Si
bien ne ceux qui n’en pourront pas avoir de celui qui se tire près des mines d’or, prendront et
choisiront pour leur travail un antimoine qui soit clair, net et brillant ni ait des faces ou des
glaces claires et luisantes, si c’est du minéral, qui soient mêlées d’une certaine couleur
ondoyante et changeante, comme est celle des gorges de pigeons, de l’opale on de l’arc-en-ciel ;
ce qui témoigne l’abondance de son soufre : mais si c’est de l’antimoine ordinaire qui ait été
fondu, il faut choisir celui ni a les plus longues aiguilles qui soient brillantes et claires, et qui ait
aussi les marques et le coloris que nous venons de remarquer en l’autre. Ceux qui le voudront

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 522

éprouver pour en être plus certains, prendront une drachme d’antimoine, et le mettront en
pondre très subtile, et l’arroseront avec de très excellent esprit de vinaigre, puis ils le mettront
sécher et évaporer lentement au feu sur une petite planche de fer, on sur un petit morceau de
pot de terre, en forte néanmoins qu’il ne flue pas, ni ne se fonde au feu : car si la poudre
demeure d’une couleur rouge, c’est un signe assuré de la bonté et de l’abondance de son soufre.
Mais nous croyons que la meilleure épreuve de l’antimoine est sa réduction en régule par le
moyen du mars et du nitre, sans aucun mélange du tartre, à cause de son alcali qui dissout les
souffres, car celui qui donnera le plus de régule et le plus net, est le meilleur, puisque le régule
n’est: autre chose qu’un antimoine bien purifié.

§. 23. Les préparations générales de l’antimoine.

Avant que de donner le détail des opérations qui se font sur l’antimoine, nous avons jugé
nécessaire de présenter une idée générale des préparations qui se font sur ce noble minéral
parce que la moisson est si ample, que qui voudrait d’écrire ce que les anciens et les modernes
en ont remarqué et ce que notre propre expérience nous a confirmé, il faudrait faire des
volumes sans fin, aussi bien que pour les vertus de l’antimoine qui font inépuisables et sans
fond, comme nous le ferons voir par la suite. Nous donnerons donc seulement, selon notre
coutume, des exemples de chacune des opérations générales, qui serviront de régie et de
conduite à l’Artiste pour toutes les autres que la nécessité des malades, on la seule curiosité,
l’obligeront d’entreprendre, afin qu’il ne manque pas à recevoir ou à donner la satisfaction qu’il
espère.

Les préparations générales qui se font sur l’antimoine sont : premièrement, la calcination,
secondement, la sublimation, en troisième lieu, la distillation, en quatrième la liquation ou la
résolution, en cinquième, l’extraction, sixième l’infusion, en septième, la salification ; quelques-uns
y ajoutent la huitième, qui est la mercurification, mais nous n’en parlerons point, parce que nous
en avons fait cent épreuves différentes, qui ne nous ont pas convaincus de la vérité ; c’est
pourquoi nous nous en abstenons pour les mêmes raisons que nous avons alléguées, lorsque
nous avons parlé des mercures, des métaux et de plus, que nous connaissons que Paracelse et
les autres n’entendent par le mercure d’antimoine autre chose que son régule bien préparé, sans
aucune diminution de son soufre solaire et centrique nous n’en nions pourtant pas
l’impossibilité, mais nous ne voulons surprendre personne, ni faire perdre le temps inutilement
à des procédés qui n’ont pas réussi et qui ne peuvent réussir selon moi.

La calcination est double, la sèche et l’humide, la sèche fournit les verres, les crocus ou les
safrans, les diaphorétiques et les régules, La calcination humide donne les précipités. La
sublimation fait les fleurs et le cinabre ou le vermillon, la distillation tire les vinaigres, les huiles et
les esprits. L’extraction communique les soufres et les teintures. L’infusion donne les vins
émétiques et les eaux ophtalmiques, et la salification, le sel.

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LES PREPARATIONS PARTICULIERES DE L’ANTIMOINE.

§. 24. Comment il faut faire le verre d’antimoine par la calcination simple.

Il y a tant de manières de faire le verre d’antimoine, que les Artistes sont bien empêchés de
choisir celle qui est la meilleure, mais comme nous savons par la théorie et par la pratique, que
celui qui est sans addition, est le meilleur, nous donnerons l’exemple du travail de celui-ci,
parce que quiconque le pourra faire exactement, ne manquera jamais au travail des autres, dont
la fonte, la clarification et la diaphanéité est beaucoup plus facile, à cause de la jonction des sels
qui en rendent le flux plus prompt et plus net. Ce verre sans addition se fait ainsi.

Prenez de bon antimoine bien choisi, mettez le en poudre très subtile, que vous calcinerez dans
une larde capsule de terre non vernissée, au-dessus d un feu lent, en l’agitant continuellement
avec une spatule de fer, il faut que cette calcination se fasse en un lieu perméable à l’air, et que
l’Artiste fait au-dessus du vent, afin que les vapeurs qui exhalent du soufre impur de
l’antimoine, ne l’incommodent point et n’attaquent pas la poitrine. Il doit surtout prendre garde
de ne point donner trop de feu a autrement on se chasserait trop soudainement l’humidité
excrémenteuse de ce minéral, qui emporterait aussi avec soi l’humidité radicale, ce qui
empêcherait la fonte et la réduction en verre. Lorsque l’Artiste aura tenu l’antimoine trois ou
quatre heures dessus du feu, et qu’il verra qu’il commencera de se grumeler et de s’assembler, il
faut qu’il retire le vaisseau du feu, et qu’il verse la matière sur le porphyre, afin de la remettre
en alcool après qu’elle fera refroidie ; puis il recommencera la calcination avec un peu plus de
feu que la première fois, et continuera ainsi jusqu’à trois ou quatre fois, en augmentant toujours
le feu à chaque fois qu’il aura rebroyé l’antimoine ; alors il aura une chaux d’antimoine, qui fera
d’un gris blanchâtre, qui lui servira pour en aire le verre et pour en faire aussi un diaphorétique
excellent contre la peste et contre les fièvres malignes.

Pour y parvenir, il tant qu’il réverbère une partie de cette chaux dans un creuset à feu nu,
jusqu’à ce qu’elle soit changée de blanche en jaune ; mais si la chaux venait à se grumeler
pendant la réverbération, il faut aussitôt la tirer du feu et la rebroyer, et continuer ainsi jusqu’à
ce que tout le soufre externe soit évaporé, et que l’interne commence à se manifester par la
couleur jaune qu’il communique. Lorsqu’il est en cet état, il faut le mettre dans un matras, et
verser dessus de très bon esprit de vin et les digérer ensemble durant quinze jours ; cela passé, il
faut enflammer de ce même esprit jusqu’à sept fois sur le diaphorétique, afin de le mieux fixer.
La dose est depuis quatre grains jusqu’à douze dans de la conserve de fleur de souci.

Mais pour la vitrification, il faut prendre une demie livre de la chaux que l’Artiste aura
préparée, et y ajouter une demi-once d’antimoine cru en poudre, afin d’en faciliter la fonte, qui
se fera au feu du four à vent dans un creuset qui fait d’une bonne matière permanente au feu ;

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et lorsque l’Artiste verra que la matière, qui est dans le creuset est en flux beau et net, il en fera
l’épreuve avec un petit stylet ou verge de fer qui soit net, il opposera le verre à la lumière, et s’il
est rouge et transparent comme le rubis ou le grenat, il le versera dans un bassin d’airain, ou sur
une platine sur quoi on sèche le linge, qui ait été bien écurée et qui air été chauffée avant que de
jeter le verre dessus, et ainsi on aura un verre beau, rouge et transparent, duquel on se servira à
beaucoup de très belles et très salutaires opérations, que nous mettrons en leur rang selon la
classe de leur réparation générale ; c’est pourquoi il faut que l’Artiste en soit toujours fourni.

§. 25. Pour faire le crocus ou le safran d’Antimoine, qu’on appelle le Crocus des
métaux.

Nous donnerons trois descriptions de cette opération, l’une qui sera légère, commune et facile,
une autre qui sera un peu plus embarrassante, et la troisième, qui requiert plus de travail,
Comme ces travaux sont différents et faits pour des raisons diverses, aussi l’Artiste sera instruit
de l’un et de l’autre, pour en pouvoir rendre raison aux autres et à soi-même.

Le premier crocus metallorum.

Nous avons toujours recommandé à l’Artiste le choix et la pureté des matières : mais il faut qu’il
soit encore plus circonspect que jamais dans les opérations qui se font sur l’antimoine, parce
que la réussite bonne ou mauvaise dépend de sa prudence et de sa connaissance.

Voilà pourquoi il faut qu’il prenne de l’antimoine bien choisi et du salpêtre bien dépuré, pour
faire toutes les préparations qui suivront : car comme on appelle le nitre le savon des sages, il
faut aussi qu’il soit pur et net pour faire l’action et la dépuration que les Auteurs en espèrent.

Prenez donc de l’antimoine bien choisi et du salpêtre bien purifié de chacun parties égales,
broyez-les en poudre chacun à part, puis mêlez les et les mettez dans un mortier de bronze que
vous couvrirez d’un couvercle de pot de terre, ou d’une tuile arrondie, qui ait un trou de la
grandeur d’un bon pouce de diamètre, afin d’y pouvoir mettre le feu avec un petit charbon bien
allumé ; il faut que cette opération, qu’on appelle fulmination, fulguration et détonation, soit
faite dans un lieu découvert, et se mettre au-dessus du vent, afin de ne point être englouti par la
fumée puante et maligne de ce minéral, et à cause de la corrosion de l’es rit du nitre et de
l’inflammation du soufre externe de l’antimoine. Lorsque le mortier sera refroidi, il faut en tirer
la matière, qui sera de deux fortes : l’une qui est au-dessus, qui participe du salpêtre et du
soufre de l’antimoine, et l’autre qui est au-dessous en une masse compacte et serrée comme du
foie ce qui fait qu’on l’appelle Hepar antimonii ou le foie de l’antimoine, qui n’est à proprement
parler, qu’une vitrification instantanée, imparfaite, et opaque de l’antimoine, par la calcination
que le salpêtre en fait en un moment.

Il faut mettre ces deux matières ensemble dans un mortier de bronze et les triturer en poudre
subtile, donc il faut faire la lotion avec de l’eau chaude, afin d’en séparer le sel et mettez la

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première lotion à part, pour en faire ce que nous dirons ci-après, et continuez la trituration, la
lotion et l’effusion de la liqueur chargée de la plus subtile poudre, jusqu’à ce que tout le corps
du foie d’antimoine soit passé en poudre impalpable avec l’eau ; il en faut séparer l’eau et le
faire sécher lentement, et on a ce qu’on appelle ordinairement Crocus metallorum, ou le safran
des métaux.

Si on filtre la première lotion, et qu’on précipite cette eau claire avec du vinaigre distillé, il se
fait une poudre rouge, qu’on appelle Sulphur auratum diaphoreticum le soufre autre
diaphorétique, mais cela très improprement ; parce que ce n’est rien autre chose qu’une portion
du soufre externe de l’antimoine, que le sel fixe du nitre tenait dissout et caché en soi, et qui a
été rendu visible et corporel par le moyen du vinaigre distillé ; par la raison que tout ce qui est
dissout par les alcalis, est précité n a par les acides ; et au contraire, tout ce qui a été dissout par
les acides, est précipité par les alcalis. Mais qu’on ne s’imagine pas que ce prétendu soufre auré
soi diaphorétique, et qu’an ne se fie pas sur cela à la parole des Auteurs : car on s’y trouvera
trompé, si on le donne en très petite dose qui n’agira point, au lieu que si on augmente, la dose
il fera vomir avec beaucoup de violence : car ce n’est rien autre chose que du crocus metallorum
fort subtil dont plusieurs font leur vin émétique

Le second crocus metallorum, qu’on croit être celui de Rullandus

Cette seconde préparation n’est pas différente quant à la matière, elle l’est seulement quant au
travail, qui est un peu plus long : car il faut prendre une demie livre de nitre et le faire fondre
dans un creuset, et lorsqu’il sera fondu, il faut le tirer du feu, et éprouver avec une petite
portion d’antimoine en poudre, s’il ne prendra pas feu, lorsqu’on l’y mettra ; si cela arrive, il
faut attendre encore un peu, car il ne faut qu’il s’enflamme ; mais aussitôt que l’Artiste aura
reconnu par l’essai, que le mélange se peut faire sans inflammations, il faut y verser peu à peu
une demie livre d’antimoine en poudre, et le bien mêler avec le nitre fondu avec une spatule de
fer, jusqu’à ce que le tout soit bien mélangé ; lorsque cela sera fait, il faut y mettre le feu avec un
charbon allumé comme à l’autre, et il se fera la même chose.

Or ce mélange et cette observation se font à cause que le nitre en flux se mêle, s’unit et pénètre
beaucoup mieux l’antimoine, que le nitre froid et en poudre, et qu’ainsi la conflagration
emporte beaucoup mieux le soufre impur de l’antimoine, ce qui rend le crocus metallorum
beaucoup moins violent dans son opération, puisque tout ce qu’on appréhende de mauvais de
l’antimoine, provienne de ce mauvais soufre auquel on attribue, quoi qu’assez légèrement, les
vapeurs arsenicales et vénéneuses.

Le troisième crocus metallorum

Le travail de cette troisième préparation est tout à fait différent des deux précédents, mais il
n’en est pas moins estimable : car il se fait une plus longue calcination, et par conséquent une

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plus exacte et meilleure maturation des parties indigestes de l’antimoine, par le moyen des sels
et du feu. Ce qui se fait ainsi. Prenez de l’antimoine bien choisi, du salpêtre bien dépuré et du
sel commun bien net et bien desséché de chacun parties égales, mettez les en poudre chacun à
part, puis faites en le mélange, que vous mettrez dans un creuset luté et couvert avec un
couvercle qui ait un trou au milieu qui soit grand comme le bout du petit doigt, qui servira de
passage aux exhalaisons. Il faut placer le creuset sur un culot au four à vent, et l’entourer de
charbons noirs et vifs jusqu’au haut du couvercle, afin de l’échauffer peu à peu, et lorsqu’il est
une fois échauffé que les vapeurs des sels et du soufre de l’antimoine commencent à pousser
par le trou, il faut augmenter le feu et ouvrir toutes les portes du four à vent, et même y joindre
l’air des soufflets, s’il en est besoin, afin de bien faire fluer les matières dans le creuset et
continuer ainsi jusqu’à ce que les fumées cessent, et même l’augmenter encore durant un bon
quart d’heure, puis laisser refroidir le creuset et le casser après, et vous y trouverez l’antimoine
réduit en une espèce de régule rouge comme du vermillon, au-dessous des sels qui ont surnagé
au-dessus comme des scories ; il le faut casser avec un marteau, le mettre en poudre sans
aucune lotion et le garder au besoin, comme un des meilleurs crocus metallorum pour en faire le
vin émétique : on lui attribue la faculté, d’agir plus par bas que par haut ; il ne laisse pourtant as
de faire vomir, mais c’est avec moins de violence.

On peut se servir de ces trois crocus également au défaut l’un de l’autre, puisqu’ils ont les
mêmes vertus, sinon qu’ils agissent plus ou moins violemment, à quoi on peut remédier en
diminuant la dose. Ils ont la vertu d’ôter toute la douleur de tête, qui provient des impuretés de
l’estomac, même de soulager les épileptiques, les pleurétiques, les mélancoliques, les
maniaques, et ceux qui ont des douleurs vagues et des lassitudes spontanées. Ce sont aussi de
très bons remèdes dans toutes les fièvres, soit dans les continues soit dans les intermittentes. Ils
font merveille contre la peste, contre les douleurs arthritiques, contre la coagulation du sang.
On ne les donne point en substance, mais on en tire la vertu par infusion ou par ébullition, si on
est pressé, avec quelque liqueur fermentée, comme le vin, l’hydromel, le cidre et la bière. La
dose est depuis trois jusqu’à huit, dix et douze grains. Ce sont de plus des remèdes admirables
dans les lavements, si on en met l’infusion depuis un scrupule jusqu’à quatre dans du bouillon
de viande ou dans quelque décoction émolliente ou carminative.

Voilà ce que nous avions à dire sur ce qu’on appelle crocus, à cause de la ressemblance de la
couleur qu’ils ont avec le safran, qui a une teinture solaire : mais ils ne sont pas analogues en
vertu à ce noble aromate des Philosophes : s’est pourquoi c’est improprement qu’on les appelle
les safrans des métaux : car les vrais Artistes ne donnent ce beau nom qu’à cette belle et
excellence préparation des métaux, par laquelle ils sont réduits en une poudre safranée douce et
agréable, qui est leur pur soufre volatile, qui est capable de toutes les vertus que safran, savoir
de concilier le sommeil, d’apaiser les douleurs, de fortifier le cœur et toutes les fonctions de la
vie, d’ouvrir les obstructions, d’être un baume consolidatif, et d’empêcher les accidents des
plaies, de mûrir et de résoudre les duretés et les nodus : or on attribue tous ces effets au safran

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végétale, quoique faiblement : mais le vrai safran des métaux, qui est le vrai crocus
philosophique, possède éminemment et parfaitement toutes les vertus que nous avons énoncées
: car il provoque le sommeil et apaise toutes les douleurs, parce qu’il calme toutes les irritations
de l’Archée, et qu’il en corrige toutes les erreurs, il fortifie toutes les faiblesses naturelles, ôte
toutes les obstructions de tous les viscères très efficacement et en peu de temps arrête aussi et
apaise toutes les colliquations et les flux immodérés enfin il guérit en dedans et en dehors
toutes sortes d’ulcères malins, chancreux, fistuleux et pour le dire en un mot, remédie à tous les
maux auxquels la nature humaine est sujette, parce que c’est un vrai soufre volatile, qui
consomme et qui chasse doucement par la puissance de sa chaleur et de sa lumière interne tout
ce qu’il y peut être resté de mauvais dans les superfluités des plus extrêmes digestions.

Mais ce n’est pas ici le lieu d’en dire davantage, nous avons seulement voulu faire connaître à
l’Artiste, qu’il sera capable de chercher ce noble et divin Crocus, lorsqu’il se sera adonné tout de
bon à l’amour de son Créateur, afin que par le moyen de sa lumière, il puisse pénétrer jusqu’au
profond du cabinet des mystères de la nature et de l’art, qui sont contenus dans le vrai Crocus
des Philosophes.

§. 26. Comment il faut faire l’antimoine diaphorétique.

Si nous avons recommande la purification du salpêtre pour les crocus metallorum, nous la
recommandons encore davantage pour la préparation du diaphorétique, car comme ce remède
est excellent, aussi faut que l’Artiste s’étudie de tout son pouvoir à le faire avec toutes les
circonstances requises. Or le principal de cette opération dépend de la bonté, de la pureté et de
la siccité du nitre, parce que c’est lui qui doit chasser le soufre impur de l’antimoine et qui doit
digérer, mûrir et fixer l’indigestion de son mercure, comme nous le ferons voir dans la suite de
l’opération qui se fait ainsi.

Prenez deux parties de salpêtre très pur et très sec, et une partie d’antimoine bien choisi,
mettez-les en poudre subtile chacun à part, puis les mêlez ensemble ; accommodez un pot de
bonne terre non vernissée ou un bon creuset sur un culot dans le four à vent, et le couvrez ;
entourez-le de charbons noirs et allumés, et jusqu’à peu près du haut, afin d’échauffer ce
vaisseau par degrés, et lorsqu’il sera rouge de tous côtés, il faut souffler dedans pour en faire
sortir les ordures, s’il y en a, puis y verser une demi-cuillerée de ce mélange, et couvrir le pot
avec un couvercle qui soit juste ; aussitôt que la matière touche le pot, elle s’enflamme, et le
salpêtre enlève impétueusement avec soi le soufre impur de l’antimoine, et ce qui reste après
cette détonation ou fulguration se fixe au bas du vaisseau par l’action du sel fixe du nitre et par
celle du feu. Il faut continuer ainsi jusqu’à ce qu’on ait achevé la calcination de l’antimoine, en
le mettant ainsi peu à peu.

Cela étant fait, ajoutez encore une partie de nitre très sec à ce qui est dans le pot, afin qu’il flue
avec la matière, et qu’il en achève la cuite et la fixation par la pénétration et l’action des esprits

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 528

du nitre, qui s’insinuent par leur subtilité jusque dans les moindres atomes du corps de
l’antimoine, et ainsi le cuisent, le lavent et le fixent en une substance blanche et friable après
qu’elle est édulcorée et séchée, il faut encore continuer le feu durant une heure ou deux après
qu’on a mis la dernière partie de salpêtre, puis il faut finir et laisser refroidir les matières et le
vaisseau, il faut bien ôter toutes les impuretés qui, pourraient être autour du pot, avant que de
le mettre tremper dans une terrine, qui soi pleine d’eau bouillante, qui dissoudra peu à peu le
nitre fixe qui forme la masse qui est dans le pot avec le diaphorétique, et cette masse étant
dissoute tout à fait, vous agiterez ce qui sera au fond du vaisseau avec bistortier, et lorsque l’eau
sera blanche comme du lait, il faut la verser dans une autre terrine, après quoi il faut rendre ce
qui restera dans la terrine, et le triturer dans le mortier de marbre, et achever de le laver
toujours avec la même eau, jusqu’à ce que toute la substance antimoniale soit passé en alcool,
comme nous l’avons enseigné en la préparation du crocus metallorum.

Que si on veut avoir plutôt fait, il faut casser le pot au sortir du feu et en retirer la matière, qu’il
faut broyer au mortier de marbre, et la laver avec deux ou trois livres d’eau seulement, jusqu’à
ce que le tout soit passé en alcool. Il faudra retirer cette première eau par inclination aussitôt
qu’elle sera reposée et la mettre à part, et en verser de la nouvelle sur ce qui reste et continuer
jusqu’à ce que l’eau en sorte insipide, après quoi il faut faire sécher le diaphorétique et le garder
à ses usages.

Nous n’avons pas dît fans raison qu’il fallait mettre la première eau qui a fait la dissolution du
nitre fixe à part, parce que ce sel a changé de nature par le soufre de l’antimoine, et qu’il est
devenu de la nature des alcalis et des sels lixiviaux, qui sont d’une nature et d’une essence
subtile, pénétrante et ignée plutôt que corrosive, ce qui est cause qu’il a dissout la plus pure
partie du régule de l’antimoine, qui est chargée de son soufre fixe et solaire, qui est bien cuit et
bien digéré par l’action du nitre et du feu ; et quoique cette eau paraisse claire, cependant elle
est pesante : c’est pourquoi il faut précipiter cette eau avec du vinaigre distillé, et aussitôt elle
devient blanche comme du lait, parce que le diaphorétique qui se trouvait en dissolution dans
cette eau, se manifeste, et n’a pas l’odeur désagréable : au contraire, il sent la crème et le lait
aigrelet, lorsqu’on en fait l’édulcoration, et après la dessiccation, pour s’en servir au besoin.

Or comme nous avons dit que la précipitation de ce diaphorétique sentait bon à cause de la
fixité de son soufre interne, il faut aussi que nous fassions voir, que celle que l’on fait du soufre
auré prétendu, dont nous avons parlé ci-devant, avec du vinaigre distillé, sent très mauvais,
parce que ce n’est que le soufre externe, impur et volatile que le sel avait attiré à soi, à cause
qu’il n’était pas suffisant pour l’enlever ni le chasser, et moins encore pour le fixer, puisqu’il n’y
avait que partie égale de nitre et d’antimoine pour faire le crocus metallorumm ; au lieu que dans
la préparation du diaphorétique, il y a d’abord deux parties de nitre contre une d’antimoine, et
que de plus on en ajoute encore une après que la fulguration ou détonation est faite, qui achève
de mûrir et de fixer ce qu’il pouvait y avoir encore de cru, et d’indigeste.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 529

Nous avons jugé à propos d’ajouter ceci, afin de faire d’autant mieux connaître à l’Artiste que ce
qui doit fixer, doit toujours être au triple de ce qui doit être fixé, et au contraire, que ce qui doit
être volatilisé, doit être moindre de trois parties que ce qui doit volatiliser : et même on va
jusqu’à quatre contre un, comme quatre onces d’esprit pour volatiliser une once de sel, et quatre
onces de sel pour fixer une once d’esprit, ce qui passe pour un axiome fondamental en Chimie.

La dose du diaphorétique corporel et grossier, est depuis quatre grains jusqu’à trente ; et celle
de celui qui a été précipité est depuis trois grains jusqu’à vingt. La vertu de tous les deux est
très recommandable dans la Médecine : car quoique nous les appelions fixes, ce n’est pourtant
que par comparaison, à cause des remèdes antimoniaux, qui font vomir et qui purgent avec
violence : mais le diaphorétique agit par une éradiation de vertu et d’efficace qui est presque
inconcevable, parce qu’il fortifie doucement et naturellement l’Archée, qui est le directeur
principal de toutes les fonctions de la vie, soit durant la santé, soit dans la maladie ; c’est
pourquoi il en faut continuer l’usage durant le temps du mois philosophique, parce que durant
ce terme, il est capable d’altérer et de changer en mieux tout ce qui nuit et empêche la liberté
des actions de cet archée principal.

Mais si on en fait l’application et l’appropriation aux maladies particulières, et aux parties du


corps, nous dirons que le diaphorétique d’antimoine est un remède sans pareil pour résister à la
corruption qui se peut faire au corps, qu’il mondifie et qu’il rectifie route la masse du sang, qu’il
est capable d’ouvrir les obstructions les plus invétérées du foie, de la rate, du mésentère, du
pancréas et celles même de toutes les autres parties : qu’il remédie à la rétention des mois et aux
pâles couleurs, à l’hydropisie, à la mélancolie hypochondriaque, à la vérole et à ses accidents ;
qu’il mondifie et qu’il guérit les ulcères internes et externes, qu’il rompt les abcès du dedans
sans danger, et qu’enfin il est très bon contre les fièvres malignes, contre le pourpre, contre la
rougeole et contre la petite vérole.

Quoique le diaphorétique soit un remède presque général, cependant il y en a qui croient le


particulariser et le spécifier à quelques parties et à quelques maladies en joignant des métaux,
comme l’or, l’argent, l’étain, le cuivre ou le fer à l’antimoine, ou à son régule avant de le calciner
avec le nitre, et prétendent ainsi le rendre cordial, céphalique, stomachique, splénetique ou
hépatique : mais nous croyons que ces métaux ne font pas assez ouverts par cette simple fonte
avec l’antimoine pour communiquer si facilement leur vertu qui réside proprement dans un
soufre centrique qui ne se tire pas facilement, et comme l’antimoine est un minéral qui à un
soufre moins lié et moins fixe, il se faut contenter de ce que la nature et l’art nous fournissent si
libéralement avec une vertu si ample et si étendue.

§. 27. Du Régule d’antimoine.

Nous avons déjà dit ci-devant que le régule d’antimoine n’est rien autre chose qu’un antimoine
dépuré, comme le cristal de tartre n’est qu’un tartre purifié ; mais il faut que cette purification se

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fasse sans tartre, à cause que l’alcali qui se forme de la calcination du tartre et du nitre, est un
sel mêlé, qui extrait et qui dissout les soufres les plus fixes et les plus intimes des mixtes,
comme cela parait par les fèces qui surnagent le régule qui est fait avec le tartre, qui sont hautes
en couleur, et par le peu de régule qu’on en tire par ce moyen.

Mais, on pourra dire que l’Artiste ne doit pas tant rechercher la quantité que la qualité, et que
quoiqu’il en trouve davantage avec une autre façon de travailler, il doit cependant se, tenir à
celle qui en donne le moins, parce qu’on le croit plus pur et plus ouvert. Pour répondre à cet
argument, il faut que nous posions premièrement que nous nous servions du mars pour faire le
régule, afin d’établir que le fer ou l’acier sont des agents capables d’attirer à soi le soufre impur
et combustible de l’antimoine, à cause de la sécheresse, de la porosité et de la terrestréité du
mars qui est avide de se fournir de ce donc il a besoin, et qu’il le tire à soi par tout où il le
rencontre : comme nous en avons donné une preuve, lorsque nous avons décrit-la purification
du fer pour le convertir en acier par le moyen du soufre gras, volatile et onctueux des cornes de
bœuf. De plus le nitre cause une inflammation subite et une fusion qui élève par une ébullition
et comme par une fermentation instantanée tout le mars, les impuretés terrestres et le soufre
externe de l’antimoine ; de force que la seule partie réguline et mercurielle de l’antimoine
demeure en flux au fond du creuset, qui possède en soi son soufre fixe et solaire, qui a tiré à soi
par sympathie et par analogie de substance l’âme du mars, qui est son soufre pur. Ainsi
l’Artiste doit considérer que nous conservons dans cette opération le plus pur de l’antimoine, et
que nous en chassons seulement l’impur, et que de plus, nous joignons encore à ce pur un autre
soufre qui n’est pas de moindre efficace que celui qu’il contient en soi : au lieu qu’avec le tartre
on ne manque jamais de dissoudre et d’extraire le pur et son soufre, qu’il faut nécessairement
conserver si on veut réussir à bien faire des autres opérations qui en résultent avec la vertu
qu’on y désire, qui peut venir que de ce pur mercure et de son soufre. Tout cela nous fait
conclure à donner la description du régule qui va suivre.

§. 28. Comment il faut bien faire le régule d’antimoine.

Prenez une demie livre de pointes de clous à ferrer les chevaux, ou une demie livre de limaille
de fer ou d’acier qui soit bien nette, mettez-la dans un bon creuset qui soit un peu grand et
profond, placez le sur le culot au four à vent ; couvrez-le d’un morceau de brique et
l’ensevelissez de charbon noir mêlé de charbons vifs, afin qu’ils s’allument peu à peu, et que
cela serve de recuite au creuset, et lorsque le feu sera bien allumé que l’Artiste verra que le mars
est en une ignition rouge, et claire, en sorte qu’elle tire sur le blanc, il faut alors y ajouter une
livre d’antimoine bien choisi en poudre, puis recouvrir le creuset de la brique et de charbons,
afin de hâter la fonte et l’union des deux matières, et lorsque cela se connaîtra par la fréquente
inspection de l’Artiste, il apprêtera le cornet à régule, s’il en a le tiendra chaud et le frottera de
cire jusqu’au fond, puis il jettera dans le creuset trois ou quatre onces de nitre, qui soit réduit en
poudre grossière, et qui fort très sec et un peu échauffé, afin qu’il s’enflamme plutôt avec le

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soufre de l’antimoine, et que la fusion en soit plus prompte et plus nette, car dès que le nitre est
dans le creuset, il se fait une ébullition des matières avec un bruit et des étincellements qui
viennent de l’air du nitre, et du mélange du soufre avec le mars ; mais il faut que l’Artiste
prenne bien garde d’être prêt avec des tenailles pour tirer le creuset et verser les matières dans
le cornet, aussitôt que l’ébullition est passée, autrement il se ferait une croûte au-dessus qui en
empêcherait le jet, et qui se fond aussi très difficilement.

Aussitôt que les matières sont dans le cornet, il faut frapper sur son bord avec un pilon ou avec
un marteau pour mieux faire la séparation du régule ; mais si l’Artiste n’est pas fourni de cet
instrument, il se contentera de tirer aussitôt le creuset du feu, et de le poser sur une brique un
peu chaude, et frappera doucement sur le bord et le laissera refroidir.

Il serait pourtant nécessaire qu’il eût un cornet dans son laboratoire, parce qu’il ne sera pas
obligé de rompre son creuset qui lui servira aux autres fontes pour la purification du régule, et
que de plus il ne perde pas tant de temps ni de feu inutilement, car il fera ses quatre fontes de
suite et dans un même vaisseau.

L’un des deux vaisseaux étant refroidi, il faut ou renverser le cornet, et frapper contre la terre
pour en faire sortir le régule, ou casser le creuset, et on trouvera une masse qui semblera
uniforme ; mais il faut frapper dessus vers le milieu, et le régule qui est au bas se séparera des
fèces qui font au-dessus, qui ne sont rien autre chose que le mars, le soufre et les impureté
terrestre de l’antimoine avec très peu de nitre, qui composent aussi une masse compacte à part,
qui se résout de jour en jour à l’air, en une poudre sèche qui ressemble à de la limaille de fer qui
est sale et terrestre.

Le régule n’est pas encore assez pur à la première fonte ; c’est pourquoi il faut le mettre en
poudre, et y ajouter trois onces de nouvelle poudre d’antimoine cru, afin d’en accélérer la fonte,
et le mettre dans un nouveau creuset, pour le faire fluer ensuite au feu du four à vent, et
lorsqu’il paraîtra en flux, il y faut jeter deux ou trois onces de nitre très sec et chauffé en poudre,
et il se fera encore une petite ébullition jetez-le aussitôt dans le cornet et frappez dessus, séparez
le régule des scories noirâtres et impures, et il sera le double plus pur et plus blanc. Continuez
la troisième fois de même, et les scories seront plus grises ou blanchâtres ; ce qui témoigne qu’il
s’approche du point de la pureté ; c’est pourquoi il faut encore la quatrième fonte et toujours
avec du nouveau nitre sec et chaud, et donner feu très violent cette dernière fois, afin que le
nitre flue comme il faut, et qu’il fasse l’œil de perdrix ; jetez-le promptement et agitez le cornet,
qui aura été bien chauffé en rond, et vous aurez un régule étoilé jusqu’à son centre, qui est blanc
comme de l’argent, et qui commence à faire connaître sa teinture solaire : car le nitre qui a flué
au-dessus, est tout jaune, ce qui est une marque infaillible avec l ‘étoile qui est au-dessus, que le
régule est au point de sa pureté et de sa perfection, pour être employé à la préparation des bons
remèdes qu’on prétend tirer de l’antimoine.

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Si l’Artiste veut avoir la curiosité, il peut faire mouler des gobelets et des coupes de ce régule,
comme aussi des balles de petit calibre, et il aura ce qu’on appelle pocula perpetua, et pilulae
perpetuae, des coupes et des pilules perpétuelles, qui ne s’épuisent jamais de leur vertu
purgative et vomitive, quoiqu’on mette tous les jours du vin en infusion dans les coupes, ou
qu’on fasse avaler tous les jours une pilule, qu’on peut rechercher dans les selles, et la laver
pour s’en servir à de semblables usages, comme l’expérience le témoigne tous les jours, ce qui
prouve bien évidemment que l’antimoine participe autant ou plus, que pas un autre mixte, de la
lumière et du feu céleste, qui ne diminue jamais de vertu, quoiqu’il envoie tous les jours ses
rayons et sa chaleur : or ce n’est aussi que par une éradiation de vertu que ces coupes et ces
pilules agissent et c’est aussi par l’irradiation et par l’influence supérieure ignée et sulfurée de la
substance qui les compose, que leur vertu est comme miraculeusement refournie.

§. 29. La calcination solaire de l’Antimoine.

Nous avons fait voir ci-dessus que les calcinations de l’antimoine avec le nitre l’ouvraient, le
purifiaient et le fixaient : ce qu’il ne pourrait faire, si ce sel ne participait tout à fait de la lumière
qui se trouve corporifiée eu lui : mais il faut que nous fassions voir ici pathétiquement, que le
Soleil, qui est le père et la source de la lumière qui engendre le nitre, purifie et fixe l’antimoine
beaucoup mieux et plus efficacement que nitre ne le peut faire, ce qui est une calcination
véritablement philosophique et digne d’un Artiste curieux rechercher les merveilles de la
nature et de l’art. Or ceux qui ne savent pas les beaux effets du feu magique et céleste, qui se
tire des rayons du soleil par le moyen du miroir ardent, pourront à peine croire ce que nous
avons à dire et à démontrer à ce sujet.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 533

Ce digne feu conserve et multiplie l’antimoine, au lieu que le feu commun et les sels le changent
et le détruisent. Ce que nous prouvons ainsi. Si l’Artiste prend douze grains d’antimoine
minéral ou commun, qui soient réduit en une poudre impalpable, et qu’il les calcine au feu
ordinaire ou par le sel, il pousse une fumée d’une couleur et d’une odeur désagréable, qui a du
poids, car si cette fumée était reçue dans des vaisseaux sublimatoires, on y trouverait des fleurs
qui ne sont que l’antimoine météorisé, comme nous le ferons voir, lorsque nous parlerons de la
sublimation de ce minéral, ce qui fait que l’antimoine se trouve diminué de cinq ou six grains,
lorsque la calcination est poussée jusqu’en une poudre grise ou blanche, qui est encore
purgative et vomitive. Mais si on calcine le même poids d’antimoine avec le miroir ardent, qui
concentre les rayons de la lumière du soleil pour la faire agir sur la matière, ce minéral jette
aussi des vapeurs, comme lorsqu’on le calcine au feu commun, et par conséquent il devrait
aussi diminuer de la même quantité, ce qui ne se fait pourtant pas, car lorsque la calcination a
été souvent réitérée, et que l’antimoine est converti en une poudre blanche, on en trouve quinze
grains au lieu de douze, et par conséquent il est augmenté de la moitié, puisque les vapeurs qui
en ont été exhalées, le devrait avoir diminué d’autant : mais ce qui est encore plus merveilleux
et moins concevable c’est que ces quinze grains de poudre blanche ne sont ni vomitif ni

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purgatif, au contraire ils sont diaphorétiques et cordiaux ; ce qui cause avec quelque raison
l’étonnement des plus intelligents et des plus sensés Physiciens.

Il faut pourtant cesser d’admirer, lorsqu’on a connu et compris que la lumière est ce feu
miraculeux qui est le principe de l’antimoine, et que c’est elle aussi qui la préparé. Ce qui
montre que ce noble minéral possède un aimant naturel en soi, d’attirer du plus haut des cieux
ce noble semblable qui l’a produit, et qui lui fournit sa vertu. La calcination solaire se fait donc
de la sorte.

Il faut que l’Artiste ait un miroir ardent qui soit de trois quarts de pied de diamètre, qu’il soit de
deux pièces jointes ensemble, dont les deux concaves soient unis et les deux convexe en dehors
et qu’il ait un trou pour emplir la concavité avec de l’eau claire ; car ce miroir concentrera plus
les rayons, et calcinera mieux que s’il était d’une seule pièce, et qu’il fût plus large de diamètre.
Ce miroir doit être bien collé avec de la colle de poisson, afin que l’eau n’en puisse sortir, et il
doit être ajusté sur un pied qui ait une vis, qui le puisse faire monter et baisser selon la nécessité
; il faut qu’il ait de plus des lunettes d’un verre qui soit vert, afin de conduire la pointe des
rayons sur l’antimoine, et qu’il le puisse remuer, à mesure qu’il se calcine ; autrement la vivacité
de cette lumière endommagerait et ruinerait sa vue. Il faut placer l’antimoine sur un porphyre
bien poli, et avoir une molette auprès de soi pour le broyer, lorsqu’il est en grumeaux,
l’antimoine doit être en poudre la plus subtile qu’on puisse faire, il faut avoir grand soin de
conduire la lumière, de remuer la matière et de la broyer, et continuer ainsi jusqu’à ce quelle
soit réduite en une poudre blanche, qui ne s’assemble plus en grumeaux, et qui ne fume plus
lorsque l’on y fait darder la lumière, ou qu’on la met sur un morceau de fer rouge et étincelant,
ce qui est la preuve de la fixité.

On peut calciner beaucoup mieux et beaucoup plutôt le régule étoilé, que l’antimoine ordinaire.
Et de diaphorétique en sera plus efficace et meilleur. La dose en est depuis deux grains jusqu’à
douze, pour s’en servir contre toutes les maladies que nous avons dites ci-devant, et on
connaîtra par les effets, que ce remède est sans comparaison plus excellent que le diaphorétique
ordinaire. La figure qui ici est jointe, démontrera tout ce qui appartient à cette opération,
beaucoup plus clairement qu’elle ne se peut décrire. Et ainsi nous finissons les produits de la
calcination sèche de l’antimoine, et nous passons à la calcination humide qui est la précipitation.

§. 30. De la calcination humide de l’Antimoine.

Il n’est pas nécessaire que nous répétions inutilement ici ce que nous avons dit, lorsque nous
avons traité des précipités du mercure, parce que c’est plutôt un calciné qu’un précipité ; c’est
pourquoi nous renvoyons l’Artiste à ce que nous en avons dit ci-devant. Nous donnerons deux
exemples de ces prétendus précipités, afin de mieux instruire l’Artiste sur toutes les manières
de travailler, qui sont capables d’élever son esprit à des choses plus sublimes et plus hautes,
dont ces préparations ne son proprement que les rudiments.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 535

Le premier précipité de l’antimoine.

Prenez autant que vous voudrez d’antimoine bien choisi, mettez-le en poudre grossière, jetez le
dans un matras qui ait le col long et large, et versez dessus peu de l’eau régale qui soit bonne,
en agitant doucement la matière, jusqu’à ce que le menstrue surnage de trois doigts : mais il
faut prendre garde à l’action du dissolvant, mettez le vaisseau en digestion aux cendres à une
chaleur égale, jusqu’à ce que vous voyez que l’antimoine paraisse au bas du vaisseau en une
chaux blanche ; alors versez le tout dans une retorte et retirez l’eau régale par distillation au
sable, jusqu’à ce que la poudre qui sera au bas soit bien sèche : il faut alors digérer cette chaux
dans de l’eau de pluie distillée, et la bien édulcorer avec de la nouvelle eau, et la faire sécher
lentement.

Après quoi, mettez la dans un creuset et la réverbérez durant six, sept ou huit heures, ou
jusqu’à ce que sa couleur soit changée et exaltée en rougeur. Si on veut épargner son feu et sa
peine, on peut mettre cette chaux dans un creuset, qui soit couvert et bien luté, et le mettre
réverbérer dans le four de Potier de terre durant tout le temps qu’il cuira son ouvrage.

Ce précipité rouge purge très heureusement les sérosités jaunes et âcres qui séjournent
ordinairement au fond de l’estomac et aux parties circonvoisines, qu’il évacue très bien par haut
et par bas. Ce n’est pas qu’il soit violant ne purgatif de soi-même : car il opère autrement en
ceux qui ne sont pas farcis de ces sérosités superflues, et qui n’ont pas la fermentation du
ventricule viciée : il agit en eux par les sueurs, par les urines ou par la transpiration insensible.
La dose est depuis un grain jusqu’à huit, dans des conserves cordiales ou dans la gelée de
quelques fruits.

Le second précipité de l’Antimoine.

Prenez autant que vous voudrez d’antimoine qui soit bien choisi, broyez-le en poudre, que vous
mettrez dans un matras, et versez dessus de l’eau régale jusqu’à ce qu’elle surnage de deux
pouces ; placez le vaisseau aux cendres, et l’agitez de temps en temps, afin de faciliter la
dissolution : vous la retirerez par inclinaison bien purement, ou la filtrez dans un entonnoir de
verre avec du verre grossièrement pilé : versez la filtration dans une cornue, et distillez
lentement au sable jusqu’à sec : versez sur la poudre qui reste, de l’eau de pluie distillée, et
digérez au bain-marie jusqu’à ce qu’elle soit teinte d’une couleur rouge ; séparez ce qui est teint,
et continuez la digestion et l’extraction avec de nouvelle eau, jusqu’à ce qu’elle ne tire plus de
couleur, assemblez toutes les teintures et les filtrez, puis retirez l’eau aux cendres par une lente
distillation jusqu’à sec dans une cucurbite : versez sur ce qui reste de très bon vinaigre distillé,
et en faites encore l’extraction, jusqu’à ce que le vinaigre ne se colore plus, filtrez la teinture et
jetez les fèces blanches qui restent : retirez le vinaigre aux cendres lentement jusqu’à sec, ou
plutôt seulement jusqu’en consistance d’un sirop épais, sur lequel vous verserez de l’esprit de
vin tartarifié, lutez bien le vaisseau avec se rencontre, et le mettez digérez et extraire au bain

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 536

vaporeux durant trois semaines, et vous aurez une teinture belle et rouge que vous filtrerez et
rejetterez encore les fèces, vous retirez l’esprit de vin à la très lente chaleur du bain-marie
jusqu’à sec, et vous aurez une poudre ou un précipité qui n’est pas des moindres préparations
de celles qui se tirent de l’antimoine.

C’est un remède souverain contre la vérole et contre le scorbut, mais surtout il n’y en a guère de
pareil pour dissoudre le sang caillé, et pour résoudre et faire évacuer les abcès internes et la
matière qu’ils contiennent, sans aucun danger. La dose est depuis un demi-grain jusqu’à quatre,
ou cinq grains dans quelque eau ou dans quelque esprit cordial et stomachique, ou en bol dans
quelque confection ou dans quelque conserve.

§. 31. La sublimation de l’Antimoine.

Cette opération est une des plus nécessaire est une des plus nécessaire pour ouvrir le corps de
l’antimoine, et pour commencer à mûrir les substances indigestes qui sont en lui. Or il faut que
l’Artiste apprenne, que quand Paracelse parle de réduire l’antimoine en alcool pour la
préparation de son Lili, il n’entend pas de le faire triturer sur le marbre, pour le réduire en une
poudre impalpable, mais il veut une autre trituration, qui est beaucoup plus philosophique, qui
est sa météorisation et son exaltation en vapeurs par le moyen du feu, qui n’est rien autre chose
que la sublimation : car il faut remarquer que ce grand et merveilleux Artiste demande que tout
le corps de l’antimoine passe, sans qu’il reste aucune petite portion de son soufre ni de son
mercure : ce qui ne se peut faire par aucune autre voie que par la sublimation. La sublimation
fournit les fleurs et le cinabre. Nous parlerons dans la suite.

§. 32. Comment il faut faire les fleurs d’Antimoine.

Il faut placer au four à vent un pot de terre qui ne soit point vernissé, mais cependant d’une
bonne matière, qui puisse résister longtemps au feu ; il doit y avoir quatre trous autour du pot
pour mieux évaporer le feu ; il faut luter sur ce pot un autre pot qui reçoive le bord de celui de
dessous, et que ce pot soit percé au cul de la largeur de trois ou de quatre pouces de diamètre,
et qu’il soit aussi percé à côté d’une ouverture d’un pouce de diamètre, afin de pouvoir jeter
l’antimoine dans le premier pot. Après cela, ajustez encore trois ou quatre autres pots sur ces
deux premiers, et qu’ils soient percés par le cul comme le second, mais que le dernier n’ait
qu’un trou de la grosseur du bout du doigt qu’on puisse fermer avec un bouton de terre. Mais
que ce bouton soit juste, et qu’il serve à fermer le trou par où on jettera l’antimoine. Les pots
étant bien lutés et le lut séché, il faut donner le feu doucement d’abord, puis l’augmenter
jusqu’à ce que le premier pot rougisse de tous les côtés, et alors il faut commencer à y jeter deux
drachmes d’antimoine en poudre à la fois et non pas d’avantage, il faudra en jeter autant de
demi-quart d’heure en demi-quart d’heure, et entretenir toujours le feu, afin que le pot rougisse
de plus en plus. L’Artiste continuera autant qu’il voudra l’opération, et il trouvera l’antimoine
sublimé en fleurs grises, blanches, jaunâtre et quelquefois rouges, selon qu’il aura gouverné son

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feu. On ne se sert pas beaucoup de ces fleurs pour purger les malades, à cause de leur violence,
c’est proprement le soufre de l’antimoine, mais elles servent pour en faire d’autres remèdes,
lorsqu’elles sont corrigées. On en peut néanmoins donner depuis deux grains jusqu’à quatre, et
à six aux personnes les plus robustes, dans de la conserve de roses, ou en infusion dans du vin
blanc. Mais ceux qui voudrons se servir des fleurs d’antimoine sans en appréhender la violence,
en sublimerons les fleurs, comme nous allons enseigner.

§. 33. Les fleurs du régule d’antimoine.

Nous prenons du régule d’antimoine pour cette opération, parce qu’il est déjà privé de la plus
grande partie de son soufre impur, et que de plus le sel armoniac qu’on y ajoute, n’élève avec
soi que le soufre et le mercure le plus pur de l’antimoine.

Prenez donc une demi-livre de beau régule d’antimoine, et autant de sel armoniac très pur,
mettez les en poudre chacun à part et les mêler exactement, mettez les dans une cucurbite au
sable, couvrez-la de son chapiteau, adaptez-y un matras pour récipient ; luttez et donnez le feu,
jusqu’à ce que ce qui peut monter soit monté. Retirez les fleurs qui seront jaunes et les
édulcorez avec de l’eau de pluie distillée, et vous aurez un remède excellent, qui n’a point la
violence qu’ont les simples fleurs.

On en donne aux maniaques, aux mélancoliques, et à ceux qui ont la fièvre quarte. La dose est
depuis deux grains jusqu’à six dans de la conserve de rose, ou en infusion dans quelque liqueur
fermentée.

Notez que si on fait fluer les fleurs simples d’antimoine avec le double de leur poids de salpêtre
très pur dans un creuset au feu, et qu’on les édulcore ensuite, puis qu’on les digère dans de
l’esprit de vin durant quinze jours, et qu’on l’enflamme après dessus, qu’il reste une poudre
diaphorétique qui est merveilleuse pour la purification du sang, dont la dose est depuis quatre
grains jusqu’à dix ou douze gains. Or comme les fleurs d’antimoine simple et bien blanches
sont un remède admirable dans les maladies les plus enracinées, et que leur violence empêche
qu’on ne s’en serve, il en faut enseigner la véritable correction.

§. 34. La correction des fleurs d’Antimoine.

Prenez une once de fleur d’antimoine qui soient bien subtiles et bien blanches, mêlez-les avec
une once et demie de sel de tartre de Sennert, mettez ce mélange dans un bon creuset, et les
faites fondre à force de feu au four à vent, et il s’en fera une masse rouge, qu’il faut mettre en
poudre dans un mortier chaud, et y ajouter du magistère de perle soluble et de celui de corail,
de chacun une drachme et demie. Il faut mettre cette poudre dans un matras, et verser dessus
de l’esprit de vin aromatisé jusqu’à l’éminence de quatre doigts, et boucher le matras avec un
autre matras de rencontre, que vous ferez digérer aux cendres lentement durant trois jours
naturels ; puis il faut versez-le tout dans une petite cucurbite et retirer l’esprit de vin jusqu’à

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sec, à la lente chaleur du bain-marie, et on aura un antimoine bien corrigé et bien agréable, qu’il
faut garder pour l’usage dans une fiole bien bouchée, autrement il se résoudrait à l’air.

On le donne dans de la conserve ou dans du vin, depuis quatre grains jusqu’à seize, contre
toutes les maladies invétérées, et principalement contre les plus fortes et les plus opiniâtres
impressions de la mélancolie, contre les fièvres intermittentes et contre toutes sortes
d’obstruction. Son action se fait différemment selon les matières qu’il rencontre dans l’estomac,
car il fait quelquefois vomir, mais non pas toujours. Il purge par les selles et par les urines ; mais
son principal et son meilleur effet arrive par la transpiration insensible, à cause qu’il fortifie par
l’éradiation et par l’écoulement de sa vertu toutes les digestions, et fait que l’archée chasse et
pousse du centre à la circonférence tout ce qui est nuisible à l’économie de la santé et de la vie.

§. 35. Comment il faut faire l’esprit de vin aromatisé.

Prenez du galanga, du girofle, de la cannelle et du macis de chacun deux drachmes, du safran


une drachme, de l’ambre gris, un scrupule et six grains de musc, mettez le tout en poudre et le
mêlez, faites-en l’extraction dans un vaisseau de rencontre avec de très bon esprit de vin
alcoolisé, retirez la teinture et en continuez l’extraction, jusqu’à ce que l’esprit de vin n’en tire
plus rien, joignez le tout et le gardez dans une bouteille, comme un grand confortatif pour le
cœur, pour le cerveau et pour l’estomac aussi, aussi bien que pour la digestion et la correction
des remèdes chimiques, et particulièrement de ceux qui se tirent du mercure et de l’antimoine.

Nous ne parlerons pas ici du cinabre ou vermillon de l’antimoine, quoiqu’il se fasse par la
sublimation, à cause que nous réservons de la dire ci-après, lorsque nous décrirons la
distillation du beurre ou huile glaciale de ce minéral, car une de ces opérations ne se peut faire
sans l’autre.

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§. 36. La distillation de l’antimoine, qui fournit le vinaigre ou l’esprit acide, l’huile et


l’esprit de l’antimoine.

Il faut que l’Artiste se fournisse de patience pour la distillation du vinaigre d’antimoine, car
outre qu’on en tire très peu, c’est que de plus il faut y employer beaucoup de temps et
beaucoup de circonspection ; mais comme on trouvera dans les Auteurs que cet acide extrait
son propre corps, il est nécessaire qu’on sache une bonne mécanique pour la distiller : ce qui se
fera de la manière qui suit.

La distillation du vinaigre d’antimoine.

Vous prendrez de l’antimoine minéral en poudre grossière, et mettrez environ une once dans
des pots de terre qui soient faits comme de petites coupelles, qu’il faut agencer en échiquier les
uns sur les autres dans une grande capsule de terre, puis il faut la couvrir d’une pareille
capsule, la bien lutter et la lier avec du gros fil de fer, placez-la au réverbère clos, et lui adaptez
un grand récipient : donnez le feu durant vingt quatre heures, comme pour la distillation de
l’esprit de sel ou de vitriol : après quoi, faites cesser le feu et ouvrez les vaisseaux, gardez
l’esprit acide qui sera en très petite quantité ; puis remettez de l’antimoine dans les petits pots ;
recommencez, et continuez tant que vous ayez assez de cet esprit ou pour le travail que vous
voudrez entreprendre, ou pour vous en servir en Médecine.

Mais il faut que l’Artiste mette toujours à part l’antimoine minéral, lorsqu’il a été distillé, et
qu’il l’expose à un air ouvert : car il attirera de l’influence des astres et de l’air, de quoi fournir à
la distillation au bout de six semaines ou deux mois, et ainsi il n’aura besoin que de sept ou huit
livres d’antimoine minéral pour la distillation de cet esprit, parce qu’il en aura toujours du prêt
pour s’en servir à la même opération.

Cet esprit acide sert à l’extraction de la teinture de son propre corps : voilà pourquoi il ne faut
pas que l’Artiste se laisse surprendre, lorsqu’il trouvera dans les plus célèbres Auteurs, qui ont
traité de l’antimoine, qu’il faut l’extraire avec du vinaigre, mais il doit savoir qu’ils demandent
du vinaigre qui a été tiré de l’antimoine sans addition.

Cet acide est excellent pour rafraîchir toutes les intempéries des parties du corps, et
principalement les ébullitions du sang ; c’est pourquoi on l’emploie avec un très heureux succès
dans les fièvres continues, malignes, chaudes et putride : car il pénètre le corps et apporte un
grand rafraîchissement aux pauvres malades : il en faut mêler avec l’eau d’alléluia, ou
seulement dans de l’eau commune avec un peu de sirop du suc d’alléluia. La dose est jusqu’à
une agréable acidité. Outre son usage intérieur, il est encore admirable pour l’extérieur : car il
ôte le feu et l’inflammation des brûlures qui ont été faites avec la poudre à canon, si on le mêle
avec du sel de Saturne dans de l’eau, et qu’on l’applique avec des compresses, et qu’on en fasse
un nutritum ou un liniment avec l’huile, afin d’en oindre les parties brûlées, et on ne manquera

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pas d’en voir des effets notables. Nous donnerons dans l’addition du tome V, une autre manière bien
moins difficile de faire le vinaigre d’antimoine tiré de Basile Valentin.

La distillation de l’huile ou du baume de l’antimoine.

Prenez parties égales de sucre candi blanc et d’antimoine bien choisi, broyez les chacun à part et
les mêlez exactement, mettez-les dans une cornue, et placez par-dessus une poignée de chanvre
bien nette, afin d’empêcher que la matière ne passe en corps dans le récipient, lorsqu’elle s’élève
et qu’elle fait son ébullition, qu’on ne peut empêcher autrement qu’avec cette filasse. Placez
cette cornue au réverbère clos et lui adaptez un bon récipient ; commencez le feu doucement et
le continuez en l’augmentant peu à peu, jusqu’à ce que l’Artiste connaisse qu’il ne passe plus de
gouttes ni de vapeurs. Laissez refroidir les vaisseaux, et versez ce qui sera dans le récipient dans
un matras, ajoutez-y de l’esprit de vin tartarifié jusqu’à l’éminence de trois doigts, et les digérez
ensemble au bain vaporeux durant trois ou quatre jours, filtrez le tout à froid par le coton dans
une petite cucurbite, que vous placerez au bain-marie, et en retirerez l’esprit de vin, gardez
cette huile ou ce baume dans une fiole pour le besoin.

C’est un excellent baume pour la guérison subite et comme miraculeuse des plaies récentes, des
ulcères et des contusions, si on l’applique simplement dessus ou dedans avec des plumaceaux
ou avec du coton. Mais c’est encore un remède surprenant contre les fièvres intermittentes et
principalement contre les quarte, pour la cure desquelles on en fait des pilules qui suivent.

§. 37. Les pilules contre les fièvres.

Prenez une once de baume d’antimoine, une demi-once d’aloès purifié par le suc de chardon
bénit et réduit en extrait, deux drachmes d’ambre gris et une drachme de teinture de bon safran,
épaissi et évaporé en sirop épais : réduisez-le tout en une masse dont on puisse former des
pilules, que quelques uns appellent du Laudanum mercuriel, et contre les fièvres. La dose est
depuis quatre grains jusqu’à seize dans de la conserve de pleurs de souci ou dans celle de roses.
Elles purgent doucement par le bas et provoquent quelquefois la sueur, ou agissent par une
insensible transpiration.

§. 38. La distillation du beurre ou de l’huile glaciale de l’antimoine.

Il est nécessaire que nous donnions quelques remarques sur cette opération avant que de la
décrire : car elle a été faite de tant de façons, et les Auteurs en ont eu jusqu’ici des sentiments si
différents que l’Artiste aurait beaucoup de peine à se fixer à ce qu’il doit en croire. Car ils ont
crû premièrement que le mercure sublimé contribuait beaucoup à la vertu purgative des remèdes
qu’on prépare de cette huile, et que la substance du mercure passait et faisait partie de cette
huile, ce qui néanmoins n’est ni vrai ni probable, comme le prouve clairement la sublimation du
mercure avec le soufre de l’antimoine, et le reste de ce mercure qui se revivifie en corps d’argent
vif coulant ou dans la cornue ou dans le récipient : que si cette huile se fait avec le régule de

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l’antimoine, il ne se fait aucune sublimation, à cause que le régule est privé de son soufre
externe et grossier ; mais tout le mercure se revivifie en son même poids, à la réserve des esprits
des sels, qui l’ont abandonné pour agir sur l’antimoine et le dissoudre pour le faire passer en
beurre. Mais la preuve en est encore plus convaincante, lorsque les Artistes prendront la peine
de réduire la poudre émétique qui se fait de ce beurre en régule avec du sel de tartre et du nitre,
ce qui prouve que cette poudre n’est que pur antimoine. Et la plus sure et dernière preuve est,
qu’on peut faire du beurre d’antimoine sans y employer de mercure sublimé : car si on se sert
simplement du vitriol, du sel commun et de l’antimoine, on tirera une huile glaciale qui sera de
même nature que celle qui sera avec le sublimé, hormis qu’elle ne sera pas si subtile, parce que
les esprits de ces substances grossières ne sont pas capables de bien pénétrer ni de bien
dissoudre l’antimoine, comme les esprits qui sont coagulés avec le sublimé corrosif.

La seconde remarque est pour la dose du sublimé : car quelques-uns en prennent parties égales,
d’autres le double, et d’autre plus ou moins ; mais comme il faut que l’Artiste fasse ses
opérations sans hésiter, et avec connaissance des matières qu’il emploie et de leur action l’une
sur l’autre, il doit poser, pour axiome indubitable, qu’il faut toujours que le dissolvant qui est
l’agent prédomine en poids sur le dissoluble, et qu’ainsi il ne manquera jamais de bien réussir,
s’il prend trois parties contre une. Il y en a qui mettent cette opération au rang de celle du
mercure, et l’appellent mercure de vie : mais nous l’avons voulu mettre parmi celles de
l’antimoine, pour les raisons que nous avons rapportées ci-dessus. Elle se fait donc ainsi.

Prenez une livre d’antimoine bien choisi, et trois livres de sublimé corrosif, qui soit bien
cristallin, mettez-les en poudre chacun à part, puis les mêlez, versez ce mélange dans une
cornue, qui ait pour le moins trois quarts de vide, adaptez-y un récipient qui ait le col étroit,
afin que le bec de la retorte n’entre pas plus d’un bon pouce dans le col, à cause de la nécessité
qu’il y a de fondre et de faire couler l’huile glaciale, lorsqu’elle se coagule dans le col de la
retorte ou dans celui du récipient ; lutez simplement avec du papier, et de la colle faite avec de
la farine, donnez le feu peu à peu à nu, jusqu’à ce que les vapeurs et les gouttes commencent à
tomber ; alors entretenez-le ainsi modérément, jusqu’à ce qu’il commence à se sublimer quelque
chose au haut du col de la cornue, car c’est un signe que le cinabre ou le vermillon monte et se
sublime : il faut alors ôter le récipient et en substituer un autre, à cause que ce qui distillerait
gâterait en quelque façon ce que le premier contiendrait.

Cela étant fait, il faut pousser le feu comme il faut, et même en entourer la cornue presque
jusqu’au haut avec des charbons ardents qu’il y faut poser doucement, afin de chasser toute la
sublimation dans le col de la retorte, et le reste du mercure qui n’aura pas assez de soufre pour
être coagulé en cinabre, se revivifiera, comme cela se verra après la sublimation achevée. Il
faudra séparer le cinabre du mercure coulant, et garder le dernier aux mêmes usages que le vif
argent ordinaire : mais on peut employer le cinabre pour en faire des trochisques pour donner
le parfum à ceux qu’on traitera de la vérole. On s’en sert aussi en pilules dans la maladie

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vénérienne et dans toutes ses dépendances, parce que ce soufre d’antimoine qui s’est joint au
mercure et qui l’a coagulé, est d’une vertu beaucoup plus exalté que n’est le soufre commun, si
bien que l’un et l’autre joints ensemble purifient insensiblement la masse du sang, et empêchent
toutes les corruptions qui s’engendrent dans les parties qui servent à la génération. La dose en
est depuis six grains jusqu’à vingt en pilules ou en bol, avec de la térébenthine de Chio, du
baume du Pérou ou de l’extrait de succin ou de karabé.

Il faut verser l’huile glaciale qui est dans le premier récipient dans une retorte après qu’on
l’aura fait fondre à une chaleur lente, il faut aussi que l’entonnoir soit chaud, afin que rien ne se
coagule, faites couler tout ce qui sera dans le col de la retorte qui reçoit, afin qu’il n’y ait rien
que de bien pur ; placez cette retorte au sable, appliquez-y un récipient qui soit sec et net, et le
rectifiez à une chaleur graduée jusqu’à ce qu’il ne coule plus rien ; que si l’air d’alentour
congelait la liqueur qui distille, il faudra la faire fondre avec un charbon bien allumé, qu’on
approchera peu à peu du col du récipient et de celui de la cornue.

La rectification étant achevée, il faut mettre le tiers de ce qui est distillé dans une fiole, qui sera
l’huile glaciale d’antimoine ou son beurre, qui n’est employé qu’à l’extérieur, pour apaiser et
empêcher les gangrènes et les mortifications, si on en frotte doucement et simplement au-dessus
de la partie morte, avec un pinceau ou avec un coton. On en peut aussi faire autant sur les
charbons pestilentiels, qui s’amortissent aussitôt, et dont l’escarre se sépare avec facilité, sans
une plus ample mortification ; et de plus, la cure en est beaucoup plus rapide : surtout cette
huile sert aux Chirurgiens pour faire des cautères sur-le-champ, pour arrêter la carie des os et
pour en hâter l’exfoliation, c’est pourquoi c’est un caustique commode pour achever la cure des
fistules lacrymales. Les deux autres parties serviront à faire la poudre émétique, et le bézoard
minéral comme nous le dirons ci-après.

§. 39. Comment il faut faire la poudre émétique.

Prenez la moitié de ce qui vous est demeuré de votre huile d’antimoine glaciale, et la faire
fondre, si elle est coagulée, sinon vous la verserez comme elle sera dans une terrine où il y ait
trois livres d’eau de pluie distillée, et aussitôt elle se précipitera en un corps blanc comme
neige, parce que les sels qui tenaient la partie réguline et mercurielle de l’antimoine en
dissolution, se joigne à l’eau qui est leur dissolvant ; ainsi ils abandonnent le corps de
l’antimoine, comme ils avaient quitté le mercure sublimé dans la distillation précédente.
Lorsque la précipitation sera finie, il faut agiter le tout avec un pilon de bois qui soit bien net,
afin de bien faire la jonction des esprits salins avec l’eau, puis il faut laisser reposer le tout ; et
lorsque l’eau sera bien claire, il faut la séparer par inclinaison autant qu’on le pourra sans
troubler le fond, et garder l’eau à part ; puis y reversez de la nouvelle eau jusqu’à ce que la
terrine soit pleine, et continuez ainsi la lotion jusqu’à ce que l’eau en sorte insipide. Après cela il
faut séparer toute l’eau par filtration, et faire sécher la poudre entre deux papiers fort lentement
; ainsi on aura une poudre émétique, qui sera belle et blanche, que quelques-uns appellent la

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 543

poudre d’algarot, à cause d’un Italien nommé Algarotto, qu’on dit en être l’inventeur : et
d’autres la nomment improprement et faussement mercure de vie. Il y en a encore qui honorent
cette poudre du nom de poudre angélique, ou de celui de l’aigle blanche, à cause de ses rares et
précieuses vertus.

La dose est depuis deux grains jusqu’à sept et huit : on s’en sert ordinairement pour nettoyer et
pour purger toutes les matières nuisibles de tout corps, et principalement celles de la première
région, que cette poudre évacue par le vomissement et par les selles. C’est pourquoi on
l’emploie fréquemment dans la peste et dans les fièvres malignes, dans les maladies de la tête,
dans la vérole, dans les douleurs vagues, dans la cure des ulcères malins et dans l’hydropisie,
où elle agit presque ordinairement sans faire vomir.

Nous avons dit qu’il fallait mettre à part la première eau dans laquelle on a fait la précipitation,
à cause qu’elle est empreinte de la vertu des esprits des sels qui avaient servi à la sublimation
du mercure, ce qui parait par son goût qui est très acide. Si on retire l’eau par la distillation au
sable jusqu’à réduction de trois ou quatre onces de liqueur, on aura ce que les Auteurs appellent
esprit de vitriol philosophique, qui est fort efficace pour mettre dans les juleps et dans la
boisson des fébricitants et de ceux qui ont la migraine : mais surtout il fait des merveilles à ceux
qui ont les douleurs invétérées de la vérole, parce qu’il évacue comme il faut les sérosités
malignes, qui picotent toutes les membranes et toutes les parties nerveuses du corps. Que si on
ne la distille pas, il faut garder cette eau, et en mêler dans le breuvage des vérolés et dans celui
des hydropiques jusqu’à une agréable acidité, et on en verra de bons effets ; parce que ces
esprits salins ont encore conservé en eux quelque idée et quelque caractère de la vertu et de
l’efficace du mercure et de l’antimoine.

Ceux qui voudront faire une poudre émétique moins violente, et un bézoard minéral plus
efficace, distilleront leur huile glaciale, avec du beau régule d’antimoine, mais ils n’auront pas
de cinabre.

§. 40. Comment il faut faire le bézoard minéral.

Prenez la dernière partie de votre beurre d’antimoine que vous pèserez et verserez dans un
matras qui soit assez ample, puis vous jetterez dessus son poids égal de très bon esprit de nitre
goutte à goutte au commencement, à cause de la prompte action de cet esprit sur la matière,
aussi bien que pour les vapeurs subtiles et âcres qui sortent tout à coup du vaisseau, et qui
seraient capable de nuire à l’Artiste ; il faut continuer ainsi peu à peu jusqu’à ce que vous y ayez
tout mis, et lorsque la dissolution sera faite, et que la liqueur paraîtra claire, il faut la verser
dans une cucurbite que vous placerez au sable sous une cheminée, et laisserez évaporer l’esprit
jusqu’à sec : après quoi il y faut encore verser autant d’esprit de nitre qu’auparavant, mais il ne
se fera plus aucune action, parce que l’écume du dragon est déjà mortifié par l’esprit du cerbère
infernal, (ce sont les termes mystérieux des Artistes) il faut le faire encore évaporer jusqu’à sec,

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et y en reverser encore le même poids, pour la troisième fois et dernière fois, et le faire évaporer
de même jusqu’à ce que ce qui demeurera au fond de la cucurbite, soit beau, blanc, sec, friable
et qu’il n’ait aucun goût : s’il y restait pourtant quelque petite pointe aigrelette et agréable, elle
ne nuirait nullement : c’est pourquoi il ne sera pas nécessaire de pousser le feu d’avantage ; Au
contraire, il faut retirer le vaisseau, laisser refroidir la matière qui est le bézoard minéral, et le
mettre dans une fiole pour le garder au besoin.

C’est un grand alexitaire, qui agit contre toute sortes de venins, et c’est cette belle vertu qui lui a
fait donner le nom de Bézoard, par excellence, auquel on a ajouté le surnom de minéral, pour en
faire la différence d’avec le bézoard animal, auquel on attribue aussi d’être un grand
contrepoison : mais il n’approche point de la bonté ni de la vertu de notre remède antimonial,
qui possède encore beaucoup d’autres propriétés, qui lui sont particulières et essentielles, à
cause de ce soufre solaire qu’il contient en soi, dont l’efficace est inépuisable. Car ce rare
médicament chasse puissamment par les sueurs, par les urines, mais surtout par la
transpiration insensible, tout ce qu’il y a de malin et de vénéneux dans les corps sains et dans
ceux qui sont malades, et spécialement dans toutes les maladies où la sueur est absolument
nécessaire. Enfin je puis dire avec une vérité constante, que ceux qui s’en serviront, ne seront
jamais frustrés tôt ou tard du secours qu’ils en attendent, pourvu que la maladie provienne des
sucs et des sérosités surabondantes et malignes, comme celles qui dominent dans la vérole,
dans le scorbut, dans les galles et dans les grattelles.

La dose est depuis deux grains jusqu’à douze, et si la nécessité le requiert, on peut même aller
jusqu’à vingt. Mais il faut que ceux qui s’en serviront, aient le soin de faire prendre à leurs
malades des bouillons de veau et de volaille avec de la racine de scorsonère, et qu’ils leur
tiennent le ventre libre avec des lavements de simple urine nouvellement rendue, et qu’ils
mettent de trois jours l’un un scrupule ou une demi-drachme du sel de tartre de Sennert, dans
du bouillon que le malade prendra à jeun.

Mais il faut que l’Artiste sache que le bézoard minéral n’est proprement qu’un antimoine
diaphorétique, qui a été fixé par l’esprit de nitre, parce que c’était un antimoine qui était passé
en liqueur par le moyen des esprits salins, et qu’ainsi il fallait une liqueur ignée pour la fixer,
comme le corps du nitre fixe le corps grossier de l’antimoine, et comme ce diaphorétique est
plus pur et plus subtil, aussi opère-t-il plus promptement et en moindre dose. Ceux qui s’en
voudront servir, auront recours aux vertus que nous avons légitimement données au
diaphorétique d’antimoine.

Or comme ce remède est universel, on peut néanmoins le spécifier à quelques parties, et en y


ajoutant quelques-uns uns des métaux, soit or, argent, cuivre ou étain, dont on peut mettre un
huitième avec le régule, qui se peut fixer avec le triple de nitre pur, ou distiller ce même régule
avec trois fois autant de sublimé corrosif, et en faire l’huile glaciale, que l’Artiste fixera avec
trois diverses dissolutions et exsiccations de l’esprit du nitre, et l’Artiste en fera par ce moyen ce

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qu’on appelle diaphorétique ou bézoard, lunaire, vénérien et jovial, dont on trouvera la


description dans les Auteurs : il suffit d’avoir enseigné le travail qui est commun à toutes les
préparations.

§. 41. Comment il faut faire l’eau ou l’esprit d’antimoine composé.

Prenez de l’antimoine bien choisi, du soufre commun et du nitre bien purifié, de chacun parties
égales, mettez-les en poudres chacun à part, puis les mêlez ensemble. Ayez ensuite une cornue
de terre qui ait un canal au derrière, long de quatre pouces et large d’un pouce de diamètre,
placez cette cornue au réverbère clos, en sorte qu’elle soit enclose et murée de tous les côtés,
hormis quatre registres pour évoquer le feu, et le bout du canal pour jeter la matière ; adaptez
un très grand récipient où il y ait une livre d’eau au col de la cornue, et le luttez exactement,
mettez le feu sous la cornue et l’échauffez en sorte qu’elle rougisse. Commencez alors à jeter
une drachme de la matière que vous avez mêlé dans la cornue par le canal que vous boucherez
aussitôt, et le récipient s’emplira de vapeurs et de nuages qui proviennent de la matière qui sera
enflammée, et prenez garde surtout de n’y mettre pas d’avantage d’une drachme de cette
matière à la fois autrement vous feriez tout sauter en l’air, à cause de la violence de la soudaine
inflammation : c’est pourquoi je conseille à l’Artiste de se servir en cette opération d’un premier
récipient de grès à trois canaux, dont le premier recevra le col de la cornue, et les deux autres
chacun un grand ballon de verre, afin que les vapeurs trouvent plus d’étendue à leur sortie, et
qu’ainsi l’artiste ni l’opération ne courent aucun risque. Continuez le feu pour entretenir la
rougeur du vaisseau, et jetez de la nouvelle matière aussitôt que les récipients s’éclairciront
d’eux-mêmes, et cela jusqu’à ce que vous croyez avoir assez de liqueur distillée. Les vaisseaux
étant refroidis, retirez la liqueur du récipient et la filtrez, retirez au sable à la chaleur lente l’eau
que vous aviez mise dans le récipient, qui emportera avec elle la plus grande partie de
l’empyreume de l’esprit, que vous garderez à ses usages.

Ce remède atténue, incise, subtilise, digère et dissout toute sorte de matière tartareuse,
glaireuse, crasse et lente en quelque partie du corps qu’elle se rencontre, et quelque fortement
qu’elle y soit engagée et enracinée, et la chasse par les émonctoires, appropriés comme par les
selles, par les urines, par les sueurs et par la salivation. C’est pourquoi il est excellent contre les
obstructions du foie, de la rate, du mésentère, du pancréas, de la matrice et des hypocondres, et
principalement lorsque cet esprit est accué du sel de mars. On le donne pendant six semaines
dans de l’eau de fontaine avec un peu de sucre, jusqu’à une agréable acidité, si bien que cela fait
une vraie eau minérale, dont les malades peuvent boire autant qu’il leur plaira. On peut aussi
faire cette même opération avec du tartre au lieu de soufre : mais ce dernier aura plus mauvais
goût que le précédent.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 546

§. 42. La liquation ou la résolution de l’antimoine.

Cette opération n’est rien autre chose que la résolution qui se fait à l’air humide ou à la cave,
des scories ou des fèces du régule qui à été fait avec du tartre, ou bien il faut calciner de
l’antimoine, du nitre et du tartre ensemble, et puis exposer à l’air ou à la cave ce qui se trouve
dans la cornue. L’union de ces trois matières coule en une liqueur crasse et rouge brune, qui n’a
point d’autre usage que pour la mondification et la cure des ulcères rongeants et fétides, et
principalement ceux qui sont sinueux, et où il y a des fistules. Car les sels détergent, et le soufre
de l’antimoine sert de baume consolidatif.

§. 43. L’extraction de l’antimoine.

Nous voici enfin parvenu à la véritable volatilisation de l’antimoine pour en tirer les soufres et
les teintures, qui sont les deux plus excellentes préparations qu’on en puisse faire, c’est
pourquoi il faut que l’Artiste soit averti de ne pas se hâter dans ce travail, et d’agir
ponctuellement selon que l’art le requiert, s’il veut parvenir à la fin qu’il se sera proposé. Nous
décrirons donc premièrement la lessive forte, avec laquelle on extraira le soufre de l’antimoine.
Ensuite de quoi nous enseignerons l’extraction de ce soufre. En troisième lieu, nous donnerons
la fixation du soufre. Après quoi nous parlerons des teintures et du moyen de les tirer ; nous en
donnerons deux exemples différents, afin de mieux instruire l’Artiste sur des préparations qui
sont de la plus haute et dernière importance, à cause de leurs éminentes vertus et de leur
grande efficacité.

§. 44. Description de la lessive forte pour l’extraction du soufre de l’Antimoine.

Prenez du sel de tartre, des cendres gravelées, de la chaux vive et de l’alun brûlé, ce chacun
parties égales, mettez les en poudre chacun à part, puis les mêlez avec le double de leur poids
de cendres du foyer, que vous mettrez dans un linge cru sur un tamis renversé, que vous
poserez sur une grande terrine, puis vous verserez dessus de l’eau de pluie qui soit plus que
tiède ; il faut cohober l’eau jusqu’à dix ou douze fois, afin de la bien empreindre des sels ; il faut
ensuite la filtrer au travers du papier, afin qu’il n’y reste aucune impureté. On peut s’en servir à
purifier le mercure, aussi bien qu’à extraire le soufre de l’antimoine comme il s’ensuit.

§. 45. Comment il faut extraire le soufre de l’antimoine.

Prenez une livre de cinabre d’antimoine, mettez-le en poudre subtile et le jetez dans un pot de
terre vernissé, versez dessus de cette forte lessive jusqu’au tiers du pot, faites-les bouillir
ensemble durant trois heures, et même d’avantage, remettez tant toujours de la nouvelle lessive
chaude en la place de celle qui s’évapore par l’action du feu. Séparez par inclinaison la lessive
du mercure coulant qui est au fond du pot, et la laissez reposer et le soufre de l’antimoine
s’affaissera peu à peu au bas de belle couleur rouge, il en faut séparer la lessive doucement et le
laver avec de l’eau de pluie distillée, jusqu’à ce qu’elle en sorte insipide, faites-le sécher

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 547

lentement, et ainsi vous avez le vrai et le propre soufre de l’antimoine, dont on fait la panacée
qui suit.

§. 46. La panacée du vrai soufre de l’antimoine.

Prenez de ce soufre d’antimoine et de régule d’antimoine qui soit très pur, de chacun une once,
mettez-les en poudre chacun à part et les mêlez exactement ensemble, mettez ce mélange dans
une cornue et versez dessus trois onces d’huile de soufre bien rectifiée, ou autant de très bonne
huile de vitriol, faites-les digérer ensemble à une chaleur fort lente durant huit jours, puis
placez la cornue au sable et distillez jusqu’à sec, cohobez ce qui sera sorti jusqu’à sept fois, et à
la septième fois poussez le feu autant que vous pourrez durant douze heures après que toute
l’humidité sera sortie. Ou bien ce ne sera pas mal fait de casser la cornue, après que toute la
liqueur sera passée, et broyer la matière qui était au fond, et la réverbérez quatre ou cinq heures
durant sur un têt sous un moufle, afin d’en chasser toutes les impressions des esprits acides et
corrosifs. Mettez ce qui a été réverbéré dans une cucurbite et cohobez quatre fois dessus de
l’esprit de vin aromatisé comme nous l’avons enseigné ci-dessus.

On peut donner de ce remède tout seul depuis un grain jusqu’à huit dans des confections
cordiales ou dans des conserves. Mais il est beaucoup meilleur, si on le mêle avec deux fois
autant de magistère de corail soluble, et qu’on en donne depuis quatre grains jusqu’à vingt
dans les même confections ou dans les conserves, et qu’on fasse boire par-dessus un peu de
bonne malvoisie ou de quelque autre vin qui soit subtil et vigoureux.

Ce médicament n’en a pas beaucoup de pareil pour chasser par les sueurs tout ce qui gâte et qui
infecte la masse du sang, qu’il purifie parfaitement, de sorte qu’il est propre et convenable à
toutes les maladies, qui ont besoin de la transpiration sensible, et particulièrement à la lèpre, à
la vérole, au scorbut, et à la puanteur et aux éruptions du cuir de quelque nature qu’elles soient.
Il en faut répéter la dose selon la fixité ou la volatilité de la maladie : car il sert également contre
la colliquation et contre l’obstruction, parce qu’il fortifie les esprits qui sont les maîtres et
directeurs des fonctions de la vie et de la santé. C’est particulièrement un spécifique admirable
dans toutes les maladies pestilentielles, épidémiques et malignes ; car c’est en celle-là qu’il fait
beaucoup plus excellemment paraître ses forces et sa vertu.

§. 47. Des teintures de l’antimoine.

Avant que de décrire les teintures en particulier, il faut que nous donnions quelques notions
générales aux Artistes, qui contribueront beaucoup à leur instruction, et qui feront voir qu’il
vaudrait beaucoup mieux donner les remèdes qui se tirent de l’antimoine sans vin qu’avec du
vin, parce que l’esprit volatil du vin augmente toujours sa faculté vomitive et qu’il l’ouvre trop
au lieu de le resserrer et le fixer. Il faut donc que l’Artiste remarque et observe généralement
que lorsqu’il voudra extraire l’antimoine avec l’intention d’en faire un remède cordial,

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 548

corroborant et diaphorétique, il ne doit jamais commencer son extraction ou sa dissolution par


l’esprit de vin, ni par aucun autre esprit volatil sulfuré, qui lui soit analogue ; au contraire cela
se doit faire avec quelque esprit acide qui ait la vertu de concentrer et fixer, et après cela se
servir de l’esprit de vin pour la dernière extraction. De cette sorte, on peut dire que la teinture
de l’antimoine n’est rien autre chose qu’une dissolution d’une partie de ce même antimoine et
l’extraction de son soufre interne et fixe. La première opération se fait par le moyen d’un esprit
acide, et la seconde par l’entremise de l’esprit de vin par la digestion et par la circulation,
comme nous allons enseigner dans la suite.

§. 48. La première teinture de l’antimoine.

Nous avons enseigné ci-devant la véritable correction de l’antimoine pour en ôter tout le soufre
impur, lorsque nous avons décrit comment il en fallait faire le verre sans addition : c’est
pourquoi nous ne le répétons pas ici. Nous dirons donc seulement qu’il faut prendre une demie
livre de ce verre qui a été fait sans addition, qui soit beau, rouge et transparent comme un
grenat oriental, et le mettre en poudre impalpable, le broyant sur le porphyre ; mettez la poudre
dans un matras, et versez dessus de l’esprit de vénus jusqu’à l’éminence de quatre doigts ;
agitez-le comme il faut dans le commencement, et le faire digérer, dissoudre et extraire aux
cendres à une chaleur lente, et votre esprit se colorera dans l’espace de trois ou quatre jours
aussi rouge que du plus beau vin de Bourgogne, il faut retirer par inclinaison, cet esprit teint et
en reverser du nouveau pour extraire encore durant trois jours et continuer ainsi jusqu’à trois
fois.

Cela étant fait, il faut filtrer les teintures et les mettre dans une cucurbite au bain-marie, et en
retirer le menstrue à chaleur lente jusqu’à consistance d’un sirop épais, sur lequel il faut verser
la hauteur de trois doigts de très bon alcool de vin, et boucher la cucurbite de sa rencontre et la
bien luter, puis mettre ce vaisseau au bain vaporeux et l’y faire extraire, circuler et exalter, et
l’esprit se chargera peu à peu du soufre centrique et solaire de l’antimoine : lorsqu’il est
suffisamment chargé de couleur, il le faut retirer et en remettre de l’autre, et continuer ainsi
jusqu’à ce que l’esprit de vin ne se colore plus, joignez toutes les teintures et les filtrez, mettez la
teinture filtrée dans une cucurbite à la vapeur du bain, et en retirer les trois quarts de la liqueur,
et gardez ce qui reste comme une teinture excellente et qui est remplie de vertus sans nombre.
C’est un remède excellent contre toutes les obstructions invétérées du foie, de la rate et de
toutes les autres parties du ventre, comme aussi contre celles des poumons, contre la rétention
des mois, contre les deux espèces de jaunisse, contre l’hydropisie, la phtisie, asthme, la
pleurésie, la cachexie, la mélancolie hypocondriaque, contre toutes sortes d’ulcères tant internes
qu’externes, contre la lèpre, la peste, la vérole, toutes espèces de galle et de grattelle, contre la
petite vérole, la rougeole, et généralement contre tout ce qui cause l’altération de la santé. Elle
purge et chasse tout ce qui nuit au corps, par les sueurs et par la transpiration insensible. La
dose est depuis deux gouttes jusqu’à neuf ou dix dans du vin d’Espagne ou dans quelque autre

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 549

liqueur analogue, comme l’hydromel vineux ou la malvoisie : il faut que ceux qui s’en serviront,
soient au lit et qu’ils attendent patiemment la sueur, on en peut continuer l’usage de trois en
trois jours pour les malades et une fois par moi par précaution, et pour décharger la nature de la
superfluité des digestions.

Or comme ces teintures ne se peuvent transporter sans danger, on peut évaporer le reste de
l’esprit de vin jusqu’à consistance de miel cuit, et ajouter deux onces de poudre de corne de cerf
préparée philosophiquement, pour once de sirop épais, et ainsi on aura une confection
admirable qui se pourra transporter et envoyer partout, dont la dose sera depuis quatre grains
jusqu’à vingt, et l’on boira par-dessus des même liqueurs que nous avons dites, ou bien on
mêlera cette confection avec une cuillerée de l’une de ces boissons, et on avalera le reste d’un
petit verre par-dessus, avec les mêmes observations que ci-devant.

§. 49. La seconde teinture de l’antimoine.

Pour parvenir à faire cette teinture, faut premièrement faire le menstrue, qui reçoit dans sa
composition du bon vitriol bien choisi, du sel commun bien pur et de la chaux vive, de chacun
une livre, du sel armoniac quatre onces, mettez-les en poudre chacun à part, puis les mêlez et
les jetez dans une cucurbite et versez dessus trois livres de très bon vinaigre distillé : il faut
boucher la cucurbite de sa rencontre et la luter, et les faire ainsi digérer ensemble à une chaleur
lente durant un jour naturel, cela passé, il faut mettre le tout dans une retorte, et retirer l’esprit
par un feu bien gradué durant vingt quatre ou trente heures. Pesez ce qui sera passé en liqueur,
et y ajoutez autant pesant de sel commun qui soit sec, et le rectifiez à une chaleur bien réglée, en
sorte que tout ce qui distillera sorte beau et clair, et que rien ne soit trouble.

Prenez ensuite une livre de verre d’antimoine fait sans addition, qui soit réduit en alcool sur le
porphyre, mettez-le dans un grand matras et versez dessus l’esprit que vous avez distillé,
agitez-les ensemble et les mettez digérer et dissoudre aux cendres à une chaleur égale, et
lorsque le verre sera dissout, il faut verser tout ce qui sera clair par inclinaison et filtrez le reste :
mettez-le tout dans une cucurbite, couvrez-la de son chapiteau, lutez et placez le vaisseau au
bain-marie et en retirez le menstrue à une chaleur modérée jusqu’à sec ; il restera au bas de la
cucurbite une matière épaisse, lente et noirâtre, qu’il faut mettre à la cave sur une table de verre,
afin de la faire résoudre en huile, ou plus proprement dit, en une liqueur rouge, qui laissera
quelques fèces sur le verre. Versez cette liqueur rouge dans une petite cucurbite et en retirez
l’humidité aux cendres jusqu’à ce que la matière soit sèche, qu’il faut retirer promptement avant
que l’air s’y soit communiqué, et la mettre dans un pélican ou dans un vaisseau de rencontre et
verser dessus du plus excellent alcool de vin, qui ait été déphlegmé sur du tartre calciné, lutez
les ouvertures et les jointures du vaisseau, et les faites digérer au bain vaporeux dans la sciure
de bois jusqu’à ce que l’esprit soit coloré d’un beau rouge haut en couleur, qu’il faut retirer et en
remettre d’autre, et continuer ainsi tant que l’esprit de vin ne se colore plus ; filtrez toutes les
teintures et en retirez les deux tiers du menstrue à la très lente chaleur du bain-marie, et gardez

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 550

la teinture comme un riche trésor pour la santé. Elle est convenable à toutes les maladies
auxquelles nous avons dit que la première était propre, avec les même précautions et en même
dose.

Mais notez qu’il ne faut pas que l’Artiste jette les restes de ces deux teintures : au contraire il
faut qu’il les garde pour en tirer le sel, comme nous l’enseignerons en son lieu. Il faut aussi que
l’Artiste sache que la liqueur rouge qui a été faite à la cave, est un des plus excellents baumes
qui soit au monde pour la cure des plaies et de toutes sortes d’ulcères, quelque malins qu’ils
soient, et principalement contre ceux qui sont véroliques et contre les nodus, c’est pourquoi il
en gardera une partie à part pour s’en servir au besoin.

§. 50. L’infusion de l’antimoine.

L’infusion de l’antimoine préparé ou non préparé ne contient pas de grands mystères : c’est
pourquoi nous ne ferons pas beaucoup de réflexions : nous dirons seulement que cette
opération produit les vins émétiques et les eaux ophtalmiques. Or les vins émétiques ont divers
noms chez les Auteurs : car les uns les appellent, l’eau bénite, vin émétique, vin antimonial, vin
sacré, et ainsi d’autres noms : quelques-uns ont aussi employé des matières diversement
préparées pour faire ce remède, aussi bien que des menstrues différents : car on s’est servi du
verre, des fleurs, du crocus métallorum, de la poudre émétique et même de l’antimoine cru ; on a
extrait la vertu de ces différentes préparations ou avec du vin, ou avec du vinaigre ou avec de
l’hydromel, ou avec de la bière, ou avec du cidre, ou même avec de l’eau de vie. De plus, on en
a fait des extraits, des électuaires, des tablettes et des sirops, tellement qu’on leur a donné tel
masque qu’il a plu à ceux qui s’en sont servis pour la santé. L’Artiste pourrait choisir de toutes
ces matières et de ces menstrues ce qui lui agréerait le plus : mais nous lui conseillerons de
choisir toujours la matière la mieux préparée, et celle qui contient le moins de souffre impur :
c’est pourquoi il prendra le verre fait sans addition, et afin qu’il soit encore plus assuré de son
fait, il faut que nous enseignons le moyen de le corriger encore mieux, et d’en faire quelques
infusions et quelques préparations qui feront voir, que ceux qui blâment les remèdes de
l’antimoine, ne l’ont pas connu, puisqu’on le peut rendre plus sur et plus agréable, que le plus
facile et le plus bénin purgatif qui se tire des végétaux. Et comme nous avons dit que le vin
volatilisait trop l’antimoine, nous ferons pourtant voir qu’on le peut extraire avec le vin, et lui
ôter cependant en même temps cet esprit volatile, qui le chasse et le pousse trop promptement
dans son opération.

§. 51. La correction du verre d’antimoine, ou la poudre émétique corrigée.

Prenez douze onces de verre d’antimoine fait sans addition, et trois onces et demie de salpêtre
très pur et très sec, mettez-les en poudre chacun à part ; puis mêlez-les ensemble très
exactement. Après cela mettez un petit pot de terre non vernissée, dans un fourneau sur un
culot, entourez-le de feu et de charbon, et l’échauffez peu à peu, jusqu’à le faire rougir : il faut

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 551

alors jeter de votre mélange par cuillerées, et lorsque tout y sera, il faut faire rougir doucement
la matière sans la faire fondre ; puis retirez le pot et en ôtez la masse qui sera jaunâtre, mettez-la
en poudre dans un mortier chaud, jetez cette poudre dans une chopine d’eau de pluie distillée
et l’agitez sur-le-champ, afin que le nitre se dissolve vite, et en retirez l’eau aussitôt, séchez la
poudre qui reste, avec cette remarque, qu’il ne faut pas mêler ce qui sera de plus grossier au
fond du vaisseau, mais qu’il se faut contenter de la plus subtile portion de la poudre ; et ainsi on
a une poudre émétique si peu violente et si bien corrigée, qu’on la peut donner en infusion ou
en sirop, et même dans le vin aux enfants à la mamelle et aux personnes les plus âgées, sans en
appréhender jamais aucun mauvais accident.

La dose pour les enfants est depuis trois grains jusqu’à neuf en infusion dans du vin bouillant
en quantité proportionnée, qu’il faut filtrer le matin et le faire prendre au malade. La dose pour
les personnes âgées est depuis huit grains jusqu’à un scrupule, de la même façon. Mais pour
mieux faire, il en faut faire un sirop comme il suit.

§. 52. Le vrai sirop de l’antimoine.

Prenez une once de cette poudre émétique corrigée, et la mettez en infusion au bain-marie dans
une cucurbite de verre, avec quatre livres de suc de coings bien dépuré durant trois ou quatre
jours, après cela retirez par inclinaison ce qui sera clair, et filtrez ce qui sera trouble, mêlez dans
ce suc empreint de la vertu antimoniale deux livres de sucre en poudre, cuisez-le tout en
consistance de sirop dans une terrine vernissée à la vapeur du bain, et lorsque le sirop sera
achevé, ajoutez-y six gouttes d’huile de cannelle et deux gouttes d’huile de girofle, qui aient été
bien mêlées, avec une drachme de sucre en poudre. Ce sirop est un noble purgatif et émétique
pour les personnes les plus délicates. La dose en est depuis deux drachmes jusqu’à une once,
une once et demie, et jusqu’à deux.

§. 53. Le vrai tartre émétique purgatif.

Prenez quatre onces de poudre émétique corrigée, avant que d’avoir été lavée, mêlez-les avec le
même poids de sel de tartre qui soit pur et sec, mettez le mélange dans une cucurbite de verre
au sable, et versez dessus trois livres d’eau de pluie distillée, faites les bouillir et évaporer
ensemble jusqu’à sec, retirez la masse, et la dissolvez dans une quantité suffisante de la même
eau, filtrez la dissolution, afin d’en séparer la poudre, puis évaporez la liqueur filtrée en sel, sur
lequel vous verserez goutte à goutte du très bon esprit de vitriol, jusqu’à ce qu’il ne se fasse
plus aucune ébullition ni aucun bruit, ce qui est le vrai signe qu’il y en a assez ; évaporez toute
l’humidité superflue, jusqu’à ce que vous ayez un sel bien sec qui est d’un goût agréable, qui se
donne dans les bouillons ou dans quelque décoction convenable : il n’agit quelquefois que par
les selles et par les urines, mais il fait aussi le plus souvent vomir, lorsque l’estomac se trouve
rempli de glaires et de matières qui se gonflent et qui se fermentent facilement. La dose est

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 552

depuis un demi-scrupule jusqu’à une demi-drachme : c’est un remède qui ne se peut assez
recommander, ni assez louer.

Nous conseillons donc à l’artiste de faire son vin émétique avec ce verre corrigé, c’est à savoir,
en mettant infuser une once et demie de sa poudre émétique corrigée, dans six livres de vin
bouillant au bain-marie, dans un grand vaisseau de rencontre ou dans un pélican durant
l’espace de vingt quatre heures, et qu’il le filtre ensuite à travers du papier, dans lequel il aura
mis une once et demie de sucre en poudre, qui soit empreint d’un scrupule d’huile de cannelle
et d’un demi-scrupule de celle de girofle.

Ainsi il aura un vin émétique auquel il pourra se fier entièrement, et duquel il n’aura jamais de
reproches. La dose ne sera depuis une demi-once jusqu’à trois et quatre onces. L’Artiste
trouvera les vertus de ces trois derniers remèdes avec celles que nous avons attribuées aux
autres préparations purgatives et émétiques où nous le renvoyons, parce qu’il n’est pas besoin
de faire ici répétition inutile.

§. 54. L’eau ophtalmique antimoniale.

Prenez du verre d’antimoine réduit en alcool, ou en crocus métallorum trituré de même, une
demi-once, mettez-le dans un matras avec une drachme de racine d’iris de Florence et six
girofles en poudre grossière, versez dessus de l’eau de rue, de celle d’euphraise et de celle de
fenouil, de chacune six onces ; mettez-les en infusion au bain vaporeux ou soleil en été, et agitez
souvent le vaisseau, lorsque l’infusion se fera, durant quinze jours, et vous aurez une eau
ophtalmique qui n’a guère de pareil pour fortifier la vue et mondifier les ulcuscules (c’est à dire
les petits ulcères presque imperceptibles) qui se forment aux coins des yeux et aux paupières,
qui causent ordinairement la démangeaison, la cuisson et l’inflammation. Mais ce qui est de
plus admirable, est que cette eau ne cause aucune douleur, et produit néanmoins de très beaux
effets.

§. 55. La salification de l’antimoine.

Nous donnerons deux diverses façons de faire le sel de l’antimoine, comme nous avons donne
deux différentes manières d’en faire la teinture. Pour la première, il faut prendre le reste du
verre d’antimoine, duquel on a tiré la première teinture et le mêler avec son poids égal de
soufre en poudre, puis il faut les calciner ensemble de la même sorte qu’on a calciné l’antimoine
pour en faire le verre, et bien remuer les matières, jusqu’à ce que tout le soufre soit consommé ;
mais il faut bien prendre garde de ne point donner trop de chaleur, autrement la poudre se
fondrait et se remettrait en corps d’antimoine. Cela fait, il faut broyer ce qui reste en alcool sur
le porphyre, mettre la poudre dans un matras et verser dessus du très bon vinaigre distillé, tant
qu’il surnage de quatre doigts, puis vous le mettrez digérer et extraire au sable durant huit
jours, après quoi il faut retirer le vinaigre et en remettre de nouveau, jusqu’à ce que tout le sel

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soit extrait, filtrez les extractions, et évaporez le vinaigre jusqu’à pellicule, ou ce qui sera mieux,
jusqu’à sec, dissolvez le sel qui restera dans du phlegme de vinaigre, filtrez et évaporez, et
continuez ainsi jusqu’à ce que le sel soit net et blanc, lorsqu’il sera en cet état, digérez-le durant
quinze jours avec de l’esprit de vin alcoolisé, puis retirez l’esprit lentement au bain-marie, et
conservez ce précieux sel dans une fiole bien bouchée, duquel nous dirons la dose et les vertus
après avoir parlé de l’autre qui va suivre.

§. 56. La seconde façon de faire le sel de l’antimoine.

Prenez la matière noire qui est restée après l’extraction de la seconde teinture, et la faites sécher
comme il faut dans une écuelle de terre, mettez-la sans aucune autre calcination préalable dans
un matras, et versez dessus de l’esprit de vinaigre, qui soit très pur et très subtil, digérez-les
ensemble, et en faites l’extraction, la filtration, l’évaporation, la dissolution et la dépuration,
comme nous l’avons dit dans la précédente description ; faites-en aussi la digestion avec l’esprit
de vin que vous retirerez de ce noble sel, jusqu’à sec et le garderez au besoin.

On met ce sel en parallèle avec celui de l’or, parce qu’il nettoie et purifie le sang, qu’il purge le
corps de toutes superfluités et de toutes ordures, guérit la lèpre et la vérole, fait des merveilles
pour la goutte, digère et évacue comme insensiblement les abcès internes, il guérit tous les
ulcères du dedans et du dehors, et chasse toutes les fièvres et principalement les quartes. La
dose est depuis un grain jusqu’à quatre dans les mêmes liqueurs et avec les mêmes
observations que celles que nous avons données en parlant de l’usage des teintures de
l’antimoine.

Or que personne ne s’étonne, si nous avons attribué tant de belles vertus aux remèdes qui se
tirent de l’antimoine, car outre que je n’ai pas suivi les Auteurs les plus hyperboliques,
cependant je suis si pleinement convaincu de ses belles, nobles et très excellentes propriétés par
les effets que je dis, et confesse hautement que la vie de l’homme est trop courte pour pouvoir
anatomiser l’antimoine comme il faut, et que l’esprit est incapable de pouvoir découvrir, ni de
pouvoir pénétrer dans les secrets mystères qu’il contient, car l’ignorance humaine est cause
qu’on y trouvera toujours de plus en plus à admirer qu’à comprendre.

Nous avons déjà dit ci-devant, que nous ne parlerions pas de l’extraction des mercures des
métaux et encore moins de celui de l’antimoine, nous en avons donné quelques raisons,
auxquelles nous ajoutons, que quoique nous ayons fait très exactement les expériences d’une
infinité de procédés imprimés ou manuscrit, avec toute l’application et la ponctualité requise,
nous n’avons pu néanmoins réussir à aucun ; nous ne nions pas néanmoins orgueilleusement
l’impossibilité de cette extraction, mais nous aimons mieux en laisser la possibilité é la nature
des choses et à l’art, et en donner la faute à notre ignorance ou à celle de ceux qui ont composé
les procédés que nous avons suivis jusqu’ici, et laisser la liberté de les rechercher à ceux qui en

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 554

voudrons prendre la peine. (nous donnerons cependant des opérations dans les additions, opérations
certaines, puisque nous les avons faites avec sucés.)

§. 57. Du bismuth, que quelques-uns appellent l’antimoine blanc.

Quoique ce marcassite ou cet excrément métallique ne soit pas employé intérieurement en


Médecine, il a cependant de très-belles vertus pour l’extérieur ; c’est pourquoi nous joindrons sa
préparation à celles de l’antimoine, parce qu’il y en a qui le prennent pour une espèce de ce
minéral, & l’appellent l’antimoine femelle, les Français le nomment étain de glace, les
Allemands bismuth, & plusieurs l’appellent marcassite par excellence. Nous en décrirons
quatre préparations, qui seront le magistère, les fleurs, la liqueur, ou l’huile & le sel.

§. 58. Le magistère de l’étain de glace.

Faites premièrement une eau forte avec parties égales de salpêtre & de sel commun. Prenez une
demie livre de cette eau, & y faites dissoudre quatre onces de bismuth bien net & bien choisi,
filtrez la dissolution, s’il y a quelque impureté, & précipitez avec de l’esprit de vin tartarisé,
retirez la liqueur qui surnagera le magistère, & la lavez avec de l’eau de pluie distillée jusqu’à ce
qu’il soit tout à fait adouci.

C’est un bon remède contre tous les vices & toutes les éruptions du cuir & surtout contre les
démangeaisons : il efface les taches, & adoucit l’âpreté de la peau du visage & des mains. Mais
si on en veut faire un cosmétique qui soit blanc, & s’en servir avec de la pommade ou sans pom-
made, il en faut faire la précipitation avec de l’huile de vitriol, & on en aura un blanc qui n’a
presque point de pareil, il le faut bien adoucir & le sécher pour s’en servit au besoin.

§. 59. La distillation du bismuth, pour en tirer les fleurs, l’huile ou la liqueur & le sel.

Prenez cinq livres de bismuth comme il sort de la mine, & qui n’ait point passé par le feu,
mettez-le en poudre, & le digérez & macérez avec du bon vin blanc dans un vaisseau de
rencontre durant l’espace de trois jours, retirez le vin après la digestion & y en remettez du
nouveau, & continuez ainsi de digérer avec du nouveau vin jusqu’à ce que vous ayez employé
huit ou dix pintes de vin, enfin reversez le quart du vin qui a été digéré sur ce marcassite, sur
son corps dans une cucurbite que vous placerez au sable & la couvrirez de son chapiteau,
retirez le menstrue à une chaleur modérée jusqu’au sec, cohobez le second quart, puis le
troisième & enfin le quatrième à la même chaleur jusqu’au sec, & lorsque l’Artiste verra qu’il
n’en sortira plus aucune humidité, il faut qu’il bouche le bec de l’alambic, & qu’il augmente le
feu, & il se sublimera des fleurs blanches & argentées dans le chapiteau, qu’il faut garder
comme elles sont dans une fiole bien bouchée, ou les mettre à la cave sur une table de verre où
elles le résoudront en huile ou pour mieux dire en liqueur, qu’il faut aussi garder à ses usages. Il
faut après cela mettre tout ce qu’on en aura retiré par la distillation, dans une grande cucurbite,
afin d’en retirer l’esprit de vin, qui pourra encore servir à quelques autres opérations sur les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 555

minéraux, puis vous verserez le reste dans une terrine de grès pour l’évaporer au sable jusqu’a
une pinte, puis le laisserez reposer durant trois jours : & si l’Artiste ne voit pas qu’il se fasse
aucune cristallisation de sel, il évaporera encore la moitié de ce qui reste, & mettra des
morceaux de paille bien nette dans la liqueur qu’il fera encore reposer en lieu frais ; & les
cristaux du sel s’attacheront à la paille, il faut continuer d’évaporer & de cristalliser jusqu’a ce
qu’il ne le forme plus de sel ; séchez celui qu’on aura fait lentement, & le gardez dans une fiole à
ses usages.

Les fleurs sont plus excellentes que le magistère pour l’extérieur de la peau, & la liqueur qui se
fait à la cave en ôte toutes les taches. On peut mêler les fleurs dans les pommades. Mais la
liqueur & le sel sont des remèdes merveilleux contre toutes sortes d’ulcères, malins &
chancreux, & pour la cure des fistules. Enfin le Chirurgien qui s’en saura servir, connaîtra par
expérience que ce sont deux remèdes externes qui ne cèdent à aucun autre médicament topique,
il les pourra mêler avec les injectons ou avec les eaux vulnéraires, avec lesquelles il seringuera,
lavera ou fomentera les ulcères & particulièrement ceux qui tiennent de la nature
carcinomateuse : car ce minerai possède en soi un soufre volatil & un sel balsamique qui ne
peuvent être assez estimés pour l’adoucissement de la douleur, pour la mondification & pour
l’entière guérison des ulcères les plus malins & les plus désespérés.

SECTION CINQUIÈME.

Des sels.

Nous pouvons dire généralement, que les sels ne sont rien autre chose que des minéraux qui
sont dissolubles dans l’eau, & qui peuvent après l’évaporation de l’eau être remis & cristallisés
en sel. Mais comme nous ne parlons pas ici des sels, en tant qu’ils sont les principes & les au-
teurs des générations physiques, aussi dirons-nous simplement notre pensée des sels minéraux,
naturels ou artificiels qui entrent dans l’usage de la Médecine, & desquels on tire beaucoup de
bons remèdes & l’excellents dissolvants par le moyen de la Chimie.

Or comme nous avons parlé ci-devant de la préparation des sels des animaux & as celle des sels
des végétaux, il ne nous reste plus que l’examen & la description de la nature des sels minéraux
qui sont naturels, & de ceux qui, quoique artificiels ne laissent pourtant pas de garder encore en
eux le caractère & l’idée des sels minéraux naturels. Mais avant que de les décrire chacun en
particulier, il faut dire quelque chose de leur origine en peu de mots, & donner aussi une idée
générale des opérations qui se font sur les sels.

On ne saurait concevoir précisément l’origine des sels minéraux qu’intellectuellement, & par la
comparaison que le Philosophe naturel doit faire des choses sensibles & connues avec les choses
qui sont cachées & inconnues. Car comme le Naturaliste voit qu’il se fait des substances salines
dans les animaux & dans les végétaux, de la surabondance de leur nourriture, ou par quelque

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action de leur chaleur interne, ou par quelque coagulation de leur tartre, qui naturellement se
coagule, aussi croit-il que le grand monde reçoit une nourriture spirituelle & lumineuse pour
entretenir sa génération & la production de toutes les choses par le moyen de la chaleur. Lors
donc que cet aliment spirituel & lumineux a une fois imprimé son caractère & son efficace, &
que cela s’échauffe en soi-même & surabonde, c’est aussi là que les sels minéraux sont
engendrés ; & comme les matrices où cette coagulation se fait, sont différentes, aussi se forme-t-
il des sels qui sont d’une nature diverse : comme sont le sel commun, le sel gemme, l’alun, le
salpêtre & le vitriol, auxquels on ajoute aussi le sel armoniac, quoique artificiel.

Les préparations générales des sels sont, la purification, la calcination, la distillation, la sublimation,
la fixation & la liquation. Nous donnerons des exemples de toutes ces opérations, lorsque nous
décrirons chacun de ces sels en particulier, afin de mieux instruire l’Artiste & d’agir toujours,
comme nous avons fait jusqu’ici, avec le moins de confusion que nous le pourrons.

DU SEL COMMUN.

§. 1. Du sel commun & de sa préparation chimique.

Le sel commun n’est rien autre chose que ce qui fait la salure de l’eau salée, soit que cette eau
soit de l’eau de la mer, ou que ce soit quelque fontaine qui la fournisse, & lorsqu’on à évaporé
l’eau, il en résulte ce que nous appelions sel commun ou sel de cuisine. Or quoiqu’il y en ait
diverses espèces sous ce genre, le meilleur cependant est celui qu’on appelle sel marin, &
principalement celui qui a été desséché dans les marais salants par la force des rayons du soleil
& par le ferment salifique qui est particulier à la terre de ces marais après avoir reçu
l’impression de la lumière : voilà pourquoi nous recommandons à l’Artiste de se servir toujours
de ce sel, lorsqu’il trouvera le mot de sel commun dans quelque Auteur ou dans quelque
procédé manuscrit. Et comme le sel gemme n’est rien autre chose qu’une concrétion naturelle
du sel commun dans quelque matrice de la terre, aussi ne lui donnerons-nous point de
préparation particulière, puisqu’on le préparera de même que le sel commun.

§. 2. La Purification du sel commun.

Cette purification n’est que la simple dissolution du sel, sur lequel on veut travailler, dans de
l’eau de pluie ou dans celle de fontaine, pour en séparer quelques impuretés terrestres qui
pourraient communiquer quelque mauvaise qualité aux remèdes qu’on en tire. Il faut que la
dissolution se fasse dans une quantité d’eau proportionnée, & qu’elle se fasse à une chaleur
modérée, après quoi il faut couler la dissolution chaudement au travers d’une chausse de drap
ou d’un blanchet, ou si on veut être exact, il faut la filtrer par le papier, & faire cristalliser le sel,
& continuer après à faire évaporer l’eau à demi, & la mettre cristalliser au froid jusqu ce qu’on
ait retiré tout son sel pur & net, qu’il faut faire sécher & le conserver dans une boite ou dans un

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tonnelet qui ferme bien, qu’il faut tenir en lieu chaud & sec, afin de s’en servir à différentes
opération.

§. 3. La calcination du sel commun.

Il y a deux sortes de calcinations pour le sel, la décrépitation & la fusion. La décrépitation n’est
rien autre chose que la calcination du sel dans un pot de terre non vernissée à feu de roue,
jusqu’à ce que le sel ne pétille plus, elle se fait à cause du mélange du sel avec d’autres matières,
& lorsque le feu agit dessus, il pétille, saute & pète, & ainsi il peut éparpiller les autres matières,
ce qu’il ne fait pas lorsqu’il est décrépité, cette calcination le prive aussi de son humidité & de
son phlegme : mais si on lui donne trop de chaleur, l’esprit acide se dissipe, c’est pourquoi il
faut que l’Artiste gouverne le feu doucement en cette opération, & que ce soit plutôt une
dessiccation violente, qu’une calcination, qui prive le sel de son esprit actif.

La calcination qui se fait par la fusion, n’est autre chose que la fonte du sel décrépite dans un
creuset dans le four à vent, si on garde ce sel fondu dans un lieu chaud & sec, il se garde en
masse dont on se sert au besoin. Mais si on l’expose à l’air, il se résout en eau, qu’il faut filtrer &
la mettre dans une bouteille, c’est ce que Paracelse appelle Sal solutum & aqua salis, l’eau de sel
ou le sel résout. Il y a encore une troisième calcination du sel, qui s’appelle la calcination
fixatoire, qui se fait avec parties égales du sel commun & de la chaux vive, que l’on met dans un
pot de terre non vernissé, & que l’on couvre de son couvercle, puis on les met dans le four à
vent à une chaleur violente, jusqu’à ce qu’ils se fondent en masse, après quoi il faut cesser le
feu, & dissoudre la masse dans de l’eau de pluie, la filtrer & l’évaporer jusqu’à sec, il faut
réitérer cette calcination trois fois avec de la chaux vive, & à la fin on a un sel fusible, qui sert à
l’extraction des teintures des métaux, à quoi l’Artiste fera réflexion, car cela n’est pas sans
quelque mystère.

Après avoir donné ces préparations générales, il faut que nous disions quelque chose des vertus
générales du sel commun, avant que de venir à l’application particulière de celles que possède
chaque préparation qui s’en fait. Le sel commun en général est bon pour mondifier les ulcères
pourris & sinueux ; pour résoudre les tumeurs simples & les pestilentielles ; il apaise le feu des
brûlures, il dessèche la galle & la grattelle, il ôte les démangeaisons, il résout le sang extravasé,
efface la lividité des contusions, il apaise la douleur des dents, celles de la tête & les douleurs de
la goûte : mais pour tout cela l’usage n’en est qu’extérieur, mêlé dans de l’eau, dans du vinaigre
ou dans de l’urine selon la maladie : celui qui est le plus propre à tout cela, est celui qui a été
fondu sans addition, parce que son soufre interne commence à se manifester, comme cela paraît
par sa couleur rouge.

Mais si le sel a des vertus pour l’extérieur, il en possède encore beaucoup plus éminemment
pour l’intérieur car il échauffe, il dessèche, déterge, & purge, il a une douce astriction, il
consomme les superfluités, il pénètre, il digère, il ouvre, il incite, il aiguillonne à l’amour &

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résiste à la pourriture & aux venins : c’est pourquoi il est très bon pour corriger les crudités de
l’estomac, pour réveiller l’appétit, & pour le rappeler, lorsqu’il est perdu, pour ôter les
obstructions du ventre & des reins, & contre les douleurs de la colique ; c’est enfin, selon Basile
Valentin, le plus noble & le meilleur aromate, & le vrai baume de la nature.

§. 4. La distillation du sel commun.

Quoiqu’il y ait beaucoup d’Artistes qui ont philosophé sur la distillation du sel
commun, & qu’entre les autres Glauber ait enseigné le moyen d’en tirer grande
quantité en peu de temps, néanmoins je n’ai pas trouvé de moyen plus sur, plus
prompt, plus aisé, ni plus net, que celui que j’enseignerai.

Mais il faut que nous fassions quelques remarques qui sont nécessaires avant que de venir à
cette description ; car premièrement n’est-ce pas une chose étrange, que la plupart de ceux qui
décrivent cette opération, veulent que le sel soit décrépité ? or comme nous avons dit ci-devant ;
cette violente exsiccation, pour ne point dire calcination, sépare & enlève du sel son esprit
volatile, son phlegme & presque toujours la plus grande partie de son esprit acide, ce qui ne
doit pas être, puisque l’esprit volatile & le phlegme ont aussi leurs usages en la Médecine, &
qu’il ne faut pas que l’Artiste perde, faute de connaissance, ce qu’il peut facilement conserver
sans aucun risque de son opération, pourvu qu’il observe bien les degrés du feu.

Il faut que l’Artiste remarque aussi en second lieu, que quelques-uns mêlent des matières
hétérogènes avec le sel, pour en prétendre faciliter la distillation, comme de l’alun brûlé & du
colcotar de vitriol : mais ils ne considèrent pas que c’est altérer & changer la vertu de l’esprit de
sel. D’autres y mêlent de l’argile commune, & ne prennent pas garde que cette terre est
ordinairement mêlée de quelque semence métallique on minérale, comme on le sent
manifestement par l’odeur de la fumée des fourneaux où l’on cuit des tuiles on des briques, &
par celle des Potiers de terre.

Si bien que tout bien médité, l’Artiste doit choisir une terre qui soit la plus fixe de toutes, & qui
ne contribue que le moins qu’il est possible du sien à l’esprit de sel : or entre toutes les terres,
celle qu’on appelle sigillée, ou le bol fin sont d’une nature qui ne peut altérer le sel, qu’en
mieux, c’est pourquoi il se faut servir de l’une des deux pour la distillation de cet esprit, qui se
fait comme nous l’allons décrire, pour empêcher la fonte du sel.

§. 5. Comment il faut bien faire l’esprit de sel.

Prenez deux livres de sel commun purifié, broyez-le au mortier de marbre, & le mêlez par
parcelles de deux onces à la fois, avec six onces de bol fin ou de terre sigillée, & lorsque tout le
mélange sera bien exactement fait, il faut pister le tout avec de l’eau de sel, qui est le sel fondu
résout à la cave, & en former une pâte, dont on fera des boulettes, qu’on fera sécher dans un
four, après que le pain en aura été ôté, ou à la chaleur du soleil. Il faut casser une des boulettes

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pour connaître si elles seront séchées jusque dans le centre, & cela étant, il en faut emplir une
grande cornue de terre, qui soit lutée, & la mettre au réverbère clos, adapter un grand & ample
récipient à son col, qu’il faut exactement luter & couvrir le fourneau, auquel il faut laisser un
registre dans le milieu au-dessus de la retorte, afin de mieux faire circuler le feu à l’entour.

Lorsque le lut sera bien séché, il faut donner le feu doucement d’abord, afin de simplement
échauffer & modifier la matière & le vaisseau, & lorsque les gouttes commenceront à tomber, &
que le corps du récipient s’échauffera, il faut aller doucement, car c’est un signe que l’esprit
volatile du sel commence à se dégager du commerce de son corps, & comme c’est un esprit
subtil & igné, il faut fermer le registre & modérer le feu, jusqu’à ce que cette première furie soit
apaisée, car c’est le moment le plus dangereux de toute l’opération, à cause que cet esprit
sulfuré ne se coagule que difficilement, cela dure ordinairement quatre ou cinq heures, ensuite
de quoi l’esprit acide commence, ce qui paraît par des vapeurs & des nuages blancs qui
occupent le récipient, l’Artiste peut alors augmenter le feu, sans appréhender aucun danger & le
continuer de plus en plus, jusqu’à ce que la flamme sorte par le registre, & que le col de la
cornue paraisse tout de feu au travers du corps du récipient.

L’opération ne peut être bien achevée que dans l’espace de trente heures, après quoi, il faut
cesser le feu, & le lendemain ouvrir les vaisseaux, & on trouvera dans le récipient une liqueur
mêlée de l’esprit volatile, du phlegme & de l’esprit acide du sel, quelques autres ajoutent aussi
l’huile de sel, mais c’est improprement. Il faut verser le tout dans une cucurbite & l’ajuster au
bain-marie, afin d’en retirer l’esprit volatile qui monte le premier, qui a une odeur sulfurée, &
qui forme des veines subtiles & obliques dans le chapiteau, il le faut recevoir tant qu’elles
durent, & lorsque l’Artiste verra que les veines deviendront droites, & qu’il se formera des
gouttes qui n’auront plus l’odeur ni le goût de l’esprit volatile, il changera de récipient pour
recevoir le phlegme, & continuera le feu plus fort qu’auparavant, à cause qu’il ne monte pas si
facilement que l’esprit volatile. Et lorsque les gouttes qui distilleront auront de l’acidité, il faut
cesser le feu, car on aurait trop de peine au bain-marie, dont la chaleur n’est pas suffisante pour
élever l’esprit acide, à cause de sa pesanteur.

Or si l’Artiste veut se servir de l’esprit de sel en Médecine, il n’aura pas besoin de le rectifier
davantage, car il est d’une acidité excellente au sortir du bain-marie, c’est pourquoi il en
conservera le tiers ou la moitié pour son usage, & mettra la cucurbite au sable, afin de retirer
encore la moitié par la distillation, & il aura un vrai acide du sel qui sera très clair & très
agréable, & ce qui demeurera au fond de la cucurbite, sera jaune, pesant & d’un acide
mordicant & violent, qui servira à la dissolution des métaux, des minéraux, & principalement
des pierres, c’est ce qu’on appelle improprement huile de Sel.

Nous avons marqué ici toutes les circonstances de la distillation & de la rectification des esprits
des sels, afin que nous n’ayons pas besoin de le répéter inutilement, lorsque nous parlerons des
autres sels, puisque celui qui pourra bien faire l’esprit de sel, ne manquera jamais en la

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distillation des autres. Si bien qu’il ne nous reste plus qu’à marquer les propriétés & les vertus
des diverses substances qui sont sorties du sel commun.

Premièrement l’esprit volatile sulfuré est céphalique & sudorifique, c’est pourquoi on en peut
donner depuis deux gouttes jusqu’à dix dans des bouillons, & dans des eaux appropriées à ceux
qui sont tourmentés de la migraine & de quelque autre douleur de tête i il est aussi excellent si
on en mêle dans le breuvage ordinaire des fébricitants, parce qu’il étanche la soif, & apaise leurs
inquiétudes. Il faut aussi leur faire des fronteaux avec le phlegme, pour ceux qui ont des
douleurs invétérées, & pour concilier le sommeil aux malades qui ont beaucoup de chaleur &
d’inquiétude. Mais le phlegme est surtout excellent pour laver les plaies & les ulcères y qu’il
mondifie admirablement sans douleur, au contraire, il l’apaise s’il y en avait. Il est aussi
merveilleux pour fomenter les parties enflées & douloureuses des goutteux, pourvu qu’on y
mêle un peu de son esprit volatil & un peu de sel de saturne. L’esprit acide du sel est diurétique
& bon contre la pierre & la gravelle, il résout & chasse puissamment le tartre & le mucilage de
toutes les parties du corps ; c’est pourquoi il est utile pour ouvrir les obstructions du foie &de la
rate, & généralement de toutes les parties du bas ventre, il est excellent contre l’hydropisie, car
il éteint la soif de ceux qui en sont attaqués ; il est admirable contre la jaunisse & contre les
ébullitions du sang, parce qu’il chasse par les urines tour ce qui causait ces deux maladies. Il est
souverain pour arrêter la gangrène, & pour résister à toute sorte de corruption & de pourriture,
si on en mêle avec de l’huile de térébenthine ou avec celle de cire, il apaise la douleur des
goûtes, & en dissipe les tophes & les nodosités, il ranime aussi & guérit la contraction des
membres & leur sécheresse y aussi bien que leur atrophie.

Nous avons parlé ci-dessus de l’esprit de sel doux ou de l’eau tempérée, lorsque nous avons
traité du corail & de sa teinture, où nous avons dit aussi ses propriétés & ses vertus : c’est
pourquoi nous ne le répétons pas ici. Nous ajouterons seulement encore une distillation d’un
esprit de sel extraordinaire qui est bien philosophique, & qui a une vertu toute particulière.

§. 6. L’esprit de sel essentiel & stomachique.

Prenez du sel purifié, qui soit bien sec, & qui ait été calciné au feu ouvert dans un creuset
jusqu’à blancheur. Mettez-le dans un marras & l’imbibez d’huile de sel, qui est le dernier esprit
qui demeure en la rectification an fond de la cucurbite. Faites l’imbibition peu à peu en agitant
le vaisseau, jusqu’à ce que le mélange soit réduit en une bouillie claire : il faut luter le matras
avec un autre de rencontre, puis le mettre en digestion aux cendres à une chaleur modérée &
égale, jusqu’à ce que l’huile de sel soit bien unie avec le sel calciné & qu’il soit desséché,
recommencez alors l’imbibition, la digestion, l’union & l’exsiccation, tant de fois & si longtemps
que le sel ne veuille plus recevoir l’imbibition, & qu’il soit tellement rassasié de cette huile,
qu’elle surnage sans le pénétrer.

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Mais le vrai signe concluant, que ce sel fera prêt à être distillé, c’est qu’il sera devenu d’un beau
jaune doré, & qu’il aura une odeur agréable & douce : cela étant il le faut mettre dans une
cornue, le distiller à un feu bien gradué, & il en sortira des fumées & des nuages très blancs, qui
se convertiront peu à peu en liqueur, la distillation étant achevée, il faut rectifier cet esprit au
bain-marie pour en séparer le phlegme, & on aura un esprit de sel essentiel & stomachique, qui
n’a point son pareil dans la Médecine, pour arrêter en un moment & comme par miracle tous les
vomissements dans quelque accident ou dans quelque maladie que ce soit. Il y en a qui croient
que cet esprit est capable d’extraire & d’attirer la teinture de l’or en soi, sans une entière
dissolution ni désunion de tout le corps. La dose est depuis une goutte jusqu’à quatre, dans un
peu de bouillon, dans une cuillerée de sirop de grenades ou d’écorce d’oranges, ou dans un peu
de vin.

§. 7. Comment il faut faire les cristaux doux du sel commun, ou l’esprit de sel coagulé.

Il faut avoir premièrement une retorte qui soit grande & ample, qui soit faite une bonne terre
qui soutienne bien le feu & qui ne soit point poreuse, il faut que le col de la retorte soit large de
trois bons doigts de diamètre, afin de donner une plus libre sortie aux esprits qui sortent en
abondance, il faut encore qu’elle ait au haut un canal en forme d’entonnoir, qui soit haut
seulement de cinq pouces, & qu’il y ait un bouchon fort juste qui le ferme facilement & qu’on en
puisse retirer avec la même facilité sans ébranler la cornue ; il faut de plus murer cette cornue
dans le réverbère clos, y laisser quatre registres aux quatre coins, & que le canal du haut de la
retorte soit justement dans le milieu, cela étant ainsi il faut jeter dans la cornue quatre livres de
sel marin bien purifié & bien desséché, adapter un très ample ballon an col de la retorte, & qu’il
y ait une livre d’eau de pluie distillée dedans, luter les jointures exactement & laisser sécher le
lut qu’il n’y ait aucune fente, puis commencer à donner le feu par degrés, qu’il faut augmenter
de telle sorte, qu’il mette le sel en effusion dans la cornue : cela étant, il faut y jeter une ou deux
gouttes d’eau froide avec une plume pat le canal d’en haut & le boucher aussitôt, & on verra
grande abondance de vapeurs, qui passeront dans le récipient, & lorsque le récipient est éclairci,
recommencez d’y jeter encore une ou deux gouttes d’eau au plus, car autrement tout sauterait,
& l’Artiste courrait risque d’être blessé ; on doit ainsi continuer l’entretien du feu violent pour la
fonte du sel, & y mettre de l’eau jusqu’à ce que tout le sel soit passé en esprits & en vapeurs,
après quoi, faites cesser le feu & laissez refroidir les vaisseaux.

Il faut mettre tout ce qui se trouvera dans le récipient au bain-marie dans une cucurbite, s’il est
clair & net, sinon il le faudra filtrer avant que d’en retirer le phlegme & l’eau de pluie qu’on y
avait ajouté, puis essayer au froid s’il se fera quelque cristallisation : si cela se fait, il faut en
séparer les cristaux, & continuer l’extraction de l’humidité superflue & la cristallisation jusqu’à
ce qu’il ne se fasse plus de cristaux, il faut conserver une partie de ces cristaux qui sont doux &
agréables, dans une fiole qui soit très exactement bouchée, à cause qu’on les peut transporter

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plus facilement, & mettre résoudre le reste à la cave en une liqueur qui aura la même vertu,
mais la dose en sera plus grande.

Les cristaux & la liqueur sont deux bons sudorifiques, ils apaisent tout à fait la soif des
hydropiques, ils rétablissent dans les corps de ces pauvres languissants l’humidité essentielle
que cette maligne maladie épuise tous les jours, ils fortifient leur digestion, & rétablissent tous
les viscères qui souffrent & qui sont altérés, enfin c’est un vrai baume vital dans toutes les
autres maladies & particulièrement dans la peste & dans toutes les fièvres malignes & ardentes.
Ce sont aussi de bons remèdes topiques pour mondifier les mauvais ulcères, & pour résoudre
les tumeurs.

DU NITRE.

§. 8. Du nitre ou du salpêtre, & de sa préparation chimique.

Quoiqu’il y en ait plusieurs, qui prennent le salpêtre pour un sel universel, à cause qu’ils croient
qu’il possède en soi l’âme du monde, nous ne sommes pas néanmoins de ce sentiment, & on
entend par le nitre ou par le salpêtre, ce sel cristallin hexagone, qui sert à la composition de la
poudre à canon. Mais si on entend par le nitre ou par le salpêtre, un sel mystérieux qui est l’âme
de la génération physique, le fils de la lumière & le père de toute germination & de tonte
végétation, nous avouons que ce sel à cet égard est universel : mais nous disons en même temps
qu’il est plus intelligible que sensible, & que ce divin sel ne peut être compris ni voilé sous
aucune autre écorce, que sous l’enveloppe du sel sulfuré volatil & mercuriel de tous les
produits naturels, puisque ce sel est doué de toutes les vertus essentielles & centriques des
mixtes sublunaires.

Mais pour ce qui est du nitre ou du salpêtre, dont nous nous servons tous les jours, nous ne
nions pas qu’il ne possède en soi beaucoup de soufre volatil & d’esprit mercuriel, qui
proviennent de la lumière ; qui sont enveloppés, enfermés & scellés dans une matière saline,
grossière & terrestre, qui lui vient de la terre & de l’eau, ce qui est cause qu’il faut beaucoup
philosopher & encore plus travailler, avant que de se rendre capable de faire la séparation de
ces diverses substances, par le dégagement de cet admirable agent, hors du commerce de sa
matière sans perte d’aucune des qualités essentielles & célestes qu’il contient.

Or comme ce n’est pas notre projet de traiter universellement du salpêtre, aussi n’en parlerons-
nous ici que comme d’un sel minéral, qui se tire de la terre fertile & grasse, dont on fait une
lessive avec l’eau que ce sel coagule avec soi, comme cela se prouve par la fonte du nitre, qui
perd dans cette action du feu ce qu’il y avait d’aqueux en lui, en sorte qu’il ne lui reste que le
goût & la vertu d’un sel urineux & lixivial, qui n’est proprement autre chose, que ce sel gras &
fertile qu’on a tiré de la terre, que le feu a séparé de l’eau que la nature ou l’art y avait mêlée, ce
qui n’est pas un des moindres mystères de la Chimie, si on y prend garde & qu’on médite bien

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là-dessus. Car il faut confesser que le nitre est un des plus merveilleux & des plus puissants
agents que la nature ait prêté à l’art, comme l’Artiste l’aura pu remarquer par les opérations où
nous l’avons employé, ce qu’il remarquera encore par celles que nous décrirons dans la suite.

Disons-donc que le salpêtre est un sel sulfuré volatil en partie, & qui est mêlé d’un autre sel
terrestre d’un goût salin & amer, qui se tire des terres grasses, & des démolirions des bâtiments
antiques, aussi bien que des voûtes des caves & des écuries, à cause que la terre a reçu
l’impression des excréments & de l’urine des animaux, dont le sel volatil s’est joint & corporifié
avec le sel de la terre, & qui se sont joints & unis comme indivisiblement ensemble par l’action
de la lumière & de l’air, & par celle de l’archée de la terre, qui est le directeur de toutes les gé-
nérations minérales.

Les Chimistes l’appellent le cerbère chimique, le sel infernal, le sel sulfuré, le dragon de la terre
& le serpent ailé. Or comme nous avons toujours commencé par recommander à l’Artiste, de
faire un bon choix des matières avant de les mettre en œuvre, aussi faut-il qu’il prenne bien
garde à choisir le salpêtre, & qu’il sache faire la différence encre celui qui sera bon de soi, sans
aucune séparation préalable, & entre celui qui contient encore beaucoup de sel fixe, qu’il faut
nécessairement dépurer & séparer de ce sel, afin qu’il soit sans mélange. Les marques visibles
de cette pureté, sont la longueur des aiguilles, leur blancheur & leur transparence, & la figure à
six pans que ce sel prend toujours dans sa cristallisation : il y a de plus le goût, qui doit être
d’une acidité acerbe & un peu amère, qui se termine en un acide salin. Néanmoins toutes ces
marques ne sont pas encore concluantes pour sa bonté & sa pureté ; c’est pourquoi l’Artiste
aura recours à l’épreuve qui s’en fait par le feu ; il faut donc qu’il prenne un charbon ardent &
qu’il mette une drachme ou deux de nitre dessus, & qu’il le laisse brûler & évaporer en l’air, s’il
ne reste rien sur le charbon, lorsque l’action du feu est passée, c’est un vrai signe de la bonté &
de la pureté du salpêtre : mais il jugera de son prix & de sa bonté par le moins ou le plus de sel
fixe qui demeurera sur le charbon.

Les Médecins disputent entre eux des premières qualités du nitre, car il y en a qui le croient
froid & les autres le croient chaud. Mais sans nous amuser à cette minutie, disons généralement
les vertus du nitre, qui feront paraître que les derniers ont plus de raison que les premiers,
puisqu’il résiste à la pourriture, qu’il étanche la soif & qu’il rafraîchit puissamment les malades,
particulièrement les fébricitants, or il ne produit pas ce bel effet par quelque qualité froide, mais
par la subtilité de ses parties, qui insinue & qui fait pénétrer le breuvage des malades depuis le
centre du corps jusqu’à sa circonférence ; de plus, ce sel a un soufre & un esprit subtil en soi, qui
recrée & qui fortifie l’archée, en sorte qu’il le dispose à améliorer les fonctions qu’il exerce : de
plus le nitre incise & atténue les glaires, les mucilages & les coagulations tartarées qui causent
les obstructions, il résout le sang caillé, & apaise les douleurs.

On le donne aux malades qui sont travaillés de la pleurésie, des fièvres ardentes & putrides,
contre la gravelle des reins & de la vessie, & dans les chaudes pisses. Son usage est aussi fort

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recommandable en gargarisme contre les inflammations je la gorge & contre la squinancie. On


l’applique avec beaucoup de succès extérieurement en fomentation, avec des compresses pour
ôter la chaleur & la douleur des brûlures, & des autres inflammations qui proviennent de
quelque effervescence du sang. Mais c’est assez parler de son usage général, il faut attendre
d’en parler plus particulièrement en la description de ses préparations, qui sont sa purification,
sa calcination, sa fixation & sa distillation.

§. 9. La purification du nitre.

Prenez dix livres de nitre commun, qui est celui qu’on appelle de la première cuite, mettez-le
dans un pot de terre vernissée, placez le pot au four à vent, & lui donnez le feu peu à peu,
jusqu’à ce que le nitre fonde, lorsqu’il sera en fonte, il y faut jeter peu à peu deux onces de pou-
dre d’alun & de sel armoniac, qui aient été broyés ensemble. Ces matières feront une
effervescence à chaque fois, qui chassera la graisse & les impuretés du nitre, qu’il faut ôter avec
une cuillère de fer qui soit chaude, & lorsque la poudre sera achevée, il faut bien nettoyer la
superficie du nitre de tout ce qu’il y a d’impur, puis le jeter dans un mortier de bronze qui soit
bien net & bien chaud. Lorsque le nitre est refroidi dans le mortier, il le faut broyer & le
dissoudre dans de l’eau de fontaine à la chaleur d’un feu de bois qui soit bien clair, puis le
couler au travers d’un blanchet de drap, & verser aussitôt dans cette colature chaude, quatre
onces de bon vinaigre distillé, puis mettre le vaisseau en un lieu frais, & l’y laisser durant vingt-
quatre heures, & vous trouverez votre nitre bien cristallisé en beaux cristaux clairs &
transparents : il faut en séparer l’eau, & la faire évaporer par une ébullition lente jusqu’à la
réduction de la moitié, qu’il faut aussi faire cristalliser au froid.

Mais l’Artiste doit remarquer, qu’il est nécessaire qu’il se serve toujours du nitre qui est
provenu de la première cristallisation pour toutes les préparations qui doivent être prises par la
bouche, & qu’il doit se servir de celui qui reste pour faire les eaux forces, & des opérations qui
sont de moindre conséquence. Il faut faire sécher doucement le nitre encre deux tamis
renversés, & couverts de linge ou de papier, afin qu’il ne soit point souillé, puis le mettre dans
des boites qui soient bien fermées en quelque lieu sec & chaud, pour s’en servir aux opérations
qu’il est nécessaire d’avoir dans la boutique chimique.

§. 10. La calcination du nitre, pour faire le cristal minéral.

Prenez dit nitre purifié de la première cristallisation qui soit bien sec, mettez-le fondre au feu
ouvert dans un bon creuset qui résiste bien au feu, qui ne fende pas, & qui ait été bien recuit.
Lorsqu’il sera fondu, il y faut jeter peu à peu une demi-drachme de fleurs de soufre pour
chaque once de nitre : cela fait, il le faut jeter dans une bassine de cuivre qui soit très nette, &
l’agiter, afin qu’il s’étende en forme de plaque, dont on puisse couper des tablettes en losange,
ou bien il en faut former des rotules avec une petite cuillère de fer qui soit chaude, en le versant

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sur une platine de fer poli, ou sur un marbre. Si on ne veut pas se donner cette peine, il faut
simplement verser ce nitre ainsi préparé, & fondu dans un mortier qui soit net & chaud.

Or je prends cette calcination plutôt pour une réitération de purification, que pour une vraie
préparation du cristal minéral : c’est pourquoi il faut avoir de l’eau qui ait été distillée du suc de
la chicorée sauvage, de la buglosse ou de la bourrache, & faire fondre ce prétendu cristal
minéral dedans une portion convenable de cette eau, & le filtrer par un papier, qui soit rempli
de roses de Provins, ou de fleurs de buglosse & de bourrache, qui aient été humectées avec un
peu d’esprit de soufre, de sel ou de vitriol, & ainsi vous aurez un cristal minéral agréable par
son goût, par sa couleur & par sa vertu, qui aura véritablement en soi les propriétés que nous
avons attribuées au salpêtre : mais surtout ce sera un vrai anodin, & un excellent sédatif je la
soif & des inquiétudes des fébricitants, auquel on peut & doit donner légitimement le nom de
Lapis prunellae, ou sel prunellae, car c’est un souverain remède contre ces fièvres malignes &
putrides, qu’on appelle les fièvres prunelles, comme qui dirait ardentes, du mot latin pruna, qui
signifie une braise, ou un charbon ardent.

La dose est depuis un demi-scrupule jusqu’à une drachme, dans la boisson ordinaire des
malades, dans quelque décoction, dans des bouillons, ou dans une eau distillée, appropriée à la
maladie.

Ce cristal minéral est un remède général, qui peut être spécifié par l’addition de beaucoup de
sels, qui se peuvent unir & incorporer avec lui, comme le sel de saturne, duquel nom avons
parlé en traitant du plomb, celui des perles, celui de corail & ainsi des autres, & par-là on aura
un cristal minéral, cordial, hépatique, splénétique ou stomachique, selon la vertu du sel qu’on
aura joint & coagulé avec ce nitre bien préparé.

§. 11. La fixation du nitre.

Faites fondre six livres de nitre bien pur dans une marmite de fer au feu ouvert, & lorsqu’il sera
fondu, jetez-y continuellement par parcelles de la poudre de charbon, qui s’allumera aussitôt, &
qui consumera doucement par l’action de son feu & de son souffre, l’humidité aqueuse que le
sel de la terre avoir coagulé & uni à soi dans la cristallisation. Il faut continuer de jeter de la
poudre de charbon, tant & si longtemps qu’elle ne s’enflamme plus, & que ce qui reste du nitre,
devienne épais & d’une couleur bleuâtre & verdâtre ; alors il faut cesser & retirer ce sel du pot
dans un mortier chaud : que si l’Artiste en veut conserver entier, il faut qu’il le mette tout chaud
& tout sec dans une bouteille y & qu’il la bouche exactement avec un bouchon qui ait été trempé
dans de la cire fondue.

Ceci est véritablement du nitre fixe, & qui a bien changé de nature, car il n’est plus volatil, ni ne
se cristallise plus ; au contraire, il se résout à l’air en liqueur ignée, subtile & pénétrante, qui a
un goût urineux & lixivial comme le sel de tartre, mais qui est pourtant plus piquant & plus

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 566

pénétrant. On a l’obligation de cette liqueur à Monsieur Glauber, qui nous en a donné la


description sous le nom de la liqueur alcaest, pour tirer par son moyen les teintures de tous les
corps naturels : soit animaux, soit végétaux, soit minéraux, & véritablement cette liqueur a
quelque chose en soi qui est très considérable, puisqu’elle est capable d’extraire les soufres des
métaux, pourvu qu’on les ait bien ouverts auparavant, ceux des minéraux lui cèdent très
facilement ce qui doit faire conclure qu’il se charge comme en un instant des soufres & des sels
volatils des animaux & de ceux des végétaux. Les Apothicaires Chimiques qui seront curieux de
ces belles opérations, les trouveront dans les livres que nous a donnés ce grand & célèbre
Artiste.

Mais le Naturaliste a beaucoup à philosopher sur cette fixation du nitre, qui se fait par le moyen
du soufre végétable du charbon, qui le change en la nature de sel alcali, qui a un goût urineux &
laxivial, puisque ce sel est capable de rendre les plus mauvaises terres férales, si on prépare les
semences avec une liqueur qui sera composée de ce sel & de quelque autre chose, puisque cet
admirable sel anime & nourrit tellement le germe de la semence, qu’il multiplie jusqu’à un
nombre si grand, qu’il semble hyperbolique & fabuleux à ceux qui ne comprennent pas le
mystère que la nature tire de la lumière, des esprits & des sels. Et comme le sperme végétable
de la semence trouve dans celte liqueur saline ce qui est analogue à son principe, il le tire & le
suce avidement, ce qui est cause qu’étant fortifié & comme doublé, il pousse des tuyaux
beaucoup plus robustes & en plus grand nombre, qui fournissent des épis & des grains au-
dessus de la croyance, comme cela s’est vu à Paris depuis quelques années.

Mais afin de rendre cela plus palpable & plus pathétique, il faut méditer sur ce que font les
paysans de la Bretagne & des Ardennes, qui rencontrent des terres ingrates & infertiles, qui ne
produisent que des bruyères, de la fougère, de méchants joncs & du genêt : ces pauvres gens
écorchent la terre de son gazon, ils en arrachent les genêts & la fougère, font sécher le tout par
monceaux éloignes les uns des autres, ils y mettent le feu, & laissent agir les influences & la
pluie sur cette terre calcinée qui contient l’alcali de toutes ces plantes qui a été fixé par le soufre
qu’elles avaient en elles : or ce sel alcali par le moyen de ce soufre, contient une graine & une
humidité visqueuse, pesante & lente, qui se communique à la légèreté, à la sécheresse & à la
trop grande porosité de la terre, qui la retient avec plaisir comme une nourriture agréable, &
lorsque la pluie abonde, il n’en peut être sitôt désuni, ni ne peut être enlevé par la violence de la
chaleur du soleil à cause de sa fixité ; & ainsi lorsque ces paysans ont labouré é ensemencé ces
terres, il en recueillent beaucoup de seigle la première année & de l’avoine la seconde. Nous
n’avons rapporté ceci que pour engager l’Artiste à méditer sur ce sel, & qu’il en remarque
mieux l’excellence & la bonté, qui ne lui vient que du mystère de nature qui est contenu dans le
salpêtre, & qu’il cherche le moyen de l’en dégager.

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§. 12. Pour faire la terre feuillée dissoluble du nitre fixé.

Prenez une livre de nitre fixé que vous aurez réservé dans la bouteille, versez dessus deux livres
de bon vinaigre distillé, faites les digérer ensemble durant vingt-quatre heures aux cendres,
puis distillez & retirez la liqueur jusqu’à sec, & votre vinaigre montera en eau insipide, réitérez
la même opération & de la même sorte avec de nouveau vinaigre distillé, jusqu’à ce que le
vinaigre en sorte avec la même acidité que vous l’y aurez versé, alors desséchez-le comme il
faut & le dissolvez dans de très bon esprit de vin alcoolisé & le filerez, digérez-les ensemble
durant quatre jours naturels, puis les distillez au bain-marie jusqu’à sec, afin d’en retirer l’esprit
de vin, qui sera encore bon à toutes sortes d’usages. Mettez ensuite la cucurbite où est le sel au
sable, & lui donnez le bon feu, & le sel se purifiera de tout ce qui lui peut être resté d’impureté,
& restera au fond du vaisseau en une substance talqueuse, blanche, d’un goût très agréable, &
dissoluble dans toutes sortes de liqueurs, & qui fond à la chaleur comme de la cire.

C’est un des meilleurs remèdes qui soit sorti de la boutique chimique, car il ouvre toutes les
obstructions, & purge doucement & sans préjudice de la faculté digestive de l’estomac, par les
selles, par les urines & par la sueur. Il corrige la malignité de tous les purgatifs, & augmente
leur vertu au double. C’est un des plus souverains médicaments dont on se puisse servir contre
les maladies chroniques & en racinées. La dose est depuis un demi-scrupule jusqu’à une demi-
drachme & deux scrupules, dedans de l’infusion de rhubarbe faite avec ce sel, un peu de candie
& de vin blanc, ou dans du bouillon.

§. 13. La distillation du nitre pour faire l’esprit de nitre.

Prenez deux livres de salpêtre dépuré, broyez-le peu à peu avec six livres de bol commun, &
lorsqu’ils seront bien mêlés, formez-en une pâte avec de l’eau qui soit aussi chargée d’autant de
salpêtre pur qu’elle en aura pu dissoudre à froid, malaxez bien la masse, & la roulez pour en
former des boulettes qui puissent entrer dans une grande retorte de terre qui soit bien lutée,
qu’il faut placer au réverbère clos, & adapter un grand récipient au col delà cornue, qui soit
exactement luté d’un lut salé.

Lorsque le lut sera sec, il faut commencer à donner le feu par degrés & le continuer durant vingt
ou vingt-quatre heures, avec la même gradation que nous l’avons enseigné en la distillation de
l’esprit de sel. Il y à pourtant cette différence qu’il n’y a que le seul salpêtre qui pousse les
esprits rouges, à cause de son âme & de son soufre interne qui est le fils du soleil ; car tous les
autres sels ne poussent que des vapeurs blanches, c’est ce que les anciens ont appelé le sang de
la salamandre, comme qui dirait le sang & l’âme du feu. Telle est la plus ordinaire façon de faire
l’esprit de nitre pour s’en servir à toutes les dissolutions & aux autres opérations chimiques.
Mais il y a encore une autre manière de le faire plus subtil pour l’usage intérieur, afin qu’il
serve de remède : ce qui se fait ainsi.

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Prenez du plus fin salpêtre qui se puisse trouver, qui soit très sec, mettez-en deux livres en
poudre dans un mortier chaud en un jour bien sec & bien serein, mettez aussi en poudre six
livres de pots de terre ordinaire qui aient seulement été travaillés & séchés, mais qui n’aient
point été cuits, mêlez cela exactement ensemble & le versez dans une cornue de verre qui soit
ample, & dont le col soit fort large, & principalement du coté du ventre de la cornue : il faut que
la cornue soit lutée d’un bon lut bien adhérent & qui soit permanent au feu sans se détacher, &
sans faire de fentes, adaptez au col un très grand récipient luté simplement d’une vessie
mouillée, commencez le feu très lentement, & continuez de même en l’augmentant peu à peu,
jusqu’à ce que tout le flegme soit passé, & que le récipient commence à rougir, alors il faut vider
le récipient ou en substituer un pareil en sa place qui soit sec & net, qu il faut luter avec de la
même terre, avec laquelle on aura luté la cornue, il faut alors augmenter le feu, le continuer tant
& si longtemps que l’Artiste apercevra que les goûtes tomberont rouges ou jaunes, ou que le
récipient commence à perdre de sa haute rougeur, durant même la plus forte expression du feu,
car c’est le vrai signe de la fin de l’opération, & non pas attendre qu’il s’éclaircisse, car cela ne se
ferait jamais, à cause des vapeurs rouges que cet esprit pousse continuellement.

Mais il faut que l’Artiste soit averti de se précautionner, lorsqu’il viendra à déluter les
vaisseaux, & à verser cet esprit qui sera rouge, fumeux & tellement subtil & volatile, qu’il serait
capable de le suffoquer ou de lui faire tout perdre & tout casser : c’est pourquoi il se mettra au-
dessus du vent & bouchera son nez, n’ouvrira point la bouche, & versera cela avec grande
circonspection ; ce qui est cause qu’il faut qu’il tienne la bouteille & l’entonnoir de verre tout
prêt, afin de ne point tarder. Il faut boucher très exactement la fiole où sera cet esprit avec un
bouchon de verre qui joigne justement de tous les côtés, afin que rien n’en puisse expirer. Cet
esprit a des vertus admirables pour la médecine & pour la métallique : mais comme il est si
subtil & si volatil, qu’à peine le peut-on conserver, & encore moins le transporter ni l’envoyer, il
faut le mêlée & le circuler comme il s’ensuit.

§. 14. L’esprit de nitre circulé pour la Médecine.

Prenez six onces de l’esprit rouge de nitre, douze onces d’eau de mélisse & deux onces d’esprit
de fleurs de muguet, mettez-les ensemble dans un pélican qui soit ample ou dans des matras de
rencontre qui aient le col fort long, & les placez au bain vaporeux dans de la paille d’avoine ou
paille hachée, & les digérez à une chaleur extrêmement douce & humaine durant sept jours
continuels, puis il faut mettre cet esprit circulé & uni à l’autre esprit & à l’eau dans une fiole
forte qui soit bouchée comme nous l’avons dit de l’esprit : c’est un admirable remède contre
l’apoplexie & contre l’épilepsie, contre les coliques, & généralement contre toutes sortes
d’obstructions, il est aussi très bon contre les fièvres & contre la peste. La dose est depuis un
scrupule jusqu’à une drachme & une drachme & demie, dans du vin, dans des bouillons, dans
quelque décoction ou dans quelque eau distillée, qui soit appropriée à la maladie.

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Or comme les eaux fortes & les eaux régales ne tirent proprement leur vertu dissolvante que du
nitre, quoiqu’on y mêle ordinairement des autres sels, tels que sont l’alun, le sel commun, le sel
gemme, le vitriol & le sel armoniac ; aussi faut-il que nous donnions leur description, en cet
endroit comme nous l’avons promis ci-devant.

§. 15. Comment il faut faire une bonne eau forte.

On a donné ce nom d’eau forte à l’esprit, qui se tire du nitre & du vitriol, à cause qu’il a la force
de dissoudre les corps de tous les métaux, à l’exception de l’or, auquel cette eau ne touche point
qu’elle ne soit réalisée, c’est-à-dire, qu’elle ne soit rendue capable de dissoudre l’or, qui est le
Roi des métaux, ce qui a fait nommer cet autre dissolvant eau régale ou royale. L’eau forte se
sait ainsi.

Il faut prendre parties égales de salpêtre de la seconde cristallisation, & de vitriol qui soit
simplement desséché, auxquels il faut, ajouter la moitié de leur poids, de farine de briques bien
sèche & les mettre dans une bonne retorte de terre exactement lutée. Adaptez-y le récipient &
en faites l’opération & la distillation avec les mêmes précautions que celles que nous avons
remarquées pour la distillation de l’esprit de sel. Il faut pousser le feu durant vingt-quatre
heures, & les huit dernières, heures doivent être chassées au feu de flammes, afin de tirer les
derniers esprits du centre de leur propre terre, dans laquelle ils sont étroitement engagés. Or il
reste un sel d’une nature moyenne dans la tête morte, qui a beaucoup de vertu, à cause du
mélange & de l’action & réaction du vitriol & du nitre l’un sur l’autre, dont on peut faire un
très-bon remède, aussi qu’il s’ensuit.

§. 16. Le nitre vitriolé, autrement l’arcane, eu la panacée double.

Faites digérer la tête morte de l’eau forte dans de l’eau de pluie distillée, qui soit bouillante, &
l’agitez souvent, afin d’en mieux extraire le sel, filerez la dissolution, & en faites l’évaporation
lentement aux cendres dans une terrine de grès ou dans un vaisseau de verre, & lorsqu’il se for-
mera une pellicule au-dessus de la liqueur, mettez cristalliser ; après quoi continuez
l’évaporation jusqu’à ce que vous ayez retiré tout le sel, qu’il faut tant de fois dissoudre, filtrer,
évaporer & cristalliser jusqu’à ce qu’il soit clair, net & pur.

Prenez alors deux parties & demie de sel & une demi-partie de cristal minéral, qui soit préparé
comme nous l’avons enseigné, mettez-les dans une cucurbite qui soit bien lutée, après les avoir
trituré ensemble en poudre très subtile, il faut les calciner à feu ouvert dans cette cucurbite en
donnant le feu par degrés jusqu’à ce qu’ils fluent ensemble ; puis retirez la matière après que le
vaisseau sera refroidi, & la broyez encore une fois avec un huitième de cristal minéral, &
recommencez encore la calcination & la fonte dans une nouvelle cucurbite lutée. Après cette
seconde calcination, il faut dissoudre ce qui sera resté dans de l’eau de pluie distillée, filtrer la
dissolution, puis l’évaporer à la vapeur du bain-marie jusqu’à sec. Après quoi, broyez ce sel

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ainsi desséché sur le porphyre en alcool avec une huitième partie de chaux d’or qui soit très
bien ouverte, & les mêlez comme indivisiblement ensemble par la trituration, puis remettez ce
mélange dans une nouvelle cucurbite lutée, & le calcinez à un feu bien gradué jusqu’à ce qu’il
ait flué. Alors il faut cesser le feu & laisser refroidir le vaisseau, & en retirer ce grand remède,
dont on a plusieurs belles expériences contre toutes les maladies mélancoliques, & dans toutes
sortes de fièvres, tant continues qu’intermittentes ; contre la gravelle & le scorbut, & enfin
contre toutes sortes d’obstructions.

La dose est depuis un demi-scrupule jusqu’à deux dans quelque confection, dans quelque
conserve ou dans quelque liqueur propre. On ne saurait trop louer les vertus de ce sel ni sa
façon d’agir ; car il provoque doucement le sommeil, & remet l’archée du ventricule dans sa
tranquillité ordinaire, lorsqu’il est dérangé, enfin il y a un certain mystère caché la-dessous,
dont il est bien difficile de pouvoir rendre aucune raison, si ce n’est que nous concevons qu’il
faut que ce sel ait reçu les éradiations du soufre anodin du vitriol, par le moyen de la grande
expression du feu, ou qu’il ait suffisamment ouvert le sel pour lui faire communiquer ses
bénignes influences, mais nous croyons plutôt le premier que le dernier.

§. 17. Comment il faut régaliser l’eau forte.

Les Artistes ont accoutumé de régaliser leurs eaux fortes avec du sel décrépité ou avec du sel
armoniac. Les uns en font la simple distillation de l’un ou de l’autre dans l’eau forte, savoir une
partie de sel & quatre pâmes d’eau forte. D’antres mêlent deux parties de nitre & une partie de
sel armoniac avec trois parties de la tête morte de l’eau, & distillant cela à l’ordinaire ; Il y en a
encore d’autres qui font des eaux qu’ils nomment gradatoires, avec le sublimé, l’arsenic,
l’orpiment, le soufre, le cinabre, de l’aes-ustum, du verdet & ainsi avec beaucoup d’autres
choses : mais comme tout cela ne sert pas à la Médecine, & que de plus, les mauvaises vapeurs
qui en sortent tuent,& hébètent le cerveau & donnent des tremblements fâcheux, nous n’en
mettrons aucune description ici, puisqu’elles ne sont rien pour notre objet, qui est de conserver
& de rendre la santé, & non pas de la détruire ou de l’affaiblir. Mais comme nous avons besoin
d’une bonne eau régale qui soit pure & bien faite pour réduire l’or en une chaux subtile & bien
ouverte, l’Artiste la fera comme il suit.

§. 18. Comment il faut faire la vraie eau régale.

Prenez six onces de rouge esprit de nitre, & quatre onces de sel gemme en poudre, mettez le sel
gemme dans une cornue assez ample, versez dessus l’esprit de nitre & les mêlez bien ensemble,
placez la retorte au sable, & lui appropriez un très grand récipient, qu’il faut luter sans
beaucoup de circonspection, pourvu que le col de la cornue soit ample, & qu’il entre un demi-
pied dans le corps du récipient, donnez le feu par degrés, & l’augmentez peu à peu jusqu’à ce
que le sel gemme soit tout à fait desséché, & qu’il n’en sorte plus de gouttes ni de vapeurs.

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Il faut verser cette véritable eau régale dans une bouteille qui soit d’un bon verre de Lorraine, &
qui soit double & bien recuit, qu’il faut boucher avec un bouchon de verre qui ait été rendu
juste au col de la bouteille en le tournant dedans avec de l’émeri en poudre & de l’huile,
autrement elle s’évaporerait : c’est pourquoi je conseille aux Artistes de ne la point faire qu’ils
ne soient prêts à la mettre en œuvre : c’est avec ce dissolvant qu’il sera capable de préparer l’or
comme il faut, afin de le réduire en une chaux qui puisse servir aux opérations qu’il voudra
entreprendre, ou pour satisfaire sa curiosité, & pour connaître la sphère de l'activité de l’art, ou
pour en tirer des remèdes qui puissent servir aux pauvres malades.

DE L’ALUN.

§. 19. De l’alun & de sa préparation chimique.

Nous n’entendons ici autre chose par alun qu’une substance saline, qui est dissoluble dans
l’eau, quoiqu’il y ait beaucoup d’autres choses qui portent improprement ce nom, qui tiennent
plutôt de la nature du talc par leur incombustibilité que de celle de l’alun, dont nous vouions
traiter, comme d’une matière qui est propre à cette présente section, ou nous ne parlons que des
sels.

L’alun donc nous entendons donner les préparations, est celui qu’on appelle en Pharmacie
alumen rupeum, & en Français alun de roche, qui n’est autre chose que la salure d’une terre
minérale, qui tient de la nature du plomb ou de saturne, qui porte en loi un esprit acide, & un
sel âcre & caustique.

Notre alun se fait de trois façons, car on en trouve premièrement de tout fait, & condensé de soi-
même dans les veines des terres alumineuses secondement, il se fait par l’évaporation des eaux
minérales alumineuses : & troisièmement, on le tire aussi par la dissolution des terres, des pierres
ou des autres minéraux qui abondent en sel alumineux.

Les vertus générales de ce se sont de dessécher, de resserrer & d’épaissir ou d’incrasser. On ne


s’en sert pas beaucoup intérieurement sans préparation, quoiqu’il y en ait qui le donnent contre
les fièvres ; mais on s’en sert beaucoup dans les gargarismes qu’on emploie pour la guérison
des maux de gorge, & principalement dans l’enflure & l’inflammation des amygdales & dans la
rélaxion, l’enflure & l’inflammation de la luette : il est encore bon contre la, squinancie, contre la
pourriture & les ulcères des gencives, tant ceux qui proviennent du venin scorbutique, que du
venin vérolique, c’est aussi un bon résolutif, qui ôte l enflure & la tumeur œdèmateuse des
pieds, si on en met dans le bain, qu’on appelle un lave-pieds, parce qu’il résout & qu’il apaise
l’ardeur des esprits qui ont été attirés & irrités dans ces parties basses, ou par la fatigue, ou par
la maladie.

Les préparations qui se font ordinairement sur l’alun, sont la purification ou la cristallisation, la
calcination ou l’ustion, la distillation & l’extraction ou la subtilisation : nous donnerons des

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exemples de chacune de ces opérations, afin que l’Artiste soit pleinement instruit du travail &
de la vertu des remèdes qui en résultent.

§. 20. La purification de l’alun.

On ne fait pas la purification de l’alun avec la simple intention de séparer les impuretés & sa
terrestréité ; mais il faut que l’Artiste ait une vue & une fin plus excellente, qui est la correction
de son acerbité, de son austérité & de l’ingratitude de son mauvais goût. Pour y parvenir, il faut
faire dissoudre autant qu’on voudra d’alun de roche dans de l’eau de pluie distillée, qui ait été
échauffée dans une terrine non vernissée, car il ne faut pas que l’alun soit mis dans aucun
vaisseau métallique, à cause qu’il agit aussitôt dessus, & qu’il en tire le goût & la teinture par
son esprit acide & pénétrant. Lorsque l’alun sera dissout, il le faut filtrer, & faire ensuite
évaporer l’humidité superflue à une chaleur lente comme est celle du bain vaporeux bouillant,
jusqu’à pellicule, puis mettre le vaisseau en un lieu frais, afin de le faire cristalliser, & continuer
l’évaporation& la cristallisation jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Il faut réitérer ce travail jusqu’à
quatre fois, & ainsi vous aurez un alun subtil & agréable, duquel vous vous servirez pour le
dedans & pour le dehors avec plus de succès, plus sûrement & plus agréablement que du
commun.

§. 21. La calcination ou l’ustion de l’alun.

Ce ne serait pas la peine de parler de cette opération, à cause de sa facilité, si nous n’avions
quelques remarques à y faire, car il n’y a personne qui ne soit capable de mettre un morceau
d’alun sur une platine de fer, & de lui donner le feu par-dessous, jusqu’à ce que le phlegme &
l’esprit en soient évaporés, & que ce morceau qui était uni, pesant, clair & serré, soit devenu
léger, opaque, spongieux & blanc. Or, puisque l’Artiste a besoin du phlegme & de l’esprit de
l’alun, & que ce qui reste après leur extraction par la distillation, a la même vertu que ce qui de-
meure sur la platine de fer, il est beaucoup plus à propos qu’il le distille pour le calciner, afin de
conserver le phlegme & l’esprit qui se perdent inutilement.

L’alun brûlé est excellent pour consumer peu à peu & sans beaucoup de douleur les chairs
baveuses & fongeuses, & les excroissances des lèvres & des bords des plaies & des ulcères, il
sert aussi pour empêcher la corruption, parce qu’il dessèche & qu’il résout leurs superfluités.
On en tire aussi le sel fixe de l’alun, comme nous le dirons après avoir parlé de la distillation qui
sert à le calciner.

§. 22. La distillation de l’alun.

Prenez autant que vous voudrez d’alun, mettez-le en petits morceaux dans une ample retorte
de verre jusqu au tiers, que vous placerez au sable, & adapterez à son col un ample récipient,
donnez-y le feu, peu à peu, afin d’en tirer le phlegme avec un feu qui soit bien & dûment
gradué, & lorsque les vapeurs blanches commenceront à sortir du col de la cornue, changez de

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récipient & augmentez le feu par degrés, jusqu’à ce que tout l’esprit soit sorti, & on trouvera
l’alun calciné au fond de la retorte.

Mais comme cet esprit est ingrat & mauvais, il a besoin de rectification, de correction &
d’adoucissement, ce qui se fait avec l’esprit de vin, avec lequel il le faut rectifier trois ou quatre
fois, il devient doux & agréable ; en sorte que c’est un excellent remède pour mêler dans la
boisson ordinaire de ceux qui ont la fièvre, parce que sa petite pointe & sa subtilité rafraîchit &
tempère la chaleur qui les domine & leur ôte la soif. Il est diurétique & désopilatif, c’est
pourquoi il est très-bon pour ouvrir toutes les obstructions du bas ventre.

S’il est bon pour le dedans, il ne l’est pas moins pour le dehors, car il nettoie & guérit
admirablement bien tous les ulcères de la bouche, & particulièrement les uscules ou les aphtes,
qu’on appelle le chancre des petits enfants. La dose en est depuis quatre gouttes jusqu’à dix
dans du vin ou dans quelque décoction convenable. Le phlegme de l’alun sert à tempérer
l’inflammation des yeux, aussi bien que celle des phlegmons & des érysipèles ; il est aussi très
utile à laver & à fomenter les plaies, les ulcères & les brûlures.

§. 23. Comment il faut faire passer l’alun en un magistère liquide.

Prenez autant que vous voudrez d’alun purifié & cristallisé, mettez-le dans une cucurbite de
verre, & l’arrosez d’eau de pluie distillée ; & mettez le vaisseau en un lieu frais, jusqu’à ce que
tout l’alun soit résout en liqueur, qu’il faut filtrer & distiller aux cendres jusqu’à sec ; arrosez en-
core l’alun qui est resté avec de la liqueur distillée & le faites encore résoudre, & le redistillez
aux cendres jusqu’à sec comme auparavant, & continuez ainsi cet arrosement, la résolution & la
distillation, jusqu’à ce que tout le corps de l’alun soit passé en liqueur par le bec de l’alambic,
qui est ce qu’on appelle le magistère liquide de l’alun, ou pour mieux dire, son vrai esprit
astringent ; car ce remède est un des plus nobles & des plus assurés styptiques & astringents qui
soient en la Médecine, &qui ne le cèdent pas aux préparations du mars, à celles du bol, ni à au-
cune autre, soit pour le dedans, soit pour le dehors, ainsi que l’expérience en fera foi.

La dose pour l’intérieur est depuis quatre gouttes jusqu’à douze, dans les flux immodérés, dans
les gonorrhées & dans les chaudes pisses, pourvu qu’on ait ôté le venin par quelque excellente
purgation, qui soit appropriée au sujet malade & à la maladie. On en peut mêler, avec
l’espérance d’un succès prompt & heureux, dans les eaux épulotiques, car il n’y a rien qui hâte
mieux la cicatrisation & la réunion des diverses solutions de continuité.

§. 24. Comment il faut faire le sucre de l’alun.

Mettez deux ou trois livres d’alun dans une bonne retorte de verre, que vous placerez au sable
pour en tirer le phlegme tout doucement à une chaleur bien graduée, dès que cela est fait, il faut
cesser le feu, & lorsque la cornue sera refroidie, cohobez le phlegme sur l’alun desséché, & les
faites digérer ensemble à une simple chaleur du bain vaporeux durant vingt-quatre heures,

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après quoi, remettez la cornue au sable, retirez-en le phlegme, & continuez ainsi sept fois de
suite la cohobation, la digestion & l’extraction du phlegme, & lorsque cela sera achevé, il faut
mettre ce qui sera au fond de la cornue après la septième séparation du phlegme à la cave ou en
quelque autre lieu frais, pour le faire résoudre en liqueur ; la résolution achevée, il faut filtrer ce
qui est résout bien nettement, & mettre digérer cette liqueur dan& un vaisseau de rencontre aux
cendres à une chaleur lente, durant douze jours naturels ; après quoi il le faut mettre dans une
cucurbite aux cendres, & en retirer toute l’humidité jusqu’à sec, & le sucre d’alun vous restera ;
c’est un remède tout particulier contre les maladies, de la poitrine, & qui apaise la douleur des
dents, si on en applique sur la gencive ; surtout, il est recommandable pour ceux qui ont la
poitrine infectée de quelques vapeurs métalliques, minérales, arsenicales, mercurielles & autres
semblables.

La dose est depuis cinq grains jusqu’à quinze dans des bouillons ou dans quelques décoctions
pectorales & diurétiques. Il sert aussi pour apaiser la soif des fébricitant, & fait beaucoup de
bien à ceux qui sentent des chaleurs & des douleurs périodiques vers la région du sternum, ou
au haut de la poitrine, à cause des sérosités malignes, âcres & piquantes, que le venin vérolique
envoyé ordinairement en ces parties à ceux qui en sont attaqués il y a longtemps ; ce remède
agit par les urines, par les crachats, par les sueurs, & par une transpiration insensible &
naturelle.

§. 25. La salification de l’alun.

Pour avoir le fixe de l’alun, il faut prendre une livre ou deux de la tête morte de la distillation
de l’esprit de l’alun, & les mettre dans une cucurbite, puis versez dessus de l’eau de pluie
distillée jusqu’a l’éminence de six doigts, mettez digérer cela aux cendres à une chaleur
médiocre, vous l’augmenterez peu à peu, jusqu’à faire, presque bouillir la liqueur, que vous
agiterez de temps à autre avec une spatule de bois, après quoi, filtrez le tout & évaporez ce qui
sera filtré à la vapeur du bain bouillant dans une terrine de grès ou de faïence jusqu’à pellicule,
& laissez ensuite cristalliser le sel en un lieu frais, ou le faites évaporer jusqu’à sec en l’agitant
toujours jusqu’à son entière exsiccation.

Ce sel est beaucoup plus actif que l’alun brûlé, parce qu’il est séparé de sa terre, c’est pourquoi
on s’en peut servir en beaucoup moindre quantité aux mêmes usages. On en peut donner aussi
intérieurement a ceux qui ont l’estomac rempli de glaires ou d’autres impuretés qui tuent
l’appétit, car il les incitera & atténuera, & les chassera par les selles ou par le vomissement. La
dose en est depuis six grains jusqu’à douze ou quinze, dans du bouillon, ou dans de la
décoction de racines de chicorée sauvage & de scorsonère d’Espagne.

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§. 26. L’extraction de l’alun.

Prenez six livres d’alun bien net sans aucune préparation préalable, faites-le cuire à une chaleur
modérée dans un pot de terre non vernissée jusqu’à ce que tout le phlegme soit bien évaporé,
augmentez alors le feu comme il faut, & faites que le pot & l’alun rougissent de tous les côtés,
cela étant, ayez une grande terrine où il y ail trois ou quatre livres de vinaigre distillé, dans
lequel vous jetterez cet alun calciné & tout rouge, & aussitôt le vinaigre se chargera de l’essence
& du magistère de l’alun, & le reste de son corps se précipitera au bas de la terrine en une
poudre blanche, qu’il faut laver après l’avoir séparée jusqu’à douceur, la faire sécher & la
garder au besoin.

Mais il faut filtrer ce qui est resté du vinaigre empreint des vertus de l’alun, y joindre une demi-
once de teinture de grains de sureau qui aura été faite avec son propre esprit fermenté, mettre le
tout dans une cucurbite au bain-marie & en retirer par la distillation toute la liqueur superflue
jusqu’à la consistance de miel cuit ou d’un sirop, après cela il faut placer la cucurbite en un lieu
bien frais, & l’y laisser reposer quatre ou cinq jours, & l’on trouvera au bout de ce temps, qu’il
se sera formé des cristaux dans cette liqueur, qu’il faut séparer & faire sécher, & continuer
l’évaporation & la cristallisation jusqu’à ce qu’une se forme plus de cristaux.

Ces cristaux font sudorifiques, diurétiques & stomachiques : c’est pourquoi, c’est un très bon
remède contre le scorbut : on en peut donner deux fois la semaine, dans de la décoction de
racines d’orties ou dans du suc de cerfeuil bien dépuré, mêlé avec un peu de vin blanc, on peut
en donner aussi par trois fois à ceux qui ont la fièvre tierce un peu avant leur accès dans les
mêmes liqueurs : la dose est depuis six grains jusqu’à un scrupule.

DU SEL ARMONIAC.

§. 27. Du sel armoniac & de sa préparation chimique.

Les anciens font mention d’un sel armoniac naturel, qui se formait & se sublimait à ce qu’ils
disent dans les sables de la Libye, par le mélange de l’urine des chameaux des caravanes, qui
sont ordinairement leurs posées en des lieux marqués pour cela. Mais nous n’en avons pas à
présent, & nous n’en connaissons pas, d’autre que celui qui est artificiel ; il est composé du sel
commun ou du sel gemme, du sel de la suie de cheminée & de l’urine, ce sel a an goût acerbe,
mêlé d’une amertume acide qui est subtile & piquante. Les Chimistes l’appellent le sel solaire,
l’aigle blanche, la pluie blanche mercurielle & le sel mercuriel des Philosophes. Il faut choisir
celui qui est le plus pur, le plus clair & le plus blanc. Celui qui vient de Venise est le meilleur, &
celui qui vient d’Anvers tient le second rang en bonté ; mais celui qui vient d’Hollande est le
plus grossier & le moins bon. Ses vertus générales sont de provoquer les sueurs & les urines, &
d’agir aussi par la transpiration insensible, il est très efficace contre toutes les fièvres &
principalement contre la fièvre quarte, il résiste à la corruption & à la pourriture.

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La dose est depuis quatre grains jusqu’à un scrupule. On s’en sert aussi extérieurement contre
la gangrène, & pour consumer les chairs superflues & corrompues. Il est aussi très bon en
gargarisme contre la squinancie : & de plus on en mêle dans les eaux pour le mal des yeux.

De plus, il faut que l’Artiste remarque, que le sel armoniac est un des plus puissants agents de
tout le travail de la Chimie pour l’extraction des soufres des métaux & des minéraux par le
moyen de la sublimation ; c’est pourquoi ce n’est pas sans raison, que la plupart des plus célè-
bres Auteurs, qui ont traité de notre art, l’ont déguisé de plusieurs noms énigmatiques &
figurés.

Les préparations du sel armoniac sont, la purification ou la cristallisation, la sublimation, la


calcination, la distillation & la liquation, nous traiterons dans la suite de toutes ces opérations en
particulier, & nous donnerons des exemples des remèdes & du travail, afin de si bien instruire
l’Artiste, qu’il ne soit pas surpris des divers changements qui arrivent par le mélange de ce sel,
avec plusieurs matières différentes, sur lesquelles il agit avec tant de puissance, que cela ravit
en admiration ceux qui ont le plus de connaissance des mystères qu’il fait paraître, & qu’il tire
du sein & du centre des choses naturelles : & principalement à cause que ce sel est composé de
diverses parties, qui font union entre elles, qui produit un sel qui est différent de tous les autres
sels, & qui agit aussi par conséquent d’une toute autre manière, ainsi que l’éprouveront
manifestement ceux qui le mettront en pratique.

§. 28.La purification & la cristallisation du sel armoniac.

Cette purification ne se fait pas autrement que par le moyen de la dissolution avec de l’eau de
pluie distillée à une chaleur très lente, après quoi il le faut filtrer & l’évaporer à la même
chaleur, puis le mettre cristalliser en un lien froid, & continuer ainsi jusqu’à ce qu’on ait retiré
tout le sel armoniac beau, net & clair. Ce sel n’est pas plus efficace que le simple sel armoniac en
pains, quoiqu’il soit un peu plus net : c ’est pourquoi nous ne lui attribuerons pas aussi plus de
vertu, ni ne lui prescrirons pas d’autre dose.

§. 29. La sublimation des fleurs du sel armoniac.

II faut prendre autant de sel qui ait été fondu, que de sel armoniac, & les mêler exactement
ensemble, puis verser ce mélange dans un matras ou dans une cucurbite, puis en faire la
sublimation au sable ; il faut réitérer cette sublimation quatre fois, afin de purifier, de subtiliser
& volatiliser d’autant mieux le sel armoniac. Quelques-uns veulent qu’on mêle également de la
limaille d’acier avec le sel armoniac, afin de les sublimer ensemble ; mais ils s’abusent & se
trompent : car lorsque le sel armoniac est mêlé avec le mars, il agit aussitôt dessus, & le sel
ronge tout le mars, dont on peut après cela faire un très bon vitriol.

Mais comme l’intention de ceux qui ajoutent le mars a cette sublimation, n’est autre, que de
faire que les fleurs de ce sel soient plus incisives, plus apéritives & plus splénetiques &

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hépatiques, nous conseillons à l’Artiste de mêler un quart de cette vitrification opaque &
verdâtre ou bleue, qui se trouve dans les forges où se fait la première fonte du fer, ou bien qu’il
y mêle le quart de ces paillettes de fer, qui tombent de l’enclume : mais il faut remarquer qu’il
ne faut pas que l’une on l’autre de ces deux matières soit en poudre fort subtile : au contraire, il
se faut contenter de la mettre en poudre grossière, afin que le sel armoniac ne fasse que les
lécher en se sublimant, & qu’ainsi il n’en tire que l’âme ou qu’une portion de son soufre interne,
qui le rend beaucoup plus excellent & plus efficace.

Il faut que l’Artiste considère que comme ces fleurs sont plus subtiles & plus pénétrantes que le
sel armoniac simplement purifié & cristallisé : aussi doit-il avoir beaucoup plus de vertu, &
particulièrement, lorsqu’on veut se servir de ce sel contre la fièvre quarte, & contre les autres
fièvres intermittentes. Ces fleurs sont aussi excellentes pour corriger la crudité du ventricule &
pour en ôter les mauvaises fermentations, si on en fait prendre tous les matins à jeun au malade
dans un verre de vin d’absinthe, ou dans une infusion du bois de sassafras, qui soit faite dans
du vin blanc : mais il faut que l’usage en soit continué quinze jours on trois semaines entières.

Que si on donne ce remède contre la leucophlegmatie ou contre quelque hydropisie naissante,


qui suit ordinairement les longues maladies & les diverses agitations des mauvaises fièvres, il
faut prendre garde que le malade soit dans le lit lorsqu’il prendra le remède, & qu’il soit
couvert, afin qu’il aide à la provocation de la sueur, à la sortie de laquelle il ne faut pas
manquer de nourrir le malade avec quelque chose qui soit de facile digestion, & surtout de le
bien essuyer, à cause des mauvaises impressions que ces sueurs communiquent aux linges qui
enveloppaient le malade, &qui peuvent produire quelque chose de malin sur une peau, qui est
ouverte & qui exhale encore quelque chose qui est capable de nuire.

La dose de cas fleurs est depuis trois grains jusqu’à quinze, on peut même passer jusqu’à vingt
grains, si les forces du malade le permettent, & qu’on y ait accoutumé la personne qui s’en doit
servir par de moindres doses en augmentant.

§. 30. La calcination ou la fixation du sel armoniac.

Nous avons toujours suffisamment fait connaître à l’Artiste, qu’il ne faut pas qu’il perde ce que
les substances, qui lui servent de matière au travail, ont de bon. C’est pourquoi nous ne
pouvons permettre qu’il fixe ou qu’il calcine simplement le sel armoniac dans un pot de terre au
feu de roue ou au four à vent, parce qu’il perd par ce moyen tout l’esprit urineux volatile de ce
sel mystérieux. C’est pourquoi nous disons qu’il faut en faire l’opération dans la cornue ouverte
de M. Glauber décrite en la seconde partie de ses fourneaux philosophiques : car on conservera
par ce moyen, ce qui s’en dissipe inutilement en l’air, on y procédera donc de la sorte.

Prenez une partie de chaux vive, qui soit bien conditionnée & non pas éventée, & une partie &
demie de sel armoniac, métrez-les chacun à part en poudre, puis mêlez-les ensemble & les

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réduisez en bouillie avec de l’urine nouvellement rendue. Mais avant que de faire ce mélange, il
faut que l’Artiste ait mis le feu sous la cornue & qu’il l’ait tellement rougie, qu’elle ait fondu le
plomb, qui est dans la rigole, & qui doit servir de lut au couvercle : cela étant ainsi, il faut mettre
une petite cuillerée de cette matière à la fois, & couvrir aussitôt la retorte de son couvercle, & les
vapeurs entreront dans le récipient qu’on aura adapté à son col & qui sera exactement luté. Il
faut continuer de cette sorte jusqu’à ce que toute la matière soit consumée, ou jusqu’à ce que
l’Artiste ait assez d’esprit volatile, si c’est son intention de le tirer, ou jusqu’à ce qu’il ait assez
de sel armoniac calciné ou fixe, s’il ne travaille que pour cela.

L’Atiste tirera l’esprit hors du récipient & le rectifiera ; nous en parlerons dans la distillation du
sel armoniac ci-après : mais il faut qu’il prenne la masse restée dans la cornue pendant que le
feu règne dans sa force, parce qu’elle est molle, & qu’on la peut avoir aisément avec une petite
cuillère de fer, qui ait le manche un peu long. Il faut dissoudre & digérer la matière qu’on aura
tirée, dans de l’eau de pluie, puis filtrer la liqueur, & continuer ainsi tant qu’il n’en sorte plus de
sel, après cela faites évaporer toutes les liqueurs filtrées jusqu’à sec, en les agitant sur la fin
continuellement, jusqu’à ce que toute l’humidité soit évaporée ; on pourra garder une partie de
ce sel tout sec, dans une fiole qui soit exactement bouchée & mettre l’autre à la cave pour la ré-
soudre en liqueur, qui sert à l’extraction de beaucoup de teintures, comme le sel peut servir à la
cémentation.

Nous ne parlons pas de la dose de ce sel fixe, à cause qu’où ne s’en sert jamais intérieurement
aux maladies. On peut néanmoins se servir extérieurement de la liqueur résoute de ce sel, pour
amollir & pour dissoudre les corps & les callosités qui se forment aux pieds, & qui causent
quelquefois beaucoup de douleurs : on peut aussi s’en servir avec un peu d’esprit de vin, pour
frotter les duretés des goutteux, afin de résoudre & d’atténuer la dureté de la matière gypsée &
pierreuse, que ces nodosités contiennent.

§. 31. La distillation du sel armoniac.

Plusieurs ont équivoqué sur la distillation de cet admirable sel : car les uns ont voulu que ce fût
l’esprit volatile, qui fût la partie principale de ce composé mystérieux, & les autres ont crû qu’il
en fallait tirer l’esprit acide, pour avoir ce que les anciens Philosophes demandaient. Il faut
avouer que les uns & les autres allèguent beaucoup de raisons : mais ils n’ont pas encore décidé
la question, parce que ceux qui l’ont voulu rendre plus claire, n’ont pas bien considéré la double
nature du sel armoniac, qui est composé du sel commun qui est acide & comme fixe, & du sel
volatile de l’urine : or le mélange & l’union de ces deux sels est si parfaite, qu’il est très difficile,
& même presque impossible de les faire passer en liqueur l’un avec l’autre : au contraire, le sel
urineux & volatile emporte le corps de l’acide, ce qui ne produit que la sublimation du même
sel. Mais ceux qui ont tenté de les avoir tous deux ensemble n’ont pu y réussir, que par
l’addition de quelque autre corps, qui pût retenir le sel acide, afin de faire monter un esprit

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d’urine & un sel volatile, qui ne sont tous deux qu’une seule & même chose, comme cela paraît
par la sublimation de cet esprit en corps de sel volatile.

Ce serait pourtant un excellent remède, si l’art avait pu parvenir à faire monter ce sel armoniac
en esprit, qui fût également doué des vertus au sel volatile, & de celles du sel commun sans
aucun mélange étranger : à cause que comme l’action de ces deux sels l’un sur l’autre, a produit
un sel tout différant de saveur, d’odeur & de vertu de tous les deux séparés, aussi aurait-on un
esprit subtil & pénétrant qui serait capable de plusieurs beaux effets dans la Médecine, & pour
la préparation de beaucoup d’autres beaux remèdes, si on pouvait une fois faire monter le sel
armoniac en un esprit qui fut rempli des vertus de ce qui le composent. Mais comme il y en a
plusieurs qui ont tenté inutilement de faire cette opération, je suis aussi obligé de confesser ici
mon ignorance, & de dire qu’il faut se contenter des fleurs du sel armoniac, jusqu’à ce qu’une
main plus habile nous ait rendus plus savants & plus experts, ou que notre propre travail nous
y ait fait parvenir, afin d’en faire-part à la république de la Médecine chimique.

Nous donnerons néanmoins deux moyens de tirer l’esprit du sel armoniac & son sel volatil
urineux. Le premier n’enseignera que le moyen d’en tirer le seul esprit & le seul sel urineux,
mais le second enseignera aussi la séparation de son esprit acide, qui a beaucoup plus de vertu,
que n’en possède l’esprit du sel commun, à cause du mélange & de l’action du sel volatile de
l’urine, qui a éteint une partie de sa faculté corrosive.

§. 32. Pour faire l’esprit & le sel volatile urineux du sel armoniac.

Prenez une livre de sel armoniac bien choisi, & autant de sel de tartre bien purifié & qui toit
bien sec, mettez le sel armoniac en poudre dans un mortier chaud, puis y ajoutez le sel de tartre
qu’il faut mêler exactement, & mettre tout aussitôt ce mélange dans une cornue de verre qui ait
le col bien large qu’il faut placer au sable & lui adapter un ample récipient, puis donner le feu
par degrés, & vous aurez en peu de temps l’esprit volatil, qui passera en liqueur : le sel se
sublimera en une substance claire & blanche comme le camphre, cette opération peut être ache-
vée en trois, quatre ou cinq heures au plus.

On peut dissoudre le sel volatile avec son propre esprit & les garder ensemble pour s’en servir
aux mêmes usages où sont employés l’esprit & le sel volatile de l’urine, parce que c’est une
seule & même chose. Nous devons seulement ajouter ici que ce sel volatile & cet esprit sont très
importants, parce qu’ils corrigent & empêchent plus que toute autre chose la pourriture & la
corruption, & même le venin de la peste & toutes les maladies qui ont quelque analogie avec
elle, il remédie à l’humeur corrompue, qui tue par une mauvaise fermentation les esprits
naturels : aussi faut-il que les Médecins aient le soin de se servir de cet admirable remède, tant
pour préserver de cet épouvantable fléau, que pour en empêcher le progrès, lorsqu’elle a déjà
commencé ses ravages dans les corps humains.

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Nous dirons même que ce sel volatile & cet esprit sont plus subtils & plus pénétrants, ils ont
même moins de mauvais goût & de mauvaise odeur, que ceux qui sont tirés de l’urine simple,
parce qu’ils n’ont pas été fermentés & dépurés par le sel commun. C’est pourquoi nous les
recommandons, particulièrement pour préserver de la corruption & de la pourriture qui se fait
dans l’estomac par le vice de la digestion, aussi bien que pour tuer & pour éteindre toutes les
mauvaises fermentations acides qui se font dans le ventricule : on peut s’en servir aussi contre
les maux de mer, contre les anciens maux de tête, & on en verra des effets surprenants.

§. 33. Comment on doit tirer l’esprit du sel armoniac.

Quoique nous ayons déjà montré comment l’Artiste peut tirer l’esprit & le sel volatil de ce
mixte, nous ne pouvons néanmoins enseigner comment on tirera l’esprit acide de ce sel, que
nous ne fassions en même temps la séparation de son esprit volatile. Or comme nous avons ci-
devant fait voir cette opération, lorsque nous avons parlé de la fixation du sel armoniac, nous
ne répéterons pas inutilement ce que nous en avons déjà dit : nous ajouterons seulement qu’il
faut ici mettre partie égale de bonne chaux vive, & de sel armoniac, & les réduire en bouillie
avec de l’urine, puis en faire la distillation par la retorte de fer bien rougie, & continuer comme
nous l’avons dit ci-dessus. Il faut que l’Artiste mette toute la liqueur qui se trouvera dans le
récipient après la distillation, dans une cucurbite qui soit haute d’une coudée, & qui soit étroite
d’embouchure qu’il faut placer au bain-marie, & la couvrir de son chapiteau, qu’il faut luter
exactement, aussi bien que le récipient qu’on y adaptera, puis il faut donner le feu par degrés,
afin que tout l’esprit volatil, & le sel volatile urineux se sépare, & monte à cette chaleur, &
lorsqu’il ne montera plus rien, il faut mettre la liqueur qui reste dans une cornue, & la rectifier
au sable, & on aura un esprit acide qui est plus agréable que l’esprit du sel commun, & qui a les
mêmes vertus, c’est pourquoi on aura recours à ce que nous en avons dit ci-dessus.

L’Artiste se souviendra seulement que cet esprit peut être comparé à l’égard de l’esprit du sel
commun à un homme parfait, & que celui qui provient du sel commun, ne peut être mis
parallèle qu’avec un adolescent, d’où il tirera les conséquences que nous prétendons lui
insinuer par cette comparaison. L’esprit & le sel volatil qui se tire par ce moyen a les mêmes
vertus que nous avons dites ci-dessus.

§. 34. La liquation du sel armoniac.

Il n’y a pas grand mystère à faire cette opération, car ce n’est que la résolution du sel
armoniac fixé par la chaux vive en liqueur par la fraîcheur d’une cave, ou c’est la
résolution du même sel armoniac purifié, cristallisé & réduit en poudre, dans des
blancs d’œufs cuits en dureté tout nouvellement, puis arrangés dans une terrine à la
cave, afin de résoudre ce sel en une liqueur, que les Artistes nomment l’eau de sel
armoniac : ces deux liqueurs qui se font par résolution, ne servent point à la
médecine, sinon qu’elles entrent en la préparation des métaux & des minéraux,

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qu’elles fixent ou qu’elles ouvrent selon l’intention de ceux qui les emploient.

DU VITRIOL.

§. 35. Du vitriol & de sa préparation chimique.

Nous avons montré au commencement du chapitre des métaux, les principes principiants du
vitriol, c’est pourquoi nous y renvoyons l’Artiste, afin de parler ici seulement du vitriol, qui est
réduit en corps ou naturellement ou artificiellement. Car on trouve du vitriol tout fait & tout
cristallisé dans la terre des mines où les métaux abondent, comme on en voit, que les curieux
des choses naturelles ont apporté des Indes, de Hongrie, d’Allemagne, d’Italie & de beaucoup
d’autres endroits de l’Europe. Mais celui qui est artificiel, se tire des marcassites vitrioliques qui
se trouvent ordinairement dans les terres grasses ; qui accompagnent toujours les lieux qui
abondent en semences métalliques, & qui ont une disposition naturelle à la génération du
soufre.

Ceux qui auront la curiosité de se bien instruire là-dessus, chercheront dans les lieux, d’où se
tire la terre grasse qu’on emploie pour faire les tuiles & les briques, où ils trouveront de ces
marcassites vitrioliques qui ne sont rien autre chose, que ce que les Grecs appellent Pyrite qui
est ce que nous appelons pierre d’arquebuse, pierre de tonnerre & pierre à feu, & les faiseurs de
tuiles, Mâchefer, & lorsqu’ils auront de ces pierres, ils en feront l’examen au feu, qui ne leur fera
paraître que du soufre, par la vapeur qui en sortira qui frappera le nez & la poitrine comme du
soufre allumé : Mais lorsqu’ils auront exposé les restes à l’air, ils se résoudront en une poudre
grisâtre & noirâtre qui poussera des petites pointes blanches à sa superficie, qui se fondent en la
bouche, & communiquent d’abord une douceur, qui se termine en une austérité vitriolique. Il
faut alors dissoudre cette poudre dans de l’eau de pluie à une chaleur lente, filtrer & évaporer
jusqu’à pellicule, & laisser cristalliser, & vous aurez un excellent vitriol verdâtre. Ainsi avec
cette légère anatomie l’Artiste se sera contenté & aura connu par le démembrement de cette
pierre une partie du moyen, dont la nature s’est servi pour son assemblage, & pour sa
coagulation.

Les plus savants de ceux qui ont traité du vitriol, & qui en ont bien conçu & bien connu la
nature, ont cous unanimement confessé que c’était un mixte qui possédait en soi de quoi fournir
des remèdes pour la troisième partie de la Médecine, & même qu’il y avait en lui de quoi
remplir une boutique toute entière. Basile Valentin, Paracelse, Phedro, Sala & plusieurs autres
ne se sauraient lasser d’en publier les louanges : & ceux des Philosophes Chimiques, qui lui ont
donné le beau nom de Vitriolum, l’ont fait à ce qu’ils disent, parce que l’assemblage de ces
lettres contient dans chacune d’elles les mystères que ce sel minéral recèle dans son centre.
Visitabis inteiora terrae, rectificando invenies optimum Lapidem veram Medicinan. Ces paroles
insinuent où il faut chercher le vitriol, comment il le faut préparer, & la louange du remède
qu’on y trouvera.

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Or le vitriol est si connu, que nous ne perdrons pas notre temps à parler de ses divers noms, il
suffira que nous en fassions connaître le choix, & que nous en disions les vertus générales,
avant que de venir aux préparations que la Chimie nous fournit sur ce beau composé, qui n’est
proprement qu’un sel minéral qui approche fort de la nature métallique, & particulièrement de
celle du cuivre & du fer, ou de Vénus & de Mars.

Il y en a de trois genres qui en contiennent diverses espèces sous eux. Car il y a premièrement le
vitriol qui est bleu comme le Saphir, qui est en cristaux durs, solides, clairs & secs, qu’on
appelle ordinairement vitriol de Chypre, & vitriol de Hongrie. Il y a une seconde sorte de vitriol
qui est verdâtre de couleur herbacée, qui est moins compact & en moindres cristaux, qui est
grumeleux comme le sel commun, qui est un peu onctueux, & qui adhère à la main de ceux qui
le touchent sans avoir toutefois beaucoup d’humidité, tel est celui qu’on peut avoir du Pays de
Liège, qui se fait auprès de Spa, où il y a des fontaines acides, sulfurées & vitrioliques. Mais il
faut bien prendre garde de ne se point laisser tromper & surprendre par celui qui est bleuâtre &
blanchâtre, qui est fort menu, & qui mouille la main de ceux qui le touchent, parce que c’est le
pire de tous. La troisième & dernière sorte de vitriol est celui qui est blanc, qui se trouve chez les
droguistes en petits pains, qui est serré, dur & sec, qui est ce que nous appelons en France de la
couperose blanche, qu’on emploie ordinairement pour faire vomir, & pour mettre dans de l’eau
pour les yeux.

Il faut que l’Artiste prenne pour son sujet la seconde espèce de vitriol, s’il veut en tirer des
remèdes, tels qu’il se le promet de ce sel : car celui qui est le premier, qui tient d’argent ou de
cuivre, a trop de terre métallique, & n’a pas beaucoup d’esprit acide. Le second qui est bleuâtre,
est alumineux & terrestre, n’a presque pas de bon acide, & n’a qu’une terre grossière &
excrémenteuse, & peu ou point de teinture métallique : c’est pourquoi il prendra toujours
généralement du second pour ses opérations, si ce n’est qu’il ait quelque intention particulière
de soi-même, ou que l’Auteur qu’il suivra le lui prescrive de la sorte.

Après le choix du vitriol, il faut venir à ses propriétés & à ses vertus générales, qui sont
d’échauffer, de dessécher, de resserrer, de faire vomir avec violence, de constiper & d’ouvrir, &
même de tuer les vers. Pour l’extérieur, il fait éternuer si on le met dans le nez, il arrête le sang
si on l’applique à l’orifice des vaisseaux ouverts & dans les plaies. Nous avons aussi parlé plus
particulièrement des puissances du vitriol au chapitre des métaux, lorsque nous avons parlé du
cuivre, ou l’Artiste aura recours pour se satisfaire plus amplement.

Les préparations générales que la Chimie exerce sur le vitriol sont, la purification, la calcination,
la distillation, la sublimation, la précipitation, la salification & l’extraction. Il faut que nous donnions
des exemples de toutes ces opérations, afin que l’Artiste puisse chercher de soi-même dans ce
noble minéral, les vertus & les merveilles que Dieu & la nature y ont concentrées, pour le
soulagement des misères humaines.

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§. 36. La purification du vitriol, & la façon de faire le gilla.

Nous avons déjà tant de fois parlé de la purification des sels, qu’il sera facile de faire
comprendre celle du vitriol. Elle se fait de deux façons & à deux diverses intentions. La première,
n’est qu’une simple dissolution au vitriol dans de l’eau de pluie, la filtration, l’évaporation
jusqu’à pellicule, & sa cristallisation. La seconde, se doit faire dans de l’eau de rosée de Mai, qui
ait été distillée : mais il faut que la dissolution & la filtration faite, l’Artiste mette digérer la
liqueur au bain-marie pendant le mois philosophique, & il trouvera que la liqueur aura jeté une
écume, & qu’elle aura déposé au fond des fèces, qu’il séparera par la filtration ; il faut continuer
la digestion, jusqu’à ce que le vitriol ne jette plus aucune impureté, après quoi, évaporez
lentement l’humidité, & la faites cristalliser. La première cristallisation ou purification n’ôte que
les ordures superficielles & externes, mais la seconde sépare celles qui sont jusque dans le
centre. Le premier vitriol peut être employé à toutes les opérations ordinaires ; mais il faut
réserver le second pour les préparations extraordinaires, qui sont les teintures & les arcanes.

Or l’Artiste rencontrera dans plusieurs Auteurs, des préparations qu’ils appellent Gilla, qui ne
servent qu’à faire vomir, & qui ne sont proprement que des vitriols purifiés & séparés de leur
terres métalliques : mais comme ces remèdes sont ordinairement violents, & particulièrement le
Gilla, qui se fait avec le vitriol bleu, je conseille de s’en abstenir & de se servir de la purification
du vitriol blanc, qui se fait en le dissolvant quatre fois dans de l’eau de petite centaurée, le
filtrant, l’évaporant & le réduisant en cristaux : car cette eau n’augmente pas seulement la fa-
culté émétique ; mais elle le spécifie de plus à devenir un bon fébrifuge.

La dose est depuis dix grains jusqu’à quatre scrupules, dans du bouillon, dans de la bière tiède,
dans quelque décoction ou dans quelque eau convenable : il fait vomir assez doucement, &
nettoie l’estomac de toutes les impuretés qui causent le dégoût, le mal de tête & les catarrhes : il
est bon contre les maladies du ventricule, contre les fièvres tierces & quotidiennes, contre les
vers, contre la peste & contre l’épilepsie naissante.

§. 37. La calcination du vitriol.

La calcination du vitriol se fait de diverses manières, & pour diverses intentions. Or entre les
calcinations du vitriol, il y en a qui doivent plutôt être appelées des exsiccation, comme celle qui
se fait au réverbère des rayons du soleil durant les jours caniculaires, pour en faire ce fameux
remède magnétique, qu’on a si justement vanté, & qu’on appelle la poudre de sympathie. Il y a
encore l’exsiccation qui s’en fait au soleil, dans une poêle ou sur le cul d’un four qui est chauffé
tous les jours, afin de le priver de son humidité superflue, & de le faire servir ensuite à la
distillation des eaux fortes, & à diverses autres préparations Chimiques.

Mais comme la principale intention qu’ont les Artistes, est de réduire le vitriol en colcotar, &
que cette intention est accomplie de tous points dans la distillation du vitriol, je ne trouve pas

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nécessaire de perdre ce qui en sort par une ignition violente à découvert, puisque le tout est
utile en Médecine : c’est pourquoi nous n’en donnerons pas la façon qui est trop simple pour
être ignorée : mais nous enseignerons comment on pourra calciner le vitriol d’une belle
calcination philosophique, sans perte d’aucune de ses parties essentielles, pourvu que l’Artiste
suive ponctuellement ce que nous lui prescrirons à ce sujet.

§. 38. La calcination philosophique du vitriol.

Prenez du vitriol qui ait été purifié par la digestion, comme nous l’avons enseigné ci-dessus,
séchez-le entre deux papiers à une chaleur très lente, jusqu’à ce qu’il se mette de soi même en
une poudre blanche, qu’il faut mettre dans un ou dans plusieurs marras, qui aient le cul plat ;
jusqu’à l’épaisseur du dos d’un couteau & non pas davantage, autrement on ne réussirait pas en
son dessein : il faut sceller les vaisseaux du sceau d’Hermès, & les placer aux cendres jusqu’à la
hauteur de la matière, & environ un demi-doigt au-dessus : puis y donnée le feu, qui ne doit
point excéder la chaleur du soleil en Eté, il faut la continuer sans aucune interruption durant
l’espace de quarante jours qui est le mois philosophique, ainsi le vitriol passera peu a peu du
blanc au jaune, & du jaune au rouge, qui doit être comme celle du sang en poudre.

Alors il faut cesser le feu, casser les vaisseaux, & garder ce vitriol philosophique comme une
chose excellente au dedans & au dehors : mais qui possède en soi la vraie âme & la vraie
teinture éventuelle de ce mixte, qui se peut tirer avec le vrai alcool de vin tartarisé, pourvu que
l’Artiste ait de la patience, & qu’il ne prenne pas l’ombre pour le corps de la chose même.

§. 39. La distillation du vitriol.

Nous ne voulons pas enseigner ici la simple distillation du vitriol, pour en tirer un esprit acide
ou un esprit corrosif, qu’on appelle ordinairement & improprement son huile : mais nous en
voulons faire une exacte anatomie, afin que l’Artiste puisse beaucoup mieux comprendre tout
ce qu’il contient en soi, & qu’ainsi son esprit soit bien & dûment informé des diverses
substances, qu’on en tire & de leurs propriétés médicinales.

§. 40. Pour faire la rosée du vitriol.

Prenez autant que vous voudrez de vitriol purifié, mêlez-le dans une cucurbite qui soit large
d’embouchure & qui ne soit haute que de huit pouces, placez la au bain-marie, couvrez-la de
son chapiteau & y adaptez un récipient, lutez les jointures avec de la vessie mouillée de blancs
d’œufs, puis donnez le feu peu à peu jusqu’à ce que l’eau du bain bouille, & continuez ainsi
cette distillation jusqu’à ce que ce degré de chaleur n’en pousse plus rien, & qu’il n’en tombe
plus aucune goutte.

Il faut mettre ce qui sera dans le récipient, dans une bouteille qu’il faut boucher avec de la cire
& de la vessie, à cause d’un peu d’esprit volatile, qui est mêlé avec cette rosée, & qui cause sa

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plus grande vertu. On donne depuis un scrupule jusqu’à deux & trois drachmes de cette rosée
de vitriol, dans du bouillon ou dans quelque liqueur convenable, à ceux qui sont tourmentés de
la migraine & des autres douleurs de tête, elle apaise aussi les chaleurs & les ébullitions du
sang, & fortifie les entrailles.

§. 41. Pour tirer l’eau aigrelette du vitriol.

Comme l’Artiste doit travailler avec méthode & avec étude, s’il veut profiter : aussi
faut-il qu’il ne perde point le temps, le feu ni les vaisseaux inutilement. C’est
pourquoi, il tiendra un fourneau avec une capsule & du sable chaud, lorsqu’il
aperçoit que le bain-marie ne pousse plus rien de son vitriol, parce qu’alors la ma-
tière a besoin d’un degré de chaleur plus fort pour en extraire autre chose. Il tirera
donc la cucurbite du bain, & l’essuiera pour en ôter l’humidité & la placera toute
chaude & toute lutée sur la hauteur d’un pouce & demi de sable chaud, & en mettra
aussi de celui qui sera également échauffé, jusqu’à la hauteur de sa matière ; il re-
mettra le récipient & poussera le feu peu à peu, & continuera ainsi sa distillation au
sable jusqu’à ce que le chapiteau s’emplisse tout à fait de vapeurs blanches, & qu’il
ne tombe plus aucune goutte par le bec de l’alambic. Alors il cessera le feu, &
laissera refroidir les matières & le fourneau.

II faut mettre aussi la liqueur qui est dans le récipient, dans une bouteille & la boucher comme
l’autre : car ce n’est pas un phlegme inutile, comme plusieurs se le sont imaginé, qui l’ont jette
& qui l’ont méprisé, parce qu’ils ne connaissaient pas bien le vitriol ni les liqueurs qui en sortent
par le moyen de la distillation. Cette eau n’a que très peu d’acidité en foi, mais elle participe
déjà de la vertu apéritive & anodine du vitriol : ce qui fait qu’on en use avec beaucoup d’utilité
pour nettoyer les reins & pour adoucir les corrosions internes. Elle étanche la soif des
fébricitants & les fait uriner copieusement. Cette liqueur est aussi excellente pour laver les yeux,
si on y ajoute un peu de sel de saturne, elle ôte aussi l’inflammation & apaise les douleurs des
ulcères rongeants & malins, si on les en lave chaudement. Si on y mêle quelque peu de sel de
tartre, elle ôte les démangeaisons du cuir, & dessèche la grattelle.

§. 42. Pour faire l’esprit acide & l’huile corrosive du vitriol.

Prenez la matière sèche qui est restée dans la cucurbite, après la distillation des deux liqueurs
précédentes, mettez-la en poudre grossière, versez la poudre dans une cornue de verre ou de
grès, qui soit garnie de l’épaisseur d’un doigt d’un bon lut qui soit capable de résister au feu le
plus violent, placez cette retorte au réverbère clos, & lui adaptez un grand & ample récipient,
qu’il faut bien luter & sécher le lut, puis donner le feu par degrés comme nous l’avons enseigné,
lorsque nous avons parlé de la distillation de l’esprit de sel, mais on doit pousser le feu
beaucoup plus longtemps avec la flamme d’un bois bien sec, & la continuer trois jours & trois
nuits sans aucune interruption, en sorte que le récipient soit toujours plein de vapeurs & de

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nuages blancs, & qu’à la fin il en sorte des gouttes rouges & noirâtres, qui sur la fin deviennent
plus claires, ce qui témoigne la fin de l’opération, & que le feu a tiré de la matière tout ce que
l’Artiste en peut & doit espérer, quoiqu’il y en ait qui se tourmentent inutilement, & qui
continuent encore le feu douze & quinze jours : mais ils font paraître par cette façon de faire,
qu’ils ne connaissent pas la matière sur laquelle ils travaillent, & encore moins la sphère de
l’activité du feu de flamme qu’ils ont employé.

Il faut donc que l’Artiste cesse le feu, lorsqu’il apercevra les signes que nous avons marqués, &
qu’il commence d’humecter le lut du col du récipient avec un peu d’eau chaude, s’il ne veut
attendre au lendemain, ce qui serait mieux : il faut aller doucement, afin de ne rien casser & de
ne point perdre par une action précipitée, ce qui a coûté tant de travail & tant de frais : il faut
donc tirer le récipient doucement & verser ce qui s’y trouve dans une cornue de verre, qu’il faut
placer au sable, puis y ajuster un récipient & donner le feu par degrés, jusqu’à ce que les gouttes
commencent à tomber, qu’il faut goûter de temps en temps, afin de changer de récipient
aussitôt que l’Artiste connaîtra qu’elles seront acides, & lorsqu’il aura tiré les deux tiers de la
liqueur qui était dans le récipient, il cessera le feu.

Ainsi il aura trois liqueurs, dont la première sera comme insipide ; mais elle aura une odeur
sulfurée, qui témoigne l’esprit volatile, il la mêlera avec la liqueur aigrelette, ou il la gardera à
part aux mêmes usages. La seconde est d’une acidité agréable & pénétrante, qui est ce qu’on
appelle proprement l’esprit acide du vitriol, duquel on se sert en Médecine : car il est
diurétique, diaphorétique, apéritif, incisif, & résiste à la pourriture & aux inflammations. C’est
pourquoi il est admirable contre toutes les fièvres ardentes, qui sont occasionnées par les
matières putrides & malignes, & même contre les obstructions du foie, de la rate & du
mésentère. Il est bon pour redonner l’appétit lorsqu’il est perdu ; il rétablit les facultés de
l’estomac & en corrige les défauts, il apaise la douleur des dents, si on en mêle avec du vin
chaud, & qu’on en gargarise la bouche. Si on mêle de cet esprit avec de l’eau du suc de grande
chélidoine, & qu’on frotte la tigne de ce mélange, il en coupe la racine & tue le mauvais suc, âcre
& corrosif, qui infecte la peau. On le donne dans des bouillons ou dans la boisson ordinaire des
malades. La dose est jusqu’à une agréable acidité, car autrement il agacerait les dents, & ferait
de la peine à ceux qui s’en serviraient.

Il faut filtrer la liqueur qui est restée dans la cornue après la distillation de l’esprit acide au
travers du verre en poudre ; car autrement elle rongerait toute autre matière, à cause qu’elle est
tout à fait corrosive, il la faut mettre dans une fiole de verre, double & la boucher avec un bou-
chon de verre qui ferme juste. C’est ce qu’on appelle huile de vitriol, quoique improprement,
puisqu’elle ne s’enflamme pas & qu’elle n’est pas onctueuse, mais on est contraint de suivre le
langage des Auteurs, qui ont donné le nom d’huile à cette liqueur, qui est trop âcre pour
remède, & qui ne sert que pour le travail.

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Nous ne parlerons pas ici de la préparation de la terre douce du vitriol, que quelques-uns
appellent terre damnée, lorsqu’elle est dépouillée de son sel : cette terre & ce sel se tirent de la
matière qui est restée dans la cornue après la distillation de l’esprit & de l’huile de vitriol, que
les Chimistes appellent, Caput mortuum, la tête morte. Nous réservons ces deux choses, lorsque
nous parlerons de la salification, il faut seulement que l’Artiste mette cette tête morte à l’air
perméable, en un lieu où il ne pleuve pas, afin qu’elle puisse attirer les influences du Ciel & de
l’air.

Nous pourrions mettre ici la description de plusieurs esprits de vitriol composés & spécifiés à
quelque maladie particulière : mais nous en laissons le choix à la capacité de l’Artiste ou aux
procédés qu’il en trouvera chez les Auteurs qui en ont amplement traité, nous nous
contenterons seulement d’en donner deux échantillons, afin qu’ils lui servent de guide pour le
travail qu’il entreprendra. La première, sera à un esprit de vitriol doux & agréable ; & le second
un apéritif très considérable, & un dissolvant très rare. Tous les deux partent d’une même
source ; mais ce n’est que pour montrer la différence du travail.

§. 43. Pour faire l’huile ou l’esprit doux du vitriol.

Prenez trois livres de vitriol calciné entre jaune & rouge dans un pot de terre non vernissé à feu
ouvert, métrez-le en poudre, versez-le dans une cucurbite & l’arrosez de très bon vinaigre
distillé jusqu’à ce qu’il soit réduit en bouillie, agitez continuellement le vaisseau, & y versez du
nouveau vinaigre distillé jusqu’à ce qu’il surnage de trois doigts, menez la cucurbite au bain
vaporeux & la couvrez de sa rencontre, puis donnez le feu de digestion durant trois jours
naturels. Le quatrième, l’Artiste doit retirer le vinaigre par inclination, & en reverser du
nouveau dessus, puis le digérer durant trois jours & retirer : continuez ainsi jusqu’a sept fois
sans manquer à la digestion.

Filtrez tout le vinaigre distillé, qui est empreint des facultés vitrioliques, & les mettez dans une
cucurbite aux cendres, retirez-en le menstrue superflue par la distillation à un feu lent & gradue
jusqu’en consistance de miel cuit, que vous réduirez en boulettes avec des cailloux calcinés en
poudre, vous mettiez ces boulettes dans une cornue & en tirerez l’esprit & l’huile, comme on
parle, avec la graduation du feu qui est requise, il faut environ vingt-quatre ou trente heures de
feu pour cette distillation. Rectifiez la liqueur qui se trouvera dans le récipient dans une cornue
de verre au sable & la gardez au besoin.

Cet esprit ou cette huile est d’un goût agréable & douçâtre, qui a les vertus mêlées du vitriol &
du tartre subtil qui est dans le vinaigre distillé : c’est pourquoi on en peut donner avec
beaucoup de succès dans toutes les maladies qui proviennent des matières grossières &
tartarées, comme dans le scorbut, dans la gravelle, d’ans la vérole dans les goûtes dans les
rhumatismes & les catarrhes : & généralement dans toutes les maladies où il y a grande
abondance de sérosités malignes, grossières & âcres, comme dans la lèpre, dans la galle & dans

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la grattelle : car cet esprit admirable rectifie toute la masse du sang, par les urines, par les sueurs
& par la transpiration insensible.

La dose est depuis un demi-scrupule jusqu’à une demi-drachme, dans des bouillons, dans des
décoctions, dans du vin blanc ou dans des eaux appropriées. Nous aurions beaucoup de
remarques à faire sur la théorie & sur le travail de cet esprit, mais comme nous en avons parlé
lorsque nous avons fait mention du premier menstrue pour l’extraction de la teinture de corail,
où nous avons parlé de l’action & de la réaction du vitriol & du tartre, nous y renvoyons
l’Artiste.

§. 44. L’esprit du vitriol tartarisé.

Prenez deux livres de vitriol qui soit bien purifié & simplement desséché, prenez aussi une livre
de tartre blanc de Montpellier qui ait été lavé dans du vin blanc & séché, mettez-les en poudre
chacun à part, mêlez-les exactement & les mettez dans uns cornue de verre qui soit lutée,
distillez-en l’esprit au feu du réverbère clos avec les précautions requises ; surtout, il faut que ce
soit un très ample récipient, ou en mettre un à trois embouchures, afin qu’il y ait d’autant plus
d’espace pour retenir la fougue de cet esprit, qui est fort violente : poussez le feu durant
quarante-huit à soixante heures, puis le cessez. Il faut rectifier tout ce qui sera sorti dans une
retorte au sable jusqu’à trois fois, mais mettre cet esprit dans une bouteille qui soit bien
bouchée.

Après cela prenez la tête morte qui est dans la retorte, mettez-la en digestion dans de la rosée de
vitriol au bain vaporeux durant vingt-quatre heures, il faut séparer le menstrue par inclination
& recommencer la digestion avec du nouveau menstrue, jusqu’à ce qu’il en sorte avec le même
goût qu’on l’y aura versé, filtrez toutes les extractions & les évaporez lentement aux cendres
jusqu’à pellicule, puis les laissez cristalliser : mais il vaudra mieux pour épargner le temps,
sécher toute la matière saline en un sel blanc & pur à la vapeur du bain bouillant dans une
terrine de grès ou de faïence : car il ne faut pas se servir de métal à cause que ce sel se charge
facilement & promptement du goût & de la couleur des métaux.

Si ce sel n’était pas assez pur ni assez blanc, il faut le dissoudre dans de nouvelle rosée de
vitriol, & le digérer à une chaleur fort douce au bain vaporeux ; afin que s’il y avait quelque
impureté, qu’elle s’affaisse au tond du vaisseau, il faut filtrer la liqueur à froid, puis l’évaporer
& la dessécher lentement & nettement. Mettez ce sel dans un vaisseau de rencontre & versez
son esprit rectifié dessus, bouchez & lutez la rencontre, & la mettez digérer & circuler au bain-
marie à une chaleur moyenne l’espace de trois semaines, après quoi ouvrez le vaisseau, versez
tout ce qu’il contiendra dans une cornue après en avoir remarqué le poids, & en faites la
distillation au sable, jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien par l’augmentation du feu ; pesez la
liqueur qui en sera sortie, & la cohobez sur le sel qui est resté dans la cornue ; réitérez la
distillation & vous trouverez que l’esprit est augmenté en poids, ce qui témoigne que le sel

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monte en esprit ; il faut cohober & distiller, tant que tout le sel soit passé en esprit ; cela fait,
mettez cet esprit dans une cucurbite & en retirez l’esprit doucement aux cendres, & poussez le
feu un peu plus fort à la fin, & le sel restera au fond du vaisseau, qu’il faut placer au sable & lui
donner le feu de sublimation, & le sel montera pur & net, & laissera en bas ce qu’il avait de
corporel & d’impur, il faut mettre ce sel dans un pélican & verser son propre esprit dessus, puis
luter l’orifice du vaisseau circulatoire avec un bouton de verre, du blanc d’œuf & de la chaux
vive, & digérer & circuler ces matières durant sept jours naturels, & on aura le plus excellent &
le plus pénétrant esprit qui se puisse faire, auquel nous ne pouvons pas attribuer assez de
vertus & d’efficace pour la santé.

C’est un apéritif universel, qui ne manquera jamais au besoin. Ceux qui en connaîtront
l’excellence pour la Médecine & pour le travail de la Chimie, ne douteront point de cette vérité :
mais j’avertis l’Artiste qu’il soit circonspect dans cette opération, & qu’il ne s’ennuie point de sa
longueur, parce qu’il en recevra toute la satisfaction qu’il s’en peut légitimement promettre. Ce
travail ne regarde pas ceux qui se croient habiles, lorsqu’ils savent faire du cristal minéral, de la
crème de tartre, du crocus métallorum : au contraire, il est digne de l’application de ceux qui
sont les plus consommés dans l’étude & dans le laboratoire chimique. C’est aussi en faveur de
ces derniers que nous avons mis cette excellente, mais laborieuse préparation, parce qu’ils
savent que Dii laboribus omnia vendunt.

§. 45. La précipitation du vitriol.

On confond ordinairement la simple résidence de la dissolution du vitriol, qui n’est qu’une


terre métallique, ou un ocre, avec les véritables précipitations, qui ne se font que par
l’instillation de quelques sels ou de quelques esprits : mais il y a une grande différence entre ce
qui en provient : c’est pourquoi nous en parlerons avec l’ordre nécessaire.

§. 46. Pour faire la terre métallique ou l’ocre du vitriol.

Prenez autant que vous voudrez de vitriol purifié, dissolvez-le dans une quantité suffisante
d’eau de pluie distillée, mettez cette dissolution dans un grand matras, & le placez en un lieu
modérément chaud, & l’y laissez durant quarante jours, & toute la terre métallique ou l’ocre du
vitriol s’affaissera au fond du vaisseau, il faut séparer l’eau par inclination & laver cette terre,
puis la sécher, on s’en sert en la sublimation.

§. 47. Pour faire le soufre doux du vitriol.

Prenez du vitriol le plus par que vous pourrez avoir, & le faites dissoudre dans de l’eau de la
rosée de Mai, digérez la dissolution durant sept jours naturels au bain vaporeux, filtrez-la le
huitième, & en retirez la moitié du menstrue par distillation au bain bouillant, retirez le
vaisseau, lorsqu’il est encore chaud, & précipitez le soufre que la liqueur contient avec de l’huile
de tartre par défaillance ; il faut laisser éclaircir la liqueur peu à peu & la retirer par inclination,

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puis édulcorer par diverses affusions d’eau de pluie distillée le soufre qui reste, le faire sécher
très exactement, & le garder au besoin.

C’est un bon remède contre les affections de la poitrine, on en peut donner depuis deux grains
jusqu’à dix dans quelque sirop, dans quelque looch, dans des tablettes ou dans quelque
conserve appropriée à la maladie. On s’en sert aussi heureusement, pour mondifier & pour
cicatriser les mauvais ulcères. On le peut aussi sublimer.

§. 48. Pour faire le soufre purgatif du vitriol.

Prenez deux livres de vitriol du pays de Liège qui soit très bien dépuré, vous le mêlerez
exactement avec six onces de limaille d’acier, qui soit pure & nette, mettez ce mélange dans un
grand matras & versez dessus de l’eau aigrelette de vitriol, jusqu’à l’éminence de quatre pouces,
mettez-les digérer au bain-marie durant quatre jours, & les agirez cinq ou six fois par jour, cela
fait, filtrez la liqueur & en retirez la moitié par la distillation aux cendres, puis précipitez le reste
avec de l’huile de tartre par défaillance ; s’il y a trois livres de liqueur, il y faut verser goutte à
goutte cinq onces d’huile de tartre, & s’il y en a plus ou moins, il y en faudra mettre à
proportion : il faut laisser affaisser le soufre, puis verser la liqueur claire par inclination, & faire
l’édulcoration & l’exsiccation comme nous l’avons enseigné ci-devant.

Ce soufre est un purgatif commode & bénin, qui est bon pour ceux qui ont des affections de
poitrine & la fièvre lente, on la peut donner depuis deux grains jusqu’à six dans de la conserve
des racines d’enula campana ou dans celle du fruit de l’aiglantier, qu’on appelle Cynosbata ;
mais je conseillerais à ceux qui voudront encore mieux réussir, & qui seront curieux de bons
remèdes, de digérer ce soufre a une chaleur très lente, dans un marras qui soit scellé
hermétiquement, l’espace de quarante jours & il doublera sa vertu, & la dose en sera moindre
de la moitié.

§. 49. Pour faire le soufre fixe & le soufre volatile du vitriol.

Faites dissoudre six livres de vitriol de Liège qui soit très-bien purifié, dans une quantité
suffisante d’eau de pluie distillée, cela fait, mettez une livre de limaille d’aiguilles qui soit fort
nette dans une terrine vernissée, versez cette dissolution dessus & les agitez ensemble, puis
mettez cette terrine en quelque lieu qui soit exposé au soleil, & l’y laissez jusqu’à ce que la
matière s’épaississe peu à peu, laquelle il faut agiter souvent, & enfin la faire sécher
entièrement, alors il faut la mettre en poudre & y ajouter encore une demie livre de nouvelle
limaille d’aiguilles, puis les arroser avec de la nouvelle eau de pluie distillée, jusqu’à ce que le
tout soit réduit en une bouillie fort claire, qu’il faut encore faire sécher au soleil en remuant fort
souvent, & continuer ainsi jusqu’à sept fois ou jusqu’à ce que la matière soit changée en un
rouge qui soit haut en couleur, alors il faut la priver de toute humidité aqueuse, puis la mettre
dans un grand matras, & verser dessus de très excellent vinaigre distillé jusqu’à l’éminence de

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quatre pouces, faites-les digérer au sable & les agitez souvent, continuez la digestion jusqu’à ce
que le vinaigre soit bien teint en rouge, alors vous l’ôterez & y en verserez de nouveau, &
continuez ainsi, jusqu’à ce que le vinaigre n’en tire plus aucune teinture.

Filtrez ensuite toutes les extractions & les partagez en deux parties égales, il faut mettre l’une
dans une cucurbite aux cendres & en retirer tout le menstrue par la distillation à une chaleur
graduée jusqu’à sec, puis faire la lotion & l’édulcoration de la matière avec de l’eau de pluie
distillée jusqu’à ce que l’eau en sorte insipide, & après cela la séchez doucement entre deux
papiers à une chaleur lente & égale, ainsi on a le soufre brûlant & volatile du vitriol, qui est
mêlé de celui du mars, qui s’enflamme & se consume presque tout si on le brûle, & qui jette une
flamme pourprée comme le cinabre qui a beaucoup de soufre en soi.

Il faut le garder pour le donner à ceux qui sont affligés de l’asthme, au lieu des fleurs de soufre,
& on y trouvera beaucoup plus d’efficace & de vertu si on le donne depuis quatre grains jusqu’à
un demi-scrupule en tablettes avec des fleurs de benjoin ou en bol avec la conserve de fleurs de
pied de chat ou de tussilage.

Il faut après cela mettre l’autre moitié de la liqueur filtrée au bain-marie dans une cucurbite, &
en retirer la moitié ou les deux tiers du menstrue, puis précipiter le reste avec de l’huile de
tartre par défaillance goutte à goutte, jusqu’à ce qu’il ne se fasse plus aucune précipitation ;
laisser affaisser le soufre fixe au bas de la cucurbite durant quelque temps, puis séparez-en la
liqueur, lavez & édulcorez ce qui reste & le faites sécher selon l’art, mettez ce soufre dans un
matras ou dans un œuf philosophique & le cuisez & mûrissez à une chaleur égale &
fermentative durant quarante jours, qui est le mois des Artistes, & il deviendra beau, rouge &
haut en couleur.

C’est un vrai remède pour conserver la santé & pour la restaurer, si on en donne quatre fois le
mois pour un préservatif, & trois fois la semaine pour curatif, depuis un grain jusqu’à huit dans
de la confection d’hyacinthe à jeun, & faire boire par-dessus deux doigts de quelque bon vin ou
de quelque boisson cordiale & stomacale : car ce soufre pousse l’éradiation de sa vertu par tout
le corps, & chasse tout ce qu’il y a d’impur, ou sensiblement par la sueur ou par les urines, ou
insensiblement par la transpiration douce & amiable. On le peut même pousser plus loin ; mais
nous réservons cela pour la fin, lorsque nous parlerons de l’extraction du vitriol.

§. 50. La sublimation du vitriol.

Nous venons présentement d’enseigner comment il fallait séparer par la précipitation le soufre
du vitriol ou sa terre métallique, & la sublimation enseigne comment on peut aussi en séparer
les fleurs, qui ne sont rien autre que la substance du cuivre ou du fer qui se rencontre dans
toutes les espèces de vitriol. Or nous ne donnons cette préparation que pour mieux faire
connaître la vérité de la composition des choses à l’Artiste.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 592

Il faut donc prendre parties égales de terre métallique ou d’ocre de vitriol & de sel armoniac, les
mettre en poudre chacun à part, puis les mêler exactement ensemble, & les sublimer au sable
dans une cucurbite un peu basse qui soit couverte de son chapiteau, donnez un feu lent d’abord
& l’augmentez peu à peu jusqu’à ce que l’Artiste remarque qu’il ne monte plus aucune vapeur,
alors il faut cesser & laisser refroidir les vaisseaux, puis retirer du chapiteau ou des parois de la
cucurbite, se qui sera sublimé, & le mettre dans un matras, & verser dessus de l’eau commune,
puis placer le vaisseau au bain-marie, & l’y faire digérer durant vingt-quatre heures à une
chaleur modérée, & l’eau dissout le sel & la substance des fleurs métalliques, martiales &
vénériennes tombe au fond en poudre subtile, qu’il faut séparer de la liqueur, puis la laver,
édulcorer & sécher.

C’est un très bon remède astringent & dessiccatif pour toutes sortes d’ulcères, & principalement
pour ceux des yeux ; il incarne, mondifie & cicatrise mieux que tout autre remède.

§. 51. La salification du vitriol.

Nous avons réservé jusqu’ici de parler de la tête morte du vitriol, qui reste après sa distillation,
nous avons seulement dit ci-devant, qu’il fallait l’exposer aux influences du Ciel & de l’air en un
lieu couvert, & qui soit perméable aux vents, mais nous voulons enseigner ici d’en tirer le sel,
après qu’elle aura été pénétrée de l’air durant l’espace de six semaines ou plus. Il la faut donc
prendre en ce temps-là & la mettre dans une cucurbite, ou ce qui sera mieux, dans une terrine,
& verser dessus de l’eau de pluie ou de l’eau de rivière qui soit frémissante, & agiter la madère
à mesure qu’on y jette l’eau, autrement elle s’endurcit au bas, faites digérer le tout au sable &
l’agitez souvent, afin de mieux faire l’extraction du sel, puis il faut filtrer la liqueur, &
l’évaporer lentement jusqu’à pellicule, faire cristalliser, continuer ainsi l’évaporation &
cristallisation, jusqu’à ce qu’il ne se faite plus de sel, qu’il faut faire sécher lentement entre deux
papiers & le garder au besoin. Ensuite ayez soin de bien édulcorer la terre rouge-brune, qui
reste après l’extraction du sel, & la faites sécher, & la gardez à ses usages, qui sont pour le
dedans & pour le dehors.

Pour le dedans c’est un très bon remède contre la diarrhée & contre la dysenterie, elle est aussi
excellente pour dessécher les chaudes pisses, pour arrêter le flux des gonorrhées, le flux blanc &
rouge des femmes & les hémorragies, & surtout contre le crachement de sang. Pour le dehors,
c’est un remède emplastique & balsamique, qui mondifie & qui cicatrise doucement & sans
douleur les plaies & les ulcères : c’est pourquoi il entre dans les onguents, dans les cérats, dans
les liniments & dans les emplâtres.

Le vrai sel de vitriol que nous avons tiré de cette terre doit être blanc avec un œil rougeâtre de
couleur de roses, & il se cristallise comme le sel de saturne en petites aiguilles longuettes &
subtiles, il a un goût qui tire sur le nitre mais sans acerbité : car il ne faut pas qu’il conserve l’i-

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 593

dée ni le caractère du vitriol, ni qu’il prenne la figure losangique, autrement ce ne serait pas le
vrai sel de vitriol.

Lorsque ce sel a les conditions que nous marquons, il a de belles vertus, ce qui fait qu’on le
donne à ceux qui sont travaillés de l’épilepsie, & à ceux qui sont tourmentés des maux de tête,
qui proviennent de la corruption de la superfluité des matières qui chargent l’estomac. On le
donne aussi contre la pleurésie, contre les fièvres malignes & pestilentielles, & dans les
faiblesses & les syncopes qui sont occasionnées par quelque réplétion du ventricule, même
contre les obstructions du foie, de la rate & contre celle des reins. On en tire aussi dans le nez
pour décharger le cerveau des matières séreuses & excrémenteuses, qui le chargent & qui font la
distension de ses membranes : car c’est un sternutatoire excellent & spécifique.

La dose est depuis six grains jusqu’à deux scrupules & même une drachme, dans du bouillon,
dans de la bière ou dans quelque décoction appropriée.

§. 52. L’extraction du vitriol.

Nous entendons ici par l’extraction du vitriol, l’opération qui se fait pour en tirer la teinture, qui
ne peut provenir que de son soufre, c’est pourquoi nous enseignerons deux différentes
extractions de ce soufre. La première se tirera du soufre volatil, & la seconde du soufre fixe, afin
que comme ces procédés sont divers, aussi l’esprit de l’Artiste en soit aussi plus éclairé pour
pouvoir pénétrer plus avant dans la recherche, & dans le travail qui lui sera nécessaire pour
parvenir à la possession des plus grands arcanes que possèdent les corps naturels.

§. 53. Sa teinture ou l’essence du soufre du vitriol.

Avant que de venir à l’extraction de la teinture, il faut avoir ouvert le corps du soufre & l’avoir
dépouillé de ce qu’il avait de grossier & de matériel, afin qu’il puisse communiquer son âme au
menstrue qu’on emploie : pour cet effet, il faut prendre une livre de soufre doux du vitriol qui
soit bien sec, & le mêler avec une demie livre de sel de tartre qui soit très blanc, très pur & très
sec, il faut mettre ce mélange dans une cornue, qu’il faut placer au réverbère clos dans une
capsule de terre où il y ait un pouce de sable dessus, & y adapter un récipient qu’il faut bien
luter, puis donner le feu par degrés, & continuer toujours en augmentant, jusqu’à ce que l’huile
rouge commence à sortir par gouttes ; alors il faut entretenir le feu en même degré, & le
continuer jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien par cette chaleur ; ce qui est un signe qu’il faut
donner le dernier & l’extrême degré du feu, qu’on appelle le feu de suppression, le plus violent
dessus & dessous, que vous continuerez durant quatre heures ; après quoi, laissez refroidir les
vaisseaux. Mettez, la liqueur ou l’huile rouge dans une petite cucurbite, & versez dessus goutte
à goutte du très bon vinaigre distillé, jusqu’à ce que le soufre interne du vitriol qui était monté
en liqueur, soit précipité en une poudre ronge, pourprée, violette, qu il faut ensuite séparer de
la liqueur & la laver pour l’édulcorer, & la faire sécher très lentement.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 594

Mettez cette poudre précieuse dans un matras de rencontre, & versez dessus du vrai alcool de
vin tartarisé jusqu’à l’éminence de trois doigts, puis fermez la rencontre & la lutez d’une triple
vessie mouillée dans du blanc d’œuf battu en eau. Placez cette rencontre au bain vaporeux dans
de la paille coupée l’espace de trois semaines, ou jusqu’à ce que l’Artiste aperçoive que l’essence
de ce soufre ait été dégagée du commerce de sa matière, & qu’elle surnage au-dessus de l’esprit
de vin en forme d’huile distillée de cannelle, qu’il faut séparer par l’entonnoir, après que les
vaisseaux seront refroidis, & la garder précieusement dans une fiole qui soit bien bouchée.

Tous ceux qui ont traité de cette essence du soufre du vitriol, lui attribuent des vertus
admirables, & la font aller de pair avec la teinture d’antimoine. On la donne depuis une demie
goutte jusqu’à six dans de l’eau de mélisse qui soit faite de la plante digérée & fermentée avec
son propre suc, pour chasser par une action insensible & naturelle tout ce qui nuit au corps, &
qui peut être la cause occasionnelle des irritations de l’Archée, elle chatouille l’appétit de
l’estomac & celui de vénus, elle fortifie la matrice & en apaise tous les mouvements déréglés,
elle rectifie & augmente la semence & la rend prolifique en l’un & en l’autre sexe : elle fait des
miracles dans l’hydropisie, si on la donne avec de l’eau de persil, elle empêche cous les
météorismes & toutes les fougues de la rate dans celle de sassafras : enfin on peut dire que c’est
une panacée du vitriol. Il faut remarquer qu’il en faut continuer l’usage selon la grandeur & la
fixité des maladies, mais il suffira d’en prendre deux ou trois fois le mois pour la conservation
de la santé.

§. 54. La teinture du soufre fixe du vitriol.

Nous avons dit ci-dessus que nous remettions à parler en cet endroit de l’extraction du soufre
fixe du vitriol, donc nous avons enseigné la préparation, ce qui se fait de la sorte. Prenez quatre
onces de ce soufre fixe de vitriol, qui ait été cuit & mûri par soi-même, & le mettez dans un
pélican : prenez aussi six onces d’esprit de vitriol tartarisé & autant de très pur alcool de vin,
unissez-les ensemble par la distillation au bain-marie, puis les versez sur le soufre dans le péli-
can, lutez-en exactement les jointures & le mettez en digestion & en circulation au bain
vaporeux, tant & si longtemps que vous voyiez que la liqueur sera devenue toute comme le
sang, alors il faudra cesser le feu & verser ce qui sera pur & net par inclination dans une petite
cucurbite, afin d’en retirer le tiers ou la moitié du menstrue, & garder le reste comme un remède
qui est encore plus universel & plus précieux que le précédant.

Nous ne lui attribuerons néanmoins aucune autre vertu ni faculté, car quiconque le pourra faire,
ne manquera jamais de bien savoir le moyen de s’en servir. La dose n’est que d’une goutte
jusqu’à quatre dans du bouillon ou dans du vin.

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SECTION SIXIEME ET DERNIERE.

Des minéraux sulfurés ou des soufres.

Il ne nous reste plus pour achever notre œuvre, que de parler des minéraux qui sont
inflammables & sulfurés. Et comme nous avons dit que le Philosophe chimique ne pouvait
comprendre la génération des métaux ni celle des minéraux, que par la comparaison qu’il en
fait avec d’autres productions naturelles, qui sont plus palpables & plus sensibles, nous pou-
vons dire aussi légitimement la même chose de la génération des substances sulfurées, qui ne
peut être conçue que par la comparaison, qu’on en fait avec les substances grasses & onctueuses
que la teinture digère, cuit & mené à leur perfection dans le règne des végétaux & dans celui
des animaux.

Car comme les huiles, les résines & les gommes des végétaux, la graisse, le suif, l’axunge & les
excréments onctueux des animaux se font en eux de la surabondance des parties grasses &
sulfurées de leurs aliments ; de même les minéraux sulfurés proviennent de l’introduction du
caractère du soufre & de la lumière dans le sein des matrices des minéraux, où ce feu travaille
incessamment à la génération, à l’augmentation, à la digestion, à la cuite & à la perfection des
divers mixtes sulfurés selon leurs espèces, qui sont l’arsenic, le soufre, le bitume, le succin, l’ambre
gris, le sperme de baleine, l’asphalte, le naphte, l’huile de pétrole, le charbon de terre, le jayet. Nous
donnerons des exemples du travail qui se doit faire sur les principaux, afin d’achever ce que
nous avons commencé avec la même ponctualité, la même clarté & méthode que nous avons
continuée jusqu’ici.

DE L’ARSENIC.

§. 1. De l’arsenic, & de sa préparation chimique.

L’arsenic est une suie ou un suc minéral coagulé, qui est gras & inflammable. On rappelle aussi
orpiment : il y en a de trois espèces ; le premier est blanc, qui est proprement celui qui se met en
usage & qui se nomme arsenic ; le second est jaune, qu’on appelle réalgar ou orpiment, & le
troisième est rouge, que les Grecs appellent Sandaraque.

L’arsenic blanc & cristallin n’est pas naturel, mais artificiel, il se fait de parties égales de sel
commun & de fragments l’orpiment, mêlés & broyés ensemble, puis sublimés entre deux pots.
Le plus dangereux & le plus malin, de tous est le rouge, le jaune ne l’est pas tant, à cause qu’il
n’est pas si chaud, & qu’il n’est pas encore si exalté que le rouge ; & le blanc est le moins
mauvais, à cause qu’une partie de sa chaleur, de sa corrosion & de son venin a été corrigée par
le sel avec lequel il a été sublimé.

Tons les trois sont des poisons mortels & très dangereux ; car ils sont doués d’une si mauvaise
& si étrange acrimonie, & si ennemie même du baume de la vie, qu’ils causent des accidents

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horribles, s’ils font pris intérieurement, ou s’ils sont appliqués extérieurement : car ils excitent
des convulsions, la perclusion des pieds & des mains, des sueurs froides, des palpitations de
cœur, des syncopes & des défaillances, des vomissements, ces érosions, des tranchées, des
tonnerres & des vents, une soif épouvantable & des chaleurs intolérables.

Néanmoins on peut ôter & corriger toute cette malignité par la préparation chimique, & rendre
le poison même capable de faire beaucoup de bien au dehors & au-dedans. On ne laisse
pourtant pas de se servir de l’arsenic sans préparation ; car on en porte en forme de périapte ou
d’amulette, pendu au col en temps de peste, pour servir de préservatif. On s’en sert aussi parmi
les dépilatoires, on en mêle aussi quelquefois avec les cautères.

Or tout le but de la préparation sur l’arsenic, ne doit tendre qu’à le priver de son acrimonie & a
le dulcifier, afin d’en séparer l’impression & l’idée du poison. On ne peut parvenir à cette fin
que par le moyen de la préparation chimique, qui est triple, la sublimation, la fixation & la
résolution ou la liquation.

§. 2. La sublimation de l’arsenic, pour faire l’arsenic dulcifié.

Prenez autant que vous voudrez d’arsenic cristallin, qui soit bien pur & net & mettez-le en
poudre & le sublimez seul dans un matras à feu gradué de sable. La sublimation étant achevée,
il faut laisser refroidir le vaisseau, puis le casser, & jeter ce qui sera le plus volatile & élevé com-
me de la folle farine : mais il faut broyer dans un mortier de marbre ce qui est compact, & le
mettre dans un creuset couvert d’un autre creuset & luté, qu’il faut placer au feu de roue & le
digérer, & cuire doucement durant trois ou quatre heures. Il faut après cela mêler cet arsenic
ainsi préparé avec des paillettes de cuivre qui tombent de l’enclume des chaudronniers, & les
sublimer encore une fois : car ce cuivre demi-calciné retient à soi tout ce qu’il y a de poison
grossier & malin dans l’arsenic, comme la digestion & la cuite l’ont privé de ce qu’il avait de
volatile & de noir. Cela fait, il faut le sublimer trois fois de suite avec du sel commun, qui ait été
fondu, & ce sel achèvera de le cuire & de l’adoucir, en sorte qu’on pourra s’en servir en dedans
& au dehors après l’avoir bien lavé avec de l’eau de pluie distillée, jusqu’à ce que l’eau en sorte
insipide.

Mais avant que d’en user, il faut éprouver s’il est corrigé comme il faut, ce qui se connaîtra en le
jetant sur du cuivre fondu, car s’il se blanchit, & que cette blancheur soit belle & qu’elle lui
demeure encore en une autre fonte, c’est un signe évident, qu’il est privé de sa malignité ; mais
s’il gâte & noircit le métal, c’est tout le contraire. On peut aussi le juger en quelque façon par
l’odorat : car l’arsenic qui est cru & qui n’est pas bien préparé, a une odeur mauvaise & ingrate,
qui frappe incontinent le cerveau, & qui cause des maux de cœur, au lieu que celui qui est bien
corrigé n’a rien qui choque.

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Il y en a qui prêchent hautement les vertus de cet arsenic dulcifié : mais je concilie à ceux qui
connaissent bien les remèdes, de se servir plutôt de ceux qui se tirent du mercure & de
l’antimoine que de celui-ci, parce qu’on aura toujours l’esprit plus tranquille & plus assuré :
mais on peut s’en servir utilement au dehors pour la guérison des ulcères les plus malins & les
plus opiniâtres, & principalement lorsqu’il est réduit en liqueur par la résolution à la cave. S’il y
a néanmoins quelqu’un qui s’en veuille servir aux maladies désespérées, & où il semble qu’il
faille jouer à quitte ou double, il pourra se servir de ce sublimé ou arsenic doux en infusion
depuis trois grains jusqu’à huit.

§. 3. Pour faire les rubis diaphorétiques de l’arsenic.

Il faut sublimer trois fois l’arsenic sans aucune addition, cette sublimation se dois faire dans une
cucurbite, afin que le soufre volatil se puisse mieux séparer au haut de l’alambic : car il s’élève
en la forme d’une poudre très subtile, qu’il faut jeter à chaque sublimation, parce que c’est la
plus maligne & la plus vénéneuse portion de l’arsenic. Prenez donc ce qui sera en cristaux &
compact, & le broyez avec son poids égal de fleurs de soufre & le sublimez au sable, & vous
aurez l’arsenic en cristaux rouges comme le rubis.

On donne de ces rubis contre les maladies de la poitrine, & particulièrement lorsque les
poumons sont remplis de matières crasses, tartarées & mucilagineuses. On en donne aussi pour
provoquer la sueur dans les maladies malignes & envenimées. La dose est depuis trois grains
jusqu’à huit dans des conserves pectorales ou dans de l’extrait des baies de genièvre. Ce remède
est aussi très excellent pour guérir toute sorte d’ulcères opiniâtres, corrosifs, fistuleux,
chancreux & malins : car il tue tout le venin qui les cause, pourvu qu’on ait soin de faire purger
le malade en même temps avec quelque bon remède mercuriel, & qu’on lui fasse prendre tous
les jours de la teinture d’antimoine dans des potions vulnéraires.

On peut faire de même des rubis de l’orpiment : car comme nous avons déjà dit ci-dessus,
l’arsenic n’est que de l’orpiment qui a été sublimé avec le sel, & qui est déjà corrigé en quelque
sorte. On en peut donner en même dose, & contre les mêmes maux.

§. 4. La fixation de l’arsenic.

Prenez une partie d’arsenic cristallin & pur, ou ce qui sera mieux, de l’arsenic qui aura été déjà
sublimé, & deux parties de salpêtre purifié, mettez-les en poudre chacun à part, puis les mêlez
exactement & les mettez dans un grand creuset, qu’il faut couvrir d’un autre creuset qui soit
percé par le cul, afin que les vapeurs malignes puissent facilement sortir, lutez les creusets
ensemble, & laissez bien sécher le lut : mettez-le au feu de roue peu à peu durant trois heures,
afin de faire exhaler ce qu’il y a de plus malin ; après quoi, il faut augmenter le feu & le con-
tinuer encore huit ou dix heures, & que le creuset soit bien entouré de charbons sur la fin.

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Lorsque les vaisseaux seront refroidis, il faut en tirer la matière & la laver avec de l’eau de pluie
afin d’en retirer le sel, &quand l’eau en forcira insipide, il faut faire sécher la poudre qui sera au
fond, qui sera très-blanche & fixe. Ceux qui voudront être encore plus assurés de la fixation de
l’arsenic, recommenceront trois fois l’opération avec du nouveau nitre ; & laveront aussi toutes
les fois la matière. On ne se sert de cette poudre fixe que pour faire l’arsenic fixe sudorifique, &
pour en faire aussi l’huile d’arsenic par défaillance à la cave.

§. 5. Pour faire l’arsenic fixe sudorifique.

Prenez autant que vous voudrez de la poudre fixe de l’arsenic, imbibez-la d’huile de tartre par
défaillance jusqu’en consistance d’une bouillie liquide, puis faites sécher lentement cette
bouillie au sable ou aux cendres, en l’agitant avec une spatule de verre ; recommencez cette
imbibition & cette exsiccation jusqu’à trois fois. Broyez ensuite ce mélange dans un mortier de
marbre avec de l’eau de vie commune, & la poudre demeurera au fond après la dissolution du
sel de tartre, laquelle poudre il faut édulcorer & sécher.

On peut le donner en bol depuis un demi grain jusqu’à cinq dans de la thériaque ou dans de
l’extrait de grains de sureau, pour provoquer la sueur, mais cependant pour l’intérieur, il vaut
mieux se servir du bézoard minéral que de ce remède, si ce n’est qu’on l’applique extérieu-
rement.

§. 6. La liquation ou la résolution de l’arsenic.

Cette liquation est la résolution de la poudre fixe de l’arsenic en liqueur à la cave, ou c’est la
résolution du beurre d’arsenic en huile par défaillance ; ce beurre se fait de la même façon que
celui de l’antimoine : c’est pourquoi nous ne l’avons pas mis ici.

On se sert de ces deux liqueurs contre les ulcères malins de quelque nature & condition qu’ils
puissent être ; mais il ne les faut pas appliquer toutes seules : au, contraire, il les faut mêler dans
de l’eau du suc de plantin ou dans celle de persicaire, jusqu’à ce que ces eaux puissent & encore
être souffertes au bout de la langue, il les faut faire chauffer & en laver les ulcères véroliques,
chancreux, sinueux, fistuleux, aussi bien que les morsures des chiens enragés, il les faut aussi
appliquer sur les ulcères avec des plumaceaux trempés ou avec des compresses.

DU SOUFRE.

§. 7. Du soufre & de sa préparation chimique.

Ce n’est pas fans raison que les Grecs ont appelle le soufre, Θειον qui est à dire Divin : car il faut
avouer que les soufres ont tous en eux quelque chose de céleste & de grand, puisque ce ne sont
que les produits du sel, de l’esprit & de la lumière ; & comme la lumière pénètre & s’étend

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facilement par tout les soufres aussi s’étendent & se communiquent de tous côtés par leur odeur
& par leur couleur, & cela avec une si grande efficace, qu’à peine est-il concevable.

Or ce n’est pas ici le lieu de parler des soufres internes des choses qui constituent la meilleure
partie de leur essence : nous ne voulons traiter à présent que de cette résine & de cette graisse
de la terre, qui est mêlée de quelque portion d’une substance acide & vitriolique, qui est ce
qu’on appelle ordinairement du soufre dans les boutiques & dans le laboratoire chimique.

Il y en a de deux sortes, l’un qui est naturel, & l’autre qui est artificiel. Le naturel est celui qu’on
appelle du soufre vif ou qui n’a point passé par le feu, & l’artificiel est celui qui se tire de ces
pierres à feu, dont nous avons fait mention dans les opérations du vitriol ; ceux qui voudront
savoir comment cela se fait, consulteront le très docte George Agricola, qui a écrit de la
Métallique & des Minéraux.

L’Artiste doit choisir pour ses opérations le soufre le plus pur, comme celui qui est en petits
canons, qui est d’un gris verdâtre, qui s’allume facilement, qui brûle sans s’éteindre, & celui qui
jette une flamme plus bleue que blanchâtre. S’il ne peut recouvrer de ce soufre, il aura recours
au soufre jaune, qui est en plus gros canons, qu’il substituera en la place de l’autre : il faut
néanmoins qu’il fasse l’épreuve s’il brûle facilement & constamment : car si cela n’est pas, il est
trop indigeste & témoigne par sa facile extinction, qu’il est encore trop vitriolique.

Les qualités & les vertus du soufre sont belles & efficaces avant sa préparation : car il est
généralement dédié à la poitrine & à toutes les maladies qui l’affligent, il ouvre, il incite, il
résiste à la pourriture & au poison, aussi bien qu’à la morsure des animaux vénéneux, il
provoque la sueur, il adoucit & apaise les irritations & les mouvements irréguliers de l’archée.
C’est pourquoi on l’emploie contre la phtisie, contre la toux, contre l’asthme, contre la peste, &
généralement contre toutes les fièvres putrides, malignes & pestilentielles. S’il est appliqué en
dehors, il résout puissamment la dureté des tumeurs, il guérit les dartres malignes, la galle, la
grattelle, & empêche les démangeaisons.

Mais si le soufre cru a des propriétés si belles & si grandes, que ne doit-on pas attendre de ce
minerai, lorsqu’il sera ouvert ou fixé, dissout ou coagulé, précipité ou sublimé, selon les
préceptes de la Chimie, qui ne tendent qu’à la correction & à l’amélioration des sujets, sur
lesquels les Artistes travaillent ? Il faut donc que l’Apothicaire chimique emploie son temps &
les soins à bien travailler sur ce mixte, comme sur un des principaux instruments que Dieu lui
met en main, pour en tirer beaucoup de beaux & de bons remèdes, avec lesquels il pourra
charitablement subvenir à la nécessité des pauvres malades.

Les préparations générales qui se font sur le soufre, sont la sublimation, la précipitation, la
distillation, l’infusion & l’extraction. Nous donnerons selon notre coutume, des exemples de

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 600

toutes ces opérations, afin que l’Artiste puisse bien comprendre le travail, & qu’il apprenne
aussi les vertus, les doses des remèdes qui en proviennent.

§. 8. La sublimation pour faire les fleurs du soufre.

Comme nous avons dit ci-devant que le tartre se purifiait par la dissolution, par la colature &
par la cristallisation, & l’antimoine par réduction en régule, aussi nous disons ici que le soufre
ne se purifie de ses fèces & de ses superfluités terrestres que par la sublimation en fleurs ; qui ne
sont tien absolument qu’un soufre bien purifié.

Pour bien faire ces fleurs, il faut avoir du meilleur soufre & le broyer grossièrement, puis le
mettre au sable en une cucurbite de terre, qui ait le fond proche de la platine, en sorte qu’il n’y
ait qu’un doigt de sable entre la platine de fer qui le soutient & le cul de la cucurbite ; il y faut
mettre une demi-livre de soufre à la fois, & la couvrir d’un chapiteau qui ne doit point être luté,
& en tenir un autre tout prêt & qui soit chaud, afin de le substituer en la place de celui qui sera
sur la cucurbite, lorsqu’il sera rempli de fleurs. Après que l’Artiste aura, donné le feu de subli-
mation peu à peu, il faut qu’il y ait aussi un petit matras pour récipient, afin de recevoir d’abord
un peu d’esprit aigrelet, qui s’élève avant les fleurs, & qui le condense en liqueur dans le
chapiteau. Il faut continuer ainsi de retirer les fleurs, & de substituer un chapiteau à l’autre
jusqu’à ce que l’artiste connaisse que la plus grande partie du soufre est montée en fleurs, dorés
quoi il en peut remettre une autre demi-livre & continuer de la même sorte, tant & si longtemps
qu’il en ait assez.

Mais il faut que l’Artiste prenne garde à changer prestement les chapiteaux, de peur que l’air ne
fasse enflammer le soufre, si néanmoins cela lui arrivait, il l’éteindra avec des cendres ou avec
de l’alun brûlé. Il faut aussi qu’il règle le feu comme il faut, jusqu’à ce que la sublimation
commence & qu’il l’entretienne dans ce même point, autrement les fleurs se fondraient par trop
de chaleur avant que d’être élevées jusque dans le chapiteau.

Or il y en a qui ajoutent du colcotar avec le soufre & du sel fondu, afin de pouvoir donner le feu
plus sûrement, & qui croient aussi en tirer des fleurs plus pures & plus subtiles. D’autres y
mêlent aussi du bol fin ou de la terre sigillée, ce que nous approuvons beaucoup mieux que
ceux qui se contentent d’y mêler de la farine de briques, parce que le bol oriental ou la terre
sigillé ont en eux un soufre solaire, qui se joint aux fleurs du soufre, & qui les rend plus
efficaces. Mais nous désapprouvons ceux qui mêlent avec le soufre des gommes & de l’aloès, à
cause que la sublimation ne se peut faire sans que les gommes ne se brûlent, quelque précaution
qu’on y apporte : c’est pourquoi il vaut beaucoup mieux que l’Artiste mêle les gommes en
poudre avec les fleurs de soufre qui seront déjà sublimées, ou ce qui sera encore meilleur, qu’on
en tire la vertu conjointement par le moyen de l’extraction ; comme nous l’enseignerons ci-
après. On pourra sublimer les fleurs de souffre jusqu’a, trois ou quatre fois pour les mieux
dépurer, pour les cuire & pour les mûrir par la réitération de l’action du feu, qui achève ainsi

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peu à peu ce que la nature n’avait pas accompli, à cause du mélange hétérogène & terrestre des
matières.

Les fleurs de soufre résistent à la pourriture, provoquent la sueur & dessèchent. On les donne
avec une grande utilité contre la peste & contre toutes les fièvres malignes, soit qu’on s’en serve
de remède curatif ou de remède préservatif. On les emploie aussi avec succès pour soulager les
flegmatiques, les poumoniques, ceux qui ont des toux enracinées, & eux qui sont sujets aux
suffocations de la poitrine & aux catarrhes.

On ne passe pas un demi-scrupule pour préservatif, mais on en donne depuis un scrupule


jusqu’à une drachme pour la guérison des maladies. On les mêle ordinairement dans des
tablettes ou dans des opiates, on les fait prendre aussi dans des œufs mollets : mais lorsqu’on
les veut donner avec beaucoup d’effet, il les faut faire prendre avec de la thériaque, de la
conserve des racines d’énula ou dans de l’extrait de baies de genièvre.

Il y en a d’autres qui font la sublimation des fleurs de soufre avec du corail rouge, puis ils en
tirent la teinture avec de l’huile d’anis dont ils donnent aux phtisiques, comme un vrai
spécifique pour leur guérison : mais comme tout cela dépend de la science & de l’expérience de
Messieurs les Médecins, nous n’en donnerons ici aucun exemple : car il suffit d’avoir enseigné
le meilleur & le plus sûr moyen de faire la sublimation, parce que quiconque saura faire les
fleurs simples, manquera encore beaucoup moins au travail de celles qui seront composées.

§. 9. La précipitation pour faire le lait, la crème, le beurre ou le magistère du soufre.

Nous avons toujours recommandé la netteté & le choix des matières, c’est aussi pour cela que
nous recommandons encore ici de ne point épargner le sel de tartre le plus parfait pour la
dissolution du soufre, quoiqu’il y ait beaucoup d’Auteurs qui se contentent des cendres
gravelées ou de la soude grossière, qui est le sel de l’herbe kali, pour faire cette préparation :
mais outre qu’ils ne peuvent bien filtrer leur teinture à cause de la viscosité des cendres, c’est
que de plus le remède n’en est pas si bon ni si beau, & n’a pas même la vertu requise, parce que
ces sels n’ont pas la force pénétrante & ignée qui est nécessaire pour la dissolution du soufre, &
pour la cuite & la maturation de ce minéral, or c’est à quoi l’Artiste doit regarder, parce que le
bien ou le mal de son opération en dépend ; il y faut donc procéder de la manière suivante.

Prenez des fleurs de soufre qui aient été sublimées deux fois au moins, une partie, & trois
parties de sel de tartre très pur & très blanc, mettez-les dans un pot de grès ou dans une
cucurbite de verre, & versez dessus douze ou quinze parties d’eau de pluie distillée, faites les
bouillir ensemble au sable durant l’espace de cinq on six heures, ou bien jusqu’à ce que toute la
substance du soufre soit dissoute, & que la liqueur soit nette & d’un rouge haut en couleur ; &
comme l’ébullition, fait diminuer le menstrue, il en faut ajouter de l’autre qui soit chaud, il faut
aussi que l’Artiste agite continuellement la matière, afin que la dissolution soit plutôt achevée

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 602

de plus, le mélange du sel de tartre & des, fleurs de soufre doit avoir été fait dans un mortier de
marbre chaud & sec. Lorsque la dissolution sera bien faite, il faut faire chauffer une grande
terrine de grès, & y mettre ce qui sera clair & dissout, sans qu’il soit besoin d’aucune filtration,
qui ne se peut faire assez promptement, parce que le soufre se recorporifie, dès que le menstrue
devient froid, versez sur la teinture du très bon vinaigre distillé en l’arrosant partout, jusqu’à ce
que le tout soit changé en une liqueur blanche comme du lait : lorsque cela est ainsi, il faut
achever d’emplir la terrine avec de l’eau de fontaine, qui soit pure & nette, afin d’en commencer
l’édulcoration & l’affaissement, puis la couvrir & la laisser en un lieu sûr durant vingt-quatre
heures, séparez alors la liqueur claire par inclination, puis versez de la nouvelle eau claire sur le
lait qui est au fond, & continuez ainsi la lotion jusqu’à ce qu’il ait perdu la mauvaise odeur & le
goût lixivial du sel de tartre. Mais notez qu’il ne faut pas jeter la première eau, au contraire il la
faut évaporer, & vous retrouverez votre sel de tartre, qu’il faut réverbérer au creuset jusqu’à
rougeur, puis le dissoudre & le filtrer, & il sera aussi bon & aussi pur qu’auparavant, pour
l’employer à la même opération ou à quelque autre que ce soit. Ce magistère de soufre doit être
lavé pour la dernière fois dans parties égales d’eau de cannelle & de roses, puis séché
lentement, & gardé pour le besoin.

Mais comme ce magistère ne se peut faire qu’en petite quantité, & que les Artistes ne sont pas
toujours fournis de sel de tartre, ni de vinaigre distillé, nous leur voulons apprendre un bon &
sûr moyen de faire à peu de frais & en tout temps, un lait de soufre qui ne cédera point en vertu
au précédent, duquel nous dirons les propriétés & la dose après la préparation de l’autre.

§. 10. Le moyen infaillible de bien faire le lait de soufre.

Prenez de bonne chaux vive qui ne soit point éventée, deux parties, & une partie de bon soufre
vert en petits canons, mêlez-les exactement ensemble dans un mortier de fer par une longue
trituration, puis les mettez bouillir dans un grand chaudron de fer, dans une grande quantité
d’eau de pluie, en les agitant continuellement avec une spatule de fer, jusqu’à ce que les trois
quarts de l’eau soient consommés, & que ce qui reste soit devenu rouge comme du sang, par la
dissolution du soufre : alors faites la colature chaudement à travers de la chausse, laissez
refroidir la liqueur coulée, puis la précipitez avec de l’urine nouvellement rendue sans qu’elle
ait été refroidie, il faut laisser reposer le magistère, & en séparer la liqueur qui surnage, puis le
laver douze ou quinze fois avec de l’eau de fontaine oui soit chaude, & lorsqu’il n’aura plus de
mauvais goût ni de mauvaise odeur, vous le laverez comme le précédent avec de l’eau de roses
& de cannelle, & ferez sécher lentement, puis le garderez pour le besoin.

On appelle ce remède le baume des poumons, qui consume & qui dessèche par l’éradiation de
sa vertu toutes les superfluités séreuses & malignes. C’est pourquoi on le donne utilement à
ceux qui sont affligés de catarrhes fondants & suffoquant, aux asthmatiques, aux phtisiques, à
ceux qui ont des toux invétérées, à ceux qui sont sujets à la colique, pour empêcher les vents &

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les dissiper. On le donne aussi à ceux qui ont les articles abreuvés de sérosités malignes, il
facilite l’expectoration, & fortifie merveilleusement la poitrine.

La dose est autant qu’il en faut pour blanchir de l’eau de cannelle ou celle de mélisse comme du
lait, on en donne tous les jours aux malades soir & matin une cuillerée à la fois. Quoique ce
remède ait mérité beaucoup d’éloges parmi les Auteurs, nous conseillons néanmoins de se fier
plutôt aux teintures qu’on en tirera, qu’à ce corps, qui est encore trop grossier pour en espérer
tous les bons & louables effets qu’on lui attribue ; nous laissons pourtant la liberté de s’en
servir, en attendant qu’on ait reconnu la vérité de ce que nous en avons dit, par l’étude & par le
travail, qui sont les deux pierres de touche pour bien connaître les choses.

§. 11. La distillation du soufre.

Il y a longtemps que les Artistes cherchent le moyen de distiller le soufre pour en tirer un bon
esprit acide, qu’ils appellent improprement de l’huile de soufre, & de le tirer en quantité, ce qui
a fait qu’il y a cent sortes de procédés sur ce sujet. Ils ont aussi cherché à pouvoir faire passer le
soufre en huile onctueuse, propre aux maladies du dedans & à celles du dehors. Chacun a aussi
contribué de son expérience & de son industrie pour en venir à bout ; mais comme nous avons
reconnu que le soufre a été vitriol avant que de parvenir au vrai caractère de soufre, nous nous
étonnons qu’ils se soient tant tourmentés pour avoir cet esprit acide, vu qu’eux-mêmes
confessent & disent que l’esprit de vitriol est pareil en vertus à celui du soufre : or on aura
plutôt fait dix livres de l’un qu’une demi-livre de l’autre.

Il faut avouer néanmoins qu’il y a quelque chose de plus subtil dans l’acide du soufre que dans
celui du vitriol, parce que le sujet duquel on le tire a été plus exalté, plus cuit & plus mûri que le
vitriol, qui est beaucoup au-dessous & par conséquent plus indigeste. C’est pourquoi nous
donnerons ici deux moyens qui nous ont toujours bien réussi pour tirer l’acide du soufre : après
quoi nous donnerons aussi la méthode de faire passer le corps du soufre en une huile
proprement dite, qui sera onctueuse & inflammable, & qui est un remède qui est très-utile dans
la Médecine & dans la Chirurgie.

§. 12. Première manière de faire l’esprit de soufre.

Nous avons fait dessiner & graver la figure des vaisseaux pour ces deux opérations, parce que
cette représentation frappe plus sensiblement l’esprit de l’Artiste, & lui fait beaucoup mieux
comprendre comment il placera les choses, car les objets émeuvent mieux les puissances que ne
sont les paroles, c’est pourquoi nous y renvoyons ceux qui voudront travailler à l’opération qui
va suivre.

Prenez une grande terrine de grès, au milieu de laquelle vous placerez un trépied qui soit de
fer, qui puisse soutenir une écuelle de terre qui soit vernissée dedans & dehors, il faut remplir
cette écuelle de soufre réduit en poudre grossière, & le faire fondre à une chaleur lente, puis y

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mettre le feu avec une allumette ou avec un fer rougi au feu. Après cela suspendez une cloche
de verre, dont on se sert à couvrir les melons, & qui ait été humectée d’eau de vie, suspendez-la
au-dessus de l’écuelle, en sorte que la flamme entre dans la cloche, mais qu’elle n’en frappe pas
le haut, il faut prendre garde aussi qu’il n’y ait pas plus de distance entre le contour de la
terrine & celui de la cloche, qu’un pouce ou un pouce & demi, parce que cet espace suffis pour
entretenir la flamme du soufre, & empêcher qu’il ne s’éteigne. Si néanmoins cela arrive, il faut
avoir un grand soin de le rallumer, afin que cela agisse sans interruption : & lorsque le soufre
sera consumé, il faut avoir une autre écuelle toute prête pour substituer en la place de la
première. Ainsi on aura du véritable esprit de soufre par la campane, qui sera pesant, très aigre
& d’une couleur rouge brune, si le temps n’a pas été trop humide, & que le soufre ne soit pas
trop chargé de sel vitriolique. Si la liqueur qui a distillé est seulement jaune & claire, il la faut
rectifier & en cirer le phlegme superflu.

L’Artiste pourra mettre autant de terrines & de cloches, qu’il en pourra tenir sous une large
cheminée, afin qu’il ait plutôt fait, car il gouvernera aussi facilement quatre ou cinq cloches
qu’une seule. Surtout, il faut choisît le temps de deux équinoxes du Printemps & de l’Automne,
pour travailler à cet esprit, parce que cette saison est ordinairement humide & pluvieuse, ce qui
est nécessaire pour cette opération, autrement on ne tirera que très peu d’esprit d’une livre de
soufre, parce que si l’air est trop sec par le moyen du chaud ou du froid, il n’est pas capable de
retenir & de coaguler l’esprit acide & vitriolique du soufre, au contraire, il se dissipe tout avec la
substance grasse & inflammable du soufre. Nous parlerons des vertus de cet esprit après que
nous aurons enseigné l’autre manière de le faire.

§. 13. Seconde manière de faire l’esprit de soufre.

Il faut avoir un petit fourneau de terre cuite, qui puisse recevoir une cucurbite de terre qui
résiste bien au feu, qui ait une ouverture quarrée au ventre, qui se puisse bien fermer avec un
morceau qui soit bien approprié ; il faut aussi que la cucurbite ait quatre petites hausses
également distances les unes des autres, qui soutiennent le bord du chapiteau qu’on appliquera
dessus, afin qu’il y ait de l’air pour évacuer une partie de la fumée, qui monte du soufre qui
s’enflamme, autrement on n’aurait que des fleurs acides, & une liqueur blanchâtre.

Cela étant ainsi, il faut échauffer la cucurbite doucement d’abord, puis augmenter le feu jusqu’à
ce qu’elle rougisse, alors il faut avoir de bon soufre bien choisi & bien sec qui soit en poudre
grossier, & en jeter environ deux drachmes à la fois dans la cucurbite par l’ouverture, & la re-
fermer aussitôt, & continuer ainsi jusqu’à ce que les vapeurs, qui sont élevées commencent à se
condenser dans le chapiteau, & à distiller dans les récipients qu’on aura appliqués aux deux
becs du chapiteau. Il faut aussi choisir un temps humide & pluvieux pour travailler à cet esprit,
si on en veut tirer beaucoup, lorsque le temps est propre, que le soufre est bon, que l’Artiste est
attentif à bien entretenir le feu & à jeter du soufre, aussitôt que la flamme cesse, on en peut
espérer une once & demie de chaque livre de soufre. L’Artiste verra mieux les proportions du

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fourneau, & des vaisseaux nécessaires à ce travail dans la figure ci-jointe, que nous ne l’avons
pu décrire, c’est pourquoi il y aura recours. Il cherchera aussi les vertus de l’esprit acide du
soufre avec celles que nous avons attribuées à l’esprit du vitriol.

Nous ajoutons néanmoins que cet esprit est spécifique contre la peste, & contre toutes les autres
maladies qui sont occasionnées par la pourriture & par la corruption, & même contre l’asthme,
surtout il conserve la santé, il on en prend tous les matins trois gouttes dans du vin blanc ou
dans du bouillon, parce qu’il corrige des défauts du ventricule, & qu’il le fortifie suffisamment
pour empêcher les indigestions, qui sont les causes & les sources de la plupart de nos maladies.
On employé aussi heureusement cet esprit mêlé dans de l’eau de plantin, dans la chute du
fondement, en fomentant & étuvant doucement la partie avec une éponge trempée dans cette
liqueur.

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§. 14. Comment il faut distiller la vraie huile du soufre.

Tous ceux qui connaissent la philosophie naturelle, savent que les minéraux ne sont cru &
indigestes, que parce qu’ils sont tels d’eux-mêmes, ou encore parce qu’ils ont ère tirés
prématurément de leur matrice, comme un fruit vert & non mûr qu’on a détaché de son arbre.
Or il n’y a que le manque de maturité qui les rende incapables de produire tous les beaux effets
que la nature y a logés : mais l’intention de cette bonne mère a été frustrée par le mélange de
quelque matière, ou par l’interruption qu’on a fait à son ouvrage, qu’elle n’a pu achever, à cause
de la privation de la chaleur interne & externe qui le fomentait pour le digérer, & le conduire au
plus haut point de sa prédestination naturelle : c’est pourquoi tous les Philosophes, qui ont
connu & qui ont suivi la nature comme pied à pied, se sont toujours appliqués à commencer par
l’art, où la nature avait fini, & où elle avoir été interrompue, afin de digérer & de mûrir les
choses indigestes pour en réparer les défauts. Ils se sont servis du feu visible & de sa chaleur
pour exciter celle du feu invisible qui est dans le centre des mixtes, & qui fait le principal de leur
âme, de leur essence, de leur efficace & de leur vertu. Si ce seul moyen n’a pas été capable de les

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 607

faire parvenir à leur but, ils ont cherché dans les autres mixtes quelque chose qui eût de
l’analogie, de la sympathie & de la chaleur correspondante à celle qu’ils voulaient multiplier &
accomplir. C’est aussi cette même voie que nous voulons suivre pour mûrir le souffre commun,
afin de le corriger, & de réveiller par ce moyen les puissances & les vertus admirables, qu’il
cache sous l’ombre de son corps, qui est l’enveloppe de la lumière & du feu qui l’a produit.

Pour cet effet, il faut que l’Artiste prenne autant qu’il lui plaira de soufre commun, qui soit bien
choisi, qu’il le mette en poudre & qu’il le digère aux cendres à une chaleur moyenne dans un
matras sans qu’il se fonde aucunement, durant l’espace de quarante jours sans aucune interru-
ption, cette digestion corrigera la puanteur du soufre, & augmentera ses vertus au quadruple,
ce qu’il connaîtra, s’il fait dissoudre une petite portion de ce soufre digéré dans quelque huile,
& qu’il fasse la même chose avec du même soufre qui n’aura pas été cuit & mûri, car l’un sentira
mauvais à l’ordinaire, & l’autre réjouira plutôt l’odorat qu’il ne le choquera. Il faut ensuite de ce
premier moyen, se servir du second, qui ne peut être autre qu’une huile subtile, éthérée &
volatile, qui ouvrira le corps de ce soufre & le rendra capable de passer en une huile subtile &
agréable. Cette huile n’est que celle de la térébenthine, comme nous avons enseigné de la tirer.
Et comme nous avons posé pour un axiome infaillible, qu’il faut que ce qui doit ouvrir &
subtiliser, passe de beaucoup ce qui doit être ouvert & subtilisé, aussi faut-il que l’Artiste mette
huit parties de cette huile sur une partie de soufre digéré, qui soit en poudre fort subtile, & qu’il
les mette en digestion au bain-marie, jusqu’à ce que cette huile ait dissout presque toute la
substance du soufre, & qu’elle soit devenue rouge comme le rubis oriental.

Cela fait, il faut faire la distillation de l’huile de térébenthine & la retirer à la très lente chaleur
des cendres, jusqu’à ce que ce qui restera dans la cornue, s’épaississe comme un sirop ; alors il
faut cohober ce qui en est sorti & les digérer ensemble durant trois jours, puis réitérer la
distillation comme auparavant, & continuer ainsi sept fois de suite à digérer, cohober &
distiller, mais la septième, il faut retirer l’huile de térébenthine à l’ordinaire jusqu’à la
consistance d’un sirop liquide, puis vous augmenterez le feu d’un petit degré & changerez de
récipient, & ainsi continuez la distillation & vous aurez une vraie huile de soufre, rouge,
odorante & pénétrante, qui est un vrai baume tant pour l’intérieur que pour l’extérieur, dont
l’efficace & la vertu ne se peut assez louer.

C’est un très excellent vulnéraire qui guérit les ulcères internes, qui résiste puissamment à la
pourriture, qui apaise toutes les irritations de la matrice ; c’est un miracle contre la peste, contre
la colique, contre les catarrhes, contre l’asthme & contre l’empyème : il provoque abondamment
les sueurs & les urines, & agit aussi par insensible transpiration.

La dose est depuis une goutte jusqu’à six dans quelque sirop approprié ou dans le jaune d’un
œuf mollet le matin à jeun. Pour l’extérieur c’est un remède sans pareil, pour résoudre & pour
digérer les tumeurs tartarées & scrofuleuses, même pour apaiser les douleurs & principalement
celles de la sciatique ; enfin on peut dire que cette véritable huile de soufre n’est pas un des

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moindres chef-d’œuvres de l’art, pourvu que l’Artiste ait été ponctuel & assidu, & qu’il ait bien
digéré & mûri le soufre, comme nous lui avons prescrit.

Il faut donc qu’il suive l’exhortation de ce grand & renommé Philosophe & Médecin
Helmont, lorsqu’il dit en parlant aux Artistes curieux d’apprendre quelque chose de
bon. Hortor itaque tyrones : addiscant sulfura mineralium spoliare vi peregrina ac
virulenta sub cujus custodia abditur ignis, Archeum in scopos desidiratos placidiffime
deducens.

« C’est-à-dire je conseille aux commençants de s’appliquer à dépouiller les soufres des


minéraux des qualités étrangères & venimeuses, qui empêchent l’action du feu qu’ils
retiennent, & qui seul peut rendre l’archée dans son état naturel.

Or comme cette opération est longue & pénible, & que tous n’ont pas le temps & la capacité
pour y parvenir, il faut que nous donnions encore une autre façon de distiller une huile
balsamique du soufre qui ne servira que pour l’extérieur, & qui pourtant contient beaucoup de
belles vertus.

§. 15. Comment on fera l’huile puante du soufre.

Prenez une livre de soufre en poudre subtile, que vous mêlerez avec une livre & demie d’huile
de lin dans une terrine vernissée, puis vous mettrez cette terrine sur un feu lent au
commencement, & agiterez continuellement la matière en augmentant le feu peu à peu, jusqu’a
ce que tout soit cuit & uni en une masse qui ressemblera à du sang de bœuf coagulé, laissez
refroidir la matière pour la mêler après avec deux livres de vitriol calciné, & la mettre dans une
cornue ample & qui soit lutée, pour en faire la distillation au réverbère clos selon les degrés du
feu ; après la distillation, séparez l’huile de la liqueur aqueuse, rectifiez l’huile au sable avec
deux fois son poids de tel de tartre, & cela la subtilisera & corrigera beaucoup sa puanteur.

C’est un secret admirable durant la peste, pour mûrir les bubons, & pour guérir les ulcères
après la chute de l’escarre des charbons : il hâte aussi la chute des escarres, & empêche le venin
de passer trop avant.

§. 16. L’infusion & l’extraction. Comment il faut faire les baumes & les teintures du
soufre.

Nous mettons l’infusion & l’extraction l’une avec l’autre, parce que la dernière suit
nécessairement de la première. L’une & l’autre nous fournissent les baumes & les teintures, qui
sont des remèdes qu’il faut estimer beaucoup, à cause de leur efficace & de leur vertu. Car
comme le soufre est de soi-même incorruptible, & qu’il préserve les corps morts de pourriture, a
plus forte raison empêchera t-il aussi la corruption & la pourriture des corps vivants, &
rétablira-t-il même les défauts du baume radical de notre vie, lorsqu’il est une fois altéré ? C’est

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pourquoi nous recommandons sur toutes choses à l’Artiste de travailler sur les baumes & les
teintures du soufre, qui lui fourniront des médicaments, qui manqueront moins dans leurs
opérations que les autres : car il faut avouer que tout ce que les plus excellents remèdes ont de
puissance, de faculté, d’efficace & de vertu, ne provient que du seul rayon de lumière & du
soufre qui réside dans leur intérieur, soit qu’on les tire de l’animal, du végétable ou du minéral,
c’est aussi pour cette seule raison que nous avons tant recommandé la conservation du sel
volatile sulfuré dans les choses, parce que c’est la dernière enveloppe de l’esprit & de la
lumière, desquels proviennent toutes les vertus & les actions.

Nous donnerons trois diverses façons de baume de soufre, & autant de manières d’en faire la
teinture, afin que l’Artiste soit d’autant mieux informé de la façon de travailler, & qu’il puisse
mieux comprendre la nature des choses & leur vertu.

§. 17. Le baume de soufre simple.

Il faut mettre quatre onces de fleurs de soufre qui aient été sublimées deux fois avec du vitriol
calciné dans un matras à long col, & verser dessus huit onces d’huile essence de térébenthine
qui ait été distillée comme nous l’avons enseigné, il faut placer ce matras au sable & lui donner
un feu modéré d’abord, qu’il faut augmenter peu à peu jusqu’à ce que les fleurs de soufres
soient dissoutes, & que l’huile de térébenthine soit teinte d’une couleur fort rouge ; alors il faut
le laisser refroidir, puis le filtrer par le coton & le mettre dans sa bouteille pour s’en servir au
besoin. Il y en a qui se servent de l’huile distillée de l’anis, de celle du fenouil ou même de celle
des baies de genièvre pour extraire ce baume ; nous en laissons le choix & la liberté aux Artistes,
parce que cela ne peut être que bon pour augmenter les vertus de ce baume, qui sont
excellentes.

Il sert contre la phtisie & pour ôter la mauvaise haleine, il est bon pour guérir les ulcères des
poumons, mais surtout, il est recommandable contre la peste & contre toutes les autres maladies
contagieuses, soit qu’on le donne pour préservatif, soit qu’on en fasse prendre aux malades
pour remède curatif. La dose est depuis trois gouttes jusqu’à vingt, dans de l’eau de pétasites &
dans celle de la racine de nula.

§. 18. Le baume de soufre composé.

On appelle ce baume composé, l’élixir contre la peste ou le baume de vie, à cause des
admirables vertus qu’il possède. Il se fait avec huit onces d’huile distillée de bayes de genièvre,
trois onces de celle de succin, deux onces de celle de rue & une once de celle de camphre, qu’il
faut mettre dans un matras à long col & y ajouter trois onces de lait ou de magistère de soufre,
deux onces de myrrhe, une once d’aloès succotrin & une demi-once de safran bien choisi. Il faut
digérer le tout ensemble aux cendres à une chaleur égale l’espace de sept jours naturels, ou
jusqu’à ce que le tout soit converti en un baume fort, rouge, qu’il faut filtrer par le coton, & le

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garder comme un précieux trésor contre la peste & contre toutes les maladies malignes. La dose
est depuis deux gouttes jusqu’à douze, dans des sirops appropriés ou dans quelque esprit.

§. 19. Le baume du soufre vulnéraire.

Prenez quatre onces de bon soufre bien choisi, mettez-le en poudre subtile, & le mêlez avec
autant de sel de tartre qui soit bien sec, mettez ce mélange dans une écuelle de terre qui soit
vernissée, posez-le sur un feu lent & modéré, & l’agitez, continuellement avec une spatule de
fer, jusqu’à ce que le tout soit réduit en une masse, qu’on appelle le foie de soufre : lorsque cela
est ainsi, il faut cesser & laisser refroidir la matière, puis là réduire en poudre, qu’il faut mettre
dans un matras, & y ajouter une once d’aloès succotrin, une demi-once de myrrhe fine & deux
drachmes de safran, le tout en poudre subtile, & verser dessus une partie d’huile jaune de
térébenthine & deux partis de son huile rouge, que quelques-uns appellent son baume, & cela
jusqu’à ce que les huiles surnagent les matières de quatre doigts : il faut placer le matras aux
cendres & l’y tenir en digestion, en augmentant le feu peu à peu jusqu’à faire frémir les matières
; alors il faut que l’Artiste voie si les matières sont extraites & dissoutes, si cela est, il filtrera le
baume par le coton pour s’en servir au besoin ; sinon il continuera le feu jusqu’à ce que cela soit
fait.

Nous pouvons assurer que ce remède ne trompera jamais ceux qui sauront bien l’employer
dans la cure des plaies, des ulcères & des contusions : car c’est un des plus excellents baumes
que l’on puisse fournir pour l’extérieur, & dont il faut que l’Apothicaire chimique & curieux de
son métier se serve, lorsqu’il voudra faire l’emplâtre diasulphuris, s’il veut qu’on y rencontre les
vertus qu’on lui attribue.

§. 20. La première teinture du soufre.

Lorsque l’Artiste aura fait le baume de soufre simple, & que ce baume sera empreint de la
rougeur interne du soufre, il faut le mettre dans une cucurbite de verre & verser dessus deux
fois autant d’eau de pluie distillée, puis placer le vaisseau au bain-marie & en retirer l’eau par la
distillation, & l’esprit éthéré ou l’huile de térébenthine éthérée quittera le soufre qu’elle avait
extrait & montera avec l’eau, & le vrai baume de soufre demeurera au fond de la cucurbite, dont
on peut donner depuis trois gouttes jusqu’à huit, contre toutes les maladies auxquelles le
baume simple est propre, car celui-ci est même plus efficace.

Et pour en faire la vraie teinture, il faut verser de l’esprit de vin très bien alcoolisé sur ce qui
reste dans la cucurbite jusqu’à l’éminence de quatre doigts, puis la couvrir d’une rencontre &
les luter ensemble avec de la vessie & du blanc d’œuf, & les mettre digérer & extraire au bain
vaporeux, jusqu’à ce que l’esprit de vin soit fort haut en couleur, il le faut retirer & y en verser
de l’autre & continuer ainsi, jusqu’à ce que l’esprit ne se colore plus, il faut filtrer toutes les
teintures, & les distiller au bain-marie jusqu’à la réduction d’un tiers. Ceux qui ajouteront deux

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drachmes de bon safran dans un nouet en faisant la dernière distillation, augmenteront de


beaucoup les vertus de cette teinture, & ainsi il sera libre d’y ajouter encore autre chose, selon le
jugement & la science de ceux qui la feront, & qui voudront l’approprier à quelque usage
particulier, mais il est bon de l’avoir simple, à cause qu’on y peut toujours mêler quelque autre
chose selon la nécessité & les différentes espèces des maladies.

Cette teinture est encore plus souveraine que les baumes, parce qu’elle est plus ouverte & plus
exaltée par le moyen de l’esprit du vin qui est le menstrue qui est le plus analogue, & qui a le
plus de rapport avec nos esprits naturels, ce qui fait qu’il pousse & qu’il fait pénétrer les
remèdes qu’il a volatilisés, jusque dans les dernières digestions. C’est pourquoi on s’en servira
pour les maladies internes avec un tout autre succès, que ne peuvent produire les baumes, on
en donnera depuis deux gouttes jusqu’à dix, dans du vin qui soit empreint de la vertu des baies
de genièvre, dans des œufs frais ou dans quelque sirop pectoral & aléxitère.

§. 21. La seconde teinture de soufre.

Il faut mettre en poudre une livre de salpêtre bien pur & bien sec, & quatre onces de soufre bien
choisi, puis les mêler ensemble : ensuite de cela il faut placer un bon creuset ou un pot de terre
non vernissée, qu’on appelle communément un camion, dans le four à vent sur un culot & les
entourer de charbons noirs & vifs, pour échauffer le vaisseau peu à peu, jusqu’à ce qu’il soit
rouge de tous les côtés, alors il y faut jeter la matière qui a été mêlée, une cuillerée à la fois, &
recommencer d’en mettre autant, après que le bruit de la détonation précédente sera cessé, &
continuer ainsi jusqu’à ce que le tout soit achevé, cela fait, augmentez le feu & ouvrez toutes les
portes au four à vent, & le poussez jusqu’à ce que le tout soit réduit & resserré en une masse
rouge, qu’il faut retirer du feu & la mettre en poudre dans un matras & l’arroser d’esprit de vin
tartarisé, jusqu’à ce qu’il surnage de trois doigts ; il faut aussi boucher le matras avec son
vaisseau de rencontre & le luter, puis le mettre digérer & extraire aux cendres, jusqu’à ce qu’il
soit chargé d’un rouge fort haut en couleur, cela étant, il faut cesser le feu & filtrer la teinture,
puis en retirer la moitié du menstrue par la distillation au bain-marie à chaleur très lente, & il
restera dans le fond de la cucurbite une vraie teinture de soufre qui est excellente & spécifique
contre la peste, contre les fièvres & contre le scorbut, contre les obstructions du foie & contre
toutes les maladies du poumon. La dose est depuis trois gouttes jusqu’à douze, dans des
liqueurs ci-dessus marquées.

§. 22. La troisième teinture de soufre.

Comme il y a plusieurs personnes délicates, qui ne peuvent souffrir l’odeur des baumes & des
teintures du soufre, à qui néanmoins ces remèdes sont absolument nécessaires pour la cure de
plusieurs maladies, qui sont grandes & malignes ; aussi les Artistes Chimiques ont tâché de
faire en sorte de pouvoir venir à bout de recorporifier la teinture de soufre, & de la priver de la

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mauvaise odeur, qui fait de la peine aux cerveaux & aux estomacs de ceux qui sont délicats, ce
qu’ils ont fait ainsi.

Prenez autant que vous voudrez de la première teinture du soufre, comme nous avons prescrit
de la faire, retirez en la moitié de la liqueur, & mettez ce qui restera en un lieu frais ou en une
cave, afin que la fraîcheur de l’air corporifie & coagule cette teinture en cristaux, qui con-
tiennent en eux la quintessence & les vertus centriques du soufre : séparez de ces cristaux la
liqueur qui les accompagne, & les dissolvez dans du nouvel esprit de vin, puis le retirez par la
distillation jusqu’au tiers, remettez ce tiers à la cave & le faites cristalliser, & recommencez ainsi
jusqu’à sept fois, ou bien jusqu’à ce que ces cristaux aient tout à fait perdu la mauvaise odeur
qu’ils avaient acquise dans leur première préparation.

Ainsi vous aurez un vrai magistère ou une vraie teinture sèche du soufre, qui vous servira aussi
utilement, que les remèdes précédents, pourvu qu’on s’en serve un peu plus longtemps. La
dose en est depuis deux jusqu’à dix & douze grains, dans quelque liqueur convenable, dans des
tablettes, dans quelque conserve ou dans un électuaire, qui soient tous appropriés à la
délicatesse du malade & à la maladie.

§. 23. La salification pour faire le sel du soufre.

Il reste ordinairement au fond des écuelles qui ont servi pour tenir le soufre enflammé,
lorsqu’on distille l’esprit du souffre, de certaines fèces on une tête morte qui est noirâtre, légère
& comme feuillée, laquelle il faut calciner & réverbérer dans un creuset jusqu’à ce qu’elle soit
convertie en gris blanc. Faites ensuite la lessive avec de l’eau de pluie distillée ou avec de la
rosée de vitriol, qu’il faut filtrer & évaporer lentement aux cendres jusqu’à pellicule ou jusqu’à
sec, car comme il y a peu de matière, aussi y a-t-il très peu de sel, c’est pourquoi on peut
toujours légitimement substituer celui de vitriol en la place de celui de soufre, sans être obligé
d’en faire aucun scrupule, parce qu’ils viennent d’une même source, & qu’ils ont les mêmes
vertus, qui sont de nettoyer & de fortifier l’estomac, d’en ôter le séminaire des vers & de les en
chasser. Voilà tout ce que nous avons cru devoir marquer sur le soufre pour la pleine
instruction des Artistes, qui pourront pousser plus loin leur travail si bon leur semble.

DES BITUMES.

§. 24. Des bitumes.

Nous avons généralement compris dans cette section les soufres proprement dits & les bitumes,
& comme nous avons parlé des premiers, il faut achever par les bitumes qui sont les derniers.
Or les bitumes se prennent généralement pour tout minéral, qui est très-gras : c’est pourquoi il
y en a de diverses espèces, comme le karabé ou le succin, l’ambre gris, la nature de baleine, le
bitume, l’asphalte, le pétrole, le charbon de terre & le jayet.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 613

Nous traiterons ici des bitumes qui sont les plus considérables, & sur lesquels la Chimie
travaille pour en tirer des remèdes & pour en séparer le pur de l’impur. Or entre tous, le karabé
& l’ambre gris tiennent le premier rang : c’est pourquoi nous ne parlerons que de ces deux bitu-
mes ; surtout parce que les autres souffrent si peu de préparation, qu’il serait inutile d’en dire
quelque chose, puisque nos opérations sur le karabé, suffiront pour instruire l’Artiste sur tous
les autres.

§. 25. Du succin ou karabé.

Les sentiments des Auteurs qui ont traité du succin, sont fort différents, mais principalement
ceux des anciens, parce qu’ils n’ont pas eu les lumières de la Chimie, pour pénétrer dans la
connaissance des choses naturelles : mais les modernes qui sont éclairés de ce beau fanal, & qui
s’en sont servis pour faire l’anatomie des mixtes, sans aucune autre prévention d’esprit, que du
seul désir de découvrir la vérité pour eux-mêmes, & de l’apprendre aux autres, nous
apprennent que le succin ou le karabé est un suc bitumineux ou une résine bien digérée, qui
s’écoule des veines de la terre dans la mer ou elle s’assemble, se coagule & se durcit de plus en
plus.

Il y en a de trois sortes principales. Le premier qui est le plus précieux & le plus recherché est
blanc & opaque, il est le plus digéré & le plus mûr de tous, ce qui se manifeste par sa pureté, par
sa bonne odeur & par la quantité de son sel volatil, qui est le signe le plus infaillible de sa bonté
& de ses vertus. Le second est le jaune qui est lucide & transparent, qui abonde plus en huile
qu’en sel, & qui par conséquent est moins digéré & moins estimable. Le troisième est celui qui est
mêlé des deux, qui tient du blanc & du jaune, mais qui a quelque mélange de terrestréité &
d’impureté qui le mettent au-dessous des deux précédents. Tous trois ont des vertus qui ne sont
pas communes : mais si quelqu’un se veut servir du succin en Médecine sans aucune autre
préparation que de la trituration sur le porphyre ; il faut toujours prendre le plus blanc, qui a
une odeur balsamique qui se rapporte à celle du romarin en fleur, lorsqu’il est un peu frotté
pour lui faire pousser son odeur.

C’est donc le blanc qu’il faut prendre pour en faire la teinture ou l’essence comme nous
l’enseignerons. Mais on se peut servir du second & du troisième pour la distillation, à cause
qu’il se fait séparation du pur de l’impur, & que la rectification peut réparer les défauts de la
première distillation, qui a déjà corrigé le vice de la digestion naturelle du karabé, & qui en a
séparé par l’action du feu ce qu’il y avait d’hétérogène & de grossier. Karabé signifie en la
langue Persique, tirepaille, qui est une propriété du succin ou de l’ambre.

Les vertus générales du succin sont d’échauffer, dessécher, fortifier & resserrer légèrement : on
le dédie principalement à la tête, à la rate & à la matrice. C’est pourquoi on l’emploie très
utilement contre les catarrhes, l’épilepsie, l’apoplexie, la léthargie & le vertige, aussi bien que
pour apaiser toutes les irritations & tous les méthéorismes de la rate. C’est aussi un spécifique

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 614

merveilleux contre tous les maux de la matrice & principalement contre son enflure & les
suffocations qu’elle cause. C’est aussi un vrai baume coagulé qui sert contre le flux de sang &
contre celui de la semence, & surtout contre les fleurs blanches, enfin on peut dire légitimement
du succin, qu’il est l’âme des remèdes qui sont destinés à nettoyer la matrice & à corriger tous
ses défauts. Quelques-uns croient que ceux qui portent des colliers d’ambre ne sont pas sujets
aux maux des yeux ni à ceux de la gorge, dont ils disent qu’il empêche l’enflure. La dose du
succin préparé est depuis demi-scrupule jusqu’à une drachme dans des oeufs mollets, dans
quelque sirop, dans des caillettes ou dans quelques conserves.

Les préparations Chimiques du succin sont, la dissolution ou l’extraction, pour en faire la


teinture ou l’essence & le magistère ; & la distillation par le moyen de laquelle on en tire l’esprit
mercuriel, l’huile subtile, l’huile balsamique, le sel volatile & la colophane.

§. 26. Comment il faut faire la teinture ou l’essence de succin.

Il faut prendre trois ou quatre onces de succin blanc préparé sur le porphyre que vous mettrez
dans un vaisseau de rencontre. Versez dessus de l’esprit de vin très alcoolisé jusqu’à ce qu’il
surnage de quatre doigts ; fermez la rencontre & la lutez, puis la mettez digérer, dissoudre &
extraire aux cendres à une chaleur modérée, jusqu’à ce que la liqueur soit devenue d’un beau
jaune doré. Alors il faut ouvrir le vaisseau, retirée la liqueur par inclination, & continuer la
dissolution & l’extraction de la même sorte, jusqu’à ce que l’esprit de vin ne se colore plus. Fil-
trez, ensuite toutes les teintures, & retirez les trois quarts du menstrue par la distillation à la
chaleur lente du bain-marie, & l’essence du succin restera avec le goût & l’odeur de son mixte
qui est capable de très beaux effets, à cause de la subtilité de ses parties.

Quelques-uns en prétendent faire le magistère par la précipitation de cette teinture dans de


l’eau commune ; mais ils se trompent : car c’est proprement défaire ce qu’on a eu bien de la
peine à travailler, puisque l’eau tire à soi l’esprit de vin, & ainsi le corps du succin s’en sépare,
& donne une gomme ou une résine, qui ne vaut pas mieux que le succin blanc qui est préparé,
sinon qu’il est un peu puas pur. L’Artiste gardera donc cette essence en liqueur, & s’en servira à
toutes les maladies, auxquelles nous avons approprié les vertus générales du karabé.

Mais il faut qu’il donne ce remède dans quelque sirop, comme dans celui de cannelle, de corail,
dans celui de fleurs de péone ou des jaunes d’œufs : il le peut aussi donner dans des esprits
ardents ou éthérés, comme dans celui de baies de genièvre ou de sureau, dans celui de cerises
noires ou dans l’esprit de fleurs de muguet, fait avec le vin d’Espagne, parce que s’il se donnait
dans quelque liqueur aqueuse, le succin se recorporifierait, & ainsi il ne produirait pas des effets
si bons ni si prompts que lorsqu’il est donné en liqueur, & que toutes ses parties sont désunies
& volatilisées, afin que l’archée du ventricule réduise toutes ses puissances en acte jusque dans
leur plus grande perfection.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 615

La dose est depuis six gouttes jusqu’à vingt, & même jusqu’à trente gouttes.

§. 27. Comment il faut faire le magistère de l’ambre ou du karabé.

Comme nous avons condamné avec raison le faux & le prétendu magistère du succin, il faut
que nous recommandions celui qui est véritable, & qui peut produire quelque chose de bon
pour la santé. On y procédera de la sorte.

Prenez du succin blanc qui soit réduit en poudre impalpable, autant que vous voudrez, mettez-
le dans un matras ou dans une cucurbite, & versez dessus de très bon & très subtil vinaigre
distillé jusqu’à l’éminence de quatre doigts, mettez le vaisseau au sable & les faites bouillir
ensemble durant trois ou quatre jours, en remettant toujours de nouveau vinaigre distillé qui
toit bien chaud, à mesure que le premier s’évaporera, ce qu’il faut continuer jusqu’à ce que la
liqueur soit devenue rouge. Alors filtrez & retirez le menstrue aux cendres jusqu’à sec, & le
magistère demeurera au fond de la cucurbite, qu’il faut dissoudre dans parties égales d’eau de
roses, d’eau de mélisse & d’eau de cannelle, & les digérer ensemble durant vingt-quatre heures,
puis en retirer les eaux aux cendres lentement, ce que vous pratiquerez aussi la première fois,
lorsqu’on retirera le vinaigre, à cause que la précipitation & le trop de feu perdent tout le travail
& la vertu des choses. Réitérez cette digestion & cette distillation jusqu’à trois fois, mais la
troisième, il faut cesser le feu lorsqu’on en aura tiré les trois quarts ; ajoutez au reste une once
de suc de citron bien filtré ou une drachme d’esprit de vitriol bien acide & bien rectifié. Cela
étant fait, continuez la distillation lentement, jusqu’à ce que la matière soit bien desséchée, que
vous mettrez en pondre & la garderez au besoin : car c’est un excellent médicament pour
provoquer la sueur, & pour fortifier le cœur & ses fonctions ; on le peut donner avec l’espérance
d’un bon effet dans la rougeole, dans la petite vérole & dans la pleurésie : mais surtout, c’est un
spécifique contre le scorbut & contre ses suites. La dose est depuis six grains jusqu’à quinze &
vingt grains, dans de la conserve d’œillets, dans de la confection d’hyacinthe on dans du
Diacordium fracstorii ; mais qu’on fasse boire au malade des eaux de chardon bénit ou d’ulmaria
par-dessus.

§. 28. Comment il faut faire la distillation du succin.

Nous conseillons de prendre pour ce travail la troisième sorte de karabé, dont nous avons parlé,
parce qu’il contient en soi beaucoup d’huile, & qu’il abonde aussi en sel volatile. On en prendra
donc trois ou quatre livres, qu’on mettra dans une grande retorte, de manière que la matière
n’en occupe que le tiers, qu’on placera au réverbère clos, dans une capsule avec deux doigts de
cendres dessous le cul de la cornue, ce qui lui servira de lut, il adaptera au col de la retorte un
grand récipient, qu’il lutera exactement, puis donnera le feu peu à peu jusqu’à ce que les
gouttes de l’esprit acide soient passées & que l’huile commence à paraître. Alors il l’augmentera
tant soit peu & le réglera de telle sorte, que les gouttes se suivent l’une l’autre. Mais il faut
commencer à le renforcer & à le pousser, lorsqu’on apercevra que l’huile s’épaissit & que le sel

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volatile se sublime, ce qu’on connaîtra par les vapeurs & les nuages épais qui sortiront de la
cornue, il faut ainsi continuer le feu jusqu’à ce que le récipient s’éclaircisse de soi-même, ce qui
est un signe infaillible de la fin de l’opération.

Ce qui est dans le récipient après la distillation, contient trois êtres distincts qui proviennent
d’un seul & même mixte. Le premier, est l’esprit ou la liqueur mercurielle, aqueuse & acide du
succin qui sort la première. Le second, l’huile qui est mêlée de beaucoup de sel volatil, ce qui l’a
rend un peu épaisse, ingrate à l’odorat & haute en couleur. Et le troisième être est le sel volatil
sulfuré, qui n’est pas le moindre des trois en efficace & en vertu. Or il faut que l’Artiste sache
séparer adroitement ces substances les unes des autres, afin de les pouvoir employer chacune à
part, selon les propriétés qu’elles contiennent. Ce qui se fait ainsi.

§. 29. Comment il faut séparer l’esprit de succin.

Il faut mettre dans un matras à long col tout ce que l’Artiste trouvera dans le récipient après la
distillation du succin, le boucher avec un autre matras, & le mettre digérer au bain vaporeux
dans de la sciure de bois à une chaleur humaine durant trois ou quatre jours, afin que ce qu’il y
a de liqueur acide & mercurielle se sépare de ce qu’il y a d’oléagineux. Cela fait, versez l’huile
qui surnage par inclinaison, & lorsqu’il n’y en aura plus guère, il faudra mouiller un filtre de
papier avec de l’eau de mélisse ou de roses, & verser dedans peu à peu la liqueur qui sera au
fond du matras, & ce qu’il y a de substance oléagineuse demeurera sur le filtre, parce qu’il est
humecté d’eau & l’esprit coulera clair au travers, qu’il faudra rectifier aux cendres lentement
jusqu’à sec, afin que s’il y a du sel volatil qui se soit dissout dans l’esprit, qui est presque de sa
même nature, il demeure au fond sans se sublimer & sans se brûler.

Il faut garder cet esprit dans une fiole bien bouchée, afin de s’en servir au besoin. C’est un
souverain diurétique, désopilatif & céphalique, qu’on peut employer partout où le succin peut
être utile : mais principalement contre les obstructions & le schirre de la rate, lorsqu’il est accué
de son sel volatil. La dose est depuis quatre gouttes jusqu’à douze dans de la teinture de
sassafras, dans du vin blanc ou, dans des bouillons.

§. 30. Comment il faut séparer & rectifier le sel volatil du succin.

Après que l’Artiste aura fait la séparation de l’esprit acide & mercuriel de l’huile du succin, il
faut qu’il en mette environ une demie livre à part qui lui puisse servir dans la nécessité pour le
dehors & pour le dedans, quoiqu’elle ne soit pas fort agréable : mais comme elle est animée de
son sel volatil, aussi peut-elle beaucoup mieux servir contre les suffocations de la matrice &
contre les insultes de l’épilepsie, & même pour appliquer sur les membres contrats, atrophiés &
paralytiques, où elle est sans comparaison plus excellente & plus active que n’est pas celle qui
est privée de ce sel admirable.

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 617

Il faut donc prendre tout ce qui reste d’huile & la mettre dans un grand matras ou dans un
grand vaisseau de rencontre, & verser dessus de l’eau de pluie distillée jusqu’à ce qu’il y en ait
autant ou plus que d’huile, il faut couvrir & luter le vaisseau & le faire digérer aux cendres à
une chaleur moyenne, & l’agiter d’heure en heure, afin de mieux faire la séparation & la
dissolution du sel volatil d’avec son huile ; car quoiqu’il y soit intimement mêlé, à cause qu’elle
est de la nature volatile & sulfurée, cependant il s’en séparera avec le temps, se dissoudra & se
joindra à l’eau à cause de sa nature saline, qui se joint & s’unit très facilement avec l’eau.

Lorsque l’Artiste verra que l’eau sera bien chargée, il fera cesser le feu, séparera l’huile, &
filtrera l’eau qui est chargée, du sel volatil du karabé, comme il le connaîtra par son goût qui est
acide & piquant. Il faut retirer les trois quarts de l’eau par distillation lente aux cendres ; puis
mettre le vaisseau en un lieu froid & l’y laisser deux jours, & on trouvera que le sel volatil se
sera cristallisé & coagulé en une substance rouge & brune, qu’on séparera de l’eau, & qu’on fera
sécher entre deux papiers à une chaleur lente & modérée. Continuez l’évaporation de l’eau
superflue & retirez tout le sel, faites le sécher & le joignez au premier qui est toujours le plus
pur & le meilleur. Il faut en garder une partie comme il est, si on veut ; sinon il faut mettre le
tout dans une petite cucurbite qui soit couverte d’un alambic aveugle, & le sublimer au sable à
une chaleur graduée, & ainsi ce sel s’élève & se sublime beau, blanc, pur & net, & laisse toutes
les impuretés au fond du vaisseau.

Ce sel volatil est la plus excellente partie du succin, & qui mérite que les Artistes la recherchent
curieusement à cause de ses hautes vertus, qui sont encore plus générales & moins bornées que
celles du succin, de son esprit ou de son huile, puisqu’il en est l’âme & l’essence intérieure. C’est
un remède admirable dans l’hydropisie naissante, & particulièrement dans la leucophlegmatie
où il fait des merveilles, à cause qu’il dégage puissamment la rate & toutes les autres parties du
bas ventre par les urines & par la transpiration, outre cela il possède au quadruple toutes les
vertus que nous avons attribuées au succin, j’en recommande donc encore une fois l’usage à
l ’Artiste, avec promesse qu’il n’y sera pas trompé.

La dose est depuis trois grains jusqu’a vingt dans du vin, dans des bouillons ou dans quelques
autres liqueurs qui soient appropriées à la maladie & au malade.

§. 31. Comment il faut bien faire la rectification de l’huile de succin.

Après la séparation & la rectification de ces deux premières substances, il faut venir à celle de la
troisième qui est l’huile, car comme elle est rouge-brune, puante & grossière, il faut enseigner
crois moyens à l’Artiste pour la purifier & la rendre fluide, subtile & pénétrante, afin qu’elle
puisse mieux produire les merveilleuses propriétés qu’elle cache en elle.

Pour le premier de ces moyens, il faut mêler l’huile qui est restée après la séparation du sel
volatile, avec deux parties de cendres du foyer & une partie de sel décrépite, & y en mettre

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 618

autant qu’il en faudra pour réduire le tout en une masse de pâte dont on puisse former des
boulettes, qui puissent entrer par l’embouchure du col d’une cornue de verre, dans laquelle il
les faut mettre, en sorte néanmoins qu’elle ne soit que demi-pleine, & la placer au réverbère clos
avec un récipient qui soit bien luté, il faut donner le feu doucement jusqu’à ce que l’huile
commence à distiller belle & claire, & l’entretenir ainsi ou l’augmenter peu à peu & de degré en
degré, jusqu’à ce qu’on remarque que les gouttes qui tombent commencent à devenir jaunes ou
rougeâtres ; alors il faudra changer de récipient & en substituer un autre & le luter comme il
faut, puis presser le feu un peu plus fort, afin de contraindre l’huile de se séparer des moindres
atomes des corps avec lesquels elle est mêlée, & le continuer en l’augmentant de plus en plus,
jusqu’à ce qu’il n’en sorte plus rien.

Le second moyen de rectifier cette huile, est de la mettre dans une vessie avec de l’eau de roses,
de celle de marjolaine, & de celle de mélisse de chacune trois ou quatre pintes, & la distiller par
la tête de maure avec le tonneau & le canal, avec les mêmes observations que nous avons
marquées pour la distillation des huiles des végétaux, & on aura une huile de succin, qui sera
fluide & claire pour s’en servir à tous les usages, auxquels les Auteurs la destinent dans leurs
écrits.

Le troisième & dernier moyen de rectifier cette huile, est de la verser dans une morte, & de jeter
dessus goutte à goutte son poids égal d’esprit de sel, placer la cornue au sable & la distiller avec
un feu bien gradué, & l’huile en sortira claire & pure autant qu’on la peut délirer. Nous ne
répéterons pas inutilement les vertus de cette huile, parce qu’on-les trouvera avec les vertus
générales que nous avons attribuées au karabé. Ceux qui en voudront apprendre davantage,
consulteront ceux qui en ont traité & qui l’estiment un remède divin.

§. 32. De l’ambre gris & de sa préparation chimique.

L’ambre gris est un mixte dont l’origine a beaucoup embarrassé les esprits : mais ceux qui ont
été aux Indes Orientales & qui l’ont le mieux recherché, disent tous unanimement que l’ambre
gris n’est autre chose qu’un bitume qui s’élève du fond de la mer, qui le coagule par le moyen
de son sel, & qui est digéré & mûri par les rayons du soleil ; on le trouve ordinairement le long
des côtes de Sofala, de Mozambique & de Melinde, même vers les îles Maldives & vers le Cap
Comorin.

Le meilleur ambre gris est celui qui est d’un gris jaunâtre qui se fond facilement, & qui coule
lorsqu’on y fourre une aiguille chauffée : mais la meilleure épreuve est celle de sa dissolution
dans de très subtil esprit de vin, car celui qui est le plus pur & qui laisse le moins de terrestréités
& de fèces, est toujours le meilleur.

On s’en sert dans les parfums & peut l’intérieur, il échauffe, il dessèche, il résout, il fortifie
l’estomac & le cerveau, il récrée & augmente les esprits vitaux & les esprits animaux, par son

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 619

soufre volatil & doux, qui est ami de notre nature. Nous avons donné le moyen d’en faire un
bon parfum dans la préparation du benjoin. Mais comme on le peut ouvrir & dissoudre pour
plus facilement réduire sa puissance en acte, nous donnerons deux façons d’en faire l’essence
ou la teinture, afin de finir par la préparation de cette noble production de la mer.

§. 33. Première essence de l’ambre gris.

Prenez de l’ambre gris le plus pur deux drachmes, & douze grains de très bon mute, de sucre
candi blanc un scrupule, broyez le tout ensemble très exactement, & lorsque le tout sera bien
mêlé, ajoutez-y peu a peu en broyant une demi-once d’esprit ardent de roses, mettez ce mélan-
ge dans un matras, & versez dessus deux onces d’alcool de vin, bouchez le matras d’une
rencontre & le mettez digérer quatre jours au bain vaporeux, après cela filtrez cette teinture par
le coton & la gardiez au besoin, comme un des plus grands confortatifs qui soient pour les
vieillards & pour les refroidis ; elle augmente l’humide radical & rend le mâle & la femelle
habiles à la génération. On la dose depuis une goutte jusqu’à six dans du vin d’Espagne, dans
de la malvoisie, dans de l’hypocras ou dans quelque autre boisson analogue, qui agrée au goût
& à l’odorat des infirmes.

§. 34. Seconde essence de l’ambre gris.

Comme il y a beaucoup de personnes qui seront bien aises d’avoir de l’ambre ouvert & dissout,
sans aucun autre mélange, & que même cela est nécessaire, tant en santé qu’en maladie, aussi
voulons nous donner le moyen de faire cette dissolution toute ingénue & toute simple. Il faut
donc prendre deux drachmes de très bon ambre gris & les broyer avec autant de sucre candi
blanc, jusqu’à ce que ces deux substances soient réduites en une poudre impalpable, & qu’elles
soient tellement unies, qu’elles ne fassent presque qu’un même corps.

Lorsque cela est ainsi, il faut mettre ce mélange dans un matras & verser dessus le quadruple de
son poids d’esprit de vin, qui ait passe trois fois sur le sel de tartre, puis il faut boucher le
matras & le mettre digérer au bain vaporeux durant sept jours à une chaleur lente &
continuelle, & agiter souvent la matière, lorsque l’Artiste verra que la dissolution & l’union du
sel, du soufre & de l’esprit sera faite, en sorte que la liqueur soit claire, jaune & nette, hormis
quelques petites impuretés qui viennent de l’ambre gris qui seront au fond du matras, cela étant
ainsi, il faut filtrer le tout chaudement par le coton dans sa fiole & le boucher, & lorsque cette
essence sera refroidie, elle sera coagulée & congelée en une substance pareille au du beurre
blanchâtre, qui se résout à la moindre chaleur, même à celle de la paume de la main, en une
liqueur jaune, qui est très subtile.

Elle est excellente pour ambrer les bouillons, les gelées, les confitures, les conserves, & toutes
sortes de boissons : on s’en peut servir contre les faiblesses & pour fortifier l’estomac, & pour

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NICOLAS LEFEVRE COURS DE CHIMIE 620

corriger la mauvaise odeur de la bouche. La dose est depuis une goutte jusqu’à huit dans les li-
queurs que nous avons dites.

Voilà ce que nous avions à dire pour achever la préparation chimique des animaux, des
végétaux & des minéraux, nous croyons n’avoir rien omis de ce qui peut servir à bien instruire
ceux qui s’adonneront à la Chimie : c’est pourquoi nous exhortons les Artistes de suivre
ponctuellement les voies que nous leur avons tracées, afin qu’ils le rendent de plus en plus
habiles en sa recherche des vérités physiques : & surtout nous encourageons les Apothicaires,
qui ne sont pas encore inities aux mystères de la Chimie de s’y employer avec soin & de bonne
grâce, sans qu’ils se laissent emporter au torrent de l’opinion vulgaire, qui n’est grossi que par
l’ignorance, la présomption, l’envie & la malice, afin que tous ensemble puissent, selon mes
légitimes souhaits, se rendre capables de servir le public, comme j’ai tâché de leur être utile en
particulier.

C’est la seule passion que j’ai pour le bien des pauvres malades & pour l’instruction de ceux de
ma profession, qui m’a poussée & engagé de communiquer ce que j’ai acquis d’expérience
depuis plus de trente années d’étude & de travail, afin que le tout puisse servir à la gloire de
Dieu, au bien du prochain, & à l’exaltation de la Médecine & de la véritable Pharmacie.

Fin de la Chimie de N. le Fèvre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 621

ADDITIONS POUR LE TOME TROISIEME.

1. Remède centre la rage.

Prenez la coquille de dessous d’une huître mâle, c’est-à-dire de celles donc le poisson a un bord
noir, & dont l’écaille a en dedans des marques noires, quand l’huître est vieille, & jaune quand
elle est encore jeune. Faites la dessécher au four jusqu’à ce qu’elle se rompe facilement.
Réduisez-la en poudre impalpable que vous passerez au tamis de soie, & vous la ferez prendre
au malade.

Il y a trois manières d’employer ce remède. La plus efficace est de le donner en bol comme le
quinquina, en mettant cette poudre dans du pain à chanter mouillé. On peut le donner aussi
dans du vin blanc ; ou bien faire une omelette de cette poudre battue dans quatre ou cinq œuf
frais. Mais cette omelette doit être cuite avec de l’huile, car le beurre détruirait l’effet du
remède. Et le malade la doit manger fans pain & sans boire, & ne manger ensuite que quatre
heures après.

Ceux qui n’ont été que pincés, léchés ou éraflés, & ceux qui se trouvent dans une grande crainte
peuvent se contenter de prendre une seule fois deux gros de cette poudre, les autres en doivent
prendre trois fois.

La première dose pour ceux qui font dans l’accès, est de six gros qu’on leur fait prendre le plus
promptement qu’il est possible : les deux jours suivants on leur en donne quatre gros à jeun, &
on ne leur permet de manger que trois ou quatre heures après.

Pour ceux qui sont mordus à sang, & pour ceux qui ayant été à la mer, n’ont pas été guéris, la
dose est de quatre gros pour chacun des trois jours.

Le premier jour on le donne aux malades au moment qui se présente, & les deux jours suivants
à jeun, en observant de même de les empêcher de manger pendant trois ou quatre heures.

A l’égard des animaux on proportionne la dose à leur grosseur, & il faut s’attacher à leur
donner ce remède avec quelque chose qu’ils aiment, pourvu qu’il n’y ait point de beurre. L’effet
en est plus prompt, quand on peut le leur faire avaler avec de l’eau ou de vin.

Cette poudre ne se corrompt point & se garde tant qu’on veut, pourvu qu’elle soit mise en un
vaisseau bien fermé.

NOTA, que lorsqu’on a pris le remède, si les excréments du malade sont enveloppés d’une
espèce de boue blanche, à coup sûr il y avait de la rage ; & s’ils ne le sont point, il n’y avait rien
à craindre. Ce remède se trouve aussi dans le parfait Maréchal de Soleissel, mais moins détaillé & moins
bien circonstancié que celui-ci.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 622

2. Autre remède pour la rage.

Vous ferez une Omelette de six œufs que vous ferez cuire sans sel dans de l’huile de chènevis, &
que vous mangerez quatre heures après avoir mangé, & vous ne mangerez rien de quatre
heures après.

C’est le remède dont on se sert à l’Abbaye de Saint Hubert aux Ardennes, & qui est assuré.

On trouve difficilement de l’huile de chènevis à Paris, il faut la tirer de Troyes en Champagne,


où il s’en fait beaucoup. Il faut avoir pour le mieux de l’huile vierge, c’est-à-dire, celle qui se tire
sans feu.

3. Autre remède contre la rage, ou morsure d’homme ou de chien enragé.

Prenez de la valériane, de la petite ortie, de l’éclairé, polipode de chêne, guimauve, angélique


sauvage, angélique cultivée de chacune quatre onces : de l’écorce de la racine de lauriola qui est
une espèce de titimale, trois onces, des bayes de solanum, ou herba pacis, une trentaine. Vous
digérerez le tout dans une suffisante quantité de vinaigre. Il suffit que le tout soit imbibé
pendant deux jours. Faites sécher les simples au soleil, ou à un feu très léger, puis mettez le tout
en poudre, & le réduisez en forme d’électuaire, dont la dose est d’une dragme dans du vin, du
bouillon ou autre liqueur appropriée. Pour les hommes, joignez-y dix grains de sel volatil de
corne de cerf on de vipère, qui feront merveilles. L’électeur de Saxe Jean-Georges IV. faisait
grand cas de ce remède. Chambon, en son Traité des mines, pag. 474.

4. Autre remède contre la morsure d’un chien enragé.

Prenez de la rhue, armoise, bétoine à petites feuilles, du chardon à foulon, de la semence du


même, une once de la petite sauge, une poignée de chacune de ces plantes. Etant coupées &
hachées, versez dessus une livre, c’est-à-dire, chopine de bon vinaigre, & laissez le tout en
digestion pendant cinq on six heures. Après quoi pressez le tout, & mettez sur la morsure ces
herbes pressées, & tenez toujours la plaie de la morsure ouverte. Mettez dans trois onces de ce
vinaigre deux gros de thériaque & les faites avaler aux grandes personnes, & a proportion pour
les personnes délicates ou plus jeunes. Il fout continuer cette boisson pendant neuf jours plus ou
moins suivant le besoin, & renouveler l’application des herbes tous les jours. Je tiens ce remède
d’un Officier qui avait soin de la meute des chiens de l’Electeur de Brandebourg Frédéric-Guil-
laume. Chambon en Son Traité des Mines. pag. 489.

5. Spécifique contre les fièvres tierces & double-tierces.

Faites bouillir dans un vaisseau de verre un poisson d’eau commune, dans laquelle vous ferez
dissoudre une once de sel de tartre bien pur & bien blanc : filtrez ensuite la liqueur par le papier
gris, & la versez dans une fiole de verre que vous boucherez. Dissolvez autant de sel armoniac
dans pareille quantité d’eau, filtrez-la & versez la liqueur dans une autre fiole à part. Mêlez huit

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 623

ou dix gouttes de chacune de ces liqueurs dans un bon verre d’eau de mélisse distillée, & faites-
le prendre au malade dans le temps du frisson, après l’usage des remèdes généraux, observant
de le tenir bien chaudement dans le froid, de lui changer de linges dans le chaud, & surtout de
réitérer l’usage de ce remède, s’il ne fait pas son effet dès la première fois.

Outre que ce remède est infaillible pour les fièvres tierces, il est encore très salutaire pour les
petites véroles, puisqu’en purgeant les humeurs, il fait transpirer, & pousse au dehors la
malignité, qui se trouve répandue dans toute leur masse, & fait par ce moyen lever incontinent
des pustules remplies des excréments & des impuretés du sang, d’où s’ensuit la guérison du
malade. Glaser.

6. Autre remède contre la fièvre tierce ou double tierce.

Prenez du vitriol blanc ou couperose blanche depuis un grain jusqu’à cinq, faites-en des
tablettes avec de la farine & du sucre. Vous le ferez avaler au malade, & lui ferez prendre un
bouillon gras par-dessus. Ce remède agit par le vomissement avec grande douceur, & il
n’intéresse jamais l’estomac. Chambon en son Traité des Mines, page 290.

7. Spécifiques contre les fièvres quartes & double-quartes.

Comme on ne voit guère de maladies plus fréquentes que les fièvres intermittentes, & qu’il y en
a de si obstinées, qu’il est très difficile de les vaincre par l’usage des remèdes ordinaires, on a
bien voulu diminuer quelque chose du chagrin & de la peine que les Médecins ont à les traiter,
en leur communiquant des remèdes spécifiques, donc les effets sont confirmés par une infinité
d’expériences, qui ont réussi heureusement.

Versez un demi septier d’esprit de vin bien rectifié dans une cucurbite de verre, & y ayant fait
dissoudre quatre dragmes de camphre en poudre mettez le vaisseau légèrement couvert d’un
morceau de papier, au bain-marie, dont vous entretiendrez doucement la chaleur toujours
égale, jusqu’à ce qu’il se soit élevé & formé sur la superficie de la liqueur une substance
oléagineuse tirant sur la couleur du jaune doré, que vous séparerez après avoir remarqué qu’il
n’en monte plus. Conservez cette liqueur dans une fiole de verre bien bouchée, pour en donner
au malade trois gouttes avec une goutte d’essence de cannelle dans un grand verre d’eau de
mélisse distillée au commencement du frisson, observant de le bien couvrir pendant le froid de
la fièvre, & de le changer ensuite de linges chauds dans le temps qu’il suera.

Ce remède a tant de fois été expérimenté, qu’on ne fait point de difficulté d’assurer qu’il est
infaillible, étant pris avec les précautions nécessaires, qui sont de saigner une fois ou deux au
plus, & de bien purger le malade dans les intervalles des accès, & de réitérer aussi l’usage du
remède jusqu’à ce qu’il ait fait entièrement cesser la fièvre, ce qui arrive à la seconde ou
troisième prise, & quelquefois même dès la première fois. Glaser.

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8. Quinquina prépare par l’eau de vie.

Prenez un matras qui tienne au moins trois pintes, vous y mettrez deux onces de bon quinquina
en poudre avec une pinte d’eau de vie par-dessus. Bouchez légèrement le matras & le faites
infuser sur la cendre chaude pendant deux fois vingt-quatre heures. Filtrez voue infusion par
un linge blanc & pressez le marc. Enfermez cette infusion dans une bouteille, puis prenez ce
marc avec une bonne poignée de feuilles d’absinthe, faites bouillir le tout ensemble dans trois
demi-septiers d’eau, que vous réduirez à moitié.

Passez & pressez votre infusion, mettez dans cette décoction demi-livre de sucre, & en faites un
sirop que vous mêlerez avec votre première infusion de quinquina.

La dose est de trois cuillerées, trois fois par jour pour les grandes personnes. On peut éloigner
les doses & la quantité suivant l’état du malade. Cette préparation est souveraine, & a été
plusieurs fois éprouvée. ChAmbon en Son Traité des Mines, page 194.

9. Préparation de plusieurs eaux minérales artificielles, dont les propriétés ont les
mêmes effets que les naturelles.

De tous les secours que l’on reçoit dans la Médecine, pour la guérison des maladies longues &
rebelles, il n’y en a guère de plus salutaires que l’usage des eaux minérales, qui font souvent des
cures surprenantes, après avoir inutilement tenté l’effet des remèdes ordinaires. Mais parce que
la vertu de ces eaux consiste principalement dans certains esprits subtils & vaporeux, dont elles
se chargent en passant par les minières des métaux & des minéraux, il arrive que, si elles ne
sont promptement bues sur les lieux, ces parties spiritueuses sont si volatiles, qu’elles s’exhalent
presque toutes, quelque soin que l’on prenne de bien boucher les bouteilles où l’on transporte
ces eaux, & qu’ainsi étant destituées de vertu, elles n’opèrent pas les mêmes effets que si elles
étaient prises immédiatement au sortir de leurs sources.

C’est ce qui a fait penser, que s’il était possible, pour le soulagement d’un grand nombre de
malades ( qui n’ont ni la commodité, ni le moyen d’aller sur les lieux) de remédier à cet
inconvénient, en préparant des eaux artificielles, qui eussent les mêmes propriétés que les
naturelles, on rendrait un service d’autant plus considérable au public, que la santé est le plus
grand de tous les biens de la vie. On s’est donc appliqué dans cette vue, à rechercher les moyens
les plus propres pour y parvenir, & l’on s’y est conduit avec tant d’exactitude, que la chose a
réussi comme on l’avait espéré. Car après avoir examiné l’analyse, que plusieurs habiles gens
ont faite de la plupart des eaux minérales, & remarqué la nature des principes, qui entrent dans
leur composition, on a choisi de semblables substances qu’on a préparées de la même manière,
& dans les mêmes doses & proportions qu’elles se rencontrent dans ces eaux naturelles ; & on a
trouvé par une infinité d’expériences, que les eaux artificielles qu’on a composées, produisaient
les mêmes effets que celles qui sont prises dans leurs propres fontaines.

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Il est vrai que quelques personnes ont déjà, voulu exécuter ce dessein, mais faute d’avoir assez
examiné les principes des eaux donc ils ont prétendu imiter la nature, & de savoir bien régler
leurs préparations selon les lois de la Chimie, le succès leur a fait connaître qu’ils se sont
trompés dans leur entreprise, puisque l’usage qu’ils ont fait des eaux de leur composition dans
les mêmes maladies que les eaux minérales guérissent, n’a nullement répondu à leur intention,
les malades n’en ayant reçu aucun soulagement.

C’est pourquoi, après avoir remédié à ce défaut par une composition plus juste & plus exacte,
tant de la part de la matière que de celle de la préparation, & ayant fait ensuite quantité
d’expériences qui ont toutes heureusement réussi, on n’a pas crû en devoir plus longtemps
garder le secret, ni priver le public des avantages qu’il en peut tirer dans les plus grands besoins
de la vie. Voici donc la manière qu’il y faut procéder poux réussir sûrement. Glaser.

10. Eaux minérales artificielles semblables à celles des sources & des fontaines de
Bourbon-l’Archambault, de Nerry, de Vic-le-Comte, de Vichy, du Mont-d’Or, &.

Faites fondre une livre de râpure d’étain dans une grande cuillère de fer, puis joignez-y quatre
onces de sel commun, & agitez le tout sur le feu avec une spatule de fer pendant un quart
d’heure ; versez ensuite par inclination cet étain fondu dans quelque autre vaisseau, & vous
trouverez au fond de la cuillère une masse de matière terrestre, saline & grisâtre, dont une
dragme en poudre mise en infusion & dissoute avec autant de sel polycreste, dans chaque pinte
d’eau commune tiède, est un excellent remède contre un grand nombre de maladies chroniques
& rebelles, dont nous allons marquer quelques unes des principales, si on fait prendre de cette
eau tous les matins à jeun pendant dix ou quinze jours, depuis deux verres jusqu’à quatre ou
cinq.

Les principales propriétés de cette eau étant de purger, déterger, résoudre, atténuer, échauffer
& fortifier, elle corrige les humeurs peccantes, évacue les sérosités, purifie & subtilise le sang,
guérit la diarrhée, la dysenterie, & l’hydropisie naissante, incite & purge la pituite & la
mélancolie, & emporte les fièvres tierces & quartes, les plus longues & difficiles à vaincre.
Glaser.

11. Eau minérale artificielle aigrette & rafraîchissante.

Mettez une demie livre de limaille d’acier, avec deux drachmes de soufre vif ou minéral en
poudre, dans une petite poêle de fer neuve, sur quoi vous verserez goutte à goutte un demi-
verre d’eau commune chargée d’une dragme d’esprit de soufre, & ayant exposé cette matière à
l’air, en la remuant de temps en temps avec une spatule de fer, jusqu’à ce qu’elle paraisse
couverte de rouille, vous y joindrez une demi-livre d’alun de roche en poudre & mettrez le tout
dans un pot de terre vernissé, large d’ouverture, avec huit pintes d’eau commune que vous
meniez en digestion sur un feu de sable modéré pendant douze heures, & ayant ensuite filtré la

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liqueur par le papier gris, vous la garderez dans un vaisseau de verre bien bouché pour en
donner huit ou dix gouttes dans chaque pinte d’eau de fontaine au malade, qui en doit user de
la manière qui suit.

Cette eau étant prise tous les matins à jeun & trois heures après le dîner, depuis deux verres en
augmentant peu à peu jusqu’à six, pendant quinze ou vingt jours après s’être fait saigner &
purger selon l’indisposition du malade, produit les mêmes effets que celle de Spa, de Fougues,
de Provins, de saint Myon, &c. puisqu’elle tempère les chaleurs du foie & des entrailles, purge,
nettoie & fortifie l’estomac, décharge le sable des reins, tempère les ardeurs d’urine, déterge &
cicatrise les ulcères de l’uretère, de la vessie & de l’urètre, apaise les coliques bilieuses &
néphrétiques, & tempère toutes les parties du bas ventre, de sorte qu’en les rétablissant dans
leur constitution naturelle, elle les met en état de bien faire toutes leurs fonctions. Glaser.

12. Eau minérale artificielle aigrette & désopilative.

Mettez dans une poêle de fer neuve, une demi-livre de ces petites écailles, qui se détachent du
fer rouge, lorsqu’on le bat sur l’enclume, & que les forgerons appellent frasier, & versez dessus à
petites gouttes un demi-verre d’eau commune mêlée en deux drachmes d’esprit de sel ; laissez
le tout à l’air pendant trois ou quatre jours, puis étant sec & pulvérisé, mettez-le dans un pot de
terre vernissé, comme ci-dessus, avec trois drachmes de vitriol commun calciné à blancheur ;
sur quoi vous verserez huit pintes d’eau commune, & laisserez le- tout en digestion pendant
vingt-quatre heures, ensuite ayant filtré la liqueur par le papier gris, vous la garderez dans des
bouteilles de verre bien bouchées pour en donner au malade huit ou dix goûtes dans chaque
pinte d’eau de fontaine.

Cette liqueur étant composée de semblables principes que les eaux de Forges, de saint Paul, de
Rouen, de Bourberouge, de Pont-Normand, de Vahls, &c. outre les propriétés qu’elles de
rafraîchir, d’humecter, d’ouvrir, pénétrer & déterger comme la précédente, elle a encore celles
de lever les obstructions du foie, de la rate & du mésentère ; résout les schires, ouvre & déterge
les abcès, purge & arrête les flux bilieux hépatiques & dysentériques, provoque & règle les ordi-
naires des femmes, fortifie les parties naturelles, & les rend habiles à la génération, débouche les
obstructions des vaisseaux, guérit les rhumatismes, en adoucissant l’acrimonie des sérosités qui
picotent les membranes des nerfs, fortifie les parties & empêche les tremblements de tête, de
bras & de mains ; elle purge les sérosités, incise la pituite crasse & visqueuse, évacue l’eau des
hydropiques, étant prise avec les précautions que nous avons marquées ci-dessus.

13. Emplâtre pour les hernies, ou descentes de boyaux, de Glaser.

C’est une chose déplorable, que tant de personnes soient incommodées des descentes, & que
peu de gens se soient appliqués à chercher d’autres remèdes que les Brayers ou bandages
ordinaires, pour remédier à de si fâcheuses infirmités. Il est vrai que la chose n’est pas

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impossible ; mais le profit qu’en retirent ceux qui en ont trouvés d’assurés, les aurait toujours
fait tenir fort secrètement cachés, si une personne désintéressée ne s’était résolue de
communiquer au public la préparation de cet emplâtre, qui a la propriété de réunir & cicatriser
l’ouverture du péritoine, & de guérit par ce moyen presque toutes sortes d’hernies, étant
appliqué comme il faut.

Mettez dans un pat de terre vernissé sur un petit feu, l’huile tirée de vingt-cinq jaunes d’œufs
durs, puis cette huile commençant à bouillir, mêlez-y quatre onces de résine avec autant de
mastic le tout en poudre, en remuant continuellement avec une spatule de bois jusqu’à ce que le
tout soit fondu & bien incorporé, après quoi, tirez le pot du feu, & y ajoutez quatre onces
d’huile d’aspic, deux onces d’huile de romarin & deux onces de baume blanc d’Egypte,
remuant toujours tant que toutes ces drogues soient parfaitement liées ensemble, & ne
paraissent plus faire qu’une même substance uniforme. Alors, couvrez le pot d’un plat d’étain
avec une serviette par-dessus, jusqu’à ce que l’onguent soit refroidi. Etendez-en l’épaisseur d’un
demi-écu blanc sur une peau de chien bien préparée, que vous appliquerez sur l’ouverture du
péritoine après avoir fait doucement rentrer l’intestin, & ayant mis le brayer par-dessus, vous
laisserez cet emplâtre six semaines sur la partie sans le lever, après lequel temps vous trouverez
l’ouverture réunie par une cicatrice formée que vous laisserez consolider, en vous servant
encore du brayer pour quelque temps.

14. Remède sympathique pour les Hernies.

Au printemps ou plutôt dans le courant du mois de Mars, menez dans un bois celui qui est
attaqué de cette maladie. Coupez un jeune chêne & le fendez depuis la racine jusque près la
pointe du chêne. Vous lierez cette pointe pour l’empêcher de le fendre entièrement. Alors que
deux personnes tirent chacun de son coté la moitié du chêne, faites passer le malade tout nu a
travers ces deux moitiés de chêne. Lorsqu’il y aura passé, il faut avoir soin de lier le chêne en
plusieurs endroits. Et à mesure que le chêne se consolidera, l’hernie se guérira. Ce remède vient
d’un Médecin Juif de Léopol, dans la Russie Rouge ou petite Pologne. Chambon, en son Traité
des Mines, page 490.

15. De la fièvre continue.

La fièvre en général est une contraction véhémente, & quelquefois convulsive du cœur, causée
par l’acrimonie des esprits animaux, accompagnée de la fréquence du pouls, de la chaleur, de la
soif & d’autres symptômes.

Les fièvres qui ne quittent point depuis qu’elles ont commencé jusqu’à ce qu’elles finissent sans
retour, sont nommées continues simples, mais si elles ont d’autres accès, & que l’un revienne
avant que l’autre soit fini, ce sont des continues composées, elles pourront encore être conti-
nues, vagues ou réglées.

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Le pouls indique d’ordinaire l’état du cœur, si cet état est naturel, le pouls est réglé, si le
mouvement du cœur est violent & trop fréquent, le pouls se dérègle à proportion, & indique la
fièvre. Par la véhémente contraction du cœur, le sang le raréfie davantage ; son mouvement
intestin est augmenté, il s’échauffe, & tout le corps se ressent d’ordinaire de sa chaleur.

Les symptômes ordinaires des fièvres continues sont un frisson, un trémoussement des parties
membraneuses, une douleur de tête, une lassitude, un dégoût, avec la chaleur & la soif. S’il n’y
a pas d’autres symptômes fâcheux, le danger n’est pas grand.

La bile est souvent viciée, de même que les autres humeurs des premières voies la salive, le suc
pancréatique, l’acrimonie de ces humeurs fermente, & dissout l’humeur mucilagineuse, qui
tapisse les intestins : il s’en forme une humeur âcre qui parvient avec le chile dans la masse du
sang, & entretient l’agitation & la fièvre ; que les esprits animaux ont produit.

Curation pour guérir cette fièvre : si ce n’est qu’une simple pléthore fermentative, on
désemplira les vaisseaux par une saignée ou deux, & l’on donnera des remèdes rafraîchissants.
On videra par quelques lavements émollients, avec le miel rosat ou le lénitif. Si ce n’était qu’une
simple éphémère ou fièvre d’un jour, on se contenterait de faire diète, de boire de la tisane & de
prendre du repos : mais si la fièvre passe vingt-quatre heures, c’est une fièvre continue, il faut
saigner si rien ne s’y oppose.

Si le malade ne reposait pas à l’entrée de la nuit on pourrait lui donner ce julep.

Prenez deux onces d’eau de chicorée, autant d’eau de laitue, & cinq à six gros de sirop de
nénuphar ou de diacode, & demi-scrupule d’yeux d’écrevisses préparés.

Les bouillons peuvent être faits avec le mouron & le veau, ou la volaille, on en prend un de
quatre heures en quatre heures, & dans les intervalles quelques verres de titane faite avec la
racine de chiendent, ou de chicorée & la réglisse.

Si la fièvre persévère, on réitérera la saignée & les autres rafraîchissants susdits. La fièvre étant
beaucoup diminuée, on purgera de la sorte ou autrement.

Prenez deux gros de senné, six gros die tamarin, un gros de rhubarbe, une pincée des tiges
cendres de guimauve, ou deux onces de casse écrasée avec ses pépins, en faire une ébullition
douce dans trois verres d’eau, pour qu’il en reste deux ou trois petits verres : on passe la
liqueur, & on y dissout deux onces de manne & un gros de sel végétal. On prend ces deux ou
trois petits verres à une heure de distance ; deux heures après le dernier verre on prend un
bouillon. S’il était nécessaire d’une évacuation plus grande ou de vomir, on ajouterait à ce
second verre deux, trois ou quatre grains de tartre stibié.

Les personnes délicates se purgeront comme elles ont accoutumé.

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Si après cela il y avait des retours périodiques, on pourrait donner le quinquina. Je me sers avec
succès d’une teinture de roses, qui n’est pas la commune, & que je décrirai ailleurs. On en
prend, depuis six gouttes jusqu’à douze dans un peu d’eau sucrée & citronnée, y passant quel-
ques zeste de citron, ou dans de la tisane ; elle rafraîchit & guérit, c’est un agréable fébrifuge. De
Saulx.

THERIAQUE.

Composée publiquement par la Compagnie des APOTHICAIRES de Paris, en présence des


Magistrats, & de la Faculté de Médecine.

PROPRIETES.

La Thériaque a été considérée dans tous les temps comme un puissant cordial, & comme un
remède excellent dans toutes les maladies contagieuses & pestilentielles. Elle est regardée
depuis un grand nombre de siècles comme un préservatif des plus assurés contre le mauvais
air, & comme le meilleur antidote contre les poisons froids & coagulants, & contre les morsures
des bêtes venimeuses.

Elle prévient souvent la gangrène, & dans quelques cas elle y remédie. Elle est d’un très grand
secours dans les fièvres malignes, dans la rougeole, dans la petite vérole, & dans les maladies
où il s’agit de déterminer la transpiration.

Elle calme les irritations spasmodiques des nerfs & les mouvements convulsifs des tendons :
elle apaise les inflammations d’où ces accidents proviennent, & concilie le sommeil.

Elle modère les douleurs vives de la goûte des rhumatismes, ainsi que des coliques d’estomac,
d’entrailles, & même de la néphrétique.

Elle soulage les vapeurs, les palpitations, & réveille l’appétit dépravé. Elle facilite
l’accouchement & est employée avec succès dans ses suites. Elle soulage les asthmatiques. Elle
apaise les toux violentes, rend l’expectoration plus aisée, & digère la crudité de la pituite.

Par cette raison elle est excellente pour calmer les coqueluches des enfants. Elle arrête le hoquet,
les vomissements &les coliques, & tue les vers.

Elle modère le trop grand effet des purgatifs que l’on a pris. Elle est salutaire dans la diarrhée,
la lientérie, la dysenterie & toutes sortes de dévoiements surtout lorsque ces maladies sont
invétérées, & n’ont pas cédé aux remèdes généraux & à la diète. Elle a été souvent employée
avec succès dans les fièvres intermittentes y & particulièrement dans la quarte, en la donnant à
l’entrée du frisson.

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USAGE.

On emploie ce remède intérieurement & extérieurement : intérieurement ou seul, ou mêlé avec


d’autres substances. Lorsqu’on l’emploie intérieurement seul, on peut le prendre sur la pointe
d’un couteau, ou si on en craint le goût, en bol enveloppé dans du pain à chanter, ou entre deux
soupes ; quelques personnes trouvent plus de facilité à l’avaler délayé dans deux cuillerées
d’eau, de tisane, ou de vin de Bourgogne ou d’Espagne.

Lorsqu’on le prend intérieurement mêlé avec d’autres substances, on peut user de toutes ces
mêmes manières. On préfère cependant communément la forme du bol. Si la thériaque est
mêlée avec des poudres purgatives, même celles qui ont de t’activité, elle en tempère la trop
grande vivacité, les adoucit, en ralentit l’effet, évite les tranchées.

On la marie tous les jours avec des poudres altérantes & digestives.

On l’applique extérieurement seule sur les tumeurs, les clous, les bubons, les charbons, & sur
les morsures des bêtes venimeuses, & en forme d’épithème sur l’estomac, quelquefois mêlée
avec le vin, l’eau vulnéraire, l’eau de vie, l’esprit de vin, &c.

La dose ordinaire de la thériaque est pour les enfants, depuis dix jusqu’à quinze, vingt & vingt-
quatre grains, selon l’age, le tempérament & la maladie.

Les personnes délicates en peuvent prendre depuis vingt-quatre jusqu’à trente & trente-six
grains.

On en peut donner aux plus robustes depuis un demi-gros jusqu’à un gros, & même jusqu’à
deux dans des occasions pressantes.

Observation par rapport aux Bestiaux.

L’on verrait tous les jours de nouveaux succès de cette composition sur tous les animaux
domestiques ou autre, si toutes les fois que l’on veut & que l’on croit leur donner de la
thériaque, on employait ce médicament fidèlement composé. L’appas du bon marché fait
recourir souvent à une drogue qu’on apporte des Provinces, & que l’on vend à fort vil prix,
mais qui n’ayant que le nom de la thériaque, n’en a pas les vertus. On croit avoir employé sans
succès un remède que l’on n’a pas réellement mis en œuvre. La modicité seule du prix devrait
inspirer de la méfiance, & tenir en garde contre un piège si grossier, qui fait souvent perdre un
animal de prix.

On l’emploie depuis une demi-once jusqu’à une once & une once & demie pour les chevaux. On
en enveloppe dans du linge, & on leur en fait des billots qu’on leur passe dans la bouche, &
qu’on leur laisse mâcher une heure ou deux le matin, & autant le soir, on leur en fait avaler
délayée dans un demi-septier ou chopine de vin.

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On la donne aux bœufs & aux vaches a la même dose, à peu de chose près, ou par proportion à
tous les autres animaux.

Cette composition se distribue en boites cachetées de différentes grandeurs, au Bureau des Apothicaires,
Cloître Sainte Opportune, & en leur Jardin de l’Arbalêtre, Faux-bourg saint Marcel à Paris.

17. Eau minérale céphalique, & purgative tout ensemble, tirée de Christophe Glaser.

Broyez exactement dans un mortier de métal, une once de fine limaille d’argent, jusqu’à ce
qu’elle soit réduite en poudre fort déliée & noirâtre, alors ajoutez-y une drachme de fleurs de
soufre que vous broierez de nouveau, tant que le tout soit si bien mêlé, qu’il ne paraisse plus
faire qu’une même substance uniforme, que vous mettrez dans un bon creuset, à un petit feu
modéré, l’entretenant toujours égal jusqu’à ce qu’il commence à paraître au bord de la
superficie de la matière contre les côtés du creuset, un cercle d’une petite flamme couleur de
l’arc-en-ciel, alors, vous l’agiterez promptement avec une verge de fer, en sorte qu’elle ne se
puisse mettre en grumeaux ( ce qui rendrait la préparation inutile ) & continuez cette agitation,
tant que la partie combustible du soufre s’étant entièrement évaporée, la flamme cesse de
paraître, & qu’il ne reste au fond du creuset qu’une chaux de couleur de gris argenté, de
laquelle ayant mis deux drachmes en poudre infuser dans chaque pince d’eau de fontaine, elle
se trouve incontinent teinte d’une couleur de violet pâle.

Outre que cette eau étant prise depuis un verre jusqu’à trois tous les matins à jeun, pendant huit
jours, après s’être servi des remèdes généraux, est un souverain spécifique contre les maladies
du cerveau, guérissant les douleurs de tête, les migraines, vertiges, épilepsie, mélancolie,
hypocondriaques, palpitation de cœur, veilles immodérées, inquiétudes nocturnes, tintement
d’oreilles, & inflammation des yeux, elle est encore un excellent purgatif, qui débouche
doucement les vaisseaux, tempère l’ardeur des viscères, évacue les impuretés du bas ventre, pu-
rifie la masse du sang & rétablit les esprits animaux dans leur harmonie naturelle.

Mais parce que toutes ces préparations d’eaux minérales artificielles se peuvent altérer par le
temps, ou par la négligence de ceux qui les gardent, n’ayant pas le soin de bien boucher les
vaisseaux ou elles sont contenues, voici une composition qui n’est point sujette à cet
inconvénient, parce qu’étant presque aussi solide qu’une pierre, les parties en sont si bien liées,
qu’elles ne s’en peuvent détacher ni évaporer, que lorsqu’on la met infuser quelque temps dans
l’eau chaude, d’où vient qu’elle peut même être transportée partout, sans aucun inconvénient.

Mettez fondre à petit feu & fort lentement, demi-livre de souffre commun grossièrement
concassé, dans un vaisseau de terre vernissé & large d’ouverture & puis étant en fusion, mêlez-
y peu à peu deux drachmes de Crocus martis, avec autant d’alun en poudre fort fine, &quatre
drachmes de sel de nitre fixe, le tout bien pulvérisé & exactement mêlé ensemble, agitant
toujours ces matières avec une spatule de bois, tant qu’elles ne fassent plus qu’un corps liquide

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parfaitement uniforme, & observant de ne donner qu’autant de feu qu’il en faut pour entretenir
simplement la matière en fusion. Cela fait, vous donnerez telle figure qu’il vous plaira à cette
masse, en la versant toute chaude dans de petits vaisseaux de terre vernissés ou sur un marbre,
après les avoir humecté d’eau pour empêcher que cette matière ne s’y attache, parce qu’elle
prendra la figure du vaisseau ou elle sera versée.

Cette espèce de pierre communique sa vertu, en la mettant infuser pendant cinq ou six heures,
dans le sextuple de son poids d’eau bouillante un peu d’abord, puis passablement chaude sans
une diminution notable de son volume, en sorte qu’elle peut servir fort longtemps au même
usage. Cette infusion étant prise dans la même quantité & avec les mêmes précautions que les
eaux précédentes, opère à peu près les mêmes effets ; puisqu’elle humecte, rafraîchit, ouvre,
pénètre, résout, purge, déterge & fortifie les viscères & toutes les autres parties du corps avec
tout le succès qu’on en peut attendre.

18. Or végétable ou arbre soleil.

Prenez une drachme d’or en limaille, en feuille ou en chaux, plus trois drachmes de limaille
d’argent, avec douze drachmes de mercure tiré du cinabre ordinaire, ou même tiré du sublimé.
Mêlez bien le tout dans un grand marras & le boucherez seulement avec du coton, vous le
mettrez sur un feu médiocrement chaud, & vous verrez la matière croître & végéter de jour en
jour en forme de feuilles, ce qui peut arriver en moins de trois semaines. C’est une curiosité de
l’art ; mais Quercetan prétend qu’on en peut faire, usage pour la Médecine.

Fin du Tome troisième.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 633

COUR DE CHYMIE
POUR
SERVIR D’INTRODUCTION
à cette Science.
PAR

NICOLAS LEFEVRE

Professeur Royal en Chimie, & Membre de la Société Royale de Londres.

CINQUIEME EDITION,

Revue, corrige & augmentée d’un grand nombre dOpérations, & enrichie de Figures,

PAR M. DU MONSTIER, Apothicaire de la Marine & des Vaisseaux du Roi ;


Membre de la Société Roy aie de Londres & de celle de Berlin.

TOME QUATRIEME.

A PARIS.

Chez JEAN-NOËL LELOUP, Quay des Augustins, à la descente du Pont Saint Michel, à
Saint Jean Chrysostome.

M. DCC. L I.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 634

Table des Matières.

SECTION PREMIERE.

CHAPITRE I : p 10.
CHAPITRE II : Des Opérations Chymiques ; des Dissolutions, p 16.
CHAPITRE III : De l’Effervescence, p 22.
CHAPITRE IV : De la Fermentation, p 24.
CHAPITRE V : De la Précipitation, p 27.
CHAPITRE VI : De la Calcination, p 31.
CHAPITRE VII : De la Coagulation, p 32.

SECTION II.
CHAPITRE PREMIER : Des principes salins des modernes, & particulièrement
du sel acide, p 32.
CHAPITRE II : Du sel alcali ou urineux, tant fixe que volatil, p 34.
CHAPITRE III : Du Sel salé, p 37.
CHAPITRE IV : Du Sel Ammoniac ou Armoniac, p 37.
CHAPITRE V : Du Tartre vitriolé, p 41.
CHAPITRE VI : Des Sels minéraux, p 41.
CHAPITRE VII : Du Sel commun, p 42.
CHAPITRE VIII :
Du Sel Gemme, p 45.
De l’eau régale, p 46.
CHAPITRE IX :
Du Sel nitre, ou Salpêtre, p 46.
Dépuration du nitre. Sel de prunelle. Nitre fixé par les charbons, p 48.
Esprit de nitre, p 48.
Esprit doux du nitre, p 48.
Sel volatil d’esprit de vin. Esprit anticolique, p 48.
Eau-forte, 49.
Eau régale, p 49.
Méthode pour bien préparer l’eau forte, & l’eau régale, p 49.
Nitre vitriolé. Arcanum duplicatum. Sel fébrifuge, p 50.
CHAPITRE X :
Du Vitriol, p 50.
Vitriol artificiel, p 51.
Sel de Vitriol. Terre douce de vitriol, p 52.
Esprit coagulé de vitriol, p 54.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 635

Esprit hermaphrodite de vitriol, p 54.


Esprit de vitriol édulcoré, p 55.
Esprit apéritif de Penot, p 55.
Esprit volatil de vitriol, p 56.
Esprit de vitriol épileptique. Esprit céphalique, p 56.
Terre douce & balsamique de vitriol, p 57.
Teinture de soufre de vitriol. Soufre anodin de vitriol de Vénus, p 58.
Elément du feu de Vénus, p 58.
Fleurs de soufre de vitriol de Vénus. Premier être de Vénus, p 59.
Poudre de sympathie, p 59.
CHAPITRE XI :
De l’alun, p 60.
Cristaux d’alun, p 61.
CHAPITRE XII :
Des eaux aigrelettes minérales, p 62.
Eaux minérales acides, artificielles, p 63.
Clyssus Teinture d’Amelungius, p 63.

SECTION III.

CHAPITRE I : Du second principe actif de Paracelse & des Chymistes, qui est le
soufre, p 64.
CHAPITRE II :
Du soufre commun, p 66.
Fleurs de soufre, p 68.
Baume de soufre, p 69.
Baume de soufre de Ruland, p 69.
Teinture de soufre, p 70.
Esprit de soufre, p 70.
CHAPITRE III :
De l’antimoine & de ses préparations, p 71.
Le verre d’antimoine, p 74.
Foie d’antimoine. Safran des Métaux, Crocus metallorum. Crocus
d’antimoine, p 75.
Sirop vomitif, p 76.
Régule d’antimoine, p 77.
Soufre doré d’antimoine, p 79.
Antimoine diaphorétique, p 80.
Céruse d’antimoine, p 80.
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 636

Nitre antimonié, p 81.


Magistère d’antimoine, p 81.
Antihecticum de Potier, p 81.
Fleurs d’antimoine, p 82.
Teinture sèche d’antimoine. Lilium antimonii, p 82.
Vinaigre d’antimoine, p 83.
Clyssus d’antimoine, p 83.
Esprit sucré d’antimoine. Huile miellée d’antimoine, p 83.
Esprit anti-épileptique, p 85.
Beurre & huile glaciale d’antimoine. Cinabre d’antimoine, p 85.
Magnes arsenical, p 86.
Bésoard minéral, p 88.
Bésoards Solaire & Lunaire, p 88.
Bésoard martial, p 88.
Bésoard jovial, p 88.
CHAPITRE IV :
Des Extraits d’antimoine, p 89.
Tartre tartarifié d’antimoine, p 90.
Teinture d’antimoine, p 92.

SECTION IV : Des Végétaux.


CHAPITRE I :
Du vin & de son esprit, p 93.
Esprit de vin alcoolisé. Esprit de vin tartarisé, p 95.
Esprit de vin Philosophique, p 95.
CHAPITRE II : Du vinaigre, p 96.
CHAPITRE III :
Du tartre du vin, p 97.
Cristaux de tartre, p 99.
Hépatique rouge, p 99.
Esprit de tartre volatil, p 100.
L’huile de tartre puante, p 101.
Sel fixe de tartre, p 101.
Terre foliée du tartre, p 101.
Teinture de sel de tartre, p 102.
CHAPITRE IV : Des herbes & de leurs vertus, p 103.
CHAPITRE V : Des Fleurs, p 105.
CHAPITRE VI : Des Bois, p 106.
CHAPITRE VII : Des Semences, p 106.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 637

CHAPITRE VIII : De la correction de la malignité de certains végétaux malins, p


108.

SECTION V : Des Animaux.


CHAPITRE I :
Des Animaux parfaits & imparfaits, p 112.
Esprit essencifié, p 114.
CHAPITRE II :
De la préparation légitime de certains médicaments, p 116.
Elixir de propriété, p 117.
CHAPITRE III : Des non-être Chymiques, p 121.

DISSERTATION
Sur la Nature, l’Analyse & la propriété des Métaux & des Minéraux, pour la
Pharmacie & la Médecine.

CHAPITRE I : Des Métaux en général, p 123.


CHAPITRE II : Du Mars ou Fer, p 127.
CHAPITRE III : Du Cuivre ou de Vénus, p 133.
CHAPITRE IV : Du Plomb ou Saturne, p 135.
CHAPITRE V : De l’Etain ou Jupiter, p 140.
CHAPITRE VI : De l’Or, p 142.
CHAPITRE VII : De l’Argent, p 146.
CHAPITRE VIII : Du Mercure vulgaire ou Vif-argent, p 149.
CHAPITRE IX :
Du Cinabre minéral & artificiel, p 160.
Opération métallique sur le Cinabre, p 161.
CHAPITRE X :
Des Pierreries, p 162.
Améthyste en Diamant, p 164.
Saphir en Diamant, p 164.

NOUVELLES ADDITIONS.
Huile merveilleuse & divine de Fioravent, au second de ses caprices, Chap. 69
laquelle se prend dans la quantité d’une goutte ou deux avec vin, bouillon, ou
autre liqueur, p 166.
Urine distillée, p 166.
De l’Urine, p 166.
Eau de Gallega, p 166.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 638

TRAITE DE JEAN ISAAC HOLLANDAIS.


Sur la manière, de tirer toutes les teintures par l’esprit d’Urine, p 168.
Manière de tirer les teintures des corps avec l’eau précédente, p 169.
Manière de faire parfaitement l’huile de jaunes d’œuf, de Fioraventi, p 170.
Autre Huile d’œufs, p 170.
Autre huile d’œufs, p 171.
Usage des Coquilles d’œufs calcinées, p 171.
Le lait la Médecine & la nourriture nécessaire tant aux hommes qu’aux bêtes, p
172.
Bouillon pour la poitrine d’Helvétius, p 173.
Manière de préparer la Poudre d’Ecrevisses, p 173.
Eau des Vipères, p 174.
Eau qui conserve la vue longtemps, & nettoie les yeux de toutes ordures &
macules, p 174.
Eau expérimentée pour la vue quasi perdue, insinuée souvent dans les yeux, p
174.
Eau ou Liqueur distillée pour exciter le sommeil, p 174.
Eau qui guérit incontinent les plaies, en toutes parties du corps, tant récentes
que ulcérées, même les fistules ; remède éprouvé, p 174.
Eau qui ôte les Fistules & Poireaux, p 175.
Pour, extraire le Sel, des Herbes ou Racines, p 175.
Médecine de petite patience, propre à guérir de toute sorte de Catarrhes, &c.
Fioraventi, p 175.
Eau de Fleuri de Romarin, p 176.
Autre Eau de Fleurs de Romarin, p 176.
Extrait de Pavot rouge, p 176.
Eau de Roses, p 176.
Esprit de Roses, p 177.
Teinture de Rose, p 177.
Autre Teinture de Roses, p 178.
Baume souverain contre la Gangrène, Brûlure, faiblesse de Nerfs, mal de Tête,
Indigestion, Colique & Paralysie, p 178.
Pour faire une Médecine de Mercuriale, de très grande vertu. De Fioraventi, p
178.
Eau distillée de bouillon Blanc fermentée, p 179.
Eau de Fleurs de Tilleul, p 179.
Eau de Fleurs de Tilleul, p 179.
Eau de fleurs de Sureau, p 180.
Eau de Sperme de Grenouilles, p 180.

638
NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 639

Eau excellente contre la manie, remède éprouvé, p 180.


Eau pour mal Caduc, p 180.
Eau distillée pour dessécher les Ulcères & les Fistules, p 180.
Eau contre les Chancres, p 180.
Eau & Huile des fleurs de bouillon blanc, p 181.
Eau Thériacale, p 181.
Eau Somnifère, p 181.
Huile de Muscade, p 181.
Essence de Genièvre, p 182.
Eau excellente pour la mémoire, p 182.
Huile d’anis : & la manière commune pour distiller toutes les autres Huiles des
Semences, p 183.
La manière d’extraire les huiles des Semences, p 184.
Eau de Noix Avellaines, p 185.
Eau de Noix communes, p 185.
Eau de Limons, p 185.
Eau de Scabieuse, p 185.
L’Eau de maître Pierre Espagnol, qui anime la vue, clarifie les yeux, ôte les
taches & boutons de l’œil, p 185.
Eau distillée pour la difficulté d’ouïr, p 185.
Eau-de-vie aromatique contre les froideurs de l’estomac, tirée de Fioraventi, p
186.
Eau balsamique contre l’Apoplexie l’Epilepsie, p 186.
Eau de Fraises, p 186.
Eau de fleurs d’Orange, p 186.
Eau dorée, ou Elixir de vie, p 186.
Goûtes d’Angleterre, p 187.
Autres gouttes d’Angleterre, p 187.
Electuaire bénit de Léonard Fioraventi, lequel purge le corps sans travail, est
miraculeux en ses opérations, p 188.
Eau, Esprit & Huile des aromates, surtout de Cannelle, p 188.
Eau ou Baume d’Ormeau, p 189.
Quintessence laxative de Fioraventi, p 190.
Eau tirée du bois de Frêne, p 190.
Pour bien rectifier en une seule fois l’esprit de vin, p 190.
Esprit de vin particulier, par le moyen duquel on fait sur-le-champ des
Essences, p 190.
Essence de Cannelle, p 191.
Quintessence de l’esprit de vin, p 191.

639
NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 640

Vertu de cette Quintessence, p 191.


Autre manière de faire cette Quintessence, p 192.
Quintessence de Sang, p 193.
Séparation des quatre Eléments du Sang, p 193.
Vertus de ces quatre Eléments, p 194.
Quintessence de l’Argent, p 194.
Quintessence du Mercure commun Vitriol & Couperose, p 194.
Quintessence du Soufre, p 195.
Quintessence d’Antimoine, p 195.
Feu secret Philosophique, p 195.
Sel & Huile de Tartre excellente, p 195.
Remède pour rajeunir ou du moins retarder la vieillesse, p 196.
Usage de la Quintessence pour un malade à l’extrémité, p 196.
Ratafia de Coquelicot, de Poitrine dans les constitutions séreuses du Sang.
Méthodes d’Helvétius, p 196.
Eau magistrale pour les yeux & les nettoie de toute tache, p 197.
Pour faire du Vinaigre, p 197.
Autre, p 197.
Vinaigre distillé, p 197.
Sel de Tartre excellent, p 198.
Sel de Tartre volatilisé, p 198.
Cristal de Tartre, p 198.
Liqueur Alcaest ou de Cristal, p 199.
Quintessence des Métaux, p 199.
Quintessence des Minéraux, p 199.
Quintessence des Végétaux, p 199.
Quintessence des Animaux, p 199.
Sel de Tartre très pur, p 199.
Le moyen de faire la pierre végétable qui transmue les corps d’une complexion
en une autre, les entretenant en bonne santé toute la vie, par Fioraventi, p 200.
Gomme ammoniac, p 200.
La Médecine du Flos-cœli, p 201.
Remarque sur le procède du Flos-cœli, p 203.
Emplâtre dudit Flos-cœli, p 203.
La Pierre de feu Basile Valentin, & les préparations nécessaires pour la faire,
tirées du Char triomphal de l’Antimoine, p 204.
Préparation du Nitre, p 206.
Pour faire le verre d’antimoine, p 206.
Vinaigre d’antimoine ou Vinaigre des Philosophes, p 206.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 641

Préparation de l’Esprit de Vin, p 207.


Préparation du sel d’antimoine & de son esprit, p 208.
Pour faire le Mercure d’antimoine, p 209.
Huile de Mercure d’antimoine, p 209.
Fixation du Mercure commun, p 210.
Du moyen d’extraire l’esprit minéral. Tiré de Moras de Respour, p 210.
Comme il faut extraire le sel fixe & essentiel, des Métaux imparfaits. Tiré des
opérations de le Crom, p 214.
Pierre médicamenteuse ou Boule de Mars, p 217.
Manière défaire ladite Pierre, p 217.
Usage de ladite Boule, p 217.
Lettre de M. Beissiere Chirurgien Major des Hôpitaux du Roi, sur les bons effets
de la susdite Boule. À Namur le 30 Décembre 1708, p 219.
Préparation de l’Eau minérale de Mars, p 219.
Préparation de l’argent pour la Médecine, p 220.
Usage des Pilules dans l’hydropisie, p 220.
Préparation d’argent contre les affections du Cerveau, p 221.
Huile d’Argent, p 221.
Autre Huile d’Argent, p 221.
Cristaux de Lune, p 221.
Pierre infernale, p 222.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 642

ADDITION AU TRAITE DE CHIMIE.

SECTION PREMIERE.

CHAPITRE PREMIER.
Il faut éviter de distiller dans des vaisseaux de plomb, parce qu’ils impriment une
qualité maligne aux liqueurs, les rendent vomitives, leur ôtent leur saveur naturelle,
& souvent même ces vaisseaux sont rongés par l’acrimonie des vapeurs de la chose
distillée. Et Gallien, aussi bien que les plus Sages Médecins ; réprouvent l’eau qu’on
fait couler dans des tuyaux de plomb, à cause d’une certaine malignité dangereuse
qu’elles empruntent de ce métal. On a même fait une épreuve sur les eaux distillées
qui séjournent dans des vases de plomb, qui déposent au fond une céruse, dès qu’on
y jette quelques gouttes de Vitriol. On peut dire la même chose des vaisseaux
d’étain, de fer & de cuivre, si on y distille des acides.

II.

Plus les cucurbites de verre sont hautes pour la distillation des esprits, plus
elles sont utiles. On sait qu’une distillation bien faite, vaut mieux que trois
rectifications. Ainsi ces cucurbites devraient avoir au moins deux pieds. Mais il
faut qu’elles soient plus basses pour la distillation des huiles, de la ciré & autres
choses semblables.

III.

En quelque distillation que ce soit, il ne faut pas trop remplir les vaisseaux. Les
cucurbites & les cornues ne se doivent ordinairement remplir qu’à la moitié, &
les réfrigératoires jusqu’aux trois quarts. Il y a néanmoins des matières qui
demandent une exception à cette règle.

IV.

Les mixtes qui sont flatueux comme la cire, la résine & autres de même nature
doivent pour la distillation, être mêlés avec du sable, de la cendre, bol, farine de
briques ou autre corps qui empêche leur trop grande effervescence, & qui puisse
désunir & séparer leurs parties, parce que les matières grasses venant à se concentrer
ne montent pas aisément. D’ailleurs, il faut qu’elles soient mises dans de plus
grands vases & en plus petite quantité.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 643

V.

La distillation par le bain est propre aux choses qui sont d’une mixtion légère. Il faut
cependant prendre garde en distillant les plantes aromatiques qui abondent en
huile, comme l’absinthe, la sauge, le romarin & autres semblables, de ne pas donner
un feu trop faible ; autrement au lieu de leur huile & de leur essence, on ne tirera
que du flegme. Mais en distillant la laitue & autres plantes qui abondent en flegme
ou en substance plus subtile, il suffit d’employer un feu modéré, quelquefois même
la seule vapeur du bain. qui ne dissipe point les parties les plus subtiles & qui
n’imprime aucun empyreume, c’est-à-dire, une odeur de feu.

VI.

La distillation par le sable convient donc aux matières d’une plus solide
consistance, comme racines, bois, semences & autres semblables.

VII.

La distillation par le réfrigératoire ; convient tant aux choses légères &


spiritueuses, qu’à celles qui sont de forte composition ; ces dernières néanmoins
doivent être auparavant macérées dans le menstrue qui leur est propre, par
exemple, la semence d’anis dans l’eau d’anis même, ou dans l’eau de pluie
distillée.

VIII.

La distillation par la retorte ou cornue ne tire pas seulement les esprits les plus
pesants des minéraux, mais elle extrait encore les eaux & les huiles des choses
les plus subtiles, comme des bois, semences, gommes, racines, résines & autres
choses semblables.

IX.

Quand on veut distiller des herbes récentes & pleines de leurs sucs, il les faut
piler, puis en exprimer le suc & le distiller au bain, en une cucurbite qui soit
haute. On peut cependant les faire quelquefois macérer & putréfier pour en
tirer les esprits plus purs & avec plus d’abondance.

X.

Les herbes qui sont naturellement sèches, ou celles que l’on a desséchées, doivent
être pilées, puis arrosées de leur eau propre ou d’eau commune distillée, ou de rosée
de Mai, ou enfin de vin, mais de manière qu’elles se puissent macérer dans leur

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 644

menstrue. Et dès qu’elles seront suffisamment macérées, on les distillera au bain ; &
si l’on veut les distiller par le réfrigératoire, il faut sur chaque livre d’herbe verser
trois livres d’eau, puis distiller selon l’art.

XI.

On distille de même par le réfrigératoire toutes les substances aromatiques, soit


racines, écorces, bois, semences, feuilles, fleurs & tout autre végétable, mais
remarquez que l’huile sort avec l’eau, & il faut ensuite les rectifier.

XII.

Il y a des choses qui demandent un grand feu pour leur distillation : cependant il
faut toujours aller par degré, & prendre garde que dans le commencement il soit
toujours modéré, soit pour ne point brûler les substances, soit pour ne pas faire
rompre les vaisseaux.

XIII.

Il faut prendre garde que le lut dont on se sert, ne rende quelque mauvaise
vapeur, afin que la liqueur ne soit pas infectée par une qualité étrangère,
surtout lorsqu’il faut employer un feu violent.

XIV.

Dans la distillation des acides, comme vitriol & vinaigre, la partie la moins
noble fort toujours la première & là plus noble ne vient que la dernière. Ainsi en
les rectifiant, il faut toujours en séparer le flegme qui sort le premier, & qu’il
faut ou jeter ou le réserver pour quelques, opérations particulières, au lieu que
dans les choses spiritueuses comme le vin, l’esprit sort le premier & laisse le
flegme après soi.

XV.

Si les eaux distillées sentent l’empyreume, c’est-à-dire, un goût & une odeur de
feu qui affecte l’odorat ou, le palais, il suffira de laisser reposer la liqueur dans
un verre pendant quelque temps en lieu froid, ou sur du table humide & froid.

XVI.

Quand on veut rectifier au soleil les liqueurs distillées au bain-marie, il faut


remplir les deux tiers, ou tout au plus les trois quarts du vaisseau de verre, &
trouer de plusieurs trous d’aiguilles le parchemin qui ferme le vase, tant pour
taire sortir le flegme inutile que pour empêcher que le vaisseau ne se casse.
644
NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 645

XVII.

En distillant quoique ce soit, il faut continuer la distillation tant que la liqueur


qui sort n’ait plus l’odeur ni le goût de la substance qu’on y a mise. C’est ce
qu’on doit observer dans la distillation des végétaux, comme fleurs, herbes,
racines, écorces, semences & bois.

XVIII.

Les sucs & esprits distillés de substances végétables, se conservent beaucoup


mieux si après les avoir distillées, on en calcine les fèces, ou même des matières
entières de la même espèce pour en tirer le sel, que l’on mêle avec l’eau qu’on
en a distillé ; où l’on peut aussi les cohober sur leurs propres fèces, pour leur
donner plus de force & de durée.

XIX.

Et comme il y a des matières oui demandent un feu violent, que le vaisseau a


souvent beaucoup de peine à soutenir, Il faut prendre les voies convenables
d’accommoder l’une avec l’autre, soit par le lut, soit par quelque autre moyen
convenable. Par exemple, les vaisseaux de verre ne se cassent pas au feu, si on
les frotte deux ou trois fois avec du suc de rhue, les laissant sécher doucement à
chaque fois. On peut rendre les cornues de terre à creuset capable de souffrir la
distillation de l’eau force. Pour cela, faites chauffer votre cornue &, y jetez de
petits morceaux de cire, que vous y ferez fondre & tournez la cornue de
manière que la cire aille partout. S’il y en a trop vous la verserez. Voilà pour
l’intérieur ; quant à l’extérieur de la cornue, il faut pareillement la chauffer avec
du suif de bœuf, & la mettre en cet état au fourneau, afin que les pores se
bouchent, tant au-dedans qu’au dehors. La même chose se peut faire pour les
cucurbites de terre, & par ce moyen on pourra s’en servir pour la distillation
des eaux-fortes, eaux régales, & esprit de sel & de tout autre corrosif ou acide.

XX.

Les degrés de feu se comptent différemment. Les uns commencent par le plus faible
& en comptent quatre jusqu’au plus violent. Au lieu que d’autres commencent par le
feu le plus fort, & en mettent douze degrés; 1°. Le feu de flamme qui calcine &
réverbère tous les corps ; 2°. Le feu de charbon, qui cimente, colore & purifie les
métaux & minéraux. Il donne à l’or & à l’argent un plus haut degré de perfection 3°.
Le feu de la mine de fer ardente, par lequel on éprouve les teintures des métaux ; 4°.
Le feu de limaille de fer ou d’acier : 5°. Le feu de sable : 6°. le feu de cendres, il est
bon qu’elles soient lessivées, c’est-à-dire, dessalées, parce que leur sel peut

645
NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 646

quelquefois faire casser le vaisseau; 7°. Le feu de lampe qui sert à fixer tout corps
volatil : 8°. Le bain-marie, ou se font plusieurs sortes de sublimations, distillations &
coagulations : 9°. Le bain de vapeur pour les matières extrêmement spiritueuses :
10°.Le fumier de cheval, que quelques-uns nomment le ventre du cheval 11 °. Le
bain de cendres au bain : 12° . le feu du soleil qui est le feu de la nature. Mais tous
ces différents feux ont encore divers degrés entre eux.

XXI.

Outre les menstrues ordinaires, il y en a d’extraordinaires ou singuliers,


nommés alcaest ; par exemple :

.Prendre sel de tartre pur, ou du nitre fixé six parties ; cristal ou cailloux calcinés
mis en poudre. Vous fondrez le tout bien mélangé à feu violent dans un bon
creuset ; puis le versez dans un mortier de pierre échauffée ; laissez refroidir,
pulvérisez & mettez en délict à la cave, pour se faire résoudre en huile ou
liqueur propre à tirer la quintessence des végétaux, animaux & minéraux. Ainsi
en travaillant sur les métaux, réduisez les en chaux, & après les avoir édulcorés
& séchés, faites-les bouillir dans cette liqueur que vous mettrez derechef en
poudre, puis en délict a la cave, & dès que le métal sera pénétré de la liqueur,
vous y verserez de l’esprit de vin très pur qui en tirera la quintessence. Les
minéraux se mettent seulement en poudre & sont digérés huit jours dans cette
liqueur, puis on en fait l’extraction par l’esprit de vin. On peut faire la même
chose sur les végétaux & les animaux, mais en purifiant bien & filtrant l’alcaest.

Le même ou pareil menstrue se peut faire par le moyen du nitre Philosophique


que nous marquerons dans la suite.

XXII.

Le lut est encore une observation nécessaire dans toute sorte de distillation. Si le
vaisseau de verre vient à se fêler comme il arrive souvent, prenez de la folle
farine, bol fin, en poudre & chaux vive. Vous détremperez-le tout avec glaire
d’œuf bien battu, trempez des linges dans cette composition, & les appliquez
promptement sur endroit fêlé.

Pour fortifier les vaisseaux de verre contre la violence du feu, mêlez des blancs
d’œufs bien battus & réduits en eau avec de la limaille de fer, du colcothar en
poudre, & un peu de verre calciné & pulvérisé. Vous en donnerez plusieurs
couches avec un pinceau sur la cornue ou le vaisseau de verre que vous désirez
mettre au feu : & ce lut est si fort qu’il résiste à la violence du feu comme le fer
même.

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Deux autres luts servent encore pour le même usage, aussi bien que pour
joindre le récipient au vase distillatoire. Prenez de la chaux vive bien triturée,
que vous pétrirez avec au fromage mou, tant qu’elle soit comme un onguent
liquide, mettez en sur du linge ou sur du papier gris sans colle. & l’appliquez
sur les jointures ou fentes des vaisseaux. Maïs ne la préparez que quand vous
en aurez besoin. La même chaux en poudre mêlée avec folle farine, ‘bol fin bien
pulvérisé & blanc d’œufs battus, mise sur un linge, & appliquée promptement
sur ta fente des vaisseaux de verre est aussi excellente.

Mais voici un lut qui sert toujours. Prenez douze onces de litharge, autant de
minium, demi-once de mastic, partie égale de sandaraque & de vitriol blanc ;
pilez bien le tout, & le mettez dans un demi-pot de bonne huile de lin, & le
faites cuire doucement jusqu’en consistance de bouillie. Joignez-y de la terre à
four lessivée, lavée & reposée quelques heures en eau commune, autant de
blanc d’Espagne & la moitié de litharge ; pulvérisez le tout & le mêlez bien.
Prenez partie égale de cette poudre bien mêlée avec le vernis précédent, cuisez-
les ensemble d’une manière plus ou moins ferme ; on enduit avec cette pâte les
jointures des vaisseaux en la pressant un peu ; ce lut ne peut être pénétré par
quelques esprits que ce soit. Lorsqu’il est trop sec, on le mêle avec de nouveau
vernis.

Les autres luts que nous ne marquons pas, se trouvant dans les Livres
ordinaires. Mais comme il arrive quelquefois que les vaisseaux que l’on doit
luter sont gras ; & par cette raison ne retiennent pas le lut. Il faut pour les
dégraisser, les frotter avec une gousse d’ail coupée en deux.

Voici encore un lut donc je me sers : 1°. Limaille de fer ou plutôt mâchefer en
poudre bien tamisée, deux onces; 2°. Ardoise calcinée & tamisée, deux onces :
3°. Sel décrépité mis en poudre, une once : 4°. De la bourre suffisamment : 5°
Blanc d’œufs en eau ; 6°. Urine & Vinaigre suffisamment, faites un peu bouillir,
luttez, laissez sécher, & votre vaisseau souffrira le feu le plus violent

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CHAPITRE II.

Des Opérations Chymiques ; des Dissolutions.

Ces principes établis, il faut venir aux opérations. Elles consistent, en ces deux
mots Dissolvez & coagulez, ce qui comprend toutes les opérations de l’art ; sans
en excepter même la pierre Philosophale» ( supposé qu’elle soit possible ) où il
ne s’agit que de dissoudre & coaguler, suivant ceux qui s’en mêlent.

En général les dissolutions se font par le moyen de quelque liqueur, que l’on
appelle menstrue ou dissolvant. Les extractions se font aussi par des menstrues ;
auxquels les Chimistes donnent souvent le nom de clefs, parce qu’ils ouvrent les
corps, pour en tirer l’essence & la partie la plus excellente. Les dissolutions &
les extractions se font l’une & l’autre, par le moyen d’un menstrue & ne
différent entre elles que du plus au moins. La dissolution résout totalement le
corps en ses premières parties ou plutôt en ses principes, & l’extraction ne tire
que la partie la plus noble du corps sans le résoudre entièrement. Par exemple,
une lessive faite avec le sel de tartre résout l’aloès en ses plus petites particules :
& l’eau simple ne fait qu’en extraire la partie mucilagineuse. La première
opération est donc une dissolution parfaite & la dernière une simple extraction.

Le menstrue est universel ou particulier.

Le menstrue universel est celui qui résout tout les corps indifféremment, & le
menstrue particulier est celui qui ne résout que certains corps qui lui sont
proportionnés. L’action de ces deux menstrues est secondée par le feu qui agite,
& met en mouvement leurs plus petites parties, & leur donne moyen de se
mieux insinuer dans les corps pour les dissoudre ; ce qui fait pareillement
connaître l’utilité des digestions, pour faciliter la dissolution des mixtes.

Il y à différents menstrues particuliers ; & qui ont chacun leur force dès qu’on
l’applique à leur objet. Par exemple, le vinaigre distillé & bien rectifié, a plus de
force que l’eau simple ; mais il est plus faible que l’esprit de vitriol. La raison en
est que tout menstrue ne dissout pas toutes sortes de corps. Il faut de la
proportion entre le menstrue & le sujet à dissoudre ; & si l’un & l’autre ne
conviennent pas radicalement, l’opération ne réussira jamais. Cette convenance
radicale consiste, dans une proportion réciproque des particules du menstrue &
des pores du corps, qui doit être dissout, ce qui néanmoins n’a lieu que dans les
menstrues particuliers.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 649

Le sucre, par exemple, se dissout promptement dans l’eau, mais il ne se dissout


pas si aisément dans l’eau-de-vie, & encore plus difficilement dans l’esprit de
vin ; parce que le sucre est d’une nature saline, & se joint facilement à un fluide
aqueux. Mais l’esprit de vin bien rectifié, quoique très pénétrant, ne dissout pas
le sucre, parce que l’esprit de vin est d’une nature sulfureuse, qui par la
conformation de ses parties a de la répugnance avec les matières salines.

La même chose arrive dans les extractions, ainsi quand on mec infuser du jalap
dans de l’eau simple, jamais on n’en tirera la vertu purgative, au lieu que si
vous la faites infuser dans de l’esprit de vin à une chaleur légère vous en tirerez
promptement une belle teinture rouge, parce que la vertu purgative du jalap,
réside dans la partie résineuse, qui demande un menstrue sulfureux ou huileux.

Il en est de même dans la famille minérale. Le mercure se joint promptement à


l’or, & il a de la peine à se joindre au cuivre & au fer, parce que l’or contient un
mercure très pur, auquel le mercure vif se joint facilement à cause de la
proportion & de la convenance réciproque qui se trouve dans leur tissure, c’est-
à-dire, dans la disposition de leurs parties, mais il ne pénètre pas le Mars qui
contient très peu de mercure, & beaucoup de sel & de soufre impur, comme il
parait par la difficulté qu’il y a pour le mettre en fusion.

Les menstrues particuliers sont de trois sortes, savoir: aqueux, huileux, ou


sulfureux & salins.

Les menstrues sont premièrement l’eau, qui sert à extraire tant les sels, que les
sujets aqueux & mucilagineux, & tous les végétaux non résineux. C’est
pourquoi on en fait ordinairement les décoctions, les infusions & les teintures
végétales, qui sont beaucoup meilleures si on y emploie l’eau de la petite
centaurée, jointe au sel de tartre simple ou lixivieux ou à la crème de tartre.
Cette eau est pareillement bonne pour extraire & corriger les purgatifs, qui ont
leur vertu dans la partie mucilagineuse, & non dans la résineuse. Tels sont le
séné & la rhubarbe. Enfin l’eau simple est employée pour extraire les vertus des
animaux par le moyen de la cuisson, je veux dire, les bouillons, les gelées &
autres. La calcination Philosophique des cornes & des os, se fait de même par le
moyen des eaux.

La rosée de Mai est du genre des menstrues aqueux : elle abonde en nitre volatil
& lorsqu’elle est distillée elle donne un flegme salin, admirable pour tirer les
essences ou faire les extraits des Végétaux. Ce flegme est quelquefois préférable
à l’esprit de vin même, que sa chaleur & son inflammabilité rendent suspect. La
rosée de Mai bien préparée dissout l’or, & en tire une essence excellente, & la

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vertu qui fait la végétation des végétaux, dépend en partie du sel de la rosée de
Mai.

L’eau de pluie surtout celle du mois de Mars demande ici sa place. Elle est
empreinte des vertus séminales, tant des plantes que des autres corps terrestres
: elle est fortifiée par le sel volatil qui exhale des corps terrestres, &en particulier
des végétaux qui bourgeonnent. Et lorsqu’on la distille, elle donne un menstrue
excellent pour tirer l’essence des végétaux. Quelques-uns même ont prétendu
que c’était un menstrue universel, & le fameux Cavalier Borri a été si loin, qu’il
en a voulu composer la pierre Philosophale, & soutenait qu’elle contenait en
elle toute la substance des astres, & qu’elle était chargée de l’esprit universel du
monde ou du mercure des Philosophes ; mais cet artiste n’a pas réussi, car les
plus habiles Philosophes conviennent qu’il ne faut pas un menstrue universel,
mais plutôt un menstrue salin pour résoudre l’or & en tirer le germe ou la
semence.

Je dirai à ce sujet, ce que j’ai vu pratiquer à Vienne en Autriche. & ce que j’ai depuis
éprouvé moi-même. Etant au mois de Mars dans cette Capitale de l’Autriche, je
remarquai que tous les Bourgeois & surtout les Domestiques des grandes maisons,
recueillaient avec soin l’eau sur la fin de Mars pour la monter au sommet des Hôtels
où il y a des réservoirs pour la conserver. On m’assura que comme cette eau était la
seule qui ne se corrompait pas, en faisait des amas dans les grandes maisons en cas
d’incendie. A mon retour j’en ai fait l’épreuve, & après l’avoir gardée près de trois
ans, je l’ai trouvée aussi bonne au bout de ce temps, que quand je la fis recueillir,
sans fèces, sans mauvais goût & sans altération. La raison en est claire comme cette
eau tombe dans un temps où toute la masse de l’univers commence à être en
mouvement, elle entraîne avec elle le nitre de l’air, qui la conserve dans sa pureté.

Il y a des Philosophes qui font passer la neige pour un menstrue, ce que je ne


pense pas néanmoins. On se trompe quand on croit qu’elle contient un sel salé.
Quelques-uns prétendent même en tirer du soufre & de l’huile, plutôt par
curiosité que pour le profit. Sur quoi voyez Bartholin dans le Traité qu’il a fait
sur ce Phénomène.

Tous ces menstrues aqueux pénètrent aisément les corps salins, mais ils ne se
mêlent nullement avec les corps sulfureux, & ne sauraient en faire la
dissolution.

Les menstrues sulfureux ou huileux, sont principalement l’esprit de vin qui est
d’une nature sulfureuse & spiritueuse, on s’en sert pour tirer les teintures
huileuses & sulfureuses. Les esprits ardents des végétaux sont de ce genre, ainsi

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que les huiles distillées, qui sont proprement des sels volatils, concentrés dans
une graisse acide : c’est pourquoi elles font la dissolution des corps sulfureux ;
tels sont les aromates, qui renferment un sel volatil huileux, qui se joint d’abord
aux menstrues sulfureux, tels sont encore les corps résineux comme l’ambre, le
benjoin & autres, dont on tire les teintures avec l’esprit de vin. Cet esprit bien
rectifié attaque même les soufres des métaux, pourvu qu’ils aient été
auparavant ouverts, & corrodés par un autre menstrue plus fort ; par exemple,
par le Vinaigre distillé, & que les parties métalliques en aient été écartées.

Les huiles distillées de genévrier, d’anis, &c. sont de ce genre. Elles font la
dissolution non seulement du soufre commun ; comme il paraît par la
préparation du baume tiré de ce minéral, mais même du soufre calciné de
l’antimoine, qui est une substance extrêmement sulfureuse. Par exemple, avec
l’huile distillée d’anis & le soufre d’antimoine, on fait une belle dissolution
qu’on nomme le baume d’antimoine; & Glauber avec la même huile titre le
soufre volatil du nitre.

Les menstrues salins, tant acides qu’urineux sont de divers genres, suivant,
leurs diverses familles. Les menstrues acides de la famille végétale, sont les sucs
de citron, : de berberis, de coins, les préparations de ces sucs par la fermentation
& les esprits acides des bois. Tous ces menstrues sont tempérés & moins
corrosifs que ceux des minéraux ; c’est pourquoi on les emploie ordinairement
pour les corps poreux, comme les yeux d’écrevisses, les coraux. les testacées, les
perles & le Mars, qui sont assez ouverts pour donner entrée à ces menstrues
végétaux propres à dissoudre leurs sels.

Dans la dissolution de ces corps poreux par ces menstrues acides, il se fait
ordinairement une effervescence, causée par l’alcali occulte de ces corps, qui combat
contre l’acide.

Le Vinaigre tient le premier rang entre les menstrues acides des végétaux, il est si
puissant dès qu’il est séparé de ses crasses, c’est-à-dire, dès qu’il est distillé, qu’il
dissout même jusqu’aux métaux, pourvu qu’ils aient été un peu ouverts par la
calcination. Ainsi le Vinaigre distillé tire la teinture du verre d’antimoine. Il dissout
le Saturne qu’il réduit en sel saccarin, il change le Mars en safran, qui est un remède
très utile & le cuivre en verdet, & ce dernier en cristaux, dont on tire l’esprit de
verdet, opération très estimée pat Zwelpher, Lefèvre & de Saulx.

On y procède de la manière suivante pour faire le verdet : on mêle des lames de


cuivre avec le marc, dont on a tiré le vin : on les met en un lieu chaud, où le marc
venant à fermenter jette un esprit acide qui corrode le cuivre, & en fait du verdet

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qu’on distille avec l’esprit de tartre, pour en tirer un esprit acide très pénétrant &
plus puissant qu’aucun autre : on prépare encore ce même esprit en distillant les
cristaux de verdet. Sur quoi voyez Balise Valentin dans sa manifestation des
mystères, aussi bien que Zwelpher & Lefèvre. On dit que cet esprit de verdet agit
sans réaction, en sorte que le même esprit peut toujours servir pour une infinité de
dissolutions, au lieu que tous les autres menstrues ne sauraient rien dissoudre, sans
perdre ou tout ou partie de leur vertu. Zwelpher prétend même que cet esprit ne fait
pas la moindre perte de ses forces, ce qui n’est pas absolument vrai, car il s’attache
toujours quelque chose au sujet corrodé & à la fin il s’affaiblit comme le marque
Glaser.

Les menstrues acides minéraux sont l’eau-forte, l’eau régale, l’esprit de nitre, &. Qui
sont tous corrosifs, puisqu’ils font la dissolution des corps les plus compactes,
surtout l’or & l’argent. Il faut cependant remarquer que l’eau-forte toute corrosive
qu’elle est, ne dissout pas toutes fortes de métaux, à cause de la diversité des tissures
: par exemple, elle ne dissout pas l’or, à moins que d’y ajouter du sel commun ou du
sel ammoniac. Alors elle dissout l’or & ne dissout plus l’argent : car aucun menstrue
ne saurait dissoudre celui-ci, s’il n’y a du nitre. Le Vinaigre distillé ne dissout point
le saturne en sucre ou en sel sans une calcination qui doit avoir précédé ; mais
d’abord il dissout le Mars.

On demande s’il est des menstrues insipides ? Rolsincius, Billichius, & Angelus Sala
sont pour la négative, mais l’expérience & la vraisemblance sont pour l’affirmative,
car ce n’est pas la qualité corrosive, comme telle qui dissout les mixtes, mais les par-
ticules aiguës & affilées du menstrue, qui s’insinuent dans les pores des mixtes. Or
rien n’empêche qu’il n’y ait des particules de cette configuration dans des menstrues
insipides, qui agissent par manière de pénétration. Le mercure vif est insipide au
goût, il dissout pourtant l’or & l’argent, l’huile commune dissout le Mars & même
l’argent, où on la tient longtemps, elle est cependant presque insipide. Lauremberg
assure dans ses aphorismes, qu’il a vu un menstrue insipide dans lequel l’or se
fondait comme de la neige.

Les menstrues salins urineux, font pareillement les lessives fortes, comme la lessive
de la chaux vive, & celle du sel de tartre, qui font la dissolution de tous les soufres,
& tirent même ceux des métaux, sans parler de la dissolution du soufre commun
pour faire le lait de ce minéral. On sait que les lessives conviennent radicalement
avec les corps sulfureux, parce que les sels fixes dont se font les lessives, se forment
dans la calcination, des corps du sel volatil & de l’acide ou soufre, qui se change en
un troisième sel salé ; & c’est à raison de ce principe sulfureux, que ces lessives
agissent sur les corps sulfureux. Ainsi la lessive de chaux vive dissout l’antimoine

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en soufre antimonial, & la lessive de sel de tartre dissout le soufre crud.

Il y a plusieurs menstrues spiritueux, propres à dissoudre divers sujets sulfureux


trop fixes. Tel est l’esprit d’urine pour tirer la teinture de l’or. Tel est l’esprit de vin
animé par un sel volatil urineux pour tirer les parties sulfureuses, tant des végétaux
que des minéraux. Tels sont enfin plusieurs esprits sulfureux des végétaux, comme
l’esprit de genévrier & de térébenthine, qui extrait le soufre de l’antimoine même.
Ceci soit dit des menstrues particuliers.

Mais y a-t-il un menstrue universel capable de dissoudre tous les corps ? Plusieurs
disent que non : cependant les plus habiles Artistes prétendent qu’il y en a, savoir :
Paracelse, Van Helmont, Beckerus, Starkey. Ces Auteurs nomment ce menstrue
alcaest, terme dont on ignore l’origine, peut-être vient-il d’Alcali, parce que c’est
avec les Alcalis qu’il faut préparer ce menstrue. Mais sans nous arrêter au nom, Van
Helmont assure que c’est une liqueur qui dissout tout corps visible jusqu’à la tissure
séminale. C’est pourquoi on l’appelle aussi l’eau de géhenne : & c’est de cet Alcaest
ou menstrue universel que se doit entendre ce Proverbe des Chimistes, le Vulgaire
brûle tout avec le feu & nous avec l’eau.

Le menstrue Alcaest a la vertu non seulement de dissoudre tous les corps, mais
même d’agir sans réaction ; & on peut le tirer cinq cens fois de dessus les
dissolutions qu’il a faites, sans le trouver affaibli, il opère seulement par voie de
pénétration & il dissout sans détruire la tissure séminale ; en quoi il est contraire aux
autres menstrues, il change enfin tous les corps en les réduisant en l’eau
élémentaire. Quand on dit que l’Alcaest dissout tous les corps ; il faut en excepter le
mercure, qu’il fixe tellement au lieu de le dissoudre, qu’il souffre la violence du
marteau.

La composition de ce menstrue a toujours été cachée au Public jusqu’à nos


jours, & il est resté entre les mains, non des Chimistes vulgaires; mais des
véritables adeptes supposés qu’il y en ait. Starkey fameux Chymiste Anglais, le
décrit comme s’il en était bien instruit, & dit que c’est un corps salin qui paraît
sous deux formes, qui n’est ni tout volatile ni tout fixe, ayant radicalement deux
natures, quoique en apparence il n’y en ait qu’une. M. Pelletier de Rouen croit l’avoir
trouvé, au moins l’a-t-il avancé dans le Traité qu’il en a fait imprimera Rouen en
1704, fous le Titre d’Alcaest : & il incline vers l’esprit d’urine ; Becker Chimiste &
Métallurgiste Allemand, croit parler plus clairement en assurant que c’est un
corps salin composé de la terre mercuriale, qui est le troisième principe des
métaux, & que cette terre se trouve dans le sel commun ; mais son sentiment
expliqué aussi obscurément, n’a pas fait fortune, Glauber, autre Chimiste

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Allemand retiré à Amsterdam, prétend composer cet Alcaest universel par le


nitre.

Au reste jusqu’à ce que vous soyez assuré d’avoir trouvé cet Alcaest, apprenez
à volatiliser le sel de tartre, & vous aurez une liqueur succédanée à l’Alcaest,
c’est-à-dire, qui vous en tiendra lieu & sera une espèce de menstrue universel. Il
y a plusieurs manières de volatiliser le sel de tartre. Les uns le font avec l’esprit
de vin bien rectifié, d’autres avec le Vinaigre distillé & l’esprit de vin, d’autres
par le moyen de l’air, nous en rapporterons ci-après quelques-uns unes. Mais
cependant

Voyer le célèbre Zwelpher.

CHAPITRE III.

De l’Effervescence.

LORSQUE l’acide & l’alcali concourent ensemble, il se fait un mouvement ou une


ébullition considérable ; sur quoi il y a deux choses à remarquer ; la première
que ces deux sels se détruisent mutuellement, la seconde qu’ils ne se
rencontrent jamais sans causer une agitation plus ou moins grande.

Quant à la première observation, qui est la destruction de ces deux sels, ce n’est
pas que l’acide cesse d’être acide, ni l’urineux d’être urineux. Mais le mélange
mutuel de ces deux sels les tempère tellement, que l’acide & l’alcali ne se font
plus sentir sous cette qualité ; mais il s’en forme un troisième sel salé composé,
qui n’est ni l’un ni l’autre.

La seconde observation est que ces deux sels ne se joignent jamais sans quelque
agitation : ce qui demande quelque inflexion. Cette agitation se nomme tantôt
effervescence, tantôt fermentation, suivant deux sortes d’états où les sels se
trouvent, car ou ils sont purs & sans aucun mélange, alors ils font effervescence,
ou bien ils font impurs & mêles avec d’autres matières, & alors ils ne font que
fermenter. La raison est que ces sels n’étant point mélangés, se touchent de plus
près & agissent l’un sur l’autre beaucoup plus efficacement, ce qui fait
effervescence ; au lieu que quand ils sont mêles avec d’autre particules, celles-ci
empêchent que les sels ne s’approchent & n’agissent avec violence, ce qui fait
une simple fermentation. Par exemple, il se fait une effervescence, quand on mêle
l’esprit de vitriol avec le sel de tartre, ou quelque autre esprit acide.

Au contraire il ne se fait qu’une simple fermentation dans le moût de vin, parce


que les sels qui le composent, sont mêlés avec beaucoup d’autres parties

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 655

matérielles. Le vin nous fournit des exemples de l’effervescence & de la


fermentation. Car le vinaigre est le sel acide pur du vin, comme le sel de tartre est
le pur sel alcali du vin, & par conséquent si on les mêle ensemble, ils feront
effervescence. Quand le vin dégénère en vinaigre, alors l’acide & l’alcali du vin
se trouvant entremêlés avec toutes les autres particules, qui composaient le vin,
n’ont pas toute la liberté d’agir l’un sur l’autre, ni d’exciter une effervescence,
ainsi il ne se fait qu’une fermentation.

Il n’y a donc que les sels purs qui fassent proprement effervescence, savoir l’acide
& l’alcali : ainsi dès qu’on mêle de l’esprit de vitriol, avec de l’huile distillée de
térébenthine, il se fait une effervescence très violente avec une chaleur extrême,
à cause du sel volatil huileux de l’huile de térébenthine, qui combat contre
l’acide du vitriol. Ainsi l’huile de tartre par défaillance, versée sur du sel où
l’acide est fortement concentré, excite une grande effervescence. L’eau simple
versée sur la chaux vive fait effervescence, à cause de l’urineux qui attaque
l’acide. Outre les alcalis manifestes, il y a certains corps terrestres, qui absorbent
l’acide, soit qu’ils contiennent un alcali occulte ou non, & ils font une douce
effervescence, lorsqu’on les mêle avec des acides.

Certains métaux ont rapport ici surtout le Mars & le Saturne, qui excitent des
effervescences, à cause de leurs parties terrestres qui absorbent l’acide. Le corail
fait effervescence avec le suc de citron ou de limon, la craie avec des acides, & le
marbre même avec l’esprit de Sel. Le Mars avec l’esprit de vitriol excite une
effervescence & une chaleur très forte. Mais il s’en fait encore une plus violence,
lorsqu’on verse de l’esprit de nitre fur la limaille d’acier ; & si l’on verse de
l’huile de tartre par défaillance sur cette mixtion, l’effervescence sera si grande
que les vaisseaux s’en rompront.

Les parties dures des animaux comme la dent de Sanglier, la corne de Cerf, les
yeux d’Ecrevisses, la Nacre, tous les coquillages testacées font effervescence, avec
les acides, parce qu’ils renferment un alcali volatil, qui se manifeste dans la
distillation ; ainsi lorsque l’acide les dissous, le sel alcali volatil se présente, &
lui livre le combat. Les effervescences sont tantôt froides & tantôt chaudes : elles
sont chaudes quand l’acide combat avec les sels fixes tirés des corps sulfureux,
ou avec des sels volatils huileux. Elles sont froides ou sans chaleur, quand un
sel volatil pur combat avec un acide pur. Ainsi l’esprit de sel ammoniac ou
l’esprit d’urine combat: avec l’esprit de sel sans chaleur. Ce qui fait que ces sels
font effervescence, ensemble, n’est rien autre chose que la conformation
mécanique de leurs particules, qui venant à nager ensemble & à se mêler dans
un sujet fluide se heurtent réciproquement à cause de la diversité & de

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 656

l’inégalité de leurs figures. L’acide corrodant l’alcali, & ce dernier absorbant


l’acide, jusqu’à ce que ces deux sels se trouvent en égale situation & qu’ils
s’unissent. Pour mieux comprendre ceci, on peut s’imaginer que les particules
des acides sont coniques & pointues, & celles des alcalis fendues & creuses &
que le combat dure jusqu’à ce que les pointes des acides soient entrées dans les
fentes des alcalis, & que tous deux soient réunis en un troisième sel, qui ne soit
plus ni l’un ni l’autre de ces deux premiers.

CHAPITRE IV.
De la Fermentation.

La fermentation comme je l’ai déjà dit, e un mouvement de l’acide & de


l’urineux ou alcali, qui combattent ensemble & donnent du mouvement aux
autres particules qui composent le mixte. Ce sont les sels qui font le lien du
mixte, tant qu’ils sont unis entre eux, & qu’ils lient les autres particules, les
corps demeurent dans leur état naturel. Mais s’ils viennent à se dissoudre eux-
mêmes, & à lâcher les autres particules, la fermentation s’enfuit. Elle ne manque
jamais de causer l’altération du mixte, laquelle arrive, parce que les sels durant
le mouvement fermentatif, tâchent de se rejoindre & d’entraîner toujours avec
soi quelques particules du mixte, pendant que celles qui sont incapables
d’union, surnagent si elles sont légères, ou prennent le fond en forme de fèces,
si elles sont pesantes, ce qui donne une tissure nouvelle au mixte.

Par exemple, dans la fermentation du moût, le combat de l’acide & de l’alcali,


donne une nouvelle tissure ou une nouvelle altération à la liqueur qu’on
appelle vin. Mais si par une autre fermentation, l’acide du vin s’exalte &
l’urineux prend le dessous, il se fait encore une autre altération & une nouvelle
mixtion qu’on appelle vinaigre. Ces fermentations & ces combats durent
jusqu’à ce que l’acide & l’alcali aient à force d’agir, perdu leur caractère ou
tissure naturelle, & retournent en leur premier & dernier être qui est l’eau, à
moins qu’il ne survienne quelque nouveau levain fermentant, qui les fasse
recommencer.

L’air est d’une grande nécessité dans cette action, & il est la principale cause de
fermentation : il est du moins très assuré que le moût ne saurait fermenter dans
un tonneau bouché & rempli faute d’air, à moins qu’il ne rompe le vaisseau.
C’est que l’air se mêlant avec les sels, & venant à s’étendre par sa vertu
élastique, agite de plus en plus les sels & accélère la fermentation. Ceci est

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éclairci par une expérience de M. Boyle rapportée dans son Traité de la vertu
élastique de l’air. Il verte du suc de Limon sur du corail, puis il met le tout dans
un récipient, dont il pompe l’air, il ne se fait presque point d’effervescence ; mais
quand il y a remis de l’air, il s’en fait une très forte. Sur cette fermentation
artificielle, il est aisé de mesurer celle qui se fait dans notre corps.

Sur ce que l’acide & l’alcali se détruisent l’un l’autre, on peut fonder un principe
constant dans la pratique ; savoir que quand un de ces deux sels affecte notre corps
contre nature, il doit être détruit & chasse par son contraire. Par cette raison, quand
l’acide pèche, les alcalis sont salutaires, & quand les alcalis troublent l’économie du
corps, il faut employer des acides. Par exemple, dans la chaleur de l’estomac, où
l’acide pèche & fait effervescence avec la bile ou quelque autre alcali, on donne à
propos la craie, les yeux d’écrevisses, l’ivoire brûlée, la poudre de tuiles, &c. parce
que ces remèdes absorbent l’acide & apaisent l’effervescence. Les Brasseurs jettent de
la craie dans la bière qui s’aigrit pour absorber & précipiter l’acide, après quoi la
bière reprend sa première douceur. Dans la dysenterie où l’acide fait des
effervescences viciées, & exulcère l’intestins, les coraux, le cristal préparé, la verge
de Cerf & le crâne humain préparé ou calciné, sont d’une grande utilité, parce qu’ils
absorbent l’acide, & empêchent le progrès de l’érosion. Le safran de Mars astringent
fait le même effet.

Les douleurs de la strangurie sont causées par l’acide, & calmées par les yeux
d’écrevisses, qui adoucissent jusqu’au vinaigre même. Les écorces d’Orange &
leur huile distillée font la même chose, parce que leur sel volatil huileux,
tempère & corrige l’acide. Dans la pleurésie, c’est l’acide qui pèche & coagule le
sang, d’où s’enfuit une inflammation, qui excite la fièvre continue, par la
fermentation de l’acide avec le sel volatil. C’est pourquoi les sels volatils y sont
bons, comme celui de corne de Cerf, de suie, de mâchoire de Brochet, &c. qui
absorbent l’acide & guérissent souvent cette affection sans aucune saignée.
Dans la mélancolie hypocondriaque, il n’est rien de mieux pouf absorber l’acide
morbifique, que le Mars & les préparations, qui acquièrent une vertu vitriolique
dans le corps, & entraînent par les selles ou par les urines les acides qu’ils ont
absorbés. Les excréments sont noirs, parce que les acides ont été absorbés par le
Mars, puis précipités par la bile en forme d’encre. Dans le scorbut, c’est un
acide rance qui pèche, lequel se corrige par des sels volatils, à moins qu’il ne
soit rebelle, alors les sels volatils nuisent, ils causent des chaleurs vagues & des
mouvements convulsifs par l’effervescence trop violente, qu’ils font avec ce sel
rance : c’est pourquoi il faut quitter les sels volatils, pour s’attacher aux fixes,
savoir au Mars, aux yeux d’écrevisses, à l’ivoire, &c. Les fièvres intermittentes
& particulièrement la fièvre quarte dépendent de l’acide morbifique, qui est

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 658

détruit ou poussé par les urines avec l’esprit de sel ammoniac, avec les sels
végétaux, comme les sels d’absinthe, de petite centaurée, de chardon bénît, avec
les corps fixes métalliques calcinés, avec les fébrifuges, de Strobelberge, de
Crollius, &c. Dans les fièvres ardentes lorsque le sel volatil huileux, où la bile
pèche, & fait des effervescences viciées, de là s’ensuit la chaleur, la soif, & le
délire.

Les acides faibles conviennent comme le suc de Ribes & de Berberis, & même
les acides minéraux, comme l’esprit de sel, celui de nitre, de vitriol, les Clyssus,
&c. d’autant que ces acides corrigent & détruisent le sel volatil ou la bile, &
arrêtent l’effervescence. Le nitre déparé par un alcali sans le dépouiller de son
acide, a lieu ici. Il faut joindre ici les vulnéraires, qui contiennent un alcali
tempéré, qui absorbent l’acide, soit dans les premières voies, soit dans la masse
du sang : alors en absorbant les acides, ils apaisent l’effervescence. On défend le
vin dans les plaies à cause de son acide, qui causerait des effervescences
nuisibles aux plaies, à moins que d’y ajouter des yeux d’écrevisses. Alors il
acquiert une saveur urineuse, & il devient salutaire. l’usage du vin produit la
podagre, la goûte vague, le calcul & d’autres maladies causées par l’acide vicié,
à quoi l’esprit de sel ammoniac convient, parce qu’il détruit l’acide & le pousse,
tantôt par les sueurs, tantôt par les urines. Le vin le plus acide comme celui du
Rhin, perd sa saveur lorsqu’on y mêle de l’esprit de sel ammoniac.

La fermentation naturelle dure dans nos corps jusqu’à la mort, & voici comme
elle se passe naturellement dans l’estomac. L’acide de cette partie combat avec
le sel volatil des aliments, & tous deux se changent en un sel salé volatil. Si cette
première fermentation est viciée ; si le chyle se trouve acide en sortant de
l’estomac, hors duquel tout acide est nuisible, alors il rencontre la bile qui
corrige le vice du chyle, & le change en sel volatil. Si nonobstant cette correction
le chyle reste acide, il combattra avec le sel volatil de la bile dans les cellules des
intestins, où il excitera beaucoup de vent.

Lorsque la fermentation naturelle est viciée, comme il arrive aux


hypocondriaques, on y remédie par des aromates, qui corrigent l’acide &
calment l’effervescence. La masse du sang est dans une fermentation
continuelle, ce qui se prouve par le battement du pouls, l’effervescence
excessive & contre nature du sang fait les fièvres, qui se connaissent, surtout les
ardentes par l’élévation du pouls, sa fréquence & sa célérité. Dans la Cakexie où
l’effervescence naturelle pèche par défaut, le pouls est rare & tardif, on connaît
encore les degrés de fermentation par les urines qui sont grossières, quand les
particules excrémenteuses sont précipitées. Ainsi l’urine claire & tenue au

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 659

commencement des fièvres aiguës, mais qui se trouble successivement, donne


bonne espérance : les douleurs des lombes, la fièvre, & les autres symptômes
qui arrivent aux femmes, vers le temps de leurs mois, démontrent que la
fermentation de la masse du sang en augmentée.

CHAPITRE V.

De la Précipitation.

QUAND la dissolution est faîte, l’opération par laquelle on sépare le Corps


dissout d’avec le dissolvant, se nomme Précipitation. Elle est diamétralement
opposée à la dissolution, puisque dans celle-ci l’objet que l’on dissout, est
absorbé & imbibé par le menstrue ou dissolvant. Le corps dissout se sépare du
dissolvant, où il se précipite par deux causes. La première quand les pores du
menstrue sont trop étroits pour retenir ou contenir les particules du corps
dissout. La seconde, quand les particules du même corps dissout sont trop
pesantes pour être soutenues & portées par la liqueur. Donnons des exemples
pour éclaircir cette doctrine.

La première sorte de précipitation paraît dans la dissolution, ou l’extraction de


quelque végétal avec l’esprit de vin, lorsqu’on y verse de l’eau commune, qui
s’insinue dans les pores de l’esprit de vin, les rétrécit & en chasse ou précipite
les particules résineuses qu’on y a dissoutes. Il en est de même de la belle
teinture pectorale de Benjoin, tirée par l’esprit de vin, si on y mêle de l’eau
commune ou de l’eau rose, la liqueur devient blanche comme du lait, par la
raison que les particules aqueuses s’unifient promptement avec l’esprit de vin,
& remplissent ses pores, ce qui fait tomber au fond les particules que cet esprit
contenait.

La seconde manière de précipitation par la pesanteur des particules dissoutes,


se démontre dans la dissolution de l’or par l’eau régale, lorsqu’on y ajoute du
Mercure. Car d’abord l’or prend le fond, parce que le Mercure en s’unifiant aux
particules de l’or augmente leur pesanteur, & les entraîne au fond. La
précipitation du lait par le vinaigre distille est de cette sorte.

La précipitation est spontanée ou violente ; la première se fait quand les


particules dissoutes, se séparent d’elles-mêmes de leur menstrue. Par exemple,
la dissolution des perles ou du corail dans le suc de citron est claire d’abord ;
mais dans la suite elle se trouble & les particules dissoutes, tombent d’elles-
mêmes au fond.

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La précipitation violente est lorsqu’on ajoute quelque chose pour la procurer.


Par exemple, le magistère néphrétique qui est une dissolution des esprits
néphrétiques, faite avec l’esprit de sel se précipita par le moyen de l’esprit de
vitriol, qu’on y ajoute.

La précipitation se divise encore en totale & en partiale, la première se fait


lorsque les particules dissoutes, se détachent & se précipitent totalement, &
tombent avec impétuosité au fond de la liqueur. La partiale arrive quand les
particules dissoutes ne vont pas jusqu’au fond, mais sortent tant soit peu hors
des pores du menstrue. Par exemple, si on jette un peu de sel dans de l’urine,
celle-ci ne fera qu’une précipitation partiale des parties salines. De même si on
verse un peu d’eau simple, non pas en grande quantité sur une dissolution de
racine de jalap avec l’esprit de vin, qui fait une belle teinture rouge & claire ;
elle devient tout à coup pâle ou blanchâtre, & la résine se précipice au fond.

Je vais donner quelques expériences, qui éclaircissent la doctrine de la


précipitation. Tous les acides & tous tes austères précipitent le lait, parce qu’en
coagulant son corps grossier, ils rétrécissent & joignent les pores du petit-lait ;
ce qui fait la séparation parfaite du lait & du fromage. Tous les alcalis étant
mêlés avec le lait, empêchent qu’il ne se coagule, parce qu’ils atténuent
l’humeur grossière du lait, en dilatent les pores, ce qui en empêche la
coagulation. On voit souvent que les teintures ou essences de certains végétaux,
sont fort claires & bien colorées dans un lieu chaud, mais dès qu’on les expose à
l’air froid, elles deviennent troubles & opaques. La raison de ceci, est que la
chaleur atténuait les pores du menstrue lesquels absorbaient entièrement les
particules du corps dissout. Le froid au contraire resserre les pores du
menstrue, & oblige les particules dissoutes de s’en tirer plus ou moins, ce qui
fait une précipitation partiale.

Les dissolutions faites avec les acides, sont précipitées par les alcalis, & les
dissolutions faites par les alcalis, sont précipitées par les acides. Par exemple,
dissolvez de l’or dans l’eau régale, qui est un menstrue acide, versez-y ensuite de
l’huile de tartre par défaillance, qui est un alcali, l’or se précipitera avec bruit en
forme de poudre grise, & c’est ce qu’on appelle or fulminant.

La dissolution du soufre doré d’antimoine, faite avec la lessive de sel de tartre, qui
est un alcali, se précipite par le vinaigre distillé ou quelque autre acide en forme de
poudre blanche, qui se nomme lait de soufre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 661

Les magistères des végétaux se font par ce moyen ; par exemple, pour le
magistère d’absinthe : Prenez ce qu’il vous plaira ai cette plante, que vous ferez, cuire
dans une lessive imprégnée de quelque alcali. Filtrez la colature, & jetez-y de l’alun en
poudre & les particules dissoutes se précipiteront au fond. La raison en est, parce que
l’acide de l’alun se joint à l’alcali de la lessive, & en resserre les pores, ce qui
nécessairement précipite les parties dissoutes du végétable. Mais il faut
remarquer dans ces précipitations, par le moyen de l’alun, que la terre fixe de ce
minéral le précipite en même temps, parce que l’alun est composé de l’acide, du
soufre & d’une terre pierreuse. C’est pourquoi tous ces magistères ne sont pas
simples. Ce qui fait donc que les alcalis précipitent les acides, & que ceux-ci font
la même chose sur les alcalis, est que ces sels cherchent toujours à s’unir
ensemble, & dès qu’ils sont joints, il faut que les parties dissoutes tombent par
leur propre poids, ou faute d’avoir place dam le mixte. Cette opération de la
nature, est le fondement de l’encre & de toute autre teinture artificielle. Si l’on
ajoute à une dissolution claire de vitriol, une décoction de noix de Galles
pareillement claire, les deux mêlées ensemble donnent une ligueur noire &
opaque ; ce qui arrive parce que l’alcali volatile des noix de Galles absorbe
l’acide du vitriol, & que celui-ci laisse tomber les particules métalliques de
cuivre & du Mars, qui troublent la liqueur. Si on mêle de l’esprit de vitriol avec
de l’esprit de sang humain, la mixtion sera verte. C’est qu’alors l’esprit de
vitriol absorbe le sel volatil alcali du sang humain & précipite les particules du
cuivre, qui font la couleur verte. Si vous dissolvez de l’argent dans de l’eau-
forte, ou dans de l’esprit de nitre rectifié, la dissolution sera fort claire : jetez-y
des lames de cuivre, & vous verrez que le nitre qu’il faut un peu affaiblir avec
de l’eau simple, quittera l’argent pour s’attacher au cuivre, & l’argent se
précipitera en forme de poudre blanche. Pendant ce temps, l’eau forte dissout le
cuivre & se charge de ses particules. Mettez une verge ou lame de fer dans cette
dissolution, & les particules du cuivre tomberont, ainsi qu’a fait l’argent & l’eau
forte dissoudra le Mars. Jetez enfin dans cette dissolution de Mars, du zinc ou,
quelque autre corps métallique terrestre, & l’eau-forte s’attachera à ce nouveau
corps, pendant que le Mars se précipitera en forme de poudre.

Non seulement les acides précipitent les alcalis, & ceux-ci les acides ; mais les
acides mêmes sont précipités par d’autres acides, savoir les faibles par de plus
forts. Par exemple, la dissolution du corail faite par le vinaigre distillé, se
précipite par l’huile de soufre. Dissolvez des yeux d’écrevisses, la dissolution se
précipitera en y ajourant de l’esprit de vitriol. La raison en est claire, parce que
les plus forts acides s’insinuent dans les pores du flegme, le remplissent,
attaquent les particules terrestres corrodées & rétrécissent les pores, d’où

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s’enfuit la précipitation du mixte. Ceci n’a lieu qu’à l’égard des forts acides
insinués dans de plus faibles ; car les acides également forts ne précipitent rien.

C’est par ce moyen, comme nous l’avons déjà dit, que se font les magistères.
Mais ces sortes de compositions sont de peu d’utilité; parce que la tissure des
simples est entièrement détruite par la dissolution faite dans des menstrues
trop âcres. En effet, la vertu de ces remèdes, est d’absorber les humeurs viciées
du corps, & principalement des premières voies, & de les pousser par les urines.
Ce qu’ils ne sauraient faire, puisqu’ils sont déjà rassasiés d’acides. En un mot
les simples qui sont salutaires de leur nature se changent par ce moyen en des
chaux indissolubles, qui ne font aucun effet, sinon qu’elles restent dans
l’estomac, & lui causent souvent de grands maux ; ainsi donnez un vomitif trois
jours après avoir pris ces magisters, vous rejetterez une poudre blanche qui
n’est rien autre chose que le magistère, qui est toujours joint à des particules du
corrosif que les lotions ne sauraient retirer. Ainsi les magistères simples sont
beaucoup plus utiles.

De quelle utilité sont donc ces magistères ? Est- ce pour fortifier ? Mais ils n’y
servent de rien. Et Zwelpher a introduit, des magistères solubles, ainsi nommés,
parce qu’ils sont dissous dans toutes sortes de liqueurs. Ils se font sans précipitation,
par l’infusion, l’abstraction & l’édulcoration de l’esprit de verdet seul. Ils Sont un
peu moins mauvais que les autres, parce qu’ils ne détruisent pas tous les sujets.

Des précipitations artificielles & mécaniques, passons aux naturelles. Nous voyons
que dans la fermentation les fèces quittent la liqueur pour tomber au fond, parce
que les deux sels par leur union, chassent les particules terrestres ou les laissent
aller. Mais s’il arrive que la fermentation soit empêchée ou par l’acide qui
prédomine, ou par le mélange de quelque corps étranger, la précipitation se fait
aussitôt. Par ce moyen la bière aigrie, précipite son acide dès qu’on y ajoute de la
craie. Et la bière nouvelle cesse de fermenter & devient potable dès qu’on y jette du
sel. Le vin s’aigrit souvent, parce qu’il est chargé de trop de tartre, qu’on précipite
avec deux coques d’œufs, à cause de la pesanteur de l’acide. Enfin la fermentation
viciée du vin se corrige par l’addition des alcalis fixes ; par exemple, de la pierre de
ponce calcinée, ou les lessives de quelques autres chaux. La raison est que ces alcalis
s’attachent à l’acide, & le précipitent avec lui.

La même précipitation, ou du moins quelque chose de semblable, se pratique


dans le corps humain, comme on le voit dans les fièvres intermittentes, où la
masse du sang est chargée de particules étrangères, qu’elle pousse au-dehors
par le moyen de la précipitation. C’est sur ce fondement que les Médecins
donnent en ce cas des remèdes qu’ils nomment précipitants, pour séparer les
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particules étrangères de la masse du sang, & les chasser ou par les urines, ou
par les sueurs, ou par les selles.

Les signes de la coction de l’urine, & le pouls dépendent de la précipitation ; car


les urines qui sont claires dans l’augment de la maladie, auront beaucoup de
sédiment dans l’état, quand la bile cause l’effervescence du sang, par exemple,
dans les fièvres ardentes on doit donner des acides: au lieu que quand l’acide
excite l’effervescence, comme dans les fièvres intermittentes, alors il faut
donner des alcalis.

Les précipitants impropres sont ceux qui ont la force de changer les acidités
viciées, qui causent plusieurs inflammations & diverses effervescences en
différentes parties. Ces sortes de remèdes qui absorbent ou fixent plutôt qu’ils
ne précipitent, sont appelles mal à propos précipitants, tel est le Mars qui
absorbe simplement l’acide, qui pèche dans la mélancolie hypocondriaque &
dans le scorbut. Telle est la craie dans le Soda ou ardeur d’estomac, qui ne fait
qu’y fixer l’acide vicié qui excite l’effervescence. Telle est la dent de Sanglier
dans la pleurésie qui corrige la masse du sang, en absorbant l’acide contre
nature. On peut dire la même chose des remèdes anti-dysentériques, &c.

CHAPITRE VI.

De la Calcination.

La calcination est la corrosion &la dissolution d’un corps compacte en ses plus
petites particules. Elle se fait au feu actuel ou au feu potentiel. La calcination
par le feu potentiel. Se fait ordinairement par des menstrues acides de deux
manières, ou par la vapeur du menstrue ou par l’immersion.

La calcination par la seule vapeur du menstrue, est assez connue dans la préparation
du plomb en céruse par la vapeur du vinaigre ; ou de l’or, par la vapeur du plomb ou
du mercure. La calcination par immersion se fait ou par la voie humide ou par la
voie sèche.

Celle qui se fait par l’immersion humide, est quand le corps qu’on veut calciner est
jeté dans le menstrue; par exemple, le cuivre ou l’argent dans l’esprit de nitre, ou le
plomb dans le vinaigre. Mais la calcination par l’immersion sèche est quand on
stratifie ce qu’on veut calciner avec le menstrue : c’est ce qu’on appelle Cémentation.
Elle a lieu quand on veut calciner quelque métal qu’on divise par petites lames fort
minces, que l’on place par couches avec quelques sels. On met le tout sur le feu, afin
que les sels venant à se dissoudre, rendent leurs esprits acides, lesquels corrodent le
métal. C’est ainsi qu’on purifie quelquefois l’or & quelques autres métaux.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 664

La calcination au feu actuel, se fait en exposant à un feu bien vif la matière qui doit
être calcinée. C’est ainsi que l’on calcine le corail & les autres corps semblables.

CHAPITRE VII.
De la Coagulation.

La coagulation est l’autre partie des opérations Chymiques. Les grands Artistes ont
dit : Dissolvez & coagulez. Elle se fait donc quand les mixtes dissous dans leur
menstrue sont réduits en une substance solide, par la privation de leur humidité. Il y
a de deux fortes de coagulation, l’une froide & l’autre chaude, & se coagulent ou
cristallisent au froid. D’autres se fondent au froid & se coagulent à la chaleur : de
cette dernière sorte sont les sels lixivieux tirés des cendres des plantes, qui se
fondent au froid en forme d’eau, & se coagulent à la chaleur ; ou ce que je croirais
encore plus volontiers, ces sels alcalis étant exposés à l’air, en attirent l’humidité, ou
même si vous voulez, ils attirent l’esprit universel & font corps ensemble. Cette
différence entre ces deux sortes de sels vient de la présence ou de l’absence des
esprits. Les sels qui donnent beaucoup d’esprits, se fondent à la chaleur & se
coagulent au froid, comme le nitre, le vitriol, l’alun, le sel commun ; au lieu que les
autres font le contraire.

SECTION II.

CHAPITRE PREMIER.

Des principes salins des modernes, & particulièrement du sel acide.

J’entends par sel, certaines particules de la matière qui se fondent alternent dans
l’eau, & qui par l’impression vive qu’elles font sur la langue, causent le sentiment
du goût & de la faveur. Ces particules sont d’une grande considération, parce que ce
sont elles qui composent les corps naturels & leur donnent de l’efficacité. Le pouvoir
des sels est d’une très grande étendue. Il était déjà connu par Hippocrate, qui en a
parlé sous le nom de saveurs.

Il y a deux sortes de sels, le sel universel & le sel particulier. Le premier fut répandu
dans la création du monde par tout l’Univers, & on le nomme l’esprit du monde,
lorsqu’il est confondu dans l’air ; quelques-uns le nomment l’oiseau d’Hermès. Et
lorsqu’il est caché dans les entrailles de la terre, pour donner l’accroissement à tant
d’espèces de végétaux, il est appelé le sel central de la terre. C’est ce sel universel qui
selon quelques Philosophes, sert à expliquer l’énigme d’Hermès ; ce qui est dessous,
ressemble à ce qui est dessus : & ce qui est dessus, est comme ce qui est dessous ; &

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 665

tout se fait d’un & par le moyen d’un.

Le Sel universel engendre dans les différentes matrices le sel particulier qui est de
deux sortes, savoir ; l’acide & l’alcali, ou l’urineux. Ces deux sels unis ensemble,
composent un troisième sel, nommé le sel salé, qui n’est ni l’un ni l’autre, &
participe cependant de tous les deux. Par exemple, l’esprit de vitriol est un sel acide,
le sel de tartre est un sel urineux, & tous les deux ensemble en forment un troisième
qui est le sel salé. Il faut cependant remarquer que tout sel n’est pas toujours en
forme sèche : car les sels ont deux états, un de dissolution, & l’autre de coagulation.
Les sels dissous donnent les esprits liquides, & les sels coagulés produisent les sels
en forme sèche.

Les sels acides se trouvent dans les trois familles, à commencer par les minéraux,
l’acide du soufre y parait avant tout, & c’est de lui que les minéraux tirent leur
acidité, savoir le vitriol, l’alun, le sel commun, &c. Les métaux même jusqu’à l’or
tirent leur acidité de l’esprit acide du soufre : car l’or a de l’acidité. Ce qui se prouve
par l’or fondu, dans lequel on enfonce une verge de fer, qui en un moment se change
en rouille, comme si on l’avait brûlé avec du soufre allumé. Le Mars contient tant
d’acide qu’il se dissout à l’air humide, & cet acide ronge son propre corps, qui se
change en une rouille que les Chimistes appellent safran de Mars, ou crocus martis.
Vénus ou le cuivre n’a pas moins d’acide qui se dissout par l’humidité & engendre
le verdet ou un safran vert subtile, qui corrode son propre corps. Le Saturne ou le
plomb a aussi beaucoup d’acide ; ce qui se connaît par la purification de l’or & de
l’argent dans la coupelle : car à mesure que les autres métaux attachés à l’or & à
l’argent se fondent avec le plomb, celui-ci les prend tous, excepté l’or & l’argent qui
vont au fond. La raison est que le Saturne, qui abonde en acide cherche à se rassasier
; & comme l’or & l’argent sont des corps parfaits & trop compactes, il les laisse pour
s’attacher au Mars & à Vénus, & aux autres métaux moins purs.

Il y a pareillement beaucoup d’acides dans les minéraux, & il ne faut même que les
examiner superficiellement pour s’en convaincre.

Les végétaux ne sont pas aussi sans acide, car les fruits ne mûrissent qu’en passant
d’un acide austère à une saveur moins rude, & ensuite à une saveur très douce.
Différentes sortes de vinaigre qui se font avec les fruits par le moyen de la
fermentation, prouvent encore l’acide des végétaux, sans parler des fruits dont toute
la substance est acide, comme les groseilles & l’épine-vinette. Il faut s’arrêter aux
sucs de presque tous les végétaux qui fournissent par la fermentation des liqueurs
acides. Ainsi le suc de pommes & de poires qui semble doux devient vinaigre, & le
sucre malgré sa douceur, fournit un esprit acide, dès qu’on le distille au feu de sable.

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Que les Semences des végétaux renferment de l’acide, c’est ce qui est démontré par
le pain distillé à un feu modéré, qui donne un esprit acide, capable de dissoudre
même sans feu le cuivre, le mars, le corail, la pierre hématite, & en tire les teintures.
Il agit même sur certains minéraux plus puissamment que ne fait l’eau-forte. Le
vinaigre que l’on tire de la bière le confirme, aussi bien que les décodions de
quelques plantes que ce soit, faites dans l’eau simple, qui s’aigrissent dans un lieu
chaud, ou lorsqu’elles sont exposées au Soleil.

Il y a de l’acide caché dans tous les bois, que l’on en retire par la distillation comme
du genévrier & du sassafras ; la suie même distillée dans une retorte, donne un
esprit acide très subtil & beaucoup de sel volatil.

Il paraît peu d’acide dans le règne des animaux, parce qu’il est caché sous l’écorce de
l’onctueux & du sulfureux, c’est pourquoi, suivant Tachenius, on fait du savon avec
tous les sels urineux & de la graisse, ce qui montre que toutes les graisses tirées des
parties des animaux, contiennent un acide concentré, & qu’étant jointes à des alcalis,
elles donnent un troisième sel salé. Je ne dis rien de l’acide de l’estomac, dont
personne ne doute. Les matières même qu’on vomit, le font voir & corrodent les
bassins de cuivre où elles tombent. Il n’y a point jusqu’aux ulcères qui n’aient un
acide corrosif, qui agit sur les os & les carient. Il est bon de remarquer que partout,
où il y a de l’acide, il y a aussi de l’urineux ; qui chacun ont le dessus, selon qu’il a
de force pour dominer.

CHAPITRE II.

Du sel alcali ou urineux, tant fixe que volatil.

Les sels alcalis sont nommés urineux, parce qu’ils ont la saveur de l’urine, il y
en a de deux sortes, le volatil & le fixe. Le premier s’envole de lui-même en l’air,
ou à une chaleur légère. Le fixe est celui qui soutient le feu sans s’envoler,
comme sont tous les sels tirés des cendres. Par exemple, les sels de tartre,
d’absinthe, de fumeterre, de petite centaurée, &c. Quelques-uns veulent
expliquer le mot de volatil & de fixe, par la légèreté & la pesanteur ; mais nous
aimons mieux nous attacher aux choses mêmes qu’à leurs qualités.

Les sels volatils abondent dans le règne animal, ils sont rares dans le végétal, &
très rares dans le minéral. Toutes les parties des animaux mêmes les plus
abjectes, comme la fiente, l’urine, le poil, la sueur, & les cornes fournissent
grands quantité de sel volatil, & il reste si peu de sel fixe dans la tête morte,

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qu’un homme entier calciné n’en donnerait pas une dragme. Ce qui volatilité
les sels dans les animaux, n’est autre chose que la digestion fermentative avec
l’inspiration continuelle de l’air.

La famille animale n’est pas la seule qui possède des sels volatils, il s’en trouve
dans la végétale, surtout des sels âcres, par exemple, dans les oignons, dans le
cresson, le raifort & dans les autres plantes antiscorbutiques & anti-
hypocondriaques. Quelques végétaux renferment des sels volatils tempérés par
l’union d’une matière onctueuse, comme la menthe, la sauge, le romarin & tous
les aromates. D’autres ont des sels volatils occultes comme les plantes
vulnéraires, qui la plupart sont insipides, & dont le sel ne se manifeste que par
ses effets, lors par exemple, qu’elles revivifient le mercure sublimé ou le
mercure précipité. Car dès que le mercure qui a pris diverses formes par le
moyen des sels acides, est mêlé avec le suc des herbes vulnéraires, il se fait une
ébullition, pendant laquelle les acides quittent le mercure, & sont absorbés par
les alcalis des plantes vulnéraires. Alors le mercure délivré reprend sa première
forme & sa liberté.

Malgré cette expérience, il s’en trouve encore qui doutent, si les végétaux ont
des sels volatils, & disent que s’ils en ont, ils ne sont ni purs ni simples. Il faut
donc les convaincre par les sens : ne voyons nous pas qu’on tire des sels volatils
urineux de la suie, selon Horstius ; & que si on met de l’absinthe desséché dans
une retorte, ou dans le fourneau de Glauber, on en tire beaucoup d’esprit & de
sel urineux très subtile, comme on tire des végétaux fermentés un esprit aussi
inflammable que l’esprit de vin. On tire des mêmes végétaux putréfiés, un
esprit urineux. On tire du pain par la distillation un esprit inflammable ; & si on
sait gouverner le feu, on en tirera un sel volatil très excellent. Le tartre ne vient-
il pas des végétaux ? On en tire cependant un sel volatil excellent, surtout si on
se sert de la lie de vin.

Les sels alcalis fixes sont tirés des cendres des végétaux, & ils se trouvent
particulièrement dans la famille végétale. Il y en a peu ou point dans la famille
animale, & encore moins dans la minérale, savoir le sel nitre fixe. Les sels fixes des
Végétaux ; sont le sel de fumeterre, le sel d’absinthe, de rhue, &c. Mais ces sels fixes
n’existent pas naturellement dans les végétaux comme les volatils urineux, ou
comme les acides dans les minéraux, ils se font artificiellement par le feu qui fond &
réunit l’acide, & l’urineux volatil de la plante. Voici de quelle manière cela se fait.
Pendant que la plante brûle, & que les parties du mixte se dissolvent, le sel volatil
de la plante s’accroche, en s’envolant, à une partie du soufre du même mixte, à quoi
il se joint & se fixe en sel alcali. Le reste qui n’a point de soufre, pour s’accrocher, se

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dissipe en l’air, & constitue le corps de la suie ; & c’est la raison pourquoi les
végétaux huileux donnent beaucoup de sels fixes. Voici par conséquent le moyen de
tirer quantité de sels fixes ou de cendres gravelées des bois.

Prenez du bois de pin, & le brûlez dans un vaisseau ou un lieu bien fermé, le sel
volatil s’attachera par ce moyen à beaucoup de soufre, & l’un & l’autre se fixeront en
alcali artificiel très abondant, ce qui n’arrivera pas si on brûle le même bois au grand
air ; car il fera moins de cendres, & par conséquent peu de sel fixe. Les bois pourris,
quelque feu qu’on leur donne, ne fournissent aucun sel fixe, parce que tout leur sel
volatil s’est dissipé avec leur soufre par la pourriture. Le sel nitre servira pour
illustrer la génération des sels fixes des végétaux. Si on brûle le nitre seul, il s’envole
en l’air, mais si on y ajoute un peu de soufre, il demeure un sel nitre parfait, & en
d’autant plus grande quantité qu’on y aura mis plus de soufre.

Ces sels fixes sont nommés sels lexivieux, à cause qu’on les tire en forme de lessive
les Arabes tes appellent Alkalis, du nom de Kali, herbe qui croit en Egypte, sur les
bords du Nil, Fleuve rempli de nitre, elle est d’une saveur nitreuse, & les anciens
Egyptiens la brûlaient pour en tirer du sel qu’ils appelaient Kali. On y a joint depuis
la particule al, pour marquer son excellence & l’on a dit Alkali, pour Kali. On trouve
quantité de cette herbe auprès des Salines de Trieste, & en Languedoc proche de la
Mer. Elle ressemble à la petite joubarbe.

Le nom d’alcali ne se donnait au commencement qu’aux sels fixes des végétaux,


mais comme on a remarqué que les sels volatils n’étaient pas moins contraires
aux acides que les fixes, on a étendu ce nom à tous les urineux volatils & fixes,
& on les a nommés alcali. Et nous nous servirons toujours dans la suite de ce
mot alcali pour désigner le sel urineux, soit fixe, soit volatil.

CHAPITRE III.

Du Sel salé.

Lorsque l’acide & l’alcali combattent ensemble, ils composent un troisième sel,
savoir le sel salé, qui n’est ni acide, ni urineux, mais composé de l’un & de
l’autre, car la nature de ce sel est de participer aux deux natures. Zwelfer met
souvent le sel salé pour le sel urineux, ce qu’il faut savoir pour ne se pas
tromper en lisant cet excellent Auteur.

Les sels salés, suivant la nature des alcalis combinés avec les acides, sont sels salés
fixes, ou sels salés volatils. Les premiers se font quand les acides s’accrochent à des
alcalis volatils, & qui ne sauraient soutenir le feu, mais s’évaporent, tel est le sel
ammoniac qui se forme, comme je dirai ci-après, du sel alcali de l’urine, & de l’acide

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du sel commun. Les sels salés fixes sont quand un alcali fixe se joint à un acide. Tel
est l’esprit de vitriol, & le sel de tartre. Les sels salés sont, comme il a été dit,
hermaphrodites, & ont deux natures, de manière pourtant que l’une domine sur
l’autre car il faut que l’acide détruise l’alcali, ou que l’alcali détruite l’acide pour
régner & faire un troisième sel salé, qui ne soit ni l’un ni l’autre, mais composé de
tous les deux.

Il est à remarquer que quoique les acides & les urineux ne puissent se mêler
ensemble sans faire effervescence, néanmoins les sels salés se joignent aux urineux
& aux acides, sans aucun combat & sans aucune action.

CHAPITRE IV.
Du Sel Ammoniac ou Armoniac.

Nous avons dit ci-dessus que le sel ammoniac était un sel salé volatil, mais le nôtre
n’est pas celui des Anciens : le nôtre est artificiel, & celui des Anciens était naturel,
& se trouvait dans les sables de la Libye vers le Temple de Jupiter Ammon, d’où il a
tiré son nom. C’est la coutume des Marchands de ce pays-là de se servir de
Chameaux dans leurs voyages ; & c’est l’urine de ces Animaux fermentée avec le
sable qui produit le sel ammoniac naturel. Le nôtre, ou le sel ammoniac artificiel, est
composé du sel commun dissout dans beaucoup d’urine humaine ; ou même dans
celle des animaux, à quoi on ajoute un peu de suie, on cuit le tout ensemble jusqu’à
certaine consistance, puis on le laisse dans un lieu froid, où il se cristallise en un sel
blanc, qu’on appelle sel ammoniac.

Voici de quelle manière se fait cette génération. Le sel volatil de l’urine & de la suie
qui monte après l’évaporation du phlegme, se joint avec l’acide du sel commun, &
forment tous deux la masse salée ou le sel ammoniac.

Le sel ammoniac sert à la Médecine & à la Chimie : à l’égard de la Médecine, c’est un


stomachique singulier pour déterger les ordures adhérentes de l’estomac, & il n’est
rien de meilleur pour l’apepsie ou les indigestions, si on le joint avec quelques
aromates, comme la cannelle, le poivre, les espèces diatrion pipereon, ou les
cabebes. C’est aussi un fébrifuge excellent pour les fièvres intermittentes, quand on
le donne avant le paroxysme, mais cependant après avoir fait précéder les remèdes
requis, & principalement le vomissement. Il chasse les fièvres quartes, & il réussit
mieux en le mêlant avec les yeux d’Ecrevisses, par exemple :

Prenez quinze grains de sel ammoniac dépuré ; huit à dix grains d’yeux d’Ecrevisses.
Mêlez le tout pour une poudre à : prendre avant le paroxysme ; on n’en prendra pas
deux fois que la fièvre quarte ne s’arrête, ou il faut qu’elle soit bien enracinée. C’est

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pareillement un puissant diurétique avec les mêmes yeux d’Ecrevisses : il déterge les
canaux des reins & des urines, & il empêche par ce moyen la génération du calcul, il
est pareillement d’une grande efficacité dans l’iscurie causée par le sang grumelé, ou
par quelque autre cause. Mais on ne s’en sert en Médecine qu’après l’avoir dépuré,
ce qui se fait en le dissolvant dans de l’eau simple. On filtre la dissolution, & après
en avoir fait évaporer un peu de phlegme, on met le tout à la cave où il se forme des
cristaux en forme de sel.

Les fleurs de sel ammoniac se font en sublimant du sel ammoniac dissout dans
de l’eau. Il y en a qui y ajoutent de la Limaille de fer, mais mal à propos. Car
l’acide du sel ammoniac corrode le Mars, & s’unissent ensemble, d’où il se
forme un vitriol, pendant que le sel volatil urineux s’envole en l’air. Il est vrai
qu’à force de feu il monte des fleurs salines, mais elles sont acides & vitriolées,
& beaucoup moindres que le sel ammoniac.

A l’égard de la Chimie, le sel ammoniac ; y sert pour volatiliser les soufres fixes
des métaux & des minéraux, suivant la doctrine de Basile Valentin ; c’est
pourquoi on le nomme aquila alba, ou aquila cœlestis ; la pierre hématite
pulvérisée, avec le sel ammoniac & mise dans une cucurbite, s’élève en forme
de fleurs rouges excellentes dans la Médecine, & principalement dans toutes
sortes de fièvres. Zwelfer dans son Mantissa hermitica, enseigne la manière de
sublimer l’or avec le sel ammoniac : les coraux dont le soufre est fort engagé
dans le mixte, se subliment pourtant très bien avec le sel ammoniac en forme de
fleurs rouges ; on réitère la sublimation pour rendre ces fleurs plus fortes, &
l’on peut ensuite en tirer une belle teinture.

La tête morte du vitriol de Vénus ; bien calcinée, puis édulcorée & mêlée avec le sel
ammoniac, donne dans la sublimation des fleurs de couleur d’orange, qui
renferment beaucoup de vertus, & spécialement une faculté hypnotique, ou
somnifère. Marcus Marci sublime le vitriol de la même manière pour composer la
pierre de Buttler.

Pour séparer l’acide de l'urineux volatil dans le sel ammoniac, il ne faut qu’y ajouter
des sels alcalis comme le sel de tartre, le sel des cendres gravelées ou la chaux vive,
car alors le sel alcali fixe se joignant avec l’acide du sel commun qui est dans le sel
ammoniac, met en liberté le sel volatil du même ammoniac, lequel monte en sa
forme naturelle, ou en forme de fleurs d’esprit.

Pourquoi, dira-t-on, l’acide du sel ammoniac quitte-t-il son sel alcali volatil, pour
s’attacher à l’alcali fixe ? Je réponds, que les fixes se joignent aisément aux fixes,
parce qu’ils sont de même nature.

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D’autres sujets que les alcalis se joignent à l’acide, surtout a celui du sel ammoniac,
par exemple, la limaille d’acier, le minium, &c. La raison en est, que ces corps
Métalliques acides, ne sont pas rassasiés, ainsi ils absorbent l’acide du sel
ammoniac, & laissent en liberté son sel urineux, qui s’élève en forme de sel ou
d’esprit urineux ; l’esprit du sel ammoniac est ordinairement de couleur blanche,
mais on lui peut donner une belle couleur d’or avec le soufre commun, de la manière
qui suit.

Prenez du sel ammoniac & du soufre commun, cinq onces de chacun ; pilez le tout &
le mêlez avec six onces de chaux vive, distillez le tout dans une retorte, & il sortira
un esprit de couleur d’or, mais puant à cause du soufre, dont il prend jusqu’à
l’odeur.

Remarquez en passant que quand les alcalis volatils se joignent à des sujets
sulfureux, il en résulte une couleur rouge, ce qui peur servir de guide pour trouver la
raison de la couleur du sang.

L’esprit de sel ammoniac est un bon sudorifique & fort pénétrant. La dose est de
trente & quarante goûtes, jusqu’à cinquante suivant les forces du sujet.

Et comme c’est un sel volatil, il détruit tous les acides superflus du corps, & les
change en sels salés, pour être poussés en partie par la sueur, & en partie par les
urines ; sa pénétration dissout la masse du sang & la rend fluide & ténue, ce qui fait
que cet esprit est un excellent remède ; lorsqu’il s’agit de détruire l’acide & de
dissoudre le sang coagulé, par exemple, dans les inflammations, les érésipèles, les
pleurésies, &c. L’expérience confirme ceci, car si on injecte de l’esprit de sel am-
moniac dans la veine d’un chien, le sang se dissoudra tout.

L’esprit de sel ammoniac n’est pas moins fébrifuge que le sel même, & M. Michaël
le nommait par excellence l’esprit fébrifuge : il est merveilleux dans la paroxysme de
la suffocation de matrice, en le présentant au nez. Il réveille bien mieux que le
castoreum & les plumes brûlées : & en le donnant intérieurement dans de l’eau de
mélisse ou de pouliot, il chasse la cause morbifique par les sueurs. Il est d’une effi-
cacité admirable dans les maladies chroniques comme le scorbut, la mélancolie
hypocondriaque, le mal de rate, & en général dans toutes les affections longues
causées par des obstructions, on le mêle avec les esprits volatils appropriés à chaque
maladie. Par exemple, dans le scorbut avec l’esprit de cochiaeria : dans l’obstruction
des mois, avec le castoreum & la myrrhe, tant en forme sèche, qu’en forme liquide &
tant intérieurement qu’extérieurement ; il calme les douleurs de la goûte, en
détruisant l’acide d’autour des articles, étant appliqué avec le double d’esprit de vin
camphré. Glauber savait l’employer avec un certain instrument dans l’obstruction

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des mois, en quoi il réussissait toujours.

L’esprit de sel ammoniac & l’esprit de vin joints ensemble, suivant les règles de l’art,
composent une masse ou une bouillie épaisse qui est un très bon menstrue pour
extraire la myrrhe & l’élixir de propriété, sans acide, destiné pour les femmes: ce
même menstrue sert à dissoudre la terre foliée de tartre en une essence dorée très
salutaire dans la mélancolie hypocondriaque, & étant versée sur de la limaille de fer,
elle fournit une essence de Mars merveilleuse dans les maladies longues. La tête
morte de l’esprit de sel ammoniac étant dissoute dans l’eau chaude en filtrant la
dissolution, puis la laissant coaguler, donne un sel salé qui est un excellent digestif,
qui a diverses facultés eu égard aux choses avec lesquelles le sel ammoniac a été
joint pour être distillé. Par exemple, si ç’a été avec des cendres gravelées, la tête
morte donnera un sel qui servira de digestif dans la mélancolie hypocondriaque &
dans le scorbut. La dose sera d’un scrupule. Sylvius usait de ce sel comme de
digestif dans la fièvre quarte, & les autres fièvres intermittentes, avec un heureux
succès. Si la distillation s’en est faite avec chaux vive, on tirera de la tête morte un
sel lithontriptique, ou contre la pierre, qui se donnera jusqu’à un scrupule dans
quelque eau appropriée. La même tête morte dissoute dans l’eau, puis versée sur de
la limaille de fer, produit un crocus martis, ou safran de Mars beaucoup meilleur
que celui qu’on fait avec les sels.

CHAPITRE V.

Du Tartre vitriolé.

On a déjà dit que le tartre vitriolé est un sel salé composé du sel de tartre & de
l’esprit de vitriol qui n’aura presque point de saveur sensible sinon un peu
d’amertume, pourvu néanmoins qu’on sache trouver le point de saturation. Le
tartre vitriolé est appelle par Herman le digestif universel, & il est effectivement
tel. C’est le meilleur de tous les aiguillons pour les purgatifs ; & quand on le
joint à quelque purgatif, le quart de la dose du purgatif suffit pour bien purger.
Par exemple :

Prenez demi scrupule de tartre vitriolé, deux grains de scammonée passée au


soufre, un grain des trochisques alhandal, une ou deux goûtes d’huile d’anis.
Mêlez le tout pour une poudre purgative.

Quoiqu’il n’y ait que la quatrième ou cinquième partie des purgatifs, cette pou-
dre ne laisse pas de procurer sept ou huit selles, d’autant que le tartre vitriolé
augmente la force des purgatifs fans causer pourtant aucune tranchée. Il faut
pour cela que l’esprit de vitriol soit bien rectifié & séparé des particules

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métalliques de Vénus qu’il a enlevées avec foi dans la première distillation, sans
quoi il causerait des nausées. Le tartre vitriolé est aussi un diurétique très
puissant, qui pousse non seulement les urines, mais qui dissout & déterge
même les coagulations & les ordures qui se trouvent dans & autour des
conduits urinaires.

CHAPITRE VI.
Des Sels minéraux.

Tous les sels minéraux sont de quatre sortes, savoir : le sel commun, le nitre, le
vitriol & l’alun. Tous ces sels peuvent être dissous dans des menstrues aqueux,
quoi que chacun de ces sels ait le sien propre, avec lequel il a plus de
convenance par rapport à la conformation de ses parties. Nous avons une
expérience de ceci dans Gassendi, qui fit dissoudre divers sels dans une même
eau. Il prit de l’eau commune, il y mit autant de sel commun qu’elle en pouvoir
prendre, cette eau rassasiée du sel commun, s’imprégna encore d’une quantité
proportionnée de nitre ; après le nitre elle absorba une quantité requise de
vitriol, & âpres le vitriol une certaine portion d’alun. Ce qui fait voir que tous
ces sels s’insinuent, chacun dans les divers pores de l’eau, sans que l’un chasse
l’autre.

Les sels n’ont pas moins de disproportions avec les menstrues huileux & sulfureux,
que de convenance avec les aqueux. Par cette raison aucun sel ne peut se dissoudre
dans l’esprit de vin bien rectifié, pas même le sucre, qui est un mixte tartare salin.

Les sels donnent dans la distillation chacun un esprit acide différent, suivant la
diversité de sa tissure, & de la conformation de ses particules : car l’esprit de vitriol
est différent de l’esprit de sel, celui-ci de l’esprit de nitre, & ce dernier de l’esprit
d’alun. Quoique tous ces esprits conviennent radicalement dans leur acide salin.

Pourquoi, dira-t-on, ces sels qui sont secs donnent-ils des esprits humides? Je
réponds que cela arrive en deux manières, savoir par le renversement des particules
salines, & par le mélange de l’humeur du corps qu’on y ajoute, & de l’air qui
environne. Le renversement des particules consiste en ce qu’étant agitées par la vio-
lence du feu, elles s’arrachent les unes d’avec les autres & se dissipent & se brisent
mutuellement avec impétuosité ; puis venant donner en forme de nuage ou de
fumée dans le récipient, elles s’y rassemblent & se réunifient en forme de liqueur
avec la partie humide, ou les atomes aqueux de l’air. Le corps qu’on ajoute pour
distiller les sels, comme l’argile, & le bol, contribue beaucoup au renversement des
particules salines : car on ne l’ajoute ordinairement, que pour empêcher que les sels

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qu’on veut distiller, ne se fondent. Le même renversement des particules salines, fait
que le sel commun se réduit en eau toute pure à force de solutions & de
coagulations. Voyez le savant Discours d’Olaus Borrichius, sur l’origine & le progrès
de la Chimie.

CHAPITRE VII.
Du Sel commun.

Le sel commun est de trois sortes, le sel marin, le sel des fontaines & le sel fossile,
ou gemme, celui des fontaines se fait en évaporant l’humidité de l’eau salée, dans de
grands bassins de plomb où on fait bouillir. C’est une chose fort curieuse, que ceux
qui le font y ajoutent du fiel ou du sang de bœuf, pour le faire plutôt granuler : la
raison de cela est, afin que le sel volatil du fiel combatte & se joigne avec l’acide du
sel commun ; car l’acide caché dans l’eau salée, étant contraire à l’alcali, ne manque
pas de l’accrocher, & en combattant l’un contre l’autre, ils se brisent en petites
particules jusqu’à ce que l’alcali se trouvant moins fort que l’acide, qui est en plus
grande quantité, se coagule, & s’unifie à lui. Cette union & cette jonction réciproque
des particules réduit en grain le sel des fontaines. Le sel marin se fait par une
semblable évaporation, mais il donne les grains beaucoup plus gros, & plus durs &
les cristaux plus beaux que le sel des fontaines.

Le sel marin est le plus usité dans la Médecine & dans les opérations de Chimie, &
l’esprit de sel marin est beaucoup meilleur que l’esprit des deux autres, il se trouve
même du soufre vif véritable & inflammable dans le sel marin & on sent en le
distillant, effectivement, une odeur sulfureuse ; il est pour ainsi dire, le père sel des
fontaines & du sel fossile, car soit que le sel marin pénètre avec l’eau de la Mer,
jusqu’au centre de la terre, suivant la pensée de Beccherus, & que se résoudant en
vapeurs, il remonte du centre à la circonférence de la terre, où il se condense en eau,
soit qu’il coule ou se filtre par les pores de la terre, par une manière de pression
suivant l’opinion commune, l’eau de la Mer doit toujours perdre quelque chose de
son acrimonie, & être moins salée dans les fontaines que dans la Mer. Lorsque la
même eau de la Mer s’arrête dans quelque cavité de la terre, elle y forme un sel
fossile, qui est un peu meilleur que le sel des fontaines.

Tous ces sels communs sont des sels salés, c’est-à-dire, composés de l’acide qui pré-
domine & de l’urineux qui est prédominé ; les opérations suivantes prouvent ceci.

Versez de l’esprit de sel sur quelque alcali, par exemple, sur le sel de tartre, ou sur
des cendres gravelées, en proportion requise pour coaguler le tout, dissolvant &
épaississant la masse comme il est requis, & vous aurez un sel commun, beau & bien

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fait ; de même si on verse de l’esprit de sel commun sur la chaux vive, en distillant le
tout, on tirera de la tête morte par le moyen d’une lessive, un sel semblable au sel
commun.

Quant aux préparations du sel commun, on en tire par la distillation un esprit acide,
mais il le faut décrépiter ou calciner auparavant, de la manière qui suit. On met du
sel commun dans un pot de terre sur du feu, & à mesura qu’il s’échauffe, il pétille, ce
qui vient des particules aqueuses qui se sont concentrées dans le sel qui sortent avec
bruit & impétuosité, étant poussées par le feu qui est leur antagoniste. On décrépite
ainsi le sel commun avant la distillation, de peur que les particules salines & les
aqueuses venant à sortir dans l’opération, ne rompent lis vaisseau. On ajoute au sel,
du bol & de l’argile, ou de l’alun brûlé, de peur qu’en demeurant longtemps dans le
feu, il ne vienne à se fondre. Quelques-uns y ajoutent du vitriol pour faciliter la
séparation des particules salines. Quoique cette conduite ne soit pas approuvée de
tout le monde, elle n’est pourtant pas mauvaise, & l’esprit de sel sort toujours tout
seul, le vitriol demeurant au fond de la cornue, à cause de sa pesanteur, ce qui se
démontre par l’opération suivante.

Prenez du sel commun, versez dessus de l’esprit de vitriol, distillez le tout dans un
alambic ou retorte de verre, il sortira au lieu de l’esprit de vitriol, un esprit de sel
beau & bien fait, & il demeurera au fond un sel blanc cristallisé d’une saveur
agréable, Glauber nomme ce sel, sel admirable.

La manière de distiller le sel avec un soufflet dans une retorte, à long col est
dangereuse : car il est à craindre que l’air froid qu’on introduit dans le vaisseau qui
est fort chaud, & l’effort des esprits qui, sortent ne le rompent, ou que le sel en
fluant ne pénètre le fond de la retorte, & n’aille dessous les charbons, & ne mette fin
à la distillation, Glauber enseigne une manière plus aisée. Il prend dix charbons
allumés qu’il imbibe d’eau, dans laquelle on a dissout du sel commun, & quand les
charbons sont secs, il les distille dans un fourneau particulier, d’où le sel dissout, se
jette en forme d’esprit acide dans le récipient ; mais il y a deux inconvénients, le
premier est que les fuliginosités sulfureuses du charbon montent avec l’esprit de sel
& le gâtent, le second est que cette calcination produit un sel fixe lixivieux, qui
détruit l’acide de l’esprit de sel, & le rend plus faible.

l’usage de l’esprit de sel commun est salutaire pour détruire tous les alcalis huileux,
ou la bile qui domine dans le corps, & pour calciner les effervescences fiévreuses.
Pour cette raison, on a coutume, d’en prescrire dans les juleps ; il éteint la soif des
fébricirans & des hypocondriaques. Il est outre cela fort diurétique & propre pour
pousser les eaux des hydropiques par les urines ; lorsqu’il est concentré avec
quelque alcali fixe, il devient sel salé, & un excellent diurétique, il vaut mieux que

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l’esprit de soufre ou de vitriol pour mettre dans l’élixir de propriété ; il ôte la


pourriture & la gangrène qu’il empêche de passer outre, lorsqu’on fait un cercle avec
cet esprit, suivant les bords de la partie saine, le beurre d’antimoine fait la même
chose ; quelques goûtes d’esprit de sel mêlées avec le miel Rosat, font merveille
contre la pourriture des gencives dans le Scorbut ; comme l’acidité extrême de
l’esprit de sel, pourrait corroder les intestins, il n’est pas sur d’en donner
intérieurement : & pour cette raison, les Chimistes ont cherché les moyens de l’a-
doucir, & ils ont préparé un esprit de sel doux, en y ajoutant parties égales d’esprit
de vin bien rectifié, qu’ils mêlent exactement par deux ou trois cohobations, cette
mixtion fait une liqueur très suave, qu’on appelle esprit de sel doux ; c’est un excel-
lent stomachique, pour réveiller l’appétit abattu, pour corriger les crudités
nidoreuses, le vomissement & la nausée, on le donne jusqu’à dix ou quinze goûtes,
& même davantage, suivant les circonstances, dans un véhicule approprié ; on peut
prendre en place d’esprit de vin, quelque autre esprit approprié, par exemple,
l’esprit thériacal avec lequel on fait un esprit de sel merveilleux contre la peste.

Certains Chimistes prétendent rectifier & radoucir l’esprit de sel sans y rien ajouter,
en le laissant simplement digérer doucement & longtemps à une chaleur légère,
mais ils entreprennent l’impossible, puisque l’esprit de sel ne se peut radoucir, à
moins qu’on ne change, & qu’on ne renverse entièrement la tissure ou la disposition
de toutes ses particules acides, qu’on ne change leur figure, & qu’on n’en fasse un
nouveau mixte qui ait de nouvelles vertus, ce qui renferme beaucoup de difficultés
& même de l’impossibilité.

L’addition du sel de tartre dans la première distillation du sel commun est une pure
supercherie, car le sel de tartre absorbe les esprits acides, & au lieu de l’esprit de sel
doux, on n’a qu’un phlegme limpide aigrelet.

L’esprit de sel est d’un grand usage dans la Chimie, lorsqu’il est concentré & rectifié,
il sert de menstrue pour dissoudre l’or ; & si on le rectifie si bien qu’il ne perde
aucune de ses parties acides, non seulement il dissoudra l’or, mais même il le
sublimera & l’enlèvera avec soi en forme d’esprit, pour ainsi dire, l’esprit du sel
concentré de la manière qui suit, fait la même chose.

Prenez de la pierre calamine pulvérisée, imbibez-la d’esprit de sel, puis la distillez ;


il sortira d’abord un phlegme insipide, d’autant que la pierre calamine absorbe tout
l’acide. Mêlez la tête morte avec du sable, puis pressez le feu, & l’esprit de sel
concentré sortira ; il est très acide & il dissout presque tous les métaux & les miné-
raux, excepté l’or & l’argent, car il ne dissout le corps du premier que
superficiellement, & en apparence d’autant que la solution parfaite de l’or est
impossible par le moyen du sel, quant à l’argent il le laisse en son entier, ou bien il

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le précipita lorsqu’il est dissout.


Poterius prépare d’excellents cristaux, en versant de l’esprit de vin de raisins
distillés en temps de vendange, sur la tête morte de l’esprit de sel ; il met le tout en
digestion durant quelques jours dans du fumier de cheval, puis à la cave où il se
forme des cristaux doux & d’une saveur agréable, qui sont un excellent Stomachi-
que.

CHAPITRE VIII.
Du Sel Gemme.

Le sel de montagne ou fossile, se nomme vulgairement sel gemme, parce qu’il est en
forme de pierre, & très souvent transparente. C’est une chose assez remarquable que
le sel gemme qui est léger dans la minière devient beaucoup plus pesant, dès qu’il a
été exposé à l’air, en sorte que ce qu’un homme emporte facilement dans la minière,
cinq hommes auront peine à le porter quand il en sera tiré, il est extraordinairement
dur, on en trouve cependant du mol dans les mines de Calabre, on y imprime même
quelques figures, mais dès qu’il a été à l’air il s’endurcit ; il sert aux mêmes usages
que le sel de fontaine, sinon qu’il est plus efficace & plus diurétique. Si on mêle du
sel gemme & du sel d’ambre avec de l’eau ou du vin, on aura une boisson qui
poussera puissamment par les urines, tant le sable que le calcul des reins & de la
vessie ; on en ajoute ordinairement jusqu’à une dragme aux clystères, pour ramollir
les excréments endurcis.

Eau régale.

L’esprit de sel composé, se prépare avec partie égale de nitre & de sel commun, ou
gemme, il est principalement compote de l’esprit de nitre, qui sort en forme de fu-
mée rouge, & de quelques particules de l’esprit de sel, & c’est ce qu’on appelle l’eau
régale, dont on se sert pour dissoudre l’or. C’est une chose digne de remarque que
l’esprit de nitre seul bien rectifié, dissout tous les métaux excepte l’or, & que si on y
ajoute du sel commun ou de l’esprit de sel commun, il dissout parfaitement l’or sans
dissoudre l’argent, ce qui fait connaître la sympathie du sel minéral commun avec
l’or, & son antipathie avec les autres métaux.
A l’occasion de l’esprit composé de sel, qui se fait de la plus grande partie de nitre,
je vais parler de celui-ci.

CHAPITRE IX.
Du Sel nitre, ou Salpêtre.

Le nitre est un sel admirable d’une nature sulfureuse, c’est-à-dire, composé d’un

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soufre extrêmement volatil, à raison de quoi le nitre est si inflammable. II prend son
origine dans une terre grasse, d’où on le tire en forme de lessive ; cette terre ou
matière grasse, lui sert de matrice qui est humectée par les urines & les gros
excréments des animaux, dont le sel volatil urineux imprégné de beaucoup de soufre
combat successivement avec le sel acide de la terre ou le central, ce qui les altère &
change tellement l’un & l’autre, que les deux en font un troisième qu’on appelle
nitre.

On peut faire du nitre avec toute sorte de terre, en la ramassant en un monceau : qui
ne soit ni à l’air, ni à la pluie, qu’on aura soin d’imbiber de l’urine d’homme on de
quelque animal ; car en faisant une lessive de cette terre & évaporant l’humidité, il
se formera un véritable nitre, il s’en forme pareillement contre les pierres & les
vieilles murailles, parce que le sel de la chaux vive, dont les murailles sont enduites
se dissout & s’altère successivement par le sel acide ou central qui exhale de la terre :
& comme le sel de la chaux vive tient de l’alcali, le sel acide de la terre se joint
facilement à lui & tous les deux unis ensemble font le sel nitre. Ceci fait voir comme
Beccherus prépare du nitre avec des vers de terre, & Glauber avec des végétaux, par
le moyen d’un certain fourneau qu’on peut voir chez cet Auteur. Le nitre est donc un
sel salé, composé de l’acide du soufre, & d’un sel alcali joints ensemble, ceci se
démontre, parce que si on prend quelque sel fixe ou alcalisé avec des charbons, pour
le joindre à quelque esprit acide, on aura un nitre parfait : comme aussi si on verse
de l’esprit de nitre sur du sel de tartre, le soufre dont le nitre est composé est fort
volatil, ce qui fait qu’il enlevé l’acide, & qu’il est inflammable.

On ne se sert jamais du nitre en Médecine ni en Chimie, qu’il n’ait été auparavant


dépuré, ou, comme parlent les raffineurs de nitre, qu’il n’ait été purifié de son sel
hétérogène, c’est-à-dire, du sel commun, qui se trouve mêlé avec les urines & les
excréments des animaux, & qui est entré dans la composition du nitre durant fa
génération, ainsi il se trouve seulement dans le nitre qu’on tire des latrines, où les
hommes déchargent leur ventre, & non ailleurs. La raison de ceci est, que le sel
commun dont nous usons avec nos aliments est inaltérable dans notre corps, &
qu’on le rend de la même manière qu’on l’a pris. Une preuve pour connaître si le
nitre contient beaucoup de sel hétérogène, c’est de le mettre sur des charbons
allumés, s’il est pur il s’enflamme d’abord, & il ne reste rien, mais s’il n’est pas pur,
il demeure un sel blanc & caustique, qu’il faut séparer du nitre avant que de mettre
celui-ci en usage.

Parmi tous les sels, il n’en est point de pareil au nitre cru pour là Médecine. Le nitre
dépuré convient aux fièvres ardentes, bénignes & malignes. La dose du simple est
d’un scrupule, & du nitre antimonié, de demi scrupule : on peut fort bien mettre

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demi once ou six dragmes de nitre dépuré dans la boisson ordinaire, dans les fièvres
continues, & dans les effervescences de la masse du sang, & contre la soif, de
quelque cause qu’elle vienne, même des hydropiques, d’autant que le nitre est un
excellent diurétique. Il est pareillement souverain pour arrêter le satyriasis : & à en
prendre souvent on pourrait devenir totalement impuissant. C’est un remède
éprouvé que le nitre, contre toutes forces d’hémorragies, surtout par anastomose, soit
qu’on en donne intérieurement ou extérieurement, il est pourtant à remarquer, qu’il
relâche & affaiblit l’économie & les fondions de l’estomac & des intestins.

Dépuration du nitre. Sel de prunelle. Nitre fixé par les charbons.

On dépure ordinairement le nitre avec le soufre, & on le nomme ainsi dépuré


sel de prunelle. Voyez le Chapitre du sel polycreste de Glaser. Si on ajoute des
charbons au nitre, on aura un alcali fixe parfait après la déflagration, parce qu’il
n’aura pas pu se remplir du soufre des charbons.

La meilleure de toutes les dépurations du nitre, est celle qui se fait par les alcalis
fixes. On prépare une lessive très forte de sel de tartre & de chaux vive, ou de
cendres gravelées, on y jette du nitre, & l’alcali fixe prend tout l’acide vicié, &
tout ce qu’il y a de corrosif & d’excrémenteux ; & après avoir un peu consumé
ou évaporé de l’humidité, le nitre se prend en cristaux très dépurés.

Esprit de nitre.

L’esprit de nitre se distille par une retorte, en y ajoutant du bol commun, ou de


l’argile calcinée, pour l’empêcher de fondre. Plus on met de bol & d’argile, plus on
tire d’esprit, par exemple, si on met dix ou douze parties de bol sur une de nitre,
presque tout le nitre s’en ira en esprit ; & si on n’y met qu’une troisième partie on
tirera peu d’esprit mais il restera beaucoup de sel fixe dans la tête morte, cet esprit
étant remêlé avec le sel de tartre, donne un nitre parfait.

Esprit doux du nitre.

L’usage de l’esprit de nitre est dans les fièvres malignes avec des juleps, & il est
meilleur en cette rencontre, que tous les autres esprits acides des minéraux. Il con-
vient à la colique venteuse, aux tympanisés, à la colique néphrétique & au calcul.
Mais comme l’esprit de nitre cru est trop corrosif, on le mêle avec de l’esprit de vin,
ou avec quelque autre semblable : on prend, par exemple, une partie d’esprit de
nitre bien rectifié, & trois parties d’esprit de vin, on laisse le tout en digestion
durant quelques jours, puis on le distille par une retorte au feu de sable, par ce
moyen il devient tempéré & très utile en Médecine, on le nomme l’esprit doux de
nitre. La dose est de demi dragme à une dragme, dans un véhicule approprié, quand

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ces deux esprits sont bien rectifies, ils excitent une telle effervescence, qu’il faut les
mêler peu à peu pour empêcher qu’ils ne rompent les vaisseaux.

Sel volatil d’esprit de vin. Esprit anticolique.

On tire par le moyen du nitre, le sel volatil d’esprit de vin, ce qui est un beau
secret. On prend, par exemple, de l’esprit de vin qu’on mêle peu à peu avec une
livre d’esprit de nitre, & on laisse le tout jusqu’à ce que le bruit &
l’effervescence soit finie, alors on tire la liqueur par une retorte à un feu très
lent, ( remarquez bien cette condition ) & il reste un sel d’une faveur aigrelette
qui est le sel volatil de l’esprit de vin fixé par l’esprit acide de nitre. Ce sel en y
ajoutant quelque alcali fixe se peut distiller en un esprit urineux ou esprit de vin
; l’esprit de nitre dulcifié par l’esprit de vin, se nomme esprit anticolique,
spécialement s’il a été distillé sur de la Camomille Romaine, il est excellent pour
la colique. La dose est d’une dragme, il guérit la pleurésie par les sueurs : il
convient à la squinancie & toutes les fièvres jointes à quelque inflammation,
ainsi qu’à la néphrétique, & à l’ardeur ou inflammations des reins ; ce qui est
éprouvé.

Eau-forte.

Le nitre & son esprit sont la base de toutes les eaux fortes & régales. Les premières
se font avec une partie de nitre, & deux parties de vitriol qu’on distille ensemble,
par une retorte pour faire l’eau forte qui n’est rien autre chose que l’esprit de nitre ;
car quoi qu’on y ajoute du vitriol ; il n’en sort pourtant rien dans la distillation.
Effectivement on fait autant avec l’esprit de nitre qu’avec l’eau-forte : & le premier
bien rectifié dissout l’argent, aussi bien que la dernière. Que si on mêle de l’or & de
l’argent ensemble, & qu’on verse de l’esprit de nitre sur ce mélange, il dissoudra
l’argent sans toucher à l’or.

Eau régale.

L’eau régale se fait en distillant deux parties de nitre, avec une partie de sel
ammoniac, d’où il sort un esprit de nitre affilé par le sel ammoniac.

Méthode pour bien préparer l’eau forte, & l’eau régale.


Prenez du vitriol, ajoutez-y du nitre dissout dans l’eau commune, distillez le
tout sur le fable par une retorte, vous aurez un esprit de nitre ou eau-forte
parfaite; & en y ajoutant du sel commun ; vous aurez une eau régale.

Quoique j’ait dit qu’il ne demeurait rien du vitriol dans l’eau-forte, il est
pourtant certain que le nitre emporte avec soi quelques particules métalliques
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 681

de Vénus. La preuve de ceci, eu que si on met un couteau dans l’eau-forte


lorsqu’elle bout, il se rouille incontinent, par la raison que les particules acides
qui exhalent de l’eau-forte, corrodent le fer : ainsi : quoi qu’il ne reste rien du
vitriol dans l’eau-forte, néanmoins suivant la pensée de Glauber, il se joint
quelques particules métalliques à l’esprit de nitre qui montent avec lui.

Nitre vitriolé. Arcanum duplicatum. Sel fébrifuge.

A l’égard de la tête morte de l’eau-forte, elle est composée de vitriol & d’esprit de
nitre, & étant calcinée, puis coulée à lessive avec de l’eau commune, elle donne un
sel blanc qu’on peut appeler fort à propos nitre vitriolé. Le sel alcali du nitre, s’unit
dans cette mixtion à la partie métallique du vitriol, & tire quelque chose de son
soufre fixe. Ce nitre vitriolé s’appelle l’arcananum duplicatum de Mynsicth son
inventeur, il contient une vertu anodine ou somnifère qui le rend recommandable
contre les longues veilles, & autres affections semblables, il convient aux maladies
chroniques, aux fièvres intermittentes & au scorbut. C’est un bon stomachique, & il
sert de base à la poudre stomachique de M. Michaël : la dose du nitre vitriolé est
jusqu’à un scrupule. Il fait des opérations merveilleuses dans la suppression des
mois, étant mêlé avec six grains de myrrhe. Il est d’un grand usage dans les
affections mélancoliques, & dans la manie étant donné avec du camphre, lequel
renferme la guérison parfaite de ce mal. Il agit ici par sa vertu somnifère qu’il tient
du soufre du corps métallique du vitriol. Il est encore appelle sel fébrifuge, à cause
qu’il chasse puissamment la fièvre, si on le donne en qualité de digestif les jours
d’intermission, ou une heure avant le paroxysme.

Comme l’eau-forte emporte avec soi quelques particules métalliques, il faut au lieu
de vitriol, y ajouter de l’alun, qui n’ayant aucunes particules métalliques, rendra
l’eau-forte meilleure & plus pure.

L’eau régale est composée de nitre & de sel commun ou ammoniac, car quand on
ajoute du sel au nitre, on en fait toujours une eau régale. Celle-ci sert à dissoudre
l’or, & l’eau-forte à dissoudre l’argent.

CHAPITRE X.
Du Vitriol.

Le vitriol s’engendre dans les entrailles de la terre, par le moyen de quelque


calcination qui s’y fait, lorsque la mine du mars ou du cuivre vient à être rongée
par l’esprit acide du soufre qui se coagule avec la mine, & forme le corps qu’on
appelle vitriol. Ce mot de vitriol appartient proprement au mars ou au cuivre,
& c’est improprement & par métaphore, qu’on le donne aux autres métaux,
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 682

comme au sucre de Saturne : que quelques-uns appellent vitriol de Saturne, &


aux cristaux purgatifs de lune que d’autres appellent, vitriol de lune, &c.

Comme le vitriol s’engendre de la corrosion du mars ou du cuivre, par la


liqueur acide du soufre, le vitriol doit être différent suivant que la mine
corrodée est différente, si c’en est une de cuivre, le vitriol est bleu, si c’en est
une de mars, le vitriol est vert, si c’est l’une & l’autre, le vitriol partage ces deux
couleurs.

Vitriol artificiel.

Le vitriol de Chypre & celui de Hongrie, qui sont fort bleus participent du
cuivre, & le Romain qui est vert, tient du mars, ainsi que celui d’Allemagne. La
manière donc on fait le vitriol artificiel, nous enseigne la manière dont le
naturel s’engendre. On prend de l’esprit acide de soufre, on le délaye avec de
l’eau, puis on y ajoute du mars ou du cuivre, que l’esprit acide de soufre ne
manque pas de corroder. Apres cette calcination corrosive, on filtre & on laisse
évaporer la matière calcinée, puis on la met à la cave où il se forme des cristaux
de vitriol bleus ou verts, c’est-à-dire, tenant du mars, ou du cuivre : & ce vitriol
artificiel est si semblable en tout au naturel, qu’un œuf n’est pas plus semblable
à un autre œuf ; au reste à l’occasion de l’esprit de soufre, avec lequel le vitriol
se fait, ont sait que le soufre a deux substances, l’une bitumineuse &
inflammable, l’autre saline, qui se détache dans la déflagration, & se réunissant
ensuite compose l’esprit acide.

La manière la plus belle & la plus utile de composer le vitriol artificiel, est de
prendre des lamelles de fer ou de cuivre, de les stratifier & cimenter dans un
creuset avec de la poudre de soufre, & de les calciner ainsi sur le feu, car
lorsque le soufre s’enflamme, l’esprit acide s’en détache pour corroder la
substance du mars ou du cuivre. La calcination faite, on met ce mélange dans
l’eau simple, qui devient verte, si c’est du mars, & bleue, si c’est du cuivre qu’on
employé. Filtrez la liqueur, & faites-la évaporer à la quantité requise, & vous
trouverez au fond des cristaux très beaux. Ce vitriol artificiel est le même que le
naturel, il a le même usage & les mêmes effets. Si on distille l’un ou l’autre avec
les préparations requises on tirera de part & d’autre un phlegme insipide, & un
esprit acide très semblable à l’esprit de soufre commun. La tête morte qui reste,
étant calcinée ou fondue avec les borax, donne un véritable mars ou un
véritable cuivre. Ce qui nous fait conclure avec tous les Chimistes, que le vitriol
est composé, d’une mine métallique & spécialement de mars ou de cuivre,
corrodée par l’esprit acide soufre. Voyez l’Anatomie du vitriol d’Angélus Sala,
où Kirkerus a copié mot pour mot ce qu’il a écrit touchant le vitriol, en
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 683

supprimant le nom du véritable Auteur. Le vitriol naturel se trouve en terre en


forme de vitriol, ou sous la forme d’une pierre sulfureuse nommée pyrites, qui
participe du mars, du cuivre ou du soufre, de laquelle on fait ensuite le vitriol
de la manière qui fuit: on concasse cette pierre, on la calcine, & ensuite on
l’expose à l’air, pendant quoi le vitriol se forme de lui même, ou bien on le tire
avec de l’eau par une lessive qu’on en fait. Le fondement de cette préparation
est que pendant que ces pierres se calcinent, le soufre enflammé donne son
esprit acide qui se prend au métal avec lequel il est joint pour le corroder &
après quand elles sont ensuite exposées à l’air, les humidités de celui-ci s’y
insinuent peu à peu, elles se joignent à l’acide du soufre, elles le dissolvent, &,
le vitriol se produit successivement.

On trouve peu de vitriol pur ou simple, si ce n’est celui de Chypre & de


Hongrie, celui de Rome & d’Allemagne, sont ordinairement mêlés. Quand on
veut en avoir de pur pour l’usage de la Médecine, on le prépare de la manière
qui suit. On dissout du vitriol de mars ou de cuivre, dans de l’eau simple, on
fait bouillir la dissolution sur le feu, & pendant cela on y met des verges de fer,
ce qui fait précipiter le cuivre au fond, d’autant que l’acide qui est dans le vitriol
quitte le cuivre pour s’attacher au mars. On a par ce moyen un vitriol de mars
allez pur.

On calcine le vitriol en blancheur pour le distiller, & il sort en premier lieu un


phlegme qu’on appelle autrement rosée de vitriol : & quand la liqueur devient acide
on augmente le feu, & il se forme des nuages qui se coagulent & forment l’esprit de
vitriol. L’huile de vitriol sort la dernière, & termine la distillation ; l’huile & l’esprit
de vitriol ne différent que par le plus ou moins d’acidité. L’huile qui souffre la
dernière violence du feu, enlève avec soi des particules métalliques, ce qui la rend
grossière & obscure, & l’esprit est mêlé avec plus de phlegme ou d’eau, & par cette
raison il est moins acide que l’huile, dont l’acide est concentré, & qui a besoin d’un
feu plus violent. Une preuve de ceci, c’est que si on rectifie exactement l’esprit de
vitriol, & qu’on en tire tout le phlegme à chaleur lente, il aura la même acrimonie &
la même consistance que l’huile ; au contraire si on verse de l’eau simple distillée
sur l’huile corrosive de vitriol, & qu’on distille le tout pour rectifier l’huile comme
on a fait l’esprit de vitriol, l’huile prendra la forme de l’esprit.

Sel de Vitriol. Terre douce de vitriol.

La tête morte paraît tantôt noire, tantôt brune, quand elle paraît noire, elle est privée
de tous ses esprits, quand elle paraît brune, c’est une marque que tous les esprits
n’en sont pas sortis. Cette tête morte calcinée & dissoute dans de l’eau commune,
donne un sel qui est acide & joint à quelque partie de mine. La tête morte dont a tiré

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 684

le sel fixe par la lessive, se nomme terre douce de vitriol, c’est proprement un safran
styptique des métaux, ou la partie de la mine métallique qui est restée après la
réparation de l’esprit de soufre, qui par sa corrosion a changé le métal en vitriol, en
un mot, c’est la mine même corrodée par l’esprit acide qui en est alors séparé.

Si on expose à l’air la tête morte de vitriol, sans qu’elle puisse être altérée par la
pluie ou par les rayons du Soleil, on la trouvera au bout de quelque temps
imprégnée d’un nouvel esprit : ce qui n’arrive pourtant qu’en certains temps de
l’année, savoir au Printemps & en Automne, car en Eté & en Hiver elle ne se
remplit point. On demande si cet esprit de vitriol, qui se retrouve dans la tête
morte, est le même que le premier, ou un nouveau que l’air a régénéré ?
Chacune de ces opinions a ses défenseurs, il est certain que l’esprit de vitriol
vulgaire approche de la nature du nitre, & que si on tire parfaitement tout
l’esprit de la tête morte, celle-ci n’en attirera point à l’air. Et sur ce fondement je
tiens le milieu entre ces deux opinions, & je dis que l’esprit de vitriol régénéré
était un certain acide caché dans la tête morte, laquelle recevant encore de l’air
un acide nitreux, il se forme des deux un troisième esprit qui est d’une nature
moyenne encre l’esprit de vitriol & l’esprit de nitre.

Il est bon d’examiner les autres préparations du vitriol, auquel Paracelse


attribue la quatrième partie de la Pharmacopée. En effet sans donner dans
l’entêtement de ceux qui cherchent la pierre philosophale dans le vitriol,
trompés par le verset latin qui suit : visita interiora terrae, rectificando, invenies
optatum lapidem, veram Medicinam, dont toutes les lettres initiales composent le
mot Vitriolum : j’avoue que ce minéral renferme de grandes vertus.

Le phlegme de vitriol qu’on rejette ordinairement comme inutile, n’est pas sans
de grandes facultés, il est imprégné d’un soufre de vitriol de mars qui lui donne
quelque acidité, & étant pris intérieurement, il rafraîchit agréablement les
chaleurs d’entrailles, il refait le sang par sa rosée sulfureuse, & étant appliqué
sur le front en forme d’épithème, il apaise puissamment les douleurs & les
chaleurs de tête.

Le même phlegme exalté par quelques cohobations &, digestions sur du vitriol,
est estimé comme un remède excellent dans la phtisie causée par la corruption
des viscères, & spécialement par l’abcès du poumon. Van Helmont le fils,
guérissait par ce moyen toutes les inflammations des viscères, & les abcès qui
s’en ensuivaient.

L’eau céleste de Basile Valentin, qu’il nous a laissé dans son Testament, n’est
rien autre chose que le phlegme sulfureux de vitriol séparé de l’esprit de vitriol

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 685

avec le sel de tartre qu’on a tort de rejeter, d’autant que c’est un remède
admirable dans les maladies ci-dessus.

Esprit coagulé de vitriol.

Quant à l’huile & à l’esprit de vitriol qui ne différent qu’en ce que l’huile est un
esprit concentré, & l’esprit de vitriol une huile de vitriol dissoute. Outre leurs
différents usages dans la Chimie, pour la précipitation du mercure, &c. Ils sont
merveilleux dans les maux d’estomac ; si on en donne quelques goûtes dans un
véhicule approprié, & étant mêlés avec la troisième ou quatrième partie de
l’élixir de propriété ou de menthe, il n’est rien de meilleur pour les indigestions,
pour le dégoût & pour les autres affections de cette nature. Paracelse dit que
l’esprit vitriol fortifie tellement l’estomac, qu’il le rend capable de digérer le fer
comme les Autruches. C’est un peu trop dire, mais à parler sérieusement, c’est
un excellent digestif propre pour les fièvres ardentes, ou on le donne dans les
juleps & la boisson ordinaire, il est doué d’une vertu astringente qui fortifie
tous les viscères & le cœur, il déterge les ordures des reins & pousse le sable des
néphrétiques, suivant Panarollus & tous les Praticiens. L’esprit de vitriol
coagulé vaut encore mieux pour ce dernier usage. On le coagule lorsqu’on lui
donne quelque consistance par le moyen d’un alcali qui l’absorbe, & qui en
forme un troisième sel salé, ce qui le rend plus diurétique. Il est pourtant bon de
savoir que cet esprit, comme tous les acides, est contraire aux poumons ; tant à
cause de son acidité, que des particules métalliques du mars, ou du cuivre dont
il est chargé. Il a un second défaut, qui est de gâter les dents, & lorsqu’on les en
frotte, certaines particules corrodées de la mine se précipitent, & noircissent les
dents. On doit en ce cas préférer l’esprit de sel à l’esprit de vitriol ; j’ai déjà dit
qu’il était ennemi des testicules, & qu’il refroidissait trop les mâles.

J’ai avancé que l’esprit de vitriol était chargé de particules métalliques qui
s’enlèvent avec lui dans la retorte ; ce qui paraît, en ce que, s’il n’est pas bien
rectifié, quoi qu’il soit très clair au commencement, il devient dans la suite du
temps jaunâtre, & il précipite certaine matière semblable à de l’ocre, qui n’est
rien autre chose que la partie métallique du vitriol, laquelle est si étroitement
unie à l’esprit & à l’huile de vitriol, qu’il est presque impossible de la séparer : si
pourtant on y verse de l’esprit d’urine ou de sang humain, l’un & l’autre
paraîtra vert par la précipitation des particules métalliques du cuivre.

Esprit hermaphrodite de vitriol.

Les esprits de vitriol différent entre eux, suivant qu’ils sont tirés du vitriol de
cuivre, ou du vitriol de mars. On prépare même un esprit de vitriol

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 686

Hermaphrodite, c’est-à-dire, de deux natures, qu’on distille des deux vitriols,


savoir de celui de Mars, & de celui de Vénus. Cet esprit est en réputation pour
les maladies des femmes, & Hartman l’employé dans l’élixir utérin de Crollius.
Mais il faut savoir qu’il est peu différent de l’esprit de vitriol vulgaire, puisque
celui-ci se trouve rarement simple & sans participer du mars & du cuivre.
L’esprit, l’huile & le phlegme entrent tous dans un même récipient durant la
distillation, & on les sépare ensuite en les rectifiant. Ce que Zwelpher
n’approuve pas, par la raison qu’en tirant le phlegme, l’esprit volatil sulfureux
du vitriol monte en même temps, & l’esprit qui reste est dépouillé de sa plus
noble partie.

Esprit de vitriol édulcoré.

L’esprit de vitriol est suspect à plusieurs Médecins, à cause de sa vertu


corrosive, & ils veulent le dulcifier avant de s’en servir. Les uns prétendent le
faire par lui-même, mais cela est difficile, quoi qu’il ne soit pas absolument
impossible ; car puisque les digestions & les cohobations sont capables d’altérer
les tissures des corps, elles doivent aussi altérer leurs qualités, & il ne faut pas
douter qu’à force de cohobations & de digestions, l’esprit de vitriol ne puisse
être beaucoup changé. Mais c’est un travail qui demande trop de peine. La
plupart édulcorent palliativement l’esprit de vitriol, en le digérant & cohobant
avec l’esprit de vin. D’autres imbibent la tête morte de vitriol, de son propre
esprit, & ils le distillent une seconde fois : mais la tête morte absorbe exactement
tout l’esprit, & on n’en retire que du phlegme, à cause que l’esprit de vitriol
s’est concentré & retranché fortement dans la tête morte. D’autres distillent
l’esprit de vitriol sur du mars, & sur de l’urine humaine, mais cette édulcoration
est trompeuse, d’autant que durant la distillation, le mars absorbe l’esprit acide
qui sort, & l’urine le change en sel salé ; ainsi on ne retire qu’un phlegme salé
acide. L’esprit de vitriol de mars artificiel n’est pas sans douceur : celui qui est
tiré du vitriol de mars naturel, a une saveur astringente ; & celui qui est tiré du
vitriol de Vénus, a ordinairement une faveur qui cause des nausées.

Esprit apéritif de Penot.

L’esprit apéritif de Penot a lieu ici. On le prépare avec le vitriol calciné, les
cailloux calcinés, & la quatrième partie de tartre calciné en blancheur. On met le
tout fermenter à la cave, puis on le distille à un feu qu’on pousse avec violence.
On en tire un peu d’esprit acide qu’on anime en le rectifiant. Cet esprit de Penot
est plus doux que l’esprit de vitriol, parce que le mélange du tartre & des
cailloux a détruit l’acidité de l’esprit de vitriol.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 687

Esprit volatil de vitriol.

L’esprit vulgaire de vitriol ne contente point les Chimistes raffinés, & ils préten-
dent le volatiliser. Cet esprit de vitriol volatilisé est fort recommande par
Paracelse dans la cure de l’épilepsie. Cet Auteur lui donne mille louanges sans
rien dire de sa préparation, sinon qu’on le rectifie neuf fois.

L’esprit de vitriol volatilisé, n’est pas au reste un être de raison, ni l’esprit


ordinaire de vitriol. Premièrement, parce qu’il s’élève facilement par le feu &
qu’il retombe comme l’esprit de vin, suivant l’alambic en forme de gouttières.
Secondement au lieu que l’esprit de vitriol vulgaire, est peu sulfureux, & frappe
peu le nez, l’esprit de vitriol volatil est très pénétrant & fort puant. C’est
assurément un remède fort désiré, mais chacun le prépare à sa fantaisie.

Voici quelques observations nécessaires pour le bien préparer. Premièrement,


on se servira de vitriol non calciné ; car la plus noble partie s’envole avec le
phlegme dans la calcination.

Secondement, le feu ne sera point trop violent, de peur que l’esprit fixe vulgaire
ne sorte, qui fixerait le volatil.

Troisièmement, dans la préparation, quand les vaisseaux sont échauffés, il faut


retirer le récipient, parce que l’esprit volatil rentrerait dans la tête morte, qu’il
s’y fixerait & n’en sortirait plus.

Quatrièmement, il ne faut pas oublier les digestions, car quand il est une fois
sorti avec son phlegme, il le faut mettre en digestion & le cohober sur la tête
morte pour le mieux volatiliser, ce qu’on doit réitérer jusqu’à ce qu’on puisse le
distiller par des vaisseaux & long col. On tire par ce moyen, à la vérité, peu
d’esprit de vitriol, & plusieurs livres de vitriol commun, donneront à peine
deux dragmes d’esprit volatil, mais aussi c’est un remède précieux.

Esprit de vitriol épileptique. Esprit céphalique.

Quelques-uns volatilisent l’esprit vulgaire de vitriol avec l’esprit de vin, de


même qu’on prépare l’esprit de vitriol épileptique. On prend la tête morte du
vitriol, après qu’elle a été quelque temps à l’air pour se remplir, on la distille, &
on en tire l’esprit volatil de vitriol qu’on appelle esprit régénéré. On y ajoute de
l’esprit de vin mis en digestion avec des espèces épileptiques, après quoi on
distille la mixtion par une retorte, & on tire l’esprit anti-épileptique ; M. Michaël
prépare son esprit céphalique de la même manière. Il prend de l’esprit de vin
mis en digestion avec des herbes céphaliques, puis distillé. Il le verse sur du
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vitriol de mars calciné en blancheur, après quoi il distille le tout dans une
retorte, & en tire un esprit céphalique admirable dans les maladies malignes,
avec convulsion & dans les maux de tête.

Quercetan a inventé une autre manière de volatiliser l’esprit de vitriol, avec


l’urine humaine, laquelle est recommandée pareillement par Hartman. On mêle
la tête morte de vitriol, avec huit fois autant d’urine, & on distille le tout par
une retorte. Il fort en premier lieu un phlegme grossier qui est un excellent
anodin pour les douleurs de la goûte, à cause qu’il est animé par le sel de
l’urine & par le soufre du vitriol. En second lieu, il sort un phlegme subtile, qui
est au rapport de Mindererus, un excellent ophtalmique, à cause du sel volatil
urineux qu’il contient, lequel est changé en un troisième sel fort pénétrant. C’est
une liqueur recommandée presque dans toutes les affections des yeux, comme
les cataractes les suffusions, les ongles, &c. l’esprit de vitriol sort le troisième
qui a été changé par l’urine en un troisième sel volatil d’une grande utilité dans
l’épilepsie des enfants.

Terre douce & balsamique de vitriol.

Après que l’esprit & l’huile sont sortis, il reste la tête morte du vitriol, qu’on
appelle vulgairement colcothar, qui est un nom fait exprès par Paracelse, par
lequel on entend maintenant la tête morte du vitriol seul, restant après la
distillation de l’esprit & de l’huile. Quand ce colcothar a été exactement distillé,
il paraît noir & il n’y reste rien, mais s’il paraît brun en versant de l’eau chaude
dessus, on en tire à la lessive le sel de vitriol, qu’on laisse cristalliser, & qui a la
faculté de faire vomir. Angélus Sala en fait beaucoup d’estime, & il le nomme
manne vomitive de vitriol, dont la dose est d’un scrupule à demi-dragme, mais
il en faut user avec circonspection, & je fais conscience de donner de ce sel pour
faire vomir d’autant qu’il tient du cuivre qui affaiblit l’estomac, & détruit son
état tonique. Si même ce sel vient à se fourrer dans les replis de l’estomac, il
causera des envies de vomir opiniâtres & des efforts inutiles durant plusieurs
semaines : il est encore à craindre que l’air venant à entrer dans l’estomac, il ne
change ce sel en véritable vitriol, qui perdrait pour lors entièrement l’estomac.
Mindererus défend de s’en servir, à cause qu’il est ennemi des poumons.
Remarquez en passant qu’il n’y a que le sel tiré du vitriol de cuivre qui fasse
vomir, & que le sel du vitriol de Mars ne le fait jamais. Quand le sel de vitriol à
été tiré de fa tête morte, il reste une terre vide qu’on appelle terre douce &
balsamique de vitriol, laquelle n’est rien autre chose qu’un safran de Mars, ou le
Mars, ou le cuivre calciné jusqu’au dernier degré. Cette terre s’emploie
intérieurement & extérieurement dans toutes les maladies où il est besoin

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d’astriction, on la nomme terre balsamique, à cause de sa vertu à guérir les


plaies. C’est par cette raison qu’on la joint salutairement aux baumes
vulnéraires, & qu’elle entre dans l’onguent gris de Félix Vurtz, qui est si
admirable dans la cure des Plaies.

Teinture de soufre de vitriol. Soufre anodin de vitriol de Vénus.

La raison en est que la terre de vitriol étant calcinée, & dépouillée de tout acide,
absorbe avec avidité toutes les humeurs acides des plaies, elle les édulcore, &
resserre en même temps les bords des mêmes plaies ou ulcères, qui sont ensuite
; promptement guéries par le baume naturel. La même terre, sert
intérieurement contre les hémorragies de quelques parties que ce soit, ou bien
on en fait une teinture astringente nommée teinture de soufre de vitriol, qui
n’est qu’une teinture de Mars, laquelle est un remède assuré pour toutes les
hémorragies. On la compose avec la tête de vitriol de Mars, ou la terre douce &
balsamique de vitriol, sur quoi on verse de l’esprit de sel commun ou de l’esprit
de sel, composé avec l’alun. On filtre la dissolution, & on la distille au feu de
sable, & de la matière qui reste, on tire avec l’esprit de vin une teinture
astringente extrêmement rouge, qui réussit dans toutes les hémorragies, dans la
dysenterie, la diarrhée, le crachement de sang, &c. la dose est de vingt à trente
goûtes, dans un véhicule approprié. Le soufre anodin de vitriol est fort
recommandé par Paracelse & par Van Helmont, pour sa vertu anodine à apaiser
les douleurs & les furies de l’archée, pour parler comme ces Auteurs. Ce soufre
n’est rien autre chose que le soufre fixe du cuivre. On ne le prépare pourtant
pas immédiatement du cuivre, mais du vitriol de cuivre ouvert par l’esprit
acide du soufre. Il y a un soufre qui a rapporta ce soufre anodin dans le Mars,
mais il s’en faut beaucoup qu’il ait les vertus du soufre de vitriol de cuivre, ou
de Vénus.

Elément du feu de Vénus.

Van Helmont tire par la distillation de ce soufre anodin, une huile verte plus
douce que le miel, qu’il nomme élément du feu de Vénus. Cette huile verte, en
y ajoutant le mercure précipité rouge dont on a tiré la liqueur ou le menstrue
nommé alcaest, se fixe par le même alcaest, & fait l’or horizontal de Van
Helmont. Le Drif du même Auteur, ou le succédanée de la pierre de Buttler, se
prépare avec le même anodin de vitriol, mais comme il n’est pas permis à tout
le monde d’aller à Corinthe, quelques-uns se contentent de préparer un soufre
fixe de vitriol, approchant de celui-ci. D’autres distillent la tête morte du vitriol
de cuivre sur le sel ammoniac & en tirent un remède admirable. Starkey fait
cuire & bouillir le sel de tartre avec le colcothar de vitriol. Il croit que l’alcali
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fixe, à cause de la convenance, attire à soi le soufre du cuivre, & le volatilise, &
par conséquent il vante son remède comme quelque chose de grand. Mais ce
qu’il prétend est très difficile, & l’art de volatiliser le sel fixe est connu de peu
de personnes.

Fleurs de soufre de vitriol de Vénus. Premier être de Vénus.

Le Chevalier Boyle qui ajoute beaucoup de foi aux Ecrits de Van Helmont
compose des fleurs du soufre de vitriol de Vénus sublimées avec le sel
ammoniac, lesquelles il regarde comme un remède sacré dans les maux
d’estomac ; il prend du sel ammoniac, il le mêle avec la tête morte du vitriol de
cuivre bien édulcorée, sans quoi le remède retiendrait le goût du vitriol ; il
sublime le tout, & le dissout dans l’eau pour l’édulcorer, & par ce moyen il a
des fleurs de couleurs d’orange, qu’il nomme premier être de Vénus ; il leur
attribue une vertu anodine, il assure que c’est un fébrifuge éprouvé contre la
fièvre quarte, & un remède assuré dans le rachitis. Quelques-uns prennent du
vitriol de cuivre ou du vitriol commun, ils le dissolvent dans de l’eau, puis ils
précipitent la dissolution avec le sel de tartre, & ils appellent les matières
précipitées, le soufre anodin de vitriol. Mais ils se trompent lourdement ; car
c’est la mine métallique qui est tombée au fond par son propre poids, lorsque le
tel de tartre a absorbé l’acide qui la soutenait.

Poudre de sympathie.

La tête morte du vitriol de cuivre ou de Vénus, renferme la vertu de la poudre


de Sympathie qui guérit les plaies par une faculté magnétique. On expose du
vitriol de cuivre durant les jours caniculaires aux rayons du Soleil pour le
calciner à blancheur ; il ne faut pas que les rayons soient trop chauds, car la
vertu sympathique, ou le soufre de Vénus en quoi elle consiste, se dissiperait ni
que la pluie tombe sur la préparation, car elle en serait un véritable vitriol.
Voyez M. Dygbi, & ce que nous en marquons au Tome Ve, de cet Ouvrage.

CHAPITRE XI.

De l’alun.

L’ALUN approche du vitriol, celui-ci est composé de l’acide du soufre & d’un
métal corrodé, & l’alun du même acide du soufre & d’un corps pierreux, ou
terrestre dissout & changé en une substance alumineuse, transparente. Par cette
raison, on tire de l’alun par la distillation, un esprit semblable à celui de vitriol,
sinon qu’il est un peu moins acide, à cause qu’en corrodant le corps pierreux,

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l’esprit acide a changé la tissure de ses particules, & a perdu sa première


qualité.

Pour illustrer ceci, il ne faut que prendre l’esprit de soufre préparé par la
campane, & y dissoudre de la terre sigillée, d’abord la terre se coagulera en un
corps alumineux ; mais si on dissout du Mars, il se fera du vitriol. Ces deux
corps distillés, par une retorte, fournissent chacun leur esprit, mais l’esprit du
dernier est plus âcre que celui du premier.

La génération de l’alun par l’esprit & un corps pierreux, est confirmée par
l’expérience suivante. On prend de l’esprit de soufre tiré par la campane, on y
dissout de la craie, on laisse évaporer la liqueur, puis on met le tout & la cave
où il se forme en alun, c’est une expérience qu’on m’a communiquée comme
véritable, & que chacun peut faire pour s’en convaincre. La pierre pyrites
calcinée, engendre quelque fois de l’alun, ensuite du vitriol ; savoir, lorsque
après avoir corrodé le métal, l’esprit acide au soufre corrode encore le terrestre,
& on trouve ordinairement de l’alun où il y a du vitriol & du soufre.

Il en est de la tête morte de l’alun, comme celle du vitriol, & elles se remplissent
à l’air toutes deux d’un nouvel esprit. Il y a plusieurs sortes d’alun. Le rouge
était inconnu aux Anciens, parce qu’il se prépare par diverses solutions &
calcinations qui sont depuis peu en usage. Pour récompense, leurs aluns
liquides nous sont inconnus. L’alun de plume est plus doux, & moins âpre que
l’alun de roche ; on le confond ordinairement avec le lapis amianthus. Mais il y
a deux grandes différences. La première, est que l’alun de plume est friable &
d’une saveur astringente, & le lapis amianthus est insipide. La seconde est que
l’alun de plume se brûle au feu & perd de sa substance, au lieu que le lapis
amianthus résiste au feu. On file ce dernier, & on en fait des bourses dans
lesquelles on met du sel, qui se fond au feu dans la bourse, sans que cette-ci se
détruise en rien. J’en ai vu une chez l’ingénieux Septalius. Quant à l’alun de
roche, ses vertus sont assez connues. Il sert comme on sait dans le vomissement
opiniâtre, dans la diarrhée, & dans le flux immodéré des mois, on en prend
demi dragme tous les jours. Il est outre cela, singulier contre les fièvres, après
avoir fait précéder les remèdes requis. Il retarde les paroxysmes & les diminue ;
mais il a certaine crasse excrémenteuse dont il faut le dépouiller avant de le
mettre en usage. Voici comme on le dépure. Dissolvez ce qu’il vous plaira
d’alun, dans l’eau chaude, versez de l’urine humaine sur cette dissolution, la
crasse se précipitera au fond, & l’alun pur demeurera.

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Cristaux d’alun.

Voici une autre manière de le préparer pour la fièvre, on le calcine dans un pot
de terre suivant la coutume, & on verse du vinaigre sur la calcination,
lorsqu’elle est encore rouge ; l’alun se dissout par ce moyen, on filtre la
dissolution, puis on la laisse évaporer à la cave, où il se forme de beaux
cristaux, dont l’usage est assez célèbre. La dose est d’un scrupule.

On a parlé ci-devant au phlegme, de l’esprit d’alun, en distillant l’alun avec le


sel commun, on tire l’esprit de sel composé.

Le sucre d’alun n’est que l’alun tiré & imbibé tant de fois de son propre
phlegme, qu’il est sans acrimonie & insipide ; ce sucre alun est spécifique dans
la dysenterie, & dans la fièvre hétique. L’alun sert extérieurement, étant dissout
dans les lavements & les lotions des plaies, des ulcères caverneux, profonds &
malins, ou à rétrécir le conduit de la pudeur après l’accouchement. Il n’est rien
de meilleur pour l’uvale relâchée que l’alun dissout avec du sel ammoniac, dans
une décoction de prunelle. La même décoction est bonne pour les gencives
relâchées par le scorbut. L’alun entre dans la teinture de laque, si recommandée
dans les ulcères & la gangrène scorbutique des gencives.

Angélus Sala faisait des suppositoires avec l’alun, & cette méthode est encore en
usage. L’alun est fort estimé contre l’atrophie de quelque membre, ensuite des plaies
des parties nerveuses. On prend de l’alun bien calciné, on le dissout dans l’eau
commune, & il se précipite une poudre qu’on édulcore avec de l’esprit de vin, on la
mêle ensuite avec quelque onguent approprié pour en frotter la partie ; le même
onguent est salutaire pour la sciatique, c’est assez parler des sels végétaux &
minéraux.

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CHAPITRE XII.
Des eaux aigrelettes minérales.

Nous avons dit au Chapitre du vitriol, que celui-ci étant dissout dans l’eau simple, &
bouillant sur le feu si on y fourre des verges de fer, le cuivre se précipice au fond,
par la raison que l’acide qui est dans le vitriol, s’attache au Mars, & quitte le cuivre,
& que par ce moyen, on a un vitriol de Mars tout pur.

Ce Phénomène nous conduit à la connaissance des eaux acides naturelles, lesquelles


ne sont rien autre chose que du vitriol de Mars, dissout par l’acide du soufre, elles se
font, suivant les observations des Physiciens les plus exacts, quand l’eau qui passe
par les conduits souterrains s’imprègne en passant de certain esprit salin, que
Paracelse & Van Helmont appellent l’esprit acide affamé du soufre qui est encore
embryon. L’eau ainsi imprégnée venant à passer par des veines métalliques, par
exemple, par des veines de fer, elle devient acide ou un peu amère. Que si elle passe
par une mine de cuivre, elle en recevra une saveur nauséeuse ou dégoûtante
L’expérience rapportée dans le Traité de Chimie de Rochas, Auteur Français, qui a
été très exact dans la recherche & l’examen des eaux minérales, confirme ceci. Il fit
souir bien avant en terre, jusqu’à ce qu’il fût parvenu & l’origine d’une fontaine
d’eau acide, & il trouva de l’eau saline, tirant sur l’acide, qui en passant par une
veine de fer, la corrodait & l’absorbait tellement, qu’elle était médicinale au sortir de
là. Il est aisé sur ce principe de découvrir les venus des eaux minérales : car à raison
de l’acide du soufre embryon qui est singulier dans son espèce, & duquel tous les
différents acides que nous avons n’approchent point, les eaux minérales acides, sont
d’une saveur qui pénètre, incise, dissout & pousse puissamment par les urines. Et à
raison de la veine de Mars corrodée, elles ont la vertu de corriger & d’absorber les
sels sauvages du corps, soit acides ou austères, ou de quelque autre saveur nuisible
qui sont dans les premières voies ou dans les autres régions, spécialement dans la
mélancolie hypocondriaque & le scorbut. D’abord que les eaux ont été avalées, les
sels viciés du corps accourent à la terre de la veine du fer dont elles sont chargées, ils
s’unissent à elle, ils l’absorbent & ils sortent ensemble parles selles & cette
précipitation de la veine du fer, avec les sels sauvages, rend les selles noires.

D’un autre côté, l’acidité de ces mêmes eaux, pénètre les veines du mésentere ;
elle ouvre & déterge tous les conduits, & purifie tout le corps. Par cette raison
elles conviennent aux maladies chroniques, au scorbut, à la mélancolie
hypocondriaque, à la jaunisse noire, où les forces manquent, & où il n’y a point
de meilleur remède que nos eaux.

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La bonne méthode de boire ces eaux ; est d’augmenter par degrés, de


commencer par une petite dose, passer de-là, à une dose médiocre, & enfin à la
plus grande qu’il se pourra. Mais il y a deux choses à remarquer : la première
est que ces eaux demandent un estomac vigoureux, autrement elles détruisent
sa force & toutes ses fonctions, & font beaucoup de mal. La seconde, c’est qu’à
cause de leur nature vitriolique, elles sont contraires à ceux qui craignent la
phtisie, & ceux-ci meurent hydropiques par l’usage de ces eaux.

Sur ce que nous avons dit que l’esprit acide des eaux rongeait & absorbait le
Mars, avec lequel il se précipitait en forme de cuivre ou de terre noire &
insipide. Cela se remarque toujours lorsque ces eaux ont été longtemps dans un
vaisseau, & nous donne à connaître qu’elles ne valent rien lorsqu’on les
transporte de leur lieu naturel en un autre ; mais quand on n’en a point de
naturelles, on peut en faire d’artificielles, qu’on prépare en diverses manières, &
le fer en fait toujours la base.

Eaux minérales acides, artificielles.

Les uns éteignent du fer ou de l’acier rougi au feu dans du vin blanc sec pour faire
boire dans la Cakexie des filles : d’autres prennent de la limaille de fer, ils là mêlent
avec du vinaigre distillé d’hydromel, & y ajoutent un peu de vitriol, puis ils
délayent le tout avec une suffisante quantité d’eau, pour user dans les maladies
chroniques. Les meilleures se font avec le phlegme acide, ou de vitriol distillé
jusqu’à ce que les goûtes commencent à être un peu acides, on verse ensuite ce
phlegme sur de la limaille d’acier, puis on s’en sert avec succès. La plus sûre de
toutes ces manières, est de délayer les cristaux de vitriol de Mars dans leur propre
phlegme, avec du vin blanc sec. On a par ce moyen des eaux artificielles, acides,
excellentes.

Clyssus Teinture d’Amelungius.

Le Clyssus a lieu ici : car quoi que cette composition ne tienne rien du Mars,
néanmoins elle contient un acide affamé qui approche de la pureté de celui des
eaux acides naturelles, & de l’acide du soufre embryon ; ce Clyssus se compose
avec parties égales d’antimoine & de nitre, & la moitié de soufre, on distille le
tout qui donne un esprit acide agréable, excellent pour rafraîchir dans les
fièvres & dans les maladies aiguës ; il agit en précipitant ; on tire avec ce
Clyssus les teintures de plusieurs végétaux, qui sont d’une très belle couleur ; la
teinture d’Amélungius n’est proprement qu’un Clyssus qui se prépare de la
manière suivante. On prend de l’antimoine, du tartre, & des cailloux, parties
égales de chacun, on pulvérise le tout, après quoi on dissout du nitre dans de

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l’eau chaude, & on ajoute les espèces ci-dessus à cette dissolution qui font un
corps grossier qu’on laisse durant quelques semaines à la cave, après quoi on le
distille par une retorte à long col. On en tire un esprit urineux salin, très
salutaire dans le calcul.

SECTION III.

Des corps sulfureux.

CHAPITRE PREMIER.

Du second principe actif de Paracelse & des Chimistes, qui est le soufre.

Le second principe actif de la Chimie, se nomme le soufre, sur quoi il n’y a pas
eu moins de disputes entre les Chimistes, que touchant le principe salin. Le tout
par l’ignorance de Paracelse & de ses sectateurs. On entend précisément ici par
soufre, ou corps sulfureux, une graisse très inflammable, telle qu’il s’en trouve
particulièrement dans le soufre cru, duquel elle tire son nom ; & comme les
corps huileux tant naturels qu’artificiels, sont tous inflammables & gras, le mot
d’huile a été aussi mis en usage pour signifier le principe sulfureux de sorte que
soufre & huile disent la même chose. La graisse sulfureuse ne se trouve jamais
seule, elle est toujours incorporée avec diverses autres particules ; ainsi ce n’est
pas un premier principe, puisqu’elle a quelque composition; elle s’unit & se
coagule principalement avec l’acide, qui ne manqua point de se trouver dans
tous les soufres ou corps sulfureux, où les pointes sont cachées & tempérées par
la partie sulfureuse. Il y a de l’acide dans le soufre commun & dans celui
d’antimoine, qui est composé d’acide & de graisse. L’ambre, & toutes les sortes
de bitume, soit qu’ils soient de la famille minérale, ou de la végétale, ont chacun
leur acide, comme il paraît par l’esprit acide qui en fort dans la distillation. Les
résines graisseuses, la poix & la térébenthine, renferment de l’acidité dans leur
graisse sulfureuse, & dans la distillation de la poix & de la térébenthine, l’esprit
acide sort toujours avant l’huile. Quelques-uns tirent à force de feu un esprit
acide de la suie, qui n’est proprement qu’un soufre sublimé des végétaux, &
plus les bois sont graisseux, plus ils fournissent d’acide.

Les charbons contiennent un soufre composé d’un acide & d’une graisse
comme les minéraux, & on tire ce soufre des charbons par des alcalis fixes, qui
séparent le soufre en imbibant l’acide.

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La myrrhe tout amère qu’elle est, paraît acide au goût quand elle est distillée, &
l’huile commune renferme un acide assez fort pour corroder & faire rouiller le fer,
ainsi que les lamelles d’argent & de cuivre ; on peut même tirer artificiellement de
l’huile commune, un acide très pénétrant. Mais une marque incontestable de
l’acidité de l’huile commune, c’est que si on en met une goûte dans l’œil, elle
causera des douleurs beaucoup plus cuisantes que l'acide de citron. L’huile de lin
n’est pas aussi sans acidité. Les huiles distillées qui ne sont que des sels volatils
concentrés, & de nouveaux êtres produits par le feu qui étaient matériellement, &
non pas formellement dans les sujets, d’où on les a tirés. Tout sels volatils qu’ils
sont, ils ne sont pas sans quelque graisse sulfureuse concentrée avec l’acide, de
même que l’acide de l’huile se concentré avec l’esprit de sel ammoniac dont il est
absorbé, & avec lequel il se coagule. Les huiles distillées des aromates ont
pareillement chacune leur acide ; & si on peut bien gouverner le feu dans la
distillation de la cannelle, il en sortira un phlegme acide avant l’huile, mais il est
important pour cela de bien gouverner le feu comité j’ai déjà dît.
Les graisses des animaux ont toutes leurs acides, puisqu’en les unissant avec un
alcali fixe, on en fait du savon. Ce qui arrive de ce que les alcalis imbibent l’acide de
la graisse. Je crois même qu’il y a de l’acide dans l’esprit de vin, quoique bien
déphlegmé, si on y ajoute de l’esprit de sel ammoniac, ils se coagulent l’un & l’autre
en un corps grossier, ce qu’ils ne font que parce que l’alcali très subtil de l’esprit de
sel ammoniac, absorbe l’acide volatil de l’esprit de vin avec lequel il s’incorpore. Il y
a apparence que les esprits ne sont inflammables, & que la fermentation ne
volatilise les huiles, que par le moyen de l’huile concentrée, ce qui n’est pourtant
pas sans contredit, c’est pourquoi je m’en rapporte aux expériences. Mais comme il
est certain que les sujets qu’on distille, sans que la fermentation précède,
fournissent beaucoup d’huile, & qu’au contraire ils n’en donnent presque point,
mais beaucoup d’esprit inflammable, si on les fait fermenter, il est probable que
c’est la fermentation qui volatilité les huiles de ces sujets, & les change en esprit
inflammable. En quoi Beccherus se vante de savoir le secret de changer les huiles
mêmes. Je passe ici fous silence, l’opinion de certains Chimistes, qui attribuent au
soufre l’origine de toutes les couleurs & des teintures qu’on tire des corps ; quoique
cette opinion semble être confirmée par l’esprit de vin, qui est un menstrue
sulfureux, par le moyen duquel on tire toutes ces teintures.

Si on me demande s’il y a du véritable soufre dans les métaux ; je répondrai que je


ne l’assure pas, d’autant qu’il faut tant de préparation pour avoir le soufre
inflammable qu’on tire de quelques-uns, qu’il y a sujet de douter si ce soufre était
réellement dans les métaux avant qu’ils eussent passé par le feu, ou s’il s’y est formé
depuis, d’autant plus que les métaux sont trop serrés, & qu’ils ne donnent ce soufre
qu’après avoir été mêlés avec d’autres corps. Néanmoins comme nous voyons que
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les corps sont inflammables à raison de leur soufre. que l’étain s’enflamme dans la
préparation de l’antihecticum de Potier, Lorsqu’on remue un peu trop fort les
matières, & que l’or fulminant ç la vertu de s’enflammer, de faire effervescence avec
le nitre, & d’exciter un grand bruit, ce qui est le propre du soufre solaire, il y a bien
de l’apparence que les corps métalliques renferment un véritable soufre.

Je ne décide point ici par conséquent, si les teintures qu’on fait des métaux, sont
de véritables extradions de leur soufre, ou des dissolutions simples de quelques-
unes de leurs parties métalliques, quoique je me persuade que ce sont plutôt des
dissolutions.

CHAPITRE II.

Du soufre commun.

Le Chapitre ci-dessus a traité du soufre en général, c’est-à-dire, de celui tant des


végétaux, que des animaux & des minéraux ; celui-ci sera spécialement du soufre
minéral ou commun, qui contient deux substances : la première est grasse,
bitumineuse & inflammable: la seconde est acide & saline, ce qui se démontre par le
moyen du feu : car la partie graisseuse s’y enflamme, & la partie acide sort en forme
de vapeur qui frappe le nez, & resserre la poitrine, & se concentre en une véritable
liqueur spiritueuse par le moyen de la cloche, comme nous verrons ci-après. Ces
deux substances qui composent le soufre, sont confirmées par l’analyse & car la
synthèse, en ce qu’on peut composer un soufre artificiel d’une substance huileuse, &
d’une substance acide, par exemple.

Prenez de l’huile distillée de térébenthine, avec moitié d’esprit de vitriol, distillez le


tout adroitement par une retorte, & vous trouverez au col de celle-ci un soufre
parfaitement inflammable, qui tient sa partie huileuse de l’huile de térébenthine, &
sa partie acide de l’esprit de vitriol. Quant à l’analyse, elle se fait dans la préparation
de l’esprit de soufre par la cloche, car dans cette opération, la partie huileuse du
soufre brûle dans l’écuelle, & la partie acide se ramasse en forme d’esprit, contre les
parois de la cloche.

Le soufre se divise en naturel, & en artificiel : le naturel est rare, il s’en trouve
pourtant dans certaines minières, & on le nomme vulgairement soufre vif, il est
gris & le meilleur pour l’usage de la Médecine, d’autant qu’il est plus simple : le

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soufre artificiel se fait par la fusion de la mine, ou par l’évaporation des eaux
sulfureuses, Hofman parle d’une certaine eau limpide qui dégoûte d’un rocher,
& se change en soufre à l’air en préparant la mine du vitriol, on en tire en même
temps du véritable soufre.

On purifie le soufre avant de s’en servir en Médecine, ce qui se fait de diverses


manières, & spécialement avec la lessive de chaux vive, dans laquelle on fait
bouillir le soufre pour le dépouiller de toutes ses ordures : on le dépure aussi, &
en fort peu de temps, en le faisant cuire avec de l’urine humaine & un peu de
vinaigre. Voici une façon très belle.

Prenez parties égales de cire & de soufre, faîtes fondre le tout ensemble dans un
vaisseau, sans que rien s’enflamme, & versez la liqueur toute bouillante dans de
l’eau pour séparer le pur d’avec l’impur. La sublimation du soufre sert
pareillement à le dépurer, mais nous en parlerons ci-après.

La dépuration du soufre avec la chaux vive, nous montre très bien la génération
des eaux minérales sulfureuses qui s’engendrent des mines de soufre, par le
moyen de l’effervescence, qui rend ces eaux-là chaudes : leur vertu vient toute
du soufre ; l’expérience de Rochas confirme leur génération ; il fit creuser
jusqu’à l’origine d’une fontaine d’eau minérale sulfureuse chaude, où il trouva
une source d’eau froide d’une saveur salée, qui excitait une grande
effervescence dans une minière de soufre, au travers de laquelle elle passait. On
compose à cette imitation des eaux minérales chaudes, avec de l’eau de chaux
vive & du soufre.

Prenez ce qu’il vous plaira de chaux vive & de soufre, mêlez le tout ensemble, &
versez dessus de l’eau commune, laissez bouillir le tout jusqu’à ce que l’eau
commence à rougir ; car c’est une marque que le soufre est dissout.

On peut substituer cette eau aux eaux, chaudes naturelles, & y faire bouillir
quelques aromates ou plantes destinées pour les nerfs qui la rendront encore
meilleure.

J’ai dit que la chaleur de ces eaux venait de l’effervescence, & leur vertu du
soufre, c’est par cette raison Qu’elles conviennent aux maladies chroniques, aux
ulcères externes, aux fistules, aux affections des nerfs, à la paralysie.

Les artincielles y sont bonnes aussi, & dans les érésipèles exulcérés, dans la
gangrène qui menace, dans la galle opiniâtre, dans les dartres, & les autres vices
de la peau, qu’elles guérissent efficacement.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 699

Fleurs de soufre.

La sublimation du soufre, est simple ou composée, la première est la meilleure


de toutes : quelques-uns ajourent du sel décrépité, de l’alun brûlé, de la tête
morte de vitriol, pour empêcher que le soufre ne flue au feu, & qu’il ne donne
moins de fleurs ; à l’égard du colcothar ou tête morte du vitriol, il faut qu’il soit
bien calciné, sans quoi les fleurs de soufre seraient corrosives & chargées de
l’acide corrosif du vitriol, & au lieu d’être le baume des poumons, elles en
seraient le poison. On fait des fleurs de soufre composées avec l’aloès, la
myrrhe, & le benjoin, mais elles se valent rien ; car il n’y a que le soufre
pulvérisé qui monte, le reste se brûle au fond du vaisseau & sent l’empyreume ;
on fait aussi des fleurs de soufre saccarines qui ne valent pas mieux, parce que
le sucre se brûle & rend les fleurs de mauvaise odeur & demeure au fond du
vaisseau, enfin on fait des fleurs de soufre corallées, en mêlant du corail broyé
avec le soufre, & en exposant le tout au feu, on prétend que l’acide du soufre
s’attachant au corail, en enlèvera les parties les plus volatiles, & qu’ainsi les
fleurs de soufre seront corallées & plus efficaces, il est vrai qu’il s’exhale assez
d’acide dans la sublimation du soufre pour dissoudre le corail, mais cependant
rien du corail ne se sublime ainsi, cette opération est inutile.

A l’égard de l’usage des fleurs de soufre, chacun, sait que le soufre est un bon
pectoral, & que les Chimistes l’appellent le baume des poumons, ce qui se doit
entendre de la partie graisseuse du soufre ; car la partie acide est très contraire à
la poitrine ; comme celle-ci se sépare difficilement de l’autre, on se sert de
plusieurs infusions dans diverses sortes d’huiles pour faire les baumes de
soufre ; on prépare par ce moyen le baume de soufre térébenthine : toutes les
corruptions des poumons, les abcès & les ulcères, se guérissent par la vertu
balsamique du soufre, ainsi que ceux des reins & des autres parties. Il n’y a rien
de meilleur pour les ulcères malins, surtout des mamelles, dans les cathares
pour corriger l’acidité & l’acrimonie de la lymphe & dans la toux qui en
dépend. Les fleurs de soufre préparées avec la myrrhe & le benjoin y sont
surtout recommandées, à cause que ce dernier égale presque le soufre en bonté.
Le soufre est d’une efficacité éprouvée contre la colique causée par l’acide ; j’en
donnai un jour demi dragme à un Gentilhomme qui en était affligé, & il fut
guéri d’abord.

Quant à l’usage externe, le soufre sert à mondifier & à guérir toutes sortes de plaies
& ulcères malins : il est admirable contre la peste, & recommandé par Hippocrate
même ; ainsi les fleurs de soufre sont la base de tous les remèdes anti-pestilentiels,
elles conviennent aux maladies des femmes pour pousser les mois & faire sortir tant

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 700

le fétus que l’arriére-faix. Le soufre est l’unique remède de la galle, on peut


employer le baume de soufre, sans craindre qu’elle rentre, pourvu qu’on l’anime par
quelque alcali, nommément avec l’huile de tartre en forme d’onguent, on ne
manquera jamais de réussir, quand même la galle serait dégénérée en lèpre par la
corruption des sels. Pour plus de sûreté, en doit donner les vipères & l’antimoine
intérieurement pendant qu’on applique le soufre au-dehors.

Le soufre se dissout par des alcalis fixes, & par des huiles distillées ; le soufre
dissout par les alcalis donne le lait de soufre de la manière qui suit. On dissout
le foutre dans une lessive de chaux vive ou du sel de tartre, & quand la
dissolution est devenue rouge, on verse du vinaigre distillé, il se fait du lait qui
étant lavé dans de l’eau se précipite en forme de poudre blanche, qu’on croit
bonne dans plusieurs maladies de la poitrine, mais elle ne vaut rien car ce
magistère ou lait de soufre, n’est rien qu’une chaux inutile, par la raison que la
nature du soufre a été détruite par h jonction des sels, & le soufre s’étant uni en
partie avec l’alcali, & en partie avec l’acide, il s’est fait un nouveau corps fixe de
nulle valeur; en effet une once de fleurs de soufre opérera mieux qu’une once
entière de ce lait. D’autres imbibent le lait de soufre avec l’esprit de sel dont ils
font une bouillie par une retorte, & en tirent un lait de soufre utile dans
l’hydropisie & dans la peste.

Baume de soufre.

Lorsqu’on dissout le soufre dans les huiles distillées, on nomme cette


dissolution le baume de soufre, on se sert ordinairement d’huile d’anis pour la
poitrine, & d’huile d’ambre, pour la passion céphalique & hystérique.

Baume de soufre de Ruland.

Pour avoir un baume de soufre composé, on ajoute au soufre de la myrrhe & du


benjoin, puis on procède comme dans le baume simple, avec quelque huile
distillées. Quelques-uns prennent au lieu du soufre commun, le soufre doré
d’antimoine, qui je crois, se dissout mieux par les huiles distillées, & a plus
d’efficacité. Ruland prépare son baume de soufre externe avec l’huile de navette ou
de lin. On ajoute quelquefois du camphre à ces baumes pour les rendre plus
pénétrants & plus appropriés aux affections malignes.

Teinture de soufre.

En distillant le baume de soufre, le menstrue monte, & il demeure au fond certain


coagulum, dont on tire par le moyen de l’esprit de vin bien rectifié, une très belle
teinture de soufre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 701

L’usage du baume de soufre sert dans les ulcères & les corruptions des ulcères &
principalement des poumons ; on s’en sert fiévreusement dans la phtisie ; mais il
faut de la circonspection, qui consiste à ne donner jamais ce baume seul ou trop sou-
vent, mais en y ajoutant du baume du Pérou & du sucre de Saturne, dont on fait des
trochisques utiles dans la toux, & dans les autres affections invétérées. Si on donne
du baume de soufre avec le laudanum, sur le soir, il fera merveille dans la toux
invétérée, & spécialement dans la dysenterie maligne. Les malades s’en préservaient
ou s’en guérissaient presque tous avec le baume de soufre, dans celle qui régnait il y
a quelque temps en Allemagne ; ce qui n’est pas surprenant, puisque le baume de
soufre, & le sucre de Saturne remédient promptement & sûrement aux ulcères des
intestins.

Il est bon extérieurement pour l’usage de la Chirurgie, dans les plaies & les
ulcères, dans les tumeurs, pour mondifier & mûrir les charbons, & pour
empêcher qu’ils ne dégénèrent en ulcères malins. Les ulcères dangereux des
mamelles, se guérissent parfaitement par le baume de soufre. Mêlez avec l’huile
de momordica, & il n’est point de remède pareil. Le baume de soufre seul guérit
les panaris, suivant Ruland, & avec parties égales du baume du Pérou, il guérit
les plaies récentes & nouvelles, & les empêche de devenir ulcères.

Esprit de soufre.

La seconde substance, ou la partie acide du soufre, se nomme vulgairement


esprit de soufre, qu’il est presque impossible de séparer de la partie graisseuse,
si ce n’est par le moyen de la flamme. Voici comme on s’y prend : on met le feu
à ce qu’on veut de soufre, & on place un peu au-dessus de la une terrine large
renversée qu’on appelle cloche pour arrêter les vapeurs à mesure qu’elles
montent : celles-ci le ramassent en forme de goûtes contre les parois de la
cloche, d’où elles tombent dans un vaisseau de verre placé au-dessous, & sont
l’esprit acide de soufre : mais on en tire si peu, qu’à peine une livre de soufre,
donne une dragme d’esprit, le reste se perd, c’est-à-dire, le gaz incoercible de
Van Helmont, il faut avoir soin durant la distillation, d’humecter la cloche avec
un peu d’eau, pour faciliter la coagulation des vapeurs acides ; il est vrai que
l’esprit en est plus phlegmatique, mais on le peut rectifier.

On doit choisir un temps humide pour cette distillation, afin d’avoir plus de cet
esprit. C’est l’acide universel de tous les minéraux, & il a beaucoup d’affinité
avec le sel central de la terre, dont il approche le plus. Cet esprit de soufre avec
une terre pierreuse forme l’alun : avec la mine de fer, il forme le vitriol de mars,
& il prend diverses modifications suivant les différents sujets auxquels il se
joint. Il a les mêmes vertus que l’esprit de vitriol, sans être chargé d’aucunes
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 702

particules métalliques comme lui. L’esprit de soufre détrempé d’eau & mis à la
cave, donne des cristaux d’une saveur salée, à ce que dit Billichius.

La fumée du soufre préserve le vin de toute sorte de corruption, & par le moyen de
la même fumée, les Chimistes empêchent les sucs végétaux de se corrompre, Van
Helmont va plus loin, & il recommande de soufrer les boissons dans la toux & dans
les maux de poitrine, sans dire comment cela se fait. Suivant sa coutume de faire un
mystère de tout. Voici pourtant comme on s’y prend.

Prenez une bouteille demi-pleine de boisson, & quelques allumettes que vous
tiendrez allumées dedans, jusqu’à ce que la bouteille soit remplie de fumée, alors,
vous la boucherez & la remuerez pour unir la liqueur sulfureuse avec la liqueur ;
après quoi la vapeur disparaît, & la boisson ne sent rien. La boisson soufrée est
admirable dans les maladies malignes, & elle fut d’un grand secours dans la peste
de Londres, ou il mourait plus de neuf cent personnes par jour.

Après le soufre commun, il n’y a point dans toute la famille minérale, de corps plus
sulfureux que l’antimoine, c’est pourquoi nous allons l’examiner.

CHAPITRE III.
De l’antimoine & de ses préparations.

L’ANTIMOINE est un sujet minéral qui approche de la nature des métaux, & comme
eux il est composé de beaucoup de soufre minéral, de beaucoup de mercure
métallique, & enfin d’une substance saline, terrestre, alcaline ; telles sont les trois
substances qui composent l’antimoine, & qu’il faut démontrer. La substance
sulfureuse de l’antimoine a de infinité avec le soufre commun ; mais elle est mieux
digérée & plus fixe, en quoi on croit qu’elle approche du soufre de l’or, d’autant plus
qu’on remarque que l’or dépouillé de son éclat & de sa couleur, les recouvre
lorsqu’on le fond avec l’antimoine. Mais ce fait ne prouve pas qu’il y ait dans
l’antimoine, un soufre de la nature de l’or, car il se peut faire que l’or ait perdu sa
couleur par diverses matières hétérogènes qui cachent son éclat pour un temps, &
qu’étant fondu avec l’antimoine, celui-ci absorbe ces matières étrangères, & par ce
moyen, redonne à l’or sa véritable couleur. Il faut pourtant avouer de bonne foi que
le soufre de l’antimoine, est beaucoup plus noble que le soufre commun, & par
conséquent plus approchant du soufre de l’or ; c’est à quoi on attribue la vertu
corroborative, céphalique, anti-épileptique & alexipharmaque, que possède
l’antimoine.

Mais enfin, ce soufre de l’antimoine, comment se démontre-t-il ? Par toutes les


préparations de ce minéral, par son inflammabilité, par son odeur sulfureuse, par

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 703

ses vapeurs acides, par détonation avec le nitre & le tartre, par teinture qu’on tire
avec des alcalis qui attirent promptement les soufres des minéraux ; par l’odeur
sulfureuse du beurre d’antimoine, qui est composé de mercure sublimé & d’anti-
moine, parce qu’on fait un véritable cinabre avec l’antimoine vulgaire, & le soufre
d’antimoine. Enfin parce qu’on tire de l’antimoine beaucoup de soufre semblable en
tout au soufre commun, excepté qu’il n’est pas si jaune, & qu’il tire un peu sur le
vert.

Il y a deux méthodes pour tirer le soufre minéral de l’antimoine : la première est la


distillation ; on pulvérise l’antimoine, & on le met quelque temps en digestion avec
de l’esprit de vitriol, après quoi on distille le tout à un feu violent, & sur la fin de la
distillation, le soufre s’élève & s’attache au col de la retorte. La seconde méthode est
la dissolution, on dissout l’antimoine dans l’eau régale, composée d’esprit de nitre,
dans lequel on a dissout du sel commun, & on verse sur la dissolution de
l’antimoine de l’eau commune, qui précipite un véritable soufre tirant sur le vert. Il
n’est pas nécessaire pour confirmer l’existence du soufre de l’antimoine, de dire que
par le moyen des huiles distillées, & par expression, on prépare avec l’antimoine
comme le soufre commun, un baume de soufre beaucoup plus précieux que le
vulgaire.

La seconde substance de l’antimoine ; est le mercure métallique, lequel participe de


la nature du Saturne. C’est la substance qui se sépare du soufre, dans la préparation
du régule d’antimoine, & qui se coagule pour former ce régule. Basile Valentin dit,
que ce régule se peut changer en véritable Saturne ou plomb, cet Auteur appelle
l’antimoine hermaphrodite, parce qu’il a deux natures, celle de métal à cause de sa
partie de Saturne, & celle de minéral à cause de son soufre, & des autres sels
surplus. Quelques-uns appellent l’antimoine un Soleil lépreux, Sol leprosus, à cause
de son soufre, approchant du soufre solaire, sans avoir une véritable fixation ; on
l’appelle Loup, Lupus, à cause qu’à l’exemple de cet animal vorace, il dévore tous les
métaux excepté l’or. Enfin le soufre d’antimoine absorbe tous les autres ; métaux
sans toucher à l’or, soit parce que celui-ci est trop compacte, soit parce que le soufre
solaire & le soufre d’antimoine, ont quelque rapport entre eux ; le soufre
d’antimoine est encore plus absorbant que le plomb : car celui-ci absorbe tous les
métaux, excepté l’or & l’argent, mais le soufre d’antimoine n’épargne que l’or qui
reste seul au fond de la coupelle. Enfin l’antimoine est nommé Prothée, à cause des
divers changements qui lui arrivent, & les Chimistes assurent que toutes les cou-
leurs & toutes les saveurs sont dans l’antimoine, témoins ses fleurs qui sont tantôt
blanches, tantôt jaunes, tantôt rouges, & les verres d’antimoines qu’on fait de
diverses couleurs.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 704

On choisit pour l’usage de la Médecine, l’antimoine qui se trouve dans les mines
d’or, parce qu’il est le plus parfait, qu’il est rempli d’un soufre qui approche du
soufre solaire, ainsi l’antimoine de Hongrie est le meilleur, à cause de la quantité
des mines d’or qui sont en ce Royaume-là.

Les marques de sa bonté sont des raies blanches, parsemées de point rouges, ceux-ci
marquent l’abondance du soufre, & celles-là le mercure & le régule.

Quant à, l’usage, l’antimoine cru pris intérieurement, n’a aucune faculté vomitive ni
purgative. Quelques modernes recommandent l’antimoine cru, jusqu’à trois grains,
avec d’autres précipitants appropriés, pour l’épilepsie. Quelques-uns, comme
Borellus & Zwelpher, ajoutent un nouet d’antimoine aux décoctions sudorifiques
pour la vérole ; l’antimoine cru donné quelquefois au bétail, avec la nourriture
ordinaire, purifie leur sang ; on en peut donner demi-dragme aux Cochons ladres, ce
que Basile Valentin avait déjà vu réussir de son temps. Le Journal des Savants de
France remarque que l’antimoine cru est bon pour engraisser les Chevaux & les
Cochons.

Les préparations de l’antimoine sont fort différentes ; la première est la calcination,


qui se fait simplement en faisant calciner de l’antimoine pulvérisé, dans un creuset
placé sur des charbons ardents, jusqu’à ce que le soufre soit évaporé, & que
l’antimoine reste au fond du creuset, en forme de poudre grise. Pour marque que le
soufre s’exhale dans cette opération, c’est parce qu’il s’arrête beaucoup de fleurs
d’antimoine dans la cheminée, où l’on doit faire cette calcination, pour éviter la
malignité des vapeurs. Il faut toujours remuer l’antimoine qui est dans le creuset
avec une spatule de fer, pour empêcher qu’il ne se fonde : car alors il ne se
calcinerait plus : mais quand il est une fois réduit en poudre, on peut y en ajouter de
cru, sans craindre qu’il se fonde.

Il y a une autre calcination de l’antimoine qu’on fait aux rayons du soleil, par le
moyen du miroir ardent, & tous les Chimistes demeurent d’accord, que
l’antimoine est plus pesant après cette calcination, qu’après la calcination
commune, l’antimoine calciné au soleil, est un vomitif très doux, & un
diaphorétique assuré que Bartholin appelle Besoard, d’une vertu merveilleuse.

Dans toutes ces calcinations, il faut éviter soigneusement la fumée de


l’antimoine, qui est corrosive & chargée de particules arsenicales ; pour éviter
tout inconvénient, avant de travailler à cette opération, on mangera du pain
avec du beurre, afin que la graisse de celui-ci, tempère la vertu corrosive de la
fumée ; & durant l’opération même, on mâchera de la racine de zédoaire pour
en corriger la malignité.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 705

Le verre d’antimoine.

Pour faire le verre d’antimoine, on fait fondre l’antimoine calciné dans un creuset,
puis on jette la matière sur un marbre bien échauffé, où elle se congèle en forme
d’un beau verre de couleur de pourpre.

Il est important dans cette préparation de bien prendre la quantité & la qualité du
temps. La première consiste en ce que l’antimoine soit suffisamment fondu, ce qui
se connaîtra en introduisant dans la matière le bout d’une verge de fer, car si celle-là
ne fume plus, elle est assez fondue. La qualité du temps consiste à choisir pour cette
opération, un jour clair & bien serein, & je verre en sera plus beau & plus
transparent, ce qui se doit observer non seulement ici, mais dans les autres pré-
parations de l’antimoine, comme sa sublimation & le régule.

Si on calcine l’antimoine avec le quadruple de borax de Venise, le verre sera de


couleur jaune. Si on presse le feu, il deviendra blanc ; que si on calcine l’antimoine
avec huit fois autant de borax, le verre sera, de couleur verte.

Le verre d’antimoine ne se doit jamais donner en substance, c’est un vomitif trop


violent, & deux ou trois grains sont capables de causer une superpurgation mortelle ;
on le donne en infusion & plus corrigé que cru : & la vertu de l’infusion se mesure
plutôt par la dose de la liqueur, que par la dose du minéral. On corrige donc le verre
d’antimoine avant de le mettre infuser, & on se sert pour cette correction, de quelque
acide, on prend du verre d’antimoine pulvérisé, on l’imbibe plusieurs fois de
vinaigre distillé, d’esprit de nitre, ou d’esprit de sel, & par ce moyen on en fait un
purgatif ou un vomitif assez : doux. On versera, par exemple, sur deux ou trois onces
de verre d’antimoine pulvérisé de l’esprit de sel, qui surpasse la matière d’un doigt,
& par le moyen du feu, on en tire une liqueur grossière qui n’est rien autre que le
beurre d’antimoine, laquelle étant dissoute dans l’eau, fournit une poudre qu’on
peut donner sûrement jusqu’à trois ou quatre grains.

La meilleure correction est de mêler le verre d’antimoine pulvérisé dans du vinaigre


de vin, & d’en tirer une teinture rouge, qui étant versée par inclinaison laisse la
poudre du verre d’antimoine au fond, on verse sur cette poudre de l’esprit de vin, on
met le tout en digestion durant quelques jours, puis on allume l’esprit de vin qui
brûle sur la matière qu’on réduit ensuite en régule, ou en forme de verre par le
moyen du feu ; de cette façon, le verre d’antimoine conserve une vertu vomitive
assez douce. Ses infusions dans du vin sont bonnes pour faire vomir, surtout dans
les maladies chroniques ; elles se font de diverses manières. Ruland a mis en crédit
certain Gobelet de bois de genévrier qu’on enduit de poix pétrie avec de la poudre
de verre d’antimoine, & les liqueurs spiritueuses qu’on verse chaudement dedans,

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 706

reçoivent la vertu de l’antimoine & deviennent vomitives. On compose aussi un


anneau vomitif, en y enchâssant quelques morceaux de régule d’antimoine ; on le
met infuser dans du vin, ou dans quelque autre liqueur, à laquelle il communique la
vertu de faire vomir, & il sert cent fois sans rien perdre de sa vertu. Si on prend bien
son temps pour administrer ce remède, il aura des effets merveilleux ; car
l’antimoine purge heureusement ce que les purgatifs végétaux n’ont su purger ; &
Van Helmont est trop sévère lorsqu’il dit, qu’un homme d’honneur ne doit pas se
servir d’antimoine, à cause qu’il fait vomir, puisque la nécessité de vomir est
indispensable en certains cas.

Chacun sait la difficulté qu’il y a pour déterminer l’antimoine à ne purger que


par en bas ; on y a perdu & on y perdra toujours sa peine ; la raison en est que la
vertu purgative de l’antimoine consiste en ce que son soufre ne soit pas trop
volatil, & qu’en le fixant il devient diaphorétique : ainsi le milieu est difficile à
trouver.

Foie d’antimoine. Safran des Métaux, Crocus metallorum. Crocus


d’antimoine.

Pour mieux calciner l’antimoine, on y ajoute parties égales de nitre & de tartre, on
met le tour dans un creuset, & on y met le feu avec un charbon, il se fait une grande
détonation & une masse tirant sur le rouge, à laquelle on a donné le nom de foie
d’antimoine ; dans cette détonation, le foutre de l’antimoine s’enflamme avec le
nitre, & en se fixant l’un l’autre, ils forment un alcali. La matière est rouge à cause du
soufre de l’antimoine ; si on dissout ce foie d’antimoine dans de l’eau commune, il
se précipitera au fond, une poudre d’un jaune obscur, qu’on appelle ordinairement
le safran des métaux, ou Crocus metallorum, safran à cause de sa couleur, & des
métaux à cause de l’antimoine, qui est considéré comme le père de tous les métaux.
Lorsque ce Crocus d’antimoine se fait avec partie égale d’antimoine & de nitre
seulement, c’est le véritable Crocus metallorum de Ruland, il n’est pas sans quelque
malignité, mais il opère plus doucement que le verre d’antimoine, & même avec
plus de promptitude & d’effet. Néanmoins la meilleure composition est celle, où
l’on met parties égales d’antimoine, de nitre & de tartre, parce que ce dernier fixe la
vertu purgative de l’antimoine, quelques-uns se servent de sel d’absinthe au lieu de
tartre, ou de nitre, comme a fait Minsicth, mais sans raison. Bartholet au Traité de la
respiration, fait mention d’un certain safran ou Crocus d’antimoine, tiré par la subli-
mation, lequel sent le musc, & qui étant radicalement dissout avec l’esprit de vin &
avalé jusqu’à un scrupule, devient un excellent purgatif par en bas, sans causer
aucun vomissement ; au reste, qu’on ne soit point surpris de l’odeur du musc que
Bartholet donne à son Crocus d’antimoine, car Finckius dans son Enchiridion

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 707

Chymicum fait des fleurs d’antimoine, qui ont une semblable odeur.

Quoique le crocus métallorum agisse assez doucement en infusion, on ne laisse


pourtant pas de le corriger. La meilleure manière est celle de Locatel, qui verse de
l’esprit de vin sur le crocus, il laisse le tout en digestion durant quelque temps, puis
il met le feu à l’esprit de vin. La bonté de cette correction consiste en ce que les
parties les plus volatiles du crocus se dissipent insensiblement & s’évaporent avec
l’esprit de vin, ainsi il ne reste que les plus fixes. Le verre d’antimoine & le safran
des métaux sont la base de toutes les infusions vomitives tant d’oxymel que d’autres
liqueurs. Sur quoi il ne faut pas comme dit, Valleus, & comme je l’ai déjà dit,
s’attacher à la dose du remède qu’on infuse, mais à la dose de la liqueur ; d’autant
que la vertu de l’antimoine est inépuisable, Les sirops vomitifs de Tilleman & de
Silvius, se préparent de la manière qui suit.

Sirop vomitif.

Prenez du suc de coins, ou du moût, mettez-y infuser du verre d’antimoine ; filtrez le


tout & le laissez évaporer jusqu’à la consistance de miel, la dose est de quelques
grains.

Les infusions d’antimoine font très salutaires dans les maux des yeux. On met
infuser, par exemple, du verre ou du crocus d’antimoine dans quelque eau
ophtalmique, comme de cyanus, de cicorée, ou d’euphraise ; il y en a qui préfèrent la
tête morte de beurre d’antimoine pour infuser dans les mêmes eaux.

Régule d’antimoine.

Le régule d’antimoine que Basile Valentin regarde comme quelque chose de


miraculeux, n’est point autre chose que la plus noble partie de l’antimoine, & la plus
métallique, ou même le mercure de l’antimoine concentré & rassemblé, qui n’a
retenu qu’autant qu’il faut de son soufre pour faire corps. Ce régule est de la nature
du plomb, ou un plomb imparfait, que Basile Valentin, comme j’ai déjà dit, réduit
en véritable plomb, par le moyen du sel de Saturne.

La préparation du régule consiste à séparer par le moyen des alcalis, le soufre


superflus de l’antimoine, & à donner les moyens à la partie métallique mercurielle
de se réunir en un corps. Voici comme la chose se passe ; les alcalis qui ont une
convenance radicale avec les soufres, se rassasient & remplissent du soufre de
l’antimoine, & celui-ci quittant le mercure lui donne lieu de tomber au fond, où il se
réunit & forme le régule. C’est ainsi que l’on procède.

Prenez parties égales d’antimoine, de nitre & de tartre, faites détonner le tout dans

707
NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 708

un creuset, & vous trouverez le régule au fond.

La détonation qui arrive ici, est la même que celle de la poudre à Canon ; car comme
il y a dans la dernière du nitre & du soufre avec l’alcali des charbons ; de même il y a
dans la première, le soufre de l’antimoine, du nitre, & l’alcali du sel de tartre. Ce
sont ces trois choses qui excitent la détonation, pendant laquelle le nitre & le tartre
se brûlent, & composent un alcali âcre qui absorbe le soufre de l’antimoine, dont le
régule se trouve dépouillé & tombe au fond du creuset ; les scories qui se trouvent
au-dessus, sont les alcalis teints & remplis du soufre de l’antimoine.

Il y en a qui ne demandent pas tant de façon, & qui se contentent de calciner


l’antimoine avec le sel de tartre seul, ou quelque autre sel alcali, qui corrodent assez
l’antimoine pour en séparer le soufre. Mais comme ces sels sont trop corrosifs, &
qu’ils imbibent beaucoup de soufre, il est à craindre dans la préparation du régule,
qu’ils n’absorbent non seulement tout le soufre superflu, mais encore celui du
régule même, à moins qu’on y ajoute de la poudre de charbon, ce que plusieurs font,
pour empêcher, ces sels de prendre trop de soufre, & pour avoir un régule plus
abondant & plus efficace, par exemple.

Prenez. trois livres d’antimoine, une livre & demi de sel de tartre, quatre onces &
demie de poudre de charbon, brûlez le tout suivant l’art, & vous aurez un régule
bien pesant & en assez grande quantité, mais beaucoup plus impur que celui qu’on
prépare suivant la méthode ordinaire.

De ce que les alcalis absorbent le soufre des charbons, on peut fort bien tirer de
ceux-ci un soufre inflammable, de la manière qui suit.

Prenez des charbons concassés que vous ferez fondre avec du tel de tartre, &
dissoudre ensuite dans de l’eau commune. Versez sur cette dissolution du vinaigre
distillé, & le soufre que l’alcali avait absorbé tombera au fond. Ce soufre de charbon
est tantôt plus, tantôt moins inflammable ; & dépend du plus ou du moins de force
du vinaigre : car si on se sert d’un vinaigre trop âcre, il fixera trop la volatilité du
soufre, & lui ôtera de son inflammabilité : au contraire si le vinaigre est peu âcre, le
soufre conservera plus de son inflammabilité.

Zwelpher prépare un régule d’antimoine avec le charbon, de la manière suivante : il


prend de l’antimoine avec une quantité suffisante de charbon, il met le tout en
poudre, & le fait fondre dans un creuset ; l’alcali du charbon corrode l’antimoine, lui
ôte son soufre & l’imbibe ; après quoi le régule reste au fond, on remêle les scories
avec d’autre charbon, & en procédant comme la première fois, on en tire encore du
régule. Mais comme l’alcali du charbon est en quelque façon rassasié de son propre

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 709

soufre, il n’absorbe pas promptement ni beaucoup de soufre d’antimoine ; ce qui fait


que le régule est en plus grande quantité & moins dépuré que le régule ordinaire ;
quelques-uns préparent le régule d’antimoine avec la poix ou la colophone, en
mettant parties égales de poix ou de colophone, & d’antimoine, ou bien suivant
quelques-uns, trois parties d’antimoine, & deux de colophone, fondre dans un
creuset. On a par ce moyen un beau régule & en bonne quantité ; la raison en est,
que dans les préparations communes du régule d’antimoine, la partie la plus volatile
du soufre, consomme & emporte beaucoup de la partie mercurielle, ce qui fait qu’il
se trouve peu de régule ; au lieu que dans cette dernière préparation, la graisse de la
colophane imbibe le soufre de l’antimoine à cause de leur affinité, ainsi toute la
partie métallique se change en régule. Au reste l’antimoine seul bien calciné &
séparé de son soufre, se forme en régule par la force du feu, sans l’addition d’aucune
autre chose ; mais la question est de savoir bien calciner ce minéral. Tous les régules
ci-dessus sont simples, passons aux composés.

Les régules composés, sont ceux où il entre d’autres métaux, par exemple, le
Mars, le Jupiter, le Soleil : & chaque préparation a ses remarques particulières,
par exemple, dans la préparation du régule avec le Mars.

Il est à observer que l’antimoine & l’acier ont de la peine à se bien fondre
ensemble, d’autant que l’antimoine se fond facilement, au lieu que l’acier ne se
fond qu’avec peine, & qu’il demeure longtemps rouge avant de se fondre au
feu, or pour bien faire, il faut mettre dans le creuset une livre, ou du moins huit
onces de limailles de fer, ou de clous, & les faire rougir jusqu’au dernier degré,
& alors on ajoutera seize ou dix-huit onces, ou suivant quelques-uns, douze
onces seulement d’antimoine pulvérisé. Tous les deux se fondront par ce moyen
en même temps, & se réuniront en une masse à force de feu, par la raison que le
soufre de Mars a radicalement de l’affinité avec celui de l’antimoine. On
continuera le feu pour faire fondre cette masse, & quand elle sera fondue, on y
jettera de la poudre de nitre échauffée, jusqu’à quatre ou cinq onces, à plusieurs
reprises & quand les détonations seront finies le régule sera fondu, jetez-le
promptement dans un culot, sans quoi les scories formeraient une croûte qui
empêcherait la matière de couler, comme ce régule n’est pas bien dépuré, on le
refond deux ou trois fois avec la même quantité de nitre pour le purifier & le
polir.

Pour faire le régule avec le Jupiter ou l’étain, ou ajoute une quantité suffisante
de Jupiter, & on le fond avec l’antimoine en une masse presque argentée.

Pour faire le régule avec le Soleil ou l’or, on met foudre six fois autant
d’antimoine sur le simple d’or, & le régule se trouve au fond.
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 710

Soufre doré d’antimoine.

Les scories qui se trouvent à la superficie du creuset dans les préparations du


régule, sont des alcalis qui ont absorbé le soufre d’antimoine, & pour en séparer
ce soufre, il ne faut que dissoudre les scories dans de l’eau, puis verser quelque
acide & spécialement du vinaigre sur cette dissolution. Mais il faut observer que
la première fois le soufre qui se précipite, est de couleur obscur, qu’il purge en
bas & n’est point inflammable, & que la seconde fois & les autres suivantes, il se
précipite un soufre fixe qui devient un excellent diaphorétique en le faisant
brûler avec de l’esprit de vin. C’est ce qu’on appelle le soufre doré d’antimoine,
si on verse sur la même dissolution de l’esprit de vitriol en place de vinaigre, on
excitera une puanteur horrible, mais on en aura un soufre plus diaphorétique,
parla raison que les acides arrêtent la vertu purgative de l’antimoine.

La dissolution ou lessive des scories du régule d’antimoine, est très salutaire


dans l’obstruction des mois, il faut en recevoir la fumée dans les parties
génitales, elle est admirable pour les lotions des ulcères malins dont elle
mondifie & déterge toutes les ordures, & les Chirurgiens doivent toujours en
avoir : elle est même très efficace, lorsque la gangrène commence, & si la partie
est totalement gangrenée, on croit qu’en la mettant deux ou trois fois dans cette
lessive, il sort de la partie certaine matière grossière, après quoi elle recouvre sa
santé. Elle guérit aussi la galle qui dépend d’un acide ; mais il ne faut pas y
mêler rien d’acide, car elle imprimerait sur la peau certaines taches blanches,
qui seraient longtemps à s’en aller : enfin cette lessive est bonne pour les
clystères, pour ramollir & purger les excréments endurcis.

Antimoine diaphorétique.

La préparation de l’antimoine diaphorétique, est la même que celle du safran


des métaux, car il ne s’agit que de fondre l’antimoine avec le nitre pour le fixer.
Toute la différence qu’il y a c’est qu’on prend dans la préparation du safran des
métaux, parties égales d’antimoine & de nitre, & dans la préparation de
l’antimoine diaphorétique, on prend trois parties de nitre & une d’antimoine
pour fixer celui-ci, lui ôter sa venu purgative, & le rendre diaphorétique. La
masse ayant été fondue suivant l’art, on la dissout dans de l’eau, à laquelle le
nitre se mêle pendant que l’antimoine prend le fond en forme de poudre grise.
Cet antimoine diaphorétique étant gardée six mois, redevient émétique, parce
que l’air lui fournit pendant ce temps-là un nouveau soufre volatil.

Pour empêcher cet inconvénient, on doit se servir dans cette préparation du


régule, plutôt que de l’antimoine cru, ainsi l’air ne pourra pas altérer si

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 711

facilement l’antimoine diaphorétique, ni le rendre vomitif. En second lieu on


doit laver exactement dans l’eau chaude, l’antimoine diaphorétique
nouvellement préparé, afin d’en détacher tout le nitre, la lotion faite, on le met
digérer quelque temps avec l’esprit de vin, puis on y met le feu, & par ce moyen
on a un très bon remède.

Céruse d’antimoine.

L’antimoine diphtérique préparé avec le régule se nomme céruse d’antimoine,


qui excite non seulement la transpiration, mais même la salivation comme le
mercure.

Durant la calcination de l’antimoine avec le triple de nitre, celui-ci se brûle &


donne son esprit : c’est pourquoi si on prépare l’antimoine diaphorétique dans
une retorte à long col bien échauffée, en y jetant les ingrédients, cuillerées à
cuillerées, l’antimoine se calcinera & se fixera, & l’esprit de nitre ira dans le
récipient où il emportera quelque partie du soufre d’antimoine, & cet esprit sera
une espèce de clyssus. La masse qui reste au fond de la retorte sera dissoute &
lavée comme celle ci-dessus, puis on la gardera pour l’usage.

Nitre antimonié.

On tire encore de cette dissolution, un nitre qu’on appelle nitre antimonié, dont
la plus grande partie se forme en cristaux, & la plus grossière reste au fond.
Celle-ci est un alcali qui est beaucoup plus en usage dans l’alchimie que dans la
Médecine.

Pour l’antimoine diaphorétique, il est d’une grande utilité. La dose est depuis
six grains jusqu’à un scrupule : il est meilleur dans les maladies malignes, &
pétéchiales, & dans les fièvres intermittences, que le spécifique fébrifuge de
Strobelberger, ou de Rivière, surtout si on le mêle avec le sel ammoniac, comme
il détruit l’acide il convient à la pleurésie, aux érésipèles, aux affections qui
dépendent du sang grumelé, aux chaleurs d’estomac & aux rots, il n’est pas à
mépriser dans la galle & dans les maladies vénériennes, le nitre antimonié est
fort salutaire dans les fièvres ardentes, tant bénignes que malignes, la dose est
d’un scrupule, mais ordinairement on en met une dragme ou deux sur une
mesure de bière ou de quelque autre boisson.

Magistère d’antimoine.

En versant du vinaigre sur la lessive, dans laquelle on a dissout la masse


d’antimoine diaphorétique, il se précipice une poudre qu’on appelle le

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 712

magistère d’antimoine, qui opère plus en demi-dose, que l’antimoine


diaphorétique en dose entière.

Antihecticum de Potier.

Du régule simple d’antimoine & des autres métaux, on tait diverses


compositions. Par exemple, du régule avec l’étain, on forme l’antihecticum de
Potier.

En voici la formule corrigée, car celle de l’Auteur ne vaut rien.

Prenez quatre parties de régule d’antimoine, & cinq parties de Jupiter ou étain,
faites fondre le tout dans un creuset, puis jetez-y peu à peu le triple de nitre, il
se fera une détonation durant une heure entière pour séparer tout le soufre
inflammable & le rendre blanc, ordinairement il est bleu, mais cette couleur
n’est pas bonne ; car c’est une marque que le soufre de Jupiter n’est pas encore
fixé. On peut néanmoins le séparer facilement en continuant le feu. Ce remède
est très salutaire pour la fièvre étique, pour les maladies de la matrice, le
pourpre, les fièvres ardentes & les fièvres malignes ; on compose quelquefois
l’antihecticum avec le Mars, par exemple.

Prenez parties égales de limaille d’acier & de régule d’antimoine, faites fondre
le tout avec le triple de nitre, & calciner durant une heure ; enfin dissolvez la
masse dans de l’eau commune, & la poudre de l’antihecticum prendra le fond.
Ce remède est bon pour la jaunisse, pour la Cakexie des filles & pour la Galle. Si
on mêle la crème de ce remède avec partie égale de Mercure sublimé, on aura
une liqueur semblable au beurre d’antimoine. Si on dissout là tête morte dans
de l’eau commune, celle-ci deviendra verte & aigrelette, & tiendra lieu d’eau
acide minérale artificielle, puisqu’elle est composée de l’antimoine & du Mars
corrodés par l’esprit de sel, l’acidité vient de celui-ci, & la verdeur, du Mars.
Tous ces remèdes sont excellents, pris de l’avis du Médecin.

Fleurs d’antimoine.

On sublime l’antimoine, ou seul, ou avec le sel ammoniac dans une cucurbite,


avec plusieurs alambics placés les uns sur les autres en forme d’aludels, ou avec
une retorte à long col. Tout l’artifice consiste à bien ménager le feu, car s’il est
trop faible, les fleurs ne se sublimeront point, & s’il est trop fort, la masse se
tondra sans donner des fleurs. Pour bien faire, il faut prendre une cucurbite à
long col, & y mettre l’antimoine pulvérisé avec le triple de sable, par ce moyen
il se sublimera des fleurs, celles qui s’attacheront au haut de l’alambic, seront
blanches, celles du milieu seront jaunes, & celles d’en bas seront rouges. Les

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 713

premières sont fort malignes, & les dernières sont les meilleures ; parce qu’elles
sont les plus fixes. Toutes ces fleurs sont les parties volatiles de l’antimoine,
ainsi il n’est pas sûr de s’en servir, particulièrement des blanches, à moins qu’on
ne les corrige par des acides qui font les correctifs de tous les sels volatils.

Teinture sèche d’antimoine. Lilium antimonii.

Les fleurs d’antimoine sont composées de la partie sulfureuse de l’antimoine,


qui a enlevé avec soi la partie mercurielle, & a laissé la partie alcaline au fond ;
partant on peut redonner leur premier corps d’antimoine avec le sel de tartre,
ou quelque autre alcali fixe, les fleurs rouges d’antimoines sublimées avec le sel
ammoniac, sont admirables dans la Cakexie, & les autres indispositions
semblables, on les nomme vulgairement la teinture sèche d’antimoine. Le
Docteur Gantzland s’en servait heureusement. Il est fait mention dans Paracelse
& ses sectateurs des fleurs d’antimoine, cheiri, ou jaunes, qui ne sont rien autre
chose que les fleurs sublimées du régule d’antimoine, & tellement fixées,
qu’elles en paraissent jaunes ou rouges. Voyez Basile Valentin. De ces fleurs
rouges sublimées avec le sel ammoniac, se fait la teinture d’antimoine, nommée
Lilium antimonii, dont Paracelse & Hartman étalent les vertus.

Vinaigre d’antimoine.

De la sublimation de l’antimoine passons à sa distillation. On le distille seul, ou


avec quelque autre corps qui lui sert de véhicule. Lorsqu’on distille la mine
d’antimoine seule & brute, dans une retorte, on en retire une liqueur ou un
esprit acide qui est, à la vérité, en petite quantité, mais en récompense très utile
en Médecine. On appelle cet esprit le vinaigre d’antimoine, qui est proprement
l’esprit du soufre minéral de l’antimoine. J’ai dit qu’on distillait la mine
d’antimoine, toute seule & brute, pour marquer qu’elle n’a point encore senti le
feu, à cause que cet esprit acide ou vinaigre se perd dans la calcination ; il ne
suffit pas de distiller une fois cet esprit, il faut le rejeter plusieurs fois sur la
nouvelle mine, le laisser en digestion & le distiller autant de fois qu’on voudra,
& on tirera par ce moyen toujours plus de ce vinaigre, & il en sera beaucoup
meilleur. Quelques-uns font rougir au feu & éteindre plusieurs fois dans de
l’eau la mine de l’antimoine, jusqu’à ce que l’eau en devienne aigrelette. Ils
déphlegment celle-ci qui donne un peu d’esprit d’antimoine.

Clyssus d’antimoine.

Si on ajoute un véhicule salin à la mine d’antimoine, on en tirera beaucoup plus


de vinaigre, & par l’addition du soufre & du nitre, on en prépare un esprit acide

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 714

qu’on nomme ordinairement Clyssus d’antimoine.

L’usage du vinaigre d’antimoine est fort étendu, il est recommandé dans les
fièvres malignes pour éteindre la chaleur des fébricitants, & pour tuer les vers,
mais il ne peut pas servir de menstrue universel, comme quelques-uns le
prétendent, qui se persuadent que l’antimoine est la racine de tous les autres
métaux, & qu’il doit par conséquent contenir un menstrue universel. Il est vrai
que c’est un menstrue excellent pour tirer la teinture de l’antimoine, &
spécialement de la rubine d’antimoine : car c’est une règle des Chimistes, que le
menstrue propre pénètre mieux sa substance qu’aucune autre, à cause de la
convenance radicale des pores.

Esprit sucré d’antimoine. Huile miellée d’antimoine.

Lorsqu’on distille l’antimoine avec quelque autre corps, il faut que celui-ci soit
capable de corroder, de dissoudre, & d’enlever avec soi l’antimoine. Tel est le
sucre qu’on y ajoute ordinairement, lequel dans sa distillation, donne un esprit
acide qui corrode & enlève avec soi l’antimoine, & fournit ce qu’on appelle
l’esprit d’antimoine sucré. Tel est le miel qui étant distillé avec l’antimoine à
petit feu, de peur que celui-ci ne bouille, & ne se jette seul dans le récipient,
fournit l’huile miellée d’antimoine : l’usage des deux dernières préparations,
regarde la Chirurgie seulement, & elles sont l’une & l’autre excellentes pour
consumer les chairs baveuses.

Esprit anti-épileptique.

Quelques-uns distillent l’antimoine pulvérisé avec du pain par une retorte, & ils
en rirent un très bon esprit anti-épileptique ; car le pain fournit dans la
distillation un esprit acide volatil qui dissout l’antimoine, & l’enlève avec soi.
L’esprit acide de pain est d’ailleurs un menstrue très propre pour tirer la
teinture de l’antimoine, & il a beaucoup d’autres usages parmi les Chimistes.

On distille pareillement l’antimoine avec le sel commun, ou les préparations de


ce sel, par exemple, avec l’esprit de sel, ou avec le mercure sublimé.

Beurre & huile glaciale d’antimoine. Cinabre d’antimoine.

Les distillations de l’antimoine avec ce dernier, sont grossières & visqueuses, &
on les appelle beurre d’antimoine, huile glaciale d’antimoine & l’écume des
Dragons venimeux, c’est-à-dire, de l’antimoine & du mercure sublimé, qu’on
appelle ordinairement Dragons. Voici comme on y procéder. On prend parties
égales d’antimoine & de mercure sublimé, on mêle le tout exactement dans un

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 715

mortier de marbre, puis ont la distille par une retorte à long & large col, placée
dans un fourneau au feu de sable à chaleur médiocre, pour tirer le beurre
d’antimoine, qui s’attache quelquefois au col de la retorte, & alors il faut le faire
fondre adroitement avec un charbon rouge. Quand tout le beurre est sorti, on
augmente le feu, & on le fait réverbérer pour faire monter le cinabre
d’antimoine qui s’attache au col de la retorte.

L’esprit de sel qui est dans le mercure sublimé, corrode par le moyen du feu, la
partie mercurielle ou métallique de l’antimoine, il l’emporte avec soi dans le
récipient, & ils forment ensemble une liqueur grossière d’une odeur fort
sulfureuse, à cause du soufre dissout de l’antimoine, laquelle liqueur est
appelée beurre d’antimoine, à cause de sa consistance. Le mercure vif que
l’esprit de sel a quitté, sort en partie avec le beurre d’antimoine, & il se joint en
partie avec le soufre, & ces deux derniers sont ensemble un troisième corps
composé, qu’on nomme cinabre d’antimoine, à raison de sa couleur.

Remarquez que si on veut avoir plus de cinabre que de beurre d’antimoine, il


faut mettre deux parties de mercure sublimé sur une d’antimoine ; mais si l’on
veut plus de beurre que de cinabre, il faut mettre parties égales de l’un & de
l’autre. Pour rendre le beurre d’antimoine plus fluide, laissez la masse à la cave
quelques jours avant l’opération, afin que les espèces humectées rendent un
beurre plus liquide. Le mercure sublimé doit être pur sans falsification & sans
arsenic ; pour le reconnaître, jetiez sur le mercure sublimé une goûte ou deux
d’huile de tartre par défaillance, s’il jaunit, il est bon, mais s’il noircit il est
falsifié & il y a de l’arsenic.

On demande de quelle nature est le beurre d’antimoine, s’il est mercuriel, ou


antimonial ? Billichius & Angélus Sala, disent qu’il est d’une nature mercurielle
: mais c’est contre la vérité ; car outre que le mercure de vie qui est une
production du beurre d’antimoine, retourne en antimoine quand on le fond
dans un creuset, c’est qu’on peut fort bien faire du beurre d’antimoine sans
mercure sublimé ; car si en place de mercure on imbibe l’antimoine pulvérisé
avec l’esprit du sel, ou si on mêle l’antimoine avec du nitre & du vitriol, & de la
poudre de brique, l’esprit de sel commun corrodera dans la distillation le corps
de l’antimoine, & en fera une liqueur grossière, ou le beurre d’antimoine.

Le beurre d’antimoine n’est donc proprement que le régule d’antimoine,


corrodé par l’esprit de sel & changé en une liqueur épaisse. Pourquoi, dira
quelqu’un, l’esprit de sel quitte-t-il le mercure pour s’attacher à l’antimoine ? Je
réponds que c’est à cause que les minéraux ont plus de disposition à se joindre
avec les métaux, & comme l’antimoine est un corps à demi métallique, les
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 716

acides minéraux s’unifient plutôt à lui qu’au mercure qu’ils abandonnent.

On peut faire encore le beurre d’antimoine avec les autres préparations


antimoniales, savoir avec le régule & le verre d’antimoine, & l’antimoine
diaphorétique, avec cette différence, que si on distille le régule avec le mercure
sublimé, on aura du beurre d’antimoine, & du cinabre ; au lieu que si on distille
le verre d’antimoine, ou l’antimoine diaphorétique avec le même mercure
sublimé, on aura le beurre d’antimoine sans avoir aucun cinabre, par la raison
que la détonation dans la préparation de l’antimoine diaphorétique, & la
calcination dans la préparation du verre d’antimoine, ont brûlé tout le soufre
qui se doit joindre avec le mercure pour composer le cinabre.

Le beurre d’antimoine sert en Médecine & en Chirurgie, c’est-à-dire,


intérieurement & extérieurement. Il sert extérieurement à ouvrir des cautères,
en l’appliquant sur la peau par le moyen d’un tuyau de plume à écrire, & il fait
une escarre qu’on traite suivant l’art. Il est très efficace dans la gangrène, ou
plutôt dans le sphacele, la partie morte qu’on en enduit se sépare elle-même de
la vive, après quoi on emploie les mondificatifs ordinaires pour guérir l’ulcère ;
il est merveilleux pour le bubon pestilentiel, lorsque le malade à la peau dure,
on en applique à la pointe du bubon, ou il se fait un escarre, qu’on ouvre
facilement pour y faire les remèdes convenables. Quand la peau est délicate,
avec le magnes arsenical, & l’emplâtre arsenical, on ouvre l’escarre quand elle
est faite, puis on consolide suivant l’art.

Magnes arsenical.

Pour composer les magnes arsenical, on fait fondre dans un creuset au feu de
sable, parties égales d’antimoine, de soufre & d’arsenic, ce qui forme, une masse
caustique qu’on a nommé le magnes arsenical, parce qu’on le peut porter
comme amulette durant les maladies malignes, & la peste même dont il défend
par une vertu magnétique.

Enfin le beurre d’antimoine s’applique, salutairement aux abcès, aux ulcères


désespérés, putrides, & menacés de la gangrène.

Il n’est pas sur de le donner intérieurement, à cause des sels qui le rendent
corrosif, je l’ai vu néanmoins ordonner avec succès dans une fièvre quarte, le
malade en avala deux goûtes, donc il fut purgé trois ou quatre fois, il en avala
encore une autre fois cinq goûtes qui le purgèrent & le firent suer suffisamment,
& il fut parfaitement guéri, mais je ne voudrais pas le risquer. Il y a de quoi
s’étonner, que ce remède pris intérieurement ne fasse point vomir, c’est peut-

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 717

être que les acides renfermés dans le beurre de l’antimoine, empêchent sa vertu
volatile, car ce remède est composé, comme on sait du régule d’antimoine & de
l’esprit de sel concentré.

Le cinabre d’antimoine n’est point mis en usage par les bons Médecins, qu’il
n’ait été plusieurs fois sublimé & jusqu’à ce qu’il soit parfaitement rouge, &
qu’il ait dépouillé toutes ses impuretés avec le mercure superflu. Par cette
purification, il devient un remède véritablement polychreste, & il fait la base du
spécifique céphalique du Docteur Michaël, ou de la poudre céphalique
d’Hartman. La vertu de ce remède vient toute du cinabre ; car ses magistères
qui y entrent n’opèrent rien, & la fécule qu’on y ajoute est ridicule.

Le cinabre est singulier pour les parties nerveuses ou spermatiques, & il n’a pas
son pareil dans les maladies convulsives. Quoique la plupart des Praticiens
passent sous silence ces sortes de maladies, elles ne laissent pourtant pas d’être
les plus fréquentes de toutes, car toutes les douleurs de la colique, de la
néphrétique, & de toutes les parties de l’abdomen sont effectivement
convulsives, vous n’avez qu’à lire Willis pour vous en convaincre, or le cinabre
est si bien le remède de toutes ces affections convulsives, que Craton cet
heureux Médecin des trois Empereurs appelait le cinabre naturel, l’aimant de
l’épilepsie, éloge qui est dû avec bien plus de justice au cinabre d’antimoine, qui
est beaucoup plus noble & meilleur que le naturel.

Il n’est rien de plus salutaire que le cinabre dépuré d’antimoine, pour le


tremblement & les autres maladies des articles ; pour ceux qui travaillent aux
mines où ils contractent des retirements de nerfs, des contractions, des
convulsions & tremblements, pour les maladies & fièvres malignes, & pour la
peste même. Ce cinabre est le sudorifique anti-pestilentiel de Potier, la dose est
de demi-scrupule à un scrupule ; il le donnait heureusement dans les fièvres
malignes, tant aux enfants qu’aux adultes, dans la petite vérole mêlée de
l’épilepsie, & dans le délire il y ajoutait des tels volatils, spécialement celui de
corne de Cerf, ou d’ambre ; il n’est rien de plus présent pour les vieillards, dans
les maladies catarrheuse de la tête, & des autres parties. Si on leur donne deux
parties de sel volatil d’ambre sur une partie de cinabre d’antimoine, on fera des
merveilles, on le donne aux femmes grosses dans l’appréhension de
l’avortement, lorsqu’elles ont eu peur, & dans les fièvres malignes, non
seulement pour guérir les mères, mais pour préserver encore les enfants de
l’épilepsie, à laquelle ils sont sujets lorsqu’ils naissent si ces inconvénients sont
arrivés à leurs mères pendant leur grossesse.

L’érésipèle de la tête qui est une maladie si délicate, que la moindre faute la
717
NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 718

rend mortelle, se guérit parfaitement par le cinabre d’antimoine mêlé avec les
sels ci-dessus, pour procurer la sueur. Il en est de même de la vérole, & des
galles malignes, surtout des dernières, que le cinabre d’antimoine, déracine
heureusement par le moyen de la sueur. Les douleurs vagues causées par le
scorbut, cèdent au cinabre, ainsi que la passion hystérique, la néphrétique, & les
autres passions convulsives, où l’on fait prendre le cinabre seul, ou avec le
laudanum ou le camphre, spécialement aux adultes, car il n’est pas si sûr pour
les enfants.

Quant à la purification du cinabre, on la fait en le dépouillant de son mercure


vif par le moyen des alcalis, par exemple, avec une lessive de savon, ou de sel
de tartre ; car alors l’alcali s’attache au soufre d’antimoine, & laisse aller le
mercure au fond. On précipite ensuite le soufre de l’antimoine avec du vinaigre.

Bésoard minéral.

On prépare encore avec le beurre d’antimoine deux remèdes internes, savoir le


mercure de vie & le bésoard minéral ; celui-ci se fait communément en versant
de l’esprit de nitre sur le beurre d’antimoine, alors il y a une grande
effervescence, pendant laquelle il se précipite une poudre jaune, de laquelle on
retire l’esprit de nitre par trois distillations, en sorte qu’il ne reste qu’une
poudre fixe, sur quoi on fait encore brûler de l’esprit de vin. Si on s’est servi
d’esprit de nitre, si bien rectifié qu’il se soit uni avec le beurre d’antimoine, sans
faire aucune précipitation, une seule abstraction ou distillation pourra suffire.
Quelques-uns uns brûlent le Bésoard minéral, pour dissiper tout l’esprit de
nitre, mais cela n’est pas nécessaire, car un peu d’esprit acide peut plutôt servir
que nuire dans les maladies malignes, l’esprit de nitre ainsi distillé, & uni avec
l’esprit de sel ou beurre d’antimoine, s’appelle esprit de nitre Besoardique, on le
regarde communément comme l’eau forte, mais c’est mal à propos.

Pour avoir plutôt fait, on prépare le Bésoard minéral en calcinant le safran des
métaux avec le tartre & le nitre dans un fourneau à vent, puis on tire par six
distillations, l’esprit de nitre d’avec le safran des métaux, après quoi on a un
véritable Bésoard minéral.

On fait outre ce Bésoard minéral simple, des Bézoards minéraux, composés par
l’addition des autres métaux, & spécialement du Soleil, de la Lune, du Mars, &
du Jupiter, dont vous pouvez voir les compositions dans Crollius & Beguin.

Bézoards Solaire & Lunaire.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 719

Dans la composition des Bézoards Solaire & lunaire, il faut que l’or & l’argent
soient tout à fait dépouillés de leur cuivre, car s’ils en contiennent encore, leur
Bézoards ne seront pas parfaitement diaphorétiques, & à cause du mélange du
cuivre, il exciteront le vomissement, & ils auront une saveur vitriolique.

Bésoard martial.

Le Bésoard martial se fait du régula d’antimoine avec le Mars, qu’on distille


avec le mercure sublimé, d’où on tire un beurre d’antimoine martial, qui étant
mêlé avec l’esprit de nitre, donne une poudre rouge qu’on nomme Bésoard
d’antimoine martial.

Bésoard jovial.

Le Bésoard jovial, se compose avec le beurre d’antimoine jovial, & celui-ci avec
le régule jovial d’antimoine, & le mercure sublimé. Mais pour mieux faire on y
ajoute quatre onces de Jupiter qu’on mêle avec autant de mercure sublimé, d’où
on tire le beurre, puis avec l’esprit de nitre, on fixe le Bésoard jovial, qui est un
remède singulier dans les maladies des femmes, dans la passion hystérique,
dans le pourpre des Accouchées, & pour préserver de l’Hydropisie, ou de la-
Cakexie, après une trop grande hémorragie du nez ; il convient aussi aux
affections externes des mamelles causées par la terreur, dans les tumeurs des
mamelles, & pour empêcher la coagulation du lait.

Le Bésoard martial est salutaire dans l’Hydropisie, dans la Cakexie & la Galle
qui s’ensuit, & il arrête heureusement la diarrhée & la dysenterie épidémique.

Le Bésoard minéral simple, eu un excellent sudorifique, dans les maladies


malignes, dans la Peste & dans les Galles malignes ; il sauva beaucoup de
monde dans une des dernières Pestes de Naples. La dose est de six à huit
grains.

CHAPITRE IV.

Des Extraits d’antimoine.

Ces Extraits se font pour tirer le soufre de l’antimoine, qui étant en quelque
façon exalté & uni avec les menstrues, fournit les teintures d’antimoine, ainsi
c’est à ce soufre qu’elles doivent leur vertu aussi bien que le cinabre. Il y a
plusieurs maniérés de faire là séparation, & l’extraction du soufre d’antimoine.
La plus commune est celle où l’on se sert des alcalis ; on fait cuire ; par exemple,
de l’antimoine cru, ou le régule d’antimoine, ou le safran des métaux, ou
quelque autre semblable préparation dans une lessive âcre, ordinairement de
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 720

sel de tartre, & de chaux vive, ou des cendres gravelées, afin que les alcalis
absorbent le soufre de l’antimoine : en effet ils font ensemble un extrait rouge,
de même qu’il arrive dans la préparation du régule d’antimoine, car les scories
qui se séparent dans la calcination, donnent par le moyen de la précipitation
avec quelque acide, & spécialement avec le vinaigre distillé, le soufre
antimonial solaire de couleur rouge, ou le soufre doré d’antimoine dont nous
avons parlé ci-dessus. La raison qui fait que les alcalis corrodent l’antimoine &
tirent son soufre, c’est en partie parce qu’ils conviennent radicalement avec ce
soufre, & en partie parce que ce soufre même contient un acide occulte, avec
lequel les alcalis cherchent à se joindre ; mais quand on y ajoute du vinaigre
distillé, celui-ci reprend les alcalis qui abandonnent le soufre d’antimoine,
lequel tombe d’abord an fond n’étant plus soutenu, ce soufre extrait par le
moyen des alcalis n’est pas pur, ni le soufre seul de l’antimoine, il est mêlé de
quelques particules dissoutes du régule, de quelques sels de la lessive, & de
quelques acides du menstrue avec lequel on a fait la précipitation. Ce qui se
prouve, premièrement, en ce que faisant tondre ce soufre avec du borax, il
recouvre sa première forme de régule, secondement, parce que le soufre
d’antimoine est diaphorétique, & celui-ci est vomitif, ce qu’on ne peut attribuer
qu’aux particules du régule. Troisièmement, tout soufre est inflammable, ce que
celui-ci n’est pas, à cause de la jonction des sels ci-dessus ; ainsi le soufre
commun qui est de soi inflammable, étant dissout dans une liqueur alcalique,
puis précipité en lait de soufre, perd son inflammabilité à cause de la même
jonction des sels qui fixent sa volatilité & empêchent qu’ils ne s’enflamment.

Tartre tartarifié d’antimoine.

Pendant qu’on prépare le régule d’antimoine a on peut sans beaucoup de


travail, composer le tartre tartarifié d’antimoine, en dissolvant les scories du
régule composées de sels alcalis & du soufre de l’antimoine, dans de l’eau
chaude ; car si au lieu de vinaigre, on se sert de crème de tartre pour précipiter
la dissolution, le soufre ira au fond, & en évaporant la liqueur il se fera des
cristaux qu’on appelle vulgairement tartre tartarisé, parce qu’ils sont composés
de l’acide de la crème de tartre qui a imbibé les sels acides des scories du régule,
qui n’ont pas exactement été précipités.

L’usage de ces cristaux ou du tartre tartarisé, est admirable dans les fièvre
intermittentes, on en donne après les remèdes généraux de quinze à vingt-
quatre grains avant le paroxysme. Starkey, au lieu de précipiter les scories du
régule d’antimoine, les volatilise avec des alcalis volatils, & il acquière un
soufre exalté d’antimoine d’une grande vertu.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 721

Chacun sait de quelle estime sont les sels fixes volatilisés, quoi qu’il soit inutile
de séparer le soufre pur d’avec le cinabre d’antimoine, on le peut pourtant
séparer si l’on veut, ou par des alcalis, ou par la limaille d’acier. Par des alcalis
en faisant bouillir durant quelques heures le cinabre d’antimoine dans une
lessive âcre, & les alcalis absorberont le soufre de l’antimoine & le mercure
prendra de soi-même le fond, sinon on y jettera du vinaigre, & il tombera en
forme de grumeaux. Popius qui a écrit un Traité de Chimie met digérer dans de
l’esprit de vin bien rectifié, le soufre précipité de l’antimoine, puis il distille le
tout par une retorte. Le menstrue ou l’esprit de vin fort le premier, & après lui
une huile rouge douce au goût, qui a de grandes vertus, & fort au-dessus du
cinabre d’antimoine ; je ne sais si la chose est ainsi qu’il le dit, car je ne l’ai point
éprouvé.

Pour séparer le soufre du cinabre avec la limaille d’acier, on mêle deux parties
de cinabre d’antimoine, avec une partie de limaille d’acier, puis on distille le
tout par une retorte, le mercure vif fort, & le soufre demeure uni avec la
limaille. On pulvérise cette masse ou tête morte avec du sel ammoniac, puis on
la sublime en forme de fleurs & le soufre d’antimoine monte avec le sel
ammoniac. On dissout ces fleurs dans l’eau, après quoi on les précipite avec du
vinaigre distillé, & par ce moyen le soufre va au fond.

Les teintures d’antimoine tendent ; comme j’ai déjà dit, à tirer le soufre le plus
fixe de l’antimoine, & celui qu’on prétend qui soit de la nature de l’or & d’une
grande vertu dans la Médecine, lequel agit beaucoup plus promptement &
beaucoup mieux sur notre corps, quand il est uni avec un menstrue convenable.
Une véritable teinture d’antimoine, est un chef-d’œuvre dans la Chimie, & on
croît que demi-once de cette teinture suffit pour donner là couleur de l’or à
vingt once d’argent. C’est avec quoi Basile Valentin forme sa fameuse pierre de
feu d’antimoine, qui n’est rien autre chose que la teinture d’antimoine distillée
par une retorte & fixée. On l’appelle la pierre de Basile Valentin, qui selon lui,
diffère de sa pierre Philosophale, en ce qu’elle ne change que l’argent seul en or,
& non pas les autres métaux. Voyez l’Auteur qui est digne de foi sur cette
matière : pour moi je suis persuadé que tout ce qu’il dit de sa pierre de feu peut
être vrai.

Or la teinture véritable d’antimoine consiste en deux points : le premier est


l’extraction requise du soufre solaire, le second est l’exaltation convenable de ce
soufre extrait. L’extraction se fait par des menstrues acides, spécialement par le
vinaigre distillé, l’esprit de verdet, l’esprit de sel, &c. L’exaltation du soufre
extrait dépend de sa digestion avec l’esprit de vin, & de sa dissolution suivant

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l’art : les acides qui servent à l’extraction du soufre d’antimoine le fixent, & lui
ôtent sa vertu émétique, pour le rendre sudorifique : la digestion avec l’esprit
de vin ensuite de cette fixation, le détermine à purger par le bas, car si on faisait
cette digestion avant sa fixation, la vertu émétique qui consiste dans la volatilité
s’exalterait & se volatiliserait bien davantage, au lieu de se fixer.

Le verre d’antimoine eu ordinairement choisi pour tirer la teinture d’antimoine,


parce qu’il a perdu la plus grande partie de son soufre, & qu’il ne lui reste plus
que le soufre solaire dont il tire sa couleur de pourpre. Par cette raison, Basile
Valentin le prend pour faire sa teinture & sa pierre. Et Helvétius Premier
Médecin des Princes d’Orange Guillaume II & III, qui a fais un Traité de la
vertu du soleil, se sert des verres des métaux pour tirer ses teintures, mais il ne
nomme point là menstrue qui est à ce que je crois, l’esprit des cristaux de
cuivre.

Willis, au Traité de la fermentation, admire avec raison l’antimoine qui a d’un


côté de certaines parties si faciles & se détacher que l’huile de térébenthine ou
de lin, suffit pour en tirer des teintures, & d’un autre côté des parties si fixes,
que l’eau-forte ne pouvant les dissoudre, il faut avoir recours à l’eau régale.
Cela fait pour nous : car toutes ces teintures vulgaires & artificielles, ne sont que
simples érosion & superficielles du corps de l’antimoine, divisé en de petites
parties, & par conséquent de peu de valeur, au lieu que les véritables teintures,
sont des portions de la substance propre du corps qui a été tirée par un
menstrue propre avec sa vertu & sa couleur concentrée. Spécialement les
teintures des métaux qui sont réservées aux plus heureux Chimistes ; les
teintures d’antimoine avec les huiles distillées, ne sont pas de véritables
teintures, car les huiles n’agissent point sur le soufre fixe d’antimoine, & il n’y a
que les sels capables de dissoudre l’or qui le puissent faire. Voyez ce que dit
Basile Valentin de sa teinture d’antimoine, & considérez en bien toutes les
circonstances.

Teinture d’antimoine.

Paracelse fixe les fleurs d’antimoine, d’où il tire une teinture, mais c’est un
mystère de Paracelse expliqué différemment par les Chimistes Ceux qui ne
peuvent pas attraper ces teintures sublimes, se doivent contenter des
communes : en voici une qui n’est pas à mépriser. C’est la teinture d’antimoine
tartarisé, qui se prépare avec parties égales d’antimoine, & de tartre fondus
ensemble dans un creuset, & calcinés jusqu’à ce que la mixtion soit parfaitement
jaune ; alors on la retire du creuset pour la dissoudre dans de l’eau chaude, on
extrait la poudre qui reste avec de l’esprit de vin, & on évapore la liqueur
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 723

jusqu’à une consistance requise. Cette teinture est bonne dans les maladies
chroniques, dans la Cakexie, les fièvres intermittentes, la galle, les maladies
cutanées, la suppression des mois, & les autres affections des femmes. Elle
purifie le sang, elle en précipite les impuretés qu’elle pousse par les urines. Le
vulgaire prépare une teinture des scories d’antimoine concassées, puis extraites
avec l’esprit de vin rectifié, après une digestion requise, mais c’est plutôt une
teinture des sels que de l’antimoine : car l’esprit de vin dans quoi on met infuser
des sels alcalis, se teint d’abord d’une couleur rouge qu’il tient de la digestion,
comme il parait dans la préparation de la teinture de tartre. La meilleure de
toutes les teintures d’antimoine, se tire avec l’esprit de vin & le vinaigre, &
Freitagius a raison de dire que qui sait faire celle-ci, se peut aisément passer des
autres.

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SECTION IV.

Des Végétaux.

CHAPITRE PREMIER.
Du vin & de son esprit.

Je parlerai de la famille végétale le plus succinctement qu’il me sera possible, &


je ne dirai que ce qu’il faut pour entendre les principes de la Chimie ; & comme
le vin avec les productions y tiennent le premier rang, je commencerai par
expliquer sa génération, & les changements qui lui arrivent. Ce que nous dirons
du vin, de l’esprit de vin, du vinaigre, du tartre, &c. & pourra facilement
appliquer à tous les autres végétaux, particulièrement aux liqueurs vineuses
qu’on tire des fruits par expression, au miel & à l’esprit de miel ; ce qui nous
épargnera la peine de traiter de chacun en particulier.

Le vin n’est rien autre chose que le suc des raisins tiré par expression, puis
dépuré & exalté par la fermentation. Le vin se dépure, lorsque dans la
fermentation actuelle il se décharge de ses fèces, & il s’exalte, parce qu’en
fermentant ses esprits se développent & le volatilisent. Avant la fermentation
on l’appelle moût, qui fermente en ce que l’acide & l’alcali combattent
ensemble. Alors les particules hétérogènes se séparent, & celles qui sont capa-
bles d’union, s’unissent ensemble, d’où s’ensuit la génération du vin, c’est-à-
dire, le changement de la tissure du moût par la fermentation.

Il faut dire ici un mot en passant, de la concentration du moût & des bières
selon Glauber. Le but de cet Auteur était de dépouiller ces boissons de leur
phlegme, & après les avoir réduites en consistance de miel, de les rendre plus
faciles à transporter par Mer ou par terre dans les Pays Etrangers ; alors en
versant de l’eau dessus, il prétendait leur rendre leur phlegme & leur premier
état. Je dis qu’il prétendait, car au lieu de réussir, Glauber vit changer sa masse
déphlegmée en vers ; ce qu’on devait espérer; car en ôtant le phlegme au moût
& à la bière, les autres particule s’unissent si étroitement que l’eau ne peut plus
les dissoudre, ni par conséquent faire fermenter les sels, puisque ceux-ci ne
sauraient agir sans être dissous.

Les raisins passés ou raisins secs, font plutôt un moût concentré ; car en y
versant de l’eau & du sucre, il se forme une liqueur vineuse qui devient par la
fermentation assez semblable à du vin d’Espagne. Avec les raisins passés & le
suc de poires muscatelles, on fait par le moyen de la fermentation un vin

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 725

composé, excellent pour corriger la masse du sang dans les Cakexies, & le suc
de pommes de rénette fait un vin artificiel, propre dans la maladie
hypocondriaque & la mélancolie. Nous avons dit que les particules du moût se
volatilisaient & s’exaltaient en esprits, par le moyen de la fermentation, & c’est
ce qui fait la différence entre le moût & le vin.

Le moût étant bu fermente facilement, à cause de ses particules hétérogènes, &


produit des diarrhées, des dysenteries, & des choléras morbus, ce que le vin ne
fait pas ; celui-ci enivre par son esprit qui fixe ou cause des mouvements
irréguliers aux esprits de notre corps, mais on a beau boire du moût, il n’enivre
point, d’autant que ses particules sont confondues, & non encore exaltées e
esprits.

Les particules hétérogènes & immiscibles qui se séparent par la fermentation,


constituent la lie du vin.

Il est à remarquer, que si on jette de la limaille d’acier dans le moût, il ne


fermentera plus. La raison est que les particules acides du moût, agissent sur le
corps du Mars & le corrodent, pendant quoi elles ne combattent point avec les
particules contraires, ce qui fait cesser la fermentation. On peut par ce moyen
préparer avec le moût, une excellence essence de Mars.

L’Anatomie ou Analyse du vin, s’attache à trois choses: à l’esprit de vin, à la


terre tartareuse fixe, & à la partie acide du vin ou vinaigre.

L’esprit de vin n’est autre chose qu’un sel volatil huileux, délayé par beaucoup
de phlegmes ou bien une huile exaltée par la fermentation & convertie en esprit,
car l’huile enlève avec soi le sel volatil, & l’une & l’autre volatilisés par la
fermentation actuelle sont l’esprit. Celui-ci à raison de sa partie huileuse,
contient un acide volatil qu’elle tempère; & cet acide de l’esprit de vin se
démontre en ce que mêlant de l’esprit de vin, avec dé l’esprit de sel ammoniac,
ou du sel volatil d’urine, il se fait une espèce de bouillie, parce que le sel volatil
de l’esprit de sel ammoniac, s’attache à l’acide volatil caché dans l’esprit de vin,
avec lequel il se coagule. L’esprit de vin n’est donc qu’un sel volatil huileux,
dissout ainsi que les esprits de tous les végétaux doués d’un sel volatil, & d’une
odeur aromatique, qui fournissent par le moyen de la fermentation & du feu,
assez d’esprit mais peu ou point d’huile. Les Chimistes ont par conséquent
raison de dire que les esprits inflammables volatils font des huiles dissoutes par
la fermentation, & les huiles distillées, sont des sels volatils concentrés par un
acide un peu graisseux. Ceci fait voir que l’esprit de vin, & les autres de cette
nature, sont de nouvelles productions, ou de nouveaux mixtes engendrés par la

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 726

fermentation, & bien différents des corps auxquels ils étaient unis, & par
conséquent qu’il n’y a aucun esprit ardent qui existe de soi, mais qu’ils sont
tous formés de quelque autres corps, par le moyen de la fermentation.

Esprit de vin alcoolisé. Esprit de vin tartarisé.

L’esprit de vin bien rectifié, se nomme vulgairement esprit de vin alcoolisé. On


connaît qu’il est bien rectifié lorsqu’on en répand une goûte. & qu’au lieu de
tomber à terre, elle se dissipe en l’air ; ou bien si en faisant brûler de l’esprit de
vin avec de la poudre à Canon, il se consomme tout, sans laisser aucune
marque. Une troisième preuve est de mouiller un linge dans l’esprit de vin, &
d’y mettre le feu. Le linge doit rester sec & sans aucune moiteur, si l’esprit de
vin est bien rectifié. Il ne faut pas confondre l’esprit de vin alcoolisé avec l’esprit
de vin tartarisé, car pour mieux rectifier l’esprit de vin, on a coutume de le
distiller sur du sel de tartre bien calciné, qui prend ce qu’il y a de phlegme dans
l’esprit de vin, & celui-ci prend à son tour quelques particules du sel de tartre
pendant la digestion, ce qui le rend plus efficace & lui donne le nom d’esprit de
vin tartarisé, qui est un menstrue beaucoup meilleur que l’esprit de vin simple
pour extraire les vertus des végétaux.

Esprit de vin Philosophique.

L’esprit de vin distillé de la lie, enlevé avec soi des particules salines volatiles,
qui le rendent plus pénétrant, & plus propre pour servir de menstrue aux
végétaux. La distillation de l’esprit de vin de Paracelse, ou dans feu, est de
laisser geler le vin au froid, il se trouve au milieu de la masse gelée de l’esprit
de vin, qu’on nomme esprit de vin Philosophique. Il est très pur & préférable au
vulgaire, qui contracte toujours quelque empyreume qui change sa tissure.

La partie acide du vin, est la base & le fondement de tout : le mixte : c’est par
elle que le moût se change en vin : c’est par elle que le vin se change en vinaigre
: c’est par elle que le tartre s’engendre: enfin c’est par elle que toutes les
altérations du vin le font.

Quant à l’usage médical du vin, il est très grand & très salutaire : & comme il a
deux substances, l’une volatile & spiritueuse, l’autre acide & fixe ; à raison de la
première, il est bon pour réjouir les esprits de notre corps, ce qui fait qu’il est
appelle par un Savant, l’or végétal potable, & par Paracelse, le Prince & le nectar
des végétaux. Cette partie spiritueuse du vin a la faculté de tempérer les
humeurs acides ramassées dans notre corps, de même que nous voyons l’esprit
de vin édulcorer les esprits acides végétaux. Il résiste à la corruption, par sa

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substance pénétrante, & il est d’un grand secours dans les ulcères putrides &
enclins à la corruption, si on le mêle avec la thériaque ou quelque chose de
semblable. L’esprit de vin camphré convient aux parties gangreneuses. & il
adoucit puissamment les douleurs de la goûte, il guérit les érésipèles, en
dissolvant l’acide qui les cause, spécialement si on le mêle avec le rob de sureau
pour en oindre la partie. Mais il faut observer que l’excès de vin dissipe la
faculté animale, pour parler le langage des Anciens, attendu qu’il fixe les
esprits, comme il paraît par l’envie de dormir, à quoi les ivrognes sont sujets.

A ration de la partie acide, le vin est favorable à l’estomac & à ses affections. Il
convient même dans les fièvres ardentes, & on peut le donner en sûreté,
nonobstant le vulgaire qui crie que le vin échauffe, cela n’est pas considérable ;
car on a vu cent fois que le vin faisait beaucoup mieux dans les fièvres
continues & intermittentes, que les juleps & les autres compositions plus
laborieuses. Il faut pourtant ici de la médiocrité ; car l’abus du vin cause de
grands maux à nos corps. C’est de là que le calcul vient, ainsi que la goûte, en
tant que l’acide du vin bu trop abondamment affaiblit à la longue le ventricule
qui ne retient plus l’acide dans sa capacité ; mais le laisse couler des premières
voies jusque dans la masse du sang, par le moyen duquel il est porté aux parties
nerveuses & sensibles, où il cause les douleurs de la goûte, ou de quelque autre
sorte. Le parésis, ou la stupeur des membres, les contractions des parties, &c.
dépendent du même acide, qui est le plus grand ennemi des nerfs.

CHAPITRE II.

Du vinaigre.

LE vinaigre se fait, non pas lorsque les particules volatiles salines s’exhalent,
mais quand elles sont dominées & déprimées successivement par l’acide du vin
: ou bien quand l’acide du vin s’exalte, fait prendre le dessus, & fixe la partie
huileuse & spiritueuse : car l’esprit du vin n’est pas séparé du vinaigre, il est
seulement déprimé & fixé. Ce qui se démontre en ce que si on renferme du vin
défait dans un vaisseau bien fermé, il s’y fera du vinaigre, quoiqu’il ne se fasse
aucune exhalation de l’esprit de vin. On tire de l’esprit de vin du vinaigre
même, joint au sucre de Saturne. De plus, si on met infuser du corail dans du
vinaigre, celui-ci se radoucit. Ce qui arrive parce que le corail concentre l’acide
du vinaigre, & donne le moyen à la partie volatile de s’exalter.

Plus le vin est fort, plus le vinaigre en est vigoureux, & quelques-uns y ajoutent
des choses douées de beaucoup de sel volatil, comme la semence de Moutarde,
de Roquette & le Poivre, pour le rendre plus âcre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 728

Comme l’esprit de vin est fixé dans la génération du vinaigre, il s’enfuit que
dans la distillation de celui-ci, le phlegme doit sortir le premier, & l’esprit de
vin ne sort qu’après le phlegme. Le contraire arrive dans la distillation de
l’esprit de vin. La distillation du vinaigre se doit faire au bain-marie, & une
seule fois, car plus on le rectifie, plus il est faible : on doit au reste faire un feu
lent, de peur que l’esprit ne sente l’empyreume. On aiguise le vinaigre avec le
sel ammoniac, pour s’en servir à faire des extractions : si on distille, par
exemple, quatre livres de vinaigre, avec demi-once de sel ammoniac, on aura un
vinaigre très âcre & très propre à dissoudre certains métaux, & certains
minéraux. Que si on le distille avec du nitre & du sel gemme, il enlèvera les
esprits de ces derniers avec soi, & sa vertu s’exaltera considérablement. L’acide
du vinaigre est volatil, pénétrant & préférable aux esprits acides des minéraux,
qui se concentrent avec les sujets dissous, & les resserrent trop, ce que le
vinaigre ne fait pas.

Quant à l’usage du vinaigre en Médecine, c’est un alexipharmaque souverain


dans la peste, & beaucoup plus sûr que la thériaque. C’est la raison pourquoi
nous avons tant de vinaigres besoardiques. Il corrige la virulence ou la
malignité des végétaux, spécialement de l’opium & des purgatifs. Le vinaigre
fait revenir ceux qui ont trop pris d’opium, & il corrige la fumée maligne des
charbons.

Il est inutile de demander si le vinaigre est chaud ou froid ? Son acidité


styptique & la coagulation qu’il cause au sang démontrant en quelque façon
qu’il rafraîchit, mais les particules spiritueuses volatiles, & inflammables dont il
est composé disent le contraire. On se sert même du vinaigre pour dissoudre le
sang coagulé, & alors on le mêle avec les yeux d’Ecrevisses, les perles & le
corail, parce qu’il ouvre ces mixtes & facilite leur opération. Le vinaigre a
pourtant ses inconvénients ; & son acide pénétrant ne permet pas de l’employer
sans jugement. Il est contraire aux parties nerveuses & aux hypocondriaques
qui sont déjà remplis d’un acide assez corrosif. Enfin il ne convient point aux
femmes hystériques, à cause des effervescences qu’il est capable d’exciter dans
leurs intestins, & par conséquent la suffocation de matrice.

CHAPITRE III.
Du tartre du vin.

LE tartre du vin, est suivant Paracelse; un enfant beaucoup plus noble que son
père, dont la génération est bien dépeinte par Van Helmont, au Traité intitulé,
du tartre du vin : nous avons dit ci-dessus, que l’acide faisait la base du vin : je

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 729

dirai plus ici, savoir que le vin reçoit non seulement son être de l’acide, mais
encore toutes ses altérations. Voici donc comment le tartre s’engendre. Pendant
que l’acide du vin corrode la lie, il se coagule lui-même avec les particules
salines qu’il dissout, il retire en même temps les parties terrestres, & l’union de
ces trois choses fait le tartre.

La lie du vin se fait comme j’ai déjà dit, en ce que dans la fermentation la partie
terrestre hétérogène se précipice au fond. La lie n’est pourtant pas toute
terrestre, elle a ses principes salins, c’est-à-dire, beaucoup d’acide & d’alcali
fixes & volatils embarrassés, & faisant corps avec elle. Pour preuve de cela, c’est
qu’on tire par la distillation de la lie de vin, un esprit ardent très excellent, &
même en procédant bien, un sel volatil en forme de neige, avec un esprit très
volatil. L’acide ne saurait corroder la lie du vin qu’il ne se coagule en même
temps avec les particules corrodées suivant la règle qui porte, que tout acide se
coagule avec les corps qu’il dissout. Et c’est ce qui fait le tartre, comme il a été
dit ci-dessus; le tartre s’attache aux côtés du tonneau, pour deux raisons : la
première est que le vin a plus d’acide en cet endroit, comme il paraît lorsqu’on
expose un tonneau rempli de vin à un grand froid, car le vin se gèle vers les
côtés du vaisseau, & l’esprit de vin prend le milieu : la seconde raison que les
sels ne sauraient se coaguler qu’ils n’aient un sujet ferme auquel ils s’attachent,
comme est le bois de chêne, duquel les tonneaux sont ordinairement faits.

Le mot de tartre a trois significations ; il signifie premièrement l’acide du vin


inséparablement, lequel est plus ou moins fixe dans divers vins. L’acide de
certains vins, par exemple, du vin d’Espagne monte dans l’alambic, & ne laisse
qu’une liqueur insipide, celui des autres, en plus fixe & embarrassé avec des
parties terrestres, qui sont que les parties volatiles montent dans la distillation,
& que les fixes demeurent en forme de chaux. Ceci est manifeste dans le vin de
Jéna : car si on en répand le soir sur une table, on y trouvera le lendemain au
matin le tartre attaché. L’acide du vin se démontre en ce que si on y laisse un
œuf durant quelque temps, celui-ci paraîtra couvert de petits cristaux, attendu
que l’acide du vin corrode l’alcali de la coque de l’œuf, & forme avec lui un
troisième sel salé en forme de cristal : de plus en ce que les yeux d’Ecrevisses
infusés dans du vin, lui ôtent son acidité, c’est-à-dire , qu’ils imbibent l’acide ;
en second lieu, le tartre se prend pour la lie du vin, donc nous venons de parler.
En troisième lieu, il signifie proprement une pierre fort dure, qui le trouve
adhérente aux parois des tonneaux du vin, & c’est de ce dernier dont nous
entendons parler ici.

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Le tartre est blanc ou rouge, selon la couleur du vin qui l’a produit, l’un &
l’autre ont presque les mêmes vertus. Quant aux principes du tartre, il contient
beaucoup de sel acide, plus ou moins fixe, avec beaucoup de sel urineux,
entremêlés de parties terrestres fixes, & d’une huile qui lie & soude les parties
du mixte. Cette analyse montre assez les vertus du tartre : car en tant qu’il eu
composé d’un acide & d’un alcali, en sorte que le premier domine comme
volatil, il doit être bon pour inciter & déterger les mucosités tant de l’estomac
que des intestins. C’est un doux laxatif, spécialement si on joint deux ou trois
grains de diagre de & demi-dragme de crème de tartre : & celle-ci prise avant
les purgatifs, avance beaucoup leur opération. De plus le tartre est fort
diurétique, & il déterge puissamment les canaux des reins. Néanmoins comme
le tartre renferme beaucoup de terre & de lie qui ne se peut digérer dans
l’estomac, & se précipite au fond en forme de chaux, on prépare le tartre avant
de s’en servir.

Cristaux de tartre.

La préparation consiste à le purifier de sa partie terrestre par des dissolutions &


coagulations réitérées, qui nous donnent la crème & les cristaux de tartre ;
quelques-uns s’imaginent que plus ces cristaux sont dissous & coagulés de fois,
plus ils sont purs, mais ils se trompent ; car plus on les dissout, plus on les
affaiblit, à cause que l’eau retient toujours quelque portion de l’acide volatil, &
diminue leur vertu, une solution & une cristallisation suffisent. D’autres pour
avoir des cristaux plus blancs & en plus grande quantité, jettent un peu d’alun
dans la dissolution. Mais que gagnent-ils, sinon qu’au lieu de cristaux laxatifs,
ils en font des styptiques & astringents.

Hépatique rouge.

Le tartre ainsi préparé & dépouillé de sa terre, ne convient pas encore à toutes
sortes de maladies, il y est même quelques fois contraire à cause de son acidité.
En ce cas on emploie les cristaux ci-dessus avec le sel fixe de tartre, ou bien on
les fait fermenter avec le sel de tartre, & par ce moyen on a des cristaux salés,
bien plus efficaces & plus utiles que les cristaux acides de tartre, parce qu’ils se
sont remplis ou rassasiés de leur propre sel & devenus détersifs ; ce qui les rend
d’une grande recommandation dans le mal hypocondriaque, dans l’Hydropisie,
la Cakexie, le scorbut, &c. Zwelpher enseigne dans son Mantissa, la manière
d’altérer le tartre avec les végétaux. Le tartre avec la limaille d’acier, donne des
cristaux très salutaires dans les maladies chroniques, & on trouve dans les
boutiques de la crème ou des cristaux de tartre rouges, appelles vulgairement
hépatique rouge, qui sont très bons, pour corriger les grandes chaleurs qu’on
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 731

ressent en Eté, pour éteindre l’ardeur & la soif des fièvres tierces, & pour
dissiper l’ivresse.

Dans la distillation du tartre à feu ouvert, il sort en premier lieu un esprit


phlegmatique, puis une huile puante, & il reste au fond de la retorte une tête
morte noire composée du sel alcali, & des parties terrestres, comme le tartre est
acide de sa nature, on demande que devient son acidité ? Elle demeure dans
l’huile. Le tartre étant composé d’alcali & d’acide, & ces deux sels venant à
combattre ensemble, il se fait une effervescence ou gaz sauvage au langage de
Van Helmont qui rompt tout, à moins qu’il ne trouve un passage. Dans ce
combat, ces deux sels se concentrent ensemble, & rencontrant un corps
graisseux avec lequel ils s’unissent, ils forment une huile pendant que le reste se
change en alcali fixe par la force du feu. Il faut séparer l’esprit d avec l’huile, &
le rectifier plusieurs fois, afin de le rendre volatil, on ne doit pourtant pas
prétendre qu’il le devienne parfaitement, par cette méthode, c’est-à-dire, qu’il
soit un peu alcali, dépouillé de tout acide ce qui est réservé aux Chimistes les
plus raffinés.

Esprit de tartre volatil.

Quelques-uns pour avoir un esprit de tartre très volatil, rectifient l’esprit de


tartre sur sa tête moite, d’autres avec la chaux vive, d’autres avec un alcali
approprié, par ce moyen l’alcali fixe absorbe ce qui reste d’acide dans l’esprit de
tartre & il ne monte que l’esprit le plus pur, & l’alcali le plus volatil, qui se peut
tirer au feu de fable. La meilleure méthode de toutes, eu de laisser fermenter le
mercure cru avec son sel propre, puis distiller le tout. On tire par cette conduite
un esprit de tartre très volatil, & d’une grande vertu en Médecine.

Le sel de tartre distillé avec la chaux vive, donne un esprit très efficace, mais en
petite quantité. Le même sel distillé avec l’alun cru ou brûlé, fournit un esprit
volatil urineux, qui fait avec le camphre, la base de la teinture bézoardique de
Paracelse, où il entre trois parties d’esprit volatil de tartre, une partie d’esprit
volatil de vitriol, & quatre ou cinq parties d’esprit thériacal camphré. Ceci fait
voir la différence des teintures bézoardiques vulgaires préparées avec des
esprits tout phlegmatiques, & de la teinture bézoardique de Paracelse qui
demande des esprits tout volatils.

Les vertus de l’esprit volatil de tartre, sont à la vérité si grandes, qu’on n’a point
de paroles assez énergiques pour les exprimer, car comme il renferme un alcali
volatil très pur, il absorbe & radoucit quelque acide que ce soit, il n’est point par
conséquent de meilleur remède pour le mal hypocondriaque, la goûte, la

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 732

paralysie ensuite de la colique, qui est endémique en Moravie, la pleurésie,


hydropisie & toutes les maladies chroniques, qu’il guérit en chassant leur cause
matérielle par les urines, ou par les sueurs. En un mot étant pris intérieurement,
ou appliqué extérieurement il absorbe, corrige & radoucit l’acidité qui picote les
nerfs ou les tendons. Enfin il empêche qu’il ne produise aucune coagulation.
Tout volatil ne détruit pas tout alcali, chacun combat le sien ; il n’y a que l’esprit
de tartre volatil à qui cède toute sorte d’acide, ce qui marque son prix & son
excellence.

L’huile de tartre puante.

Dans la distillation du tartre, l’esprit est suivi de l’huile de tartre puante, qui
n’est rien autre chose qu’un alcali concentré par un acide graisseux. Cette huile
rectifiée & clarifiée sur de la corne de Cerf brûlée est un excellent sudorifique,
deux ou trois goûtes procurent puissamment la sueur dans les maladies
malignes, où l’on a de la peine à suer, & sont un présent secours, dans la colique
& dans la passion hystérique. Elle convient extérieurement aux douleurs de la
goûte & au calcul des reins, elle guérit & mondifie salutairement les bubons
pestilentiels ; & si on y ajoute de l’esprit de vin, sa puanteur se changera en
odeur de Romarin.

Sel fixe de tartre.

Il nous reste à considérer dans la distillation du tartre, la tête morte de couleur


noire, & le sel fixe de tartre qu’on en tire. C’est le maître de tous les tels fixes, &
il n’a point son pareil tant en Alchimie qu’en Médecine. Il augmente la vertu de
tous les menstrues, soit d’eau, soit d’esprit de vin, & il facilite beaucoup
l’opération des décodions & des infusions purgatives. C’est un bon diurétique
& diaphorétique, il est spécifique pour les fièvres, il tient le premier rang entre
les cosmétiques, surtout pour remédier aux dartres, aux pustules, aux taches &
à la couperose, &c. Enfin l’onguent de céruse avec l’huile de tartre par
défaillance, est connue & éprouvé contre la galle.

Les Alchimistes n’ont point de meilleur menstrue que le sel de tartre pour
dissoudre, presque tous les minéraux, & extraire leur soufre : il est excellent
pour revivifier les métaux & travailler leur mercure ; c’est pourquoi il est appelé
sel récuscitatif.

Terre foliée du tartre.

Avec le sel de tartre & l’acide volatil du vinaigre, on fait la terre foliée du tartre
qui est proprement un tartre régénéré, dont on peut tirer comme du tartre, de

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 733

l’esprit de l’huile & du sel fixe. Cette terre foliée avec de l’esprit de sel
ammoniac, est un remède salutaire contre le mal hypocondriaque, les maladies
de l’urine & des filles. Voyez Schuvalbe sur l’acide & l’alcali.

Les Chimistes non contents de ce sel fixe de tartre prétendent le volatiliser ;


mais il ne faut pas confondre ici le sel volatil, tiré de la lie du vin, avec le sel de
tartre volatilité. Celui-ci est recherché avec d’autant plus d’empressement par
tous les Chimistes, que Van Helmont assure que c’est le menstrue universel des
Alchimistes, & outre cela un remède qui pénètre jusqu’à la quatrième digestion,
que cet Auteur place dans les artères, & qui déterge & purifie toutes les ordures
du corps par sa venu saponaire.

On tente la volatilisation du sel de tartre en plusieurs manières, les uns se


servent du vinaigre, & procèdent comme dans la terre foliée. Les autres
cohobent & digèrent plusieurs fois le sel de tartre avec l’esprit de vin comme
dans le baume Samech de Paracelse, mais en vain : d’autres comme Van
Helmont, emploient inutilement l’huile fétide de tartre, d’autres entreprennent
cette opération par le moyen de l’air. Zwelpher met fondre le sel de tartre & la
cave, & il se persuadent ridiculement qu’il se volatilise à mesure qu’il
s’empreint du sel acide volatil de l’air. Il est vrai que celui-ci altère le sel de
tartre liquéfié, mais il le change en un sel salé nitreux, non pas en un sel volatil :
une marque que le sel de tartre attire le sel acide de l’air, c’est qu’ayant été
dissout à l’air il fait effervescence avec de nouveau sel de tartre.

Teinture de sel de tartre.

C’est perdre sa peine que d’extraire la teinture du sel de tartre, avec de l’esprit
de vin rectifié, car le sel de tartre se change dans le feu en un corps calciné
rouge qui donne facilement une teinture rouge à l’esprit de vin, mais celle-ci
vient moins du sel de tartre que des parties sulfureuses terrestres. Si on tirait
une teinture du sel de tartre avec de l’esprit de vin non déphlegmé, elle pourrait
servir de quelque chose & avoir quelque vertu.

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CHAPITRE IV.

Des herbes & de leurs vertus.

Nous n’examinerons ici que sommairement les constitutions & les vertus des
autres végétaux, par rapport aux principes de Chimie on a coutume d’exprimer
les qualités des Plantes par les mots de chaud, de froid, d’humide & de sec
comme si le goût pouvait juger de la chaleur, du froid, & des autres qualités qui
appartiennent au toucher, & comme si une saveur mordicante qu’on trouve
dans une Plante, pouvait faire connaître quel est son degré de chaleur. Les
Chimistes jugent bien mieux de ces qualités, en les attribuant aux différents
mélanges des sels. Lorsqu’au lieu de dire comme les Galénistes, qu’une Plante
âcre, par exemple, est chaude, ils disent qu’elle contiens un sel volatil âcre.

On demande si les sels fixes existe : dans les végétaux, avant l’incinération ? Je
réponds que non avec Schuvalbe. Il n’y a point en effet de sel fixe dans aucun
des végétaux, avant qu’il ait passé par le feu actuel, qui en rompant les liens du
mixte, donne moyen à l’alcali & à l’acide de s’approcher & de se joindre, & la
force du feu les fixe dans la cendre d’où ils sont tirés en forme de sel fixe. Le
feu, continue cet Auteur, engendre les sels des végétaux, & ils ne les trouve pas
tous fixés, il les produit & ne les tire pas. Pour preuve de cela, le bois pourri ne
donne aucun sel fixe, & les végétaux desséchés à l’air, en donnent très peu,
parce que le sel volatil, acide & alcali s’est envolé en tout ou en partie avant
l’incinération, au lieu que si on brûle du bois vert & des végétaux tout frais, on
aura beaucoup plus de sel. Mais pour garder ici quelque ordre & remplir la
promesse que j’ai fait d’être succinct, je diviserai toutes les Plantes en cinq
classes.

La première classe comprend les Plantes aqueuses, & presque insipides, comme
le pourpier, la joubarbe, la laitue, les endives, &c. qui contiennent toutes un sel
volatil tempéré & caché, & on les nommé rafraîchissantes, parce qu’à raison de
ce sel elles corrigent l’acide, qui cause les chaleurs & les inflammations. L’alcali
caché de ces Plantes se démontre en ce que leurs essences précipitent les
dissolutions du Saturne, faite avec le vinaigre, ce qui arrive à cause que l’alcali
de ces herbes, s’unit avec l’acide du menstrue, & chasse le Saturne des pores
qu’il occupait. On demande si les eaux distillées des Plantes qu’on trouve
communément dans les boutiques, sont de quelque efficacité? Van Helmont dit
que non. Il appelle ces eaux des tueurs simples des herbes, & assure qu’elles ont
très peu de vertu ; ce qui est vrai des eaux insipides & fans odeur, non pas de

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 735

celles qui gardent l’odeur & la faveur de leurs simples, & qui ont ère préparées
par plusieurs digestions & cohobations.

La seconde classe contient les Plantes aqueuses, mais acides, comme toutes les
espèces d’oseilles d’alleluya, & toutes celles qui ont une saveur acide. Ces
Plantes ont un acide retenu dans un alcali caché, leurs eaux ne sont pas bonnes
comme leurs sucs, surtout à l’égard du suc rouge de l’oseille qui est d’une
saveur très agréable, toutes ces Plantes sont bonnes pour l’estomac, & très utiles
dans les fièvres ardentes pour tempérer la chaleur de la bile. Leur suc évaporé
suivant l’art, donne un véritable tartre ou sel essentiel cristallin de la même
saveur & figure que le tartre du vin.

La troisième classe renferme les Plantes d’une saveur amère sans odeur, qui ont
un sel subtil de la nature des alcalis, ou nitreux celles sont la chicorée, le
chardon bénit, le chardon de Notre-Dame, l’houblon. la sumeterre, la petite
centaurée, la dent de Lion, &c. On tire de leurs sucs par l’évaporation, un sel
essentiel qui étant dépuré par une lessive, donne un sel inflammable. Ces
Plantes à raison du nitre font détersives, diurétiques & sudorifiques : elles
conviennent par conséquent dans les maladies chroniques, où il s’agit de
nettoyer les ordures & rétablir la constitution de la masse du sang. On s’en sert
heureusement dans les décoctions, auxquelles elles communiquent
promptement leurs vertus, & dans des nouëts diurétiques altérants, &c.

La quatrième classe est composée des Plantes âcres & pénétrantes, lesquelles
possèdent un sel volatil très âcre. Telles sont le cresson, la cochlearia, la
moutarde, l’armoracia, le raifort, la roquette, le poivre, &c. Ces Plantes sont
nommées antiscorbutiques, & se donnent pour corriger l’acide qui pèche dans
le mal hypocondriaque, dans la Cakexie, &c, Les eaux distillées de ces Plantes,
entraînent avec soi quelque portion de sel volatil âcre, ce qui leur donne
quelque efficacité. Ces mêmes Plantes par le moyen de la fermentation
fournissent un esprit qu’elles n’avaient pas avant la fermentation, & qui s’est
formé des particules salines, oui se sont volatilisées & jointes avec les huileuses,
& enfin se sont changées en esprit à force de fermenter.

Est-il nécessaire, dira quelqu’un, de faire fermenter ces Plantes pour en tirer
l’esprit, puisqu’elles sont remplies de beaucoup de sels volatils ? Ceux qui
tiennent la négative disent que les sels les plus volatils dans lesquels la vertu de
ces Plantes consiste, s’exhalent dans la fermentation. Ce qu’ils confirment par
l’odeur de ces Plantes qui se fait sentir dans tout le voisinage durant qu’elles
fermentent. Ceux qui tiennent l’affirmative, disent que la fermentation sert à
ouvrir ces mixtes, & à volatiliser les sels qui y sont fixés, & que le peu qui
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 736

s’exhale n’est d’aucune considération, parce que ces sels sont tellement liés &
embarrassés ensemble, qu’il est difficile qu’ils s’envolent. En effet l’esprit de la
cochlearia préparé par la fermentation est beaucoup plus âcre que celui qu’on
tire par la distillation seule. Ordinairement on distille ces herbes, on remet la
liqueur distillée sur des nouvelles pour la rectifier, puis en faisant fermenter le
reste, on en tire encore un esprit très bon.

La cinquième classe est des Plantes odoriférantes & aromatiques, comme la


sauge, le romarin, le pouliot, le thym, le serpolet, le lévistie, l’angélique, la
semence d’anis, de fenouil, de cumin, &c. Ces Plantes ont un sel volatil huileux,
& elles donnent dans la distillation, une eau surnagée par une huile dans
laquelle la vertu de la Plante eu concentrée. Le sel fixe reste dans la tête morte.
Elles fournissent aussi de l’esprit par le moyen de la fermentation, mais il vaut
mieux en tirer l’huile, parce que la vertu de la Plante y est moins altérée.

Ces Plantes à raison de leurs facultés sont dites céphaliques, stomachiques,


nervines, utérines, cordiales, &c. Elles sont la base de toutes les eaux
apoplectiques & épileptiques ; à cause de leur sel volatil aromatique, très
salutaire aux nerfs que l’esprit de vin exalte.

A raison de leur partie huileuse ; elles sont bonnes contre les vents, en
empêchant la fermentation contre nature qui les engendre.

CHAPITRE V.

Des Fleurs.

ON peut les diviser en trois classes. La première classe contient les fleurs sans
odeur comme celles de nimphée, d’antirrhinum, d’ancolie, de cyanus, ou bluet.
&c. L’eau tirée de ces fleurs est inutile, mais leur suc épaissi n’est pas toujours à
rejeter.

La seconde classe comprend les fleurs qui n’ont qu’une odeur superficielle
comme le muguet, les roses, la violette, le jasmin, l’hyacinthe, &c. qui se dissipe
facilement, on en tire par la distillation peu ou point d’huile odoriférante, si ce
n’est par le moyen de l’infusion. Par exemple, on stratifie des fleurs de jasmin,
avec de l’huile de behen qui se charge de l’odeur du jasmin ; mais ces huiles
sont plutôt cosmétiques que médicales.

La troisième classe renferme les fleurs odoriférantes & aromatiques, dont la


vertu est concentrée, comme la lavande, le thym, le serpolet, &c. Ces fleurs ont
la même vertu que les Plantes aromatiques, & sont nervines : on en peut tirer de

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 737

l’huile, & elles donnent avec de l’esprit de vin, un véritable esprit de vin
aromatique.

CHAPITRE VI.

Des Bois.

Les bois sont presque tous d’une même nature, & on en tire par le moyen du
feu premièrement de l’eau simple, secondement un esprit acide troisièmement
une huile grossière, puante & empyreumatique, quatrièmement il se trouve
dans la tête morte un sel fixe avec une terre noire.

L’esprit des bois contient de l’acide & un esprit ardent, car si on le verse sur du
corail ou sur d’autres corps terrestres fixes, ceux-ci prennent & retiennent la
partie acide & abandonnent dans la distillation la partie volatile ardente qui est
presque semblable à de l’esprit de vin. L’esprit de bois est un excellent
sudorifique, la dose est de demi dragme à une dragme. Tous les bois sont en un
mot sudorifiques, soit en décoction, soit en forme d’esprit ou d’essence, celle-ci
est salutaire pour les affections cutanées & catarrheuses.

L’huile des bois est pareillement un puissant sudorifique. Elle convient aux
bubons pestilentiels, aux ulcères, à la vérole, &c. La suie qui procède du bois,
est l’esprit acide qui s’envole, lequel est composé d’un acide volatil, & d’un sel
volatil urineux. On tire de la suie les mêmes choses que du bois dont elle vient,
c’est-à-dire, un phlegme, un esprit, un sel volatil, une huile & la tête morte.
L’esprit de suie pousse par les Sueurs, & est salutaire à la pleurésie, la dose est
d’une dragme. L’emplâtre de térébenthine & de suie, est admirable pour
appliquer aux pouls dans les fièvres longues, & il est l’une grande utilité dans
les ulcères chancreux, à raison de son sel volatil.

CHAPITRE VII.

Des Semences.

Les unes sont nourrissantes, les autres sont médicales ou altératives. Les
premières sont tempérées & les dernières excèdent en chaleur ou en odeur. On
en peut faire commodément trois classes.

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La première comprendra les semences qui excédent en odeur ou en saveur, &


sont nommées carminatives : elles renferment un sel volatil huileux, comme la
semence de fenouil, d’anis, de carvi, de cumin qui se tire tantôt par distillation,
tantôt par expression, & qui fait toute leur vertu. Etant infusées dans du vin,
elles chassent puissamment les vents, elles sont pareillement nervines, &
remédient aux convulsions qu’on a coutume d’attribuer aux vapeurs âcres.

La seconde classe contiendra les semences d’une saveur excessive & très âcre
comme la semence de la moutarde, de cochlearia, du poivre ; elles ont
beaucoup de sel volatil âcre joint à quelque peu d’acide, à raison de quoi elles
conviennent au scorbut où l’acide rance & vicié domine ; elles ne fournissent
aucunes préparations, excepté un esprit qu’elles donnent par la fermentation.

La troisième classe sera composée des semences tempérées, & particulièrement


de celles qui sont nourricières, à raison d’un certain mucilage qu’elles
contiennent qui est tantôt plus aqueux, comme dans la semence de persil, de
fenugrec, les quatre semences froides, fie les quatre petites. Tantôt plus huileux,
comme dans la semence de lin, & des amandes douces. On tire de l’huile par
expression de ces dernières semences, & on peut tellement volatiliser &
subtiliser les autres qu’elles donnent un esprit, comme il est manifeste dans la
bière, & les autres boissons préparées avec l’orge & le froment qui enivrent. On
tire même un esprit ardent & inflammable, par le moyen de la fermentation ;
lequel enivre puissamment.

Le pain se forme quand les principes fermentatifs du grain sont arrêtes au


milieu de leur volatilisation, & quand les acides fixes sont réduits en une masse
avec les autres particules.

La préparation du pain consiste particulièrement dans la fermentation, par la


moyen de laquelle l’acide volatil du levain qu’on y a ajouté, ôte la viscosité de la
farine, & ouvre la porte aux parties salines & sulfureuses, qui sortent de leurs
entraves, se volatilisent, & se convertissent en esprit volatil ardent. Avant que
toutes ces parties soient volatilisées, il faut mettre la pâte au four, ou pendant
qu’elle cuit, une portion des particules volatilisées, s’envole en forme d’esprit
qui remplie tout le lieu d’une odeur très agréable, & qui est un confortant plus
excellent que toutes les eaux des Perles. Kerker, enseigne la méthode de
ramasser cet esprit. L’autre portion des sels imparfaitement volatilisés, à cause
de l'action qui arrête la fermentation, demeure embarrassée avec les autres
particules. Mais on peut la tirer par le moyen du feu & d’une retorte en forme
d’esprit volatil, qui tire sur l’acide d’où dépend l’acidité subtile du pain.

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Voilà les vertus générales des végétaux qui ne doivent pas être confondues avec
les vertus spécifiques de chacun en particulier, laquelle est fondée sur la
constitution individuelle du mixte. Il se trouve, par exemple, beaucoup de
Plantes qui conviennent entre elles en saveur âcre, & qui sont toutes différentes
à raison de leur spécifique : ainsi l’absinthe & la petite centaurée conviennent en
amertume, & différent en ce que l’un fortifie l’estomac et l’autre guérit les
fièvres.

On doit dire la même chose de toutes les parties des Plantes, les fleurs de
muguet guérissent l’épilepsie, celles de primevère & de romarin, la paralysie, &
le safran est pour la suppression des mois des femmes. Tous les bois sont
généralement sudorifiques, mais spécifiquement le buis est anodin, le coudrier
anti-épileptique, le sassafras convient aux catarrhes, & le gayac à la vérole. Les
semences d’anis, de fenouil, de roquette & de moutarde, sont presque
semblable en saveur, non pas en vertu spécifique, la semence de moutarde est
salutaire à l’estomac, celle de roquette à l’asthme, celle d’anis aux vents & celle
de fenouil aux yeux.

CHAPITRE VIII.

De la correction de la malignité de certains végétaux malins.

LA préparation de végétaux consiste à leur ôter ou à empêcher leur crudité


maligne, & à réunir la vertu qui est dispersée dans tout le mixte. Le premier
s’appelle correction, ce qui se doit entendre d’une correction véritable, & non
palliative, non pas d’une castration, car souvent, on les prive de leur vertu au
lieu de les corriger.

La véritable correction consiste à ôter les propriétés nuisibles ou virulentes du


remède, & à conserver sa venu salutaire. Lorsqu’on mêle des aromates aux
purgatifs comme correctifs, par exemple, la zédoaire à la scamonée, le mastic &
le gingembre au turbith, le cumin à la colokinte, les amandes douces & le safran
à l’euphorbe, le fenouil au jalap, &c. Ce n’est qu’une correction palliative, qui
diminue simplement leur malignité, sans la leur ôter, & ce n’est pas de quoi il
s’agit ici, car les purgatifs ont besoin pour la plupart d’une véritable correction,
ainsi que l’opium & les narcotiques. On ne peut pas nier que les purgatifs
n’aient besoin d’être corrigés, puisqu’on ne peut pas douter de leur virulence,
qui est si manifeste dans leurs opérations, qu’un homme sain qui en prend d’un
peu forts, devient triste & chagrin, ressent des tranchées cruelles dans le bas
ventre, & plusieurs autres symptômes terribles, l’hellébore produit des

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 740

convulsions, le jalap des surpurgations mortelles, des tranchées, des coliques,


l’épilepsie, & souvent la passion hystérique.

L’opium non corrigé cause la manie, la stupeur des sens, des songes terribles, &
plusieurs autres cruels symptômes. Tous les hypnotiques & narcotiques font la
même chose, savoir le jusquiame, le solanum, le pavot, &c. A l’égard de la
scammonée, la notre est fort différence de celle des Anciens, que Dioscoride
recommande, qui était un suc tiré de la racine d’une Plante de Syrie bien mûre
& creusée, qui donnait un remède si doux, que Musué, assure qu’on en donnait
jusqu’à une dragme. Ce qui ne se peut dire de notre scammonée, qui est un suc
lacté épaissi & coagulé de tithymale, tiré par expression de toute la Plante, &
non de la racine par incision : aussi est-ce un purgatif puissant, qui purge avec
violence les humeurs faines & morbifiques également.

Tous les tithymales ont un suc caustique ainsi que la scammonée, à cause d’un
sel volatil très âcre qu’ils contiennent, ce sel fermente également avec le chyle &
les sucs excrémenteux, & purge tant les matières saines que les morbifiques, ce
qui ne se fait pas sans causer de grandes irritations aux intestins, des tranchées
& des superpurgations mortelles. Ceci montre que notre scammonée a besoin
d’être corrigée autrement que par des aromates.

Les acides minéraux dont on se sert pour corriger la scammonée, détruisent


moins ce sel âcre qu’ils ne lui ôtent sa venu purgative. Il en est de même de tous
les purgatifs végétaux, l’hellébore, par exemple, perd son efficacité avec l’esprit
ou le phlegme de vitriol. La gomme-gutte & l’ésula qui approche de la
scammonée, perdent la leur avec les acides, spécialement avec l’esprit de soufre.

Ainsi la scammonée passée au soufre, quitte quelque chose de sa virulence ;


mais ce n’est pas sans perdre beaucoup de sa vertu purgative. La raison de ceci,
est que le soufre allumé laisse aller son esprit qui s’insinue dans la scammonée,
tempère son sel volatil, le fixe & le détruit successivement. La scammonée ainsi
préparée, est plus ou moins purgative, selon qu’elle a été plus ou moins soufrée,
& il faut bien prendre garde que la scammonée ne se fonde dans cette
préparation, car si cela était, la fumée du soufre ne pourrait pas pénétrer sa
substance, & elle garderait toujours sa même violence, il faut donc la pulvériser,
afin que la fumée du soufre la pénètre mieux, & corrige en quelque manière sa
malignité.

Le magistère de scammonée préparé avec les acides, mérite la même critique.


On dissout ordinairement la scammonée pulvérisée, dans l’esprit de vitriol bien
rectifié, on distille la dissolution, puis on précipite la liqueur distillée avec

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l’huile de tartre par défaillance. La dose de ce magistère est d’un scrupule à un


scrupule & demi, & suivant quelques-uns, depuis une dragme jusqu’à quatre
scrupules, au lieu que la véritable scammonée ne se donne que jusqu’à six ou
neuf grains au plus. Les sucs acides des végétaux, sont meilleurs ici que les
acides minéraux, celui de coin dompte le diagrede, & les sucs. de citron & de
limon adoucissent puissamment la scammonée. Mais toutes ces corrections par
les acides, surtout par les minéraux, sont de véritables castrations qui lui ôtent
fa vertu laxative.

Ceci nous montre que la raison pourquoi les mêmes purgatifs agissent mieux
les uns que les autres ; vient du levain de l’estomac, qui est plus ou moins acide
en divers sujets. Les purgatifs, par exemple, opèrent peu sur un homme qui a le
levain de l’estomac trop acide, ou qui boit quelque acide après avoir pris le
purgatif. Ce qui se confirme par les mélancoliques & les hypocondriaques, que
les purgatifs émeuvent difficilement, & très peu, à cause de l’acide des
premières voies. L’expérience nous apprend que les purgatifs avalés par un
Chien, même le verre d’antimoine jusqu’à plusieurs grains, n’opèrent que peu
ou point du tout sur cet animal, au lieu qu’étant injectés dans ses veines, ils
opèrent assez promptement. Ce qui arrive manifestement de ce que le levain de
l’estomac du Chien est trop acide.

Ce qui a été dit des purgatifs se peut attribuer à l’opium qui opère plus
doucement, ayant été corrigé par les acides. On le corrige ordinairement par le
soufre, & l’esprit de vitriol, ou par plusieurs dissolutions dans le vinaigre : mais
ces acides détruisent plutôt la vertu de l’opium, qu’ils ne corrigent sa malignité.
Sa vertu consiste dans un sel volatil huileux, ou joint à un soufre abondant &
puant, qui sont l’un & l’autre détruits par l’acide. Quelques-uns laissent
évaporer l’opium pour lui ôter une partie de son soufre narcotique, pour ne pas
énerver un remède si excellent & si désirable, que Sylvius assure qu’il aimerait
mieux n’être pas Médecin ; que d’être sans laudanum.

Si les acides adoucissent l’opium & les purgatifs, l’esprit de vin au contraire
exalte leur vertu, & on s’en sert pour tirer les résines des purgatifs, lesquelles
purgent en très petite dose. C’est assez parler des corrections palliatives & des
castrations des végétaux, passons à la véritable correction qui consiste dans la
fermentation ou dans la préparation avec des sels alcalis.

Quant à la fermentation, elle renverse entièrement la tissure du mixte, & on la


nomme par cette raison, la clef qui ouvre la porte aux poisons renfermés dans
les végétaux, & spécialement dans les purgatifs. L’élaterium même s’adoucit
entièrement par le moyen de la fermentation ; pour marque de cela, j’ai pris
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 742

moi-même du suc récent de concombre sauvage, que je laissai fermenter, &


épaissir, j’en eus un rob très amer, mais si bien corrigé, qu’on en pouvait
prendre vingt deux grains sans rien craindre, au lieu qu’on n’en donne pas
ordinairement jusqu’à quinze grains. La coloquinte qui eu un purgatif très
violent, perd pareillement beaucoup de sa malignité par la fermentation
suivante. Mêlez des pommes de coloquinte avec du suc de pommes de reinette,
laissez bouillir le tout, après quoi vous y ajouterez un peu de levure de bière
pour faciliter la fermentation. Quand celle-ci aura assez duré, ce qui se
connaîtra par l’odeur amère qui se fera sentir, on extraira la tout avec un
menstrue approprié : vingt grains de cet extrait purgent avec moins de violence,
que dix grains de l’extrait ordinaire. Ce n’est pourtant pas fans tranchées.

L’opium se corrige de même par la fermentation, Van Helmont le fait fermenter


avec le suc de coin ou de pommes de reinette, où il le laisse digérer, après
l’avoir laissé un peu évaporer, puis il le laide fermenter & épaissir. Trois grains
d’opium ainsi préparé, opèrent plus doucement que demi grain de l’autre.
Durant la fermentation, l’opium jette une odeur de pavot, ainsi que l’esprit
d’opium. Quand on le tire par la fermentation, cette correction de Van Helmont
est très bonne. Voici la préparation du laudanum, donc Cnoringius se servait en
diverses rencontres. Il prenait l’opium, il y ajoutait de l’extrait de castoreum,
des espèces de diacalamintha, & un peu de pierre de bésoard, mêlant le tout
exactement, il donnait pareillement la scammonée préparée avec le suc de coin
dans les passions hystériques. La correction par les sels alcalis, est encore
meilleure que celle par la fermentation, témoin la Coloquinte à laquelle cette
dernière laisse toujours quelque malignité qui donne des tranchées, ce qu’elle
n’a pas quand elle a été corrigée avec des sels alcalis, qui doivent être fixes ou
volatilisés ; ce n’est pas à dire volatils, mais qui de fixes ont été exaltés jusqu’au
degré de volatilité. Alors ils sont très propres à corriger les malignités des
végétaux, même celle du napel, oui suivant Boyle, dans sa Philosophie
expérimentale, page 163 devient salutaire, par une légère digestion avec le sel
de tartre fixe ou volatilisé, sur quoi on peut voir l’Abbé Rousseau, qui par la
fermentation en faisait une liqueur très saine & fort agréable. Mais comme la
méthode de volatiliser les sels fixes, n’est pas connue de tout le monde, on peut
faire ces corrections avec l’esprit du vin tartarisé. Les sels fixes corrigent
pareillement les purgatifs. On choisit ordinairement ceux de tartre & de nitre.
Le sel de tartre est le meilleur correctif de l’opium & des purgatifs, celui du
nitre le suit qui s’alcalise avec le charbon.

Ce sel nitre fixe digéré en forme de lessive avec les végétaux, corrige leurs
mauvaises qualités. Pour mieux corriger l’opium, on joint le sel fixe de tartre à

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 743

l’huile distillée de térébenthine. Enfin la terre foliée de tartre faite avec le sel de
tartre, imprégné du vinaigre distillé, est après le tartre le meilleur correctif de
tous les végétaux, spécialement de la scammonée. A la place de cette terre, le
bon vin du Rhin imprégné de sel de tartre, suffira pour corriger l’opium & tous
les autres végétaux.

La correction de l’opium sert à le rendre anodin, sûr, innocent & salutaire, dans
la plupart des maladies, au lieu qu’il est narcotique. On le joint donc au cinabre
ou antimoine fixe, dans les maladies malignes & aux sels volatils d’ambre & de
corne de Cerf dans les maladies chroniques, surtout dans la passion hystérique
& l’épilepsie.

La correction des purgatifs les rend, souvent diurétiques ou diaphorétiques, ou


s’ils retiennent quelque chose de leur vertu purgative, ils sont tellement adoucis
qu’ils opèrent sûrement & promptement sans picoter l’estomac, ni causer de
tranchées dans les intestins. La rhubarbe, par exemple, digérée avec le sel de
tartre, perd toute sa vertu purgative, & l’Asarum, ou Cabaret devient un
diurétique, puissant contre les fièvres quartes, lorsqu’on la fait bouillir dans
l’eau.

SECTION V.

Des Animaux.

CHAPITRE PREMIER.

Des Animaux parfaits & imparfaits.

IL n’y a pas beaucoup de différence entre les animaux en général, à l’égard des
procédés qui s’en font en Chimie, qui conviennent tous à raison d’un sel volatil
de même genre, excepté les insectes qui ont quelque chose de particulier.
Toutes les parties des animaux tant solides que liquides, contiennent beaucoup
de sel volatil huileux qu’on tire par le feu, comme on le remarque dans la
distillation du poil, de la corne, des os, du sang & des excréments mêmes. Ceci
nous fait comprendre que le sel urineux est le principe qui domine dans tous les
animaux. Ce principe y est rassasié de son acide, & ce dernier domine même
dans quelques-uns, comme dans les grandes Fourmis, qui jettent certaine odeur
acide lorsqu’on les écrase, & qui dans la distillation donnent un esprit acide,
capable de corroder le fer & de le convertir en rouille. L’acide des Fourmis est
néanmoins tempéré par son alcali, témoin l’esprit urineux & alcali, que
quelques-uns tirent de l’esprit acide de Fourmis ci-dessus, en le distillant après
y avoir ajouté de la chaux vive, & un peu d’eau froide pour y exciter

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 744

l’effervescence. Il y a pourtant une méthode plus courte de séparer l’urineux


d’avec l’acide, qui est de renfermer les Fourmis dans un vaisseau de verre bien
bouché, jusqu’à ce qu’elles soient réduites en putréfaction ; car alors l’acide &
l’urineux combattent ensemble, s’altèrent & se changent en un esprit urineux de
la nature des alcalis.

Le sel volatil des animaux est salé, lorsqu’ils sont dans leur vigueur, c’est-à-dire,
qu’ils sont composés d’un acide & d’un alcali volatils, qui en s’unissant, font un
sel salé volatil, dominé pourtant par urineux. Ceci paraît manifestement dans
les excréments des animaux. Tachenius enseigne la manière de séparer ces deux
Sels.

Dans la distillation des animaux ou de leurs parties, il sort premièrement un


phlegme spiritueux qui se ramasse en forme de gouttières, ce qui n’arrive à
aucun phlegme pur, mais uniquement aux esprits seuls.

Secondement;, il sort beaucoup de sel volatil qui s’attache aux parois du


récipient, & qui représente souvent la figure de son mixte, comme j’ai remarqué
en distillant de la corne de Cerf, & de l’eau de sperme de Grenouilles, d’où j’ai
tiré un sel qui avait la figure de petites Grenouilles, Et un Chimiste de ma
connaissance a vu un sel volatil d’absinthe qui ressemblait exactement à cette
Plante. Ce sel volatil des animaux varie suivant les sujets, soit qu’il vienne des
parties molles ou des parties dures. Il est plus âcre dans les animaux sauvages,
que dans tes animaux domestiques, & beaucoup plus volatil & pénétrant dans
les mâles que dans les femelles. Il est plus tempère dans les animaux châtrés,
que dans ceux qui ne le sont pas, à cause que le levain des testicules rend la
masse du sang plus âcre.

On me dira peut-être que si le sel volatil des animaux vivants est salé, comme je
l’ai dit, il n’en devrait pas sortir dans la distillation un sel volatil urineux, joint à
très peu d’acide. Mais je répondrai que l’acide des parties des animaux,
s’attache au volatil urineux & se coagule avec lui.

Troisièmement, l’huile sort après le sel volatil, qui n’est encore rien autre chose
qu’un sel volatil concentré par l’acide graisseux. Pour preuve qu’il y a de l’acide
dans les huiles, c’est qu’en les mêlant avec leurs sels volatils propres, elles
dégénèrent avec le temps en forme de savon, qui est une marque de l’union
mutuelle de l’acide & de l’alcali qui fait le Savon,

Quatrièmement. il reste une tête morte noire & vide : car on y trouve aucune
acidité, ni aucun sel fixe, d’autant que tour a été volatilité, tant par la

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 745

fermentation que par l’inspiration continuelle de l’air dans le corps de l’animal.


Comment pourrait-il y rester du fixe ? Il ne sert de rien de dire qu’on a tiré
quelquefois un peu de sel fixe des animaux, car ce n’était pas leur sel naturel,
mais du sel qui avait été uni dans leurs aliments, & que le levain de l’estomac
n’avait pas encore séparé. Ce qui est si vrai, que quand on a distillé cette sorte
de sel, on en a tiré un esprit acide, semblable à l’esprit de sel commun. Quoique
la tête morte des parties des animaux soit ordinairement noire, on peut
néanmoins la rendre blanche en la calcinant à un feu violent, de même que nous
voyons un charbon noir se changer en cendres très blanches à force d’être
calciné. Ce changement de couleur vient du changement de tissure. Sur quoi
voyez le Chevalier Boyle.

Les insectes ont pareillement beaucoup de sel volatil, mais nitreux, & non
huileux, en quoi il est beaucoup volatil & plus pénétrant que le sel volatil des
animaux parfaits. Beccher tire un véritable nitre des vers de terre putréfiés, &
les préparations des insectes qui vivent dans les caves, les vieilles mâtures, &
les lieux souterrains, comme les Cloportes, les Carpeaux, les Vers de terre, &c.
possèdent une vertu diurétique admirable, qu’elles tiennent du nitre.

Les parties molles des animaux se changent quelquefois entièrement en une


liqueur spiritueuse, par exemple, l’arrière faix humain dépouillé de sa peau qui
est très mince, puis haché & putréfié au bain-marie, s’en ira tout dans la
distillation en une liqueur spiritueuse. Il en est de même des cerveaux de tous
les animaux. Les Vers de terre putréfiés se changent entièrement en esprit,
excepté la peau seule. On met, par exemple, des Vers de terre dans une fiole
non exactement bouchée, de peur qu’elle ne se casse ; on expose le tout au soleil
durant quelques jours, & les Vers se dissolvent en trois sortes de substances.
Premièrement, on voit au fond une terre noire. Secondement, les peaux sont au-
dessus. Troisièmement, on voit entre-deux une liqueur de couleur d’or, qu’on
sépare pour l’usage. Si on enfouit sous terre ces peaux vides des Vers, il en
naîtra un nombre prodigieux de Vers.

Esprit essencifié.

Quant a l’usage des productions Chymiques des animaux, premièrement le


phlegme spiritueux qui sort le premier est rarement mis en usage tout pur, on le
rejoint ordinairement avec son sel volatil, & alors on le nomme esprit essencifié.
Par exemple, le phlegme spiritueux de corne de Cerf, mêlée avec le sel volatil de
corne de Cerf, se nomme esprit essencifié de corne de Cerf.

Secondement, le sel volatil étant de la nature des alcalis, est par conséquent

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 746

contraire à tout acide contre nature, & à raison de sa pénétration il va chercher à


détruire son ennemi jusque dans les parties les plus reculées, d’où il le chasse &
le fait sortir par la tueur; ainsi il n’y a rien de meilleur dans la goûte que les sels
volatils des animaux ; rien aussi n’est plus propre pour résoudre le sang
grumelé, & dissiper les inflammations qui s’ensuivent, ni pour pousser la sueur,
& c’est par cette raison qu’ils sont d’un secours surprenant dans l’érésipèle, la
pleurésie, & les autres affections semblables qui se guérissent par la sueur. Par
la même raison ces sels sont excellents dans les fièvres malignes, dans la petite
vérole, la rougeole, le pourpre des femmes, &c. Ils sont outre cela salutaires aux
douleurs vagues des scorbutiques, en tant qu’ils détruisent l’acide morbifique.
Ils ne cèdent à aucun autre remède dans l’épilepsie, l’apoplexie, & la paralysie.
pourvu qu’on fasse précéder les remèdes requis. Enfin ce sont les plus sûrs
sudorifiques de là Médecine.

Troisièmement, l’huile toute désagréable qu’elle est, n’est pas à rejeter, on la


rectifie plusieurs fois sur sa tête morte, pour lui ôter quelque chose de son
acidité, & pour corriger son odeur & sa faveur désagréable. Après quoi elle est
salutaire pour oindre les parties dans la paralysie & le tremblement, & pour
frotter les tumeurs dures & squirreuses : trois ou quatre goûtes prises
intérieurement, poussent puissamment par les sueurs.

La tête morte pour être dépouillée de toute acidité & vide à cela de commode
qu’elle en est plus propre à absorber toutes les humidités, & elle devient par
accident très utile en Médecine, soit intérieurement, soit extérieurement. Elle
absorbe si bien l’acide, que si on verse de l’esprit de vitriol sur la tête morte de
corne de Cerf, il perd d’abord toute son acidité. Ce qui fait voir que ces sortes
de têtes mortes seraient admirables dans le soda, ou mal d’estomac, oui dépend
de la surabondance de l’acide vicié dans les premières voies. Il ne faut pas
confondre ceci avec la calcination Philosophique, ou la calcination sans feu des
parties des animaux, qui se fait ou par la vapeur, comme quand on rend leurs
os friables à la faveur de la vapeur, ou par immersion, comme quand on en tire
la gelée par une coction simple. Il se perd beaucoup de sel volatil dans cette
calcination Philosophique, mais il en reste toujours, comme il paraît, de ce qu’en
distillant la corne de Cerf calcinée Philosophiquement, on en tire de l’huile, de
l’esprit, & assez de sel volatil. Voilà en général les procédés qu’on fait en
Chimie sur les animaux.

Quant à leurs vertus, les sels volatils de tous les animaux conviennent en
général par rapport à leur pénétration, mais ils ont outre cela chacun leur vertu
spécifique, qui fait que le sel volatil de l’un est plus propre à certaines maladies,

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 747

que le sel volatil de l’autre, par exemple, le sel volatil de corne de Cerf est
propre aux fièvres malignes : celui de Vipère aux affections cutanées : celui de
Carpeaux eu diurétique & anti-hydropique : l’esprit & le sel volatil des Vers de
terre, absorbe & chasse l’acide des goûteux ; le sel ammoniac est expérimenté
contre la fièvre quarte : le sel volatil des yeux d’Ecrevisses est vulnéraire, & les
décoctions de ces yeux sont très salutaires contre les plaies & les ulcères. Enfin
les écrevisses sont bonnes pour la brûlure, & elles étaient en réputation dès le
temps de Gallien. Le sel volatil de sang humain est souverain contre l’épilepsie,
& celui d’urine pour le calcule Le crâne humain passe pour l’antidote de la
dysenterie. L’urine ou mousse du même crâne, arrête toutes les hémorragies, &
fait la base de l’onguent magnétique. Le cerveau humain donne par la
putréfaction un esprit merveilleux contre l’épilepsie. L’arrière faix humain par
le moyen de la putréfaction, fournit un esprit salutaire pour pousser le fétus
mort ou vivant. La dose est de trente ou quarante goûtes dans de la bière. Il
pousse pareillement les vidanges après l’accouchement, apaise les douleurs
d’après l’enfantement. Le sang menstruel renferme plusieurs facultés ; un linge
trempé dans celui d’une vierge, guérit par application, les érésipèles, les
douleurs violentes de la goûte, & même la fièvre tierce, au rapport d’un de mes
amis. Voyez Paracelse. Le Priape de Cerf est le spécifique de la dysenterie, on le
donne en décoction avec des foies de Vipère, & des cristaux préparés. Le Priape
de Baleine est anti-pleurétique. Les fientes des animaux ont de grandes vertus
par leur sel volatil. La fiente de porc arrête toutes fortes d’hémorragies, on en
donne une dragme en forme de poudre, ou en forme d’électuaire, il y a un an
qu’une femme eut ensuite d’une fausse couche une perte de sang
extraordinaire, son mari lui donna de la fiente de porc à son insu, & par mon
conseil, & d’abord le flux cessa, & la malade fut bien rétablie. La fiente de
Cheval est le remède de la colique & de la passion hystérique. On en donne le
suc exprimé avec de la bière ou du vin. Ce même suc convient à la petite vérole
& à la rougeole des enfants, ainsi qu’à la pleurésie.

CHAPITRE II.

De la préparation légitime de certains médicaments.

LA préparation des médicaments a deux buts. Le premier est d’avoir les vertus
pures des simples, & séparées des scories excrémenteuses. Le second est d’ôter,
de corriger, ou d’altérer leurs qualités nuisibles ; car rarement on emploie les
simples crus & sans préparation, à cause des excréments terrestres des végétaux
& du soufre arsenical & narcotique des minéraux.

Mais les préparations Chimiques, dira quelqu’un, opèrent-elles par leur vertu
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 748

naturelle, ou par une nouvelle vertu que l’art leur a donné ? Je réponds à cela
qu’il y a peu de remèdes Chimiques qui aient leurs vernis naturelles, après
l’examen du feu, & qu’ainsi ils acquièrent de nouvelles vertus, où les leurs se
trouvent extrêmement altérées. Ce qui arrive en partie par le changement du
tissu naturel de ces simples, en partie des additions qu’on y joint ; & en partie
de la diversité des opérations s car plus un remède est composé & travaillé plus
ses vertus se changent. L’or fulminant nous servira d’exemple. Ce métal ne
fulmine point de lui-même, c’est par le moyen des choses qu’on y ajoute. Il en
est de même de la poudre à Canon, dont chaque ingrédient en particulier ne
fulmine point ; il faut qu’ils soient joints tous ensemble pour faire du bruit. Ceci
nous démontre que les diverses combinaisons font les différentes vertus :
l’argentine purge point de soi, mais il purge puissamment les humeurs
séreuses, étant joint avec l’esprit de nitre dans la Lune Hydragogue ; & il perd
sa vertu purgative, dès qu’on le sépare d’avec l’esprit de nitre.

Elixir de propriété.

Ainsi dans l’Elixir de propriété, il ne faut pas s’arrêter à examiner la vertu, de


chaque ingrédient. Et il ne sert de rien de dire par exemple, que l’aloès est un
bon détersif, que la myrrhe est balsamique, & que le safran réjouit le cœur. On
doit plutôt confédérer le composé, d’autant que les vertus des ingrédients ont
pu être exaltées ou altérées. Pour extraire l’Elixir de propriété, on se sert
communément de l’esprit acide de soufre ou de vitriol, mais celui de sel
commun vaut mieux, pourvu qu’on tire chaque ingrédient en particulier pour
joindre ensuite les extraits, & leur donner une juste consistance. C’est un
remède salutaire pour l’estomac, il déterge puissamment l’abondance des
mucosités acides dont il est rempli, & il convient à cet égard mieux aux
personnes humides, qu’aux sèches : il préserve de la corruption & de toute
pourriture, tant interne qu’externe, & il tue les Vers qui s’y engendrent. Cet
Elixir est plus salutaire aux maladies des femmes, quand on le prépare avec des
alcalis fixes ou volatils, qui dissolvent facilement les ingrédients, par exemple,
avec des sels fixes.

Prenez du sel de tartre & de nitre, parties égales de chacun. Faites détonner le
tout ensemble, pour réunir ces deux sels en un sel urineux, donc vous ferez une
lessive avec de l’eau simple, puis vous y dissoudrez l’aloès, la myrrhe & le
safran, vous ferez évaporer la dissolution jusqu’à la consistance requise, après
quoi vous y verserez de l’esprit de vin pour extraire les espèces nommées.

Si l’esprit de vin est bien rectifié, il ne tirera rien du sel de tartre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 749

L’Elixir ainsi préparé est spécifique pour les maladies des femmes surtout pour
la suppression des mois & des vidanges après l’accouchement.

Pour composer l’Elixir de propriété avec un alcali volatil, on y joint l’esprit de


sel ammoniac avec l’esprit de vin. Ce mélange dissout parfaitement le safran &
la myrrhe, & donne une teinture anti-scorbutique admirable. Que si on dissout
& évapore suivant l’art, les ingrédients de l’Elixir de propriété, on aura un
remède exquis pour les maladies malignes, pour se préserver de la petite
vérole, & du pourpre, pour la galle, & autres affections cutanées qui
accompagnent la vérole.

Le meilleur Elixir de tous, est lorsqu’au lieu des esprits acides, on aiguise
l’esprit de vin avec la terre foliée de tartre, qu’il dissout parfaitement, pour le
verser ensuite sur les espèces, & procéder comme il a déjà été dit. Ce même
menstrue est un puissant diurétique, & d’une saveur agréable.

Dans la préparation de l’Elixir de propriété, on a quelquefois en vue de le


rendre simplement altératif, & quelquefois de le rendre purgatif. Pour la
première vue, il suffit de l’extraire avec de l’esprit de vin aiguisé par quelque
acide ; & pour la seconde, il faut extraire l’aloès avec de l’eau animée par un
peu de sel de tartre, ce qui suffit pour en extraire le mucilage purgatif, les autres
ingrédients seront extraits avec l’esprit de vin, & leurs extraits joints avec le
premier pour les réduire tous à la consistance requise : on peut voir dans Van
Helmont la manière dont il prépare l’Elixir de propriété, & les vertus qu’il lui
attribue.

Mais pour revenir à notre sujet, nous avons dit que les préparations Chimiques
acquerraient de nouvelles vertus, ou qu’elles altéraient considérablement les
vertus naturelles des mixtes. Ces altérations viennent principalement des
dissolutions & des extradions, où il reste toujours quelque chose du menstrue
dont on s’est servi avec le changement de tissure qui ne se peut concevoir sans
le changement de vertu.

Vous observerez en passant que la méthode ordinaire n’est pas bonne de se


servir de l’esprit de vin, pour faire l’extraction des végétaux, d’autant qu’il ne
tire que les parties résineuses & sulfureuses, sans toucher aux salines qui lui
sont disproportionnées, l’eau simple aiguisée par l’alcali de nitre ou de tartre,
est beaucoup meilleure, car elle dissout non seulement les résineux comme
l’esprit de vin, mais les mucilagineux, & les Salins.

Ces extractions se séparent & s’épaississent en forme de rob ou de miel, dont on

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 750

tire ensuite l’essence avec l’esprit de vin, qui ne souffre plus de précipitation, &
opère très promptement. Si tant de changements ne sauraient arriver aux
végétaux sans altérer leurs venus naturelles, que deviendront les minéraux dont
on ne fait les dissolutions & les extradions, que par des menstrues corrosifs,
qu’il est impossible de séparer entièrement des corps dissous, suivant la règle
des Chimistes, qui porte que tous les menstrues corrosifs se coagulent & se
fixent avec les corps qu’ils dissolvent.

La fermentation ne cause pas moins de changement, elle renverse toute la


tissure du mixte, fait envoler ce qu’il y a de volatile, & aller au fond ce qu’il y a
de fixe, après leur avoir ôté leur vertu naturelle. Les purgatifs purgent toujours
moins après la fermentation, & quelquefois point du tout. Il en eu de même de
l’opium ; du jusquiame & des autres narcotiques qui perdent beaucoup de leur
malignité par la fermentation. C’est elle qui forme les esprits qui n’existent
point dans le mixte qu’après cette opération, & après la violence du feu, & c’est
assez de dire que ce sont de nouvelles productions ; pour donner & entendre
qu’ils ont des vertus nouvelles, dont ils sont redevables à l’art. Les huiles
pareillement sont formées par le moyen du feu, de divers principes salins de la
matière, & ce sont de nouvelles productions qui n’existaient point actuellement
dans les simples, ainsi on ne trouve pas la moindre goûte d’huile dans l’acorus
des boutiques, avant que le feu ait concentré, & réduit en huile ses principes
salins. C’est par cette raison que les vertus de ces huiles sont toutes différentes
de celles des simples : les premières étant beaucoup plus pénétrantes & de plus
dure digestion, témoins les Rots qui suivent l’usage de ces huiles, parce que
l’acide graisseux qui concentre le sel volatil, empêche que l’estomac ne les
puisse digérer.

Enfin la digestion altère considérablement la tissure des simples, en fixant les


volatiles, par exemple, le mercure en une poudre rouge, ou en volatilisant les
fixes, le tout par le moyen du feu qui métamorphose les mixtes en cent
manières différentes. Tant il est vrai que les productions Chimiques sont
comme revêtues d’une nouvelle nature, & que pour connaître les vertus d’un
médicament, il faut moins considérer chaque simple qui y entre, que le tout qui
en résulte, sans négliger le menstrue, qui détruit, altère, ou augmente toujours
les venus des simples.

J’ai encore un mot à dire des teintures, à qui on a donné ce nom de couleur dont
le menstrue se trouve teint dans l’extraction ou l’opération. Ainsi la fameuse
pierre Philosophale supposé qu’elle existe, est nommée teinture, à cause qu’elle
teint les métaux moins nobles de la couleur des métaux plus nobles. Les

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 751

teintures sont universelles, ou particulières ; les premières sont ce mystère des


Philosophes qu’on prétend qui teint toutes sortes de sujets, les dernières sont
celles qui teignent un ou deux sujets seulement, telle qu’est la pierre de feu de
Basile Valentin, qui ne fait que la transmutation de l’argent en or. Ces teintures
particulières servent dans la Chimie ou dans la Médecine. Laissons celles-là
pour examiner celles-ci.

Les teintures médicales sont des extraits liquides colorés, ou bien les extradions
de la plus noble substance du mixte en forme de teinture ou essence avec
l’esprit de vin, qui imbibe toute la vertu du sujet, & laisse le corps du mixte sans
l’efficacité & la vertu la plus noble qu’il a perdue. La chose est plus embarrassée
à l’égard des minéraux, & des métaux. Les spagyriques disent que les teintures
de ceux-ci sont des métaux tellement changés en une teinture liquide, que la
réduction artificielle en est impossible. Telle est la fameuse & véritable teinture
du Soleil. La teinture de Vénus de Van Helmont, la teinture d’antimoine par soi,
&c.

Peut-on tirer une véritable teinture des métaux & des pierres ? Avant de
répondre à cette question, il est à remarquer que les Chimistes supposent que la
vertu & la couleur des métaux consistent dans leur soufre. Cela supposé il faut
premièrement, pour préparer les teintures des métaux en tirer le soufre pur, en
sorte que le corps métallique reste dépouillé du soufre qui fait la teinture.
Secondement, il faut que les teintures rie puissent se réduire en leur premier
corps. Voilà les deux régies suivant lesquelles les teintures des métaux doivent
être faites & examinées, quelques-uns considérant la ferme liaison des métaux,
disent qu’il est impossible d’en tirer de véritables teintures. Beccher est de ce
sentiment. Il n’importe pourtant pas que le reste du métal ne soit pas de la
couleur de la teinture, ni que les teintures préparées avec des acides se
revivifient par des alcalis, &c. Pour les teintures des Perles & de quelques
pierreries, elles sont ou impossibles ou très difficiles, & j’ose bien dire qu’elles
sont toutes sophistiquées, & dépendent en partie du changement arrive au
mixte pendant la digestion, & en partie de la vertu du menstrue. Ainsi les
teintures du soleil ne sont que de fausses solutions de l’or, & quoi que la poudre
blanche, en quoi il est changé, résiste à l’eau régale, elle ne résiste pourtant pas
à la coupelle. La même chose se doit dire de la teinture de corail qui n’est due
qu’au menstrue. Le sel de tartre calciné, donne à l’esprit de vin une teinture
rouge qu’on appelle teinture de tartre sans raison ; puisque l’esprit de vin prend
toujours cette couleur quand on le verte sur quelque alcali, si on n’aime mieux
dire que l’esprit de vin a imbibé les fèces du sel de tartre, qui lui ont donné cette

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 752

couleur rouge ; car par le moyen de la calcination, le sel de tartre s’est changé en
fèces qui ne sont d’aucune efficacité, & d’aucune utilité.

CHAPITRE III.

Des non-être Chimiques.

AVANT de finir les opérations Chymiques, il est bon d’examiner certains non-
être, c’est-à-dire, des productions, qui n’existent que dans l’imagination de
quelques souffleurs, qui nous les débitent comme des effets de leurs opérations,
en quoi il faut beaucoup de circonspection pour ne pas prendre, comme eux
l’ombre pour le corps, ou le corps pour l’ombre. On ne peut pas tout savoir, &
pour n’avoir pas vu ce que quelque autre a vu, ou pour l’avoir vu sous quelque
autre forme que lui, il ne faut pas se récrier d’abord, ni l’accuser d’être
visionnaire.

En second lieu, il eu important de connaître la différence qui se trouve entre


une véritable extraction, & une nouvelle production : par exemple, autre chose
est de regarder le mercure tiré des métaux comme une partie qui entrait dans
leur composition, & autre chose de le regarder comme un corps, en quoi le
métal a été changé par le moyen de l’art & du feu.

En troisième lieu, on doit supposer pour fondement, que les non-être doivent
avoir de la contrariété en leur racine : par exemple, de ce que la convenance du
mercure minéral ou métallique, avec le mercure des végétaux est impossible, je
suis fondé à dire, que le mercure vif du sang des animaux est un non-être ; car
quoi qu’effectivement on ait tiré un véritable vif-argent ou mercure coulant du
sang d’un certain homme, ce n’était pas une nouvelle production, mais plutôt
un mercure qui y avait été mis, cet homme ayant peut-être été Orfèvre, a manié
du mercure qui s’était insinué dans son corps & dans son sang. Et chacun sait
que ceux qui touchent au mercure, s’ils ont des pièces d’or, ils les trouvent
argentées & blanchies, à raison de la sympathie singulière de l’or avec les
atomes du mercure. J’ai vu une vallée proche de Milan, où il croît des herbes
dont on peut aisément tirer le mercure vif, peut-on dire pour cela que ce
mercure soit un principe de ces herbes ? Non, c’est l’effet d’une mine de

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 753

mercure qui se trouve dans ce lieu-là. De même l’or qui dore, à ce qu’on dit
certaines vignes & certains raisins de Hongrie, n’est pas de l’essence décès
vignes ni de ces raisins, mais l’effet des mines d’or qui sont fréquentes en ce
pays-là. Le petit homme de Paracelse engendré artificiellement sans père & sans
mère, est un non-être.

Les quintessences se font avec beaucoup de peine & de travail, mais elles ne
sont pas des non-être, car puisque tous les corps ont cinq principes, trois actifs
& deux passifs, ne peut-on pas tirer la partie la plus simple, & la plus pure des
premiers qui est ce qu’on appelle quintessence. J’en ai vu chez un de mes amis,
dont trois goûtes croient capables de faire un effet sensible sur un pot entier de
vin.

La transmutation des métaux, n’est point un non-être, quoique la plupart des


Chimistes disent le contraire : car s’il est vrai, comme nous l’avons prouvé ci-
dessus, que tous les métaux n’ont qu’une même racine, & qu’ils ne différent
entre eux que par le degré de fixation & de maturité, n’est-ce pas une chose
possible de perfectionner les imparfaits, en fixant par le moyen de l’art, ce qu’ils
ont de trop volatil, & en mûrissant ce qui n’est pas assez mûr, de plus, nous
voyons les végétaux se changeriez les uns en d’autres, le Froment en Avoine, le
Seigle en Ivraie, & le Cresson en Menthe, parce qu’ils conviennent en leur
racine, & en leurs principes matériels : pourquoi la même chose n’arrivera-t-elle
pas aux métaux, où les mêmes raisons se rencontrent, & encore plus fortes. J’ai
vu un morceau de bois qui n’était pas simplement recouvert d’une croûte de
pierre, mais effectivement changé en pierre, quant à sa substance. Il y avait
même dans le Cabinet du Roi à Paris, un tronc d’arbre de trois pieds de long sur
deux pieds ou environ de circonférence, qui a été changé réellement en pierre.
Or si la transmutation est possible à l’égard des substances de différents genres,
comme le bois & la pierre, peut-on nier qu’elle le soit à l’égard des métaux, qui
n’ont qu’un même principe séminal & une même espèce. Enfin l’expérience est
pour nous, y a-t-il rien de plus fort au monde ?

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DISSERTATION

Sur la Nature, l’Analyse & la propriété des Métaux & des Minéraux, pour la
Pharmacie & la Médecine.

CHAPITRE PREMIER.
Des Métaux en général.

Les métaux, sur lesquels doivent rouler tous les Chapitres & les opérations
suivantes, sont des mixtes, composés de diverses matières, dont le mélange fait
un corps qui est nommé métal, & chacun de ces corps qui renferment divers
principes, ne laissent pas d’être homogènes, indestructibles & essentiellement
indivisibles.

Les Chimistes, pour donner une explication plus exacte des métaux & de leurs
Phénomènes, disent qu’ils sont composés de mercure, de soufre & de sel ;
doctrine qui est fort ancienne & qui était reçue dès le temps de Raymond Lulle.
c’est-à-dire, à la fin du XIIIe Siècle. On n’entend pas ici par ces noms le sel, le
soufre, ni le mercure qui sont vulgaires ; mais on entend, par exemple, par le
soufre, une substance acide oléagineuse, ou même une gomme qui donne aux
métaux la faculté de s’enflammer & de rougir au feu : le mercure, est leur
humidité radicale qui leur donne la faculté de se fondre, & par le sel on entend
une substance fixe & presque alcaline, qui lie le soufre & le mercure ensemble,
& forme une substance métallique. Ces principes ont rapport entre eux ; le sel
est un principe passif qui donne le corps, le soufre donne la forme & l’essence
du métal, & le mercure sert à mieux unir & à joindre le soufre & le sel ensemble.
Ceci revient à l’explication de certains Chimistes, qui ont donné aux métaux, un
corps, une âme & un esprit ; entendant par corps le sel, par âme le soufre, & par
esprit le mercure ; celui-ci pour lier & maintenir les deux autres. Si on veut
expliquer ceci suivant la Philosophie des corpuscules, on entend par le mercure
certaines particules très faciles à se mouvoir dans le feu, d’où vient la fusibilité
des métaux. On entend par le soufre certaines particules qui s’enflamment
aisément dans le feu, ce qui fait que les métaux rougissent au feu. Enfin par le
sel on entend certaines particules qui fixent le soufre des métaux, & empêchent
qu’ils ne s’envolent. Il est facile après cela de connaître la nature des métaux,
pourvu qu’on ne s’imagine pas le soufre, le sel & le mercure comme des parties
qui constituent essentiellement les corps des métaux, & comme y étant avant la
dissolution : car quoiqu’on puisse tirer artificiellement, un soufre inflammable
de quelques métaux, comme on tire du mercure vif des corps métalliques, &

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 755

même un sel parfait ou vitriolique, il ne faut pas croire pour cela qu’ils
existassent actuellement avant la transmutation qui leur est arrivée dans les
opérations de Chimie ; ce sont de nouvelles productions de l’art, qui n’étaient
point auparavant.

Ainsi le soufre solaire que quelques-uns montrent, n’était point dans l’or, mais
il a été produit de nouveau par l’union du soleil avec d’autres corps. Le
mercure qu’on tire des métaux, est pareillement un nouvel être produit par
l’union de ces corps avec d’autres. Cette critique se doit étendre aux teintures
vulgaires des métaux & des minéraux, que les Chimistes ont l’imprudence de
nous débiter pour de véritables teintures.

Quant à la génération des métaux, il est certain qu’il s’élève du fond de la terre.
certaines fumées onctueuses & volatiles qui sont reçues & retenues dans les
pores ou écroues d’un corps pierreux, & qui deviennent métaux par succession
de temps, Ces mêmes fumées au défaut d’un semblable corps dégénèrent en
fleurs ou en aiguilles de diverses manières, selon la diversité des métaux.

Le soufre est celui de tous les principes des métaux qui mérite plus d’attention,
puisqu’il a le plus de vertu dans la Médecine. Ce soufre renferme toujours de
l’acide, & il est en autant plus grande quantité, que le métal est plus sulfureux.
L’acide abonde par conséquent dans l’Or & dans le Mars, dont les soufres sont
plus excellents que ceux des autres métaux. L’acide de l’or se démontre en ce
que si on enfonce le bout d’une verge de fer dans de l’or fondu, celle-ci paraîtra
corrodée, ce qui ne peut venir que de l’acide du soufre solaire, qui est assez
corrosif. L’acide qui abonde dans le Mars, se dissout par les liqueurs aqueuses.
Ce qui se démontre, en ce que te Mars se change tout en Crocus. L’étain contient
beaucoup de soufre, c’est pourquoi lorsqu’il est remué sur le feu avec du nitre,
il s’enflamme aussitôt. C’est par ce soufre que tous les métaux causent un
sentiment de saveur acide vitriolique, selon Hartman.

Tous les métaux conviennent donc en leur racine, puisqu’ils ont les mêmes
principes, & ils ne différent que par le plus ou le moins de maturité, & à raison
de la proportion de leurs principes.

Par leur maturité ; les métaux se divisent en fixes, mûrs & nobles, tels sont ceux
dont le soufre est parfaitement fixé, comme l’or & l’argent : & en moins fixes,
moins mûrs & moins nobles, qui n’ont ni la fixité, ni la proportion requises dans
leurs principes : ces derniers sont durs, ou mous. Les mous sont tels, parce
qu’ils contiennent beaucoup de mercure, & à proportion peu de soufre & de ce
sel, qui fait qu’ils se fondent avant que de rougir dans le feu, tel est l’étain & le

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 756

plomb. Les durs, au contraire, contiennent beaucoup de soufre, & peu de


mercure ; c’est pourquoi ils rougissent facilement dans le feu, & s’y fondent
avec peine par le défaut de mercure. Il faut distinguer ici la densité d’avec la
dureté, le fer & l’acier sont également durs, non pas également denses, le
mercure est le plus dense de tous les métaux, & en même temps le plus mou.
L’or est très dense, & plus mou que le verre, & celui-ci beaucoup moins dense,
& moins pesant que l’or.

Par la proportion des principes, les métaux sont parfaits ou imparfaits. Ce qui
nous apprend la raison pourquoi dans la purification de l’or & de l’argent, le
plomb absorbe les autres métaux, sans toucher aux deux premiers, car puisque
le plomb contient beaucoup d’acide sulfureux, il doit chercher & se rassasier ;
&, comme l’or & l’argent sont trop fixes & trop compactes pour pouvoir être
absorbés par le plomb, celui-ci est obligé de s’attaquer aux métaux moins
nobles, savoir au cuivre, au Mars ou à l’étain qui sont plus terrestres, & par
conséquent il doit corroder & absorber ces derniers dans la coupelle, sans
toucher à l’or ni à l’argent.

Ce n’est pas assez d’avoir dit que tous les métaux convenaient en leur racine, il
faut le prouver. Pour en venir à bout, il suffit de considérer que tous les métaux
participent chacun de quelque autre métal, surtout les moins nobles qui
conviennent avec les plus nobles ; ainsi le plomb tient toujours quelque chose
de l’argent, l’argent bien examiné, fournit toujours quelques grains d’or. Le
Mars contient un soufre solaire, dont quelques-uns uns se servent pour fixer le
soufre d’antimoine. Il y a dans le cuivre la matière première de l’argent. Par
cette raison ils conviennent radicalement, & jamais l’un ne se trouve sans
l’autre. Ils donnent tous deux des teintures, de couleur de saphir, & ils excitent
des vomissements assez violents. Outre cela, il y a dans le cuivre quelque chose
de l’or.

Je ne parle point ici de la convenance du grand monde avec le petit, c’est-à-dire,


du rapport des sept métaux avec les sept Planètes, ni avec les principales parties
de notre corps. C’est une chose trop commune : mais après avoir établi que les
métaux conviennent radicalement, & qu’ils ne différent qu’en degrés de
perfection, que dirons-nous delà transmutation des métaux ? Je suis persuadé
qu’il n’y a point de répugnance à ce que les métaux imparfaits, & qui ne sont
point encore murs, montent à un plus haut degrés de perfection & de maturité.
Van Helmont a vu changer du plomb en or, & l’expérience nous apprend que
les autres métaux s’y transforment tous les jours. Il est encore constant que tous
les métaux n’ont aucune différence formelle, & qu’ils ne différent que du plus

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au moins de maturité, laquelle seule leur manque, pour être de l’or. Qui sait
fixer parfaitement l’argent, fait de véritable or ; & s’il n’en a pas la couleur, on
sait qu’on peut la lui donner avec le poivre, qui participe de l’or. C’est pourquoi
Basile Valentin fait ainsi parler l’argent ou la Lune : Je suis blanche, mais Vénus
me fait rougir, lorsqu’elle s’accorde avec le Soleil.

Quant à l’usage des létaux, on demande si étant crus, ils sont de quelque
efficacité dans notre corps. Je réponds qu’ils n’y font aucune opération active,
puisqu’ils sont trop compactes, & qu’on tes rend comme on les a pris. Ils y
opèrent pourtant passivement, attendu que les sels viciés de notre corps
perdent leur acrimonie, en attaquant & corrodant le métal avalé. Par exemple,
quoique le Mars cru pris en poudre n’ait aucune efficacité, il ne laisse pas d’être
utile dans les maladies causées par l’acide des premières voies, parce que ces
sels acides venant à corroder le Mars, non seulement ils en perdent leur
acrimonie, mais ils s’attachent même au Mars, & sont poussés dehors avec lui
par les selles. Il en est de même du Saturne que Paracelse appelle le quatrième
pilier de la Chirurgie. Les préparations du Saturne qu’on applique aux ulcères
chancreux, n’opèrent que passivement, & en tant que les sels acides se
radoucissent en s’associant avec le Saturne. Disons-en autant du cuivre qui fait
vomir les humeurs contre nature.

Il faut raisonner tout autrement des teintures & des autres préparations
métalliques, qui participent au soufre essentiel des métaux. Nous en voyons des
effets surprenant, sans savoir comment elles opèrent. La vertu irradiative de
Van Helmont me passe, elle peut satisfaire quelque spéculatif, mais non un
praticien.

J’aimerais mieux dire que ces préparations agissent par une vertu anodine, qui
est attachée à chaque métal ; & c’est par elle que le soufre de l’antimoine & du
cuivre, calme le désordre des humeurs viciées & les remet sous l’obéissance de
la nature.

Au reste les teintures des métaux demandent une préparation bien plus
sublime que les dissolutions qu’on fait des métaux avec des menstrues corrosifs
; celles-ci ne sont que des érosions superficielles du métal en petites parties,
qu’il est facile de revivifier & de remettre en métal par le moyen de quelques
alcalis, & spécialement par le sel de tartre & le borax, qui en s’unissant à l’acide,
délivrent les parties métalliques de leurs liens, & celles-ci ne sont pas plutôt en
liberté, qu’elles tombent au fond. C’est ainsi qu’on peut faire l’épreuve des
teintures. Les alcalis végétaux sont singuliers pour faire la réduction des
métaux, surtout le sel de tartre qu’on nomme par cette raison, sel privilégié.
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 758

Le mercure des corps ne se tire que par les alcalis fixes, & principalement par le
sel de tartre, ou par le sel ammoniac. Ces sels sont nommés Ressuscitatifs par les
Chimistes, & il ne se peut faire de vrai mercure que par leur moyen.

CHAPITRE II.
Du Mars ou Fer.

LE Mars est un minéral, ou métal qui se trouve ordinairement en pierres sur les
montagnes ; quelquefois néanmoins il a diverses figures, avant que d’être
fondu. Il contient beaucoup de sel acide, peu de mercure, une assez grande
quantité de soufre combustible, & quelque peu d’acide, mais ce dernier est en
quelque façon fixe, ce qui fait que le Mars est celui de tous les métaux qui
approche le plus de l’or, & l’on prétend même que sa partie fixe sulfureuse peut
être convertie en ce précieux métal. Ces trois principes du Mars sont unis par
une terre fixe, sèche, alcaline & rougeâtre, qui l’empêche d’être malléable, avant
que d’avoir été fondu. Cette même terre & sa forte tissure, font que le fer
s’enlève ou se sépare & tombe en paillettes sous le marteau ; c’est de cette terre
que le Mars tire la faculté d’absorber tous les acides : c’est d’elle que ce métal
tient sa vertu astringente ; c’est d’elle enfin que procède toute la vertu médicale
du Mars, qui est d’imbiber les humeurs viciées & acides de notre corps.

L’acier & le fer ne différent qu’en dureté. L’acier se forme artificiellement avec
le fer, on stratifié des lames de fer dans un grand fourneau avec des alcalis,
savoir des charbons & des cornes, ou des ongles d’animaux, on fait dessous un
feu très violent, les ongles s’enflamment, calcinent & endurcissent le fer. Cet
endurcissement consiste en ce que l’acide abondant du Mars, absorbe les sels
alcalis fixes des charbons, & les volatils des cornes, ce qui resserre le principe
terrestre, & augmente la dureté du fer. On forme encore l’acier en trempant le
fer bien rougi au feu, dans de l’eau de vers de terre, & dans l’eau de racine de
raifort & de poireau. D’autant que les sels volatils qui sont dissous dans ces
eaux, s’insinuent dans le Mars ouvert par le feu, & rassasient l’acide qui donne
la dureté requise à l’acier. On prétend qu’en Médecine la limaille de fer est
meilleure que celle d’acier, parce que le feu & les drogues que l’on joint au fer,
pour en former l’acier, font perdre au fer son soufre volatil & spiritueux.

On donne vulgairement deux vertus fort contraires au Mars, l’une apéritive, &
l’autre astringente. On attribue la première aux parties terrestres & fixes, & la
dernière aux parties volatiles. Et sur ce fondement, afin de faire un safran de
Mars astringent, on calcine le fer jusqu’à ce que toutes les parties volatiles soient
dissipées, & qu’il ne reste que les fixes. Mais cette hypothèse est établie sur un

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 759

faux principes car le Mars est un corps homogène qui demeure toujours au
même état dans la plus grande violence du feu. Ce qui a donné lieu à cette
erreur & à cette distinction, c’est qu’on a vu que le Mars était d’une grande
utilité dans les maladies qu’on croyait venir des obstructions & de l’amas des
humeurs grossières ; comme la cachexie, la fièvre quarte, la suppression des
mois, la mélancolie hypocondriaque, &c. Et de là on a crû qu’il possédait une
vertu apéritive. Et comme on a remarqué d’un autre côté qu’il était salutaire
dans la dysenterie, la diarrhée & les autres flux contre nature, on a conclu de
même qu’il avait une vertu astringente, mais d’un faux principe on ne pouvait
en tirer que de fausses conséquences ; car il n’est pas vrai, comme on le
suppose, que les maladies ci-dessus dépendent des obstructions, & des amas
d’Humeurs grossières, & il est certain que le Mars eu toujours astringent de sa
nature, & que la terre du Mars est purement stiptique. Toutes les préparations
du Mars en convainquent par le sentiment de faveur astringente, qu’elles
donnent au goût. Si le Mars est apéritif c’est par accident; en ce qu’il absorbe &
entraîne avec soi les sels acides viciés qu’il trouve dans le corps, qui auraient en
se coagulant causé des obstruions, ainsi en ôtant la cause, il ôte l’effet. On a
donc raison de dire que le Mars est un digestif admirable, pour la mélancolie,
puisque la cause matérielle de cette maladie n’est, suivant les Modernes, que
l’acide vicié des premières voies, qui s’attache aux Mars, perd son acrimonie en
le corrodant, & sort ensuite par les selles avec lui. C’est par cette raison que les
selles sont ordinairement noires après l’usage du Mars & des eaux minérales
acides ; & si elles ne le sont pas, c’est un mauvais signe qui marque que le Mars
n’a pas imbibé les sels viciés.

Les excréments sont noirs, parce que le Mars imprégné de l’acide se trouve
précipité par la bile. Ces raisons ont fait mériter au Mars les beaux noms de
digestif & d’alexipharmaque de la mélancolie, de panacée de la cakexie des hommes &
des filles, tant simple que scorbutique ; & il entre avec justice dans toutes les
poudres cakectiques, qui sont d’autant plus efficaces, qu’elles sont simples ;
ainsi la poudre du safran de Mars seul avec un peu de cannelle, & quelques
grains d’ambre, est plus utile simple, que composée.

II ne faut pas manquer de faire quelque exercice ou mouvement corporel, après


avoir pris le Mars, & même de s’abstenir de toutes sortes d’acide dans le boire
& le manger, d’autant que ceux-ci rassasieraient le Mars qui ne toucherait plus
aux acides viciés.

La limaille d’acier crue peut-elle se donner intérieurement avec sûreté ? Oui


bien à ceux qui ont l’estomac bon, non pas à ceux qui l’ont faible : car il serait à

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 760

craindre que le Mars ne s’arrêtât au fond de l’estomac, qu’il n’y contractât une
vertu vitriolique & vomitive, qu’il n’excitât des nausées, & qu’il ne ruinât
entièrement l’appétit. Panarolle assure qu’il a trouvé de la limaille d’acier toute
crue au fond de l’estomac de quelques sujets morts, qui avaient usé du Mars.
C’est qu’ils avaient l’estomac faible.

Les préparations du Mars sont en forme liquide, ou en forme sèche : les


premières se nomment teintures, les dernières prennent le nom de safran. Les
teintures du Mars sont, à mon avis, préférables au safran, parce que le Mars est
plus dissout dans celles-là, & plus compacte dans celui-ci, qui fatigue par
conséquent d’avantage l’estomac.

Le safran de Mars tire son nom de sa couleur jaunâtre ; c’est proprement la


rouille du fer. C’est mal à propos qu’on le divise en astringent & en apéritif
puisqu’il n’est apéritif que par accident, comme j’ai déjà dit. Pour faire le safran
de Mars astringent, on calcine le Mars à un feu violent, jusqu’à ce qu’il soit
réduit en une poudre rougeâtre, qui est ce qu’on appelle safran de Mars
astringent. Le poids du Mars s’augmente par la calcination, en sorte qu’une livre
de Mars avant la calcination, pèsera une livre & deux onces après la calcination.
Cette augmentation de poids vient de l’acide des charbons qui s’est insinué
dans le Mars. Sans tant de façon, quelques-uns se contentent de ramasser avec
une patte de Lièvre, la poudre rouge qui se trouve attachée aux barreaux des
fourneaux & qui est un safran de Mars fort bon. Quelques-uns même prennent
la rouille qui s’amasse sur les Canons de fer qui sont exposés à l’air. l’usage de
ce safran a lieu dans les affections qui ont besoin d’astringent, comme dans tous
les flux de sang & d’excréments, dans la dysenterie & la diarrhée. Il entre dans
la poudre styptique de Crollius, dans les emplâtres vulnéraires & styptiques des
Chirurgiens, & dans l’emplâtre Opodelok de Paracelse. Et il est excellent dans les
ulcères pour absorber l’acide corrosif.

La terre douce de vitriol qui est un safran de Mars ou de Vénus, a les mêmes
propriétés, & vaut même mieux que le simple safran de Mars.

Le safran de Mars apéritif mériterait mieux le nom d’altératif, puisqu’il redonne


par son usage l’état naturel à la tissure viciée de la masse du sang, & qu’en
absorbant les sels viciés, il corrige les vices de toutes les digestions. Il ne faut
pas préparer ce safran de Mars avec des acides qui le rempliraient, après quoi il
ne toucherait plus à ceux du corps : & comme le Mars se laisse facilement
corroder par tous les acides, tant minéraux que végétaux, on aura recours à des
menstrues insipides, ou du moins à de faibles acides, pour corroder doucement
le corps du Mars. En voici une préparation fort estimée.
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 761

Prenez de la limaille de fer, versez dessus un peu d’eau simple, & laissez le tout
au Soleil durant la canicule. Au bout de quelques jours la limaille sera changée
en safran après une grande effervescence ; l’acide qui abonde dans le Mars étant
dissout dans l’eau, puis agité par la chaleur du soleil, s’attache à son propre
corps, y le corrode & le changé en ce safran qui est d’autant plus apéritif qu’il
n’a point eu d’acide externe pour le rassasier. Le fer exposé simplement à l’air
s’humecte & se change pareillement en rouille ou en safran, qui s’engendre par
le moyen de l’acide de l’air qui s’insinue dans les pores du Mars. Ce qui est si
vrai qu’on empêcherait ce fer de se rouiller par le moyen de quelque alcali ; &
spécialement avec l’huile de tartre par défaillance, parce que les alcalis
détruisent les acides : & c’est contre la raison qu’on enduit ordinairement
d’huile commune, les épées & les autres armes ou instruments de fer pour les
défendre de la rouille, puisque l’huile commune contient beaucoup d’acide, &
que par conséquent elle est capable de faire plutôt rouiller ces instruments.

Zwelpher donne encore une autre préparation du safran de Mars. Prenez du


nitre très pur, une livre que vous ferez fondre en un creuset. Jetez-y peu à peu
de la limaille de fer très nette, tant qu’il en pourra recevoir. Augmentez le feu
jusqu’à ce que le nitre s’enflamme & se calcine. Retirez la masse & la mettez en
eau chaude, qui doit prendre une teinture rouge ; décantés, filtrés, & en 24
heures il se précipitera un crocus très rouge que vous sécherez, & qui est bon
pour la cakexie, mélancolie & maladies des filles, depuis un demi-scrupule
jusqu’à un scrupule, & même jusqu’à une dragme dans de la conserve, ou dans
d’autres véhicules convenables.

Quelques-uns pour préparer le safran de Mars apéritif, animent l’eau simple


avec quelques alcalis, surtout avec le sel d’absinthe, puis ils versent le tout sur
de la limaille d’acier, dans un lieu tiède où elle se rouille facilement. M. Michaël
versait sur la même limaille une lessive faite des cendres d’herbes apéritives,
savoir, de sumeterre, d’absinthe, &c. Mais le safran de Mars ainsi préparé ne
vaut rien : car dès que les sels contenus dans la lessive s’attachent au Mars, ils
font une espèce de chaux ou de calcination qui est inutile, & nullement
apéritive. On a beau cuire le Mars avec des sels, il n’en reçoit aucune altération ;
l’eau seule agit sur l’acide du Mars qu’elle dissout. Ceux qui préparent le safran
de Mars apéritif avec du vin, n’ont pas un mauvais remède.

Pour faire le tartre martial, on dissout du tartre dans l’eau des Forgerons, & on
jette de la limaille d’acier dans la dissolution. L’acide du tartre corrode le Mars ;
après quoi on filtre & laisse évaporer la dissolution : on la réitère, puis on
l’expose dans un lieu froid ou à la cave, où il se forme des cristaux admirables

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dans les maladies chroniques, & spécialement pour la suppression des mois. La
préparation secrète de Willis, au Traité de la Fermentation, & de Bartholin, dans
ses Epîtres, a lieu ici, elle se fait avec la crème de tartre & l’esprit de vin.

Les préparations avec les forts acides sont ridicules, & doivent être rejetés ; telle
est la calcination du fer avec des billes du soufre, celui-ci s’enflamme, corrode le
Mars par le moyen de son esprit acide, & le Mars tombe par grains dans un
vaisseau qu’on a placé au-dessous. Enfin on pulvérise ces grains qui sont le
safran de Mars, ou plutôt une chaux fixe, qu’aucune liqueur ne saurait
dissoudre, & qui charge simplement l’estomac sans produire aucun bon effet
dans le corps, d’autant que le Mars est déjà rassasié & rempli de l’acide du
soufre. Il se fait une préparation du Mars par le soufre que je trouve beaucoup
meilleure, en calcinant de cette limaille plusieurs fois par le soufre en poudre,
dont l’acide pénètre plus intimement les parties du Mars, de manière que la
teinture simple s’en fait très bien par la seule affusion de l’eau chaude que l’on
peut filtrer, pour l’avoir plus épurée. Et si on fait évaporer cette eau, on aura un
très beau vitriol de Mars.

Par la même raison, les teintures de Mars préparées avec des acides trop forts
font peu d’effet, elles en font au contraire beaucoup quand on les prépare avec
des alcalis, ou avec des acides modérés. Telle est la teinture de vitriol de Mars
de Zwelpher qui se fait avec le vitriol de Mars, & la terre foliée de tartre. Voyez
ce qu’en dit l’Auteur qui est en ceci assez véridique.

L’essence de Mars tartarisée n’est pas inutile : on dissout pour la faire, parties
égales de vitriol de Mars & de cristaux de tartre ; on fait évaporer la dissolution
jusqu’à consistance de miel, puis on verse dessus de l’esprit de vin pour en tirer
l’essence ci-dessus. C’est un excellent remède dans les affections des reins, de la
vessie & de l’urine.

Le vitriol de Mars de Rivière, peut être ici placé. On le prépare de la manière


qui suit. Prenez une partie de vitriol de Mars, deux parties d’esprit de vin ;
mettez infuser le tout dans un vaisseau de fer, & après la digestion requise,
menez la dissolution dans un lieu frais, il se fera des cristaux d’une grande
utilité, parce que l’acide du Mars a été adouci & édulcoré par l’addition de
l’esprit de vin.

Les préparations liquides du Mars, sont ordinairement appelées Teintures, &


divisées en astringentes & en apéritives, ce qui se doit entendre dans le sens que
nous avons déjà dit.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 763

L’eau des Forgerons est l’une & l’autre : elle est salutaire, par exemple, dans la
dysenterie & la diarrhée, comme astringente : & dans la cakexie & la jaunisse,
comme apéritive. On tire pareillement une teinture altérative d’une grande
vertu, en éteignant le Mars rougi au feu dans un menstrue aigrelet tiré des
végétaux, ou dans une liqueur alcaline ; pour mieux faire, on n’a qu’à mettre
infuser de la limaille d’acier dans du vin, car l’acide de celui-ci corrode &
imbibe le Mars. Ce vin se boit avec un peu de cannelle, & produit des effets
merveilleux dans la cakexie, dans la mélancolie hypocondriaque, & dans les
autres maladies des femmes. On fait aussi des nouëts altératifs avec quelques
végétaux & la limaille d’acier ; on les met infuser dans du vin pour boire dans
les maladies chroniques, à quoi le Mars n’est pas inutile.

Les uns tirent la teinture du Mars, avec du suc d’oseille, quelques-uns avec le
suc de tamarins, les autres avec du moût, ou avec du suc de berberis, mais le
suc de pommes de reinette est meilleur que tout cela. On épaissit la dissolution,
puis on y verse l’esprit de ces sucs ou quelque autre convenable, pour en tirer
une essence de Mars, salutaire dans les maladies chroniques rebelles, &
spécialement dans la fièvre quarte.

Panarolle prépare une teinture de Mars excellente, avec une dissolution de


limaille d’acier, dans du suc de chicorée : & on peut tirer une teinture rouge de
Mars avec l’esprit acide volatil du pain qui dissout le Mars promptement.

La principale des préparations du Mars en forme sèche, sont les fleurs. Sur quoi
on peut lire Zwelpher, qui s’est ici surpassé, aussi bien que Charas dans sa
Pharmacopée. Cette opération se fait par le moyen du sel armoniac, avec lequel
le Mars se sublime en fleurs rouges, d’autant que l’acide du sel corrode le Mars,
& enlève les particules qu’il a corrodées.

Les Chimistes les plus curieux, ont trouvé le moyen de rendre le Mars fulminant
; ce que quelques-uns croient impossible, mais à tort : car la vertu fulminante du
Mars consiste dans la convenance du soufre martial avec le soufre solaire, qui
ne différent entre eux, qu’en, ce que celui-ci est plus fixe que l’autre : pour faire
le Mars fulminant ;, on le dissout dans de l’eau régale, puis on le précipite avec
de l’huile de tartre par défaillance : mais il y a deux choses a observer dans cette
préparation. La première est le point exacte de Saturation, sans quoi il n’y aura
aucune fulmination à espérer. La seconde est que la précipitation ne soit point
trop subite ; car si l’effervescence est trop grande, rien ne fulminera. La cause
de la fulmination du Mars & de l’or est la même, & consiste dans le combat du
soufre & du nitre avec le sel fixe du Mars.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 764

Le bésoard martial se forme du régule d’antimoine martial distillé en beurre, &


précipité par l’esprit de nitre : on s’en sert dans hydropisie où il est spécifique,
suivant Rosenkreufer, dans la cakexie & la jaunisse. Voyez Rolsinck.

CHAPITRE III.

Du Cuivre ou de Vénus.

LE cuivre est un métal qui a beaucoup d’affinité avec le Mars, tant pour ses
principes que pour sa composition, excepté que le premier est plus noble.

Le soufre dont il est rempli, est plus fixe que celui du Mars, qui participe
beaucoup moins du mercure que le cuivre, qui contient bien autant de soufre
que de mercure, mais plus de terre. C’est par cette proportion de mercure & de
soufre, que le cuivre se fond & s’enflamme plutôt que le fer : car le premier
s’enflamme d’abord avec le sel ammoniac qui ouvre son soufre & le rend
inflammable. Le mercure, du cuivre fait qu’il se mêle avec l’or & l’argent, sans
leur ôter la fusibilité, qu’ils perdent dès qu’on les mêle avec d’autres métaux.

A l’égard du soufre du cuivre, Basile Valentin assure qu’il donne la couleur de


l’or à l’argent, & Poleman en a fait un Traité entier dans le Livre intitulé : De
sulphure Philosophorum, qui est beaucoup plus curieux & agréable pour la
théorie, qu’utile pour la pratique : & il paraît que quand il a écrit ce Traité,
l’Auteur ne savait pas encore volatiliser le sel de tartre.

Quant au soufre bienheureux avec lequel Van Helmont prépare le Soleil ou le


feu de Vénus, il est sans doute dans le cuivre, & c’est lui qui fait les cures
magnétiques.

C’est en vertu de ce soufre de Vénus, que la tête morte du vitriol du cuivre,


guérit la dysenterie qui s’arrête aussitôt qu’on a jeté des excréments du malade
dessus. Knaephelius s’est rendu fort recommandable par ce secret.

Le soufre & le mercure, qui sont en égale proportion dans le cuivre, rendent ce
métal volatil, au point que quand le feu est fort, il se dissipe presque
entièrement en l’air, parce que la partie mercurielle enlève avec soi la partie
terrestre.

Le cuivre & l’argent ont tant d’affinité, que l’un se trouve rarement sans l’autre
dans la mine. L’un & l’autre produit la couleur de saphir ou d’outremer, &
possède la vertu purgative : il est en effet un argent hydragogue très excellent
dans hydropisie, & chacun sait que le cuivre ne pousse que trop par haut & par
le bas, ce qui fait qu’il est dangereux d’en donner intérieurement.
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 765

Cependant Konig rapporte que le cuivre mis en fine limaille, & donné au poids
d’une dragme dans du bouillon, est un remède contre la rage & contre la
morsure des animaux enragés : ce qu’il confirme par l’autorité de quelques
Médecins. Il assure même que l’un d’entre eux faisait calciner des Ecrevisses
vivantes dans une poêle de cuivre rouge sur un grand feu de flamme, & qu’il
les mettait en poudre, & en donnait en dose convenable pour ce mal, & même
pour purger & purifier la lymphe corrompue dans le corps humains qu’elle
évacuait puissamment : mais je ne voudrais pas m’en servir.

Si on mêle le cuivre avec la pierre calamine, savoir cent parties du premier sur
trente parties de la dernière, on aura du Léton.

Tous les acides corrodent le cuivre, les fixes & les forts en vitriol, les doux & les
volatils en Verdet. Les alcalis volatils dissolvent le cuivre sans coucher au Mars,
par la raison que les alcalis s’attachent au soufre qui est plus abondant dans le
cuivre que dans le Mars. L’esprit d’urine teint le cuivre en couleur d’outremer
ou de saphir, qui désigne le soufre métallique, mais les dissolutions du cuivre
par les acides sont toutes vertes. Poleman & ses Sectateurs, disent que le soufre
de Vénus se doit tirer par des sels volatils, ou par des alcalis fixes volatilisés.

Pour faire le verdet, on stratifié des plaques du lames de cuivre avec du marc de
raisins, on verse dessus une partie de vinaigre, & trois ou quatre parties d’urine
de petits garçons ; on laisse le tout quelque temps dans un lieu chaud, après
quoi l’on trouve les lames corrodées & réduites en verdet par l’acide volatil que
le marc fournît durant l’effervescence modérée du vinaigre & de l’urine. Si on
distille ce verdet, on aura l’esprit acide volatil de Vénus engendré du marc de
raisins, de l’urine & du vinaigre, que Zwelpher débite pour la liqueur Alcaest.
Tacbenius veut que cet esprit ne soit rien autre chose que du vinaigre distillé ;
mais celui-là est bien différent, & il renferme beaucoup plus de vertus. Il y a
deux méthodes de faire l’esprit de Vénus : la première est de dissoudre du
verdet dans du vinaigre distillé, de filtrer la dissolution, & d’en former des
cristaux verts qu’on distille ensuite pour avoir l’esprit acide. C’est l’opération
telle que l’a donnée Basile Valentin, & après lui le célèbre Nicolas Lefèvre, dans
son excellente Chimie : ce dernier croit même que cet esprit est une espèce de
dissolvant universel. Hadrien Mynsicht, au lieu de vinaigre distillé, n’emploie
que de l’eau de pluie. On donne encore une autre manière de distiller le verdet
avec partie égale de sable, ce qui donne un esprit volatil très efficace dans la
Médecine & dans l’Alchimie. On s’en sert principalement dans la léthargie, &
les autres affections soporeuses. On prépare avec le même verdet & la gomme
armoniac, un esprit acide volatil composé qui est admirable dans les affections

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 766

asthmatiques. On prend deux parties de verdet, & une partie de gomme


armoniac, ou bien quatre parties de verdet, deux de gomme armoniac, & une
partie & demi de soufre vulgaire, puis on distille le tout.

Van Helmont fait encore une autre opération sur ce métal. Il en tire l’être
étranger de Vénus qui se fait ainsi. Prenez de l’esprit d’urine acué par son
propre sel volatil, & le mêlez avec partie égale d’esprit de vitriol ou de nitre, à
votre choix ; ou même avec de l’esprit de sel commun, mais il faut que ces
esprits soient volatils.

Par ce moyen, vous en tirerez un sel qu’il faut sublimer par soi-même. Cet
esprit ainsi sublimé volatilité toute la substance du sel de tartre. Cette
volatilisation se peut multiplier à l’infini par le moyen d’un nouveau sel de
tartre. Cette sublimation se doit faire de la manière suivante : Prenez le
colcothar du vitriol dé Hongrie, fait par la distillation ordinaire du flegme & de
l’esprit. Joignez ce sel avec partie légale de l’être étranger de Vénus, qu’il faut
sublimer trois fois. Après la troisième sublimation, procédez comme le marque
Van Helmont, ( De Lithiqsi cap. 8. Num. 9.). Prenez ensuite du sel marin fixe trois
parties ; du colcothar sublimé par l’être étranger de Vénus, trois parties ; de
l’usnée de crâne humain une partie : & votre opération sera finie. En voici
l’usage : par ce moyen, on tire la quintessence des perles & coraux : aussi bien
que de la chaux d’or & d’argent, bien ouverte & bien édulcorée, qu’il faut
sublimer avec son poids de l’être de Vénus & cette Sublimation, ne saurait être
réduite en corps métallique, & devient un vrai or potable.

Le verdet cru n’est point employé en Médecine, excepté dans la Chirurgie pour
l’usage externe. Il fait ordinairement la base de l’onguent Egyptiac, de l’onguent
de Hildanus, &c. qui ont lieu dans les ulcères cakoëtiques & dangereux : il entre
dans les eaux vertes qu’on compose pour les ulcères scorbutiques, véroliques,
&c.

CHAPITRE IV.

Du Plomb ou Saturne.

Les métaux les plus mous font le plomb & l’étain, ils ont beaucoup de mercure
ce qui fait qu’ils se fondent aisément. Le plomb surtout, en contient plus que
l’étain ; mais comme il n’est ni fixe, ni bien mûr, il s’exhale facilement & le
plomb perd beaucoup de son poids dans la fusion, cause des scories ou
impuretés que le feu lui fait jeter au-dehors. Il y a dans le plomb peu de soufre,
c’est-à-dire, autant qu’il en faut seulement pour corroder le mercure, mais très

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 767

peu de sel : ainsi le Saturne est entièrement contraire au Mars, quant à ses
principes & à sa composition.

Le mercure abondant qui se trouve dans le plomb, fait qu’il absorbe tous les
métaux, excepte l’or & l’argent ; aussi l’on s’en sert pour éprouver ces deux
deniers par la coupelle. Il absorbe donc tous les autres, parce que le mercure du
plomb est affamé de leur terre saline, & il épargne l’or & l’argent, dont le soufre
acide est trop fixe pour être absorbé par le plomb. Il a pourtant beaucoup de
convenance avec l’argent, comme il parait en ce qu’on en trouve ordinairement
dans le plomb calciné. On dit même, que si on calcine le plomb au soleil, par le
moyen du miroir ardent, on y trouvera quelques graine d’or au lieu d’argent, ce
qui n’est pas incroyable.

La première préparation du plomb est sa calcination au feu de réverbère, par le


moyen duquel il se convertit en Minium, qui augmente ordinairement en poids.
Si on a pris, par exemple, douze onces de plomb cru, il s’en trouvera treize
après la calcination. Ce qui vient du soufre du charbon, dont les particules
acides se sont attachées à la substance dé ce métal.

Le plomb calciné dissout par un acide, surtout par l’acide volatil du vinaigre,
acquiert une saveur douce, & se change en une chaux nommée vulgairement
Sucre de Saturne. On verse par inclination là dissolution qui a été faite dans du
vinaigre distillé, on la filtre, on la laisse évaporer, puis on la laisse reposer, &
alors il se forme des cristaux qu’on purifie par plusieurs dissolutions réitérées.
Remarquer qu’il ne faut pas tirer tout le vinaigre du plomb dissout, car il
pourrait fulminer ; comme il m’est arrivé. On fait de semblables cristaux, en
dissolvant la mine de plomb dans du vinaigre distillé, animé par l’esprit de
nitre. Ce sucre de Saturne pris intérieurement absorbe tous les acides, & il est
spécifique dans le mal ou mélancolie hypocondriaque, dans la fièvre, quarte
rebelle, où un homme de ma connaissance en a donné jusqu’à deux scrupules
pour une seule dose. Il est bon d’y ajouter quinze grains d’yeux d’Ecrevisses. Il
est éprouvé dans les inflammations causées par l’effervescence des sels viciés,
aussi bien que dans les érésipèles. Et à raison de sa vertu alumineuse
astringente, il eu salutaire dans la dysenterie.

On croit ridiculement que le plomb pris intérieurement rend les personnes


stériles, à cause de la convenance qu’on lui suppose avec le Saturne céleste, à
qui Jupiter ôta la vertu d’engendrer : mais ce sont des opinions sans fondement,

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 768

On tire du sucre de Saturne avec le vitriol de Mars ou de cuivre bien dépuré, &
l’esprit de vin, la Teinture antiphtisique, qui est bonne pour consolider les ulcères
des poumons, des reins & des autres parties.

Le sucre de Saturne distillé par une retorte avec le vitriol de Mars, donne la
pierre Hématite artificielle, qui est entièrement semblable à la naturelle, ce qui
fait connaître la composition de celle-ci.

Le plomb calciné à la vapeur du vinaigre, dans un lieu chaud fait la céruse qui
est d’usage dans la Chirurgie ; mais si on le calcine avec du vinaigre distillé,
dans lequel on a dissout du tel armoniac, on aura une céruse beaucoup plus
belle & plus fine pour l’usage des Alchimistes.

Le sucre de Saturne est d’un si grand usage, que Paracelse assure qu’il fait le
quatrième pilier de la Chirurgie, ce qui est très véritable, puisqu’il absorbe
effectivement l’acide des plaies & des ulcères, & qu’il fait la base de plusieurs
onguents. L’emplâtre de céruse avec la semence de Grenouilles, est bon par
cette raison pour absorber l’acide qui fait l’inflammation des érésipèles, & le
plomb est si utile dans le cancer occulte, pour en absorber pareillement l’acide,
que les Médecins veulent qu’on prépare les onguents qu’on y applique, dans un
mortier de plomb. Les remèdes où il entre, sont salutaires aux ulcères
scorbutiques & malins, à la galle, à la couperose, aux lentilles, & autres vices du
visage : en un mot le plomb ne cède qu’au mercure doux, spécialement la
céruse, quand il s’agit de corriger l’acide ramassé sous la peau par le défaut de
l’insensible transpiration, La dernière avec l’eau de semence de Grenouilles, ou
l’eau de chaux & le sucre de Saturne, est admirable contre la brûlure pour
absorber l’acide.

Quand on distille le sucre de Saturne dans une retorte, il en sort d’abord un


esprit volatil ardent, & en second lieu, deux sortes d’huile, la première rouge, &
la dernière noire, celle-ci sent empyreume. L’esprit ardent est, dit-on, de la
substance du mercure, ce qui n’est pas, c’est simplement l’esprit du vinaigre,
avec lequel on a fait le sucre de Saturne, ou même l’esprit de vin régénéré ; car il
est hors de doute que le vinaigre en retient toujours. Pendant que les parties
fixes de l’acide corrodent le Saturne & s’y attachent, les plus volatils prennent
l’essor dès le premier feu, & quand on augmente le feu, les parties du Saturne
suivent avec, & forment un corps huileux. Ce qui découvre manifestement
l’imposture de cet esprit de Saturne.

Il en est de même de l’esprit ardent de corail, qui n’est en effet que l’esprit du
vinaigre ou l’esprit de vin régénéré. Le vinaigre se forme lorsque le sel acide du

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 769

vin fixe les particules salines, volatiles & spiritueuses ; & quand on y dissout du
corail, le sel acide du vinaigre s’y attache & quitte les parties volatiles qu’il
retenait fixées ; celles-ci remises en liberté, paraissent au moindre feu, sous leur
première forme d’esprit de vin.

Si on distille le plomb seul & sans addition, on n’en tirera rien de liquide, non
plus que des autres métaux, & la liqueur qu’on en tire quand on y ajoute
quelque autre corps, est une nouvelle production qui n’existait pas auparavant.
Tel est le beurre de Saturne qui se distille de la manière qui suit. On prend de la
mine de plomb, non pas de la vulgaire, mais de la volatile qui vient de Hongrie,
on la pulvérise, puis on la mêle avec une partie égale de mercure sublimé, on
distille le tout par une retorte, & l’on a une liqueur grossière composée de
l’esprit acide de sel commun, qui était renfermé dans le mercure sublimé, & des
particules du plomb que l’esprit de sel a enlevées avec soi. Outre cela, il se
trouve au col de la retorte quelque cinabre composé du Saturne & du mercure.
Le beurre de Saturne se doit rectifier à la manière accoutumée, après quoi on le
précipite avec de l’eau simple comme le beurre d’antimoine, en forme de
poudre blanche. Son usage est le même que celui du sucre de Saturne, il lâche
doucement.

Pour faire le Besoard Saturnin, on précipite le beurre de Saturne avec l’esprit de


nitre, & après trois abstractions, trois édulcorations & trois calcinations, on a un
Besoard Saturnin simple, qui ne tient aucunement de l’antimoine, comme les
autres bézoards métalliques. C’est un excellent remède dans la peste, dans les
fièvres malignes pestilentielles, & dans les maladies qu’on nomme
ordinairement Saturniennes, savoir le mal hypocondriaque, le scorbut, la goûte
vague, la mélancolie hypocondriaque, &c. Il sort dans la distillation du beurre
de Saturne, quelque mercure vif, qui est le mercure vulgaire revivifié du
mercure sublimé. Si on jette le beurre de Saturne ainsi rectifié sur une nouvelle
mine de Saturne, pour distiller le tout par une retorte, on aura, à ce qu’on croit,
le véritable mercure vif du plomb ; mais on se trompe, c’est une nouvelle
production qui n’était point auparavant.

Le beurre de Saturne distillé avec le sucre de Saturne, donne une huile rouge
extrêmement douce & d’une grande efficacité dans les maladies chroniques,
spécialement dans les ulcères corrosifs & difficiles à guérir. Il est bon de donner
auparavant un peu de Besoard de Saturne.

Ce qui a été dit ci-dessus de l’esprit de Saturne, se doit dire aussi de ses fleurs. Il
n’en donne aucune de soi-même, parce que le mercure dont il abonde, le fait
fondre d’abord dans le feu. Ordinairement on stratifie le plomb avec au soufre,
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 770

afin que l’acide de celui-ci corrode le corps de celui là. On y ajoute parties
égales de sel décrépité, & le double de salpêtre. Mettez le tout dans une retorte
à deux cols, adaptez un récipient & l’un & un soufflet à l’autre, poussez le feu,
vous trouverez dans le récipient de l’esprit de nitre, & au col de la retorte des
fleurs que vous ramasserez. Ce n’est rien autre chose qu’une partie du Saturne
corrodée par l’esprit de nitre. On édulcore bien ces fleurs avant de s’en servir.
On peut revivifier le mercure des corps ou du Saturne, de ces fleurs par le
moyen des alcalis.

Quoique le sucre de Saturne soit assez bon, on tâche d’en extraire le Baume de
Saturne. Pour en venir à bout on met le sucre de Saturne en digestion avec de
l’huile distillée de térébenthine ou de genévrier, jusqu’à ce que le tout devienne
rouge, ce qui n’arrivera qu’à force de bien remuer celte mixtion. Cette couleur
ne vient point du Saturne, mais de la digestion seule.

Si ces huiles pouvaient s’unir à ce sucre, ce serait assurément un baume


merveilleux pour les maladies chroniques, mais il n’en est rien. J’en dis autant
des teintures de Saturne, car l’esprit devin imbibe, à la vérité, l’huile qu’on y
ajoute, mais il ne prend rien du corps de Saturne, ainsi toutes les teintures de
Saturne de Schroder ne valent rien, d’autant que ce métal est trop mercuriel, &
qu’il a peu de soufre duquel toutes les teintures dépendent. Il n’y a pas
apparence par conséquent, qu’on en puisse tirer rien d’huileux avec des esprits
sulfureux. Que si la vertu balsamique des huiles se pouvait joindre avec le
Saturne, ce serait avec son sucre, alors ou aurait un baume de soufre tempéré,
d’une grande utilité dans les affections internes, & beaucoup plus efficace que le
vulgaire qu’il n’est pas sur d’employer dans certaines maladies de la poitrine,
comme la phtisie, l’hectique, &c. à moins qu’il ne soit préparé avec le sucre de
Saturne. Si ce baume se trouve trop âcre pour l’usage externe, on peut le mêler
avec de la céruse ou du baume du Pérou, & alors ce sera un assez bon remède.

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CHAPITRE V.
De l’Etain ou Jupiter.

L’ETAIN a beaucoup d’affinité, avec le plomb, cependant il ne lui ressemble pas


en tout. Quelques Naturalistes assurent que l’étain est le plomb blanc des
Anciens, en quoi ils se trompent, car les Anciens avaient l’étain & le plomb
blanc comme deux métaux différents. L’étain des Anciens était le plomb cendré,
que nous appelions Bismuth. On sait qu’il y a trois sortes de plomb, savoir le
plomb vulgaire, l’étain, & le bismuth. Quelques-uns appellent l’étain demi-
métal, ainsi que l’antimoine. Le bismuth approche le plus de l’argent. A l’égard
des principes de l’étain, ce métal contient beaucoup de mercure, mais plus pur
& plus mûr que le Saturne; ce mercure n’est pourtant point parfaitement fixe, il
est au contraire plus mou & plus coulant que celui des métaux parfaits, il est
plus pur, mais en moindre quantité que dans le plomb , ce qui fait que celui-ci
est plus pesant & plus malléable.

D’un autre côté, le soufre abonde dans l’étain, & ce soufre est très volatil, mais
peu lié avec la terre saline, ce qui fait que l’étain par le défaut de liaison entre
les principes, est le plus poreux de tous les métaux, sans en excepter le Mars,
par cette raison, il est difficile de le séparer d’avec les autres métaux quand il y
a été une fois mêlé avec eux. Si on le fond, par exemple, avec le plomb, il sera
presque impossible de l’en retirer. C’est ce qui a donné lieu d’appeler l’étain le
Diable des métaux, parce qu’il les détruit ou les altère beaucoup. Ceci est vrai,
principalement à l’égard du cuivre que l’étain rend friable & cassant, & comme
ces deux métaux sont sulfureux, lorsqu’ils sont mêlés & remués ensemble sur le
feu, ils s’enflamment aisément.

C’est de ce soufre que vient la couleur bleue, qui est produite par l’étain aussi
bien que la qualité émétique de tous les remèdes tirés de l’étain, à moins qu’on
en ait retiré tout le soufre. C’est par ce soufre que l’étain s’enflamme dans l’eau-
forte, & qu’étant mêlé avec le nitre & quelque alcali, il fulmine comme la
poudre à Canon.

L’étain cru se met rarement en usage, & ceux oui s’en servent dans la passion
hystérique, font voir leur peu de lumières. Voici les préparations qu’on lui
donne avant de s’en servir.

On peut voir premièrement diverse calcinations de l’étain, dans les Livres des
chimistes, qui ne se font pas sans beaucoup de difficulté : en second lieu, on
granule l’étain, & pour le faire, on le met s un creuset enduit de craie, avec

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 772

parties égales de sel décrépite, & l’on remue exactement le tout, alors l’étain se
réduit en petits grains qui sont aisément corrodés par quelque acide que ce soit.
Et comme on prépare le sucre de Saturne avec le minium ; on prépare de même
le Sucre de Jupiter, avec l’étain granulé, qui se donne intérieurement pour les
affections hystériques & les autres maladies, à quoi le sucra de Saturne
convient. On a coutume d’appliquer sur le nombril le sucre de Jupiter avec
quelque huile appropriée, pour détourner le paroxysme hystérique, mais il n’y
a rien de plus inutile.

Les cristaux laxatifs de Jupiter, sont salutaires dans hydropisie & la cakexie des
femmes, & se préparent de la manière qui suit.

Prenez ce qu’il vous plaira de la mine de Jupiter en poudre, dissolvez-la dans


de l’esprit de nitre, ou plutôt dans du vinaigre animé par l’esprit de nitre, filtrez
la dissolution, laissez-la évaporer comme il est requis, & la mettez dans un lieu
frais, pour en former des cristaux. Autrement, versez deux livres d’esprit de
vitriol bien rectifié, sur une livre de mine d’étain, avec le double d’eau de
Fontaine. Après la dissolution & l’évaporation requise il se forme de beaux
cristaux qui sont très bons pour purger doucement les eaux des hydropiques
par les selles. La dose est de trois grains.

Le Besoard jovial simple se compose avec le mercure sublimé & l’étain, c’est un
remède très excellent dans les fièvres malignes, & dans le pourpre des
Accouchées, tant blanc que rouge. Le Besoard jovial composé a les mêmes vertus.
Voyez sa composition dans les Chimistes. Le grand sudorifique de Faber, préparé
avec le mercure Sublimé & le Jupiter, distillés ensemble, est bon pour faire suer.

L’Antihecticum de Potier est une des plus fameuses préparations de l’étain :


mais les autres remèdes internes qu’on tire de ce métal, ne méritent pas notre
attention, non plus que les teintures vulgaires de Jupiter : ainsi nous allons
passer à l’examen des métaux qu’on estime les plus nobles, savoir l’or &
l’argent.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 773

CHAPITRE VI.

De l’Or.

Les principes métalliques qui composent l’or, sont très épurés & très bien liés.
La terre fixe saline, y est en médiocre quantité, mais il y a beaucoup de soufre &
du mercure très purs, & tous ces principes sont tellement unis par un nœud très
étroit qu’ils rendent l’or indestructible! car suivant tous les Artistes, il est
beaucoup plus facile de faire l’or, que de le détruire. Et Van Helmont se moque de
ceux qui se vantent de rendre l’or potable : effectivement, on a beau, selon cet
Auteur, calciner l’or au feu, on a beau le mettre dans quelque menstrue que ce
soit, insipide, acide, on corrosif, la réduction de ce métal est toujours très facile.
Si l’indestructibilité de l’or était bien établie, il serait manifeste qu’il ne peut être
d’aucun usage, ni dans la Médecine, ni même dans l’Alchimie : ceux qui
ajoutent des feuilles d’or à leurs remèdes, les rendent précieux, à la vérité, mais
non pas meilleurs. Quelques-uns éteignent de l’or rougi au feu dans une eau
appropriée, laquelle devient jaune & épaisse, puis ils en précipitent une poudre,
que Locatel recommande dans la jaunisse ; mais cette poudre n’est rien autre
chose que des atomes de l’or, qui sont trop compactes pour faire aucune
opération, & qu’on peut réduire aisément en or,

(C’est Chambon, principes de Physique, p. 193.)

Un Auteur aussi habile dans la Métallurgie que dans la Médecine, a dit que l’or
est une résine tirée des entrailles de la terre, fixe au feu, fondante, malléable,
d’un grand poids en peu de Volume, de couleur jaune inaltérable. Peut-être est-
il un remède, peut-être ne l’est-il pas.

L’Or a plus d’utilité dans l’Alchimie ; c’est, dit-on, avec les principes de ce
métal, que les Artistes prétendent composer la pierre Philosophale. Aisne ce
n’est point dans le corps, mais dans la racine de ce métal qu’on la doit chercher.
L’or reçoit plusieurs préparations, mais il y en a peu qui satisfassent.

Les teintures vulgaires de l’or ne font que des érosions superficielles du corps
de l’or en particules très petites, qui peuvent être facilement réduites en métal.
Pour dissoudre l’or véritablement & radicalement, les menstrues corrosifs ne
suffisent point, il en faut d’insipides ; mais en est-il ? Les uns sont pour la
négative. L’affirmative me paraît plus vraisemblable, & l’expérience fait pour
elle : car sans parler de ceux qui se vantent de dissoudre l’or avec l’esprit de la
rosée de Mai, ni sans rien dire des autres qui prétendent le dissoudre avec un
agent tiré de la neige, Meyer assure que ceux de l’Amérique ont un menstrue

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 774

insipide, qui ramollit tellement l’or, qu’on le manie comme de la cire, & qu’on y
enchâsse des pierreries pour en faire des bijoux. I.auremberg témoigne qu’il a
vu une eau insipide, dans laquelle l’or se fondait comme de la glace dans de
l’eau chaude. Un Archevêque d’Allemagne que je ne nomme point, avait chez
lui un Chimiste, qui savait dissoudre de l’or en six heures de temps en une
liqueur très rouge, par le moyen d’une eau blanchâtre & insipide. Ces
menstrues sont donc possibles, mais chacun n’est pas assez heureux pour les
posséder.

Au reste, il faut observer dans la préparation des remèdes tirés de l’or, que ce
métal soit le mieux épuré qu’il soit possible, car s’il y restait la moindre portion
de cuivre, il pourrait causer des nausées & des vomissements terribles.

Pour purifier l’or de son cuivre, on se sert premièrement du plomb, avec lequel
on le fait fondre dans une coupelle, les autres métaux s’attachent au plomb, l’or
tombe au fond très pur ; mais cependant mêlé quelquefois avec des portions
d’argent. Secondement on se sert de la calcination ou de la cémentation, qui se
fait en stratifiant des lames d’or avec le sel armoniac, le sel commun, le sel
gemme, &, à quoi on ajoute de la poudre de briques pour empêcher la fusion
des sels. On fait du feu dessous, & les sels corrodent les autres métaux, &, en
dépouillent l’or, auquel ils ne touchent point. Troisièmement on se sert de
l’antimoine, dont le soufre acide absorbe les autres métaux même l’argent, sans
toucher à l’or, qui demeure très épuré. On prend, par exemple, une partie d’or,
quatre ou six parties d’antimoine ; on fait fondre le tout dans un creuset, & l’on
y ajoute sur la fin une once de nitre, & trois dragmes de limaille d’acier. Il paraît
diverses couleurs qu’on appelle yeux de Perdrix : après la fusion requise, il se
forme un régule qui demeure au fond séparé des scories ; on fait refondre
celles-ci une seconde fois pour en tirer le régule qui peut y être resté, enfin on
fond ce régule à un feu très violent, pendant quoi tout l’antimoine s’évapore, &
l’or reste au fond bien dépuré. Cette manière de purifier l’or est la meilleure de
toutes, car elle exalte sa couleur, qui devient pâle quand on le fond avec le
Saturne.

Les dissolutions vulgaires de l’or dans un menstrue corrosif ne réussissent


point, il faut y ajouter du sel commun. Quand on fait fondre de l’or & de
l’argent ensemble, ces deux métaux s’unifient si intimement, qu’on ne saurait
concevoir une ; union plus forte. Ils se séparent néanmoins assez facilement en
dissolvant cette masse dans l’eau-forte, ou dans l’eau régale. La première
dissout l’argent & laisse l’or : la dernière dissout l’or, & laisse l’argent. On
remarque que s’il n’y a pas quatre parties d’argent sur une d’or, l’eau-forte : ne

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 775

dissout pas bien.

Pour redonner son premier corps à l’or ainsi dissout & nageant dans le
menstrue, on se sert du mercure ou de quelques alcalis, & on le précipite
spécialement avec l’esprit d’urine, ou l’huile de tartre : la réduction de l’or par
le moyen du mercure, se fait en ce qu’il attire à soi tous les atomes de l’or avec
lequel il s’amalgame, & tombe au fond. En exposant ensuite cet amalgame au
feu, le mercure se dissipe en l’air, & laisse l’or très épuré.

L’esprit de sel concentré, & l’esprit bézoardique de nitre, font pareillement la


dissolution de l’or, ainsi que les sels desséchés & coagulés de ces esprits. Voyez
Zwelpher dans Son Mamtissa.

On demande si les sels volatils & urineux, ont la force de calciner & de
dissoudre l’or ? Oui, pourvu que l’or ait été auparavant bien ouvert par la
calcination ; car alors l’esprit de sel imprégné d’un sel volatil urineux dissoudra
parfaitement ce métal, & les autres sels volatils en feront autant. On prépare,
par exemple, la corne de Cerf solaire, avec le sel volatil de corna de Cerf, en
stratifiant des lamines de ces cornes & des lamines d’or, dont on remplit un
creuset qu’on fait calciner dans un four de Potier, jusqu’à ce que la calcination
paraisse de couleur de pourpre. Dans cette opération, le sel volatil de la corne
de Cerf, corrode le soleil & le réduit en poudre rouge, qui est un remède très
salutaire dans les fièvres malignes, & pestilentielles, & surtout dans le pourpre
des femmes.

L’or fulminant est une de ces calcinations. Pour la faire, on dissout l’or dans
l’eau régale, puis on précipite la dissolution avec de l’huile de tartre par
défaillance & on édulcore ensuite la poudre précitée. Il y a deux choses à
observer dans cette opération. La première est de dissoudre l’or dans de l’eau
régale prépayée, avec le sel armoniac. La seconde, est de ne verser que ce qu’il
faut d’huile de tartre pour précipiter l’or : car si on en verse trop, on détruira la
vertu fulminante, qui consiste dans le combat du soufre de l’or avec les sels
alcalis ; qui fait à peu près le même effet que la poudre à Canon.

On aura peut-être de la peine à comprendre pourquoi la poudre à Canon fait


son effort en haut quand on y met le feu, & l’or fulminant au contraire fait
ordinairement le sien en bas. Je dis ( ordinairement ) d’autant que Willis a
observé de l’or fulminant qui faisait son effort en montant. Il est probable que
l’effort de l’or vers le bas, vient de la pesanteur de ce métal, & que l’action de la
poudre à canon vers le haut, dépend de son soufre minéral volatil. De plus, l’or
fulminant brûle sans s’enflammer, & la fumée tend en haut, pendant que l’effort

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de la fulmination tend en bas. Ceci paraîtra manifestement, si on met de l’or


fulminant dans une cuillère de métal ; car après y avoir mis le feu, & la
détonation faite, il restera sur les bords de la cuillère une poudre jaune qui
n’aura pu s’envoler. La poudre de l’or fulminant est laxative, lorsqu’on la prend
avant d’avoir été édulcorée, & elle devient sudorifique par l’édulcoration. L’or
fulminant est un bon carminatif contre les vents des enfants & des adultes. On
lui été fa vertu fulminante avec les acides, principalement avec l’esprit de sel &
de soufre ; par exemple, si on fait fondre deux parties d’or fulminant, avec une
partie de soufre, il ne fulminera plus, à cause que l’esprit acide de soufre qui se
sera développé dans la fusion, l’empêchera de fulminer.

Potier fait son or diaphorétique, avec l’or fulminant & le soufre digéré dans de
l’esprit de vin. Et pour faire les fleurs rouges d’or, on verse de l’esprit de vin bien
déphlegmé sur de l’or fulminant, on place au-dessus une cloche de verre
comme on fait dans la distillation de l’huile de soufre, on met le feu à l’esprit de
vin, & la fulmination fait son effort en haut, enlevant le soufre de l’or en forme
de fleurs, qui sont un sudorifique très efficace. Autrement on met deux grains
d’or fulminant dans une retorte à long col bien échauffée, où il fulmine & élève
ces fleurs qui se ramassent en partie dans un récipient large qu’on y adapte, &
une partie se trouve au col de la retorte : on recommence jusqu’à ce qu’on ait la
quantité de fleurs qu’on désire.

Quant à la sublimation de l’or, comme ce métal ne se sublime point de soi-


même, on y ajoure du beurre d’antimoine pour l’élever au-dessus de l’alambic.
L’esprit bézoardique de nitre enlevé pareillement l’or ; & le sel armoniac
sublime l’or en forme de fleurs, qu’on remêle avec de l’or pour en avoir en plus
grande quantité, & d’une plus grande vertu. Voyez Zwelpher. Quelques-uns
prétendent sublimer l’or avec l’esprit de suie, mais c’est une opération que tout
le monde n’entend point. Paracelse demande deux conditions dans les teintures
de l’or : la première que l’or soit tellement volatilisé, qu’on n’en puisse jamais
faire la réduction. Le seconde, qu’après l’avoir volatilisé on le change en or
potable avec l’esprit de vin. Il est certain que l’esprit de vin animé par un sel
urineux volatil, ou par celui de corne de cerf, est un menstrue capable de le
dissoudre & de l’extraire, ou de préparer le Crocus du Soleil, d’où l’on peut
ensuite faire l’or potable, & c’est ainsi que le Docteur Hageuvald composait a
Teinture Solaire, après avoir calciné l’or avec le soufre.

Les teintures qu’on fait vulgairement par le moyen des sels corrosifs, sont de
peu de conséquence, parce que ce ne sont que des érosions superficielles du
corps de l’or, qu’on peut réduire facilement, & qui rendent souvent les

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excréments noirs par la précipitation du corps solaire, & par sa séparation


d’avec son menstrue, qui se fait dans les intestins. Mais supposé qu’on fut assez
heureux pour rencontrer une véritable teinture d’or, comment opère-t-elle ?
C’est sans doute, un remède analeptique ou restauratif, qui agit par sa vertu
anodine, & non par aucune faculté irradiative, comme Van Helmont le prétend,
ce que personne que lui ne peut concevoir.

On sait que l’or se tire de plusieurs manières. Il s’en trouve quelquefois des
morceaux d’un poids assez sensible, comme d’une once ; mais cela est rare.
Communément on le tire des terres que l’on lave, ou du lapis lazuli que l’on
broyé. Sur quoi on peut voir le Traité d’Alonfo Barba qui se réimprime en
Français. L’Europe qui avait autrefois quelques mines d’or les néglige
aujourd’hui, pour aller chercher celui de Guinée & de Sophala en Afrique, ou
même celui des Indes, où il est à proportion moins précieux que l’argent. La
découverte du nouveau continent a encore été cause que nos mines
Européennes, surtout celles d’Espagne & des Pyrénées ont été fort négligées.
Celles de Hongrie ne lassent pas néanmoins d’être toujours fouillées avec
succès.

On trouve aussi de ce précieux métal dans quelques rivières, qui sortent des
Montagnes, par exemple, de celles des Criions & dans la Carinthie. J’ai su
Même à Strasbourg que plusieurs Paysans des environs du Fort-Louis, font
cette utile pêche, & en vont vendre le produit dans la Capitale de l’Alsace. On
faisait autrefois cette pêche dans les Gaules. C’est de là que l’Ariège, ( Aurigera )
a tiré son nom, quia aurum gerebat.

La proportion de l’or en Europe, est aujourd’hui d’un poids de ce métal, pour


quinze poids d’argent. Il n’en est pas de même dans l’Aise, surtout à la Chine,
où le poids de l’or ne vaut que dix poids d’argent.

CHAPITRE VII.

De l’Argent.

L’ARGENT est moins noble que l’or ; mais plus noble que les autres métaux ; ses
principes sont une terre saline, qui est mûre & assez abondante ; il contient plus
de moitié de mercure de sa pesanteur & peu de soufre. Comme ces principes ne
sont point mélangés dans une juste proportion dans l’argent, il est par-là moins
fixe & moins indestructible que l’or. Si néanmoins on le fixe de manière qu’il
puisse souffrir la violence du feu, on pourra lui donner la teinture de l’or, par le
moyen du cuivre ou de l’antimoine ; car il se trouve toujours quelque partie

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d’or dans l’argent. On les trouve même très souvent dans la même mine ; ce qui
fait voir qu’ils ont les mêmes principes. Le mercure de l’argent est moins fluide
& moins pesant que celui de l’or. On croit que la Lune domine sur la tête,
qu’elle sympathise avec le cerveau, & qu’elle remédie à la faiblesse de la
mémoire, à la mélancolie, à l’épilepsie, & à l’apoplexie. L’Argent cru pris
intérieurement, n’est d’aucune efficacité, & on le rend comme on l’a pris ; &
pour être d’usage dans la Médecine, il a besoin d’être préparé. Sa préparation
principale consiste à le séparer exactement du cuivre, avec lequel il est
ordinairement combiné, & souvent ces deux métaux se trouvent dans la même
minière. Sans cette séparation du cuivre, les remèdes tirés de l’argent,
causeraient des vomissements dangereux.

Pour Séparer l’argent d’avec le cuivre, on le fait dissoudre dans de l’eau-forte,


ou fondre avec du plomb dans la coupelle ; l’eau-forte s’attache au cuivre qui
est plus poreux, & laisse tomber l’argent qui est plus compacte. Mais la
meilleure purification se fait par la coupelle, dans laquelle le plomb absorbe les
métaux, qui se trouvent mêlés avec l’argent, & laisse l’argent dans toute sa
pureté.

La calcination de l’argent se fait ou par immersion, ou par cémentation. Dans la


première on se sert d’eau-forte, ou d’esprit de nitre, qui étant bien rectifié
dissout l’argent, de même que l’esprit de sel dissout l’or. Il y a tant d’affinité
entre ces deux esprits, que la dissolution de l’argent avec de l’esprit de nitre
rectifié, se précipite quand on y verse de l’esprit de sel. L’Argent ainsi précipité
se nomme argent corné parce qu’il brûle comme la corne, & se dissipe en l’air.
Les dissolution faites avec l’esprit de sel, se précipitent aussi par l’esprit de
nitre, comme il paraît dans la préparation du bésoard minéral. L’Argent dissout
avec l’esprit de nitre se congelé en cristaux, dont on se sert pour ouvrir les
cautères, & c’est ce qu’on appelle la pierre infernale. On fait dissoudre de l’argent
dans de l’esprit de nitre, puis on fait évaporer une partie de l’humidité, on verse
le restant dans un creuset, assez grand à cause des effervescences qui se
feraient, & qui casseraient le vaisseau, s’il était trop petit. On le place sur un
petit feu, ou on le laisse jusqu’à ce que la matière se fonde. Quand elle est
fondue, on la jette dans une petite lingotière, où elle se coagule.

Ces cristaux conviennent aux ulcères putrides, & à la chair gangrenée ; ils
préviennent la corruption, ils consomment les excrescences, & empêchent le
progrès de la gangrène. Leur vertu dépend de l’esprit de nitre concentré dans
l’argent. On peut faire aussi cette pierre avec le Mars & le cuivre.

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Les cristaux purgatifs de Lune ou l’argent purgatif se préparent à peu près de la


même façon. On dissout l’argent dans l’eau-forte, ou l’esprit de nitre ; & on fait
évaporer la dissolution au feu de sable, en remuant toujours, afin que l’esprit de
nitre s’évapore également. La matière se coagule en cristaux, si on en touche la
peau, ils y laisseront une tache, qui durera plusieurs semaines : quatre grains de
ces cristaux réduits en forme de pilules, avec de la mie de pain poussent
puissamment les eaux des hydropiques, & se donnent salutairement dans la
cakexie & les affections catarrheuses. Ils sont en usage en Angleterre, & y ont un
heureux succès. Il faut pourtant observer que ce remède relâche l’état tonique
du ventricule, par conséquent il serait bon d’y ajouter du Mars pour le
maintenir, ou le rétablir.

Ces cristaux de Lune sont de couleur grise & ceux que Tackius composait, par
le moyen du nitre artificiel, fait avec la chaux-vive & le sel commun, sont
singuliers, en ce qu’ils sont verts, d’autant plus que tous les remèdes tires de
l’argent sont bleus.

La calcination de l’argent par cémentation, se fait en stratifiant de l’argent avec


le double de fleurs de soufre, on sublime le tout sept fois à un feu convenable, &
on reverse chaque fois la matière sublimée sur la matière restante, excepté la
dernière fois qu’on jette la matière sublimée. Dans cette opération l’acide du
soufre corrode l’argent, & il le change en un corps vitriolé ; on y ajoute une eau
céphalique pour les affections de la tête ; de l’eau d’hipéricon pour la manie, &
l’eau des Philosophes de Crollius pour fortifier la mémoire. La dose est d’une
cuillerée deux fois le jour, plus ou moins suivant l’âge, & le véhicule.

Les teintures de Lune sont toutes d’un beau bleu : mais cette couleur leur vient-
elle de l’argent ou du cuivre ? L’union intime de ces deux métaux me
persuadent le dernier, d’autant plus que ces teintures se font ordinairement
avec le sel armoniac qui donne cette couleur au cuivre qu’il a corrodé, & que le
même sel armoniac, ou le sel volatil d’urine étant mis en former sèche dans une
boëte d’argent, il s’y forme une espèce de Crocus qui donne avec l’esprit de vin
une teinture bleue, qui est plutôt; une extraction superficielle des parties
corrodées de l’argent, qu’une véritable teinture.

Les uns prennent de l’argent dissout dans l’eau forte, puis ils en tirent une
teinture bleue par le moyen de l’esprit de vin aiguisé ou animé avec le sel
armoniac. Les autres subliment, plusieurs fois l’argent avec le sel armoniac,
puis ils en tirent l’extrait avec l’esprit de vin animé par ce même sel, & ils
laissent évaporer le tout jusqu’à la consistance requise d’une teinture. si la
teinture perd sa couleur, comme il arrive quelquefois, on la lui peut redonner
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par le moyen du sel armoniac. Mais toutes ces teintures ne sont que des
érosions superficielles du corps salin du métal, & on peut en faire la réduction
avec des alcalis. En un mot les teintures véritables tant d’or que d’argent, sont
très difficiles & connues de peu de personnes.

L’Argent se trouve ordinairement dans des mines beaucoup moins profondes


que celles de l’or, & souvent en plus grand Volume. Au commencement du
règne de Philippe V. il s’en trouva sur une Montagne de l’Andalousie en
plusieurs masses, environ quarante mille marcs. L’Argent croit & végète
comme les arbres, & pousse ses branches à travers des Rochers & du marbre
blanc. J’ai vu moi-même une pièce de ce marbre, dans les fentes duquel un
arbre d’argent avait poussé ses rameaux. Le bloc de marbre avait un pied &
demi de long, sur demi-pied de large avec un pied d’épaisseur, & pouvait
contenir cinq à Six marcs d’argent, dont la végétation s’élevait assez haut. On
l’avait trouvé près des bains de Carlesbaden en Bohême. Ce fut le Chevalier
Garelli, Premier Médecin de l’Empereur Charles VI. qui me le montra à Vienne
en 1725.

CHAPITRE VIII.

Du Mercure vulgaire ou Vif-argent.

Le mercure est appelé vif-argent, tant pour sa couleur, que parce qu’on croit
que l’argent n’est autre chose qu’un mercure fixé & le mercure un argent
liquide. Ce qu’on dit ici de l’argent, d’autres le disent du Saturne. Il est nommé
Vif, à cause de sa mobilité, de sa fluidité & de sa grande volatilité.

Il y a trois sortes de mercure, qui sont le mercure vulgaire, le mercure des corps,
enfin le mercure des Philosophes. Le mercure vulgaire est connu ; il n’est pas
hors de propos de marquer ici en peu de mots, ce qu’on dit de la mine du
mercure ; il y a deux sortes de mercure, l’un naturel & l’autre artificiel. Le
naturel actif & fort épuré, se trouve en Almaden, près de Calatrava dans la
Castille, où l’on en trouve, soit coulant, soit coagulé en cinabre, que l’on tire par
le feu. Cette mine qui est fort estimée, est connue de toute ancienneté. M. de
Jussieu en a donné une relation curieuse, dans les Mémoires de l’Académie
Royale des Sciences ; année 1749. Il y en a aussi une mine très-fertile qui est la
seconde en bonté dans le Comté de Goritz, au Village d’Idria dans les Alpes
Juliennes, de laquelle nous avons une relation fort curieuse dans les
transactions Philosophiques de Londres année 1665. C’est une chose digne
d’admiration, dit Béguin, qui avait été sur les lieux, que quoique les Villages
voisins d’Idria, soient presque tous les ans affligés de peste, cependant ce

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Village n’en est jamais atteint, ce qui fait voir que le mercure est une sorte
d’Alexipharmaque, contre toute corruption & pourriture. Et ce qui est encore
surprenant, est que Béguin vit dans ce Village un homme fort âgé qui tremblait
continuellement, pour avait employé toute sa vie à préparer le cinabre, lequel
prenant dans sa main une pièce, la blanchissait de manière qu’il lui faisait
perdre sa couleur naturelle. Il se trouve encore une autre mine de mercure dans
le Mont Gionovoda, à six lieues à l’Est de Cracovie en Pologne. En certain
temps ce mercure sort jusqu’à la superficie de la terre, surtout en Automne,
mais il est fort inférieur à celui d’Espagne & de Goritz. Il nous en vient aussi de
la Chine, mais qui est le moindre en bonté, & qui tout au plus ne peut servir
qu’à faire le tain des miroirs. Il s’en trouve encore dans plusieurs autres
endroits & quelquefois dans les mines d’or & d’argent, comme on le verra ci-
dessous.

Le mercure des corps se tire des métaux parfaits ou imparfaits, & des autres
minéraux, comme l’antimoine & l’arsenic. Il y a de la dispute entre gens de
médiocre doctrine & de peu d’expérience, pour savoir si on peut tirer des
métaux & des minéraux un mercure vif & coulant. Le plus grand nombre des
Artistes ignorants sont pour la négative, & le plus petit tient pour l’affirmative
& avec plus de raison. Il est constant qu’on tire du mercure vif de l’argent & des
autres métaux. Je ne cite pas ici d’autorité étrangère, puisque je l’ai fait moi-
même. Les métaux qui donnent le plus de mercure coulant sont l’or, l’argent et
le plomb.

On dispute encore si ce mercure des corps y est comme une partie qui entre
dans la constitution & la composition du mixte, ou si c’est une production de
l’art. Plusieurs Naturalistes pensent que ce mercure est plutôt une production
nouvelle de plusieurs opérations artificielles, qu’une partie essentielle du métal.
Le premier sentiment est celui de Van Helmont & de ses sectateurs, qui
assurent que le soufre métallique retient & lie le mercure, qui reparaît dès qu’on
l’arrache des prisons du soufre. Ce sentiment est vraisemblable, & se trouve
confirmé par ce que rapporte Alonso Barba, Curé & célèbre Métallurgiste du
Potosi, en sa métallurgie, lib. I. cap. 19. que dans une mine de ce Pays, le minerai
d’argent que l’on fondait, déposait dans la cendre une grande quantité de vif-
argent que l’on recueillait, & dont on s’est ensuite servi pour travailler les mé-
taux.

Le mercure des Philosophes est la matière, dont on forme la fameuse pierre


Philosophale. Ce mercure ne se tire d’aucun métal parfait, mais de la matière
première & prochaine des métaux & de leur racine. Quand les Artistes disent

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que la matière de cette pierre se trouve partout jusque dans les étables, & que
chacun la porte avec soi, ils parlent ou d’un agent ou de l’esprit universel, qui
dispose les semences métalliques à la formation des métaux.

Le mercure vulgaire est une liqueur métallique Saturnienne & solaire : mais
qu’elle est sa nature ? Est-ce un corps simple indivisible & indestructible, ou un
corps hétérogène, composé de parties distinctes ? C’est sur quoi les Philosophes
ne s’accordent pas. Van Helmont soutient que c’est un corps simple : & Beccher
assure que c’est un Amalgame, ou un corps métallique composé parfaitement
ou imparfaitement, lequel a été résout par des fumées souterraines. Ce qui est
assez probable & confirmé par l’épreuve ordinaire, qui se fait pour éprouver la
pureté du mercure. On en fait brûler un peu dans une cuillère d’argent, s’il
laisse une tache obscure, on croit qu’il participe du Saturne, s’il en laisse une
jaune, il participe de l’or ; au lieu que si la tache est blanche, il participe de
l’argent. Le mercure est appelle par les Anciens, Esclave fugitif, pour sa
volatilité. On a beau le fixer, le feu le fait toujours renaître ou envoler, &
quelque fixe qu’il paraisse, il est aisé de le revivifier. Les Chimistes mettent
néanmoins de la distinction entre le mercure fixé & le mercure coagulé. Ils
entendent par mercure fixé, celui qui souffre constamment le feu ; lequel se
fond & se manie comme les métaux ; & le mercure coagulé n’est chez eux, que
le mercure privé de sa fluidité, endurci & en quelque façon malléable. Heureux
ceux qui possèdent le premier. Pour le second, il est facile à préparer avec la
fumée de plomb. On fait fondre du plomb dans un creuset, on le laisse un peu
refroidir, on en retire la croûte de dessus, puis on fait un trou dans le milieu du
plomb, on y jette du mercure, qui se coagule aussitôt en une substance solide.
Le mercure ainsi coagulé, est un composé de mercure & de plomb ; les
particules du premier s’étant infirmées dans le corps do Saturne. On peut se
servir d’étain eu place de plomb ; mais l’opération ne se fera pas aussi
facilement. Quelques-uns font un petit trou à un œuf, dont ils tirent le blanc,
pour y remettre du mercure. Ils rebouchent le trou, puis ils versent du plomb
fondu sur l’œuf, & par ce moyen ils coagulent le mercure.

Pour ce qui regarde la fixation du mercure, on ne la saurait faire exactement


qu’avec le soufre des métaux parfaits. Heureux comme je l’ai déjà dit, ceux qui
possèdent ce secret, ils ont par-là de quoi faire une grande fortune. Souvent on
fixe assez ce minéral pour le faire refluer quelque temps au feu ; mais à la fin il
s’évapore, ou s’il ne s’évapore pas, on le peut revivifier par des alcalis ou par la
limaille de fer. Car comme il se coagule par des acides, il doit se liquéfier par
des alcalis ou par le Mars, qui en absorbent & en détruisent les acides, &
remettent en liberté le mercure qu’ils font revivre.

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On trouve du mercure coulant dans quelques mines, surtout dans la Carinthie &
dans la Hongrie, ce dernier est très-estimé & tient quelque chose de la nature de l’or.
On les nomme mercure-vierge, parce que le feu ne les a point dépouillé de leur
soufre. Mais communément on le tire du cinabre, qu’on distille à un feu violent avec
quelques alcalis.

Comme le cinabre est un composé de soufre commun & de mercure vif, les
alcalis qu’on y joint, absorbent l’acide sulfureux & le mercure se revivifie. Ceux
qui tirent le cinabre des mines, sont sujets au tremblement à cause du mercure,
& dès qu’ils manient de l’or, il devient blanc entre leurs mains. Il est néanmoins
surprenant qu’ils ne se plaignent point de la salivation.

Le mercure a beaucoup de sympathie avec les métaux. Sa plus grande est avec
les deux métaux parfaits & avec les deux mous, & sa moindre avec le Mars & le
cuivre. Quoique l’or soit le plus compacte & le plus fixe de tous les minéraux, &
le mercure extrêmement mou, celui-ci néanmoins blanchit, pénètre & calcine le
premier en un instant, l’or pénétré par le mercure se nomme Amalgame, qui est
un or presque dissout ; & suivant Beccher, tous les métaux sont des
Amalgames, fixés par les feux souterrains. C’est pourquoi ces sortes
d’Amalgames ne se doivent pas mettre dans des cuillères de métal, parce que le
mercure se joint aux métaux avec plus ou moins de facilité.

Le mercure est différent suivant sa pureté, celui qui vient de la Chine & de
Pologne, est fort imparfait & très impur, il est rempli d’un soufre impur qui
tient du Saturne ; nous avons déjà dit un mot de la pureté des différents
mercures, nous avons omis de dire qu’autrefois il y en avait une aune près de
Caen. Son grand usage est de mondifier le sang, de guérir la vérole, la galle, les
affections de la peau, de tuer les vers & toutes les autres vermines. Il guérit
parfaitement les maladies vénériennes, lorsqu’il est sagement administré, soit
en forme de parfum, ou de liniment ou de poudre. Il a cela d’incommode qu’il
procure presque toujours une salivation fâcheuse, & quelquefois la paralysie, le
tremblement des membres & l’ébranlement des dents. La salivation vient du
soufre étranger volatil & arsenical contenu dans le mercure : car la pénétration
de ce soufre dissout également les humeurs utiles & les nuisibles, elle les
subtilise & les pousse enfin par les glandes de la bouche. C’est ce soufre
étranger, qui fait que le mercure se change dans le feu en poudre rouge. Pour
preuve que tous ces effets viennent de la malignité du mercure vulgaire, c’est
que celui qu’on tire des corps métalliques ne procure point la salivation, &
s’emploie sans danger. Zacutus, Médecin Portugais, remédie à tous ces
symptômes du mercure avec un onguent d’or, qui étant appliqué, attire hors du

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 784

Corps le mercure errant, après quoi la santé se rétablit. Une pièce d’or tenue
dans la bouche fait le même effet, & se blanchit en un instant. Ce fut par ce
moyen que Rivière délivra un jour un homme d’un grand mal de tête procuré
par le mercure.

On l’emploie dans la galle & dans les autres maladies cutanées, tant en forme
de liniment, qu’en forme de teinture. Mais il faut user ici de circonspection ; car
outre les symptômes ci-dessus, il est à craindre que la peau ne se ride, & que les
dents n’en soient ébranlées. Le mercure tue les vers, & l’eau hermétique
d’Augenius y convient par cette raison. Schroder dit que le mercure se peut
réduire en poudre avec quelque suc végétable, c’est-à-dire, avec le sucre, & cette
poudre est un remède assuré contre les vers. Le mercure est un remède
innocent de soi, & même on en peut prendre une livre sans danger. S’il nuit,
c’est plutôt à cause des sels corrosifs avec lesquels on le prépare & qui
s’unissent à lui, ou à cause du soufre arsenical qu’il contient. Point de mercure
aux scorbutiques, il est l’ennemi des gencives, qui se trouvant déjà corrodées
dans le scorbut, pourraient s’exulcérer & contracter des cancers malins.
Quoique le mercure paraisse homogène, il est pourtant divisible & reçoit
diverses formes. Ce n’est pas qu’on puisse en tirer de l’esprit, de l’huile & du
soufre, comme prétendent certains Chimistes que Van Helmont traite de
Sophistes ; mais les choses qu’on y ajoute, le transforment diversement, de sorte
qu’il faut des alcalis pour revivifier. Pour bien connaître toutes les préparations
du mercure, remarquez que toutes

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 785

1° Par sol ou par addition des


sels acides.
Sèches qui sont, ou Précipitée
2° Simples ou composés avec
les métaux.

1° Avec des sel, tels sont le

Les préparations du vitriol, le nitre, le sel


Sublimés.
commun, dont on fait le
mercure qui se sont,
ou mercure sublimé, & ensuite
le mercure doux.

2° Avec le soufre qui donne


le cinabre.

Fluides qui se font Par défaillance.

Par résolution.

Toutes les préparations du mercure ; ne doivent être mises en usage qu’avec une
extrême circonspection, sans quoi elles feraient plus de mal que de bien. Ce qui a
fait dire à Van Helmont, qu’il n’est pas d’un homme d’honneur d’employer le
mercure tant qu’il peut se revivifier, à cause de la malignité de la matière arsenicale,
ou du soufre étranger arsenical, que contient le mercure naturel. Il est entièrement
contraire aux nerfs & nous voyons tous les jours que les Orfèvres sont par cette
raison sujets aux tremblements de mains, à la paralysie, aux contractions des nerfs,
& par conséquent des membres, sans parler de l’atténuation du corps & des autres
accidents, qui suivent la salivation mercurielle. Voici deux précautions nécessaires,
pour prendre le mercure sans danger. La première qu’il soit bien préparé ; la seconde
qu’on s’en serve toujours avec prudence.

La première préparation du mercure est sa purification, pour en séparer les or-


dures & une terre noire, dont il est infecté. Il ne suffit pas de le passer
simplement par le chamois, ni de le purifier par le vinaigre & le sel, il faut
d’autres opérations plus laborieuses & plus essentielles. Quelquefois on le met
dans une bouteille avec de l’esprit de vin, & l’on remue le tout tant que l’esprit
ait tiré la noirceur du mercure ; & l’on recommence la même opération tant que
le mercure soit purifié. Je l’ai fait avec de l’eau claire, ce qui réussit également :

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 786

l’esprit de vin qui a servi à ces opérations, peut être employé pour des teintures
mercurielles. Mais pour parler naturellement toutes ces purifications sont très
superficielles ; la meilleure de toutes eu de revivifier le mercure sublimé. C’est
le moyen de rendre le mercure très-pur, & d’en tirer proprement l’âme. Mais
c’est un travail qu’il faut réitérer plusieurs fois, ainsi que l’enseigne Basile
Valentin dans sa manifestation des mystères.

La seconde préparation du mercure est la précipitation, nommée par quelques-


uns calcination, mais c’est par abus. On précipite communément le mercure
avec des esprits acides, savoir l’esprit de vitriol, de soufre, de nitre ou d’eau-
forte ; on y dissout le mercure, qui reste au fond de la cornue, en une espèce de
chaux. Si la précipitation se fait avec l’esprit de vitriol, le précipité sera jaune, si
c’est avec l’esprit de soufre il sera blanc : au lieu que si on se sert d’esprit de
nitre ou d’eau-forte, la poudre sera rouge. Toutes ces couleurs dépendent moins
de la diversité des esprits qui servent à la précipitation, qu’au propre soufre du
mercure, différemment altéré & séparé de son mixte. La rougeur du précipité
par l’esprit de nitre ou l’eau-forte, vient des soufres de ces esprits, qui altèrent &
portent beaucoup de soufre, qui se joint à celui du mercure. Ceci nous engage à
parler de la précipitation singulière du mercure par soi-même, qui se fait en
mettant une certaine quantité de ce minéral, dans une cucurbite à fond large &
à col fort étroit, on laisse le tout en digestion sur un feu lent de cendres ou de
sable ; & par succession de temps, le mercure se change en une poudre rouge
qu’on appelle mercure précipité par lui-même.

Mais, dira-t-on, d’où vient cette calcination & cette rougeur du mercure ? Je
répond qu’elle vient du soufre hétérogène qui s’en sépare & qui procure cette
couleur. On croit le prouver en montrant que le mercure des corps, qui n’a
point de soufre étranger, ne le calcine pas ce même, serait-il un an en digestion.
Si on calcine de la même manière du mercure analogue à l’or, on aura un
précipité solaire par soi-même, qu’on fera digérer, & sur lequel on fera brûler
de l’esprit de vin, pour en faire un mercure diaphorétique spécifique dans la
maladie vénérienne, la galle, la lèpre, &c. Tous les autres précipités solaires, tant
par soi-même, qu’avec des esprits acides minéraux, sont de violents purgatifs
par le haut & par le bas, à moins que le mercure n’en soit fixé, & rendu
diaphorétique par ce moyen, encore faut-il être fort circonspect, & n’en pas trop
ordonner, si on est jaloux de sa réputation.

On prétend fixer ces précipités en cohobant plusieurs fois sur la matière, l’esprit
acide qui les a dissout, en faisant brûler ensuite de l’esprit de vin plusieurs fois :
mais ces fixations ne sont que palliatives. La meilleure après que l’on a précipité

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 787

le mercure par l’eau-forte de vitriol, d’alun calciné & de nitre, est de retirer le
menstrue par plusieurs cohobations, de mettre le précipité en digestion avec de
l’esprit de vin, & d’y mettre le feu chaque fois ; enfin de l’édulcorer avec de
l’eau de sel de tartre. C’est le moyen d’avoir un mercure rouge fixe,
diaphorétique.

Quelques-uns précipitent le mercure avec la teinture d’émeri, dont ils se


promettent des merveilles ; mais inutilement. On s’appuie sur un fondement
ruineux, en supposant que l’émeri tient quelque chose du Mars, & qu’il est par
conséquent propre à tirer les teintures des métaux, & à coaguler le mercure. La
preuve de la fausseté de cette opération, est que ce précipité exposé au feu, ne
donne qu’une poudre fixe d’émeri, & le mercure s’évapore avec sa couleur.

Comme les précipités marqués ci-dessus, sont très-dangereux, on a inventé un


mercure précipité avec d’autres métaux, & spécialement avec le Soleil. On
dissout ce dernier dans l’eau régale & le mercure dans l’eau-forte. On joint les
deux dissolutions qu’on distille & cohobe plusieurs fois : après quoi on édulcore
la poudre avec l’esprit de vin. On s’en sert utilement tantôt comme vomitif dans
la maladie vénérienne, tantôt comme purgatif dans l’hydropisie. C’est l’or de
vie d’Hartman.

L’Antiquartarium de Rivière ou son fébrifuge contre la fièvre quarte, est de ce


genre, c’est un précipité composé du mercure, de l’or & du régule d’antimoine,
à quoi il ajoute la scammonée. Ce remède pousse par le haut, par le bas & par
les sueurs, mais avec quelque violence. On précipite pareillement le mercure
avec le cuivre, ce qui donne un précipité vert. C’est un remède infaillible dans la
Gonorrhée virulente ou maligne. Il semble d’abord qu’il augmente le mal ; mais
il le guérit parfaitement dans la suite.

L’Arcane corallin de Paracelse a lieu ici ; c’est un purgatif excellent, & un remède
assuré pour la fièvre & la goûte. On l’appelle corallin, parce qu’il approche de la
couleur du corail. Pour le préparer, on dissout le mercure dans la liqueur
alcaest, on distille la dissolution pour en tirer le menstrue ; & il reste une
poudre fixe, qu’on distille avec de l’eau de blanc d’œufs, ce qui lui donne la
forme ou plutôt la rougeur du corail. Et comme le mercure ‘précipité par
l’esprit de nitre est rouge, on lui a donné faussement le nom d’Arcane corallin.
Mais ce précipité est entièrement différent du véritable Arcane corallin. Le
Calcinatum majus de Potier & le Chaos magnum du même Auteur se doivent rap-
porter ici. Le premier est un mercure dissout dans l’eau-forte, & précipité par
l’eau salée, avec lequel on prépare ce dernier, qui est un remède extraordinaire
& de peu d’usage.
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 788

Le mercure précipité ne doit pas se donner intérieurement, son usage est


externe, dans les maladies de la peau, la galle, la vérole, les ulcères cacoëtiques
ou qui tendent à la gangrène, pour lesquelles il n’est rien de plus salutaire que
ces précipités mêlés avec les onguents convenables.

La troisième préparation du mercure est la sublimation : on le sublime ou avec


des sels corrosifs, ou avec le soufre. Par la première opération on a le sublimé
corrosif, & la dernière donne le cinabre. Telle est la manière de sublimer le
mercure, on prend parties égales de mercure dissout dans l’eau-forte, de sel
décrépité & de vitriol desséché. Quand on a mêlé le tout fort exactement, on le
sublime à feu de sable dans une cucurbite basse, & le mercure s’élève en roche
de couleur blanche. Mais il faut observer que si on sublime le mercure à un feu
violent, avec le double de nitre & de vitriol calciné, il s’élève un mercure rouge
oui n’est pas corrosif, ni plus pesant qu’il était avant le mélange des sels, qui ne
lui donnent par conséquent aucune pesanteur, par la raison que le soufre du
nitre, agit seul sur le soufre du mercure & le calcine en forme de poudre rouge.
Mais si on sublime le mercure avec le sel commun, ce mercure devient corrosif
& plus pesant par le sel commun qu’il reçoit, & dont il tire sa qualité corrosive.

En ajourant du mercure vif & bien purifié au mercure sublimé, il s’en forme un
mercure doux, en ce que celui qu’on y ajoute, désunit & écarte les sels corrosifs ;
& par ce moyen, il s’en fait un remède très doux qu’on appelle dragon mitigé, &
Panchimagogue minéral, parce que le mercure doux est un excellent purgatif,
dont la dose est d’un scrupule, soit avec l’extrait d’ellébore noir, ou l’extrait
Panchimagogue de Crollius, ou même avec quelque autre purgatif, & sert dans
la vérole, la lèpre, l’hydropisie, les cathares, &c. qu’il guérit parfaitement.

Il est bon de savoir que le mercure purgatif convient mieux aux phlegmatiques
qu’aux bilieux, & qu’il nuit même à ces derniers. L’antimoine au contraire est
salutaire aux bilieux, & est nuisible phlegmatiques. Le mercure doux mêlé avec
l’extrait d’élaterium & donné en forme de pilules est d’un grand secours aux
hydropiques.

En mettant infuser le beurre d’antimoine rectifié dans de l’eau froide commune,


la liqueur prendra une couleur de lait ; & insensiblement il se précipite au fond
du vaisseau une poudre blanche, nommée communément mercure de vie. C’est
un vomitif célèbre, mais trop violent. Quelques-uns pour le rendre plus doux, le
précipitent avec une lessive de tartre calciné. Ceux qui crient contre ce mercure,
& qui le nomment mercure de mort, ont tort en ce qu’ils croient que le beurre
d’antimoine est une production du mercure & non de l’antimoine. Je puis
assurer le contraire, c’est uniquement le régule dissout & corrodé par l’esprit de
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sel. Et quand on met le beurre d’antimoine dans l’eau, les sels acides se séparent
du régule, qui tombe au fond en forme de poudre.

Le mercure de vie est de quelque usage dans les fièvres intermittente, aussi bien
que dans les affections mélancoliques & dans la manie, pourvu qu’on le donne
à propos. C’est un vomitif spécifique dans paralysie de la langue, dans la
difficulté d’avaler & dans l’apoplexie. Il fait vomir facilement ; après qu’on en a
soufflé un grain ou deux dans la bouche du malade, ou même si on le met sur
sa langue. En un mot, c’est le vomitif le plus présent, & on le préfère à plusieurs
autres. On le donne en substance jusqu’à deux grains, & en infusion jusqu’à six.
Pour cela on le fait infuser dans deux ou trois onces de vin durant la nuit, on
filtre l’infusion le matin, puis on la donne au malade. Il est plus sur de cette
manière qu’en substance, où l’on doit craindre qu’il n’en reste dans les replis du
ventricule, ce qui causerait des super purgations mortelles.

La faculté du mercure de vie est inépuisable ; on le peut faire infuser cinq cent
fois, sans qu’il perde rien de sa vertu. Mais comment cela se peut-il faire ?
Quelques-uns, disent qu’il opère par une action radiative ; mais cette action est
difficile à comprendre. Il vaut mieux dire qu’il perd quelque chose de sa force
quoique imperceptiblement ; & qu’il se ranime de nouveau par l’esprit
universel qui la lui rend, comme l’antimoine diaphorétique, qui recouvre au
bout de six mois la vertu vomitive qu’il avait perdue ; le mercure de vie sera
beaucoup plus doux, si on le fait par le régule martial d’antimoine, ou même
par le régule simple ; parce que durant sa calcination avec les sels, le soufre le
plus subtile de l’antimoine se sublime & se détache, & il est corrigé par le soufre
fixe du Mars, On peut même tellement réduire le mercure de vie, qu’il ne purge
que par le bas. Il faut pour y parvenir, prendre du beurre d’antimoine distillé
du régule martial, & en précipiter le mercure de vie, avec une lessive de tartre
calciné, puis l’édulcorer doucement : mais il faut que le beurre d’antimoine ait
été auparavant bien rectifié. Le mercure de vie ne purgera pareillement que par
le bas, si on distille plusieurs fois dessus de l’esprit de vin tartarisé. Les sels
alcalis déterminent aussi le mercure de vie à purger par le bas, si on ajoute sur
trois onces de nitre fondu à un feu modéré, deux onces de mercure de vie, alors
ce mercure deviendra purgatif, mais si aux trois onces de nitre on n’ajoute
qu’une once de mercure de vie, alors il deviendra feulement sudorifique. Mais
si on distille sur le mercure de vie six fois son poids de nitre, on aura le bésoard
minéral, oui est an excellent sudorifique.

Si avec deux grains de mercure de vie, on pile quinze grains de mercure doux,
on aura un purgatif qui fera son effet seulement par en bas, à cause que l’esprit

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 790

acide qui est dans le mercure doux, fixe le mercure de vie. La même chose
arrivera si on pile exactement le mercure de vie, avec le sel commun ; & si on le
distille plusieurs fois. Par ce moyen, l’acide du sel commun fixe le mercure de
vie, & en fait un purgatif doux & très assuré. Par là on peut découvrir la raison
pour laquelle le mercure de vie n’opère point dans les hydropiques ; qui est que
l’eau salée dans l’hydropisie, corrige & fixe le mercure de vie.

On prépare avec le mercure de vie, la rose de vie minérale d’Angélus Sala, qui se
prépare avec l’essence de Santal, faite par l’esprit de vin & réduite en
consistance de miel. On y ajoute quelques goûtes d’huile de girofle, & quelques
grains d’ambre & de musc, avec quoi on mêle exactement le mercure de vie.

Si on distille l’eau dans laquelle on a précipité le mercure de vie, pour le séparer


de son phlegme, on aura un esprit acide, qu’on appelle vulgairement l’esprit de
vitriol Philosophique, comme si dans la distillation il était monté quelque chose
du vitriol ; ce qui n’est pas. C’est uniquement l’esprit de sel commun délayé par
les particules d’eau, lequel a les mêmes propriétés.

Le mercure sublimé est employé extérieurement, il entre, par exemple, dans la


fameuse eau phagédénique, qui se compose avec l’eau de chaux-vive, dans
laquelle on dissout du mercure sublimé ; & on y ajoute de l’esprit de vin suivant
les circonstances. Cette eau est également efficace pour prévenir & pour guérir
la gangrène. S’il y a ardeur ou inflammation, il est bon d’y ajouter le suc
d’Ecrevisses. On s’en sert outre cela contre la galle la teigne, les vermines de la
tête, & on la mêle ordinairement avec l’onguent de Nicotiane.

Pour revivifier le mercure sublimé, on le fait bouillir avec de l’eau commune


dans un pot de fer, qui absorbe les sels acides corrosifs, après quoi le mercure se
présente en sa première forme coulante. La même chose arrive quand on y
ajoute des alcalis, pour absorber les sels acides. Le mercure vif dissout dans
quelque acide que ce soit, se changera en poudre blanche, si on verse de l’esprit
de tartre fur la dissolution ; mais si on y verse de l’huile de tartre par
défaillance, il se précipitera une poudre jaune : au lieu que si le mercure
sublimé est dissout dans de l’eau commune, ou dans quelque eau distillée, il
tombe en poudre rougeâtre, par l’infusion d’huile de tartre par défaillance ; &
cette poudre se nomme Turbith minéral, pour le distinguer du végétable. Si on le
précipite avec des alcalis volatils, la poudre sera blanchâtre, si on le fait avec
des alcalis fixes, la poudre sera cendrée ou brune, suivant le degré de fixité de
ces alcalis.

J’ai dit an commencement que Van Helmont traitait d’imposteurs certains

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 791

Chimistes qui se vantent de tirer du corps du mercure de l’eau, de l’esprit, de


l’huile & du sel. Sur quoi je suis de son sentiment, contre ceux qui prétendent
tirer du mercure la liqueur Alcaest ; car où ils ne tirent point d’eau, ou s’ils en
tirent, elle vient de l’air ambiant. Voyez Zwelpher, qui vous apprendra la
manière de distiller le mercure. Cet Auteur néanmoins n’en a jamais tiré aucune
eau.

CHAPITRE IX.

Du Cinabre minéral & artificiel.

Le mercure sublimé avec le soufre commun donne le cinabre. Pour cet effet, on
prend demi-livre de mercure cru, & trois onces de soufre, on mêle-le tout pour
le sublimer, & on en fait le cinabre artificiel. Il est surprenant qu’il sorte un
corps rouge de l’union de deux substances, l’une blanche & l’autre jaune.

Ce Phénomène prouve assez bien la doctrine de M. Boyle & des Modernes, qui
assurent que les couleurs dépendent du changement de la tissure des corps qui
reçoit & brise les rayons solaires.

Le fondement de la préparation du cinabre, consiste en ce que l’acide du soufre


corrode le mercure, auquel il se joint pour l’enlever avec soi. C’est ainsi que se
forme le cinabre, comme il parait en ce qu’on en peut revivifier le mercure, par
le moyen des alcalis ou de la limaille de fer avec quoi on distille le cinabre, mis
l’un &, l’autre en poudre & mêlés ensemble. Les alcalis n’ont pas plutôt absorbé
les acides du soufre, qui lie le mercure, que celui-ci reprend sa liberté & sa
forme de vif-argent. Et cette opération purifie le mercure, parce qu’il dépose
dans la cornue une partie de ses impuretés.

Il y en a qui préparent un cinabre bleu, en prenant deux parties de soufre, trois


parties de mercure vulgaire, & une partie de sel armoniac. Tous ces corps mêlés
& sublimés ensemble donnent un corps bleu, au lieu que le mercure avec le
soufre en donne un rouge.

La production du cinabre artificiel nous conduit à la connaissance du cinabre na-


turel, qu’on tire de la mine. Ce n’est rien autre chose que le mercure vif coagulé par
le soufre en un corps rouge & terre pierreuse, par le moyen d’un feu souterrain. En
pulvérisant & sublimant cette mine, on aura un cinabre naturel de la même qualité
que le vulgaire. Le cinabre naturel est différent suivant la mine dont on le tire, c’est-
à-dire, selon que le soufre & le mercure qui le composent dans cette mine sont
différents.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 792

Les mines de Hongrie & d’Espagne sont les meilleures de toutes à cause
qu’elles abondent en or & en argent, & par conséquent le cinabre participe de
l’âme de ces deux métaux. Il y en a aussi une mine près Saint Lo, en Basse-
Normandie. Védélius rapporte vingt qualités particulières du cinabre, pour être
employé dans la Médecine ; mais elles ne sont pas de notre sujet. Voyez la
Pharmacopée Chimique sur la purification du cinabre naturel.

Si l’on veut purifier le cinabre naturel on le fait bouillir plusieurs fois dans de
l’eau, on digère la partie la plus pure qui s’élève toujours, &. l’on y fait brûler
l’esprit de vin, par ce moyen on lui ôte ses imperfections les plus grossières.

On fait encore un cinabre artificiel solaire, en sublimant un Amalgame d’or, de


mercure & de soufre commun ; sur quoi on peut voir Greiff dans son Traité de
la Thériaque céleste.

Opération métallique sur le Cinabre.

Je crois pouvoir marquer ici une opération singulière sur le cinabre, dont on
pourrait tirer quelque avantage, si elle était portée aussi loin qu’elle peut aller.
On ne doit pas en soupçonner la vérité, puisqu’elle a été faite par le savant Père
Kircher Jésuite, grand Naturaliste & ennemi déclaré de la transmutation des
métaux.

Vous prendrez du cinabre que vous mettrez en morceaux, gros environ comme
de petites fèves ou des clous, vous les ferez bouillir dans du vinaigre distillé
dans lequel vous aurez fait dissoudre un peu de vitriol de Hongrie. Vous
prendrez de la Lune de coupelle, le double poids de ce qu’il y aura de cinabre,
vous la mettrez ou ferez mettre en limaille que vous ferez pareillement bouillir
dans du vinaigre distillé où vous aurez fait dissoudre un peu d’alun de glace &
ferez sécher exactement l’un & l’autre.

Mettez d’abord un lit de limaille d’argent dans un creuset un peu bas, puis un
lit de vos clous de cinabre, sur lequel vous mettrez un lit de votre limaille de
Lune : mais il ne faut pas que les clous se touchent, ni qu’ils touchent le bord de
votre creuset, ainsi ferez lit sur lit de vos deux matières, de manière que le
dernier soit de limaille d’argent. Mettez fur la limaille un lit de chaux-vive pour
retenir les esprits de la Lune ; fermez exactement votre creuset avec un
couvercle que vous luterez si exactement, que rien ne puîné transpirer. Laissez
sécher le lut & mettez le tout au bain de sable ou de cendres, qui doivent même
couvrir votre creuset de deux bons doigts dessus, comme il doit y en avoir
autant par-dessous : donnez un feu doux ou de digestion par-dessus, pendant

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 793

deux jours ; puis donnez feu dessus & dessous pendant deux autres jours
naturels, & sur la fin il faut que le creuset rougisse. Laissez refroidir le tout ;
prenez vos clous qui seront un peu noirs, & desquels vous séparerez la limaille
d’argent avec une patte de Lièvre. Mettez-les en poudre, & les réverbérez à un
feu modéré, tant qu’ils aient acquis une blancheur de neige.

Ces clous de cinabre seront remplis de l’âme ou esprit de la Lune, mais votre
Lune sera diminuée de poids. Faites un bain d’argent & y projetez votre poudre
de cinabre, enveloppée dans de la cire, qui en retiendra les esprits ; & vous
aurez une augmentation d’argent de ce que vous y mettrez de cinabre.

Il vous est libre au lieu de clous, de mettre votre cinabre en poudre, de le faire
bouillir comme auparavant, & de le réduire en pâte avec de l’eau de blanc
d’œufs, mais il faut que la pâte soit fort mince, puis la faire sécher au soleil ou à
lente chaleur que vous cimenterez comme il est dit ci-dessus.

On pourrait en cas de besoin, au lieu du lit de chaux-vive, marqué ci-dessus.


mettre un lit de sels fixatifs, savoir du sel commun quatre onces, de nitre huit
onces, de sel alcali, tiré de la soude quatre onces & d’alun une demi-once. Ceci
doit servir pour les proportions en plus grand volume ; on les doit dissoudre,
filtrer & coaguler jusqu’à trois fois dans de l’eau commune, & que l’on mettrait
sur le dernier lit de limaille d’argent. Cette opération pourrait encore être portée
plus loin, comme nous le dirons ailleurs. Mais dans l’état où elle est, elle fait
voir du moins la réalité de la transmutation du mercure en métal fixe ; quoique
ce soit sans profit & avec bien du travail. M. Lémery convient du fait, mais il
veut attaquer cette transmutation par de mauvais raisonnements, qui portent à
faux, parce qu’il a fait l’opération sans aucune des précautions marquées ci-
dessus.

CHAPITRE X.
Des Pierreries.

Des métaux, je passe aux pierreries qui tirent leur vertu médicale du principe
métallique sulfureux. Elles sont composées d’une eau très simple & très pure,
coagulée par un sel spécifique. Les pierreries sont colorées ou non colorées. Les
dernières sont formées d’une eau très simple, coagulée par un sel simple, ce qui
se prouve par la génération de la glace, qui est d’autant plus claire, que l’eau
dont elle est formée est pure. On assure que Van Helmont par un alcali qui
nous est inconnu, réduisait toutes les pierreries en une eau élémentaire très
simple, il y a tout lieu de croire que les pierreries se forment de cette manière ;

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 794

puisque quand elles sont pulvérisées chaque grain de la poudre parait


transparent comme du cristal, quand on le regarde avec un microscope.

Les pierreries colorées tirent leur couleur d’un principe métallique, comme il
paraît dans la vitrification des métaux, par le miroir ardent ou par la fusion du
verre avec les métaux, qui lui donnent diverses couleurs. Je croirais volontiers
que la chose se passe de la manière suivante. L’eau saline qui fait la base des
pierreries, venant à passer dans des lieux souterrains, où la matière première
des métaux est renfermée en forme liquide, elles combattent ensemble & la
première absorbe & coagule avec soi des particules colorées métalliques, qui
font la couleur de la pierre. Ce que je propose est confirmé par les expériences
de Kefler, qui a enseigné la manière de composer des pierreries, & qui attribue
leur couleur aux principes métalliques. Celles qui sont de couleur de feu,
comme le Rubis, l’Escarboucle, le Grenat, &c. doivent leur couleur à un soufre
aurifique. Le Saphir doit la sienne à l’argent, qui renferme en soi une couleur
céleste : les vertes, comme l’Emeraude, tirent leur couleur du cuivre ; les jaunes
ou brunes, comme la Chrysolite & le Topaze, la tirent du fer, il en est de même
des autres.

Quant à l’usage médical des pierreries, les Chimistes travaillent beaucoup pour
les volatiliser, afin d’en tirer des teintures. Chacun vante la sienne, & le corail a
la même destinée que les pierreries. Je ne nie pourtant pas absolument la
possibilité de ces teintures.

Les pierreries & autres madères indissolubles prises intérieurement sortent du corps
telles qu’on les a prises, comme en sort le mercure, oui cependant n’y est pas sans
effet, si les pierreries produisent des effets extérieurement en restant entières par
une mécanique que nous ne connaissons point, pourquoi ne feront-elles pas la mê-
me chose intérieurement ? Voyez la Pharmacopée Chimique. Elles ne sont pas inu-
tiles extérieurement en forme d’amulette. On sait par expérience que le jaspe pendu
au col est un secours présent dans les hémorragies du nez & de la matrice. Si on tire
un cerne autour d’un charbon pestilentiel avec un saphir, le charbon deviendra
bientôt noir & tombera. La même pierre est ophtalmique & convient aux maladies
des yeux, on a coutume de tirer autour de l’œil un cerne avec le saphir, pour
préserver la vue dans la petite vérole & dans la rougeole. La pierre néphrétique
portée est utile contre le calcul & les affections des reins, selon Bauhin. Et pour
parler de pierres moins précieuses, on sait que la pierre d’Aigle attachée à la cuisse
d’une femme en travail, la fait accoucher plus aisément : mais il faut avoir soin
d’ôter la pierre dès que l’enfant est Sorti. Ce sont-là des choses de fait qui
démontrent la vertu amulérique des pierreries. On dit communément qu’elles

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 795

agissent par vertu irradiative. Mais d’où vient cette vertu ? Je crois pour moi qu’elles
tirent leurs vertus de leur soufre métallique qui est très épuré, & dont elles tiennent
ainsi leur teinture. Comme ce soufre est très pur on a travaillé inutilement jusqu’ici
à le tirer. Elles en contiennent si peu, que le Grenat qui est assez rouge, devient
blanc quand on le réduit en poudre. Enfin quand il y aurait beaucoup de soufre, il
est tellement concentré, que je ne crois pas qu’il soit possible de le séparer. Toutes
ces raisons font connaître que les dissolutions des pierreries sont superficielles, &
doivent leur couleur à leur menstrue. Ce n’est pas que la couleur que l’on attribue au
soufre métallique, ne puisse encore venir d’ailleurs. La teinture d’Emeraude, par
exemple, tirée de cette pierre, pilée dans un mortier de fer, par le moyen de l’esprit
de vin, imite la couleur du soufre métallique. Mais cette couleur vient des particules
du Mars qu’on a détachées du mortier par la trituration, & la dissolution qu’on en
fait par l’esprit de vin, animé de l’esprit d’urine, représentent la couleur verte.

Quelques-uns pour avoir la teinture des pierreries, les subliment en fleurs


rougeâtres avec le sel armoniac, pour les extraire ensuite avec l’esprit de vin.
Mais quoique cette dissolution soit imposante, il est certain que le sel armoniac
ne saurait tirer radicalement le soufre des pierreries, ainsi qu’il ne les corrode
que superficiellement, & que ces teintures n’ont pas les vertus qu’on leur
attribue.

Améthyste en Diamant.

Je terminerai ce Chapitre par deux curiosités ; la première est la conversion de


l’Améthyste en Diamant. Prenez émail blanc bien pulvérisé, au milieu duquel
vous mettrez en un creuset bien fermé un Améthyste blanc ; faites le rougir
pendant quatre ou cinq heures, laissez refroidir vingt-quatre heures : faites le
tailler, & il passera pour Diamant.

Saphir en Diamant.

L’autre curiosité est de convertir le Saphir en Diamant, en la manière suivante.


Prenez un Saphir d’une couleur faible, & l’enveloppez de terre grasse. Laissez
sécher & le mettez en un creuset dans de la limaille d’or, vous le mettrez au feu
pendant trois heures, de manière que tout rougisse, & ensuite que l’or fonde, &
le tenez une de-mi’heure en fusion, laissez refroidir 24 heures : tirez en la pierre
qui sera blanche & très dure, vous la ferez brillanter, & elle aura l’éclat du
Diamant le plus parfait.

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NOUVELLES ADDITIONS.

Huile merveilleuse & divine de Fioravent, au second de ses caprices, Chap.


69 laquelle se prend dans la quantité d’une goutte ou deux avec vin,
bouillon, ou autre liqueur.
Prenez sang d homme ou de Cerf, qui serait encore meilleur, sperme de Baleine,
moelle de Taureau, de chacun une livre, musc, une once, cendre d’Olivier, deux
onces, eau-de-vie fine, deux livres, mêlés & distillés dans la retorte selon l’art,
jusqu’à Ce que toute la substance en soit tirée, & les quatre élément réparés. Car
il distillera premièrement une eau blanche, secondement une huile citrine,
troisièmement une liqueur roussâtre de grande vertu, utile à diverses maladies,
tant prise par la bouche qu’appliquée au-dehors.

Fiéraventi ne dit pas que trois liqueurs sortent de cette distillation ; mais il veut
qu’aussitôt que la distillation est faite, qu’on la distille encore trois fois par le
bain-marie, & qu’on la laisse reposer, & qu’on la garde en un vaisseau de verre.

Urine distillée.

Pour empêcher l’urine de monter dans ta distillation, il faut y mettre du beurre


suffisamment. Kunkel.

De l’Urine.
De l’urine des animaux, celle d’une jeune Vache, qui soit grasse, & qui paisse à la
Campagne est un remède que l’on a mis en usage, pour être pris au Printemps trois
verres chaque jour à une heure de distance d’une de l’autre, pendant une quinzaine.
Il faut la passer par un linge, pour l’avoir plus claire. C’est ce qu’on appelle eau de
mille fleurs. Après l’avoir prise, on se promène & deux heures après, on prend un
bouillon. On dit remède excellent contre les sérosités peccantes, la Jaunisse, la goûte,
le rhumatisme, les vapeurs, & l’hydropisie.

Eau de Gallega.
Le Gallega est une Plante qui vient dans les lieux humides.

Pour en faire l’eau il faut couper la Plante, la concasser & battre dans un mortier
de Marbre. Vous la mettiez en un pot qui la puise contenir : versez dessus du
vin blanc, de manière que la Plante en soit imbibée, laissez la, fermenter à la
cave huit ou dix jours, & la distillez non au bain-marie qui est trop faible, niais à
feu de sable pour tirer toute la vertu de la Plante. Cette eau est très sudorifique,

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& pousse au-dehors toutes les humeurs peccantes qui occasionnent les
maladies.

Elle est aussi très souveraine dans la petite vérole, parce qu’elle fait sortir en
peu de jours les pustules & les boutons de cette maladie en parfaite maturité.
Cette eau n’est pas moins utile contre l’épilepsie. La décoction de cette Plante
prise dans du vin, est aussi très-utile que son eau ; mais il faut cueillir l’herbe en
pleine fleur, la faire sécher à l’ombre, & non au soleil, qui enlève toute sa vertu.

On se sert aussi de cette Plante extérieurement dans les maux de cerveau &
même dans le transport, en appliquant le sus & le marc de l’herbe sur la tête.

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TRAITE DE JEAN ISAAC HOLLANDAIS.


Sur la manière, de tirer toutes les teintures par l’esprit d’Urine.

TOUTES teintures au blanc ou au rouge, se travaillent de la même manière.


Prenez donc une grande cucurbite de terre vernissée, dans laquelle vous
mettrez de vieille urine clarifiée, couvrez-la de son Chapiteau avec un récipient,
distillez-en tout ce qui en pourra sortir. Il vous restera dans le fond des fèces
noires qu’il faut calciner à blancheur pendant trois heures ; dissolvez cette
calcination dans de l’eau commune, faites bouillir pendant deux heures ; laissez
clarifier, versez par inclination ce qui sera clair ; & faites évaporer votre infusion
jusqu’à pellicule ; mettez en un lieu frais, & il se formera des cristaux. Tirez ces
premiers sels, évaporez derechef, & laissez cristalliser, comme auparavant.
Faites sécher en une terrine vos cristaux, que vous ferez calciner doucement
dans le même vaisseau ; mais prenez garde que les sels ne se fondent ; c’est ce
qu’il faut éviter. Dissolvez de nouveau ces cristaux calcinés en eau distillée ;
mettez les pendant un quart d’heure sur le feu, retirez votre dissolution que
vous laisserez refroidir & clarifier, & versez par inclination ce qui fera clair.

Faites évaporer cette eau jusqu’à ce que vous aperceviez que les sels
commencent à se former, & les mettez comme auparavant en lieu frais, pour en
avoir les cristaux que vous retirerez : recommencez vos évaporations &
cristallisations ; calcinez encore ce sel en une terrine & le réservez pour l’usage,
tel que je vous le marquerai. Distillez maintenant votre première extraction
d’urine, & si à la superficie il s’amasse de l’huile ou une graisse jaunâtre,
retirez-la toute avec une plume ou une cuiller. Distillez pour la seconde fois
cette urine dans une cucurbite vernie, ce que vous recommencerez jusqu’à ce
qu’il ne se fasse plus de fèces au fond de votre cucurbite, & vous les jetterez
comme inutiles.

Mettez maintenant votre distillation au bain-marie, il vous restera d’autres fèces


noires mais inutiles, réitérez votre distillation au même bain, & ce tant que
votre eau sorte claire, & qu’il ne reste plus aucunes fèces, toutes ces fèces
doivent être jetées. Prenez maintenant votre sel desséché, marqué ci-dessus, &
le mêlez avec cette dernière eau clarifiée en une cucurbite, que vous boucherez
bien, & la mettrez en digestion au bain de cendres, pendant trois ou quatre
jours, jusqu’à ce que votre sel soit fondu en eau, très claire, sans aucune
résidence.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 799

Observez que quand, votre sel est dissout dans votre eau, sans laisser aucunes
fèces, alors votre matière est bien préparée ; ainsi votre première opération est
parfaite, & vous êtes parvenu à faire un sel pur & bien exalté, sans aucunes
fèces, ou impuretés.

Prenez donc six parties de cette urine purifiée ; Quatre parties de vinaigre
distillé ; Trois parties d’eau-de-vie ; demi-livre de sel commun épuré, & préparé
; Demi-livre de sel armoniac ; Et demi-livre de chaux-vive ordinaire.

Mettez-le tout ensemble, & le faites dissoudre dans vos six parties d’eau ou
d’urine clarifiée, & vous aurez une matière admirable propre à résoudre les
chaux des corps parfaits en leur première matière, c’est-à-dire, en mercure :
cette eau sert encore attirer la quintessence de l’antimoine, & de tous les corps
parfaits soit, blancs ou, rouges. Quand vous vous ferez servi dix ou douze fois
de cette eau, & que vous l’aurez distillé de dessus vos matières, elle conserve
toujours sa même force, il suffit seulement de la rectifier.

Manière de tirer les teintures des corps avec l’eau précédente.

Prenez du soufre, de l’orpiment, de l’ocre, ou tel autre corps qu’il vous con-
viendra pour en extraire la teinture, mettez-les en poudre impalpable, broyez-
les avec du vinaigre distillé, de manière que tout soit réduit en consistance,
épaisse. Vous mettrez cette matière en un grand matras ou ballon avec votre
eau ou urine ci-dessus clarifiée, vous n’emplirez votre vaisseau qu’à moitié, &
vous le placerez au bain de cendres ou de sable, vous le couvrirez & le mêlerez
bien pour incorporer vos matières. D’abord vous ferez un feu très lent pour
échauffer peu à peu vôtre vaisseau. De temps en temps vous lui donnerez de
l’air, autrement tout se briserait, & vous aurez soin de mêler vos matières, &
quand vous verrez que vos eaux seront teintes, versez-les par inclination, mais
prenez garde qu’il ne passe aucunes fèces. Conservez bien ce que vous aurez
tiré en un vase bouché très exactement. Remettez sur vos matières de nouvelle
eau ou urine claire, avec une partie de vinaigre distillé, & mêlez exactement
comme auparavant. Lorsque cette seconde liqueur sera teinte, versez-là & la
conservez comme la première ; ce que vous répèterez avec de nouvelle urine
clarifiée, & de nouveau vinaigre distillé, tant que vos matières vous donneront
de la teinture. Après quoi jetterez les fèces restantes, ou les réservez pour
d’autre usage.

Versez maintenant toutes vos eaux teintes en un évaporatoire. Vous les ferez
évaporer doucement jusqu’à pellicule ; laissez les refroidir & les métrez ensuite
dans une cucurbite, à laquelle vous appliquerez un chapiteau & un récipient, &

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 800

tirerez toute l’humidité à feu doux ; il vous restera la teinture du corps que vous
y aurez mis, qui sera sa quintessence. Si vous avez mis de l’argent, votre
quintessence sera aussi blanche que la neige, & la rouge sera aussi brillante que
l’or le plus pur.

On peut tirer de même la quintessence du mercure sublimé, soit du blanc, soit


du rouge. Vous pouvez faire la même chose sur la limaille de Mars, sur le vert-
de-gris, le cinabre, l’es-ustum, aussi bien que sur la chaux d’or & d’argent, &
généralement sur tout ce que vous y mettrez. Faite attention que pour fortifier
votre urine ou dissolvant, il faut à chaque distillation ajouter un gros de sel
armoniac, & autant de sel commun purifié, & vos teintures se tireront plus
aisément.

Observez encore que ces teintures extraites vous pourront servir à cimenter, ou
stratifier des métaux, ce qui eu très-important.

Enfin remarquez que par le même moyen, vous pouvez faire une eau forte
rouge & brillante comme un Rubis, avec laquelle on peut opérer des choses
admirables, mais qu’il ne nous est pas permis de révéler. Tiré du Théat. Chymiq.
Tome VI.

Manière de faire parfaitement l’huile de jaunes d’œuf, de Fioraventi.

L’huile de jaunes d’œufs est une liqueur de très-grande vertu, qui sert à
plusieurs choses : c’est une huile qui ne se consomme jamais : & qui sert à
plusieurs opérations ; d’Alchimie, pour donner fixation aux Médecines quand
elles font volatiles. Elle se fait en cette manière.

Prenez les jaunes d’œufs qui soient durs, & en faites une masse, étant pilés
dedans le mortier, puis les mettez en un vaisseau de cuivre sur le feu, leur
donnant bonne chaleur de charbons, les remuant toujours avec la spatule, tant
que de soi-même ils viendront à se convenir en huile.

Et dès que vous verrez cela, à l’instant vous les coulerez par un linge, & vous
aurez l’huile de jaunes d’œufs, qui sera précieuse & admirable de couleur noire.
Ce travail est simple, mais il est de si grande vertu, qu’on ne le pourrait croire ;
car il guérit promptement les plaies, noircit la barbe & les cheveux, ôte les
cicatrices des plaies, les en oignant, apaise les douleurs des hémorroïdes, résout
les douleurs de côté, & sert à plusieurs autres choses.

Autre Huile d’œufs.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 801

Prenez jaunes d’œufs cuits durs une quinzaine. Froissez-les avec les doigts.
Joignez-y une dragme de Piretre en poudre distillez, le tout en une basse
cucurbite ou en petite cornue de verre d’abord à petit feu de cendres & ainsi par
degrés, jusqu’à ce que les cendres, rougissent, & cela tant que la liqueur soit
extraite. Après quoi prenez encens blanc, Castoreum, Laudanum en poudre, de
chacun une demi-once ; mêlez avec l’huile distillée & cohobez quatre fois sur les
mêmes poudres ou matière. On doit faire la première & seconde distillation à
un feu tempéré, & laisser cette huile ainsi distillée en un verre bien bouché.

Son usage est pour les vices des yeux, y en mettant une seule goûte ; mortifie &
guérit les fistules, chancres & ulcères malins : déracine les poireaux, dessèche la
teigne des enfants, les rasant & frottant de cette huile, soulage par son onction
les douleurs de la goûte, réitérant deux ou trois fois le jour ; adoucit la douleur
venant des brûlures.

Autre huile d’œufs.

Prenez une douzaine d’œufs ou tant qu’il vous plaira, que ferez durcir, prenez,
les jaunes, que froisserez entre vos mains, mettez-les ensuite en une poêle ;
cuisez-les: en les remuant avec la cuiller, jusqu’à, ce qu’ils commencent à se
liquéfier, & viennent en bouillie claire, tirant sur le jaune foncé. Mettez-les en
un linge & les pressez, soit avec les mains, soit à la presse. Vous la digérerez
pendant un mois au bain-marie, dans une quantité suffisante d’eau de roses,
pour corriger l’huile & empêcher qu’elle ne devienne rance. Cette huile est
pareillement bonne pour les brûlures, & si elle est digérée & ensuite distillée &
cohobée sur les poudres de l’opération ci-dessus, elle est bonne pour les bruits
des oreilles. Bue avant le repas, empêche l’ivresse, apaise les douleurs ; facilite
le sommeil employée en onction & mêlée avec graisse d’Oie, soulage ou guérit
les hémorroïdes.

Usage des Coquilles d’œufs calcinées.

Prenez là quantité de coquilles œufs qu’il vous plaira, faites les calciner dans un
feu ouvert, ensuite retirez-les, & les réduisez en poudre très-subtile.

Faites bouillir une once de cette poudre dans trois chopines de bon vin, réduites
à pinte ; retirez-les du feu, laissez-les refroidir, & les passez. On en prend un
verre de quatre heures en quatre heures, comme du Quinquina infusé dans du
vin.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 802

On peut prendre aussi cette poudre en substance dans la même quantité, qui est
depuis un demi-gros jusqu’à un gros, & dans le même ordre que le Quinquina,
observant en tout le régime marqué ci-devant.

La découverte de ce remède commun est très-utile pour tout le monde, &


surtout pour les Pauvres de la campagne, puisqu’il ce trouve partout, & qu’il ne
coûte que le soin de l’amasser. Ses effets sont presque aussi certains que ceux
du Quinquina. Il opère par les sueurs, & par les urines, & adoucit les levains de
la fièvre, mais en cas qu’il ne réussisse point, on aura recours au, Quinquina.

Au reste la poudre fébrifuge purgative, dont nous avons parlé dans le corps de
ce Mémoire, est encore très-propre dans les maladies longues & invétérées, qui
sont ordinairement entretenues, & causées par les obstructions dans les viscères
du bas-ventre, & par une abondance d’humeurs crues & bileuses, comme dans
les langueurs, dans la jaunisse, dans l’hydropisie, &c. Elle produit de très-bons
effets dans les fluxions de Poitrines pourvu qu’il n’y ait point d’inflammation
considérable, & qu’on ait fait précéder les saignées, & elle soulage les
asthmatiques, ceux qui sont attaqués de goûte, de rhumatisme universel, & de
douleurs de reins.

On la donne dans toutes ces maladies de trois ou quatre jours l’un, jusqu’à ce
que le malade soit soulagé ou guéri, & dans les intervalles on emploie la boule
martiale, l’antihectique de Poterius, le diaphorétique minéral, ou autre remède
convenable.

On peut aussi s’en servir pour se purger par précaution dans les changements
de saison, & alors il est bon de s’y préparer par la saignée du bras, si l’on se sent
en avoir besoin, & par quelques bouillons faits avec les herbes de la saison, la
tisane d’avoine, ou autres boissons rafraîchissante pour s’humecter, & pour
détremper les humeurs, afin qu’elles puissent s’évacuer plus aisément. Avec ce
secours, on est sur de prévenir un nombre infini de maladies communes &
populaires, qui surviennent ordinairement en certaines saisons de l’année.
Méthodes d’Helvétius.

Le lait la Médecine & la nourriture nécessaire tant aux hommes qu’aux


bêtes.

Le lait est une liqueur, laquelle par la mécanique de la nature se trouve dans les
mamelles, pour la nourriture tant des hommes que des bêtes. Du lait des
animaux, comme de Vache, de Brebis, de Buffle, se tire une substance
onctueuse, laquelle vient, comme une fleur en la superficie du lait ; c’est la

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 803

crème, dont on fait le beurre. Le lait donc, & le beurre le peuvent dire presque
une même chose, servant l’un & l’autre en plusieurs & divers remèdes, tant,
intérieurs, qu’extérieurs, même à ceux qui sont oppressés de poitrine, en
mangeant sur des rôties de pain, & s’en oignant la poitrine par dehors. Et
quand les Chirurgiens ont appliqué le cautère, ou actuel, ou potentiel, qui est
un feu mort en quelque partie du corps, ils y appliquent après le beurre pour
apaiser la douleur, & putréfier l’escarre causé par le feu, tant vif que mort.

Il sert en plusieurs viandes & divers remèdes Médicinaux.

Le beurre se distille par la retorte, duquel on retire une liqueur admirable en


toutes ses opérations, & qui pénètre merveilleusement, de laquelle si une
femme s’oint les mains & la face, elle lui rendra la chair belle, polie & naturelle,
& ne laisse jamais rider lesdites parties. Cette distillation sert encore aux
catarrheux, si on leur en donne une once à boire le matin avant déjeuné, parce
que soudain qu’elle est arrivée dedans l’estomac, elle mollifie la cathare de telle
sorte qu’il s’en va par la bouche. Le lait d’ailleurs es une douce & bonne
nourriture : aussi nous voyons que l’Ecriture Sainte dit : Butirum & lac comedet
ut sciat reprobare malum & eligere bonum.

Bouillon pour la poitrine d’Helvétius.

Prenez la moitié d’un vieux Coq, qu’on aura, tué sans le faire saigner, en lui
tordant le col, ou lui cassant la tête. Après l’avoir plumé, laissez-le refroidir,
videz-le ; coupez-le par- morceaux, & lui écrasez les os. Ajoutez-y des jujubes,
des Sébestes, des Dattes, des Raisins, de chacun une demie-once, deux Pommes
de Reinette : le tout nettoyé, & coupé menu ; faites le bouillir dans une
suffisante quantité d’eau pour être réduit à quatre bouillons médiocres, & le
passez par une étamine, avec expression.

Il faut prendre un de ces bouillons le matin à jeun, & l’autre quatre heures après le
dîné.

On peut réduire ce même bouillon en gelée, en y ajoutant deux livres de Jarret de


Veau. Après que le tout aura bouilli quatre heures, on le passera à la manière
ordinaire des autres gelées, ensuite on y ajoutera quatre onces de sucre candi : & si
on le juge à propos, le jus d’une Orange de Portugal.

Le malade prendra de temps en temps une cuillerée de cette gelée, tant le jour
que la nuit, & en continuera l’usage jusqu’à ce qu’il Se trouve rétabli.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 804

Manière de préparer la Poudre d’Ecrevisses.

Prenez deux douzaines d’Ecrevisses en vie, lavées dans de l’eau bouillante, &
les mettez ensuite dans une terrine vernissée sécher au four. Après quoi vous
les réduirez en poudre subtile, que vous garderez dans une bouteille bien
bouchée. Helvétius.

Eau des Vipères.

L’eau distillée par alambic des Vipères, mais sans leur tête & queue, est
singulière pour les écrouelles, & fistules, si la partie malade en est arrosée ou
fomentée ; même le marc de la distillation appliqué en forme d’emplâtre sur le
mal. Fumanel.

Eau qui conserve la vue longtemps, & nettoie les yeux de toutes ordures
& macules.

Prenez du vin blanc mûr & fort bon, douze livres : pain frais lavé diligemment,
trois livres : esclete, fenouil, échalote, squille, c’est à-dire, oignon marin, de
chacun quatre onces : clou de girofles, demi-once, mettez le tout dans une
cucurbite garnie de son chapiteau, & de son récipient : distillez au bain- marie,
tirez en cinq livres d’eau, que vous garderez à part ; elle est bonne connue j’ai
dit aux yeux, bue tous les matins continuant un mois entier, & garantit le corps
de plusieurs maladies. Fioraventi.

Eau expérimentée pour la vue quasi perdue, insinuée souvent dans les
yeux.

Prenez Fenouil, Esclere, Sauge, Romarin, Rue, Verveine de chacune une


poignée, & distillés à l’alambic.

Eau ou Liqueur distillée pour exciter le sommeil.

Prenez Opium de Thèbes, Aulx pelés, de chacun deux onces, pilez à part les Aulx
dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, & l’Opium à part : puis incorporez
les deux ensemble, pour en faire comme un Opiate. Distillez à la cornue sur les
cendres à petit feu : de cette eau, s’il est besoin, frottez les tempes, front, poignets, &
gardez-vous d’en user sinon en temps de nécessité, comme ès maniaque, selon qu’il
semblera être raisonnable.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 805

Eau qui guérit incontinent les plaies, en toutes parties du corps, tant
récentes que ulcérées, même les fistule ; remède éprouvé.

Distillez du Vin blanc, deux livres, Eau de Romarin, Eau de Sauge distillés de
chacun cinq livres ; Sucre blanc, dix livres, faites distiller le tout ensemble : puis
prenez une bouteille pleine de feuilles de Romarin & de Sauge, autant d’une que
d’autre, & la mêlez avec cette distillation, & laissez ainsi reposer un jour entier, puis
coulez & mettez dans un vaisseau de verre : la manière de s’en servir est de baigner
une pièce de linge dans cette Eau, & l’appliquer sur l’endroit ulcéré & la renouveler
dès qu’elle sera séché.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 806

Eau qui ôte les Fistules & Poireaux.

Prenez huile de tuiles, cinq livres, chaux non éteinte récente, trois onces, arsenic
pur, deux onces, euphorbe, une once, & distillez le tout par alambic &
l’appliquez. Fumanel.

Pour, extraire le Sel, des Herbes ou Racines.

Faites sécher vos herbes & vos racines ; brûlez-les & les rédigez en cendres.
Quand vous en aurez une assez grande quantité, versez dessus de l’eau de
pluie claire & nette ou eau distillée, faites digérer quelques jours en remuant les
cendres plusieurs fois le jour. Tirez l’eau claire par inclination & la filtrez pour
l’avoir plus claire. Versez de nouvelle eau sur les premières cendres, & réitérez
tant que l’eau en sorte sans aucun goût, & filtrez de même. Mettez toutes ces
eaux en un évaporatoire de verre sur cendres chaudes, & le sel restera au fond,
que vous pourrez filtrer de nouveau & évaporer pour l’avoir plus pur, &
conservez votre sel en un vaisseau, de verre propre & bien bouché. Si vous
voulez que votre sel conserve quelque odeur de la Plante, ne le calcinez qu’à
moitié pour en faire la lessive.

Médecine de petite patience, propre à guérir de toute sorte de Catarrhes,


&c. Fioraventi.

Il y a quatre sortes de patience, suivant ce qu’écrit Dioscoride, mais il faut prendre


celle qui s’appelle la petite patience ( qui est la sauvage ) toute entière avec ses
feuilles, & racines, à distiller par l’alambic toute l’eau qui s’en pourra tirer, & en
garder l’eau dedans un vaisseau de verre, pour s’en servir selon la nécessité contre le
catarrhe. Et quand on s’en voudra servir, qu’on prenne de ladite eau, quatre onces.

Miel blanc cru, une once & demie, & ayant bien mêlé & incorporé le tout
ensemble, le prendre le matin au saut du lit un peu chaud, & être pour le moins
cinq heures après sans manger. Il faut régler sa manière de vivre, ne mangeant;
aucune chose qui offense le catarrhe. Et qui usera de ce remède l’espace d’un
mois, guérira parfaitement de toute sorte de catarrhe, par la vertu que le
Seigneur a mise particulièrement en elle, de guérir une si fâcheuse maladie. Je
puis rendre témoignage de ceci en ayant usé une infinité de fois en telle manière
de catarrhe, pourvu que le catarrhe soit simple non causé par l’éthisie. En ce cas
même il pourrait beaucoup aider : cependant il ne le guérirait pas, mais étant tel
que j’ai dit, ce remède le guérira toujours sans aucune difficulté.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 807

Eau de Fleuri de Romarin.

Eau merveilleuse des fleurs de Romarin. Emplissez une bouteille de fleurs de


Romarin, enfoncez là en du sable jusqu’à moitié, & l’y laissez un mois entier ou
plus jusqu’à ce que les fleurs soient converties en eau. Puis la mettez au Soleil
l’espace de quatre jours, elle s’épaissira, & aura la vertu de baume. Elle fortifie
le cœur, le cerveau & tout le corps, elle est bonne pour la mémoire ; ôte la tache
de la face & des yeux, si l’on en met seulement une goûte dans l’œil deux ou
trois fois. Elle ranime les membres engourdis, guérit la paralysie,
démangeaisons qui viennent de pituite salée, fistules, chancres qui sont
autrement incurables.

Autre Eau de Fleurs de Romarin.

Elle conserve l’homme en santé, & toutes les autres parties en leur entier,
fortifie la vue, ôte la douleur d’estomac & du ventre, rend la personne gave, &
fait plusieurs autres biens. Elle est distillée des fleurs de Romarin par alambic :
la dose est de quatre onces une fois la semaine.

Extrait de Pavot rouge.

Mettez de l’esprit de vin sur les fleurs de Pavot rouge, que vous digérerez jusqu’à ce
que l’esprit soit bien teint, tirez cet esprit par inclination & par expression, & le
remettez sur de nouvelles fleurs & digérez comme la première fois ; tirez encore
cette teinture par expression, que vous filtrerez. Distillez-en l’esprit de vin, jusqu’à
ce qu’il demeure au fond en consistance d’Opiat, dont dix ou douze grains sont la
dose. On s’en sert au lieu de Laudanum, & avec beaucoup plus de succès & moins de
danger pour faire dormir & causer une sueur douce, qui dégage l’estomac de toute
humeur superflue.

Eau de Roses.

La meilleure manière de distiller l’eau de Roses, est de prendre dès Roses


incarnates, de les piler dans un mortier de marbre, en les arrosant avec de
vieille eau de Roses ; laissez les infuser ainsi pendant trois ou quatre jours, puis
les distiller au bain & vous aurez une eau très odoriférante, qui garde son odeur
plusieurs années.

On pourrait ensuite prendre le marc de cette première eau, & le laisser macérer
l’espace de huit jours dans de l’eau commune, puis la distiller par le bain ou par
le réfrigératoire, & l’on en tire une eau qui n’est pas moins bonne que celle qui
se vend communément chez les Apothicaires.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 808

Esprit de Roses.

On tire encore, des Roses un esprit ardent, en prenant des Roses incarnates
cueillies en temps serein, & après que la rosée en-a été dissipée. Vous les pilerez
& mettrez en une cucurbite de verre bien lutée & les laisserez fermenter, &
lorsqu’elles commenceront à sentir l’aigre, prenez-en une partie & la distillez au
bain ; après quoi vous verserez votre eau distillée sur une autre partie de vos
Roses fermentées, ce que vous réitérerez tant que vous n’ayez plus de Roses
fermentées. Vous rectifierez cette-eau ou esprit sur de nouvelles Roses ; & vous
aurez un esprit très agréable & très odoriférant. Vous pouvez en faire une
liqueur, en y mêlant, du sucre clarifié & l’adoucissant comme vous jugerez à
propos selon votre goût. C’est un grand confortatif.

La même chose se peut faire sur les autres fleurs odoriférantes.

Teinture de Rose.

L’on prend de la vieille eau mère ou lie de nitre, on la fait évaporer dans un
vaisseau de cuivre rouge neuf jusqu’à consistance de Miel, que l’on met
résoudre à la cave, l’on filtre la liqueur, & si l’on réitère l’évaporation & la
résolution, alors elle sera claire comme le cristal.

Faites fermenter cinq livres de cette eau avec une livre d’esprit de nitre, pendant
cinq à six jours ; on distille ensuite au bain de sable, on en réserve une partie, &
l’autre on la distille avec une chopine d’eau mère, après une préalable
fermentation : rectifiez cette seconde eau par l’alambic, en sorte qu’on compte
50. entre chaque goutte ; & lorsqu’il en aura passé le quart, l’on cesse la
distillation. On dulcifie ce qui est resté dans l’alambic, en versant un quart
d’eau de Fontaine dessus : on distille encore à feu lent cette même quantité
d’eau, & l’on met en ce qui reste dans la cucurbite, le plus de Roses communes
qu’on peut ; on laisse fermenter cinq à six jours, & on exprime le tout parla
presse, c’est la teinture de Roses.

L’on peut volatiliser cette teinture ; elle sert alors à dissoudre les fleurs de l’or &
de l’argent.

La première teinture sans être volatilisée est insipide, & se donne depuis six
jusqu’à dix goures, elle purifie le sang, & elle est bonne contre le scorbut, & les
fièvres ardentes dans de l’eau, avec un peu de sucre & zest de Citron. Elle
fortifie l’estomac, & rétablit de la cacochymie, étant prise en Vin d’Espagne. De
Saulx.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 809

Autre Teinture de Roses.

Mettez deux onces de Roses rouges sèches, en trois pintes d’eau tiède, & trois
gros d’esprit doux de vitriol ou d’huile de soufre, ou d’huile de Sel ; tenez-les
en digestion pendant trois heures, filtrez la liqueur & la gardez pour l’usage :
elle est agréable au goût, on y ajoure demi-livre de sucre blanc. Son usage est
dans les fièvres contagieuses & putrides, elle réjouit le cœur, réprime l’ardeur
de la fièvre, & éteint la soif. De Saulx.

Baume souverain contre la Gangrène, Brûlure, faiblesse de Nerfs, mal de


Tête, Indigestion, Colique & Paralysie.

Vous prendrez une poignée de tous les simples ci-dessus, savoir : Roses rouges,
feuilles de Pimpernelle, de Sauge, de Mille feuilles, de Baume ou Menthe, de
Marjolaine, de Sarriette, d’Hyssope, & de Pêcher. Huit onces de bon vin, huit
onces d’huile d’Olive.

Vous mettrez le tout dans un pot de grandeur convenable, faites bouillir jusqu’à
ce que le vin soit consommé, mais toujours à petit feu, afin que les herbes ne se
brûlent pas, & remuant souvent avec une cuillère de bois, sur la fin de la
cuisson, ajoutez trois onces de sel bien desséché & pulvérisé. Après quelques
bouillons, passez votre composition dans un gros linge, dans lequel vous
presserez les herbes pour en exprimer le jus.

Pour s’en servir, il faut en frotter la partie, jusqu’à ce que le Baume soit tout à
fait imbibé dans la chair, chauffant de temps en temps les doigts pour le faire
mieux pénétrer. Après quoi il faut envelopper la partie avec un linge bien
chaud, duquel il faut toujours se servir sans en changer ; & vous frotterez la
partie malade trois ou quatre fois par jour.

Pour faire une Médecine de Mercuriale, de très grande vertu. De


Fioraventi.

La Mercuriale est de grande vertu ; même les Philosophes lui ont attribué une
vertu céleste. Elle conserve les hommes en leur fraîcheur, retarde les accidents
de la vieillesse, & préserve de toute maladie, rend le cœur joyeux : la manière
de se servir de cette herbe, est telle, qu’au mois de Mai, ou quand ladite herbe
est fleurie, on en prend une grande quantité, & l’on en tire le suc qui se clarifie
par le filtre, tant qu’il soit bien clair, & puis on en fait la composition suivante, à
savoir :

D’une livre dudit jus ; Huit onces de Julep ou Sirop de roses simples ; Six onces

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 810

d’esprit de vin rectifié ; Deux dragmes d’huile de vitriol ; Deux Karats de musc.

Mettez toutes ces choses ensemble avec le suc de l’herbe dedans un vaisseau de
verre, & le bouchez si bien que rien ne transpire, & le laissez au Soleil pendant
quarante jours continuels, mais prenez garde que la nuit il ne demeure au
serain, parce qu’il lui serait dommageable. Les quarante jours passés on pourra
commencer d’en user en la manière qui s’en suit. On en doit prendre le matin à
jeun une once avec deux ou trois onces de bouillon de chair ou de Poulet,
quatre heures avant que de manger. Si on continue ainsi deux mois de suite, il
serait presque impossible d’avoir jamais mal par la force de cette composition,
pour la vertu de la Mercuriale qui entre, outre le julep fait de sucre, lequel est
très cordial & stomacal. Et l’Eau Rose qui conserve les choses qu’on y met de
putréfaction : il y a encore le mule qui fait conserver la mémoire, je suis assuré
de sa vertu pour en avoir fait de belles expériences. Entre autres choses j’ai va
avec cette composition guérir un Paralytique âgé de trente deux ans, lequel
avait porté cette maladie vingt & un mois, & qui ne trouvant aucun remède à
son mal, on lui fit prendre de cette composition, de laquelle il commença à se
servir le deuxième jour d’août, & le mois de mai suivant fut guéri de sa
Paralysie. Depuis j’ai vu faire plusieurs autres expériences de ce remède qui ont
réussi fort heureusement à l’honneur du Médecin, & au profit du malade.

Eau distillée de bouillon Blanc fermentée.

avec peu de vin blanc, puis distillée par alambic, est un remède admirable, &
expérimenté en toute douleur de la goûte & des dents. Je l’ai fait & éprouvé.

Eau de Fleurs de Tilleul.

Eau de Fleurs de Tilleul distillée, clarifie la face, & nettoie les taches & vestiges
imprimées par le Soleil : l’on trempe un linge & on le met sur le visage trois
nuits, il guérira en quatre jours.

Eau de Fleurs de Tilleul.

Eau distillée de Fleurs de Tilleul est bonne contre le mal de mer, la pierre,
gravelle & l’épilepsie : elle doit être gardée en un verre bien bouché, afin qu’elle
ne perde pas son odeur. Prenez une cuillérée de cette eau, trois ou quatre
cuillerées de rosée de Mai, mêlez ensemble, & en lavez les aisselles & mamelles
puantes ; & l’homme peut semblablement en user pour sentir bon.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 811

Eau de fleurs de Sureau.

Pour la douleur provenant d’une acrimonie d’urine. Prenez eau distillée des
fleurs de Sureau, trois onces, de sucre un peu. Buvez & usez de ce remède dix
jours entiers tous les matins.

L’eau distillée est bonne contre le halo su Soleil, en s’en lavant le visage.

Eau de Sperme de Grenouilles.

Eau distillée au mois de Mai, du Sperme de Grenouilles, appliquée sur la goûte


des pieds, en apaise les douleurs, & les ôte entièrement.

Eau excellente contre la manie, remède éprouvé.

Prenez fleurs de Romarin, Bourache, racine de Buglose de chacune une poignée,


Safran une dragme, Coings quatre onces, vin blanc bon, bien mûr & bien clair deux
livres, mêlez le tout, & après avoir exactement pilé laissez reposer un jour naturel,
puis mettez dans le fumier de cheval l’espace de quinze jours en un vaisseau de
verre ; ensuite distillez en un vaisseau de verre deux ou trois fois. Cette eau doit être
gardée précieusement& a été éprouvée en toutes maladies mélancoliques, & en la
douleur & palpitation du cœur : la prise est d’une dragme.

Eau pour mal Caduc.

L’eau distillée des fleurs de Tilleuls; Ortie menue, & Cerises, est fort bonne
contre le mal caduc ; quelques personnes sujettes à ce mal en ont été guéries.

Eau distillée pour dessécher les Ulcères & les Fistules.

Prenez de bonne Eau-de-vie distillée trois fois un quarteron ou tant que vous
voudrez, en laquelle mettez Béthoine, Verveine, Romarin, Mîllepertuits, faites
les bouillir, ou les distillez encore une fois avec cette Eau-de-vie, & en lavez les
ulcères.

Eau contre les Chancres.

Jetez de l’eau alumineuses sur une Tuile toute rouge de feu, & la pierre étant
refroidie & penchante, amassez l’eau qui distille, puis baignez un linge dans
cette eau que mettrez sur l’ulcère, par ce moyen en peu de jours on guérit toutes
sortes de Chancres. Fumanel.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 812

Eau & Huile des fleurs de bouillon blanc.

L’eau & l’Huile de fleurs de bouillon blanc, sont bonnes contre la goûte des
pieds, ainsi que je l’ai plusieurs fois éprouvé. Cette eau est un peu aigre, on
connaît par là que cette herbe a trempe premièrement en vin : prenez donc
fleurs & racines de bouillon blanc, pilez-les & les fanes tremper en vin blanc, &
les laissez fermenter l’espace de deux mois, puis distillez. Trempez un linge
dans cette eau, & l’appliquez le plus chaud qu’il se pourra endurer sur le lieu
malade, trois ou quatre fois par jour, frottez de l’huile trois jours, & si la
douleur revient, usez en de nouveau, & elle ne reviendra plus.

Eau Thériacale.

Prenez vieille Thériaque une livre, oseille trois poignées, fleurs de camomille,
pouliot, chiendent, chardon bénit, de chacun deux poignées : trempez le tout dans
du vin blanc : & vous en distillerez l’eau & la garderez pour en user à la quantité de
deux onces, avec trois onces d’eau d’oseille & buglose, lorsque le malade se met au
lit. Cette eau guérit les douleurs de la vérole, si elle est prise toute seule, ou avec
décoction de milium solis, ou d’esqiline, ou de bardane. On a guéri heureusement
avec cette eau plusieurs enfants, vieillards & autres personnes, ou en ajoutant
seulement quelques goûtes à la décoction commune de gayac : car elle pénètre &
pousse le mal au-dehors. Cette eau Thériacale, avec l’eau où est éteint l’or, corrige
tout le vice du mercure qui est resté dans le corps.

Eau Somnifère.

Prenez semence de Pavot blanc & noir de chaque demi-once. Vin blanc & fiel de
Lièvre, deux dragmes de chacun. Eau-de-vie quatre onces, faites digérer le tout
pendant quatre pu cinq jours à lente chaleur ou au Soleil ; puis distillez par
l’alambic. Une goûte fait dormir une heure ; deux goûtes deux heures, & ainsi
une heure par chaque goutte d’augmentation.

Huile de Muscade.

Pilez grossièrement de bonnes Muscades bien pesantes, que ferez ensuite


chauffer modérément, l’arrosant de temps en temps avec vin d’Espagne, en
une poêle sur le feu, puis l’arrosez avec de bonne eau de roses ; vous les
placerez en une toile claire & les mettrez à la presse pour en tirer l’huile, qui
sort d’une manière assez épaisse & de couleur de cire.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 813

Cette huile appliquée extérieurement sur l’estomac qui en sera frotté feulement
de la grosseur d’un pois, le fortifie très-bien, pris intérieurement au poids d’un
grain est excellent pour les faiblesses d’estomac.

On pourrait encore tirer cette huile de Muscade par le moyen de l’huile


d’Amandes douces, avec laquelle on fait digérer à petit feu les Muscades pilées :
& on la tire ensuite par la presse, & pour la prendre intérieurement on en met
deux ou trois grains avec du sucre, dont on fait un Eleo saccharum, & il a
toujours les mêmes vertus.

Ou même vous pouvez piler des noix muscades & les faire infuser dans de
bonne eau-de-vie rectifiée, réitérez l’infusion jusqu’à ce que l’eau-de-vie ne
donne plus de teinture, distillez doucement votre infusion : l’esprit de vin
sortira, & l’huile restera au fond de la cucurbite. Elle a les mêmes vertus que
celles qui sont marquées ci-dessus.

Essence de Genièvre.

Prenez trois livres de bayes de Genièvre avec une livre de son bois ; broyez les
bayes, & râpez le bois, mettez le tout en fermentation avec trois livres de miel,
& douze livres d’eau de Rivière bien clarifiée. La fermentation étant finie,
distillez par l’alambic jusqu’à parfaite siccité ; broyez les fèces & en tirez l’huile
fixe par la cornue, brûlez & réduisez en cendres le résidu de la matière pour en
avoir le sel par lexiviation & évaporation ; rectifiez cet esprit pour en séparer le
flegme ; quand vous l’aurez bien pur, vous le digérerez avec l’esprit & le sel ; &
l’on assure que cette essence supplée à celle du cèdre ; que l’on regarde comme
un arbre de vie pour son incorruptibilité.

Eau excellente pour la mémoire.

Il faut prendre noix muscades : clous de Girofles, cardamome ; grains de


Paradis, & gingembre, trois onces de chaque. Poivre long & noir; aloès
succotrin, zédoaria, réglisse, une once & demie de chaque.

Mettez le tout bien pilé dans une cucurbite, avec malvoisie ou bon vin blanc
amant qu’il en faut pour mettre vos poudres en une espèce de liqueur, &
distillez à feu de cendres gradué. Conservez cette eau dans un vaisseau de
verre. Remettez d’autre vin sur les fèces & le distillez derechef, & vous en
tirerez une eau un peu moindre que la première. Le marc qui reste peut servir
pour fortifier le vinaigre.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 814

La première eau fortifie les esprits & réjouit le cœur, s’en servant en façon de
baume, auquel il peut suppléer.

Elle est encore admirable pour guérir les infirmités froides, & dissiper tout
abcès tant intérieur qu’extérieur. Elle ôte l’inflammation des yeux, en y en
insinuant une goûte. Elle guérit tout chancre ou plaie en y appliquant un linge
trempé dans cette eau, elle soulage dans l’hydropisie & l’épilepsie, en prenant
une once de cette eau le matin, aussi bien que la goûte, guérit la surdité en
insinuant une goûte dans l’oreille avec du coton ; est excellente contre tout
poison, même contre morsure des bêtes venimeuses, facilite la parole en
prenant sept à huit goûtes dans du vin blanc, renouvelle la mémoire, en
l’appliquant le soir sur le front ; cette eau a été éprouvée plus d’une fois par le
Docteur Joseph Quinti, Médecin Vénitien.

Huile d’anis : & la manière commune pour distiller toutes les autres
Huiles des Semences.

Prenez anis une livre, mettez-là dans la cornue garnie de son récipient, bien
lutés ensemble sur le fourneau aux cendres à petit feu, distillez & recevez l’eau
& l’huile ensemble. Vous tirerez l’eau par distillation ainsi qu’avons dit ci-
dessus, & l’huile demeurera, laquelle est singulière pour la colique, passion &
douleur des boyaux. Au surplus on fait un électuaire de son eau avec du sucre,
on peut user d’une tablette après le dîné & soupé, pour fortifier l’estomac, aider
la digestion, & dissiper les vents. Elle est utile prise en tout temps, mais
principalement au matin : c’est un souverain remède pour les poumons, toux,
obstructions, cholériques passions, flux cholériques & parties internes offensées
: l’on s’en sert aussi aux goûtes : l’huile d’anis est de plus grande vertu que
l’anis même : parce que la chaleur naturelle ne peut aussi exactement attirer ou
séparer la vraie substance de l’anis entier, que peut faire la préparation
artificielle, & industrieuse des hommes. Car comme toute viande, si nous
voulons qu’elle profite, a besoin d’une préparation extérieure, savoir d’être bien
cuite & bien mâchée, de même dans les médicaments, les parties plus subtiles
doivent être séparées des plus épaisses, avant que d’entrer dans le corps : par ce
moyen tous médicaments peuvent plus facilement faire leurs actions propres au
corps sans aucun danger : cette huile aussi est fort utile pour le tournoiement de
la tête difficulté de respirer causée par un catarrhe étouffant, faiblesse
d’estomac, ventosité, hydropisie & autres maladies froides, & causées de
flatuosités : surtout elle est souveraine pour les parties nerveuses & qui ont peu
de sang, elle arrête les fleurs blanches aux femmes : on la peut prendre par
goûtes en les donnant avec vin ou bouillon le matin & en temps de nécessité.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 815

La manière d’extraire les huiles des Semences.

Parce que les semences des herbes qui portent bouquets de large étendue
comme le fenouil, l’anis, le sureau & autres, de la plus grand part sont de
substance chaude, ainsi que plusieurs choses aromatiques, c’est pourquoi il est
nécessaire qu’elles aient quelque peu de substance oléagineuse. Or les huiles
sont distillées des semences tant chaudes que froides en cette manière. Pilez les
semences, mettez-les dans un alambic de verre bien luté de mortier, puis faites
distiller sur le sable : Pour chaque distillation mettez seulement sept ou huit
onces de semence triturée selon la capacité de la cucurbite : jetez dessus six ou
sept livres d’eau fort claire, & les mêlez exactement ensemble ; la distillation en
sera beaucoup meilleure si vous laissez ces choses ainsi mêlées quelques jours,
savoir huit ou dix, tremper ou digérer en quelque lieu chaud, puis mettez la
cucurbite dans un vaisseau plein de sable, & qu’il y en ait au moins un pouce
sous la cucurbite, surtout que la distillation soit faite à petit feu, & que ce qui est
contenu dans la courge ne bouille & ne s’enfle pas trop, parce que de quelques
semences comme l’anis, à raison de leur substance rare, & de leur viscosité, elles
bouillent largement, c’est pourquoi il ne faut pas sitôt les couvrir de leur
chapiteau, mais quand vous verrez des bulles élevées, & la vapeur monter en
haut, ôtez soudain le chapiteau, & remuez les matières avec un bâton, ainsi
l’écume se résoudra en vapeur, qui se pourra modérer par un petit feu. Cela
fait, remettez le chapiteau soudainement, & lutez toutes les jointures de bon
mortier, puis distillez jusqu’à ce que vous conjecturiez qu’il n’y a plus d’huile
dedans, ce que vous apercevrez à la vue & au goût. Car quand vous sentirez
que les goûtes qui distillent, n’auront plus de goût de la chose aromatique, alors
cessez la distillation, afin que la matière ne tienne pas au fond ; & qu’elle ne se
brûle point.

L’eau pectorale sert à beaucoup de maladies, principalement à celles où il y a


faiblesse d’estomac, à cause des humeurs visqueuses, parce que cette eau
mollifie les viscosités & facilite la digestion, & est outre cela très-cordiale, voici
le moyen de la faire.

Prenez Figues Sèches ; Dattes ; Pignons ; Amandes ; de chacun quatre onces,


Anis deux onces, Miel commun une livre. Faites infuser le tout ensemble en
vingt livres d’eau commune, & faites bouillir tant qu’il s’en consomme six
livres, n’en restant que quatorze livres, la couler par un linge, & fera faite : puis
y ajouter quatre onces de notre quintessence, & la garder en un vaisseau de
verre. Voilà l’eau pectorale de notre invention, laquelle est de grande vertu,

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 816

beaucoup plus que toutes les autres eaux pectorales qu’on a coutume de faire
ordinairement suivant l’ordonnance des antidotaires anciens.

Eau de Noix Avellaines.

Eau distillée des noix avellaines nouvelles, bue au poids de deux dragmes est
un remède prompt contre la colique & les tranchées, chose sûre &
expérimentée, Alex. Bened,

Eau de Noix communes.

Quelques-uns distillent les eaux de noix communes, non-mûres avec leur


coque, qui est souveraine contre la peste, & pour fomenter les membres
attaqués de la goûte, Gratarole.

Eau de Limons.

Eau distillée par alambic de Limons ; ou le jus d’iceux, le poids de deux onces,
avec trois onces de la décoction de raves pour une prise, profite beaucoup pour
le gravier des reins.

Eau de Scabieuse.

Eau distillée de l’herbe scabieuse bue, dissout le sang caillé dans le corps. Alex.
Bened.

L’Eau de maître Pierre Espagnol, qui anime la vue, clarifie les yeux, ôte
les taches & boutons de l’œil.

Prenez graines de fenouil, persil, âche, sileri de montagne, anis, carvi, graines
des deux toute bonne, racine d’esclere, de galanga, béthoine, feuilles
d’aigremoine, tormencille, ruë, verveine, faites les tremper le premier jour en
urine de jeûne enfant vierge, le second en vin blanc, le troisième en lait de
femme ou d’ânesse, le quatrième faut distiller tout ce1a, & garder l’eau distillée
comme un baume, dans un vaisseau bien bouché, autrement sa vertu
s’éventerait.

Eau distillée pour la difficulté d’ouïr.

Prenez béthoine, un gros oignon cru rond & blanc, romarin, amandes amères, une
grosse anguille blanche, faites le tout distiller par alambic, & ce qui sera distillé,
mettez-en dans les oreilles.

Eau-de-vie aromatique contre les froideurs de l’estomac, tirée de

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 817

Fioraventi.

Prenez noix muscade, clous de girofle, galenga, cardamome, cubebes, macis,


cannelle, gingembre, safran, encens : une once de chaque, pilez grossièrement &
mettez en une cucurbite bien lutée avec une rencontre, versez-y six livres de
bonne Eau-de-vie, laissez infuser dix jours ; puis distillés sur les cendres avec
son chapiteau & son récipient. Vous aurez une eau orangée très précieuse, elle
est utile dans les maladies froides, consolide les plaies sans douleur, aide la
mémoire & la liberté d’esprit, & maintiens le corps en santé.

Eau balsamique contre l’Apoplexie l’Epilepsie.

Prenez gingembre, clous de girofle, noix muscade, grains de Paradis, demi-once


de chaque. Feuilles de sauge une livre. Cardamome, cucubes, mastic, galanga,
romarin, lavande, marjolaine, mélisse & béthoine, de chacune deux dragmes.
Triturez & pulvérisez le tout, que vous ferez tremper dix jours en neuf livres de
fort bon vin, ou en eau-de-vie en un vaisseau de verre, que la liqueur surnage
les matières, & distillez.

Cette liqueur est spécifique pour la paralysie, l’étourdissement, l’apoplexie,


convulsion, faiblesse de mémoire, froideur de cerveau & d’estomac. Elle rectifie
& corrige le vin gâté ; prenez-en chaque fois trois ou quatre goûtes en quelque
liqueur convenable, & frottez le derrière de la tête. Elle est bonne contre
l’hydropisie, mélancolie, & même pour les yeux.

Eau de Fraises.

L’Eau distillée des Fraises, est un remède excellent contre les chaleurs intérieure
des poumons & du foie, & pour éteindre la soif.

Eau de fleurs d’Orange.

Eau des fleurs d’Orange, distillée par la campane à force de feu, est de si grande
suavité & odeur, qu’elle surpasse toutes les autres eaux odoriférantes : les
Médecins Espagnols en usent depuis long-temps pour un léger émétique,
comme le marque Esprit Amat Portugais sur Dioscoride, & avant lui Platine en
son Livre de l’honnête volupté, on recommande pour cette effet de la boire
tiède : a été éprouvée plusieurs fois.

Eau dorée, ou Elixir de vie.

Prenez sauge trois quarterons, noix muscade, macis, gingembre, grains de


Paradis, doux de girofle, cannelle, de chacun deux dragmes, rhubarbe,

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castoreum, aspic, de chacun demi-once ; huile laurin deux onces : les épiceries
& drogues aromatiques soient mêlées à part, & trempées un mois entier en six
pintes de fort bon vin dans un vaisseau vernis bien couvert : le mois expiré,
coulez le vin, & pilez menu les drogues, afin qu’elles soient réduites en forme
de poudre : faites les tremper derechef dans le même vin l’espace de trois jours,
puis les distillez avec un alambic : il sortira une eau aussi claire que le cristal,
que vous garderez en un vaisseau de verre bien bouché, pour vous en servir.
Poissons, Oiseaux, chair de bêtes sauvages, & autres choses arrosées de cette
eau, se garderont aussi longtemps qu’il vous plaira. Le vin éventé, moisi & de
mauvaise odeur sera rétabli, & recouvrira son odeur accoutumée, si vous jetez
dans le tonneau quelque peu de cette eau. Bue ou appliquée par dehors, elle
guérit les abcès intérieurs, fortifie les parties nobles & contre la colique : les
plaies en reçoivent guérison, si elles sont fomentées avec linges baignés en cette
eau bue ou appliquée, préserve d’apolexie prochaine, elle guérie les affections
de la bouche, & des gencives, corrige l’haleine mauvaise qui provient de la
pourriture des gencives, narines & oreilles : elle nettoie les taches de la face, les
yeux & de tout le corps. Liebaut.

Goûtes d’Angleterre.

Prenez l’écorce de Saxifrage, racines d’Adarum ; de chacune deux onces. Bois


d’Aloès une once. Opium de Thébaïde Six gros. Sel volatil de crâne humain ;
sel volatil de sang humain de chacun un gros. Esprit de vin rectifié deux livres,
faîtes digérer le tout en un matras bien luté, au bain-marie pendant, quinze
jours. Laissez refroidir ; filtrez par le papier gris. Si on veut distiller le tout, les
goûtes seront blanches, au lieu que par la simple filtration elle retiennent la
teinture des matières qu’on a fait infuser dans l’esprit de vin. Il y a encore
quelques autres compositions, mais celle que l’on donne ici est au - dessus de
toutes les autres. Chambon. Principes de Physique. pag. 449.

Autres gouttes d’Angleterre.

Prenez de la Soie crue, remplissez en une cornue lutée, donnez feu doux, il
sortira un flegme, un sel volatil & une huile, qui se fige comme du beurre.
Prenez quatre onces de ce sel volatil, une dragme d’huile de lavande & huit
onces d’esprit de vin ; vous mettrez le tout dans une petite cornue de verre, à
laquelle vous joindrez un récipient, dont les jointures seront bien lutées. Placez-
la sur un feu de sable, d’abord le sel passera en forme sèche, ensuite viendra
l’esprit éthéré de lavande & de vin, qui seront imprégnés du sel volatil. Telles
sont les goûtes d’Angleterre, inventée par le Docteur Goddar Médecin Anglais.
Mais ces goûtes ne sont bonnes que dans certaines maladies, Senac.
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Electuaire bénit de Léonard Fioraventi, lequel purge le corps sans


travail, est miraculeux en ses opérations.

Cet électuaire est composé de l’invention de Fioraventi il y a long-temps, & l’a


ainsi appelé pour ses opérations. Il n’a jamais été fait ni des Anciens ni des
Modernes avec cet ordre. Et ayant remarqué les expériences qu’il en a vu, il ne
l’a point voulu tenir secret, afin que le public s’en puisse servir, la manière donc
de le faire est telle.

Prenez des fruits de nerprun qui soient mûrs & noirs, telle quantité qu’il vous
plaira, pilez-les & en tirez le suc à la presse, coulez ledit suc par le filtre, & pour
chacune livre dudit me, mettez les choses qui s’en suivent : Cannelle, Safran,
Girofles, Noix muscades, Gingembre, Séné, de chacun une dragme. Aloès
quatre dragmes. Mêlez le tout & exposez au soleil, afin qu’il se sèche en pâte, &
comme il sera essuyé rendez-le derechef liquide avec les choses qui suivent,
savoir : Eau rose, Quintessence de chacun deux onces pour livre. Musc deux
carats pour livre. Myrrhe une dragme pour livre. Toutes lesdites matières bien
incorporées ensemble, soient remises au soleil tant qu’elles soient bien sèches, &
se puissent mettre en poudre très subtile, & de laquelle on prend telle quantité
qu’on veut, & se mêle avec autant de miel cuit & écume. Tel est l’électuaire de
Fioraventi, lequel fait merveille à ceux qui ne prennent pas volontiers les
Médecines, parce qu’il purge le corps sans provoquer aucunement à vomir :
conserve l’estomacs décharge la tête, guérit les fièvres putrides, & fait beaucoup
d’autres bonnes opérations. On le garde six mois après qu’il est mêlé avec le
miel. La prise est de quatre dragmes, jusqu’à une once. Il se prendra en pilules,
en tablettes, avec un Bouillon, avec du vin, avec de l’eau, & en toutes autres
manières qu’il fera toujours grande aide à ceux qui le prendront pour quelque
maladie ou autres accidents que se soit.

Eau, Esprit & Huile des aromates, surtout de Cannelle.

Faites infuser une livre de Cannelle grossièrement concassée, racine de dictame


de Crète & d’angélique de chacune deux onces dans quatre pintes d’eau de
Rivière très épurée pendant 24 heures à froid, remuant de temps en temps ;
après quoi portez votre alambic bien jointe à son chapiteau sur un feu de sable
ou feu de charbon ; & les esprits, l’eau & l’huile sortiront par le bec de l’alambic.
La première eau sera très forte, la seconde plus faible & la dernière insipide.
Prenez votre eau distillée & la passez plusieurs fois sur de nouvelle Cannelle, &
la distillez. Cette eau de Cannelle est infiniment meilleure que celle des
Apothicaires, qui la tirent avec le vin blanc, & sont plutôt un esprit de vin
qu’une eau de cannelle.
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 820

L’eau & l’huile de Cannelle fortifient le cerveau & le cœur. Dans les syncopes
ou défaillances, elle se donne avec l’eau de mélisse, ou dans du vin blanc ; on en
peut aussi frotter les tempes & la région du cœur. Elle sert dans les
accouchements difficiles, chasse le fruit & l’arrière-fait, guérit & préserve de
peste, remédie à la colique venteuse.

La dose est d’une cuillerée ou demi-cuillerée cuillerée suivant l’âge & la force
du malade.

L’huile non plus que celle de Girofle ne se donne jamais seule, parce qu’elle est
trop caustique ; une goûte appliquée avec du coton sur une dent malade, en
apaise la douleur. Davissone. Elément de la Philosophie, pag. 315.

Eau ou Baume d’Ormeau.

Dans la sève de Juin, fendez l’écorce de la racine d’Ormeau, ou bien coupez la


pointe de ses branches & les pliez, vous y mettrez & y ajusterez de petites
bouteilles pour récipient, ou même vous pouvez tirer l’eau qui se trouve dans
de petites vessies qui sont sur cet arbre au mois de Juin, & la garder dans de
petites fioles bien bouchées. Vous placerez ces fioles dans un vaisseau de verre,
& vous les entourerez de sel pour mieux clarifier cette eau, que vous exposerez
ainsi au soleil de la Canicule. Filtrez cette eau cinq ou six fois de six jours en six
jours, à commencer du temps que vous l’aurez recueillie, elle brûle un peu en
l’appliquant, mais la douleur passe en un instant.

Si vous n’aviez pas l’eau d’Ormeau, vous prendrez la seconde peau de la racine
de cet arbre, de la grosseur de deux poings, que vous concasserez, sur quoi
vous mettrez trois chopines de gros vin rouge mesure de Paris, faites bouillir le
tout à petit feu, jusqu’à diminution des deux tiers, appliquez chaudement &
fera presque le même effet que l’eau d’Ormeau.

Cette eau est spécifique pour toutes les plaies fraîchement faites par tranchant,
toutes têtes cassées, contusions, membres bleues de coup de bâton, de pierre ou
autrement, en bassinant d’abord la plaie ou l’endroit affligé avec du vin chaud
où aura bouilli de la sauge, puis frotter la plaie ou l’endroit avec ladite eau
d’Ormeau un peu chaude, en couler même dans la plaie si elle est profonde. S’il
y a dissolution rejoignez les chairs avec un point d’aiguille, & y appliquer une
compresse trempée dans cette eau & sera guérie en quatre ou cinq jours. Le plus
sûr est de renouveler l’application de l’eau deux fois le jour. Ce remède est
spécifique & a été plusieurs fois éprouvé.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 821

Quintessence laxative de Fioraventi.

La quintessence laxative est une composition qui purge toutes les parties du corps
qui sont empêchées d’humeurs visqueuses, résout les tumeurs, éteint les douleurs,
conserve la vue, tue les vers, fait bon appétit & plusieurs autres choses la manière de
la faire est telle.

Prenez bois d’aloès, Cannelle, Turbits, Aloès hépatique, de chacun une once.
Coloquinte deux onces. Girofle, Safran de chacun trois scrupules. Musc du
Levant une dragme, Julep violat une livre. Toutes ces choses soient mises en
une bozze de verre avec deux livres de notre quintessence, & les laisser ainsi 12
jours, & sera fait. C’est un médicament donc je me suis servi utilement à Rome.
Elle se prend avec bouillon ou telle sorte do Sirop qu’on voudra. La prise est de
deux dragmes jusqu’à quatre, & se prend le matin à jeun sans aucune diète, & à
tous opère en bien sans travailler.

Eau tiré du bois de Frêne.

Faites tremper du bois de Frêne par morceaux ou copeaux dans de l’eau très
claire, & ce pendant quatre à cinq jours ; retirez ce bois & en jetez d’autre
pareille quantité, faites tremper de même cinq jours, ce que vous répéterez
quatre ou cinq fois. Filtrez votre eau & la distillez au feu de cendres.

Pour bien rectifier en une seule fois l’esprit de vin.

Ss vous voulez avoir esprit de vin par une seule distillation aussi parfaite que
s’il avait été rectifié vingt fois, mettez une éponge fine qui ferme l’ouverture de
l’alambic, après quoi vous y accommoderez sa chape à bec, & y ajusterez un
récipient bien luté. Par ce moyen les esprits du vin monteront, & le flegme
restera dans l’éponge. On ne saurait dire combien cet esprit est parfait, même
dès la première distillation.

Esprit de vin particulier, par le moyen duquel on fait sur-le-champ des


Essences.

Prenez cinq onces d’esprit de vin ; mettez-le dans une cucurbite sur deux onces &
demie d’alun pilé. Distillez ; versez sur cinq onces d’autre alun & distillez, ce qu’on
réitère jusqu’à trois fois de dessus sept onces & demie d’alun : & l’on a un esprit de
vin très-capable de prendre la vertu des végétaux.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 822

Essence de Cannelle.

Prenez une demi-once de l’esprit de vin précédent, un gros d’huile de Cannelle


; mêlez ensemble & l’essence est faite, ou bien prenez deux onces de bonne
Cannelle en poudre fine ; versez dessus six onces de l’esprit de vin précédent,
mettez la matière en digestion jusqu’à ce qu’elle soit rouge ; que vous filtrerez &
garderez.

Telle est la manière de faire toutes sortes d’essences des simples & des huiles.
Roche.

Quintessence de l’esprit de vin.

Prenez de l’esprit de vin bien rectifié, que vous mettrez en un Pélican ou


vaisseau de rencontre, dont vous luterez exactement les jointures avec du lut de
fleurs de farine & blanc d’œufs sur du papier gris. Vous le mettrez en digestion
ou à la vapeur du bain-marie, ou au fumier qu’il faut renouveler tous les cinq
jours pendant six semaines ou deux mois ; ou même pendant trois mois selon
d’autres. Ce terme expiré, vous verrez au fond du vase des fèces blanches, qui
seront un signe évident de la séparation qui se fera faite des plus pures parties
& l’esprit igné sera au-dessus d’une odeur très agréable & très douce. Vous
verserez doucement cet esprit dans un autre vaisseau sans rien troubler & le
conserverez précieusement.

Vertu de cette Quintessence.

En général cette quintessence est excellence pour toutes les infirmités qui
peuvent arriver au corps humain de quelque cause qu’elles proviennent. Elle
conserve la chair incorruptible, elle peut se mêler aux qualités particulières des
herbes, fleurs, aromates & autres choses de cette nature, dont elle augmente la
force & la puissance. Quiconque s’en servira, en sentira d’abord un prompt effet
dans le soulagement & la guérison, qu’il recevra en peu de temps des maladies
dont il est affligé.

La dose de ce remède est d’une demi-once environ, suivant l’âge & la


complexion. Les jeunes gens doivent en user rarement, parce qu’il multiplie le
sang & en augmente la vivacité par les esprits subtils qu’il contient : mais les
personnes âgées peuvent s’en servir plus souvent, il rétablit les forces abattues,
& ranime la chaleur naturelle. Cette quintessence guérit les éthiques, les
pulmoniques & ceux qui ont la rate ou le foie attaqué. Elle apaise la migraine &
le mal de tête, quelque violent qu’il soit, en prenant sept ou huit goûtes dans du
bouillon ou autre liqueur appropriée, parce qu’elle n’est ni froide ni chaude ;

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 823

ainsi elle est très convenable à tout âge dans les deux sexes. Joseph Quinti
Médecin de Venise, marque qu’elle est très usitée dans cette grande Ville, où
l’on s’en fort avec succès & que lui-même en a vu des effets merveilleux.

Autre manière de faire cette Quintessence.

Vous prendrez d’excellent vin vieux, comme serait celui de Bordeaux, que vous
mettrez en un grand matras avec son vaisseau de rencontre bien luté pour le
faire digérer & circuler pendant un mois dans le fumier chaud de Cheval que
vous renouvellerez tous les quatre ou cinq jours ; vous le distillerez au bain-
marie dans de hautes cucurbites ; & vous le rectifierez du moins quatre fois, &
gardez cet esprit à part. Prenez ensuite le restant flegme & fèces, distillez
jusqu’à consistance de miel liquide. Torréfiez les fèces que vous mettrez en
poudre, sur laquelle vous verserez du flegme distillé ; faites digérer à lente
chaleur pendant vingt-quatre heures, filtrez, puis distillez la moitié de votre
liqueur & la mettez en lieu froid, il s’y formera des cristaux, distillez la liqueur
restante pour tirer vos cristaux. Quand vous les aurez rassemblés, vous les
dissoudrez dans votre flegme & les coagulerez tant de fols, qu’ils soient comme
une glace claire & transparente.

Vos cristaux étant bien purifiés, broyez-les subtilement, puis venez dessus de
votre esprit, que vous ferez digérer pendant trois jours au bain de cendres, &
distillez ; ensuite. Recommencez ce procédé jusqu’à ce que l’esprit soit bien
empreint de sa propre âme, & que le corps desséché mis sur une lame de fer
rougie au feu, ne rende pas de fumée. Ce corps étant bien calciné jusqu’à
blancheur, versez dessus la huitième partie de son poids d’esprit animé, puis
digérez & distillez à la chaleur lente du bain ; versez ensuite la sixième partie de
l’esprit, digérez & distillez de même, continuez ce procédé en versant la cin-
quième, puis la quatrième & ainsi de suite jusqu’à ce que la plus grande partie
du corps, mis sur une lamine ardente, ou rougie, s’en aille en fumée.

Cela étant fait, mettez un chapiteau à bec fur votre cucurbite, donnez feu de
cendres l’espace de deux jours, jusqu’à ce que le soufre du végétable s’attache
comme du talc aux parois de votre vaisseau. Alors prenez une once de ce soufre
que vous joindrez avec quatre onces de votre premier esprit rectifié, que vous
mêlerez, digérerez, distillerez & cohoberez sur cendres chaudes, tant que tout le
corps soit passé dans le récipient avec l’esprit, distillez deux fois au bain
bouillant, & circulez votre esprit pendant soixante jours, & séparez l’hypostase
ou fèces subtile qui reste au fond du Pélican : & vous aurez la quintessence de
vin que vous garderez pour vous en servir au besoin. Béguin qui donne cette
opération marque néanmoins qu’elle peut se faire en cinq semaines, comme lui-
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 824

même l’a éprouvé & qu’avec cette dernière quintessence, il a tiré la teinture de
l’or.

Quintessence de Sang.

Prenez dix ou douze onces de sang nouvellement tiré d’un homme sain &
robuste, qui soit entre vingt & trente ans. Ou pour le mieux je choisirais du sang
de Cerf.

De ce sang vous en séparerez le flegme & sur douze onces vous ajouterez une
livre de sel blanc bien purifié, que mettez en une grande cucurbite avec sa
rencontre bien lutée que rien ne transpire, placez au fumier de Cheval ou au
bain de vapeur, pendant quarante jours, alors le sang sera entièrement putréfié
& converti en eau, que vous distillerez au sable fort lentement, & cohoberez
trois ou quatre fois sur la tête morte. Vous aurez une eau spiritueuse très claire,
que vous ferez circuler dans un vaisseau de rencontre, pour en séparer les plus
pures parties ; & les fèces iront au fond du vaisseau. Retirez ce qui sera clair
pour vous en servir en la manière suivante.

Séparation des quatre Eléments du Sang.

Prenez ce sang réduit en eau & en tirez à très-lente distillation aux cendres, ce
qui pourra monter : cette liqueur claire est l’élément de l’eau, remettez cette
première eau sur la tête morte, mêlez bien le tout & faites digérer pendant huit
jours au bain bouillant, les jointures du vaisseau de rencontre bien lutées.
Distillez aux cendres, & vous tirerez deux éléments en même temps, savoir
l’eau & l’air, que vous séparerez à la vapeur du bain : l’eau monte la première,
& l’air reste au fond du vase. Vous conserverez cet air à part, alors pour séparer
l’élément du feu, ou le soufre vital, vous prendrez quatre livres de l’élément
aquatique pour chaque livre de la tête morte, & les ayant bien mêlés ensemble,
digérez les environs huit jours & les distillez à feu de sable gradué, & très-fort
sur la fin. Il sortira une eau rouge comme du sang vermeil oui contient
l’élément du feu & de l’eau, dont vous ferez la séparation au bain, l’eau
montera l’élément du feu ou l’huile sulfureuse demeure en bas. Il reste dans la
cucurbite une liqueur noire comme de l’ancre, qui est l’élément de la terre, que
vous devez circuler, distiller & cohober selon l’art, & il vous restera une terre
diaphane comme cristal, très-pure & très-efficace.

Vertus de ces quatre Eléments.

L’élément de l’eau est spécifique pour les infirmités froides ou chaudes, fortifie
le cœur, remet les poumons dans leur état naturel, guérit le flux de toute espèce,

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 825

La dose eu une cuillerée selon l’âge & la force dans une liqueur convenable.
L’air ou sel volatil a plus de force pour les mêmes infirmités & conserve la
vigueur, multiplia & ranime le sang ; eu très-efficace pour la migraine, mal de
tête, mal caduc, vertiges & autres infirmités, mais il en faut une bien moindre
dose que de l’eau. L’élément du feu où le soufre est encore plus efficace pour les
vieillards, & peut être regardé comme le baume ou élixir de vie ; on peut le
mêler & digérer avec les cristaux ou terre transparente ; mais pour venir à bout
de ce travail, il faut être habile Artiste & avoir de la patience. Rupescissa de la
quintessence, Liv. &. Canon, XII.

Quintessence de l’Argent.

Ayez du vinaigre distillé, dans lequel vous ferez dissoudre de bon tartre
calciné, avec du sel ammoniac, mettez-le sur de la chaux d’argent bien faite en
un matras bien bouché & luté. Placez-le dix ou dix jours au fumier de Cheval :
puis le versez en un alambic de verre, avec son chapiteau, distillez le vinaigre,
poussez le feu & vous verrez monter la quintessence d’argent sur laquelle vous
verserez de l’esprit de vin bien rectifié pour en faire l’extraction : & vous aurez
une quintessence qui a des vertus admirables, approchant de celle de l’or.

Quintessence du Mercure commun Vitriol & Couperose.

Faites sublimer l’argent vif avec le vitriol, la couperose & le sel commun ; dans
cette sublimation se trouve le soufre des Philosophes ; faites dissoudre ce
sublimé en eau-forte de salpêtre & vitriol, distillez le dissolvant, sublimé le
mercure, & vous trouverez au fond les impuretés du mercure en poudre noire ;
triturez votre sublimé avec vitriol & sel, puis le faites sublimer pour la troisième
fois, toujours avec nouveau vitriol & sel ; prenez ce sublimé & le dissolvez en
pareille eau-forte que dessus. Retirez le dissolvant, puis sublimez derechef &
trouverez encore des fèces noires au fond de la cucurbite ; broyez encore ce
sublimé avec autre vitriol & sel, & faites dissoudre de nouveau ce sublimé en
pareille eau forte que dessus ; distillez le dissolvant, sublimez la matière & vous
aurez peu de fèces. Si néanmoins il en restait encore, il faut réitérer la
dissolution tant qu’il ne reste plus de fèces. Cette purification du mercure est de
Basile Valentin.

Pour séparer la quintessence du mercure de celle de vitriol, faites fondre votre


dernier sublimé dans de bon vinaigre distillé & le vif-argent se revivifiera, & la
quintessence du vitriol restera dans le vinaigre. Séparez le vif-argent, distillez le
vinaigre & il vous restera une quintessence plus belle que l’or, laquelle est très
bonne pour appliquer extérieurement sur les plaies.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 826

Quintessence du Soufre.

Ayez de la fleur de soufre, que vous ferez dissoudre en vieille urine à feu très
lent ; quand l’urine sera bien colorée, versez-la par inclination & en remettez
d’autre & ainsi de suite, tant que de nouvelle urine se colorera ; mêlez vos
urines & les faites évaporer, & la quintessence de soufre restera au fond de
couleur rouge : vous mettrez cette quintessence en vinaigre distillé, & s’il est
resté quelque huile du soufre, il la faut ôter, puis faire un peu évaporer, &
gardez pour vous en servir.

Quintessence d’Antimoine.

Pulvérisez subtilement de l’antimoine minéral, & le mettez en vinaigre distillé,


& le digérez sur un feu de cendres très lent, quand il sera teint videz par
inclination, remettez de nouveau vinaigre, & videz de même tant qu’il se
colorera. Continuez tant que vos vinaigres prendront de la teinture, mêlez tous
vos vinaigres & les filtrez, distillez à feu doux, retirez ledit vinaigre & poussez
le feu, afin que l’huile rouge tombe dans un nouveau récipient. Conservez
précieusement cette liqueur qui est très douce pour vous en servir à la guérison
des plaies, qu’elle guérit comme miraculeusement, si auparavant vous la faites
digérer dans le fumier pendant quarante jours en une fiole bien bouchée.

Feu secret Philosophique.

Prenez de la quinte essence de mercure & vitriol ci-dessus marquée, joignez-la


par égales parties, arec du sel ammoniac sublimé de sept à dix fois. Menez en
délit à la cave, & il se dissoudra en huile qui a tant de force qu’elle percerait la
main si on y en mettait une goûte ; mais elle perce le fer, le cuivre & l’argent.
Mettez dans cette eau, argent, étain ou autres métaux en limaille, elle les dissout
en forme de perles ou de mercure.

Sel & Huile de Tartre excellente.

Faites calciner du tartre blanc à blancheur, ou le calcinez avec égale partie de


nitre fin, mis l’un & l’autre en poudre. Versez ensuite dessus de bon esprit de
vin, à la hauteur de trois doigts, que vous distillerez. Réitérez ces infusions &
distillations de nouvel esprit de vin, tant que l’esprit en sorte aussi fort que
vous l’y aurez mis ; faites tomber en délit à la cave, & vous aurez une huile de
tartre admirable qui guérit toute plaie en un instant. Cette eau revivifie le
mercure du sublimé à lente chaleur. L’opération des distillations doit se faire en
cucurbites de terre bien lutée, car ce tartre a tant de force, qu’il casse les
vaisseaux de verre & de terre ordinaire. Tiré des Remèdes de Joseph Quinti,

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 827

Médecin Vénitien.

Remède pour rajeunir ou du moins retarder la vieillesse.

Vous prendrez la quintessence d’esprit de vin dans laquelle vous mettrez de la


quintessence d’or & de perles, il en faut prendre soir & matin une petite
cuillerée jusqu’à ce qu’on se sente dans la force & l’agilité de l’âge de quarante
ans, après quoi il en faut user prudemment & tout au plus une fois tous les huit
ou quinze jours. On la doit prendre dans de bon vin, dont il faut user à ses
repas ordinaires.

Usage de la Quintessence pour un malade à l’extrémité.

Il en faut donner à un moribond, & s’il est impossible de le guérir, elle


rappellera ses esprits, ranimera sa connaissance pour mettre ordre à ses affaires
; & s’il en peut revenir, elle le guérira en peu de temps & le fera aller jusqu’au
terme fixé par la providence, sans aucune infirmité.

Ratafia de Coquelicot, de Poitrine dans les constitutions séreuses du


fang. Méthodes d’Helvétius.

Prenez une livre de fleurs de coquelicot fraîchement cueillies, bien épluchées,


mettez-les dans un coquemard de terre, & versez dessus une pinte d’eau
bouillante. Laissez les infuser pendant vingt-quatre heures, & passez le tout par
une étamine avec expression. Ajoutez-y une livre de sucre Royal, de la Cannelle
fine & du clou do Girofle en poudre, de chacun un gros, faites bouillir le tout en
consistance de sirop un peu clair, que vous clarifierez avec un blanc d’œuf :
ensuite vous l’ôterez du feu, & vous y mêlerez une pinte de bonne eau-de-vie.
Laissez-le refroidir & le gardez dans des bouteilles bien bouchées.

Ce Ratafia est agréable à boire, il fortifie la poitrine, & convient dans les
coqueluches, & toux opiniâtres. On en prend le matin à jeun, depuis une demi-
cuillerée à bouche jusqu’à deux ou trois cuillerées à la fois, pures ou mêlées
avec autant d’eau, & une pareille dose le soir en se couchant.

Si l’on manque de Coquelicot, on peut employer le safran à sa place : mais il ne


faut en faire entrer que quatre onces dans cette composition. Il produit les
mêmes effets. Il est même plus cordial, & convient dans toutes sortes
d’occasions, où la confection d’Iacinthe & les autres cordiaux sont indiqués. Les
enfants en peuvent user très utilement dans leurs maladies, comme la petite
Vérole, Rougeole, faiblesses & autres.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 828

La dose est d’une cuillerée à Café, jusqu’à deux ou trois cuillerées, pure ou
mêlée dans une tasse d’eau.

Eau magistrale pour les yeux & les nettoie de toute tache.

Cette composition se fait de matières propres pour les yeux.

Prenez du meilleur vin blanc qu’il soit possible, douze livres, Pain frais levé,
quatre livres, Chélidoine, Fenouil, Pignon de Scille, de chacun quatre onces,
Girofles, quatre dragmes. Mettez tout en une cucurbite avec son alambic &
récipient à distiller au bain, & lui donnez tant long-temps le feu qu’il en force
cinq livres d’eau, qu’il faut garder à part, & telle eau sera excellence pour les
yeux, parce qu’elle conserve la vue, & nettoie l’œil de toute tache. Si on en
prend par la bouche cous les matins une once durant un mois, elle maintiendra
le corps en santé. Bref en toutes choses où elle est employée, elle fait très-bien.
J’en ai usé une infinité de fois avec grand honneur & profit des malades.

Pour faire du Vinaigre.

Râpez du bois d’if dans du vin, & il sera bientôt converti en vinaigre.

Autre.

Mettez dans du vin de la racine de bête ou carde de poirées, & en trois heures
vous aurez vinaigre.

Ce vinaigre reprend sa qualité de vin, si ôtant la racine de bête, vous y mettez


de la racine de choux.

Vinaigre distillé.

Pour fortifier le vinaigre distillé, il faut le rectifier sur un peu de sel armoniac,
par ce moyen il tire bien plus aisément la teinture du verre d’antimoine; mais il
n’y faut pas mettre de plus de ce sel qu’il en peut dissoudre à froid. C’est la
vraie proportion. Rothe.

Sel de Tartre excellent.

Distillez de, l’eau de pluie à feu de cendres très doux ; étant distillée vous la
ferez chauffer & y jetterez du tartre blanc de Montpellier mis en poudre une
quantité suffisante pour être dissoute. Filtrez cette liqueur, puis faites évaporer
à feu doux de cendres jusqu’à pellicule : laissez cristalliser, faites fondre ces
cristaux dans de nouvelle eau de pluie distillée. Evaporez tant qu’il vous reste
un sel blanc fixe & fusible & permanent au feu, sans fumer. En cet état ce tartre
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 829

congèle le mercure. Deux ou trois grains de ce sel pris dans un véhicule


convenable sont un remède souverain pour rétablir les forces.

Sel de Tartre volatilisé.

Il faut avoir du sel de tartre bien blanc que vous ferez dissoudre dans de bon vi-
naigre distillé, puis filtrez & évaporez jusqu’à pellicule. Mettez son double
poids de sablon blanc, bien net & les réverbérez ensemble l’espace de douze
heures dans un vaisseau de terre non vernissé. Prenez cette matière que vous
ferez dissoudre derechef dans du vinaigre distillé : filtrez & évaporez comme
devant. Mêlez avec sablon, réverbérez & dissolvez tant que le sel de tartre soit
aussi blanc que neige. Prenez ce sel que vous ferez dissoudre de nouveau dans
du vinaigre distillé, que vous ferez évaporer au bain ; dissolvez & distillez tant
que votre vinaigre sorte âcre & piquant. Faites sécher doucement ce sel & y
ajoutez son poids d’esprit de vin, les digérant ensemble & distillez à lente
chaleur. Remettez de nouvel esprit de vin, & digérez. Continuez tant de fois que
votre esprit de vin en sorte aussi fort que vous l’y avez mis. Après quoi faites
évaporer doucement, puis sublimez le sel par degré de feu, & le gardez
soigneusement : & il dissoudra l’or & tous les autres métaux.

Cristal de Tartre.

Vous prendrez une livre de bon tartre blanc en poudre que vous pulvériserez Se
laverez, & l’ayant mis en une terrine, vous verserez dessus quatre pintes d’eau
de Rivière bien clarifiée: faites bouillir jusqu’à pellicule, filtrez par la chausse ou
le blanchet & mettez cristalliser en lieu froid l’espace de six heures : puis versez
l’eau par inclination ; faites évaporer l’eau de nouveau jusqu’à pellicule &
laissez cristalliser, réitérez tant que vous ne tirerez plus de cristaux. Prenez tous
vos cristaux & les faites bouillir dans de nouvelle eau, filtrez par le papier gris,
& laissez cristalliser derechef en lieu froid ; réitérez la même opération trois ou
quatre fois pour avoir vos cristaux plus purs & plus blancs.

La dose est depuis une dragme jusqu’à deux dans un bouillon chaud. Ce remède
purge & incise les humeurs grossières, & il en très-utile dans les maladies
tartareuses, en le prenant ainsi, savoir :

Deux dragmes de Séné & une dragme de cristal de tartre, que vous ferez dissoudre
dans un bouillon chaud, auquel vous ajouterez votre séné, que vous ferez infuser
doucement & passerez. Davissone Eléments de la Philosophie, pag 488.

Liqueur Alcaest ou de Cristal.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 830

Vous aurez du sel de tartre très-pur ou au nitre rixe, six parties, cristal ou
cailloux calcinés deux parties : faites fondre à feu violent dans un bon creuset ;
puis l’ayant versé dans un mortier de marbre échauffé, laissez-le refroidir,
mettez en poudre à la cave, & il se résoudra en huile ou liqueur propre à tirer
les quintessences des métaux, minéraux, végétaux & animaux. Qinti.

Quintessence des Métaux.

Lorsqu’ils sont dissous édulcorez & séchez, digérez-les avec cette liqueur, & en
faites ensuite l’extraction avec de bon esprit de vin.

Quintessence des Minéraux.

Prenez le minéral que vous mettrez en poudre impalpable, versez dessus la même
liqueur, digérez pendant huit jours, puis en faites l’extraction par l’esprit de vin,

Quintessence des végétaux.

Pilez les feuilles, fleurs, écorces ou racines, digérez-les avec la liqueur alcaest
pendant cinq ou six jours, & ensuite avec l’esprit de vin, que vous réduirez en
extraits selon l’art.

Quintessence des Animaux.

Il faut en piler les parties comme on a fait les végétaux, les digérer dans la liqueur
pendant quelques jours, puis en faire l’extrait par l’esprit de vin.

Sel de Tartre très pur.

Pour bien faire le sel de tartre, il faut le faire bouillir dans six fois son poids d’eau
de Rivière ou de pluie bien clarifiée ; quand tout sera dissout vous le passerez dans
une chauffe & laissez reposer. Faites évaporer & le tartre se formera en cristaux que
vous ramasserez & ferez sécher.

Prenez une livre de ce tartre avec poids égal de nitre fin, que vous mettrez en on
creuset pour en faire la détonation. Vous l’exposerez à l’humide, & il se résoudra en
huile, qui étant privée de son humidité par la chaleur se convertit en sel.

Le moyen de faire la pierre végétable qui transmue les corps d’une


complexion en une autre, les entretenant en bonne santé toute la vie, par
Fioraventi.

Voici l’ordre qu’il faut tenir pour faire cette pierre. Vous prendrez du tartre de
vin blanc qui soit gros & luisant. De la térébenthine qui soit pure & claire, de

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 831

l’herbe d’aloès qui porte les feuilles longues comme le bras, dentées par les
bords, grosses & pleines d’humeur gluante, qu’aucuns appellent semperviva.

Vous prendrez donc de ces trois choses une livre de chacune & les pilerez
ensemble en forme de pâte, que vous mettiez distiller dans une cucurbite avec
son alambic & récipient, lui donnant toujours le feu jusqu’à ce que toute
l’humidité soit sortie. Alors vous tirerez de la cucurbite ce qui y sera demeuré,
qui sera de couleur noir & puant, & le pilerez en faisant derechef une pâte avec
l’eau qui en sera distillée, & remettrez le tout ensemble distiller dans la même
cucurbite, ou une autre si la première est rompue, augmentez si bien le feu à la
fin de la distillation que ce qui reste dedans la cucurbite, soit brûlé & bien sec
que vous tirerez derechef & pilerez avec son eau, pour redistiller comme devant
: & vous ferez cela jusqu’à quinze ou vingt fois tant que les fèces ayant bu &
consommé toute leur eau, soient blanches comme sel.

Alors il faudra mettre ce sel sur le marbre à l’humide, & il se convertira en eau
très claire, qu’il faudra garder en un vaisseau de verre bien bouché. Ainsi vous
aurez l’eau de la pierre végétable, qui a tant de vertu qu’un scrupule mêlé avec
deux onces de julet violat donné parla bouche à tel malade que ce soit, en moins
de quarante jours, il sera délivré de toute maladie. Cela se doit prendre le marin
à jeun, quand l’estomac est vide, & la viande digérée, alors il opère beaucoup
mieux : c’est un bon remède contre les vers, de le faire prendre en la manière
susdite. Il mondifie le foie, dessèche l’humidité de la rate, adoucit la toux, guérit
le catarrhe, provoque l’urine, & a plusieurs autres vertus.

Gomme ammoniac.

Cette gomme qui vient d’Egypte, découle d’un arbre qui croît dans les environs
du lieu où était autrefois le temple de Jupiter Ammon. Elle est non seulement
employée au-dehors dans les emplâtres résolutifs & attractifs, mais encore au-
dedans en opiate contre le schirre du foie. Il faut la mettre en poudre en hiver,
car en été on a de la peine à le faire. Mais surtout gardez-vous bien de la
dissoudre dans le vinaigre ou pur ou distillé, c’est le moyen de la priver de sa
plus grande vertu. C’est néanmoins ce que font la plupart des Apothicaires.

On peut la distiller pour en tirer l’esprit, mais avec beaucoup de circonspection en


une cornue de verre lutée, dont tes deux tiers restent vides. Séparez-le de son huile
par le papier gris, & le rectifiez en une petite cucurbite à feu de sable. Sa dose est de
huit à seize goûtes contre la peste & autres maladies malignes, même contre le
scorbut & contre toutes sortes d’obstructions.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 832

La Médecine du Flos-cœli.

Le flos-cœli n’est autre chose qu’une vapeur qui sort du centre de la terre,
jusqu’à la superficie au temps des équinoxes, celle du mois de Mars est appelée
la femelle, & celle de septembre le mâle, lesquels ne manquent jamais, savoir la
femelle depuis le vingt et un Mars jusqu’au vingt et un Avril de se manifester &
sortir avant le Soleil levant, ce que vous connaîtrez en portant l’oreille à terre,
par un bouillonnement de sève avec une senteur comme de soufre, elle prend
toutes sortes de formes selon la disposition des pores par où elle passe, elle est
de couleur verte plus transparente qu’émeraude, approchant de la couleur de
l’huile, épaisse comme du verre, ce qui a fait dire à plusieurs Philosophes, pour
la cacher, que c’était leur vitriol, il y en a de grandes feuilles comme du papier,
& elle se cueille ès lieux les plus sablonneux plus volontiers qu’ailleurs, il la faut
cueillir en lieu regardant vers le Soleil levant ; le même se fait en Septembre dès
le 21 jusqu’au 21 Octobre ; s’il faisait par hasard grand vent ou grande pluie, il
n’en sortirait point, c’est proprement une espèce d’herbe sans racines, baveuse
& de couleur verte qui ne sort qu’après la pluie desdits mois, & si vous attendez
de la cueillir après le Soleil levé, & qu’il ait donné dessus, elle sera évanouie,
vous n’en apercevrez plus ou du moins elle sera toute rôtie tombant en
poussière, sans qu’il reste rien de sa sève ou de son humidité.

Lorsque vous l’aurez cueillie à son temps & heure favorable, il la faut laver en
eau de fontaine, & qu’il n’y reste aucune terre ni limon, la bien essuyer avec un
linge blanc en étendant un linge sur le plancher, où avec la main vous la taperez
contre le linge, & vous la laisserez ainsi jusqu’au lendemain, afin qu’il ne lui
reste aucune humidité superficielle. Cela fait, vous la pilerez dans un mortier de
marbre ou de verre, & la mettrez dans un vaisseau de verre bien lutté, que rien
ne respire, & laisserez ainsi reposer par quarante jours fans feu, passé lequel
temps il la faut presser dans un linge bien blanc au pressoir d’un Apothicaire, &
elle vous rendra plus de moitié pesant de son jus, couleur même de sang, qui
est la résolution où elle est tombée pendant ledit temps d’elle-même, & s’étant
ainsi transmuée naturellement d’un règne à l’autre, & changée de terre en eau,
mettez cette extraction dans un alambic de verre jusqu’à moitié plein, luttez-le
bien avec farine & blanc d’œuf, y adaptant un récipient d’égale grandeur que
vous exposerez sur une fenêtre ou autre lieu semblable, le jour & la nuit, & elle
se distillera toute seule d’elle-même, par l’agitation des mouvements célestes,
qui lui ont donné l’être, dont il sortira une eau belle & claire, mais il n’en sortira
qu’environ la dixième partie, ce que vous n’aurez pas peine à discerner, parce
qu’elle n’agit que quarante jours, & cet esprit est appelle dissolvant universel
qui contient en soi les vertus du feu & de la rosée, qui font soufre & mercure, &

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 833

enfin toutes les productions de la nuit & du jour, de la Lune & du Soleil ; elle
dissout par injection le calcul de la vessie.

Quand vous voudrez en faire une médecine universelle pour toutes les
maladies, il la faut mettre dans un matras & la cuire doucement à un feu de
lampe bien réglé, ledit matras doit avoir sa rencontre. Si vous avez un Pélican il
sera encore mieux, si vous n’en avez point le susdit matras tiendra lieu, en sorte
que la matière se cohobera d’elle-même, & se congèlera de même en cristaux, au
lieu que si vous la mettez dans un alambic & que l’eau ait distillé, il faudra
cohober en remettant ladite eau sur la partie qui sera sèche, & il y aura plus de
perte de temps & de matière, & il faudra cohober sept fois, après quoi votre eau
sera sans peine dans le Pélican, ce qu’on appelle réincruder les corps ou purifier
; enfin ces sels qui se faisaient en gros cristaux pendant l’œuvre de ces
corporifications se calcineront d’eux-mêmes, & se mettront & réduiront en une
poudre impalpable, laquelle vous garderez soigneusement, parce qu’elle
renferme en soi la vertu de toutes les substances terrestres & éthérées, propres
principalement pour la conservation de notre chaleur naturelle & humide
radical ; & pour passer plus avant & pénétrer les merveilles qu’elle contient en
soi, vous procéderez en tout & partout avec le flos de Septembre, comme vous
avez fait dans l’opération de la femelle.

Cela supposée, vous joindrez ces deux poudres ensemble à poids égal, & pour
lors un atome a plus de vertu qu’une dragme entière. Etant donc jointes
ensemble, elles sont appelées élixir, par lequel on peut parvenir & atteindre les
hauts mystères de la transmutation métallique, selon qu’il sera fermenté par le
Soleil & par la Lune.

Il faut observer le poids de la nature en prenant dix onces de cet élixir & une
once d’or en feuilles, & les broyer sur le marbre, puis mettre cette poudre dans
un vase qui sera lutté hermétiquement, cuisez pendant quarante jours à feu fort
doux de lampe sans discontinuer ou de cendres, & en vingt jours l’élixir
résoudra cet or en sa première matière, qui sera plus noir que le noir, dix jours
après ce grand noir produira une blancheur de neige, en autre dix Jours paraîtra
une couleur verte, puis citrine, puis violet obscur, puis tout d’un coup en quatre
jours les derniers sera rouge & fera la projection sur le mercure mis au creuset
jusqu’à fumer, jetant dessus de cette poudre une part sur sept parts de mercure,
& fera fixé si credere fas est.

Prenez une once de votre poudre, dissolvez-la dans sept onces de votre susdit
sang, mettez au bain-marie un matras, & mettez le feu de cendre par dix ou
douze jours, le tout deviendra comme une gomme fondue; pour lors enterrez-le
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 834

dans le sable jusqu’au col continuant le feu par deux fois vingt-quatre heures &
fera médecine qui va un poids sur cent de mercure, & le fixera en fin métal
suivant le ferment, & ainsi procédez à l’infini : je n’en crois rien cependant.

Remarque sur le procède du Flos-cœli.

Il faut tirer le sel de ce qui reste après la distillation pour la première eau qu’elle
a rendue. Pour marier le mâle avec la femelle, il faut conserver la femelle ou le
mâle pour cela, c’est-à-dire le premier qui aura été le premier cueilli, pour qu’il
puisse attendre la récolte de l’autre.

On l’enfermera dans une bouteille une nuit avant que l’on veuille faire ce
mariage, il faudra tremper la sèche dans de l’eau, où elle deviendra comme elle
était quand elle fut cueillie, après quoi on les unira comme il est porté ci-dessus,
une cuillerée de cette eau avec de son propre sel, guérit toutes sortes de
maladies, & principalement les fièvres, & si l’on est obligé de réitérer, l’on le
peut faire jusqu’à deux & trois fois de deux en deux jours à jeun.

Emplâtre dudit Flos-cœli.

Mettez telle quantité qu’il vous plaira de flos-cœli dans un pot vernissé, versez
dessus de l’huile d’olive autant qu’il en faudra pour bien couvrir ladite fleur,
faites-le digérer à froid pendant trois ou quatre jours, ensuite de quoi vous
verserez le tout dans un poêlon, ou le ferez bouillir dans ledit pot, jusqu’à ce
que ladite fleur demeure sèche au fonds dudit poêlon : coulez votre huile dans
laquelle vous mettrez semblable quantité audit flos-cœli, digérez-les & les
cuisez comme dessus, réitérant cela une troisième fois, après quoi vous pèserez
votre huile & prendrez son pesant de bonne litharge réduite en poudre, sur
laquelle vous verserez de bon vinaigre clairet une quantité suffisante, & les
ferez bouillir tant soit peu, après quoi l’ayant laissé un peu reposer pendant
quelques heures, vous tirerez doucement ledit vinaigre empreint du sel de
ladite litharge, prenant garde que vous n’y mêliez point du trouble, après quoi
mêlerez ledit vinaigre avec votre huile susdite du flos-cœli dans un poêlon &
les cuirez doucement sur le feu remuant toujours jusqu’à ce que ce mélange
devienne de couleur brune obscure & qu’il ait acquis une juste consistance, ce
que vous éprouverez sur le cul d’un mortier, & étant refroidi le roulerez en
magdeleons ou rouleaux, que vous garderez pour le besoin.

Cet emplâtre est employé pour la guérison des loupes & des écrouelles.

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 835

La Pierre de feu Basile Valentin, & les préparations nécessaires pour la


faire, tirées du Char triomphal de l’Antimoine.

Prenez de l’antimoine minéral, de celui qui se trouve dans les mines d’or, &
partie égale de sel nitre, ( l’Auteur dit simplement nitre, sans parler de nitre
préparé, il faut pourtant le préparer de la manière qui sera enseignée ci-après. )
Broyez-les en poudres subtiles, & les mêlez. Mettez-les sur un feu modéré & les
brûlez ensemble fort doucement ; ( c’est en cette manipulation que consiste
principalement cette opération, ) votre minière deviendra noirâtre. Faites en du
verre, comme il sera ci-après enseigné. Broyez ce verre en poudre subtile, & en
tirez la teinture rouge de couleur haute, avec le fort vinaigre distillé, & fait de la
propre minière d’antimoine, de la manière qu’on le dira ci-après. Retirez le
vinaigre par distillation au bain, il restera une poudre ; ( prenez bien garde, dit
le Commentaire de Kerkring, de ne pas brûler les ailes de votre oiseau, qui
s’élève sur les hautes montagnes ; ) de laquelle poudre vous ferez l’extrait avec
l’esprit de vin très-rectifié, ainsi qu’il sera ci-après enseigné. Les fèces resteront
& vous aurez une belle teinture rouge & douce, qui est en grand usage dans la
Médecine. C’est le pur soufre d’antimoine le mieux séparé qu’il eu possible.

Si vous avez deux livres de cet extrait, prenez quatre onces de sel d’antimoine
préparé, comme on dira ci-après ; versez votre extrait dessus, & les circulez du
moins pendant un mois dans un matras scellé hermétiquement, le sel s’unira au
soufre de l’extrait. S’il se fait des fèces, il faut les séparer & en tirer encore
l’extrait au bain-marie, avec l’esprit de vin préparé. Poussez à feu très fort la
poudre qui restera, il passera une huile douce de plusieurs couleurs,
transparente & rouge. Rectifiez encore cette huile au bain-marie & en tirez la
quatrième partie, & alors l’huile sera préparée.

Cette opération étant achevée, prenez du mercure vif d’antimoine fait de la


manière qu’on le dira ci-après : ( le Commentaire dit. qu’il faut le véritable
mercure des Philosophes, sans quoi on ne fera rien. On enseignera ci-après la
manière de le faire. ) Versez sur ce mercure de l’huile rouge de vitriol faite sur
le feu, c’est-à-dire, avec de la limaille d’acier mêlée avec le vitriol, laquelle soit
très rectifiée. Distillez le flegme du mercure à feu de sable, & vous aurez un
précipité précieux d’une couleur admirable. Il est excellent dans les maladies
chroniques & dans les ulcères, il dessécher puissamment les humeurs qui
causent les maladies martiales, à quoi il est fortement aidé par l’esprit de l’huile,
qui est resté avec le mercure, & qui s’est uni avec eux.

Prenez de ce précipité & de l’huile douce d’antimoine préparée, comme il est


enseigné ci-dessous, parties égales. Mettez les ensemble dans un matras bien
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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 836

scellé. Le Commentaire dit qu’il faut plusieurs mois, & qu’il ne faut pas presser
cette union martiale, ( puta 6 mois, ) & au feu convenable, (puta feu de lampe, )
avec le temps le précipité se dissoudra dans cette huile & se fixera, le flegme
même en est consumé par le feu, & il s’en fait une poudre rouge, sèche & fixe,
qui se fume point.

Voilà, dit l’Auteur, la Médecine des hommes & des métaux. Elle est agréable &
douce, sans danger, pénétrante & chasse le mal sans provoquer de selles.
L’usage en doit être proportionne au tempérament, afin de ne pas accabler la
nature par l’excès, & de ne pas la priver de l’effet par le défaut. Il ne faut
pourtant pas si scrupuleusement craindre l’excès, car il n’est pas nuisible ; mais
il est propre à procurer le recouvrement de la santé, & résiste au venin lorsqu’il
y en a de caché. La dose ordinaire & suffisante est de trois ou quatre grains à
chaque fois dans de l’esprit de vin ordinaire mêlé & tempéré avec de l’eau pure,
ou dans un bouillon, ou enfin dans un véhicule convenable. Elle guérît les
vertiges, & toutes les maladies qui proviennent du poumon, la difficulté de
respirer, la toux, la lèpre, la vérole, & souvent la peste, la jaunisse, l’hydropisie,
toutes sortes de fièvres, le poison qu’on a avalé, les philtres, & maléfices. Elle
fortifie tous les membres, & le cerveau, la tête & tout ce qui en dépend,
l’estomac & le foie. Elle guérit toutes les maladies qui viennent des reins, purifie
le sang, rompt & pousse la pierre dehors, provoque l’urine retenue par les
flatuosités, restaure & rétablit les esprits vitaux, guérit les suffocations de
matrice ; arrête & provoque les menstrues, mettant la nature dans l’état & la
disposition qu’elle doit avoir, procure la fécondité en rendant la semence saine
& prolifique tant aux hommes qu’aux femmes. Si on la mêle aux onguents
convenables, & qu’on l’applique extérieurement, elle guérit les cancers, les
fistules, les os cariés, tous ulcères corrosifs, même le noli me tangere, & tout ce
qui vient de l’impureté du sang : enfin, c’est un remède qui guérit les accidents
qui peuvent arriver au corps humain.

Préparation du Nitre.

Quoique Basile Valentin ne parle dans ce livre d’aucune préparation du nitre,


néanmoins on le doit préparer.

Le meilleur eu celui qui se cristallise le premier dans la première eau, comme


contenant toutes les plus essentielles qualités du nitre.

L’on peut le purifier parfaitement en le dissolvant & coagulant avec de l’eau de


pluie pure, distillée, tant de fois qu’il n’y reste plus d’alun, ni de sel commun

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 837

dont il est beaucoup mêlé, & que le nitre en sorte au même poids qu’on l’y aura
mis.

Mais il ne doit pas être calciné ou fixés parce que dans la calcination il perdrait
avec sa partie inflammable volatile, presque tout ce qu’il contient d’acides, qui
doivent servir à la calcination de l’antimoine.

Pour faire le verre d’antimoine.

Prenez votre poudre impalpable on mélange d’antimoine & de nitre, calcinez-la


parfaitement & doucement dans un fourneau à vent sur une tuile rebordée,
évitant de recevoir la fumée, ( car elle est dangereuse. ) Remuez incessamment
avec une verge de fer, jusqu’à ce que la matière ne fume plus. Broyez-la de
nouveau en poudre impalpable, & la recalcinez & réitérez tant de fois, qu’elle
ne se coagule plus en grumeaux, & qu’elle soit blanche comme de la cendre
pure ; puis mettez votre matière dans un bon creuset dans le fourneau, donnez-
lui feu de fusion très-fort, jusqu’à ce que votre antimoine soit fluide & clair
comme de l’eau, & le tenez en bonne fusion pendant trois ou quatre heures
pour le cuire & rendre bien pur, clair & transparent, jetez-le ainsi dans un
vaisseau de cuivre, large, plat & très chaud, & vous aurez un beau verre
d’antimoine.

Vinaigre d’antimoine ou Vinaigre des Philosophes.

Pour le faite, prenez six livres de minière d’antimoine pulvérisé très subtilement
; faites-la digérer dans un matras avec quatorze livres d’eau de pluie distillée ; il
faut que le matras soit demi-plein, bien scellé, & le mettez à chaleur naturelle,
ou dans le fumier de cheval pendant quarante jours, qui sera le temps que la
matière commencera à écumer & à fermenter & non davantage. Puis mettez
cette matière dans une cucurbite, adaptez-y son chapiteau avec un récipient
rempli jusqu’au quart d’eau pure, le tout bien luté, en sorte que le bec de
l’alambic, entre assez avant dans le récipient, afin que l’eau qui sera dedans &
celle qui distillera avant l’esprit puisse en touchée le bec, & le surpasser de deux
doigts.

Faites distiller l’eau à feu doux, & quand elle sera toute passée, augmentez le
feu pour faire passer le sublimé, broyés, les fèces avec le sublimé que vous
aurez retiré & séparé de l’eau par la distillation, & remettez sur le tout la même
eau en nouvelle digestion, jusqu’à ce que la matière commence à écumer ou
fermenter, & puis retirez-la avec le sublimé, elle sera plus âcre. Réitérez toute

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cette opération jusqu’à ce que l’eau soit aussi forte que le plus fort vinaigre du
vin distillé ; plus vous réitérer, plus votre sublimé diminuera.

Quand vous aurez fait le vinaigre ou acide, prenez de nouvelle minière, versez
le vinaigre dessus, & qu’il la surpasse de trois doigts. Mettez en digestion
pendant douze jours dans un Pélican à chaleur douce, votre vinaigre deviendra
rouge & bien plus fort qu’auparavant. Versez le vinaigre par décantation, & le
distillez sans addition au bain-marie, le clair passera, & le rouge demeurera au
fond, la teinture tirée avec l’esprit de vin est une excellente Médecine. Rectifiez
de nouveau ce vinaigre au bain-marie, pour le délivrer de son flegme ; enfin
dissolvez dans quatre onces de ce vinaigre une once de son propre sel, & le
poussez fortement à feu de cendres ; le vinaigre en deviendra plus fort & d’une
plus grande vertu. Il rafraîchit incomparablement plus que le vinaigre commun,
& c’est un remède expérimenté contre la gangrène causée par la poudre à
canon, & contre toutes les inflammations ; on l’applique en onguent avec le sel
ou sucre de Saturne, si on le mêle avec l’eau d’endive & le sel prunelle, il guérit
l’esquinancie & l’inflammation de sang ; mêlé avec la troisième partie d’eau du
frai de Grenouilles, & appliqué sur les bubons pestilentiels il en tire le venin, &
pris intérieurement par cuillerées une fois le jour dans un temps de peste, il
rafraîchit très-bien.

Préparation de l’Esprit de Vin.

Tour la faire, prenez quatre onces de sel armoniac sublimé trois fois, dix onces
d’esprit de vin rectifié sur le sel de tartre, & parfaitement déflegmé. Mettez ces
matières en digestion dans un matras bien clos, pour charger l’esprit de vin du
soufre ou feu du sel armoniac, puis distillez à l’alambic. Réitérez toute
l’opération trois fois, & vous aurez le véritable menstrue pour tirer la teinture
rouge du verre d’antimoine. Elle se tire aussi par son propre vinaigre, & devient
ensuite un très-excellent remède.

Préparation du sel d’antimoine & de son esprit.

Prenez une livre d’antimoine, deux tiers de sel de tartre, & l’autre tiers de
salpêtre. ( Le Commentateur dit que le nitre est inutile, qu’il ne faut que du sel
de tartre autant que d’antimoine, au lieu du tartre cru que l’Auteur dit de
prendre avec le nitre, savoir, autant de tartre que d’antimoine, & la moitié
autant de nitre que de tartre. ) Broyez le tout ensemble en poudre subtile, &
faites fondre au fourneau à vent. Jetez dans le bassin de cuivre, laissez refroidir
le régule : réitérez pour le moins trois fois toute l’opération, & jusqu’à ce que le
régule soit blanc & luisant comme de l’argent de coupelle.

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L’huile de genièvre, ou l’esprit de térébenthine pur & clair qui sort le premier
de la distillation, tire au bain-marie, de ce régule pulvérisé, une huile rouge
comme du sang, qu’on rectifie avec l’esprit de vin. Cette huile a les mêmes
vertus que le baume de soufre d’antimoine. On en donne trois ou quatre goûtes
dans du vin chaud trois fois la semaine pour guérir les maladies du poumon, la
toux, l’asthme, le vertige, les points dans les reins & la vieille toux. Broyez ce
régule en poudre impalpable, & le mettez dans un grand vaisseau de verre
rond, à un feu doux de sable, l’antimoine se sublimera, abattez tous les jours
avec une plume ce qui sera sublimé, & le faites tomber au fond du vaisseau,
jusqu’à ce qui ne se sublime plus rien, & que tout reste au fond. Vous aurez un
régule d’antimoine fixe & précipité : mais ne vous lassez pas, car cela demande
beaucoup de temps & de peine. Broyez le précipité en poudre impalpable ;
mettez-le dans une cave humide pendant six mois sur un marbre ou pierre qui
soit propre & plate. Il commencera se résoudre en liqueur rouge & pure, dont
les fèces se sépareront, c’est seulement le sel oui se résout. Filtrez la liqueur,
mettez-la dans une cucurbite ; retirez le flegme par l’alambic pour l’épaissir
jusqu’à pellicule. Remettez à la cave, & vous aurez de beaux cristaux. Séparez-
en le flegme, ils seront transparents, mêlez de couleur rouge ; purifiez-les
encore une fois dans leur propre flegme, ils deviendront tous blancs, & vous
aurez le véritable sel d’antimoine, séchez ce sel, & y mêlez les trois parties de
terre de Venise appelée tripel ; distillez à feu fort, l’esprit blanc passera le
premier, ensuite l’esprit rouge qui devient aussi blanc. Rectifiez doucement cet
esprit & sublimez au bain sec, ou au bain-marie. Vous aurez une autre huile
blanche du sel d’antimoine distillé, qui est beaucoup inférieur au sel ci-dessus
fait de la teinture rouge.

Cet esprit de sel guérit les fièvres quartes & autres ; il rompt la pierre dans la
vessie ; il provoque l’urine, guérit les goûtes & purifie le sang.

Pour faire le Mercure d’antimoine.

Prenez du régule fait comme il est enseigne ci-dessus huit parties, une partie de
sel d’urine humaine clarifié & sublimés, une partie de sel armoniac, & une
partie de sel de tartre. Mêlez tous vos sels dans un vaisseau de terre, versez
dessus du vinaigre distillé & fort : scellez hermétiquement, & digérez pendant
un mois entier à feu convenable. Puis mettez le tous dans une cucurbite, &
distillez le vinaigre au feu de cendres, jusqu’à ce que les sels restent seuls.
Ajoutez aux sels trois parts de terre de Venise, & poussez par la cornue à feu
fort, vous aurez un esprit admirable. Versez cet esprit sur votre régule en
poudre, & les mettez en putréfaction pendant deux mois. Distillez-en

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 840

doucement le vinaigre. Mêlez ensuite avec le résidu quatre fois autant pesant de
limaille d’acier, & distillez par la cornue à feu violent: alors l’esprit de sel qui
passe emporte avec lui le mercure en fumée dans le récipient qui doit être fort
grand & à demi plein d’eau. L’esprit de sel se mêle avec l’eau, & le mercure se
rassemble en mercure vif coulant au fond du vinaigre.

Huile de Mercure d’antimoine.

Pour la faire, prenez du mercure dont on vient de parler, passez-le par le cuir,
versez dessus quatre parties d’huile de vitriol très rectifié ; retirez l’huile, les
esprits demeureront avec le mercure. Poussez à feu fort, il se sublimera
quelques parties. Remettez ce sublimé sur le résidu, mettez sur le tout de
nouvelle huile au même poids que ci-devant ; recommencez toute l’opération
trois fois, & à la quatrième fois, broyez ce qui sera sublimé avec la terre, il
deviendra clair & pur comme du cristal. Mettez-le dans un vaisseau
circulatoire, avec autant d’huile de vitriol : & trois fois autant d’esprit de vin ;
circulez jusqu’à ce que la séparation se fasse, & qu’enfin le mercure se résolve
en huile qui surnage comme de l’huile d’olive : cela fait, séparez cette; huile de
tout le reste ; mettez-a dans le vaisseau circulatoire avec de fort vinaigre distillé,
& les laissez ainsi environ vingt jours: l’huile qui avait surnagé, reprendra son
poids & tombera au fond ; & tout ce qu’il y a de reste du venin demeurera dans
le vinaigre qui restera troublé. Cette huile merveilleuse est le remède des
Lépreux. Elle est aussi excellente contre l’apoplexie, parce qu’elle fortifie le
cerveau & les esprits : elle rend l’homme industrieux & le rajeunit ; car l’Auteur
dit qu’elle fait tomber les ongles & les cheveux aux malades de longues
maladies ; elle guérit toutes sortes de maladies en purifiant le sang ; elle guérit
radicalement toutes les maladies vénériennes, & il serait difficile d’en rapporter
toutes les vertus. Si on prépare bien ce remède, on peut se vanter d’avoir une
teinture qui ne cède en mérite qu’à la pierre philosophale.

Fixation du Mercure commun.

L’Auteur dit que le mercure commun se fixe par le moyen des esprits
métalliques, dont la mère de Saturne abonde, sans quoi il est impossible de le
fixer; à moins que ce ne soit avec la pierre philosophale qui le rend fusible &
malléable comme les autres métaux. La méthode de tirer ces esprits métalliques
est la même que celle que l’Abbé Rousseau a observée sur toutes les minières ou
terres métalliques.

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Du moyen d’extraire l’esprit minéral. Tiré de Moras de Respour.

Plusieurs ont écrit la manière de préparer les métaux, tant pour la santé que
pour les richesses, mais comme leurs livres demeurent inutiles, faute des agents
nécessaires qu’ils ont cachés, je mets ici la manière de les faire, pour réussir
dans les belles opérations qu’ils ont mises en lumière par le moyen de leur
dissolvant nommé, Alcaest, ou eau Alcalisée. Peu de gens le possèdent, faute de
connaître la cendre du vrai Alcali mercuriel, qui est enveloppée dans le soufre
universel au centre de toutes les choses du monde, quoique le meilleur se tire
d’une matière nommée vulgairement espiauter, ou zinc d’antimoine. En voilà,
manière : faites, la fondre à petit feu, dans un creuset assez large, & bas ; quand
elle sera rouge, remuez-la avec une spatule de fer, qui ait le manche assez long
pour vous défendre de la chaleur, après l’avoir un peu ému à la superficie,
comme en écumant, il recommencera à flamber, qui est signe que le ∆cru se
détache du soufre étranger ; ôtez avec votre spatule tout ce qui sera élevé en ap-
parence de coton ou laine blanche, que quelques-uns ont appelle sericon, & le
mettez dans une terrine, ce peu d’eau qui teste dans le creuset semblable au
plomb fondu, s’allumera plus qu’auparavant. Quand il s’en sera sublimé encore
environ la hauteur d’un demi-doigt, vous la tirerez, ainsi que la première fois, &
la mettrez avec l’autre. Faites ainsi, jusqu’à ce que tout soit réduit en fleurs, ou
coton : prenant garde à chaque fois que vous en tirerez, de cueillir cette fleur
adroitement, sans prendre de métal. Alors vous aurez cette eau sèche, donc les
sages ont tant parlé : disant qu’elle se tire des rayons du soleil, pour faire
entendre que pendant l’opération, la matière jette une lueur claire, éblouissante
à la vue, ainsi que le Soleil. On a donc très-bien dit, qu’elle se tirait de ses
rayons, & même de ceux de la Lune. Quand cette eau se convertit avec les eaux,
& que les eaux se convertissent avec cette eau, ils ont feint que cela se faisait par
la force d’un acier, comparant le zinc à l’acier, à cause de leur ressemblance &
vertu. L’acier étincelle, celui-ci s’enflamme, l’un & l’autre argentent & dorent les
métaux, & ont la puissance de concentrer les esprits & de resserrer les corps, il y
a seulement cette différence, que l’un est difficile à fondre, & l’autre nullement,
étant très mou & très obéissant à l’artiste. Aussi est-il dit, à quoi bon chercher
cela dans une matière dure, puisqu’il y en a une, qui de soi est molle ; dès
qu’elle est sublimée, comme je vous ai enseigné, elle peut convertir toutes
choses liquides & enaigries, dès la première fois en ce sel central ou ∆
philosophique ; que l’on a tant cherché. Voici comme je l’ai fait avec le vinaigre
commun.

J’en ai pris une partie, & l’ai mise dans du vinaigre distillé, tant que tout fut à peu
près dissout, puis après l’avoir fait filtrer & évaporer jusqu’en consistance d’huile
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grasse ; je l’ôtai du feu, & il se congela en forme de sel, que je mis dans une grande
retorte de verre à petit feu, & le tout se fondit, commençant à distiller par veinules,
comme un esprit de vin qui brûle, ainsi que celui d’ordinaire, quoiqu’il soit insipide
: après quoi il sortit un flegme gras & roussâtre, alors toute la matière de dedans la
cornue se gonfla à plus grand feu, moyennant quoi il s’éleva un esprit en forme de
neige en grande quantité apparente, comme de l’épaisseur un pouce, qui retombait
en partie quelquefois au fond, à cause de l’abondance, & ce qui s’en échappait
malgré le papier qui bouchait le récipient, rendait une si bonne odeur, ainsi
qu’avoua le Trévisan en sa parole délaissée ; que cela me surprit les sens comme à
lui.

Après que tout fut refroidi, & que le vaisseau fut ouvert. Je trouvai autour un
corps délicat, qui avoir l’éclat de l’argent commun, plus beau à l’œil, que les
perles Orientales. Ce ∆était obéissant au doigt, & d’odeur de camphre, on le
peut avoir quelquefois en ∆ liquide, (voyez le Trévisan au Traité de la nature de
l’œuf.) qui est bon, & c’est un corps resplendissant, & coagulé qui est encore
meilleur & en poudre blanche qui est très-bonne.

Ainsi vous venez d’apprendre la manière de tirer l’humide métallique non pas
qu’il soit humide comme l’on dit en toute sa substance ; telle qu’on pourrait
imaginer de l’eau, au contraire ce n’est qu’accidentellement qu’elle nous parole
ainsi, quand la chose est résoute : c’est pourquoi les Philosophes l’ont nommée
air, & lui, ont donné plusieurs autres noms : aussi la raison pourquoi les
Anciens & les Modernes ont dit qu’ils se servaient de rosée de Mai, d’eau
d’équinoxe, d’esprit de vin, d’urine & de sang ; c’est qu’il n’importe avec quoi
on tire ce ∆ parce que, comme l’ai dit, toutes choses liquides peuvent servir
moyennant cette cendre minérale. Voici la raison qu’ils ont rapportée, que leur
∆ est partout, le nommant universel, quoique indéterminé, car autrement, il ne
serait pas besoin de ce vaisseau qui est cette fleur, pour l’extraire ; ainsi qu’une
herbe attire à soi des autres êtres, & nui lui est nécessaire pour sa subsistance.
C’est la dessus que les Anciens ont feint qu’ils avaient des vaisseaux différents
pour extraire cet esprit des corps liquides, parce que l’on peut extraire cette
matière spécificative de divers métaux ou minéraux métalliques, toutes fois
dans un lieu elle se trouve moins embarrassée qu’en un autre.

Entre tous les minéraux, il ne s’en trouve aucun plus disposé par la nature que
celui-ci, & il est seul entre les corps métalliques, qui souffre la division des
parties fixes du volatil, ainsi que le bois au feu. Sa cendre a des vertus
admirables ; elle lie tout ce qui est disjoint, comme par exemple l’huile de

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métaux ou minéraux, faisant qu’ils ne se précipitent plus, après qu’elles ont été
seulement une fois distillées avec elle : cette cendre divise aussi ce qui est
assemblé. Séparant par même moyen l’esprit de sel, & autres qui se trouvent
dans les eaux-fortes ordinaires, de forte qu’on les peut recevoir à part chacune
avec augmentation de ses forces, tant pour les hommes, que pour les métaux,
parce qu’elle rend manifeste ce qui est occulte en chaque composé. Elle se
change facilement en toutes sortes d’apparences. Si le reste des cendres qui ne
se veulent dissoudre que difficilement sont réduites en sel, il paraîtra ni plus ni
moins que du Talc de Venise, & à cause de sa ressemblance, les Philosophes
l’ont nommé ainsi, ce qui a trompé tant de gens jusqu’aujourd’hui, croyant que
c’était le Talc vulgaire, duquel ils ont essayé de tirer de l’huile pour blanchir le
teint, comme, les Anciens ont dit, déguisant leur secret par le rapport d’une
chose à une autre. Cette cendre minérale a en soi, tout ce qui est nécessaire aux
curieux, ceux qui l’ont connus, ont eu la matière, dont on la tire, en grande
recommandation, & de crainte-qu’on sût qui elle était, ils lui ont imposé
plusieurs noms ; comme de lunaire, d’herbe saturnienne, & autres, aucuns l’ont
comparée à la Salamandre, à cause qu’elle vit dans le feu. Ils ne l’ont jamais
mieux dépeinte qu’en parlant du Phénix, qui renaît de ses cendres: d’autres
l’ont nommée Lucifer ou porte lumière, Vénus engendrée de l’écume de la Mer,
parce qu’on la tire en écumant, on l’a nommé Dragon, à cause qu’elle brûle
comme le Salpêtre ; Aigle, parce que l’on en tire l’armoniac mercuriel ; ils ont
dit que c’est le Roi, d’autant qu’il est le plus considéré entre eux, & le Lion à
cause de sa grande force, ils disent que c’est l’âme métallique, à cause qu’elle
vivifie tous les métaux, & qu’elle est corps parce qu’elle corporifie les esprits.
Mais communément entre les Philosophes, elle est entendue par le miroir de
l’art, parce que c’est principalement par elle que l’on a appris la composition
des métaux dans les veines de la terre, comme je ferai voir ensuite ; aussi est-il
dit que la seule indication de nature nous peut instruire. C’est le soufre & le
∆conjoints par nature ; le cinabre des Sages, duquel on a tant écrit, nous
assurant, que de ces deux, on sépare un corps moyen de si grande vertu. Il est
soufre à cause de sa partie tingente & combustible, & ∆ parce qu’il est l’humide
radicale des métaux, congelé par nature ; on le tire en deux façons, à savoir en
volatil, & en fixe. Je vous ai appris l’extraction du volatil : voici maintenant de
quelle, minière on procède pour avoir le fixe.

Mettez une part de cendre métallique, avec deux parts de salpêtre pur, dans un
pot de terre, que vous mettrez au feu l’espace de douze heures, en le mouvant
quelquefois avec un bâton, lorsque la matière s’enflera, il faut que la chaleur
soit telle que le pot ne devienne nullement embrasé. Les matières étant refroi-

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dies, rompez le pot, & mettez la masse en poudre grossière, puis en emplissez
des creusets que vous mettrez au feu, l’un après l’autre, comme il s’ensuit. Ayez
un fourneau qui ait depuis la grille, trois fois la hauteur de votre creuset, ou
environ : il doit être de petites briques ou tuiles, bâti contre une muraille, percé
à jour, que le trou soit un peu plus grand que la carrure d’une demie brique
ordinaire, & qu’il donne dessous la grille, afin que le vent puisse exciter le feu :
ce qui étant ainsi vous poserez un de vos creusets, & ferez faire une aussi
grande chaleur que vous pourrez : quand vous verrez que votre creuset
commence à se vitrifier, levez le petit couvercle, & voyez si la matière est de
couleur de pourpre, ce que vous connaîtrez lorsqu’elle sera ternie, comme
manque de feu, l’autre signe est, qu’un peu devant il y paraît une belle Etoile.
Retirez aussitôt votre creuset, de crainte qu’ayant passé le moment nécessaire,
l’esprit mercuriel ne s’enfuie en forme de fumée, de telle sorte qu’étant hors du
feu, il ne cesse de s’exhaler, & quand il est parti, la matière demeure d’une
couleur grise, & il ne peut venir d’autre esprit en sa place, c’est à vous de tâcher
d’y réussir, parce qu’il n’est pas difficile.

Quand vous aurez retiré votre matière du fourneau, & qu’elle sera refroidie, elle
aura la couleur de laque foncée tirant sur le pourpre, celte opération se fait dans
une heure.

Je vous ai dit la manière comme je l’ai faite, quoique les Anciens y aient mis
beaucoup plus de temps, & même les Modernes n’en ont pu en venir à bout
qu’en trois heures. Ils ont nommé ceci le salpêtre rouge : il ne tient qu’à vous
d’éprouver ce qu’ils en disent, puisque vous le savez faire ; on le laisse résoudre
de soi-même si l’on veut, & ainsi il se sépare de ses fèces en forme de gomme,
quand cette gomme est jointe à une autre gomme, savoir à celle du Soleil, alors
elles deviennent comme une eau coulante, sous l’éclat métallique : cette gomme
est encore nommée ambre, à cause de sa vertu attractive du soufre corporel,
savon, parce qu’elle nettoie les corps : & sperme, à cause de son odeur. Quand
ce sperme se met en huile par un plus long temps, les Philosophes l’appellent
huile de tartre, qui a tant fait travailler de personnes en vain sur le tartre
vulgaire ; ils l’ont nommé vitriol ; voulant dire, vitri-oleum ou huile de verre ;
parce quelle se tire comme je vous ai dix par feu de vitrification. Après que le
creuset vitrifiant est refroidi, la matière paraît comme une rose, environnée de
feuilles vertes ; c’est pourquoi ils l’ont nommée rose.

Le sel que l’on en tire, par l’eau commune, a des vertus innombrables, il
volatilise tout ce qui est fixe, & fixe tout ce qui est volatil ; il ôte le venin du
sublimé, & de l’arsenic, aussi bien que de toute autre chose dangereuse, comme

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des herbes, racines, fleurs & grains &c. Etant réduit. ainsi que vous apprendrez,
il dissout l’or & l’argent, comme l’eau chaude liquéfie la glace, sans aucun bruit,
ni corrosion, montant ensemble par l’alambic : bref, il fait tant de choses
admirables, que les Livres Chimiques ne sont remplis que de ses effets. C’est
pourquoi, je vous renvoyé à ceux qui ont écrit le moyen de s’en servir.

Comme il faut extraire le sel fixe & essentiel, des Métaux imparfaits. Tiré
des opérations de le Crom.

Vous aurez une terrine de grès, dans laquelle vous mettrez une livre de
limaille d’acier, de vert-de-gris en poudre, ou de Jupiter calciné, sur lequel
vous verserez un menstrue composé de vinaigre distillé & d’esprit volatil de
Vénus, partie égale, qui surnage la matière de deux travers de doigts, ayant
soin de bien remuer le tout avec une cuillère du même métal que celui que
vous employez ; couvrez ensuite votre terrine avec une autre terrine plus
petite, laquelle entrera dans la grande, en sorte que rien ne puisse exhaler.
Exposez-la dans un lieu tempéré, ni trop chaud, ni trop froid, pour laisser agir
le menstrue du matin au soir, ou du soir au matin, découvrez votre terrine, &
s’il s’est élevé de l’écume au-dessus de la liqueur, ôtez-la avec la cuillère, & la
mettez à part, remuez la madère, puis couvrez-la, & vous réitérerez la même
chose tous les jours deux fois, jusqu’à ce que votre menstrue soit bien coloré
en rouge, en bleu, ou en jaune, suivant là nature de votre métal. Alors vous
verserez par inclination votre menstrue teint dans un ou plusieurs filtres de
papier gris sans gomme, y ajoutant la liqueur provenant des écumes que vous
aurez ramassées. Versez ensuite de nouveau menstrue sur la matière &
opérez de la même façon que vous avez fait ci-devant, filtrez encore, &
recommencez jusqu’à ce que vous ayez une suffisante quantité de teinture.

Mettez votre liqueur teinte dans une cucurbite de verre, & distillez aux
cendres jusqu’à sec. La distillation étant finie, délutez & cohobez la liqueur
distillée sur les fèces, lutez & distillez, ce que vous réitérerez sept fois en tout,
& faites en sorte que vos distillations finissent le soir pour recommencer le
lendemain, afin d’éviter la fracture de la cucurbite, que l’on ne doit jamais
toucher qu’elle ne soit bien refroidie.

Prenez la tête morte qui sera restée au fond de la cucurbite, broyez-la bien sur le
marbre en poudre impalpable, ou bien en l’imbibant avec son menstrue, ensuite
mettez le tout, eau & terre, dans une cornue de verre dont la partie inférieure
soit lutée, & lui ayant adapté un demi-ballon, distillez au sable, petit feu au
commencement, en l’augmentant par degrés jusqu’à ce qu’il ne distille plus rien
; mais surtout vous devez prendre garde aux gonflements de la madère,
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laquelle se dégorgeant dans le ballon, vous obligerait à recommencer la


distillation, ce que l’on peut prévenir avec des linges mouillés que l’on
appliquera au-dessus, de la cornue, lorsque l’on verra la matière se gonfler : que
s’il en était passé un peu, il ne faudrait que rectifier la liqueur distillée dans une
cucurbite de verre.

Vous prendrez votre eau rectifiée que vous pèserez, & y joindrez la dixième
partie de la tête morte que vous trouverez dans la cornue, laquelle vous
broierez exactement fur le marbre en l’imbibant de son eau, après quoi vous
mettrez le tout dans une cucurbite de verre que vous couvrirez d’une autre
plus, petite cucurbite, laquelle servira de rencontre, que vous luterez bien avec
des bandes de vessie imbues de blancs d’œufs battus, lesquelles étant bien
séchées, vous placerez votre vaisseau dans un bain-marie, que vous
entretiendrez tiède au moyen de quelque lampe ou autrement, pendant quatre-
vingt-dix jours sans interruption. On entretiendra aussi l’eau pendant tout ce
temps à la hauteur du menstrue, avec une bouteille renversée, que l’on aura
soin de remplir quand elle sera vide. Je me fers d’une armoirie dans laquelle
mon bain est placé, & où je fais mes digestions avec facilité,

Quand les trois mois sont expirés, il faut éteindre le feu, & laisser refroidir la
cucurbite que vous déluterez pour lui adapter son chapiteau, & pour distiller
tout le menstrue aux cendres, alors vous verrez paraître votre sel sur la
superficie de ses fèces. Rendez-lui la moitié de son eau distillée, & gardez
l’autre moitié dans une bouteille bien bouchée pour vous en servir dans la suite
à achever la séparation du sel restant dans sa terre.

Couvrez votre cucurbite de sa rencontre, & lutez comme vous avez fait ci-
devant, faites digérer dans le même bain-marie pendant dix jours, lesquels étant
expirés, délutez votre vaisseau, & versez la liqueur qu’il contient dans un filtre
pour la séparer de sa terre, puis jetez sur cette terre l’autre moitié de son eau
distillée, couvrez votre vaisseau & faites encore digérer pendant dix autres
jours ; délutez ensuite, & faites passer cette eau par le filtre pour la joindre avec
l’autre, lesquelles eaux étant distillées dans une cucurbite de verre aux cendres
jusqu’à siccité, vous trouverez au fond de votre cucurbite votre sel qu’il faudra
purifier comme il va être dit.

Comme la terre contient encore un peu de sel, il la faudra laver avec le


menstrue que vous venez de distiller, lequel étant filtré, vous l’en ôterez par la
distillation, & vous joindrez ce sel avec l’autre. Ayant mis votre sel dans une
cucurbite de verre bien nette, vous y verserez de l’eau de pluie distillée autant
qu’il en faudra pour le dissoudre, faites évaporer cette eau aux cendres, versez-
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y en de nouvelle que vous ferez encore évaporer ou distiller, & recommencez


jusqu’à ce que les goûtes n’aient plus le goût ni l’odeur du dissolvant ; cela
étant fait, versez-y encore de nouvelle eau de pluie, & votre sel étant fondu,
faites-le filtrer pour le séparer de quelques fèces, après quoi faites évaporer, &
votre sel restera pur.

Mais pour l’avoir encore plus pur & le clarifier, vous le ferez dissoudre dans de
l’eau-de-vie rectifiée, puis distillez au bain-marié jusqu’à siccité ; votre sel sera
parfait pour l’usage de la Médecine.

NOTA. Le menstrue qui a servi à cette opération, doit être bien gardé, parce
qu’au lieu d’avoir perdu de sa venu, il en est rendu meilleur pour l’impression
du sel dont il est aiguisé.

La terre restante laquelle est effectivement morte, peut être gardée comme un
des meilleurs astringents pour les plaies.

Que l’on ne soit pas surpris de la longueur d’une opération qui ne peut être
achevée qu’en quatre ou cinq mois : ce temps est court en comparaison de deux
années entières que j’y ai employées la première fois que je l’ai faite, n’ayant pas
eu le même avantage que celui que je présente aux autres.

NOTA. Je sais qu’il y a une voie plus courte, & plus aisée pour extraire, &
purifier nos principes, laquelle est connue des savants ; si je n’en parle pas ici,
c’est qu’il est juste que chacun jouisse seul d’un bien qu’il s’est acquis souvent
avec bien de la peine.

Pierre médicamenteuse ou Boule de Mars.

C’est une composition d’une partie de limaille d’acier de deux parties de tartre
de vin, réduits l’un & l’autre en poudre subtile, & de seize parties d’eau-de-vie
la plus vieille.

Manière défaire ladite Pierre.

Prenez une livre de fine limaille d’acier ou de fer, 6 sols, plus deux livres de
tartre de vin en poudre, 1 l 10 s. faites infuser & digérer le tout dans une terrine
neuve, vernie avec une pinte, c’est-à-dire, deux livres d’eau-de-vie, pendant
vingt-quatre heures, après quoi vous ferez cuire doucement ladite composition,
jusqu’à ce qu’elle soit un peu épaisse. Retirez-la de dessus le feu : mettez-y une
seconde pinte d’eau-de-vie que vous brouillerez & laissez infuser comme la
première fois pendant vingt-quatre heures, ensuite vous la remettrez sur un feu

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doux, & ferez évaporer une partie de l’eau-de-vie, jusqu’a ce que la matière soit
un peu épaisse, comme vous avez fait d’abord.

Lesdites opérations, c’est-à-dire, infusion & cuisson, doivent être réitérées huit
fois en différents jours. A la huitième opération ou huitième pinte d’eau-de-vie,
(huit pintes font huit livres Tournois ou environ) laissez épaissir votre
composition pour en faire des boules rondes du poids d’environ trois onces,
vous en pourrez avoir une vingtaine, que vous ferez sécher & durcir à l’ombre :
vous les envelopperez dans une toile de batiste claire ou mousseline pour vous
en servir ainsi que je dirai ci-après. J’en ai appris la composition & l’usage d’un
Chimiste du Duc Léopold de Lorraine en 1712.

En faisant soi-même l’opération chaque boule de trois onces qui se vend 3


livres, peut revenir à 8 sols ou 10 tout au plus. On pourrait même en faisant
évaporer l’eau-de-vie dans une cucurbite en tirer deux pintes d’esprit de vin.
On peut encore pour rendre cette boule plus efficace, faire infuser l’eau-de-vie
avec des vulnéraires de Suisse. Mais on le doit faire dans l’infusion qui s’en
fera, en se servant d’eau-de-vie, qui aura tiré la teinture desdits vulnéraires.

Usage de ladite Boule.

Prenez votre boule telle qu’elle est enveloppée dans sa toile, & la faites tremper
ou infuser en eau chaude, en l’agitant un peu dans ladite eau. Quand l’infusion
sera de couleur de café clair, retirez votre boule, laissez-là sécher & la serrez.
Mettez dans cette infusion le quart d’eau-de-vie de ce qu’il y a d’eau, & tout
deviendra couleur de fer, ce qui sera bien.

On doit se servir de cette eau un peu chaude, ou plus que tiède. Voici ses effets
& propriétés.

Elle est utile pour guérir toute sorte de plaie, faite par armes à feu ou par
instrument tranchant ; pourvu qu’il n’y ait point de fracture d’os ou de crâne,
dans ce dernier cas il faut appeler le Chirurgien.

Quand ce fera donc une plaie ordinaire, si elle est profonde, on y seringuera de
ladite eau un peu chaude, après quoi on prendra une tente que l’on trempera
dans ladite eau ; on la mettra dans la plaie, & par-dessus un plumaceau & une
compresse de linge blanc de lessive trempé dans la même eau, & l’on bandera la
plaie. Si on peut humecter la compresse sans donner de l’air à la plaie, on le fera
afin de tenir toujours ladite compresse humide. Si néanmoins il y avait
suppuration, il faudrait lever l’appareil & nettoyer la plaie avec la même eau un
peu plus que tiède.

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Les plaies superficielles ne seront guères plus de vingt-quatre heures à guérir.


Les autres seront un peu plus longtemps, selon leur profondeur.

Si la plaie pénètre dans le corps & qu’il y ait du sang épanché dans la capacité
de l’estomac, on fera boire au blessé de ladite eau un peu chaude, en y mettant
un peu de sucre.

Elle est souveraine pour résoudre le sang caillé où épanché. Elle dissipe &
résout tout sang extravasé par contusion ou par choc. Elle apaise toute inflam-
mation des plaies ou des parties, toute érésipèle ; elle prévient la gangrène &
toute corruption du sang & ranime les chairs. Elle apaise les douleurs de la
goûte froide, rhumatisme & toute autre douleur externe ou superficielle en
bassinant de ladite eau la partie douloureuse de quatre heures en quatre heures,
& y appliquant une compresse trempée dans ladite eau.

Quand il y a fracture, cette eau peut toujours être employée en compresse,


parce qu’elle ôte ou prévient toute inflammation & corruption. C’est encore un
excellent stiptique pour arrêter le sang.

Cette eau sert intérieurement ou extérieurement par tout où la teinture de Mars


est ordonnée, mais en y mêlant seulement une sixième partie d’eau-de-vie.

Lettre de M. Beissiere Chirurgien Major des Hôpitaux du Roi, sur les bons
effets de la susdite Boule. À Namur le 30 Décembre 1708.

« Je ne saurais me dispenser de vous rendre compte, Monsieur, du bon effet que


j’ai moi-même éprouvé de la boule médicamenteuse dissoute dans l’eau-de-vie,
que vous avez eu la bonté de m’envoyer depuis un mois. Quelques jours après
que je l’eus reçue, il me survint un Capitaine d’une Compagnie Franche,
nommé M. Caje. Il reçût sept coups d’épée, le plus dangereux fut derrière
l’oreille un peu au-dessous de l’épophise mastoïde, large de deux travers de
doigt & se plongeant dans l’œsophage, le blessé perdit beaucoup de sang, & le
bouillon qu’il prenait par la bouche, sortait par la plaie derrière l’oreille. Sur-le-
champ j’y fis mettre de cette teinture, & je réitérai le lendemain. J’ai l’honneur
de vous dire que dix heures après l’œsophage fut réuni ; les aliments ne
sortirent plus par la plaie & prirent leur route naturelle. Il y a dix-huit années
que je sers le Roi dans les Hôpitaux ; mais je n’ai jamais vu une si prompte
réunion. » Tiré des Méthodes d’Helvétius.

Je puis marquer ici l’épreuve que j’en ai faite à Vienne en Autriche l’an 1722, un
Secrétaire d’Ambassade me fit dire qu’au lieu d’urine il ne rendait que du sang ;
je lui envoyai de la teinture de cette boule, avec le tiers d’eau-de-vie, il s’en

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seringa ; d’abord il eut une cuisson très-vive; il urina une heure après, moitié
urine & moitié sang, & en deux fois vingt-quatre heures il fut guéri de cette
incommodité, & je lui dis de se faire ensuite purger & panser, pour éviter de
plus grands accidents.

Préparation de l’Eau minérale de Mars.

Prenez une once de la limaille d’aiguille, lavée à plusieurs fois dans l’eau
chaudes laissez-la sécher, pilez-la ensuite avec deux gros de macis, & mettez le
tout dans une bouteille de verre ; après quoi vous verserez dessus une pinte
d’excellent vin de Champagne vieux, bouchez bien la bouteille, & la laissez
infuser à froid pendant six jours, & plus longtemps même, si vous voulez avoir
une teinture plus forte. Dans cet intervalle vous observerez de remuer la
bouteille trois ou quatre fois par jour. Le septième jour, vous verserez cette
pinte de teinture dans une terrine de grès, & vous y ajouterez six pinces d’eau
de Fontaine. Quand le tout fera bien mêlé, vous le verserez dans sept bouteilles,
que vous aurez le soin de bien boucher, pour en user comme il est maqué.
Helvétius en ses Méthodes.

Préparation de l’argent pour la Médecine.

Il faut prendre une once d’argent de coupelle, que vous ferez dissoudre dans
trois onces de bon esprit de nitre dans un matras. Vous retirerez votre
dissolvant jusqu’à la sécheresse. Prenez de l’eau-rose, assez pour dissoudre
votre matière. Filtrez la dissolution par te papier gris ; évaporer la liqueur
jusqu’à consistance de sel. Puis ayez deux onces de salpêtre raffiné, que vous
ferez dissoudre dans de l’eau-rose. Filtriez la dissolution, que vous ferez
évaporer. Joignez ensemble votre lune calcinée, & votre nitre ainsi clarifié & les
faites dissoudre dans de nouvelle eau-rose.

Après quoi vous ferez exhaler cette liqueur sur le sable, tant qu’il vous reste un
sel blanc, que vous laisserez refroidir. Vous prendrez ensuite deux onces de fine
fleur de froment. Vous broierez d’abord votre sel d’argent en un mortier de
marbre ou de verre, vous y joindrez votre farine, broyant bien l’une avec
l’autre, en y joignant un peu d’eau-rose pour en faire une pâte, dont vous
formerez des pilules de la grosseur d’un poix, que vous ferez dessécher à
l’ombre entre deux papiers. Elles deviendront couleur de pourpre, que vous
garderez en une boëte de bois.

Usage des Pilules dans l’hydropisie.

Vous prendrez une de ces pilules à six ou sept heures du matin. Deux heures

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après il faut prendre un bouillon à la viande ou vous aurez mis huit ou dix
goûtes d’esprit de Sel.

L’évacuation se fait par des selles liquides & par les urines ; continuez ce
remède jusqu’à guérison. Si le malade se trouvait faible, il suffirait de lui faire
prendre cette pilule de deux jours l’un. Dans tous les bouillons & breuvages, il
faut toujours mettre la même dose d’esprit de sel.

S’il est besoin de faire suer le malade, il faut employer les étuves sèches & faire
prendre les sels suivants. Savoir ; sel d’urine, sel d’absinthe, de chacun deux
dragmes, y ajouter un demi-scrupule, c’est-à-dire, douze grains d’huile d’ambre
& autant d’esprit liquide d’urine, bien mêler le tout avec deux dragmes de sucre
fin dans un mortier de verre ou de marbre. La dose est de quatre, scrupules
dans un demi verre de vin blanc, lorsque le malade est dans les étuves sèches, &
non dans le bain d’eau. De trois en trois jours il faut donner ce remède, & l’on
sera guéri à la troisième fois, quelquefois même à la seconde. La guérison le fait
par une grande abondance de sueurs & d’urine.

Préparation d’argent contre les affections du Cerveau.

Pour préparer l’argent & le rendre propre à guérir les plus fâcheuses maladies
du cerveau, il faut le calciner philosophiquement, c’est-à-dire par un amalgame
de mercure & de sel purifié & desséché, puis faire évaporer le mercure &
adoucir la chaux avec de l’eau tiède. Faites dissoudre cet argent dans
d’excellente huile de vitriol de Chypre, qui seul a la vertu de réduire en liqueur
les métaux parfaits sans le secours du salpêtre. Quand vous aurez dissout
l’argent, vous distillerez la moitié du dissolvant, & mettrez le reste en lieu froid,
& il se formera des cristaux de Lune, que vous pourrez résoudre dans de l’huile
de sauge, pour vous en servir contre la manie & autres affections de cerveau.
Quercetan.

Huile d’Argent.

Prenez des lames d’argent très-pur, coupées par petits, morceaux & les faites
dissoudre en eau-forte rectifiée sur du sel de tartre, ou composée avec le même
sel. Et lorsque votre Lune sera dissoute dans cette eau, versez-y un peu de
bonne eau-de-vie bien rectifiée, & la laissez reposer vingt-quatre heures en un
lieu frais, & au fond il se formera de petits cristaux.

Prenez ensuite des blancs d’œufs que vous battrez en eau & les distillerez, &
dans cette eau distillée, vous y ferez digérer vos cristaux deux ou trois jours ;

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NICOLAS LEFEVRE COURS D CHIMIE TOME IV 852

puis vous mettrez le tout dans un alambic, vous ferez distiller par le bain, & il
vous restera une huile d’argent très précieuse. Quercetan.

Autre Huile d’Argent.

Ayez de la chaux d’argent bien faite, ce qu’il vous en faut, mettez-la en bon
vinaigre distillé, & il se dissoudra en peu de jours de couleur bleue céleste,
faites évaporer le vinaigre au bain de cendres, & vous formerez des cristaux,
que distillerez pour en tirer l’huile.

Cristaux de Lune.

Dans une petite cucurbite de verre» mettez trois parts d’esprit de nitre très pur ;
avec une partie d’argent de coupelle. Quand l’argent sera dissout, faites évapo-
rer doucement le tiers de votre dissolvant, laissez refroidir & il se formera des
cristaux que vous séparerez & ferez sécher à petit feu sur un papier ; & les
mettrez en une bouteille bien fermée, réitérez l’évaporation de votre dissolvant
& il vous donnera de nouveaux cristaux ; continuez l’évaporation tant que vous
tirerez de ces cristaux.

Il n’est pas sûr de faire prendre ces cristaux intérieurement, quoique M. Boyle
l’ait conseillé au poids de deux ou trois grains dans de la mie de pain.

Pierre infernale.

Faites dissoudre une partie d’argent dans trois parties d’esprit de nitre. Faites
évaporer les deux tiers de votre dissolvant. Mettez le reste dans un fort creuset
d’Allemagne un peu grand, faites feu léger votre matière après s’être gonflée
s’affaissera ; donnez feu plus fort, & votre argent deviendra en huile, que vous
verserez en une lingotière chauffée & graissée, le tout se figera & vous le
mettrez en une fiole bien bouchée. Telle est la pierre infernale, qui ne sert que
pour l’extérieur en Chirurgie pour ouvrir les abcès, ou pour faire les cautères.

Fin du quatrième Volume.

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